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Edito Etre compétitif demain dépendra des choix d’aujourd’hui
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e numéro 20 de WikiAgri est exceptionnel. Réalisé et rédigé à la fois par WikiAgri et le think tank saf agr’iDées, il vise à donner au chef d’entreprise agricole que vous êtes toutes les connaissances pour être le plus compétitif possible demain, en effectuant aujourd’hui les bons choix. Nous avons intitulé ce numéro Le temps de la réflexion. L’idée est de s’arrêter, en ce début d’année 2016, d’observer l’évolution de l’agriculture, ses grandes tendances, ses atouts de demain. Pour cela, le chef d’entreprise agricole que vous êtes doit avoir en tête les idées sur lesquelles planchent ceux qui réfléchissent à l’agriculture du futur, et donc en main ce magazine. Cette collaboration entre WikiAgri et saf agr’iDées, le temps d’un numéro, aboutit à vous donner des tendances fiscales, juridiques, de politique agricole, de politique d’échanges internationaux, de terrain de recherche pour les innovations technologiques et numériques, et même à repositionner l’agriculteur au milieu de son contexte rural et territorial. Un numéro riche. N’ayez pas peur tournez les pages... Antoine Jeandey Rédacteur en chef de WikiAgri
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SOMMAIRE WIKIAGRI N°20 / FÉVRIER 2016 Directeur de publication Yannick Pages Rédacteur en chef Antoine Jeandey Rédaction Eddy Fougier Frédéric Hénin Raphaël Lecocq Céline Zambujo redaction@wikiagri.fr
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EDITO P.3
THÉMA CAMBON LUI SEMBLE
Ont participé à ce numéro (merci à saf agr’iDées) Christian Bonnetier Marie-Cécile Damave Patrick Ferrère Marie-Laure Hustache Jean-Baptiste Millard Patrick Van Damme
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Dessinateur Michel Cambon
P.12 à 29 - Série d’articles rédigés par les plumes de saf agr’iDées : évolutions du monde agricole, politique européenne, installation et juridique, échanges internationaux, fiscalité agricole, innovations technologiques, innovations numériques, rualité et territoires.
Photographe Jean-Marie Leclère Publicité Tél. 06 89 90 72 75 | pub@wikiagri.fr Responsable commerciale Anne Messines Tél. 06 08 84 48 02 Mail : anne.messines@wikiagri.fr
P.6 - Le dessin de Michel Cambon
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THÉMA
P.7 à 11 - Théma, le temps de la réflexion, ou comment assurer demain la compétitivté de son exploitation
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ENVIRONNEMENT
P.30 à 33 - L’après Cop21 et ses influences sur l’agriculture u
AGRONOMIE
Consultant Média Bernard Le Blond - Vision bleue Tél. 06 83 92 08 61
P.34 à 37 - Herbicides maïs, la sécurité des startégies à double passage
Conception graphique et maquette Notre Studio www.notrestudio.fr
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Conseil éditorial Sylvie Grasser - Hiceo Tél. 06 32 75 11 94 www.hiceo.fr
MOTEUR
P.38 et 39 - Les petits poucets des semis de précision P.40 et 41 - Tracteurs, deux géants verts u
RÉFLEXION
P.42 - L’agriculture mondiale dans 10 ans
ISSN ISSN 2258-0964 Dépôt légal A parution Service abonnements 4, impasse du Faubourg 38690 Le Grand Lemps Tél : 04 76 31 06 19 E-mail : contact@wikiagri.fr Abonnement annuel 34,90€ TTC (4 numéros) Prix au numéro : 10€
Ce numéro comporte un encart YARA
Site internet www.wikiagri.fr Impression SAS Imprimerie Leonce Deprez Zone industrielle de Ruitz 62620 Ruitz Tirage 45 000 exemplaires (dont 41 000 expédiés) Le magazine WIKIAGRI ® est edité par la société : DATA PRO SOLUTIONS 20, rue Joliot Curie 38500 VOIRON CEDEX
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LE DESSIN
Cambon lui semble
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Le temps de la réflexion, ou sortir du brouillard pour effectuer les bons choix pour son exploitation.
Le temps de la réflexion Parce que 2016 n’est pas programmé pour être une année charnière pour l’agriculture française (pas de nouvelle Pac à l’horizon immédiat, pas d’élections...), nous avons estimé qu’il était temps de réfléchir. Pour rendre son exploitation aussi performante que possible pour les prochaines années, encore faut-il connaître les tendances. WikiAgri a demandé au think tank saf agr’iDées de donner son opinion sur ces tendances. saf agr’iDées, une pensée moderne au sein d’une association datant de 1867 Anciennement SAF (société des agriculteurs de France), devenu récemment saf agr’iDées, ce think tank est l’une des rares cellules de réflexion en France spécialisée de manière exclusive sur l’agriculture. Saf agr’iDées propose pratique-
« Le temps de la réflexion est une économie de temps. » Publius Syrus, poète latin WIKIAGRI FÉVRIER 2016 | N°20
ment une conférence à thème par mois, d’où de la matière sur autant de sujets, édite des notes en émettant des opinions, mais aussi des rapports complets, s’interroge sur la place de l’agriculteur, le tout dans la société dans une organisation interne sous forme de groupes de travail. En termes de communication, la revue Agriculteurs de France est accompagnée d’une newsletter conséquente, mais aussi depuis une ère relativement récente d’un site internet (www.safagridees.com), d’une page Facebook, d’un compte Twitter... Aujourd’hui résolument moderne, cette association s’appuie
aussi sur une histoire telle qu’elle va fêter, en 2017, ses 150 ans... Son fonctionnement est fondé sur un travail commun entre professionnels de l’agriculture (les administrateurs, le président étant Laurent Klein), et les conseillers, spécialistes chacun d’un ou plusieurs domaines (le directeur est Patrick Ferrère). Pourquoi un numéro spécial WikiAgri / saf agr’iDées ? WikiAgri a inauguré cette forme particulière de son magazine qu’est le numéro spécial avec un numéro dédié aux questions
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THÉMA « En France, on parle quelquefois de l’agriculture, mais on n’y pense jamais. » Alphonse Karr, écrivain et journaliste du XIXe siècle environnementales réalisé conjointement avec la revue Agriculture et environnement. Il s’agissait de son numéro 18, publié en novembre 2015. Cette fois, sur les thèmes de la réflexion et de la prospective, qui mieux qu’un think tank pouvait donner sa vision de l’avenir ? Compétences fiscales, juridiques, en politiques agricoles (nationales et internationales), en innovations, en grandes tendances... saf agr’iDées s’est donné pour mission essentielle la prospective, d’avoir une vision sur l’agriculture de demain. Cette vision tient autant de l’opinion que de l’observation des évolutions et tendances. On ne va pas parler de prédictions, mais plutôt de projections. Tout ne se produira pas exactement comme le décrit saf agr’iDées, mais tout pourrait se produire ainsi pourtant, avec une volonté politique à l’appui. Le temps de la réflexion... Mais encore ? L’idée de ce magazine, numéro spécial, est de se poser, de prendre du recul, et de réfléchir à l’avenir. Pour un temps, notre lecteur va arrêter d’être happé par son quotidien, prendre connaissance de grandes tendances des évolutions sur les années à venir compte-tenu de ce qui existe aujourd’hui, et cela l’aidera (c’est notre objectif en tout cas) à effectuer les meilleurs choix pour l’avenir de son exploitation. Lorsque Patrick Ferrère, directeur de saf agr’iDées, décrit comment on est venu à l’agrandissement des exploitations (page 14), c’est pour mieux mettre en lumière « la position d’acteur » que doit désormais tenir l’agriculteur devant ses partenaires de la transformation et du commerce. Lorsqu’il évoque la future Pac (page 16), celle qui commencera en 2020 à la suite de celle en cours, c’est pour prôner des systèmes assurantiels, meilleurs garants de la protection contre les catastrophes en tout genre, climatiques ou économiques. Les articles
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suivants poussent la réflexion sur la forme juridique que doit prendre la transmission et donc l’installation (page 18), Jean-Baptiste Millard souhaitant favoriser le bail cessible, officiellement acté depuis 10 ans mais toujours en retard d’activation. Marie-Cécile Damave décrit les accords internationaux qui vont concerner l’Europe et ce que l’on peut attendre d’eux (page 20), en particulier de ce fameux accord transatlantique, mais qui est loin d’être le seul. La fiscalité des entreprises agricoles ensuite, sujet ardu, mais sur lequel il est indispensable de se pencher, car finalement le revenu en dépend pour une grande partie (page 22). Enfin, les innovations, quelles soient technologiques ou biotechnologiques (page 24) ou qu’elles concernent l’utilisation des outils
nouveaux (page 26), fournissent autant de sujets qui méritent l’attention si l’on veut être à la pointe de ce qui fait de mieux pour son exploitation. Pour terminer, le dernier article fourni en exclusivité par saf agr’iDées aux lecteurs de WikiAgri, repositionne l’agriculteur comme acteur de la ruralité, dans un cheminement qu’il doit connaître au vu des réformes territoriales qui viennent d’être actées, et dont les conséquences ne seront visibles que dans les années à venir. Pourquoi ne pas parler de la crise dans ce numéro ? Ce numéro, effectivement, fait abstraction de la crise agricole, laquelle fait la Une de tous les médias presque quotidiennement depuis de longues semaines. Il ne s’agit pas de l’occulter, de faire comme si elle n’existait pas. Mais de séparer l’actualité (la crise) d’une vision sur l’avenir (ce magazine) qui elle mérite du recul, du détachement. L’actualité oblige à une réaction
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au fur et à mesure, la prospective réclame de poser des bases de réflexion dans la sérénité, sans obéir au remue-ménage qui accompagne chaque fait d’actualité. ... Quoique ! Mais à y regarder de plus près, lorsque l’on parle de système assurantiel pour la Pac, de bail cessible pour l’installation, d’utilisation opportune des innovations à venir, ne répond-on pas, au moins pour une grande partie, aux causes de la crise agricole actuelle ? Dans cette crise, il y a l’urgence (aides aux entreprises agricoles en péril immédiat), mais aussi l’avenir, jeter les bases d’une agriculture qui fonctionne et qui se soit donné
« Les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu’elles concernent l’avenir. » Pierre Dac, humoriste
les moyens de survivre aux soubresauts d’un prix en chute libre, d’une météo calamiteuse, d’une envie de s’installer en berne, etc. En conclusion Ce numéro ne vous dictera pas ce que vous devez faire aujourd’hui pour préparer votre exploitation aux enjeux de demain. Parce qu’il n’a pas à le faire, c’est vous le chef d’entreprise agricole, c’est à vous de choisir.
Le test d’une variété nouvelle sur une petite parcelle, une manière de préparer l’avenir.
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Mais il vous donnera les contextes à connaître, des idées qui sont déjà défendues, donc, au sein du think tank saf agr’iDées, d’une manière telle que, vous-même, vous vous sentirez mieux armé, dans notre monde fait d’incertitudes mais aussi de tendances, pour prendre les bonnes décisions. Bonne lecture.
Antoine Jeandey
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Le monde agricole face à ses évolutions Au fil des années, le monde agricole a connu des évolutions lourdes et profondes. L’exploitation grandit, la fiscalité évolue Par ailleurs, l’exploitation agricole a grandi, s’est modernisée, a été accompagnée dans ses investissements par des politiques publiques incitatives. Elle ne produit plus seulement des produits agricoles bruts mais aussi de l’énergie, du tourisme, des loisirs… La fiscalité évolue, les conditions d’exploitation aussi et le statut de l’exploitation agricole bascule doucement vers celui d’une entreprise comme les autres, une TPE ou PME aux activités multiples, soucieuse de sa transmission, de sa reprise, de sa compétitivité.
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out au long des années 1950, la mise en place du « développement et de la vulgarisation en agriculture », au travers en particulier des Centres d’Etudes de Techniques Agricoles (CETA), a construit un esprit de groupe et permis l’éclosion d’une cohésion sociale paysanne nouvelle, consciente de son existence propre. Si l’on comptait 25 CETA en 1951, ils étaient 1000 en 1962. Parallèlement, ces évolutions sociales rejoignent les objectifs de la JAC (Jeunesse agricole chrétienne) : les exploitants n’ont pas à être résignés ou soumis, ils sont gestionnaires de leur entreprise. Et cette exploitation, elle est familiale, composée d’un couple, d’enfants aides familiaux et de présence d’ascendants. C’est cette logique qui sera la base de la politique agricole commune : l’exploitation à 2 unités de travail (UTH), le mari et sa femme avec, pour la détermination des prix administrés, la méthode dite « objective » qui a pour but l’obtention d’un revenu pour une exploitation composée de deux « travailleurs ». D’où, à cette époque, la condamnation par la profession agricole de
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toute pluriactivité dans le couple. Les agriculteurs avaient leur cohésion sociale, les pouvoirs publics accompagnaient les évolutions et répondaient aux besoins ; le droit et l’économie agricoles avaient leurs règles et étaient intimement associés à la ruralité. Aujourd’hui, cette construction vacille et la cohésion du monde agricole est mise à mal. Ainsi, la politique agricole, sous la pression des évolutions européennes et des négociations internationales, a abandonné toute référence aux prix administrés et à l’exploitation à 2 UTH : l’exploitation « moyenne » n’existe plus et la notion de massification disparaît au profit de situations individuelles de chaque entreprise. De même, la pluriactivité du chef d’exploitation et surtout de son conjoint est devenue chose courante, pour ne pas dire espérée et souhaitée. Ainsi, les producteurs s’ouvrent à d’autres milieux sociaux et ne restent plus entièrement disponibles aux problématiques et engagements « agricoles ou ruraux ».
Pour ce qui les concerne, les évolutions de la ruralité ont été telles que les agriculteurs n’en sont plus les seuls représentants ni les seuls membres. Certes, on parle désormais « des ruralités » mais, en tout état de cause, les producteurs doivent énormément partager et cohabiter sur leur territoire. Enfin, l’interlocuteur « compréhensif » qu’a toujours été le monde politique pour l’agriculture, en particulier avec son ministre, n’apporte plus les réponses aux demandes exprimées : les règles européennes sont claires et strictes sur la subsidiarité et les contraintes budgétaires limitent fortement les capacités d’intervention. Ces évolutions sont lourdes et profondes pour le monde agricole. Elles remettent en cause sa cohésion, ses réflexes professionnels, son organisation économique. L’individualisme envahit le secteur au moment où, face aux attentes du marché - indicateurs principaux des filières -, les producteurs doivent assurer une position d’acteurs et peser devant leurs partenaires que sont la transformation et le commerce. Un grand chantier qui a commencé à être ouvert et dont il faut espérer que les principaux ouvrages juridiques, économiques, fiscaux, trouvent rapidement fondations et constructions. Patrick Ferrère Délégué général de saf agr’iDées
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Quelle politique agricole en 2020 ? Projection sur les grandes lignes qui pourraient guider la prochaine PAC.
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ien malin celui qui peut s’avancer sur le contenu de la prochaine Politique Agricole Commune en 2020 ! En effet, au cours des quatre prochaines années, beaucoup d’éléments peuvent influer lourdement sur cette politique. En premier lieu, l’évolution des négociations internationales. Le cycle de Doha, en dépit des grandes négociations bilatérales, tente toujours de renaître. Nous savons que la partie agricole est aujourd’hui la plus bloquante, mettant parfaitement en valeur les attentes divergentes entre
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pays développés, en voie de développement et émergents, entre pays interventionnistes et grands exportateurs. En tout état de cause, certains engagements internationaux pourraient peser sur le contenu de cette PAC, à l’instar des conclusions de la conférence ministérielle de Hong Kong sur les restitutions. Ensuite, le niveau du budget européen. Les dernières perspectives financières ont mis en valeur le souhait d’une majorité de paysmembres à faire pression sur le budget de l’UE. Aussi, celui consacré à la PAC peut être amené à subir des restrictions à l’intérieur de dotations
européennes globalement en baisse. Les difficultés rencontrées par de nombreux états-membres quant à leur déficit et les limites à la solidarité posées par d’autres, sont de nature à estimer qu’un maintien du budget actuel serait le point haut de la marge des négociations.
Politique « alimentaire » commune ? Par ailleurs, la Politique Agricole Commune peut être mise en question. A l’intérieur d’un budget européen contraint, certains ne vont pas manquer d’attaquer la PAC
elle-même. Pour les uns, le mot « alimentaire » doit remplacer le terme « agricole », pour d’autres, il s’agit de passer à une politique environnementale pour le premier pilier, passer le second dans la politique régionale ou structurelle… A l’heure où le Royaume-Uni entend barguigner son maintien dans l’UE contre de fortes évolutions peu propices à l’agriculture, il est difficile de faire le point sur l’état respectif des forces au sein du Conseil d’une part et du Parlement d’autre part. Enfin, dernier élément déterminant, le contenu même de la PAC. Avec un premier pilier pour l’essentiel utilisé pour « inciter » ou « compenser » les contraintes environnementales et le bien-être animal, se posera la question de sa légitimité et son basculement définitif vers des soutiens identiques sur tous les hectares européens. Profitant d’un climat politique propice aux concessions, la PAC 2014-2020 a permis beaucoup de subsidiarité : en sera-t-il de même en 2019 ? Par ailleurs, il faut avoir à l’esprit que toute simplification vue par Bruxelles a pour corollaire une uniformité sur l’ensemble de l’UE. Et ceci est vrai pour le premier comme pour le second pilier.
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Vers des systèmes assurantiels ? Alors, à ce stade, faut-il ne rien dire ? Certes non, car des lignes de force existent, et une fois encore, les états-membres et le Parlement se positionneront sur la proposition de la Commission Européenne. Or, cette dernière, quasiment depuis le Plan Mansholt, reste fidèle à ses objectifs globalement traduits par une politique très libérale. Ainsi, la volatilité des prix est constatée et peu est fait pour lutter contre ; en revanche, des systèmes assurantiels peuvent être mis en place pour en protéger au mieux les producteurs. L’unité du marché européen n’est pas à discuter, d’où des entraves à l’organisation des filières et défense du revenu par la Direction de la Concurrence sous prétexte d’ententes.
Les filières françaises ne peuvent pas ignorer ces évolutions et cette réalité. D’où la nécessité, en accompagnement de la PAC, de savoir mettre en place les outils indispensables pour les producteurs, les transformateurs et les commerçants, visant à assurer une compétitivité globale et non pas celle d’un seul maillon de la chaîne. Les investissements, le cadre juridique, l’organisation et la compréhension des attentes du marché sont essentiels pour que nos secteurs agricole et agroalimentaire puissent assumer leur rôle stratégique dans notre pays. Patrick Ferrère Délégué général de saf agr’iDées
Ainsi, nous pouvons parier que la PAC 2020, plus ou moins bien dotée budgétairement, sera dans la lignée de 1992, 2003, 2014, c’est-à-dire avec l’affirmation que les signes du marché sont fondamentaux et que la notion de crise est exceptionnelle et se doit de n’être appréciée qu’au niveau européen.
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Le bail cessible doit enfin s’imposer Pour que l’entreprise agricole soit pleinement reconnue, le bail cessible doit devenir la règle.
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lors que la loi d’orientation agricole de 2006 vient de fêter ses 10 ans, le fonds agricole et le bail cessible, les deux outils phares qu’elle a mis en place, ne se sont toujours pas imposés dans le paysage juridique agricole. Ces outils sont pourtant nécessaires pour reconnaître pleinement l’entreprise agricole et faciliter sa transmission.
Le bail cessible, adopté en 2006, au point mort
Le premier instrument, calqué sur le fonds de commerce, permet d’appréhender l’ensemble des facteurs de production, qu’ils soient corporels ou incorporels, de manière globale en tant qu’unité économique apte à dégager un revenu ; le second facilite et sécurise la transmission des entreprises hors du cadre familial en évitant leur démantèlement.
Souvenons-nous, le premier objectif de la loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006 était de conforter les exploitations agricoles, en favorisant leur évolution vers une démarche d’entreprise, de nature à renforcer leur compétitivité et à relever les
Pour atteindre cette étape décisive dans la reconnaissance de l’entreprise agricole,le législateur a voté la création de deux nouveaux outils, le fonds agricole et le bail cessible, que saf agr’iDées avait appelé de ses vœux dans un livre blanc paru en octobre 2004.
Ces outils n’ont toutefois pas rencontré le succès attendu. Mais qu’on ne s’y trompe pas, le faible nombre de création et de transmission de fonds agricoles résulte avant tout de l’absence de signature de baux cessibles. En effet,
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défis du tournant libéral que la PAC avait pris en 2003 : « L’enjeu est de promouvoir la constitution d’unités économiques solides, autonomes et cessibles » (exposé des motifs du projet de loi présenté à l’Assemblée Nationale).
Les avantages offerts par le bail cessible Le bail cessible hors du cadre familial offre de nombreux avantages aux deux parties au contrat. POUR LE PRENEUR
• Il offre la stabilité car conclu pour 18 ans au moins, renouvelable pour une période de neuf ans.
• Cession
du bail possible au profit de tout tiers agriculteur, personne physique ou morale.
• Valorisation du droit au bail dans le cadre ou non de la transmission d’un fonds agricole.
• Bénéfice
des avantages fiscaux d’acquisition des biens loués.
• Obtention
en
cas
d’une indemnité d’éviction en cas de préjudice causé par le refus de renouvellement du bail.
seuls les contrats cessibles sont susceptibles d’être intégrés dans le fonds agricole. Or en agriculture, bien plus que dans le commerce, le titre pour exploiter la terre constitue l’élément essentiel du fonds. Le principe d’interdiction de céder le bail rural de droit commun, en dehors du cercle familial, ne permet pas de l’incorporer dans le fonds agricole et fait donc perdre à ce dernier tout son intérêt. C’est parce que législateur n’a pas souhaité remettre en cause le principe de l’incessibilité du bail rural qu’est apparue cette situation de blocage. Malgré ses nombreux atouts pour chacune des parties (lire l’encadré), le caractère dérogatoire et les incertitudes juridiques qui entourent le bail cessible hors du cadre familial ne plaident pas en sa faveur.
Face au « papy boom », l’incessabilité du bail doit devenir l’exception Pour relever le défi de la transmission des exploitations françaises, touchées par le « papy boom », le temps semble venu de faire du bail cessible la règle et de son incessibilité l’exception.
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POUR LE BAILLEUR
• Il
représente une amélioration significative de la rentabilité financière de son capital foncier (jusqu’à 50 % de majoration sur la base du fermage incluant le supplément bail à long terme)
• L’absence
de droit de préemption de la SAFER en cas de vente portant sur un bail signé depuis plus de 3 ans.
• Le
preneur en place ne peut pas remettre en cause le prix de vente dans le cadre de la purge de son droit de préemption.
• Conditions de résiliation du bail assouplies pour défaut de paiement du loyer.
• Bénéfice du régime fiscal des baux ruraux à long terme. • Valorisation du droit au bail à sa conclusion ; • Droit de préférence possible en cas de cession isolée du bail.
Conférer au bail de droit commun un caractère cessible assurerait enfin l’essor du fonds agricole. Rappelons qu’il constitue un instrument de crédit - à travers son nantissement -, pour renforcer le haut de bilan des entreprises et ouvrir la perspective de nouvelles formules de transmission, comme la location gérance. Le développement du bail cessible ne renchérira pas le coût des reprises d’exploitation. En revanche il permettra de légaliser, là où ils se pratiquent, les pas de porte, ce qui permettra de mieux assurer leur financement. Mais reconnaître au preneur la cessibilité de son bail ne peut être envisagé sans offrir de sérieuses contreparties aux propriétaires. D’autant que ceux-ci, rappelons-le, jouent un rôle crucial dans le portage du foncier. Les propriétaires-bailleurs mettent en effet en location plus de 60 % de la surface agricole utile française. La part des terres en fermage représente même 70 % chez les jeunes agriculteurs, pour qui l’acquisition de terres constitue un trop lourd investissement en début de carrière.
environnementales et sociétales qui s’exercent sur leur patrimoine, doivent pour cela bénéficier d’une rémunération plus attractive et de dispositifs fiscaux avantageux pour ne pas être tentés de s’en défaire. Le principe de la cessibilité du bail rural doit donc s’intégrer dans une réforme plus globale du statut des baux ruraux redessinant de nouveaux équilibres entre les parties au contrat. Trop occupés à renforcer le contrôle des structures et les pouvoirs de la SAFER, ni le gouvernement ni le législateur n’ont souhaité ouvrir ce vaste chantier dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt votée en 2014. La prochaine grande loi agricole ne pourra toutefois pas faire l’économie d’un tel débat.
Jean-Baptiste Millard Responsable territoires et gestion des entreprises à saf agr’iDées
Les propriétaires ruraux, déjà bien malmenés par les pressions fiscales,
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Filières agroalimentaires, de sérieux atouts dans la mondialisation des échanges En quête de croissance et d’influence géostratégique, consciente des atouts de nos filières et de la croissance de la demande mondiale, la Commission européenne multiplie les opportunités pour faciliter les échanges commerciaux avec divers pays et régions du monde.
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etour aux fondamentaux : où est l’offre ? Où est la demande ? L’Union européenne assure à présent son autosuffisance en produits agroalimentaires, et sa demande intérieure est satisfaite. C’est donc surtout la croissance des exportations qui peut soutenir la production. Ça tombe bien : la demande mondiale en produits agricoles et agroalimentaires est en plein essor.
Demande mondiale en hausse, des opportunités pour les exportateurs français. La croissance de la population mondiale devrait se poursuivre jusqu’à un plateau de 9 à 10 milliards d’habitants en 2050, et la demande alimentaire mondiale est essentiellement tirée par le dynamisme de la consommation asiatique et des pays émergents, en pleine transition alimentaire. Si les céréales doivent continuer à être la principale source des apports caloriques, ce sont les protéines animales qui devraient le plus progresser, et plus particulièrement les produits laitiers et de la viande
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de volaille. De plus, la demande en maïs, soja et blé progressera pour l’alimentation des animaux d’élevage, en expansion dans les pays en développement (source FAO/OCDE).
Nos atouts : des filières élaborées, structurées, productives, de haute valeur ajoutée L’Union européenne est une des régions du monde où l’agriculture est la plus élaborée, et la France y tient un rôle bien particulier. Non seulement l’agriculture y est très étendue, occupant la moitié des terres, mais elle aussi très productive, grâce à l’articulation efficace de multiples facteurs de production (investissements, infrastructures, savoir-faire et connaissances pointues, logistique) : la valeur de la production agricole et agroalimentaire européenne était de 369 milliards d’euros en 2014, la France générant la part la plus importante avec 18%. Ces atouts nous permettent non seulement de satisfaire nos propres besoins alimentaires mais également d’exporter. La balance
commerciale agroalimentaire européenne est positive depuis 2010. Les exportations ont atteignaient 120 milliards € en 2014, et devraient atteindre un niveau record en 2015 (128 milliards sur 12 glissants de novembre 2014 à octobre 2015).
Saisir les opportunités de croissance en Asie : les Etats-Unis ont eu la même idée... L’ASEAN (association des pays du Sud-est asiatique) est une des régions du monde où la croissance
est la plus dynamique (5,3% en 2013), et elle est déjà le troisième partenaire commercial de l’UE après les Etats-Unis et la Chine. La Commission européenne négocie donc des accords commerciaux avec des pays membres de l’ASEAN en vue d’un futur accord interrégional UE-ASEAN. Deux ont déjà été signés (avec Singapour en 2014 et avec le Vietnam en 2015), ouvrant la porte à de nouvelles opportunités d’exportations françaises et européennes de vins et spiritueux, viandes de porc, de bœuf et de volaille, produits laitiers, et préparations alimentaires. Les Philippines pourraient devenir le troisième pays membre de l’ASEAN à signer un accord de libre-échange avec l’UE, les négociations démarrant en 2016. Nous ne sommes pas les seuls à nous intéresser aux pays de l’ASEAN. Les Etats-Unis et onze autres pays du pourtour de l’Océan Pacifique (Australie, Brunei, Canada, Chili, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Pérou, Singapour,
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et Vietnam) ont signé le partenariat Trans-Pacifique (TPP) en octobre 2015. C’est un accord géostratégique de grande ampleur (ces pays représentant 40% du PIB mondial) qui permet notamment d’ouvrir le marché japonais à différents produits agricoles et agro-alimentaires américains (fruits secs, maïs doux, lactose, aliments pour animaux domestiques, riz, blé, orge, malt, amidon…) et australiens (viande de bœuf). L’UE est elle-même en négociations commerciales avec le Japon, mais en
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dépit des 14 rondes de négociations qui ont déjà eu lieu, elles peinent à progresser, le marché japonais restant relativement fermé à nos produits pour l’instant, alors que c’est un pays où le pouvoir d’achat y est élevé et où la France bénéficie d’une image positive. La NouvelleZélande et l’Australie, signataires du TPP, sont deux pays avec lesquels l’UE vient d’annoncer un accord politique pour démarrer des négociations de libre-échange.
élevés et des barrières non tarifaires contraignantes. La situation est un peu différente pour le secteur des vins et spiritueux. Il a déjà fait l’objet d’accords par le passé et un certain nombre d’indications géographiques françaises sont déjà protégées aux Etats-Unis. Les marges de progrès de nos exportations sont plus ténues, puisque les Etats-Unis concentrent déjà 20% des exportations françaises.
Négociations transatlantiques : mauvaise presse, beaucoup de potentiel
Le volet sanitaire et phytosanitaire de l’accord prend une importance particulière pour les produits agricoles et agroalimentaires. Et là, ce sont deux conceptions, deux approches culturelles, qui ne se comprennent pas : pour les Américains, c’est le marché qui décide, le consommateur qui choisit, en connaissance de cause, les produits mis sur le marché en vertu de critères scientifiques assurant la sécurité sanitaire des aliments. Pour les Européens, c’est le politique qui fait ce choix, sur des critères non seulement scientifiques mais aussi de l’ordre de la philosophie ou des croyances. Il en va ainsi des OGM, de la viande bovine produite à l’aide d’hormones ou de la ractopamine.
Nos relations avec les Etats-Unis sont souvent passionnelles : soit on se déteste, soit on s’adore. Avec les négociations UE-USA dans le cadre du Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement (TTIP), on frise souvent le fantasme. Qu’en est-il en réalité ? Les principales motivations de l’UE et des Etats-Unis dans le TTIP sont les suivantes : renforcer le leadership des puissances occidentales dans un monde dont le centre de gravité s’est déplacé vers l’Asie ; l’utiliser comme levier de sortie de crise économique ; réguler la mondialisation avec des normes sociales et environnementales ; et réduire les coûts liés aux barrières non tarifaires (les normes et standards). Après 11 rondes de négociations depuis 2013, le volet agricole reste l’un des plus problématiques, avec plusieurs produits sensibles et le problème de la reconnaissance par les Etats-Unis des indications géographiques européennes. En 2016, les négociateurs américains devraient avoir davantage les mains libres pour ces négociations puisque le TPP est signé, mais il y a fort à parier que les questions de politique intérieure seront prioritaires côté américain, en pleine campagne présidentielle jusqu’aux élections de novembre. Deux secteurs français en particulier sont clairement en position offensive dans ces négociations : vins et spiritueux et produits laitiers, déjà exportateurs nets vers les Etats-Unis. Pour les produits laitiers, l’objectif est de réduire les droits de douanes américains aujourd’hui
Saisir notre place dans le monde grâce aux échanges La mondialisation est aujourd’hui une réalité qui ne peut être niée, et dans laquelle la France a toute sa place, et tout particulièrement les filières agroalimentaires, secteur d’excellence. Les échanges internationaux ne portent pas seulement sur les biens et les marchandises. Le Secrétaire d’Etat au Commerce extérieur Matthias Fekl ne s’y est d’ailleurs pas trompé dans son rapport sur la stratégie du commerce extérieur de la France présenté en décembre 2015 : il n’y est pas uniquement question d’économie, mais aussi d’enjeux culturels, de principes et de valeurs.
Marie-Cécile Damave Responsable Innovations et Marchés à saf agr’iDées
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LE TEMPS DE LA RÉFLEXION
Fiscalité agricole, un enjeu majeur pour nos entreprises Dans un contexte de libéralisation des marchés agricoles et de diversification accrue des revenus, la fiscalité des entreprises agricoles doit s’adapter.
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n France, la réforme fiscale est un véritable serpent de mer. Elle se trouve dans le programme de tous les candidats à la présidentielle qui souhaitent une fiscalité plus juste, plus efficace et plus transparente. Mais les engagements de campagne se heurtent très vite à des difficultés pratiques qui font reculer les plus courageux. Si la réforme fiscale évoquée par les médias, avec le fameux « prélèvement à la source », concerne la catégorie des Traitements et Salaires
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dont relève la grande majorité des français, il ne faut pas oublier dans ce vaste chantier fiscal les agriculteurs. Certes l’activité agricole a ses propres contraintes qui doivent être prises en compte. Il en va ainsi des aléas climatiques, des crises sanitaires ou des évolutions brutales du prix des produits agricoles. Mais pour le reste, la convergence entre les différentes cédules (catégories de revenus résultant de la classification opérée par l’administration fiscale), bénéfices industriels et commerciaux (BIC), bénéfices non
commerciaux (BNC) et bénéfices agricoles (BA) est forte.
Pour une cédule fiscale unique Cette convergence des catégories de revenus milite en faveur de la création d’une cédule fiscale unique regroupant l’ensemble des activités professionnelles.Une telle évolution permettrait aux entreprises agricoles de développer des activités relevant des BIC ou des BNC sans devoir créer des structures pour chaque activité, et
« La performance de l’agriculture française dépend pour partie d’une fiscalité adaptée à l’effort d’investissement imposé à nos entreprises agricoles pour devenir compétitives ou le rester. »
régulariser plusieurs déclarations de résultats et sans s’inquiéter du dépassement des plafonds de revenus extra agricoles admis (soit 30 % maximum des recettes de l’activité agricole, ou 50 000 € sur la moyenne des trois années précédentes). L’autre solution pour parvenir à un résultat comparable est d’opter pour l’impôt sur les sociétés (IS). Une fois le prélèvement fiscal opéré au niveau de la société, son intérêt réside dans le fait de ne taxer que le résultat qui est distribué aux associés, permettant ainsi de mettre en réserve le solde à des fins de trésorerie ou d’investissement. Mais la France est l’un des Etats-membres où le taux d’IS supporté par les très petites entreprises est le plus important. Il est temps d’engager une réforme de l’IS en concertation avec les représentants des TPE de tous
les corps de métiers. Cette action commune ne doit pas empêcher les agriculteurs de solliciter la mise en place de dispositions fiscales spécifiques à leur activité. Les avancées constatées dans la loi de finances rectificative pour 2015 et dans la loi de finances pour 2016 n’apparaissent toutefois pas à la hauteur de ces enjeux. Certes, la fin du « forfait agricole », remplacé par un « micro-BA » doit être saluée. Il faut admettre que le régime du bénéficie forfaitaire agricole était éloigné de la réalité économique, complexe et coûteux dans sa gestion par les services fiscaux. De même l’assouplissement des modalités de constitution et des conditions d’utilisation de la déduction pour aléas (DPA) va dans
le bon sens. Cette nouvelle refonte du mécanisme, qui s’applique aux exercices clos à compter du 31 décembre 2015, doit permettre aux agriculteurs de mieux lisser le montant de leur imposition au cours du temps et constitue une véritable réponse fiscale à la volatilité des prix subie pas les entreprises agricoles. Mais on est encore loin de la grande réforme de la fiscalité agricole attendue par les professionnels. La performance de l’agriculture française dépend pour partie d’une fiscalité adaptée à l’effort d’investissement imposé à nos entreprises agricoles pour devenir compétitives ou le rester. Patrick Van Damme Vice-président de saf agr’iDées et Jean-Baptiste Millard Responsable territoires et gestion des entreprises à saf agr’iDées
Dépasser l’approche patrimoniale des entreprises agricoles Le droit rural doit s’adapter aux réalités économiques immatérielles qui imprègnent de plus en plus l’activité agricole, en prise directe avec les marchés.
fonds agricole n’est-il pas d’admettre que des droits incorporels, qui peuvent d’ailleurs être fluctuants ou instables, puissent être vendus ?
Dans ce contexte, une séparation entre l’exploitation et son support foncier s’impose, en imputant la valeur économique des droits incorporels sur le fonds agricole au lieu de les reporter sur les terres et les bâtiments.
Si tel est le cas, il faut alors dépasser l’approche patrimoniale et s’en tenir à une évaluation économique de l’entreprise agricole et à sa capacité à dégager durablement un revenu, à l’instar des méthodes d’évaluations des parts de sociétés agricoles qui s’effectuent depuis longtemps selon une approche économique, c’est-à-dire en fonction de la somme actualisée des profits futurs.
Même si la profession agricole exprime depuis longtemps une certaine défiance à leurs égards, la liste des éléments incorporels en agriculture s’allonge. Le véritable enjeu de la création du
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LE TEMPS DE LA RÉFLEXION
Accéder aux innovations technologiques pour relever les défis L’agriculture d’aujourd’hui est le résultat de nombreuses innovations, facteurs de progrès au service de l’homme.
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lle est d’ailleurs elle-même une innovation pour s’affranchir de la chasse et de la cueillette grâce à la domestication des plantes et des animaux, répondant le mieux aux besoins de l’homme. Depuis l’après-guerre, c’est en utilisant efficacement l’ensemble des leviers technologiques disponibles (mécanisation, sélection génétique, produits de fertilisation et de protection de la santé des plantes et des animaux d’élevage par exemple), que la productivité agricole a pu suffisamment progresser pour répondre à
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l’évolution des besoins alimentaires de la population mondiale. Celle-ci a doublé depuis 1960 alors que les surfaces agricoles n’ont augmenté que de 12%. Dans le même temps, la proportion des populations sous-alimentées a diminué de 20%. En France, sur la même période, la production agricole a été multipliée par cinq, pour augmenter les quantités alimentaires disponibles, mais aussi les rendre plus accessibles aux consommateurs en réduisant leurs prix : la part du budget des ménages
consacrée à l’alimentation a ainsi été réduite de moitié.
L’innovation technologique, moteur du progrès en agriculture La recherche-développement et l’innovation jouent un rôle crucial pour stimuler la croissance de la productivité en agriculture et dans les filières de transformation agroalimentaires et non alimentaires. Les améliorations technologiques portant sur les
matières premières, les process de transformation, de conservation, de stockage, de transport et de distribution convergent vers des réponses au plus juste des demandes de chaque maillon de la chaîne de valeur. Soulignons l’importance de la recherche et de l’innovation technologique dans la construction de la bioéconomie, cette économie biosourcée qui vise à remplacer le carbone d’origine fossile par le carbone renouvelable : celui-ci est notamment produit par l’agriculture et la forêt, dans les filières de la chimie verte, pour contribuer à atténuer le changement climatique.
L’importance des sciences et technologies en agriculture à l’international L’année 2015 a été riche en événements qui ont mis en avant le rôle essentiel des sciences, de la recherche et de l’innovation en agriculture pour répondre aux enjeux de l’amont et de l’aval. En mars, l’intégration des enjeux climatiques dans les négociations internationales sur le climat a été déclinée lors de la conférence scientifique internationale consacrée à l’agriculture climato-intelligente à Montpellier, en préparation à la COP21, qui a abouti à l’accord de Paris. Le rôle des technologies pour contribuer à atténuer et à s’adapter au changement climatique y est un des fils conducteurs. De mai à octobre, l’Exposition universelle de Milan fut la première de la sorte à se saisir de la problématique de la sécurité alimentaire mondiale, avec comme thème central « Nourrir la planète - énergie pour la vie ». Elle fut l’occasion de nombreuses réflexions sur le rôle de la recherche et de l’innovation pour répondre aux enjeux alimentaires. Citons plus particulièrement celles de la Commission européenne, dont le comité du programme scientifique pour l’Expo de Milan a publié un document intitulé « The role of research in global food and nutrition security », et du Forum mondial pour la recherche et l’innovation alimentaire (World Food Research and Innovation Forum). En 2016, ces sujets restent plus que jamais d’actualité. Par exemple,
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l’une des priorités affichées de la présidence néerlandaise de l’Union européenne pendant le premier semestre dans le domaine agricole est le rôle de la recherche et des technologies dans l’agriculture climato-intelligente, et plus particulièrement le transfert d’innovations. Autre exemple, la Commission de l’agriculture du Parlement européen a présenté un projet de rapport sur « la promotion de l’innovation et du développement économique en rapport avec une gestion agricole d’avenir pour l’Union européenne » qui sera débattu en 2016. Ce document se prononce pour « l’adoption de solutions novatrices pour répondre au besoin humain le plus ancien et le plus essentiel – à savoir garantir l’approvisionnement alimentaire ».
L’agriculture au sens large bénéficie des révolutions technologiques en cours De quelles révolutions technologiques parle-t-on ? En premier lieu, les technologies de l’information et de la connaissance, avec la puissance d’internet, de la numérisation des données massives (les fameuses Big Data), qui permettent de nouveaux usages et la création de nouvelles valeurs : depuis la caractérisation et la sélection génétique des plantes et des animaux d’élevage et l’évolution du matériel agricole connecté, jusqu’à l’émergence de nouveaux services et circuits de distribution proposant des produits et des services sur mesure à destination des consommateurs en bout de chaîne. On parle de « plateformisation », véritable rupture organisationnelle dans différents secteurs, et en particulier en agriculture. Les révolutions technologiques en marche sont désignées sous le signe NBIC : nanotechnologies, biotechnologies, technologies de l’information et des sciences cognitives. Elles s’intègrent dans une boîte à outils pour transformer les pratiques, de l’amont à l’aval, vers plus de précision : agriculture de précision, transformation et distribution performantes, optimisation des actions de chaque maillon de la chaîne, réduction des pertes et gaspillages, et réponses au plus juste aux demandes des clients et aux impératifs de la durabilité économique, environnementale et sociale.
Pour des politiques donnant le choix aux acteurs de se saisir des technologiques innovantes Nombres d’enjeux agricoles sont devenus des enjeux de société (l’eau, les pesticides, les abeilles, les OGM…). Les révolutions technologiques en cours, d’une ampleur sans précédent, sont en première ligne pour apporter des réponses à ces enjeux. Les technologies de l’information et du numérique, avec le partage, l’échange, le stockage, le traitement des connaissances avec une puissance et une vitesse inédite, révèlent le partage des enjeux - et notamment celui du changement climatique. On peut donc s’attendre à davantage de choix collectifs et pour le bien commun, au service des trois piliers de la durabilité, et des objectifs partagés des filières. Si ces choix sont possibles. Il sera particulièrement intéressant en 2016 de voir si (et comment) nos décideurs politiques s’empareront des recommandations du rapport Agriculture-Innovation 2025 qui a été remis en octobre dernier. Ce rapport a identifié le numérique, la robotique, la génétique et les biotechnologies, ainsi que le biocontrôle, comme les technologies permettant à l’agriculture d’être compétitive et respectueuse de l’environnement. Pour répondre à leurs besoins individuels et collectifs, les acteurs de nos filières ne pourront s’emparer de ces innovations que si on leur en laisse la possibilité. Certaines de ces technologies, telles que les biotechnologies, sont moins « politiquement correctes » que d’autres. Il est pourtant indispensable que les producteurs aient accès aux variétés les plus adaptées à leurs conditions de production et aux exigences des filières de transformation, quelles que soient les technologies utilisées pour les mettre au point.
Marie-Cécile Damave Responsable Innovations et Marchés à saf agr’iDées
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LE TEMPS DE LA RÉFLEXION
La quatrième dimension de l’agriculture Le monde de l’agriculture a su très tôt conjuguer réel et virtuel pour mettre les nouvelles technologies et les innovations numériques au service des exploitations. Alors qu’une nouvelle ère de partage numérique s’ouvre, l’agrinaute se projette déjà dans une activité pluridimensionnelle aux possibilités toujours plus étonnantes. En 2025, c’est-à-dire demain, les agriculteurs seront virtuellement concrets et concrètement numérisés !
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n agriculteur, ou une agricultrice, est une personne qui, avec des outils, procède à la mise en culture de la terre ou à l’élevage d’animaux, à des fins de productions. C’est un chef d’entreprise qui possède plusieurs casquettes : en plus de travailler et de cultiver la terre, il doit avoir des connaissances mécaniques pour la réparation des outils agricoles mais aussi au niveau de la gestion et de la comptabilité quotidienne. L’agriculteur envisage la terre et sa surface fertile comme un réseau vivant exploitable et multi connecté à des vecteurs de croissance comme le soleil, l’eau, la terre et ses composants. Depuis plusieurs années, cette posture déjà complexe est dynamisée par les nouvelles technologies et outils numériques, et notamment le net, qui offrent la possibilité de mieux coordonner l’ensemble de ces phénomènes et actions (quand l’exploitation agricole n’est pas située dans les 12% de désert numérique encore estimés en France, selon le livre blanc édité par le think tank Renaissance Numérique).
Une existence plus informatisée, connectée et organisée La solitude du paysan s’est démodée, au profit d’une existence plus informatisée, connectée et organisée. Le virtuel et le réel se
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combinent pour donner lieu à une représentation nouvelle de l’agriculture, des agriculteurs et des produits de la terre. La moindre opération située sur une exploitation agricole peut aujourd’hui se réguler grâce à des applications performantes et innovantes. Nous sommes donc entrés, et ceci pour des raisons générationnelles, dans l’ère de l’agriculture connectée et nomade, dont l’un des avantages est d’optimiser la gestion du temps et du travail. L’agriculteur est à présent un « agrinaute » ou un « ageekculteur », pour reprendre l’expression chère à Hervé Pillaud (auteur de Agronumericus, internet est dans le pré),capable de veiller sur l’ensemble de ses opérations en cours ou à venir, et de maitriser les séquences tout en étant connecté à un réseau d’interlocuteurs occupés à des activités semblables ou reliées.
Contrairement aux idées reçues, le monde agricole a très vite compris que les technologies de communication et d’information pouvaient lui être utiles, de la gestion à distance des élevages (robotisation etc.), au stockage de données, en passant par les portails de mise en commun d’expériences ou de communication directe avec les consommateurs.
Un terreau favorable au déploiement de la révolution numérique Sur cette lancée, et en témoigne l’intérêt des nouveaux acteurs pour le secteur, les agriculteurs sont devenus eux-mêmes, socialement et économiquement, des consommateurs individuels en quête d’informations, de conseils, de services, d’outils, de machines... Un terreau favorable au déploiement de la fameuse grande « révolution numérique » dont
on parle tant aujourd’hui (sous des appellations variées comme « uberisation », « économie de partage », « plateformisation », etc.), et qui désigne cette désintermédiation des acteurs de la chaîne de valeurs grâce à un rapprochement direct avec les utilisateurs. En pleine phase de « disruption » des usages, on assiste à la fois à une accélération de la mutation des agriculteurs qui s’ouvrent au champ infini des outils numériques, et à l’organisation de communautés de citoyens-consommateurs à la recherche de produits ou de placements dans des secteurs agricoles ou agroalimentaires (des attentes auxquels répondent des start-up comme La Ruche Qui Dit Oui, Miimosa, Lendosphère, etc.).
Vers l’émergence d’une génération d’agriculteurs - entrepreneurs - négociants - ingénieurs ? « Ce qui bougera en 2016, écrit Nicolas Vambremeersch, ce ne sont pas les technologies, installées ou bourgeonnantes. Ce sont les usages, et les grands équilibres des plateformes qui les font évoluer. » (source : tribune du 11 janvier 2016 publiée dans Les Echos intitulée Cultiver la curiosité). Ce constat s’applique parfaitement à l’agriculture d’aujourd’hui et demain. Un changement de paradigmes qui agite les acteurs historiques des secteurs agricole, agroalimentaire et agroindustriel, qui se sentent d’autant plus concernés que l’agriculture est traditionnellement un univers fortement organisé et encadré… Donc en attente de ruptures ! Se pourrait-il ainsi que nous assistions dans les prochaines années à l’émergence d’une génération d’agriculteurs-entrepreneurs-négociants-ingénieurs comme le souligne Renaissance Numérique dans son livre blanc ? Car le numérique induit l’agriculture de précision, au sens aussi d’agriculture sur-mesure. Un champ des possibles, où l’agriculteur du XXIe siècle saisira plus que jamais le sens de son métier, les rythmes de la terre, de l’élevage, et son ouverture aux consommateurs. Il sera ainsi de plain pied dans la quatrième dimension de l’agriculture.
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Marie-Laure Hustache Responsable communication à saf agr’iDées
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Réforme territoriale, les chefs d’entreprise dans l’expectative Les motivations principales des initiateurs de la réforme territoriale reposaient sur des objectifs de simplification administrative, d’économie et d’efficience budgétaire. Force est de constater, au vu des textes de loi et de leurs premières circulaires d’application, que ces objectifs sont déjà largement compromis, du moins à court et à moyen terme.
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epuis le 1er janvier, l’Hexagone ne compte plus que 13 régions (7 ont été redécoupées, 6 restent inchangées). La réforme territoriale qui entre en vigueur va se concrétiser par des textes d’application qui permettront d’évaluer, par secteur d’activité, ses conséquences sur les entreprises. Une série de circulaires gouvernementales aux préfets de région et de départements, parues fin décembre 2015, permet déjà d’apprécier, surtout sur la nouvelle répartition des compétences des collectivités, les impacts possibles qui en résulteront en agriculture. Chacun sait l’importance des financements publics accordés par les collectivités territoriales en agriculture. Chacun mesure leur influence dans les multiples domaines du développement économique, du progrès social, et des exigences environnementales qui caractérisent la vie des entreprises agricoles et de leurs partenaires de l’amont et de l’aval. Cette importance est encore accrue par l’intégration communautaire de l’agriculture, qui impose de plus en plus la mobilisation des budgets publics nationaux pour pouvoir disposer les crédits européens.
Où est la simplification administrative ? En matière de simplification administrative, le redéploiement des
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services (de l’Etat et des collectivités), avec le souci de limiter les tensions géographiques liées aux délocalisations des emplois et des instances publiques, et la redéfinition des compétences des collectivités contribueront, au moins pendant plusieurs années, à complexifier les circuits d’instruction et de gestion des dossiers.
Certes les dysfonctionnements seront davantage probables dans les 7 régions qui ont été redessinées géographiquement, mais l’opacité des circuits administratifs sera particulièrement accrue en agriculture avec l’enchevêtrement des multiples réglementations européennes, nationales, régionales, départementales et locales qui la caractérise.
Un même projet agricole nécessitant des approches économiques, sociales, environnementales, voire sanitaires, avec des volets réglementaires complémentaires mais souvent différenciés, cela ne simplifiera pas les démarches des entreprises. Que penser de ces complications lorsqu’on prendra en considération l’absence d’harmonisation préalable de ces réglementations au sein des nouvelles régions ?
pour l’agriculture. En effet elles constituent une absence de reconnaissance de l’activité économique en tant que telle pour les entreprises concernées et elles dérogent aux dispositifs généraux mis en place par la loi. En effet, les textes de loi visent à limiter les pratiques de « financements croisés » (intervention financière de plusieurs collectivités sur un même projet). La Région est désormais seule compétente pour
d’orientation, que dans un « volet facultatif », le suivi stratégique avec les chambres consulaires n’associant que les chambres de commerce et d’industrie ainsi que les chambres des métiers. Les départements demeurent compétents en matière d’espaces naturels et agricoles et peuvent participer au financement d’aides accordées par la région en faveur d’organisation de producteurs et d’entreprises exerçant une activité de production, de commercialisation ou de transformation de produits agricoles. Mais cela impliquera des procédures complexes de conventionnement au travers de mécanismes de « compétences partagées » ou de « chef de file » prévus par la loi.
Urgent de réagir et d’anticiper Intégrée dans un volet facultatif des orientations stratégiques économiques régionales, considérée comme une aide d’accompagnement régionale pour les interventions départementales, quelle sera le caractère prioritaire de la politique agricole ?
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Une marginalisation économique des activités agricoles Les instructions gouvernementales aux préfets (circulaires du 22 décembre) en matière de répartition des compétences économiques sont encore plus préoccupantes
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définir et octroyer les aides économiques aux entreprises. La politique économique de son territoire est précisée dans un schéma régional de développement (le SRDEII) élaboré en concertation avec les autres collectivités (métropoles et intercommunalités). Or l’agriculture n’est inscrite, dans ce document
Il est urgent de réagir et d’anticiper pour rétablir la place légitime que méritent les activités agricoles dans la politique publique nationale et décentralisée. La représentation du monde agricole et ses multiples partenaires doivent engager des travaux de prospective et élaborer des propositions concrètes pour donner aux entreprises concernées les accompagnements publics nécessaires à leur compétitivité dans une Europe et un monde marqué par la montée des concurrences et par les distorsions de concurrence. Cette nouvelle réflexion à initier devra intégrer états des lieux, programmations d’harmonisation et de cohérence (par zone et par filière de production), propositions de simplifications administratives et de développement économique. Christian Bonnetier Administrateur à saf agr’iDées
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ENVIRONNEMENT
Le 4 pour 1 000 ne changera rien dans les champs... dans l’immédiat Le lancement de l’initiative 4 pour 1 000, inscrite à l’agenda des solutions de la COP 21, ne se traduirait pas, en France, par de nouveaux programmes agricoles spécifiques. Elle valide en revanche le projet environnemental du ministère de l’Agriculture pour la France.
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Aussi le ministère français de l’agriculture s’est mobilisé pour la lancer dès la signature de l’accord sur le climat.
u terme de la COP 21, l’accord planétaire sur le climat conclu à Paris le 11 décembre 2015, n’est que la première étape du vaste chantier à conduire pour limiter la hausse des températures de la Terre à 1,5°C d’ici 2100 par rapport à l’ère préindustrielle. Mais il est d’ores et déjà prévu qu’un premier bilan sera dressé à la fin de l’année, à Marrakech, à la COP 22, sur les progrès accomplis dans sa mise en œuvre.
Un projet environnemental conforté en France
L’initiative 4 pour 1 000, qui vise à stocker du carbone atmosphérique dans le sol sous forme organique, fait partie du plan d’actions Lima-Paris.
Au niveau européen, quinze pays européens adhèrent déjà à l’initiative 4 pour 1 000. D’autres membres pourraient être amenés à
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Toutefois, son lancement est d’abord diplomatique. En France, elle ne se traduirait pas par de nouveaux programmes agricoles spécifiques.
la rejoindre. Mais la réforme actuelle de la Pac s’inscrit déjà dans l’optique d’accroître le taux de carbone organique dans les sols européens. Le développement des intercultures, la rotation des cultures, l’introduction de paiements verts, le maintien des surfaces de prairies, les surfaces d’intérêts écologiques ou encore les soutiens à la production de protéagineux et de légumineuses sont autant de pratiques en phase avec le projet de la Cop 21. A l’échelle internationale, l’initiative 4 pour 1 000 concilie les priorités
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ENVIRONNEMENT que d’autres pays (continent américain, Ukraine, Russie...), mais aussi en France, avec des acteurs comme les céréaliers d’Orama, rejoindront le mouvement. Le ministère français de l’Agriculture organisera dans les tous prochains mois la première réunion d’étape de lancement du projet avec les signataires. Car d’ici fin 2016, sa priorité sera de doter l’initiative 4 pour 1 000 d’une structure de gouvernance internationale indépendante qui aura recours à une palette d’outils financiers (banque mondiale, AFD – agence française de développement –, fondations privées, fonds vert pour le climat, budget européen, entre autres...) mais rien n’est encore établi à ce jour.
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de pays forts différents sur les cinq continents mais pour lesquels l’enjeu climatique est très important.
Un panel de pays forts différents En fait, la teneur en carbone organique dans leurs sols est une question majeure pour les pays en développement. Ils voient dans la proposition 4 pour 1 000 une démarche de progrès et d’accès à des techniques de production plus efficaces, qui renforceront leur sécurité alimentaire.
Quant aux pays exportateurs de produits agricoles (NouvelleZélande, Australie par exemple), il devient urgent de modifier leurs pratiques agricoles au risque d’être sinon mis sur le banc. Au total, une centaine d’Etats, d’organisations non gouvernementales et professionnelles, et d’instituts de recherches ont adhéré volontairement à l’initiative 4 pour 1 000 avec, sous le coude, des programmes de stockage de carbone atmosphérique compatibles avec les objectifs recherchés. Et comme le projet n’a été présenté qu’en avril 2015, tout porte à croire
Ensuite, cette nouvelle structure dressera l’inventaire des programmes de développement agricoles des pays partenaires de l’initiative qui ont apporté des résultats agronomiques qui mériteraient d’être vulgarisés. Ces programmes devront agir sur les différents leviers d’émissions directes de gaz à effet de serre (alimentation, méthanisation) et de stockage de carbone atmosphérique sous forme organique. L’enjeu de l’initiative 4 pour 1000 n’est pas d’interdire ou d’autoriser les Ogm. En revanche, diffuser et généraliser des bonnes pratiques agricoles auprès des paysans qui contribuent à stocker du carbone constituera un véritable défi.
Frédéric Hénin
Rappel, le 4 pour 1000, quesaco Des travaux de recherche agronomiques démontrent qu’il est possible d’accroître de 0,4 % par an (ou de 4 pour 1 000) la quantité de carbone organique contenue dans le sol agricole en adoptant des pratiques culturales appropriées. Or il s’avère que le taux de 4 pour 1 000 serait suffisant pour résorber, à l’échelle de la planète, les quantités de CO2 excédentaires qui ne sont pas assimilées, chaque année, par la photosynthèse des plantes et ou
dissoutes dans les océans. Et comme les sols seront alors plus riches en matières organiques, ils seront aussi plus fertiles et plus productifs ! D’où l’intérêt porté par les pays en développement à ce projet agronomique confrontés à de sérieux problèmes de fertilité dans leurs sols. (lire aussi, WikiAgri Magazine n°18)
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AGRONOMIE
Herbicides maïs, la sécurité des stratégies à double passage Aujourd’hui les maïsiculteurs ont le choix dans la gestion de leur désherbage : choix dans les stratégies – désherbage en prélevée en un passage ou avec rattrapage en post-levée, désherbage en post-levée précoce, ou désherbage en post-levée en une ou deux interventions. Choix aussi dans les solutions phytosanitaires, avec de nombreux intervenants et quelques nouveautés arrivées ces derniers mois.
A.J.
Lors de la construction du programme herbicide, il convient de diversifier et alterner les modes d’actions des produits utilisés : cela apporte une gestion durable des solutions phytosanitaires et évite l’apparition de résistances, à l’échelle du programme mais aussi plus largement dans le cadre de la rotation des cultures sur la parcelle.
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uels que soient ces choix, l’objectif est de préserver le plus tôt possible le potentiel de récolte et sa qualité.
Chaque année est différente et 2016 ne devrait pas déroger à la règle. L’an dernier, la maîtrise a globalement été correcte avec des efficacités des herbicides à mode d’action racinaire et des rattrapages pas toujours nécessaires. En post-levée, les positionnements souvent tardifs ont été plus délicats, en raison des conditions hydrométriques moins favorables en mai entrainant des levées échelonnées d’adventices et une moins bonne couverture du maïs. Les dicotylédones classiques
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étaient également bien présentes et ont souvent nécessité un rattrapage, voire un complément mécanique.
Adapter la stratégie à la flore présente Pour 2016, la base de travail reste la même : il faut d’abord choisir une stratégie désherbage en fonction de la flore attendue. Ainsi, pour une flore à dominante graminées, visez un traitement en prélevée avec des produits racinaires et un éventuel rattrapage en post-levée, en cas de pression moyenne ou si conditions sont défavorables à l’efficacité des produits racinaires (sol sec, absence de pluie). Une stratégie
« pré+post » permet de combiner des produits à spectre anti-graminées et anti-dicotylédones à action racinaire et foliaire. Cette approche a d’ailleurs tout son sens pour les semis très précoces – bien qu’elle soit délicate à mettre en place car il s’agit d’intervenir au stade 2 feuilles sur maïs et sur des adventices au stade plantule – mais aussi dans le cas d’une flore mixte graminées et dicotylédones, ou en cas de forte pression véronique. Mais intervenir à ce stade nécessite des conditions climatiques favorables simultanément aux herbicides racinaires et foliaires : pluviométrie significative après traitement, bonne humidité du sol, hygrométrie adaptée lors du traitement pour optimiser l’efficacité des foliaires sur des adventices déjà levées… pas toujours simple à obtenir. Pour une flore à dominante dicotylédones classiques, il faut privilégier les produits de post-levée à large spectre et intervenir éventuellement en deux passages. Attention à bien raisonner l’intervention en fonction du stade de la plante, avec des conditions climatiques poussantes (hygrométrie supérieure à 65 %, températures minimales supérieures à 10° C, maximales inférieures à 25° C) et sur des adventices jeunes pour optimiser l’efficacité de l’intervention. Attention également : en cas de flore très diversifiée, le conseil est d’augmenter le spectre d’action par mélange d’herbicides en veillant à leur sélectivité. Dans le cas d’une flore à dicotylédone difficiles et avec peu de graminées, privilégiez une stratégie de double post-levée
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AGRONOMIE
renforcée, en intervenant sur desdicotylédones jeunes. Dans tous les cas, les stratégies à double passage restent les plus sécurisantes et les plus régulières pour une bonne maîtrise de la flore adventice, en évitant d’intervenir au-delà du stade pointant.
Des acteurs bien présents Contre les graminées, l’intérêt des solutions racinaires a été démontré ces dernières années. Utilisées en prélevée ou en post-levée précoce, elles amènent une efficacité durable et une grande souplesse d’action. BASF propose ainsi plusieurs solutions (Isard®, Spectrum®, Dakota®-P, Wing®-P, Beloga®-P, Atic® Aqua, Prowl® 400). En foliaire là aussi de nombreuses options sont disponibles pour les maïsiculteurs. Ces solutions permettent d’intervenir en post-levée avec la souplesse de pouvoir intervenir en fonction de la levée des mauvaises herbes. BASF a deux solutions dans ce créneau : Duo System® et Conquérant®. Chez Bayer, la gamme se décline autour de 5 solutions : en prélevée, Merlin®flexx (dicot) et Adengo® (dicot+graminées) ; en post-levée, Laudis®WG (dicot) et Auxo® (dicots et dicots difficiles) et la nouveauté Monsoon®active, lancée en février 2015 : cette combinaison de trois molécules est efficace à la fois sur graminées et dicotylédones avec un plus sur dicotylédones difficiles. Chez Belchim, on mise tout sur les traitements post-levée avec une gamme qui se décline autour du nicolsulfuron (systémique foliaire) efficace en post-levée contre adventices graminées, dicotylédones et vivaces. Cette gamme compte plusieurs références répartie en formulation simple ou adjuvantée avec deux adjuvants spécifiques (Premium 6OD) qui améliorent l’étalement du produit et la vitesse d’absorption : Elite® 4SC et Elite® Premium, Fornet® 4SC et Fornet® Premium, NisShin® et Nisshin® Premium, Pampa® et Pampa® Premium, Samson® 4SC et Samson® Premium. Cambio® et Biathlon® composent la gamme de De Sangosse. Cambio® (association de bentazone
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et dicamba) est un anti-dicots annuelles et vivaces de post-levée du maïs qui s’adapte dans toutes les stratégies herbicides « pré+post » ou « tout en post ». Quant à Biathlon®, sa nouvelle molécule à large spectre (le tritosulfuron) lui permet d’intégrer toutes les stratégies herbicides de pré puis post-levée ou de tout en post-levée, en association avec des anti-dicots spécifiques et/ou des anti-graminées spécifiques, ou encore avec des produits polyvalents anti-graminées/anti-dicots. Chez le nouveau géant de l’agrochimie, DowDuPont, dont la fusion a été officialisée le 11 décembre dernier (d’ici deux ans au plus tard, ce géant prévoit de se séparer en trois entités distinctes, cotées en bourse séparément : une pour l’agriculture, une pour la chimie de spécialité et une pour la science des matériaux.), les deux catalogues réunis proposeraient a priori une gamme composée de trois références : Starane GoldTM (Dow), un antidicotylédone post-levée associant du florasulame et du fluroxypyr, efficace contre vivaces (liseron & rumex) et annuelles (rénouées & datura). Et chez DuPont, deux références : Accent® 75WG en pré et post-levée, un herbicide en granulés efficace contre un grand nombre de graminées annuelles et vivaces, et de dicotylédones (matière active : nicosulfuron) ; et Bridge®, une solution herbicide précoce (matière active : rimsulfuron), utilisable en prélevée et post-levée précoce contre dicotylédones, mais aussi contre graminées, en association avec un produit de la famille des chloroacétamides.
Chez Nufarm, on mise sur deux matières actives. D’une part, les sels de diméthylamine 2,4D présent dans deux spécialités commerciales : Chardol 600 (herbicide systémique contre dicots annuelles et vivaces) et U46® D, particulièrement adapté pour le contrôle de certaines mauvaises herbes vivaces, comme le chardon ou le liseron. D’autre part, le bromoxynil que l’on retrouve dans les spécialités commerciales suivantes : Emblem® et Emblem® flo, sa formulation concentrée, Imperial® et Rajah® en post-levée contre les dicotylédones. Chez Philagro, une nouveauté est annoncée pour le printemps 2016 : Dolbi®, association de deux matières actives (nicosulfuron et dicamba), en post-levée contre graminées, dicotylédones et liserons. Chez Phytoreup, on mise sur la nouveauté Ducanti OD (post-levée), nouvelle association de sulcotrione et le nicosulfuron dans un produit prêt à l’emploi. Ducanti présente un large spectre d’action (graminées + dicots). Syngenta mise pour sa part su sa solution à base de mésotrione, un systémique à action anti-germinatif, racinaire et foliaire, présente dans tous les herbicides de la gamme : Camix® et Calliprime® C Xtra en pré et post-levée précoce, Elumis® et Callisto® en postlevée à large spectre. Enfin, il faudra suivre l’évolution des AMM de Beloukha® (lire WikiAgri n°18), le produit de biocontrôle de Jade ciblant les adventices.
Céline Zambujo
A.J.
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MOTEUR
Les petits poucets du semis de précision Le catalogue de marques et de semoirs de précision s’est significativement étoffé ces dernières années. Si les espèces monograine sont choyées, qu’en est-il de la précision de semis en céréales à paille ?
En l’espace de quelques années, les trois nouveaux entrants ont multiplié les versions pour satisfaire une clientèle toujours plus large. Entretemps, Grimme, Pöttinger ou encore Lemken (lire l’encadré) y ont ajouté leur grain.
Triple offensive de John Deere
John Deere
John Deere a frappé trois grands coup en 2015 dans le domaine du semis monograie, à commencer par la présentation de ExactEmerge à distribution électrique.
C
e n’est pas des cailloux mais bel et bien des graines que les nouveaux acteurs du semis de précision entendent essaimer dans les champs de maïs, tournesol et autres betteraves. Peut-être réservent-ils les cailloux aux organes de mise en terre, pour ne pas dire aux sabots, des acteurs en place ? Une chose est sûre, il ont jeté une pierre dans le jardin du semis monograine, dominé alors par Monosem et dans une moindre mesure par Kuhn et Maschio. Jugez plutôt. En 2010, Amazone, qui disposait depuis 1985 d’une offre de semoirs
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monograine avec l’ED, revisite le concept et présente l’EDX, dont la trémie centralisée et la vitesse de semis démultiplie la productivité de chantier. En 2011, Väderstad et Horsch, novices en la matière, présentent respectivement le Tempo, un monograine rapide, doté d’une distribution électrique à galets réglables et d’un transport des graines sous pression et le Maestro, un monograine tout aussi rapide, doté d’un distribution électrique et d’un contrôle de semis assuré par un capteur logé dans le canal de distribution, capable de comptabiliser les grains mais aussi l’espacement entre deux grains.
Sur la seule année 2015, John Deere s’est aussi particulièrement distingué dans le domaine. Au Sima 2015, le constructeur remportait une médaille d’or pour le 1775 NT ExactEmerge. Quand ses concurrents misent sur une surpression (Horsch, Väderstad) ou une assistance pneumatique (Amazone) pour déjouer les lois de la gravité s’appliquant aux semoirs monograine conventionnels, John Deere substitue au tube de descente courroie-brosse BrushBelt. Les graines sont transférées de manière active du système de dosage vers la courroie, qui les transporte à vitesse verticale contrôlée jusqu’au fond du sillon. Les graines sont alors déposées avec une vitesse horizontale nulle, évitant rebond et roulement, et garantissant ainsi la régularité de répartition sur le rang. Le système n’a quasiment pas de limite en débit. A titre indicatif, l’ExactEmerge peut positionner 160 graines de soja par seconde, l’équivalent d’un semis de 460 000 graines/ha réalisé à la vitesse de 16 km/h. Une ballade de santé pour le maïs et ses 35 graines par seconde pour une peuplement de 100 000 graines/ha, toujours à 16 km/h. L’accompagnement de la graine lors de la descente permet de conserver la précision lors des travaux en pente ou en dévers.
Côté régularité en profondeur, le constructeur mise sur un accumulateur pneumatique réglable pour garantir la pression au sol à vitesse élevée. Les vitesses de l’élément doseur et de la courroie-brosse de chaque élément semeur sont asservies à la vitesse d’avancement. L’entraînement électrique autorise la coupure individuelle manuelle ou automatique de ceux-ci (bordures, pointes). Il permet en outre de faire varier la densité de semis manuellement ou automatiquement (selon une carte pré-établie) et ouvre la voie à la modulation rang par rang. Le compteur de graines monté sur chaque élément semeur assure la visualisation en cabine, via la console SeedStar, des paramètres essentiels tels que l’espacement sur le rang (rang par rang), la densité de semis instantanée, la surface ensemencée. Le tube de descente BrushBelt de John Deere se rapproche du SpeedTube de Precision Planting mais le premier propose un nombre infini de positions quand la seconde met en œuvre une courroie à palettes, au nombre fini de logettes. Et puis de toute façon, John Deere a racheté à Monsanto Precision Planting en novembre 2015, comme il a racheté Monosem dans le même temps !
Et les céréales ? Si le maïs, espèce de prédilection du monograine, est la céréale les plus cultivée au monde, elle est talonnée par le blé et dans une moindre mesure par le riz. Or en matière de céréales à paille, le
Horsch
Horsch greffe des doseurs graines à graine sur son semoir Pronto, un système débrayable au profit de la distribution centralisée le cas échéant.
semis de précision ne suscite pas autant d’attention, loin s’en faut. Il faut dire que l’on est en présence d’espèces autogames dont la valorisation semencière est relative. Mais la précision pourrait finir par s’inviter dans le semis, pour les bénéfices dont elle est potentiellement porteuse, peut-être moins du point de vue de l’économie de semences que des gains de rendement escomptés, de l’ordre de 15 %. Comment ? Dans ses essais, Horsch fait les constat suivants : si plusieurs graines sont déposées au même endroit, les plantules se trouvent en concurrence au niveau du développement racinaire, de la captation de la lumière et de l’eau. Ces plantes tallent peu et produisent une tige peu épaisse, donc moins robuste. En blé, le semis monograine permet de réguler le nombre de talles par pied,
autour de 15 à 20 talles. On a alors un développement végétatif non luxuriant, aéré et homogène tout au long du cycle, régulant le poids de chaque grain, moins sensible au stress climatique et générant au final plus de quintaux plus faciles à battre. Le constructeur ne nie pas les limites. Il vaut mieux une bonne préparation de sol plutôt qu’une implantation dans des conditions épouvantables, où la densité va faire office de variable d’ajustement vers le haut, plaçant le monograine hors jeu. La fourchette de 150 à 180 grains/m2 est le terrain de jeu du monograine en céréales, à condition aussi d’être en présence de semences de qualité. Et dans ces conditions limitantes ? Il suffit de débrayer les doseurs individuels. Les petits poussaient… Raphaël Lecocq
Semis en quinconce pour l’Azurit de Lemken Le constructeur fait son entrée dans le semis de précision avec un appareil doué pour semer en quinconce et jusqu’à 15 km/h. Un choix osé. Les premiers appareils de pré-série entreront en action en 2016. La répartition des graines en quinconce sur deux rangs ménage un espace de 12,5 cm, compatible avec les cueilleurs. Selon Lemken, chaque plante dispose ainsi de plus de 70 % d’espace supplémentaire, de sorte qu’elle est mieux alimentée en eau et en nutriments.
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Lemken fait ses premiers pas dans le monograine avec l’Azurit. Signe particulier : semis en quinconce.
Les éléments semeurs de l’Azurit visent à réduire l’espace entre rangs à 37,5 cm. Chaque élément semeur est alimenté en graines depuis la trémie centrale par un dispositif « seed on demand ». Deux disques perforés synchronisés sélectionnent alternativement les graines pour l’un puis l’autre des doubles disques d’enterrage d’un élément DeltaRow. Grâce à l’utilisation
Lemken
de deux disques percés synchronisés, chaque disque ne doit séparer qu’une graine sur deux, ce qui permet de limiter le diamètre et donc la vitesse périphérique des disques. Le délai de transition du processus de séparation est suffisamment long pour améliorer la qualité du semis en termes de distribution longitudinale et de disposition en quinconce.
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MOTEUR
Tracteurs, deux géants verts L’année 2016 verra deux nouveaux monstres de puissance arpenter la campagne : le conventionnel Fendt 1000 Vario et l’articulé à quatre chenilles John Deere 9RX. Les deux tracteurs repoussent les limites de leur catégorie, sans forcément se faire concurrence. 60 pouces, il est destiné aux marchés Row-Crop, comme l’Amérique du Nord ou l’Australie où le tracteur sera en prime susceptible d’aligner des roues triples.
Moteur et motricité Outre la capacité d’être lesté à hauteur de 50 % de son poids de base, le 1000 Vario embarque deux innovations forçant la valorisation de la traction.
Fendt
Le Fendt 1050 Vario développe 500 chevaux pour un poids de seulement 14 tonnes.
L
e plus gros tracteur conventionnel du monde : c’est ainsi que Fendt présente le 1050 Vario, le plus haut représentant de la famille. Chez Fendt, la haute puissance était jusqu’à présent représentée par la série 900 Vario et ses six modèles développant entre 240 ch et 390 ch. Désormais, il faut compter avec les 1000 Vario et ses quatre modèles de 380 ch (1038 Vario), 420 ch (1042 Vario), 460 ch (1046 Vario) et 500 ch (1050 Vario). La nouvelle gamme est animée par un moteur Man 6 cylindres de 12,4 litres.
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Selon le constructeur, cette débauche de puissance ne va pas à l’encontre de la polyvalence, bien au contraire. Avec une hauteur maximale de 3,60 m, un poids à vide de 14 tonnes, des pneus arrière de 2,35 mètres de diamètre et des pneus avant que l’on trouve à l’arrière du 716 Vario, le 1000 Vario est relativement plus léger, plus maniable et donc plus polyvalent que les autres machines concurrentes de 500 ch, au champ, sur route (jusqu’à 60 km/h selon la législation en vigueur) et sur tous les continents. Avec une largeur de voie de
La première concerne le concept de transmission VarioDrive visant à dissocier les forces motrices entre le pont avant et le pont arrière du véhicule. Jusqu’à présent, et ce chez tous les constructeurs, seul l’essieu arrière du tracteur bénéficiait de l’intégralité de la puissance du moteur, celle-ci ne pouvait être transmise à l’essieu avant que lorsque ce dernier était engagé par l’utilisateur. La transmission VarioDrive offre une répartition optimale de la puissance entre l’essieu avant et l’essieu arrière en fonction de la sollicitation. Dans les faits, un moteur hydraulique dédié à l’essieu avant va rendre possible cette répartition dynamique de la puissance. Ce nouveau concept de transmission automatise par ailleurs le passage des quatre roues motrices lorsque ces dernières sont nécessaires. L’autre innovation en matière de traction réside dans le système de télégonflage VarioGrip Pro. Son principe repose sur l’intégration dans la jante du pneumatique d’une réserve d’air tarée à
R.L.
Avec l’articulé 4 chenilles, John Deere dispose de tous les concepts de traction.
6 bar permettant relâcher le volume d’air nécessaire de manière instantanée sans avoir la nécessité de recourir à une alimentation en continu du compresseur. Il faut 30 secondes pour augmenter la pression d’un bar. Le dispositif met fin au compromis adopté en matière de pression entre les usages au champ et sur route, optimisant la motricité en ayant davantage de crampons en contact avec le sol. Le tout fait du 1000 Vario un tracteur aussi polyvalent que les séries inférieures.
Puissance toute ! Avec son 9RX articulé à 4 chenilles, John Deere ne s’est pas encombré de préoccupations liées au poids : il affiche 27 tonnes sur la balance. La gamme compte quatre modèles d’une puissance maximale comprise entre 517 et 670 chevaux, répartis en deux modèles à moteur John Deere 6 cylindres de 13,5 litres et deux modèles à moteur Cummins 6 cylindres de 15 l. Les chenilles sont proposées en deux largeurs (30 et 36 pouces) et deux niveaux de résistance, les 30 pouces étant conformes au gabarit routier (homologation Maga à 25 km/h). La question de la valorisation de la traction était en revanche prégnante. Le concept articulé à
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quatre chenilles offre du répondant dans les courbes, dans les dévers et dans les fourrières, comparativement aux tracteurs à deux chenilles avec en prime la possibilité de bloquer les différentiels. John Deere escompte au passage repousser les limites d’intervention en conditions humides. Le constructeur a conforté ces premiers avantages à plusieurs endroits, à commencer par les caractéristiques de ces fameux trains de chenilles, non sans se comparer à l’unique référence du marché, à savoir le Quadtrac de Case IH. Pour passer davantage de puissance, John Deere a notamment joué sur la longueur et sur la hauteur des trains de chenilles, sur le diamètre de la roue d’entraînement et son angle d’enveloppement qui assurent l’engrenage de huit plots, sur l’alignement en hauteur des deux galets intermédiaires avec deux galets tendeurs, sur le pivotement de 10° à l’avant et à l’arrière pour garantir le suivi du sol, sur l’empattement ou encore sur la pièces maîtresse d’articulation, douée d’un pivotement de 15 % pour préserver le contact avec le sol dans les zones vallonnées. Le confort n’a pas été oublié avec l’absence de galet dans l’axe de
la roue d’entraînement mais plus encore avec une cabine suspendue par quatre amortisseurs ainsi qu’une direction électrique.
Le prix de la traction et de l’attraction Avec le 9RX, John Deere dispose désormais d’une palette complète de concepts de traction : conventionnel à quatre roues, articulé à quatre roues, chenillard à deux chenilles et articulé à quatre chenilles. Autant dire que le constructeur n’entend pas voir cannibaliser une de ses familles de tracteurs par une autre. Autrement dit, ces différents concepts de traction répondent à des configurations différentes liées aux parcellaires en présence, aux types de sol, et aux systèmes culturaux. Sans oublier les contingences financières. Les tracteurs à chenilles coûtent relativement plus cher à l’achat et l’usage. Sensibles à l’échauffement, les chenilles n’aiment pas du tout le bitume et qui s’est frotté au 40 km/h a tôt de revenir rentrer dans le rang. A l’investissement, entre un 9RT et un 9RX, il faut compter grosso modo 15 % d’écart. C’est moins que le surcroît de capacité de traction, qui dépasse les 20 %. Raphaël Lecocq
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REFLEXIONS
L’agriculture mondiale dans 10 ans La FAO et l’OCDE ont publié leur dernier rapport, qui porte sur la période 2015-2024, en juillet 2015. Que doit-on en retenir ?
L
es exercices prospectifs relatifs à l’agriculture mondiale sont très fréquents. Ils tendent généralement à s’accorder sur un certain nombre de tendances globales comme une demande alimentaire croissante dans un contexte de transition nutritionnelle des populations des pays en développement (PED), une raréfaction croissante des terres agricoles, de l’eau, des captures de poissons sauvages ou de la biodiversité, un ralentissement prévisible de la croissance des rendements, un accroissement prévisible et une plus forte volatilité des prix alimentaires, l’impact des technologies ou encore l’effet du changement climatique sur la production. A long terme, c’est-à-dire à l’horizon 2050, les incertitudes sont néanmoins très grandes, sans doute trop importantes, pour que l’on puisse s’y fier. En témoignent les résultats souvent extrêmement divergents des projections, par exemple de l’évolution de la demande de viandes. Il semble par conséquent plus raisonnable de
« C’est en Afrique et en Amérique latine que la production devrait progresser le plus rapidement ». Ici un troupeau de nélores, au Brésil.
A.J.
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se projeter à un horizon plus court, de l’ordre d’une dizaine d’années, comme le font chaque année la FAO et l’OCDE ou encore le ministère américain de l’Agriculture (USDA).
Une demande alimentaire toujours soutenue La FAO et l’OCDE estiment tout d’abord que l’environnement devrait être moins porteur que durant la décennie précédente, compte tenu du ralentissement de la croissance démographique et économique mondiale. Elles prévoient ainsi la poursuite d’une reprise modérée de l’économie mondiale avec des situations contrastées selon les économies. D’après les projections des deux organisations, la consommation de produits agricoles devrait continuer à être forte durant la période 2015-2024, mais à un rythme moins soutenu que durant la décennie précédente. Les facteurs de cette
croissance seraient la croissance démographique, la progression du revenu par habitant et l’urbanisation croissante dans les PED qui favorisent une transition nutritionnelle se traduisant en particulier par une plus forte consommation de produits d’origine animale, de produits gras et de sucre. Cette transition devrait ainsi favoriser une forte hausse de la demande de viande (+1,4 % de croissance annuelle), de sucre (+1,03 %) et d’huiles végétales (+0,84 %). Au total, la consommation de céréales devrait augmenter de près de 390 millions de tonnes d’ici 2024 et celle de viandes de 51 millions de tonnes. Le moteur de cette croissance devrait être d’abord l’Asie, puis l’Afrique dans une moindre mesure. En revanche, on devrait observer une stagnation de la consommation dans les pays développés. La FAO et l’OCDE prévoient en conséquence une progression rapide de la production agricole mondiale, mais là aussi à un rythme moins soutenu que durant la décennie précédente : 1,5 % de croissance annuelle moyenne sur la période 2015-2024, contre 2,2 % sur la période 2005-2014. C’est en Afrique et en Amérique latine que la production devrait progresser le plus rapidement. La production supplémentaire de céréales s’établirait à 320 millions de tonnes. Cette croissance concernerait en premier lieu la production de céréales secondaires et de tourteaux protéiques en vue de nourrir le bétail, compte de la croissance de la demande de viande et de produits laitiers. La croissance de la production de viande concernerait d’abord celle de volailles. Eddy Fougier
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