WIKIAGRI JUIN 2016 | N°21
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Édito Savoir gérer les risques dans son exploitation, ce n’est pas anodin !
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ETA MAG, c’est le nouveau magazine qui parle de votre métier : créez, gérez et développez votre entreprise.
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uand on parle « gestion des risques » en agriculture, le premier thème qui vient en tête est la sécurité des personnes. C’est un thème important, bien sûr, et qui mérite une prévention aussi rassurante que possible. Pour autant, les risques, dans le plus grand nombre des cas, concernent davantage les finances de l’exploitation, et ce sont donc elles qu’il faut savoir préserver par une bonne gestion des risques.
Partager les bonnes pratiques, faire grandir votre entreprise, trouver de nouveaux clients… Essayez un nouveau magazine proche de vous !
Les risques sur la ferme, à la récolte, pour le revenu, sont finalement très nombreux, mais ils peuvent être identifiés, et donc appréhendés à partir d’une réflexion qui concerne, in fine, le fonctionnement de l’ensemble de l’exploitation. Ce numéro de WikiAgri entièrement dédié à ce sujet donne des pistes pour que vous puissiez plus facilement ouvrir votre propre réflexion, pour votre ferme. Derrière, les enjeux sont monumentaux, il peut s’agir ni plus ni moins de la préservation du fruit de votre travail. La somme d’économies de bouts de chandelles et/ou de précautions vous conduira en définitive à sauver une situation compromise, le jour où elle se présentera... Et vous savez très bien que soit la météo, soit les cours des matières premières, soit un imprévu finiront par vous mener à ce jour. Alors, soyez préparés ! Bonne lecture.
Bulletin d’abonnement « offre de lancement » à retourner à : DATA PRO SOLUTIONS – Service abonnements 20, rue Joliot Curie 38500 VOIRON 04 76 93 58 91 - contact@travaux-agri.fr www.travaux-agri.fr Offre valable en France métropolitaine jusqu’au 30 juin 2016. En application de l’article L27 de 6/01/1978 les informations demandées sont nécessaires à l’expédition de votre abonnement et aux services qui y sont associés. Vous pouvez accéder aux informations vous concernant et procéder aux modifications nécessaires auprès du service diffusion de Wiki Agri.
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Un Magazine du groupe Data Pro Solutions, au service des agri-décideurs - www.travaux-agri.fr
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Directeur de publication Yannick Pages
SOMMAIRE WIKIAGRI N°21 / JUIN 2016
Rédacteur en chef Antoine Jeandey Rédaction Eddy Fougier Frédéric Hénin Raphaël Lecocq Céline Zambujo redaction@wikiagri.fr
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EDITO P.5
THÉMA
Dessinateur Michel Cambon Photographe Jean-Marie Leclère
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CAMBON LUI SEMBLE
Publicité Tél. 06 89 90 72 75 | pub@wikiagri.fr
P.8 - Le dessin de Michel Cambon
Responsable commerciale Anne Messines Tél. 06 08 84 48 02 Mail : anne.messines@wikiagri.fr
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Consultant Média Bernard Le Blond - Vision bleue Tél. 06 83 92 08 61
P.14 à 18 - Théma. Gestion des risques, gouverner c’est prévoir.
Conception graphique et maquette Notre Studio www.notrestudio.fr
P.20 à 22 - Reportage chez David Forge (Indre-et-Loire) : les risques sur une exploitation céréalière
THÉMA
P.9 à 12 - Grand témoin, Jean Cordier, spécialiste gestion des risques en particulier liés à la volatilité des prix
P.24-25 - Les risques « normaux » (personnes, fermes, productions)
Conseil éditorial Sylvie Grasser - Hiceo Tél. 06 32 75 11 94 www.hiceo.fr
P.26-27 - Les risques commerciaux (récoltes, revenus)
ISSN ISSN 2258-0964 Dépôt légal A parution
P.28-29 - Les risques majeurs (crise, catastrophe) P.30 - La météo à la parcelle, météo anti risque
Service abonnements 20, rue Joliot Curie 38500 Voiron Tél : 04 76 93 58 91
P.32 - Minimiser les risques par l’échange ou la location de matériels
Abonnement annuel 35€ TTC (4 numéros) Prix au numéro : 10€ Site internet www.wikiagri.fr
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Impression SAS Imprimerie Leonce Deprez Zone industrielle de Ruitz 62620 Ruitz Tirage 41 000 exemplaires (dont 37 000 expédiés)
MOTEUR
P.34-35 - Fourrages, le matériel de récolte s’adapte à la demande u
AGRONOMIE
P.36-37 - Fertilisation du colza, l’intérêt de la fertilisation P.38-39 - De Sangosse cible ses conseils et solutions
Les magazines
MAG
P.40-41 - Les cultures remettent le couvert u
REFLEXIONS
P.42 - Fermes urbaines, de l’utopie à la réalité sont édités par la société DATA PRO SOLUTIONS, au service des agri-décideurs
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LE DESSIN
Cambon lui semble
GRAND TÉMOIN JEAN CORDIER D.R
PROFESSEUR AGROCAMPUS OUEST, UMR SMART INRA
Le premier niveau de gestion du risque de l’agriculteur est l’agriculteur lui-même Notre grand témoin, Jean Cordier, est professeur à l’Agrocampus Ouest, UMR Smart Inra. Il a, entre autres, travaillé de 2007 à 2009 avec Groupama sur la capacité à intégrer le risque de marché dans les contrats d’assurance agricole. Il est régulièrement appelé comme expert auprès d’institutions nationales, d’organisations professionnelles, ou d’entreprises. Il intervient dans ce numéro en qualité de spécialiste de la gestion des risques, en particulier liés à la volatilité des prix. A ce jour, spécule-t-on sur la faiblesse des prix agricoles ? Sur ceux du lait en particulier ? J.C. : Un des facteurs de la baisse des prix du lait est la fin des quotas. La déréglementation de la production laitière s’est traduite par une augmentation de la production de lait depuis plusieurs mois. Mais ces derniers mois, la demande
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s’est ralentie. La cause de la volatilité des prix est donc essentiellement exogène (inadaptation de l’offre à la demande). Elle ne revêt pas de dimension spéculative. Après une période de prix favorable, les prix actuels ne permettent pas de rentabiliser les capitaux investis par les producteurs et de rémunérer ces derniers décemment.
La volatilité des prix est-elle toujours liée aux aléas climatiques ? J.C. : Le paysan gère l’aléa climatique depuis l’avènement de l’agriculture. Choisir et sélectionner les variétés de plantes qu’il cultive, mais aussi les techniques culturales appropriées, en sont d’autres. Mais
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GRAND TÉMOIN « Le premier niveau de gestion du risque de l’agriculteur est l’agriculteur lui-même, à la tête de son entreprise, en prenant les décisions les plus appropriées. La prévention des risques climatiques et sanitaires est un préalable. L’agriculteur peut aussi maintenir un niveau de diversification dans son activité agricole. Enfin, il peut aussi épargner une partie de son revenu les bonnes années pour faire face aux coups durs. » L’inflation du nombre d’outils de gestion lors de la dérégulation des marchés traduit-elle un aveu d’impuissance pour combattre la volatilité des prix ? J.C. : Le premier niveau de gestion du risque de l’agriculteur est l’agriculteur lui-même, à la tête de son entreprise, en prenant les décisions les plus appropriées. La prévention des risques climatiques
Les aides Pac protègent-elles contre la volatilité des prix ? J.C. : Les aides directes du premier pilier de la Pac apportent un « revenu » fixe qui augmente le revenu aléatoire de l’exploitation. Elles sont souvent considérées comme des instruments de gestion du risque, ce qui est inexact. Elles ne modifient pas l’exposition au risque de l’exploitation mais réduisent (simplement si on peut dire) le rapport de la volatilité sur le revenu moyen en augmentant ce dernier. La réduction probable de ces aides directes de la Pac devrait ainsi avoir un effet sur le niveau moyen du revenu mais aussi sur la perception du risque par les agriculteurs, donc sur une demande
(accrue) d’instruments de gestion. Des marchés agricoles ouverts à la concurrence tendent aussi à limiter la volatilité des prix liée aux chocs climatiques par effet de lissage de l’offre au niveau international. Comment cela ? J.C. : L’ouverture des marchés « égalise » les niveaux de prix régionaux vers les niveaux de prix des régions les plus productives mais tend aussi à réduire le niveau de volatilité des prix internationaux formés sur les grands marchés de référence, les marchés à terme. Et plus les opérateurs ont
accès à l’information (via internet ou les journaux par exemple), plus le phénomène est efficace. Les contrats à termes sont aussi des dispositifs efficaces pour atténuer la volatilité des prix car ils permettent in fine un lissage de prix. Mais dans certaines limites ! Nous reviendrons sur le sujet. Et la protection assurancielle, en plein essor ? J.C. : L’assurance agricole est une autre réponse pour mutualiser la couverture des risques de production. Plus le nombre d’agriculteurs détenteurs d’un type
L’assurance sur mesure Dans les prochains mois, la couverture assurancielle pourrait s’articuler autour de contrats socles pour couvrir la part du fonds de roulement de l’exploitation perdue en cas de sinistre, prenant par exemple en charge les coûts de production des champs de céréales inondés ou de fourrages détruits.
de contrat est important, plus le dispositif est efficace. Mais les primes d’assurance peuvent apparaître excessives malgré certaines subventions publiques autorisées par la politique agricole commune européenne (Pac). L’assurance des coûts de production, qui assure à la carte les risques à couvrir, offre plus de souplesse avec des primes de contrats moins onéreuses que l’assurance récolte qui porte sur la valeur de marché de la récolte.
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depuis quelques dizaines d’années, la spécialisation de l’agriculture, donc le développement de la monoproduction, et l’augmentation de la taille des exploitations ont aggravé l’impact des chocs climatiques. Ce qui se traduit, lors de la succession de bonnes et de mauvaises années de production, par une volatilité des prix plus forte.
et sanitaires est un préalable. L’agriculteur peut aussi maintenir un niveau de diversification dans son activité agricole. Enfin, il peut aussi épargner une partie de son revenu les bonnes années pour faire face aux coups durs. La Dotation pour Aléas (DPA) est une incitation fiscale dans cette démarche.
Ces contrats seraient évidemment adaptés à chaque secteur d’activité et des options pourraient s’ajouter pour couvrir davantage de risques. Ils compléteront aussi les contrats d’assurance souscrits pour les matériels et les bâtiments d’exploitation par exemple.
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GRAND TÉMOIN « Les contrats à termes sont aussi des dispositifs efficaces pour atténuer la volatilité des prix car ils permettent in fine un lissage de prix. Mais dans certaines limites. »
Les produits assuranciels ne contribuent-ils pas cependant à attiser à la volatilité des prix ? J.C. : Les produits d’assurance proposés sur le marché renforcent simplement l’auto-assurance de l’agriculteur avec des choix de niveau de capital et de franchises assez larges. Les indemnisations dues lors de chocs climatiques sont calculées par rapport à des prix fixés initialement dans le contrat. Aussi, les produits assurantiels n’ont aucune incidence sur les variations de cours des produits agricoles. Elles produisent un effet direct sur la stabilisation du revenu des agriculteurs lors d’événements climatiques défavorables. Afin que le marché assurantiel fonctionne correctement, les sociétés d’assurance doivent pouvoir dépasser deux problèmes classiques du métier, l’aléa moral et l’antisélection des assurés. Pouvez-vous préciser ? J.C. : L’aléa moral consiste à tirer parti au préalable d’une asymétrie d’information entre l’assuré et l’assureur. L’agriculteur connaît ses bonnes et ses moins bonnes parcelles. Il pourrait ainsi assurer au rendement moyen et n’assurer que ses moins bonnes parcelles. Ou bien encore, il pourrait limiter son apport d’engrais sur les parcelles assurées afin de bénéficier d’indemnisations sur des pertes de récolte. L’antisélection soulève le problème de sur-assurance et de sousassurance des risques à couvrir. Elle déstabilise l’assureur qui pratique une prime moyenne pour tous, payée aussi bien par les agriculteurs à risque élevé que par ceux à moindre risque. Quid de la couverture des accidents climatiques ? J.C. : L’assurabilité des risques revêt d’abord une dimension culturelle. Ce qui constitue un risque dans un pays ne l’est pas dans d’autres. La couverture assurancielle individuelle classique porte sur des risques
survenus localement (grêle). Sinon, l’assurabilité des risques systémiques (la sécheresse par exemple) ne peut être envisagée sans réassurance auprès de sociétés spécialisées ou de l’État pour compenser les pertes. Quant à la catastrophe naturelle, l’indemnisation des agriculteurs victimes relève de la solidarité nationale dans les pays développés, ou de la solidarité internationale dans les pays en développement. Les décisions protectionnistes de l’Ukraine et de la Russie sont donc des non sens ? J.C. : Elles correspondent à des intérêts nationaux. Ces mesures de blocage ne peuvent conduire qu’à créer de la volatilité car le lissage du marché international est bloqué. Pour limiter les situations de crise, il faudrait éviter de prendre des décisions brutales. Des discussions à l’OMC sont en cours sur ce sujet. Qui échappe à la spéculation dans ces moments de crise ? J.C. : Les opérateurs physiques sont dans l’ensemble raisonnables. Leurs positions visent à sécuriser leurs activités. Et si des états d’humeur sont constatés, les choses rentrent ensuite dans l’ordre. Les marchés agricoles font maintenant partie de la sphère financière. Les produits agricoles servent de support à la diversification des portefeuilles financiers. Ainsi, les chocs de marché dans un secteur, l’énergie par exemple, induisent maintenant de la volatilité sur les prix agricoles. Cette volatilité est souvent jugée comme « excessive » sans que ce terme ne soit vraiment défini et caractérisé. Mais au niveau des agriculteurs, la volatilité, qu’elle soit considérée comme normale ou excessive, ne se répercute pas totalement. Car l’échelle temps sur les marchés physiques n’est pas la même que sur les marchés financiers dérivés. On raisonne à l’échelle de la campagne. Les variations de revenus agricoles sont bien moindres que les écarts de prix constatés sur les marchés. Aucun paysan ne vend sa production lorsque les prix sont au plus haut ou au plus bas.
Les produits financiers ne jouent-ils pas en fait les trouble-fêtes en s’inscrivant en porte à faux avec la réalité du marché ? J.C. : Les produits dérivés ont pris de l’importance sur les marchés physiques en raison des moyens de communication aujourd’ hui disponibles pour les diffuser. Le climat est historiquement source de volatilité mais c’est l’interprétation qui en est faite et les outils disponibles qui peuvent la rendre excessive. En revanche, la financiarisation décuple les quantités des produits côtés, aussi bien à la hausse qu’à la baisse. Et avec des produits composés d’indices de différentes matières premières, il n’est pas rare d’observer des prises de positions en porte à faux avec les fondamentaux des marchés ! Avec des prix qui augmentent alors qu’ils devraient baisser. De quels remèdes dispose-t-on pour lutter contre la volatilité endogène ? J.C. : Il n’existe pas de solution miracle. Au G20, en 2011, plusieurs propositions ont été faites pour tenter de lutter contre la volatilité endogène (liée aux opérateurs des marchés) mais une seule proposition a au final été retenue. Il s’agit de limiter les positions trop importantes en volumes par rapport à la réalité des quantités disponibles. Dans les faits, il n’y a rien eu de concret car on n’est pas sûr que ça marche. Il est souvent évoqué aussi l’utilité de stocks publics. « Acheter quand les prix sont bas, stocker et vendre quand les prix sont élevés » semble une idée de bon sens. Mais c’est une fausse bonne idée. Sur un plan pratique, il est difficile de décider quand acheter ou vendre car les prix peuvent continuer à descendre ou à monter. Quel fonctionnaire d’État peut le savoir ? Par ailleurs, les décisions de stockage public peuvent être facilement manipulées dans de nombreux pays, ce qui peut entraîner des gains spéculatifs importants pour des opérateurs privés et de lourdes pertes pour le budget de l’État. Même si la Bible en parle à l’occasion d’une politique publique en Égypte, l’histoire montre combien l’intervention de l’État est plutôt contre-productive en matière de stockage public. Le caractère international des décisions de stockage développe encore plus les craintes et les risques d’incohérence de la décision publique Propos recueillis par Frédéric Hénin
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GESTION DES RISQUES
Gestion des risques, gouverner c’est prévoir
RisquesRisques normaux Risques normaux normaux PersonnesPersonnes Personnes Ferme Ferme Ferme Outils de production Outils deOutils production de production
RisquesRisques commerciaux Risques commerciaux commerciaux
RisquesRisques majeurs Risques majeurs majeurs
perd moins ou plus de 30 % de sa production. Les risques majeurs (catastrophe naturelle par exemple) restent bien sûr l’apanage de la solidarité nationale, et/ou européenne. Vous lirez donc, pages suivantes, nos articles qui suivent comme plan ces trois niveaux de risques. La volatilité des prix, un risque essentiel Notre grand témoin, Jean Cordier, insiste sur les contours de ce danger qui touche à la commercialisation, la volatilité des prix. Lisez son interview, il parle de spéculation, et moyens de lutte contre cette volatilité... Le sujet est trop complexe pour être résumé ici en quelques lignes. Prévention des risques : assurance ou trésorerie ? Comment se préserver au mieux des aléas ? La réponse n’est pas unilatérale. Le reportage chez David Forge, agriculteur de l’Indre-et-Loire qui a particulièrement étudié la question, montre qu’il n’y a pas de réponse idéale « tout assurance », car celle-ci a
un coût, qui représente parfois une charge supérieure au fait de savoir soi-même, par exemple réparer son matériel. David Forge donne son exemple : les personnes sont assurées au mieux, tout comme la récolte, et les matériels les plus coûteux. Pour les autres matériels, il sort sa boite à outils... Mais doit aussi se fournir en pièces de rechange. Ce qui signifie avoir de la trésorerie, donc avoir su en préserver, car elle ne vient pas du ciel. En d’autres termes, pour gérer au mieux ses risques, il faut savoir gérer au mieux toute son exploitation. Être suffisamment mature dans ses choix pour, bien sûr investir dans les années fastes, mais tout en gardant une poire pour la soif, car ce n’est pas obligatoirement une année où les cours seront bons que l’incident coûteux se produira. C’est un savant équilibre, à trouver par chacun selon sa propre exploitation, ses propres visions sur les années à suivre. Ce numéro de WikiAgri ne répond pas à votre place, mais doit vous aider à vous poser les vraies questions.
« Faire confiance aux honnêtes gens est le seul vrai risque des professions aventureuses. » Michel Audiard
Comment minimiser les risques ? Puisqu’il est question de finances, de coût, et de trésorerie, on en revient à des conseils de bonne gestion. Car, en définitive, et particulièrement en période de crise bien sûr, le risque est d’abord financier. Dès lors, comment le minimiser ? Il existe des outils pour cela, y compris des outils nouveaux, notamment ceux nés avec le phénomène de la plateformisation de l’agriculture. Nous vous en présentons deux.
Crise Crise Crise Catastrophe Catastrophe Catastrophe
Récoltes RécoltesRécoltes Revenus RevenusRevenus Volatilité des Volatilité coursVolatilité des cours des cours
Assurance Assurance privéeAssurance privée privée
Les différents niveaux d e la gestion des risques
Le rattachement au financier La couverture des risques renvoie quasi systématiquement à la gestion financière de la ferme. En dehors des cas d’accidents du travail (encore que, les compensations sont aussi financières...), il est question d’accidents sur la rentabilité, de volume des récoltes, de capacité à vendre à un prix correct... Bref les « risques » évoqués dans l’expression « gestion des risques » sont les risques qui touchent au nerf de la guerre. Pour trouver des réponses, il faut poser la question sous la forme « comment éviter de perdre de l’argent en cas de pépin, et sous quelle forme trouver des compensations en cas de perte ? ». C’est ce que ce numéro de WikiAgri dédié au sujet s’attache à faire.
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Quelles catégories donner aux risques à gérer pour un exploitant ? La tendance naturelle, lorsque l’on évoque la gestion des risques à un exploitant, est de parler en premier lieu de sécurité au travail. Pour autant, il ne s’agit là que d’un aspect, bien sûr loin d’être négligeable, mais pas le seul non plus. C’est sans doute le Parlement européen qui donne la meilleure réponse à la définition du risque pour un exploitant, ainsi que la manière de traiter de sujet, en déterminant différentes catégories qui aillent au-delà du sempiternel « avez-vous bien construit votre local à phytos ? » Ainsi, selon une étude parue tout récemment sur « l’état des lieux des outils de
gestion des risques pour la période 2014-2020 » pour la commission agriculture du Parlement européen évoque trois niveaux distincts (voir notre infographie ci-dessus) : risques normaux, risques commerciaux, et risques majeurs. Les financements des couvertures des risques En fait, l’étude en question sépare ces trois compartiments par rapport aux modes de financement. Les risques normaux (la ferme, l’outil de production...) peuvent a priori bénéficier d’assurances privées pour être couverts. Pour les risques commerciaux (perte de la récolte par exemple), l’étude évoque le champ d’action d’assurances privées ou d’aides selon que l’agriculteur
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GESTION DES RISQUES
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La volatilité des prix, un risque essentiel...
« Les assureurs ne veulent plus rien assurer sans avoir l’assurance que le risque qu’ils garantissent est devenu inexistant. » Philippe Bouvard La météo de précision, à la parcelle, une manière de prévenir la catastrophe Le premier concerne le degré de confiance que vous pouvez accorder aux prévisions météorologiques. Aujourd’hui, il existe la possibilité d’être réellement informé, en temps réel, sur des espaces extrêmement précis : vos parcelles. Agri Météo donne des renseignements fiables, n’hésitez pas à lire l’article dédié à cette nouvelle plateforme, vous y trouverez matière à améliorer votre productivité sur vos parcelles, et aussi à gagner en sécurité par rapport à vos cultures en étant prévenu des dangers météorologiques à bon escient.
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L’échange ou la location de matériels Ou comment éviter des investissements lourds alors que vous avez besoin du matériel, ou alors comment optimiser l’utilisation de vos acquisitions avec des travaux externes. Cette autre plateforme, Travaux Agri, donne ainsi la possibilité à chacun (agriculteur, ETA, Cuma, groupements divers...) de dire ce dont il a besoin, ou d’exposer la liste de ses matériels qui peuvent être loués. Ce qui a toujours existé avec la presse locale se conclut désormais sur internet, grâce à des outils imaginés spécifiquement pour améliorer ces échanges, directement entre utilisateurs, demandeurs, et possesseurs des matériels. Derrière, en payant moins de manière immédiate, ou en amortissant mieux selon les cas, c’est le risque financier dans son ensemble que vous diminuez.
Quelques éclairages de contexte Au fil des pages, vous lirez également quelques éclairages de contexte : comment donner plus d’envergure à l’assurance (une opinion que Patrick Ferrère, directeur délégué de Saf agr’iDées, avait diffusé sur wikiagri.fr), ou encore ce que préparent les parlementaires européens en matière d’outils pour suppléer à la dérégulation récente, à l’horizon de l’après 2020. Le risque qui ne devrait exister, celui du choix politique impromptu ! Ce risque-ci ne figure dans aucune étude sur le sujet, il est pourtant bien réel : les changements issus des choix politiques se concrétisent de plus en plus rapidement, sans laisser le temps, sinon de la réflexion
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GESTION DES RISQUES pour les décideurs (à chacun son opinion), du moins de l’adaptation aux nouvelles règles par les premiers intéressés, les agriculteurs. De fait, un phytosanitaire retiré du jour au lendemain (pour citer un exemple) entraîne un risque réel de perte de rendement, ou d’arrivée de maladies sur les plantes, ou d’installation de ravageurs jusqu’alors combattus. Là, aujourd’hui, l’agriculteur ne peut rien faire contre de telles décisions... Sinon exprimer son mécontentement et réclamer à ce que son point de vue soit, aussi, pris en compte... En résumé En résumé, l’agriculteur doit rester maître de ses choix, y compris en matière de gestion des risques, d’autant que, finalement, ceux-ci s’apparentent à la gestion de l’exploitation tout court. Il existe toutefois des contextes propres à connaître, des outils qui sont mis à disposition, une ouverture de l’esprit à avoir pour ce type de sujets afin de les traiter au mieux. Ce sont dans ces directions que WikiAgri vous emmène dans ce numéro. A.J
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Sur la route, la prudence est de mise, il faut savoir suivre les règles sécuritaires de base (vérifier que les gyrophares et clignotants fonctionnent, aider les véhicules qui suivent à vous dépasser sans risque...).
Des choix politiques flous mais applicables de suite sont aussi un risque pour l’exploitation agricole...
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GESTION DES RISQUES
Pour David Forge, l’assurance, c’est au cas par cas Depuis son exploitation céréalière familiale, à Saint-Senoch en Indre-et-Loire, David Forge évoque les risques agricoles. Et explique que, pour lui, l’assurance n’est pas systématique. Reportage. atypique parcours personnel (lire l’encadré), il devient tout indiqué pour donner le fruit de ses réflexions sur la gestion des risques, vue donc depuis son propre contexte. Les 170 hectares de l’exploitation tournent selon une rotation basique, colza-blé-orge, « parfois maïs-tournesol pour alléger la rotation dans certaines parcelles ». Ils sont distribués sur trois sites principaux, situés dans un rayon de 5 à 7 kilomètres. Toute la production est commercialisée en coopérative, COC (Centre Ouest Céréales). Enfin, tout le matériel a été acheté (une grande partie d’occasion).
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Les risques sur l’outil de production David Forge, volontaire !
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lus proche de Tours que de Châteauroux, l’exploitation de David Forge commence à devenir célèbre sur internet. Sur YouTube en effet, l’agriculteur met en ligne une vidéo tous les mardis pour décrire son activité, et montrer le bien-fondé des techniques utilisées, avec un rien de militantisme en opposition aux « anti » qui donnent dans l’agriscepticisme. La Chaine Agricole, le nom sur YouTube, voit ses vidéos reprises sur wikiagri.fr, selon un accord simple et sain : lui veut donner le maximum de diffusion à ses prises de vues, et à WikiAgri nous sommes heureux de mettre en valeur sa communication, comme nous le faisons aussi avec d’autres exploitants.
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Alors si vous suivez ses vidéos, vous avez peut-être déjà vu les champs de luzerne ou de blé, le Massey au rouge flamboyant, le pulvé Vicon bien jaune (et dont on a appris qu’il était le matériel le plus cher de l’exploitation lors d’une vidéo récente), ou la moissonneuse Case, toujours efficace. En revanche... Vous ne connaissez pas son visage ! En effet, David Forge reste discret sur lui-même, il privilégie son action. Mais cette fois nous allons chez lui en reportage, et pas de reportage sans portrait... Mais aujourd’hui, pour le magazine, nous allons au-delà d’une simple présentation. L’exploitation dont s’occupe David Forge montrant une certaine variété, de même que son
D’une manière générale, David Forge est quelqu’un de conscient dans ses attitudes, il prend donc garde à bien respecter les précautions d’usage. Une de ses vidéos montre comment il a fabriqué lui-même un mur d’enceinte autour d’une aire d’accueil pour une réserve de phytosanitaire. « Il y a une réglementation, dit-il sobrement, je l’ai suivie. » Pour tout ce qui est maniement de phytos justement, « gants, masques, cotes, il les faut, pour éviter le moindre contact avec les produits ». Ensuite, concernant le comportement au champ : « Pas question de sortir quand il y a du vent. Il faut éviter les dérives des produits sur soi, mais aussi vers les maisons. » Idem pour les semis qui génèrent des poussières : « Une soufflerie fixe les semis au sol ». Avant de prendre la route avec un engin agricole, il vérifie que son
Savoir tout faire, y compris être mécanicien, c’est la meilleure façon de préserver son matériel sans une facture assurantielle trop élevée.
gyrophare fonctionne bien, ainsi que ses clignotants. Mais derrière ces précautions, qui sont les premières choses qui lui viennent à l’esprit quand on évoque la gestion des risques, il faut vite penser, aussi, à la valeur des choses, à l’argent. « J’estime que les assurances ne sont pas efficaces quand on doit faire de grosses réparations sur les engins. Elles sont très chères, ne couvrent pas tout... Mais si on n’assure pas, cela signifie qu’il faut avoir de la trésorerie, la capacité de sortir de l’argent quand on a un pépin, et aussi la capacité de réparer soi-même... » David Forge le montre d’ailleurs volontiers dans ses vidéos, en tant qu’agriculteur, il lui arrive de faire des travaux de maçon, de mécanicien, bref de touche à tout, capable d’intervenir pour réparer des pannes de tout acabit. Il précise tout de suite : « Attention, quand je dis, je n’assure pas, je veux dire, je prends l’assurance minimale, notamment pour la circulation, la responsabilité civile, et les éventuels dommages créés aux autres. C’est quand il faut changer des pièces de la moissonneuse que je peux choisir ce qui est le plus rentable pour moi. »
La rentabilité, une forme d’assurance revenu La rentabilité, c’est une forme d’assurance revenu. Et quand il doit choisir des pièces de rechange, David Forge n’hésite pas à faire jouer la concurrence, via internet. « Un axe basique de rechange coûte 85 € chez le concessionnaire du coin, et 60 € un peu plus loin, en
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commandant via internet.... Quand vous multipliez les achats jusqu’à avoir, comme cette année, 3 000 € de pièces de rechanges achetées, ça finit par compter ! » Les bâtiments sont assurés « pour ce qu’ils contiennent », tandis que pour les matériels, c’est à la carte : « Le pulvé, plus cher que les autres machines, est bien sûr assuré. » Par ailleurs, tout ce qui est corporel est également assuré.
Assurer la récolte, c’est cher, mais indispensable Concernant la production, David Forge différencie les semences de la récolte. Il passe par la coopérative pour les semences d’orge et de colza, il garde à la ferme celles de blé. L’approvisionnement phyto vient de la coopérative aussi, un contrat offrant 6 € de prime à la tonne produite si l’agriculteur se fournit en phyto à la coopérative. « Le vrai problème pour la récolte, c’est la protection des plantes », lance David Forge, faisant allusion aux ravageurs (limaces et autres). Car finalement, la récolte en ellemême, bénéficie d’une assurance qui comprend 15 aléas : coup de soleil, excès d’eau, excès d’hygrométrie, excès de température (coup de chaleur), excès de température (coup de froid), gel, grêle, inondation, manque de rayonnement, pluie violente, poids ou excès de neige, sécheresse, tempête, tourbillon de chaleur, vent de sable... Et qui donc couvre à peu près tout... sauf les ravageurs ! « Elle est chère, elle me coûte entre 6 et 7 000 €
A.J
à l’année, confie David Forge. Mais elle est indispensable... » Car, évidemment, c’est le revenu annuel qui vient derrière...
Le revenu, savoir capitaliser Quand on ne s’assure pas complètement sur tout, il faut donc avoir de la trésorerie. Comment la dégaget-on ? « En 2012, les prix étaient hauts, on a eu une bonne année. Mon père a fait quelques investissements – moi j’en aurais fait moins – mais nous avons tout de même pu mettre de côté, ce qui nous a servi par la suite. Cela vaut toujours mieux que d’avoir recours à l’endettement pour des réparations, avaries... »
Un autre risque, moins souvent évoqué, le changement de politique Ce dont a le plus besoin un agriculteur, c’est de visibilité à terme. Or le moins que l’on puisse écrire est que les évolutions d’origine politique s’accélèrent au fil des années. Des attentes sociétales poussent à une réduction des pesticides, que le pouvoir politique accorde, en ce moment du moins, rapidement, et sans discernement.
« On peut trouver des solutions pour remplacer un insecticide, par exemple en allongeant la rotation avec féveroles et pois, mais ça ne se
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GESTION DES RISQUES concrétise pas du jour au lendemain, il faudrait avoir le temps de faire des essais, de comparer, de s’habituer à une nouvelle donne... Nous autres agriculteurs fonctionnons sur des cycles de quatre ou cinq ans. Et là, c’est devenu la mode, les changements sont décidés un jour, et applicables le lendemain. Nous risquons de réelles chutes de rendements, ou encore de laisser une maladie dévaster une culture. » Et, allez savoir pourquoi, pour ce risque-là, il n’existe aucune assurance... A.J.
A.J
Le pulvé Vicon (arrière plan) est cher, donc assuré !
David Forge a aujourd’hui 36 ans. Fils d’agriculteur, il a naturellement suivi des études agricoles, dans l’établissement spécialisé de Châteauroux, avec une option « productions végétales ». Nanti du BTS agricole, cette fois avec une option comptabilité/gestion à Poitiers, il voyage, dans un premier temps dans le cadre scolaire. Il passe ainsi un mois en Irlande (dans le sud) dans une exploitation laitière. Ensuite, de sa propre initiative cette fois, il prend son sac à dos et part trois mois aux Etats-Unis. Il paye son séjour par différents boulots, dans l’hôtellerie, un parc d’attraction... Avec un parcours itinérant du nord au sud, du Wisconsin à la Floride. Découverte, apprentissage de la langue... Au retour, il est d’abord comptable dans un centre de gestion à Tours, puis s’ajoute une année d’études pour obtenir un DUT
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La luzerne est là pour contrôler le vulpin. Un choix agronomique pour faire face au danger représenté par l’abondance de mauvaises herbes.
de commerce, dans l’objectif de devenir conseiller agricole dans une banque. Il travaille ainsi au Crédit Mutuel pendant 7 ans, sans être attaché à une agence, en rayonnant sur la région Centre.
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Un parcours atypique, et riche
A.J
la succession de l’exploitation s’est posée, d’où la profession actuelle d’agriculteur. « Il relâche tranquillement, il me forme...» , précise David Forge à propos de son père.
Et puis, son père approchant la soixantaine, la question de
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GESTION DES RISQUES
Ces risques « normaux » pour lesquels il faut aller au-delà des normes En termes de gestion des risques, les risques dits « normaux » sont ceux pour lesquels (en principe) il est possible de s’assurer. Il s’agit de protéger l’homme contre un accident du travail, de couvrir sa ferme et sa production face à un incendie, ou au vol... Pour autant, attention, l’agriculteur doit faire face à tant de normes qu’il a l’impression d’être couvert uniquement en les suivant, alors que ça ne suffit pas.
Il s’agit donc de réfléchir à deux niveaux : la prévention, et l’assurance. Dans les deux cas, la gestion de ces risques-là incombe entièrement à l’agriculteur : s’il choisit de s’assurer faiblement, il en subira les conséquences en cas de pépin...
La prévention, des règles, mais aussi de l’investissement et du bon sens
A.J
Le gel, lorsqu’il est léger, constitue un risque normal.
L
es normes à respecter, dans une exploitation, sont partout. Il en existe de toutes les natures, certaines sont fondées sur un évident bon sens, d’autres beaucoup moins, mais toutes se réclament soit du respect de l’environnement, soit de la prévention. De fait, dans le cahier des charges d’une unité de production agricole, il existe
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tant de normes à respecter que le producteur a l’impression que s’il en vient à bout, il aura fait l’essentiel en matière de gestion des risques... Hélas, ce n’est pas si simple. D’abord parce que les dites normes ont des sources très hétéroclites, et que même parmi celles qui se prétendent du domaine de la prévention, on en trouve qui tiennent davantage, ici
La prévention, c’est déjà tout faire pour éviter l’accident. En suivant déjà les règles. Règles de circulation lorsque vos engins sont sur les routes, en vérifiant donc régulièrement que les gyrophares fonctionnent bien, ainsi que les clignotants, très utiles pour indiquer aux conducteurs des voitures qui suivent, souvent impatients, qu’ils peuvent doubler... Ou qu’ils doivent éviter de le faire ! Sur la route déjà, on peut aller au-delà des règles, en sachant par exemple s’arrêter sur
Règles dans la ferme aussi bien sûr, respecter les notices, le local phytos, les conditions à respecter pour manier les bidons... Et là aussi, on peut aller au-delà, avec du matériel plus haut-degamme qui inclut une forme de sécurité supplémentaire. Des pulvérisateurs avec des cabines de catégorie 4, spécifiquement adaptées à une utilisation sans risque de contamination éventuelle par le produit. Des systèmes d’attelage automatisés de manière telle que l’outil peut être relié au tracteur sans la moindre manutention (et donc sans risque), automatiquement. Etc, etc. Les rubriques « innovations » des revues spécialisées sont pleines de ces options, souvent chères, mais sécurisantes.
L’assurance, à bon escient Mais l’accident de travail, quelque part, n’est qu’un des aspects des risques que l’on peut rencontrer sur une exploitation, même s’il est celui auquel on pense en premier, spontanément. Etant donné les coûts des matériels, le risque d’une pièce cassée est loin d’être anodin. Dans ce cas, il vaut mieux bien lire et relire les contrats d’assurances. Dans certains cas, elles présentent des tarifs prohibitifs par rapport à la prestation, et si vous êtes mécano dans l’âme, capable de récupérer la bonne pièce d’occasion et de remplacer celle qui est déficiente, alors peut-être vaut-il mieux prendre une autre forme d’assurance, consistant à préserver une part de trésorerie pour les coups durs. En revanche, pour l’engin dans son ensemble, là, cela pourrait réclamer plus de trésorerie
Besoin d’une vision à terme La Pac semble avancer par épisodes de 7 ans, il y a eu 2007-2013, nous sommes dans la tranche 20142020. Mais en réalité, les cycles sont de 30 ans. 1990-2020 va donc se terminer bientôt, 2021-2050 prendra la suite. Déjà, à l’intérieur des 30 ans, on s’est rendu compte de bien des changements, largement plus que d’une ligne directrice ferme. Il est donc important, cette fois, de déterminer une telle ligne directrice pour les années qui suivront 2020. Car, derrière, c’est toute l’exploitation de chacun qui suit : nouvelles mises aux normes, réponses données à des demandes sociétales sans cesse renouvelées... Aujourd’hui, le contexte de politique agricole fait apparaitre un défaut majeur à quasiment
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A.J
toutes les filières : la volatilité des prix. La députée européenne Angélique Delahaye a été désignée rapporteur d’une mission au Parlement européen consistant à donner à la prochaine Pac les outils qui manquent à l’actuelle pour lutter contre la volatilité des prix. Elle-même agricultrice (maraichère), elle réfléchit en
que vous ne pouvez en mettre de côté. A vérifier par vous-même, bien entendu, compte-tenu de votre propre contexte. Par rapport aux productions (ici, on ne parle pas des récoltes – pages suivantes –, mais des terres, par exemple de la perte des arbres pour ceux qui ont un verger), là aussi, les assurances sont très inégales et finalement ne peuvent pas tout couvrir. Pour autant, il existe tout de même des précautions à prendre : s’informer sur les parcours agronomiques les moins fatigants pour les sols, suivre les bons conseils quant aux passages des phytos de manière à optimiser l’efficacité de chaque passage (et peut-être d’en gagner un ou deux à l’arrivée), regarder les risques de tassement dans sa parcelle et s’informer sur le matériel à faire évoluer en conséquence... A.J.
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d’un esprit technocrate parisianobruxellois, là d’une concession accordée à des alliés politiques pour le moins dogmatiques. Donc, quand vous avez tout suivi, finalement, il reste des lacunes à combler.
un parking deux minutes le temps de laisser passer un flux de voitures, et d’éviter donc toute initiative inopportune.
Angélique Delahaye
ce moment même à trouver des outils pour palier l’absence des régulations qui ont été sorties de la Pac au fil des années. C’est donc par le Parlement européen, soit par les élus du peuple, que peut venir, enfin, une réelle vision à terme de ce que deviendra la politique agricole européenne au-delà de 2020.
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GESTION DES RISQUES
Les risques commerciaux, ou l’impact direct sur le produit d’une année Dégâts de grêles sur des cultures d’oignons. Photo envoyée par l’agriculteur Jean-Marc Leluc à WikiAgri en 2013 en guise de témoignage spontané paru alors sur wikiagri.fr.
Que le climat joue des tours (un orage de grêle localisé), que les rendements ne soient pas au rendez-vous pour différentes raisons, ou que les cours s’effondrent, vous connaissez tous ces aléas susceptibles d’amputer une grosse partie de votre revenu une année : c’est ce que l’on appelle les risques commerciaux.
O
n le sait tous, l’agriculture est composée de bonnes années, mais aussi de mauvaises. Sans aller jusqu’à l’état de catastrophe naturelle (lire pages suivantes), un vent fort peut entraîner un phénomène de verse sur les céréales, un orage de grêle ou un coup de gel au mauvais moment entrainant une perte sur une parcelle ou davantage, ou simplement une alternance pluie/soleil peu propice au développement de la plante donnera à l’arrivée des rendements plus faibles qu’à l’accoutumée... C’est même, quelque part, le coeur du métier d’agriculteur, que de savoir composer avec les données météorologiques ou climatiques. Au-delà, un autre contexte que celui du climat impacte sur le revenu, celui des cours. Là aussi, une année on dépassera les 200 € la tonne et tout ira bien, mais la suivante on peut se retrouver bien en-deçà des 150 €. La volatilité des cours, c’est probablement le risque le plus dur à assumer pour l’agriculteur aujourd’hui.
Climat, volatilité des cours, décisions politiques... Il existe aussi des risques que l’on pourrait qualifier de « spéculatifs ».
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Pour ceux qui choisissent le stock pour vendre au meilleur moment, une erreur d’appréciation reste possible. Et même sans stock personnel, le courtier de votre coopérative, même s’il est mandaté pour, a priori, « assurer le coup », peut lui aussi se tromper... Et selon le degré de cette erreur, la coopérative pourra, ou non, assumer totalement ou tenter de lisser le manque à gagner. Et cette liste initiale peut être allongée, comme des événements récents l’ont montré : vous utilisez un phytosanitaire essentiel pour la compétitivité de votre culture et celui-ci se trouve retiré du marché du jour au lendemain sur choix politique, un événement extérieur sans rapport avec votre exploitation rend d’un coup votre production comme médiatiquement incorrecte et vous subissez les attaques d’anti en tout genres, etc, etc. Face à tout cela, que faire ? L’assurance peut être une réponse, à condition toutefois que des décisions politiques soient prises en sa faveur. Au cas par cas, vous trouverez des réponses auprès de votre assureur local. Mais pour que celui-ci dispose d’un éventail large couvrant une majorité de risques commerciaux, il lui faut aussi une participation de l’État (éventuellement via l’Europe), donc une décision politique. Cela fait
L’assurance, l’opinion de Patrick Ferrère
longtemps que des débats ont lieu sur le sujet, vous avez en encadré l’opinion de Patrick Ferrère, délégué général du think tank Saf agr’iDées, particulièrement favorable au système assurantiel...
Rappel de l’opinion de Louis Bodin En attendant les décisions politiques en faveur de l’assurance, il reste le bon sens agricole... Qui peut d’ailleurs aussi venir de l’extérieur. Dans son n°7 axé sur la météo, WikiAgri Magazine avait interviewé le célèbre météorologiste de TF1 et RTL Louis Bodin. Et voilà ce qu’il suggérait : « Nous n’acceptons plus la nature telle qu’elle est. Pour parler de l’agriculture, il faudrait budgétiser par cycles de 7 ans, en estimant obtenir 3 bonnes récoltes, 3 moyennes, et une année sans. Or, aujourd’hui, on ne l’accepte plus... » Rien n’empêche toutefois de la faire à titre individuel : quand la bonne année arrive, bien sûr il faut en profiter pour investir, mais aussi pour se préserver de la trésorerie. Une solution perso, qui ne demande rien à personne... A.J.
Dans une tribune qu’il a signée sur wikiagri.fr (datée du 2 octobre 2014, il réagissait alors à différents incidents éclatés à Morlaix, en Bretagne, où des producteurs avaient violemment exprimé leur désarroi après la chute des cours des choux fleurs), Patrick Ferrère, délégué général du think tank Saf agr’iDées, a développé une opinion en faveur du système assurantiel. Voici en substance le propos qu’il tenait alors, plus que jamais d’actualité aujourd’hui : « (...) Nous revenons à l’intérêt indéniable de l’assurance. Il est aisé, secteur par secteur, de définir, à partir de l’évolution du ratio prix de vente/coût des intrants, une situation de crise qui ouvre droit à l’intervention de l’assurance. Les compagnies d’assurance peuvent poursuivre le développement de leurs produits mais ne sont soutenus par des aides publiques (65 % du coût de la quittance) que ceux qui couvrent une perte de la marge de l’entreprise de plus de 20 % de sa valeur historique moyenne. Si progressivement, au travers de l’assurance-récolte, de l’assurance fourrage, des assurances spécifiques fruits et légumes, viticulture, ce système pouvait être mis en place, il offrirait une vraie sécurité aux producteurs sur la durabilité économique de leur entreprise. Aujourd’hui, insuffisamment et surtout mal sécurisés face aux aléas économiques, les agriculteurs vivent des situations extrêmes où la violence des réactions côtoie le désespoir devant l’avenir. Nous savons les limites désormais imposées par la réglementation européenne et aussi par les enveloppes budgétaires pour apporter des compensations à ce type d’aléas. Une approche assurantielle et la mobilisation partielle de dotations financières du premier pilier de la PAC montrent progressivement tout leur intérêt. »
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GESTION DES RISQUES
Le risque majeur est le plus souvent imprévisible, mais il guette pour autant toutes les exploitations agricoles, pas seulement celles des régions les plus exposées.
Mais revenons aux catastrophes. Toute la difficulté pour l’agriculteur qui en est victime consiste à accéder à la solidarité nationale. Lorsque tout un secteur géographique est touché, l’Etat décrète l’état de catastrophe naturelle, ce qui enclenche l’abondement des
fonds d’assurances et donc les indemnisations. Ce système n’est pas parfait, il a parfois des lenteurs, mais globalement il fonctionne plutôt bien. Les difficultés observées concernent ceux qui sont en limite, ou en dehors, des zones géographiques officiellement intéressées par les aides, alors que le phénomène destructeur a pu aller au-delà. En revanche, là où ça se complique, c’est lorsque l’état de catastrophe
Il a porté différents noms, fonds de calamités, ou autres... Aujourd’hui, il s’agit du FNGRA. Ce fonds est abondé d’une part par les professionnels agricoles, d’autre part par l’Etat. Par définition, ce fonds contribue au financement de l’indemnisation des pertes économiques liées à l’apparition d’un foyer de maladie animale ou végétale ou à un incident environnemental. Il participe au financement de l’assurance dans le cas de dommages causés aux exploitations agricoles. Enfin, il indemnise des calamités agricoles jugées exceptionnelles (sécheresse, inondation, gel...).
tous les gouvernements (récents en tout cas), les représentants syndicaux nationaux ont dû quémander au ministère de l’Agriculture que l’Etat paye sa part dans ce fonds, part pourtant programmée dès les orientations budgétaires et la loi de finances. Et régulièrement, l’Etat se fait tirer l’oreille, traîne... Tant et si bien que les indemnisations, aussi, tardent à venir. Ainsi, non seulement l’agriculteur vient de perdre une récolte entière pour une cause majeure, mais en plus il lui faut être patient (parfois plus patient que sa propre banque...) pour redémarrer son activité.
A priori, donc, ce fonds constitue une bouée de sauvetage pour le monde agricole face aux dommages les plus sévères... Mais il reste aussi à estimer l’efficacité du fonds en question. Et le moins que l’on puisse écrire, c’est qu’il ne remplit que partiellement son office. De tous temps, sous
Ce véritable « sport national » des services de l’Etat consistant à n’abonder les enveloppes qu’en tout dernier ressort fait partie, assurément, des habitudes à réformer au sein des services de l’Etat. Puisque, en ce moment, l’heure est à l’établissement des programmes politiques...
L
a catastrophe, l’inondation qui vient tout emporter, la sécheresse qui n’en finit plus doublée de restrictions d’utilisation de l’irrigation, le gel tardif au plus mauvais moment... Il existe tant de manières de perdre toute sa récolte, le fruit du travail de toute une année ! A cela, il faut ajouter un autre phénomène, celui de la crise agricole. Aujourd’hui, celle-ci touche principalement les secteurs de l’élevage, du maraîchage ou des fruits, mais les céréaliers ne sont pas à l’abri non plus : localement dans le
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sud-ouest, tous ceux qui fournissent la filière canards gras, laquelle est en grand danger actuellement ; et un peu partout sur le territoire, le gain de productivité s’il est, disons « sportif » pour certains, devient franchement vital pour d’autres. Et bien sûr, puisque l’élevage est en crise, tous les polyculteurs qui, a priori, sont ceux qui s’en sortent le mieux grâce à leur possibilité d’auto-alimenter leur bétail, restent en grand danger... Il existe également un phénomène conjoncturel, que l’on observe dans certaines régions, à l’origine pas,
ou peu, céréalières : beaucoup de polyculteurs abandonnent purement et simplement leur activité « élevage » pour se consacrer aux seules céréales. Ce qui signifie des bouches animales en moins à nourrir, et une production céréalière accrue : il faudra observer à l’avenir l’impact sur les revenus, même si a priori, du fait des cours mondiaux, les céréaliers restent à l’abri des contextes locaux. Mais cela reste à vérifier. Et attention aux désillusions : toute prairie d’élevage ne devient pas obligatoirement une bonne terre céréalière...
Le réchauffement climatique, s’il est confirmé (les spécialistes ne laissent guère de doute à ce sujet tout de même, donc mieux vaut s’y préparer), ne manquera d’avoir des incidences sur notre agriculture. Peut-être qu’à terme certaines cultures évolueront, mais il faut aussi s’attendre à voir des incidents climatiques aujourd’hui exceptionnels se répéter plus fréquemment. Par exemple à devoir composer avec plusieurs années de sécheresse, ou encore à subir des pluies torrentielles que l’on qualifierait aujourd’hui de « tropicales »... Par ailleurs, on a déjà commencé à observer l’invasion de ravageurs nouveaux, des insectes venus d’Asie via les échanges portuaires notamment, comme ce drosophile Suzukii qui infecte cerisiers, asperges, oliviers, endives, fruits rouges... Rien n’empêche
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Le ciel menaçant peut, hélas, parfois se transformer en apocalypse pour l’agriculteur.
A.J.
Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA), l’État souvent à la traîne
Quels sont les risques de demain ? A.J
naturelle n’est pas décrété, car la calamité ne touche pas suffisamment de monde. Dans ce cas, il existe un fonds de calamités (lire l’encadré), mais malheureusement son fonctionnement laisse à désirer, il faut presque avoir de la chance pour que tous ses mécanismes s’enclenchent rapidement et correctement. Et la chance, quand on vient d’être victime d’une calamité...
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Catastrophe naturelle, crise... Comment se prémunir du risque majeur ?
Comment accéder à la solidarité nationale ?
d’imaginer qu’à la faveur du réchauffement climatique, on trouve demain des nuages de sauterelles dans des champs de céréales, à l’image de ce qu’on observe régulièrement dans le nord de l’Afrique. Ou autre calamité du genre. Enfin, attention aux débats de société qui concluent volontiers à des changements radicaux que les politiques s’empressent de suivre sans se rendre compte des conséquences. Aujourd’hui, tout ce qui est phyto est dans le collimateur. Demain, que peut-il se passer ? Plus que jamais l’agriculteur doit être acteur de la société s’il veut éviter des mauvaises surprises...
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GESTION DES RISQUES
Météo à la parcelle, la fin de l’à-peu-près ‘
La météo de précision arrive ! Avec la météo à la parcelle, à l’efficacité testée et démontrée, il est possible d’optimiser ses interventions avec donc des gains de productivité, et aussi d’éviter une catastrophe en sachant moissonner plus tôt que prévu quand un orage violent s’annonce.
autorise même, gratuitement, à conserver en mémoire la parcelle qui vous intéresse. Une telle plateforme révolutionne la pratique agricole. On n’est plus dans l’à-peu-près, on ne se contente plus d’un soleil dessiné sur la carte d’un département pour croire qu’il n’y aura aucune pluie, à aucun moment de la journée ou de la nuit. S’il doit y en avoir une qui passe par votre parcelle, vous le saurez. Les fonctionnalités sont simples, on cherche sa parcelle, on la garde ensuite en « favori », et on la retrouve immédiatement et sans recherche à la connexion suivante. Au-delàA.J.des précipitations (avec les probabilités, en pourcentages, de millimètres de pluie par horaire), vous avez les courbes de températures, et même une indication sur le créaneau idéal de pulvérisation.
Sur une parcelle très précise que vous avez préalablement identifiée, la plateforme Agri Météo donne de multiples renseignements (ici une copie d’écran), y compris des préconisations horaires pour les pulvérisations. Plus des alertes mail ou sms si vous le souhaitez !
D.R
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a météo est, évidemment, un facteur de réussite ou de risque crucial pour l’agriculteur. Elle l’a toujours été. Et si certains concepts futuristes consistent à élever des tours de verre pour façonner d’invraisemblables fermes verticales (lire page 42) qui donnent aux cultures la faculté de pousser indépendamment des caprices du ciel, leur réalisation, pour l’instant au moins, se limitent à quelques cultures relativement simples, comme les salades. Donc, nous ne sommes pas près de nous passer de la météo. En revanche, les progrès techniques donnent à cette météo, au fil des années, une précision accrue, dans le temps (au-delà de trois jours) et dans l’espace.
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Le plus efficace reste, si vous avez la possibilité de vous offrir ce matériel, d’installer une station météo au coeur de vos parcelles. Mais même sans investissement de cet ordre, des services existent.
Agri Météo, nouvelle plateforme de la météo de précision Ainsi, Agri Météo donne désormais la météo à la parcelle. Vous allez sur le site, vous donnez l’adresse, cherchez et trouvez la parcelle qui vous intéresse, et vous avez la météo très précisément à cet endroit. Il peut faire beau tout près, si jamais il doit pleuvoir tout de même sur cette parcelle, Agri Météo vous le dira. Le service vous
Edité, tout comme WikiAgri, par Data Pro Solutions, Agri Météo a déjà reçu des retours de professionnels, lesquels estiment le service « très fiable ». Et pas seulement de la part des agriculteurs, des sportifs (cyclistes, donc en extérieur) ont même témoigné ne plus utiliser d’autre météo... Pour les uns et les autres, ne pas se tromper dans ses choix grâce aux bons renseignements, c’est essentiel. A.J.
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GESTION DES RISQUES
Minimiser les risques par l’échange ou la location de matériels En période de crise où les trésoreries sont soumises à restrictions, savoir se procurer des matériels à moindre coût est une manière de minimiser les risques. A noter qu’il existe depuis peu une autre plateforme qui obéit aux mêmes principes (la bonne idée est née simultanément en deux endroits différents...), WeFarmUp. L’émission Télématin de France2 a par ailleurs présenté récemment un site américain construit sur le modèle, mais antérieur, et présentant donc déjà un bilan : une belle réussite.
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our y parvenir, le progrès est source de solutions nouvelles. Avec internet et les smartphones, les plateformes fleurissent dans tous les domaines, y compris l’agriculture. La société Data Pro Solutions, qui édite WikiAgri, a ainsi créé Travaux Agri. Cette plateforme, qui s’assoie sur le site www.travaux-agri.fr, propose à ceux qui ont du mattériel à louer ou à utiliser à façon d’une part, et à ceux qui en ont besoin d’autre part, de se manifester pour, in fine, travailler ensemble. C’est une manière de rentabiliser le matériel pour celui qui a investi dedans, et de pratiquer ses travaux sans investissement lourd pour celui qui doit moissonner (par exemple) mais qui ne peut pas, conjoncture exige, mettre son argent dans une moissonneuse.
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Travaux Agri, une plateforme pratique Ce service innovant gagne donc internet, d’où des horizons nouveaux : vous ne touchez plus uniquement vos voisins à travers une petite annonce papier dans le journal du coin, et en plus cette annonce est immédiatement en ligne sans attendre la parution. Qui plus est, Travaux Agri s’adresse aussi bien aux particuliers (les agriculteurs donc) qu’à des groupements, ETA ou Cuma. Dans le cadre de la gestion d’une Cuma aussi, on peut avoir besoin très ponctuellement d’un matériel, ou alors avoir envie de rentabiliser encore mieux les siens par des locations... Travaux Agri est donc fait pour ça.
Ces plateformes sont très pratiques. Car elles élargissent franchement le champ des possibles. Imaginez que vous trouviez un utilisateur de votre matériel à plus de 100 km de chez vous, vous vous dites de prime abord : « c’est un peu loin, avec les frais et le temps de transport, ce n’est pas rentable ». Mais rien ne vous empêche de poser une annonce demandant si d’autres agriculteurs ou ETA ou Cuma ont besoin du même matériel à côté du premier contact établi. Et vous pouvez ainsi rentabiliser le déplacement, en plus, donc, de l’optimisation de l’utilisation du matériel.
En période de crise... En période de crise, ce type d’échanges assure un complément de revenus pour ceux qui ont le matériel, et des dépenses raisonnables pour ceux qui en ont besoin. Les risques vis-à-vis de la trésorerie sont donc minimisés avec une recette complémentaire d’un côté et des charges moindres de l’autre. Il ne reste plus, désormais, aux agriculteurs, aux ETA, aux Cuma à s’emparer de l’outil, en allant sur www.travaux-agri.fr. A.J.
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MOTEUR
Face à des éleveurs en quête d’autonomie fourragère, les constructeurs visent une autre autonomie, consistant à développer des gammes et des concepts propres à satisfaire tous les besoins via leur seul catalogue. Fendt doublement vert
Après une gamme d’ensileuses automotrices, Fendt développe avec le VarioLiner une gamme de remorques autochargeuses.
Un constructeur en particulier illustre la ruée vers la chaîne verte. Il s’agit de Fendt. En l’espace de quelques années, le constructeur s’est constitué un catalogue propre à rudoyer les concurrents dans la place et dans le pré. Parti lui aussi d’une feuille blanche, Fendt a sorti en 2012
Fendt
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es filières animales n’ont pas bonne presse ? Les constructeurs investissent dans… les presses. Dernier exemple en date : Pöttinger, parti d’une feuille blanche pour concevoir en interne une gamme de presses à balles rondes, présentée à l’Agritechnica 2015 (lire l’encadré). Son cas n’est pas isolé et le segment des presses est l’objet de fortes convoitises et de mouvements au plan industriel, avec moult recherches et développements. En témoigne la mise au point de presses à balles rondes en continu, apparues successivement chez Krone avec la presse-enrubanneuse Ultima à chambre fixe semi-variable de 125 à 150 cm de diamètre, suivie de la Lely
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Welger CB Concept à chambre variable (100 à 180 cm), puis de la FastBale de Vicon, une presse-enrubanneuse à chambre fixe (125 cm), ces deux derniers modèles n’étant toutefois pas encore commercialisés. Le concept de presse en continu procure un gain de productivité de 50 %. C’est d’autant intéressant que la récolte des fourrages, qu’il s’agisse du foin, de l’enrubanné ou de la paille, est fortement exposée aux aléas climatiques, susceptibles de déprécier leur qualité et donc leur valeur alimentaire. Outre la productivité de chantier, le confort de conduite est également flatté par la régularité du processus de pressage qui met fin aux arrêts, accélérations et balancements.
sa première ensileuse automotrice Katana, proposée actuellement en d e u x m o t o r is a t io ns ( 6 5 2 e t 850 ch), en attendant une 500 ch. En 2015, le constructeur s’est attaqué à une autre chasse gardée, celle des remorques autochargeuses, en présentant la VarioLiner, en deux modèles de 35 et 40 m3. Côté presses, le constructeur a complété sa gamme à chambre fixe et à chambre variable avec une offre de cinq modèles haute densité, issus de la maison-mère Agco (Hesston). A compter de l’été 2016, le réseau Fendt distribuera également des faucheuses à tambours et à disques, des faneuses et des andaineurs conçus et fabriqués en Allemagne par Fella, autre entité du groupe Agco. Le constructeur s’est même payé le luxe de présenter, avec Fendt Former 12555 X, un andaineur inédit à quatre rotors animés chacun par un moteur électrique, alliant efficacité, simplicité, fiabilité. L’appareil s’inscrit dans le projet X-Concept que Fendt développe autour d’un tracteur intégrant une génératrice électrique de 130 kW.
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Fourrages, le matériel de récolte s’adapte à la demande
Enrubannage et expertise non-stop pour Kuhn Kuhn invente l’enrubannage en continu de balles individuelles et dispersées au champ. Cela, au moyen d’un laser embarqué sur l’enrubanneuse, en l’occurrence la SW 4014 AutoLoad, douée pour repérer la balle à l’approche de la machine et préparer les rouleaux à la préhension de la balle, le tout sans marquer l’arrêt du tracteur et sans la moindre intervention du chauffeur. Le processus d’enrubannage suit son cours pendant que le chauffeur poursuit son chemin vers la balle suivante. La SW 4014 est capable d’enrubanner de grandes balles rectangulaires et des balles rondes et rectangulaires de taille moyenne pesant jusqu’à 1 500 kg et mesurant au maximum 2 mètres de large. Il est également possible d’enrubanner des balles rondes d’un diamètre maximal de 140 cm sans équipement ni réglages mécaniques supplémentaires. Les dimension de balles peuvent être pré-définies dans le terminal Isobus, tout comme, entre autres fonctions, leur déchargement dans une position sélectionnée
Avec sa fonction AutoLoad, la SW 4014 de Kuhn gère automatiquement et sans arrêt la préhension de la balle avant d’entamer le processus d’enrubannage.
Kuhn
(nœuds vers le haut, déchargement côté court). Le système IntelliWrap gère quant à lui le processus d’enrubannage (nombre de couches, chevauchement du film…).
physiologiques et économiques de la qualité des fourrages, haute teneur en énergie et en nutriments, appétence maximale, minimum d’impuretés, maîtrise de la conservation, etc.
Si la SW 4014 enrubanne en continu, Kuhn fait aussi dans le « continu » grâce un site dédié à la chaîné verte. Sur kuhngrassmaster.com, le constructeur distille des conseils destinés à engranger la meilleure valeur fourragère du foin, de l’ensilage et de l’enrubanné : aspects
Quant à l’appli Kuhn Forage Expert, elle aiguille les utilisateurs en phase de renouvellement. Pour chaque matériel sélectionné, l’application détaille toutes les machines Kuhn correspondant à la requête ainsi qu’un court descriptif pour chacune.
Pöttinger inaugure avec Impress une nouvelle cinématique du flux de fourrage. Ici, la version Master à chambre variable de 155 cm.
La localisation en deux mots En matière de récolte des fourrages, Pöttinger est bien identifié dans un segment particulier : celui des remorques autochargeuses et ensileuses. Et pour cause, le constructeur développe le concept depuis plus de 50 ans, à travers une gamme de plus de 50 machines, d’une capacité comprise entre 17 et 100 m3, d’où un large leadership. L’autochargeuse est un mode de récolte développé en Allemagne, en GrandeBretagne, en Irlande ou encore aux PaysBas, où les contraintes climatiques limitent les possibilités de séchage. En France, l’ensileuse automotrice concurrence fortement la remorque autochargeuse mais cette dernière dispose d’arguments, en terme de qualité de conservation et d’organisation de chantier. La concurrence, Pöttinger a décidé de s’y frotter dans le domaine des presses
à balles rondes, un segment totalement inédit pour le constructeur. Lors de Agritechnica 2015, le constructeur a levé le voile sur Impress, aboutissement de 6 ans de recherche et développement. Et en proposant une gamme comptant des modèles à chambre fixe et à chambre variable, avec ou sans dispositif de hachage et pouvant être combinés à une enrubanneuse, avec liage filet, film ou ficelle, sans oublier un essieu tandem proposé en option. La gamme de départ compte l’Impress F à chambre fixe (125 cm de diamètre) et les Impress V à chambre variable (155 cm et 185 cm de diamètre). Parmi les particularités de conception figure le rotor LiftUp tournant dans le même sens que le pickup pendulaire à cames (2 m et 2,30 m). Cheminant par le haut et non par le bas (Pefect Flow), le fourrage est animé par un flux tangentiel réduisant les pertes de brins courts et optimisant l’enroulement
Pöttinger
sur toute la largeur. Côté hachage, Impress se distingue par le nombre de couteaux en présence (32 à sécurité individuelle) et le caractère extractible de la barre de coupe Easy Move. L’extraction et la sélection manuelles des couteaux s’enrichiront à terme d’une commande électrique ou hydraulique depuis la cabine. Impress sera proposée en version Master (commande par deux distributeurs) et Pro (commande par terminal Power Control ou compatible Isobus). Deux machines de pré-série tourneront année en France avant le lancement commercial en 2017.
Raphaël Lecocq
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AGRONOMIE des sols varie selon le type de sol et les pratiques agricoles. Dans le cas de parcelles pauvres en P (< 40 ppm), les doses d’apport de P205 conseillées en colza sont élevées et peuvent dépasser 80 unités (U) en plein, d’où un intérêt accru d’optimiser les doses.
Fertilisation localisée vs micro-fertilisation
La fertilisation localisée du phosphore et de l’azote a-t-elle un avenir ? Les premiers résultats d’essais conduits dans le Sud indiquent un effet significatif sur le rendement. Des résultats à prendre toutefois avec précaution et qui restent à confirmer, notamment avec des semoirs à écartement entre rangs inférieurs à 40 cm.
La fertilisation localisée consiste à apporter lors du semis un engrais classique (P ou NP par exemple) à l’aide d’un localisateur dédié qui va apporter l’engrais légèrement à côté (environ 5 cm) et au-dessous (environ 5 cm) de la graine, par enfouissement. Cet engrais de type classique peut se présenter sous forme solide ou liquide. Pour ce faire, l’agriculteur doit s’équiper d’un matériel spécifique (un localisateur) dont le surcoût varie entre 2000 et 3000 €. Autre option : la micro-fertilisation (ou ultra-fertilisation). Il s’agit d’un apport dans la ligne de semis à l’aide du micro-granulateur équipant la plupart des semoirs monograine. Dans ce cas, un engrais spécifique ayant un coût relativement élevé à l’unité apportée (en moyenne 4 à 5 fois par rapport à un engrais classique) est nécessaire. Dans les essais conduits pendant trois ans par Terres Inovia, la fertilisation localisée consistait à apporter 50 kg/ha d’engrais 18-46-0 au semis, soit 9 U d’azote et 23 U d’acide phosphorique. À l’inverse, pour la micro-fertilisation, l’apport a été de 25 kg/ha d’engrais Microplus®, soit 3 U d’azote et 12,5 U d’acide phosphorique (+ 0,5 kg/ha de zinc).
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e colza est une pompe à azote minéral très exigeante en phosphore. Ainsi, en augmentant la biodisponibilité des éléments fertilisants, peut-on réduire les doses apportées et mieux cibler par rapport aux besoins de la culture ? La question se pose, d’autant plus que le phosphore est un élément peu mobile et facilement bloqué. On a donc tout intérêt à apporter au plus près des besoins et des racines pour qu’il soit disponible pour la culture. Dans le Sud de la France, 85 % des surfaces de colza sont semées avec
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des semis monograine, à large écartement entre rangs (supérieur à 40 cm). Ces dernières années, les agriculteurs ont développé la microfertilisation et, dans une moindre mesure, la fertilisation localisée phosphore (P) et/ou azote et phosphore (NP) en colza, que ce soit à l’aide d’engrais sous formes solide ou liquide. Dans le cadre d’une approche de protection intégrée, l’institut technique Terres Inovia a voulu savoir si « la fertilisation localisée au semis de P et NP permettrait de gérer plus efficacement le parasitisme
d’automne – grosse altise adulte et charançon du bourgeon terminal – par une vigueur accrue avant le stade 6 feuilles et une croissance plus dynamique », selon Nicolas Cerrutti, de Terres Inovia. Par ailleurs, l’institut souhaitait également vérifier si « le fait de mieux cibler l’apport avait un effet sur l’utilisation du phosphore par le colza». Pour obtenir des économies de doses à apporter (à court terme), pour un élément dont les réserves mondiales sont très concentrées et épuisables (à long terme). Autre intérêt envisageable de cette A.J. technique : en France, la richesse en P
+ 3,1 quintaux par hectare pour la localisation Les essais réalisés par Terres Inovia montrent que la fertilisation localisée NP induit un « gain significatif de vigueur au départ », que ce soit au niveau de la croissance précoce (avant 6 feuilles) ou au niveau de la croissance entrée et sortie hiver. Concernant spécifiquement le phosphore, la localisation a un effet hautement significatif sur le rendement avec un gain de +3,1 q/ ha par rapport à l’apport en plein à la même dose, « en particulier dans
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La localisation en deux mots La localisation est un levier utile pour une meilleure vigueur du colza au démarrage, par rapport à la sensibilité aux ravageurs comme les grosses altises ou le charançon du bourgeon terminal. Cette technique offre une nouvelle alternative par rapport à l’apparition de résistance au pyrèthre. La localisation d’azote et de phosphore au semis apporte : - une vigueur de départ accrue pour mieux tolérer les attaques d’altises ; - une croissance automnale plus dynamique pour réduire la nuisibilité du charançon du bourgeon terminal ; - une meilleure utilisation du phosphore
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Fertilisation du colza, l’intérêt de la localisation
avec une amélioration de la marge avec 30 U de P205 en moins par rapport à un apport en localisé. La localisation favorise le recours à un engrais starter classique NP moins onéreux à l’unité apportée qu’un engrais sous forme de microgranulés ; elle induit, comme la micro-fertilisation, des gains de croissance précoce (avant 6 feuilles). Enfin, le localisateur sur monograine peut être amorti dès 22 hectares de colza semés (gain brut de 136 €/ha semé lié à la localisation : gain de rendement et réduction d’apport de P205).
les parcelles avec une teneur en P Olsen est inférieure à 50 ppm ». La localisation avec un semis à large écartement valorise donc mieux le phosphore qu’une application en plein. Cette voie entrouvre donc la porte d’une réduction de dose, cherchée par équivalence par Terres Inovia, qui a ainsi montré après travaux que la dose en localisée était égale à la dose en plein réduite de 30 U de P2O5. « Cette formule est valable dans le Sud de la France, pour un semoir à écartement entre rang supérieur ou égal à 40 cm, y compris pour les sols dont la teneur en P205 est inférieure à 50 ppm », résume Nicolas Cerrutti. A noter qu’aucune toxicité liée à l’apport de fertilisants en localisé ou dans la ligne de semis, quelle que soit la dose appliquée, n’a été observée. Ces premiers travaux restent bien évidemment à valider. Terres Inovia travaille actuellement sur une palette de dose de P plus grande (modalité 120 U de P205) et surtout avec les semoirs a écartement entre rangs inférieur à 40 cm (type semoir à céréales). « En effet, dans ce dernier cas, aucune tendance nette vis-à-vis de la localisation P & NP ne se dessine au travers des premiers essais mis en place par Terres Inovia dans l’Est de la France », conclut Nicolas Cerrutti. Céline Zambujo
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AGRONOMIE
Aujourd’hui, il ne suffit plus de vendre un produit. Il faut accompagner la vente par le conseil et fournir à l’agriculteur les outils pour optimiser son intervention. L’exemple de la démarche « ciblage » de De Sangosse, pour lutter contre les limaces et escargots.
Ces constats montrent qu’il va donc falloir être non seulement attentif, mais aussi précis dans le traitement cette année. En cela, la démarche De Sangosse développée depuis 2014 montre l’évolution des firmes dans leur approche du conseil technique, avec le développement d’outils d’accompagnement à la mise en service des solutions proposées. « Il faut conseiller de manière globale et durable », note Pierre Olçomendy. Dans le détail, l’approche « ciblage » de De Sangosse s’organise autour de quatre piliers : l’anticipation, l’évaluation, le choix d’un produit adapté, et l’optimisation de l’application.
Le « ciblage » en quatre étapes La démarche « ciblage », lancée en 2014, part du constat « qu’il ne suffit plus de choisir un produit pour lutter efficacement contre les limaces ». Première étape, l’anticipation. Pour cela, il faut bien connaître le cycle du ravageur, ses périodes de reproduction et d’alimentation. Il faut aussi mettre en place en amont des méthodes de lutte alternative, labour et déchaumage, « afin d’exposer les œufs des limaces au soleil et de perturber leur cycle », sans oublier les méthodes agronomiques, la modification des rotations, le décalage des dates de semis…
La démarche « ciblage », lancée en 2014 par De Sangosse, part du constat « qu’il ne suffit plus de choisir un produit pour lutter efficacement contre les limaces ».
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a pression limace de 2013 est sans doute encore dans les mémoires aujourd’hui. Mais avec l’hiver doux qui vient de s’achever, la pression pourrait être tout aussi importance cette année, sachant qu’il s’est traité environ 2,5 millions d’hectares en 2015, avec une pression limaces assez hétérogène, plutôt forte sur la façade Centre et Ouest, faible à
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moyenne dans le Nord et Est et au Sud. « 2015 a été une année piège, en particulier sur les semis de colza réalisés en conditions sèches puis, dès l’apparition des pluies au stade 2 feuilles, pour les colzas : la pression limaces est apparue, entrainant quelques retournements de parcelles de colza pour ceux qui se sont fait surprendre », commente Pierre Olçomendy, chef marché
anti-limaces France chez De Sangosse. Quant à 2016, après l’hiver très doux et l’absence de gelée, la pression est déjà plus précoce et élevée au printemps. « Normalement, début avril, nous avons beaucoup d’adultes. Or là, le taux de juvéniles est déjà important dans les pièges. Les cycles se sont resserrés », note l’expert de De Sangosse.
Deuxième étape, l’évaluation du risque. « Nous avons pour cela développé un OAD (Ndlr : outil d’aide à la décision), à savoir l’observatoire De Sangosse, comprenant plus de 750 parcelles en France. L’idée est de s’appuyer sur un réseau d’agriculteurs débutant le piégeage 3 semaines avant les semis pour établir une carte de la pression limace au niveau national, régional et parcellaire. » Les agriculteurs volontaires s’engagent à remonter à De Sangosse, qui fournit le kit de piégeage, leurs résultats. Troisième étape, le choix d’un produit adapté à l’application. De Sangosse s’appuie sur une gamme technique : la gamme d’appâts
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De Sangosse cible ses conseils et solutions
Ironmax® Pro, la nouvelle solution antilimace de biocontrôle De Sangosse a reçu le 11 mars dernier une nouvelle homologation sur la gamme Colzactif® pour une solution de biocontrôle à base de phosphate de fer. « Nos services R&D situés dans le Lotet-Garonne près d’Agen ont réalisé un screening de différentes qualités de phosphate de fer. Ils en ont sélectionné un qu’ils ont ensuite optimisé. Nous avons désormais une solution supplémentaire à proposer aux agriculteurs avec ce produit de biocontrôle », explique Pierre
anti-limaces Colzactif® à base de métaldehyde homologué en 2013, année de forte pression, sur plus de 60 cultures (dont les céréales, le colza, le maïs, le tournesol, pomme de terre et la vigne), pour une application en mélange, en localisé et en plein. « La formulation Colzactif est un process unique de granulés fabriqués en France avec 100 % de blé français. Cette formulation comporte deux molécules présentes dans le colza, culture dont sont particulièrement friandes les limaces, qui ont donc pour effet d’attirer davantage les ravageurs, mais aussi d’apporter une rapidité d’action, et une efficacité d’action reconnue par les agriculteurs. » En 2016, la gamme anti-limace Colzactif® s’enrichit d’une nouvelle solution de biocontrôle (lire l’encadré). Enfin, dernière étape, l’optimisation de l’application, toutes les spécialités commerciales devant respecter des ZNT (5 m pour les anti-limaces). « Pour optimiser l’application, nous avons développé le Spando, en collaboration avec l’Irstea. Il s’agit d’un épandeur pour mieux répartir, et de façon homogène, les granulés sur la largeur de travail, avec un taux de casse de 5% seulement, contre 30% en moyenne avec un épandeur électrique. La notion de
Olçomendy, chef marché anti-limaces France chez De Sangosse. Ironmax® Pro est homologué à la dose de 7 kg/ ha pour une application en plein, en mélange ou en localisé, sur toutes cultures et cultures sous abri, en bio et en conventionnel (DAR : 3 jours, ZNT : 5 m). « Comme nous disposons de notre propre usine en France, nous serons en capacité de proposer cette solution pour les semis d’automne prochain de colza et de céréales. »
casse est importante car un granulé brisé ne résiste pas à l’humidité et perd de son efficacité. » Le Spando (coût : environ 3400 € HT, liste des concessionnaires sur ciblage-antilimaces.fr) comporte également un second disque de bordure pour apporter la bonne dose jusqu’au bord de la parcelle, ainsi qu’une antenne GPS permettant d’avoir un Débit proportionnel à l’avancement électrique (DPAE). « Notre objectif est d’articuler la lutte contre les limaces autour de ces quatre piliers pour une lutte efficace et durable. Cela ne sert à rien d’intervenir de manière systématique ou de jouer sur la modulation de dose, si la dose apportée est faible et la pression forte. Aujourd’hui, il faut intervenir au plus juste en fonction de la pression du moment », conclut Pierre Olçomendy. Céline Zambujo
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AGRONOMIE
Les cultures remettent le couvert Avec la Pac 2015, le verdissement est devenu une composante essentielle de la stratégie d’exploitation. Les couverts végétaux, morts ou vivants, en interculture ou en place sur plusieurs années, trouvent un regain d’intérêt.
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Plus encore, l’attention devra être à son maximum au printemps pour minimiser la compétition du couvert sur la culture tout en maximisant les effets de ce dernier. Cette régulation peut se faire mécaniquement, en intercultures sur céréales, à l’aide d’une herse rotative par exemple, ou en utilisant un programme de désherbage adapté (lire l’encadré). Avec des couverts suffisamment régulés dans le blé, les rendements d’essais menés à Boigneville (Essonne) en 2015 par Arvalis ont été au pire stabilisés, au mieux améliorés : - 1 % avec un lotier parvenu à 0,3 tonne de matière sèche par ha (t MS/ha) avant destruction, mais + 11 % avec un trèfle blanc (0,7 tMS/ha), +4% avec
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un sainfoin (0,3 tMS/ha) ou encore équivalent avec une luzerne (0,6 tMS/ha). Dans le Sud, ces couverts ont également permis de réduire l’azote apporté, notamment dans un essai mené à Brive en 2013 avec de la luzerne (0,3 tMS/ha) où le rendement a été multiplié par 7 et la dose d’azote réduite de 60 unités. Sur le plateau de Valensole, en région Paca, le rendement avec un sainfoin a été amélioré de 5 %.
année N (colza) bénéficierait ainsi de la libération d’azote du premier des trois couverts implantés (gesse commune, fénugrec ou lentilles). Le blé d’hiver suivant profiterait de l’azote libéré par le deuxième couvert (trèfle blanc), tandis que l’orge de printemps suivant récupèrerait l’azote du lotier corniculé. Entre temps, l’agriculteur aura régulé le couvert dans le colza et le blé, puis l’aura détruit entre le blé et l’orge.
Ne pas miser sur une seule espèce
Une autre tendance se dégage également en termes de gestion du couvert : le couvert à durée indéterminée, plutôt que permanent ou semi-permanent. Il s’agit là de gérer de nombreux aléas dans la gestion des cultures et du couvert en ne gardant le couvert que tant qu’il n’entrave pas la bonne gestion de la parcelle ou ne génère de nouveaux problèmes (désherbage, campagnol, implantation des cultures…), et tant qu’il se développe correctement (couverture du sol). Il s’agit là d’une gestion plus opportuniste déjà utilisée en semis direct et adaptée aux couverts peu onéreux à implanter, type trèfle blanc.
Ne pas miser sur un seul couvert est également une alternative intéressante et ce, à plusieurs titres. Côté avantage, le mélange évite de miser sur une seule espèce (selon les conditions climatiques : trèfle blanc si humide ; lotier-luzerne si sec...). Il couvre en outre le sol durablement (saisons, années), et libère de l’azote plusieurs printemps de suite en optimisant l’itinéraire (couverts annuels ou gélifs, herbicides sur les pérennes...). Enfin, le mélange permet d’introduire des espèces aux différentes fonctions, par exemple le mélilot a un effet répulsif contre les campagnols. Mais tripler les espèces complexifie également la gestion pour l’agriculteur, entrainant notamment une compétition continue du couvert sur la culture, sans parler de la gestion des différentes espèces et des herbicides plus complexe. Néanmoins, le mélange de couverts permet également de libérer de l’azote sur trois campagnes. Par exemple, la première culture en
Céline Zambujo
Le couvert à durée indéterminée, plutôt que permanent ou semi-permanent, tend à se développer ces dernières années (ici de la luzerne).
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Quel programme pour quel couvert ? Depuis plusieurs années, Arvalis réalise des essais sur les programmes de désherbage adaptés aux couverts végétaux. Les résultats provisoires issus d’essais menés en 2014 et 2015 montrent que : >> Sur jeune couvert de trèfle blanc, afin de maximiser l’effet du désherbage de la culture et limiter l’impact sur le trèfle blanc, Arvalis recommande de démarrer le désherbage avec un glyphosate (1 l à 1,5 l/ha) puis des produits sélectifs et peu agressifs type Trooper (BASF Agro), Platform WG (De Sangosse) ou Nicanor (Makhteshim Agan). >> Sur couvert de luzerne, le glyphosate est nécessaire à l’implantation à 1,5 l/ha, puis Arvalis conseille des produits peu agressifs afin de favoriser le développement automnal du couvert (type Trooper). Au printemps, une régulation est recommandée avec des solutions types Platform WG ou Nicanor (5 à 10 g/ha) en fonction de la situation. Attention à la résistance également. >> Sur couvert de lotier corniculé, un glyphosate
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’Union Européenne veut que les agriculteurs diversifient leur culture et s’éloignent de la monoculture, favorisant ainsi le retour des couverts végétaux, qu’ils soient morts ou vivants. Toute la difficulté en production consiste à trouver le bon équilibre pour récupérer les atouts du couvert, notamment en terme de libération d’azote, sans pénaliser le potentiel de production de la culture en place. En fonction des conditions climatiques de l’année, l’agriculteur doit savoir veiller à ce que le stress hydrique n’entrainent pas de stress azoté. Il devra donc jongler entre le choix variétal du couple couvert végétal/culture, la date de semis de la culture pour qu’elle couvre précocement le sol, la régulation du couvert et sa date de destruction en cas de couvert mort, l’apport d’azote éventuel pour éviter toute carence durant la période de tallage…
à l’implantation du blé (1,5 l/ha) est conseillé, puis le recours à des herbicides sélectifs afin de favoriser le lotier (Trooper par ex.). Un complément en sortie d’hiver peut être utile avec Starane 200 (Dow AgroScience) par exemple (0,25 l/ha). >> Sur couvert de mélilot, un glyphosate est également recommandé à l’implantation du blé, mais à une dose abaissée (1 l/ha). Par la suite, des compléments peu agressifs sont possibles (Trooper, base DFF) de même qu’un complément en sortie d’hiver avec Platform WG, Nicanor 10 g ou Starane 200 par exemple (0,25 l/ha). >> Sur couvert de minette, à l’implantation du blé un recours au glyphosate est conseillé (1 l à 1,5 l/ha), avec là encore un complément d’automne avec des bases diflufénicanil (DFF), voire un complément sortie hiver. Attention, ces conclusions provisoires restent à valider car les deux hivers ont été relativement doux et les modalités présentent néanmoins des résultats variables sur des couverts d’un an ou jeune.
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REFLEXIONS
Fermes urbaines, de l’utopie à la réalité ? L’année 2016 devrait représenter une étape cruciale dans le développement des fermes urbaines en France. Cette notion, plutôt à la mode ces dernières années, masque néanmoins des réalités bien différentes, qui vont des jardins partagés jusqu’aux projets de fermes verticales. On peut distinguer malgré tout deux grandes orientations de ces projets : plutôt écologique, ou plutôt technologique.
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ans le premier cas, le projet le plus attendu de l’année est celui de La Marcotte à Gardanne dans les Bouches-du-Rhône. Le projet pilote devrait être lancé en mai 2016 au sein du lycée agricole de Valabre. Sur une surface totale de 500 m², La Marcotte devrait être d’abord un lieu de production de fruits et de légumes, de champignons, d’œufs ou de miel cultivés sur les principes de la permaculture et distribués en circuit court.
Mais ce n’est pas que cela puisque ce projet est défini par ses créateurs comme la « première «ferme urbaine» inspirée par la nature » et qui est censée fonctionner comme
Un aperçu de la Ferme urbaine lyonnaise (FUL).
un écosystème. Ils parlent d’ailleurs à son propos de « plateforme d’économie circulaire qui transforme des déchets en ressources » en recyclant les déchets, en dépolluant l’air, en traitant les eaux usées grâce aux plantes et en produisant toute l’énergie dont la ferme a besoin. Enfin, ce lieu doit être ouvert au public pour des formations et des initiations. Le projet de Gardanne est appelé à constituer un test grandeur nature avant d’essaimer ailleurs.
Une première ferme verticale en France La seconde orientation des fermes urbaines est plus technologique et concerne en particulier les fermes verticales, concept qui a été créé en 1999 par l’universitaire américain Dickson Despommier. Ces fermes recourent aux méthodes d’agriculture verticale en milieu urbain fondées sur une culture hors sol, des techniques d’hydroponie, d’aéroponie ou d’aquaponie et une énergie fournie par des lampes LED. La première ferme verticale a été inaugurée en 2012 à Singapour (Sky Green). Il en existe également au Japon ou aux Etats-Unis.
Image FUL
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Or, les fermes verticales arrivent en France avec un
premier projet, la Ferme urbaine lyonnaise (FUL), qui devrait être lancé à titre expérimental à Villeurbanne durant l’été 2016, avant une inauguration officielle prévue l’année prochaine. Une école d’ingénieur, l’Institut national des sciences appliquées (INSA) Lyon, devrait héberger le site pilote du projet sur le Campus LyonTech-la Doua à Villeurbanne. La FUL est une ferme maraîchère qui, à l’instar des autres fermes verticales, présente l’avantage de ne pas être très exigeante en espace (en se développant potentiellement en hauteur ou en sous-sol), et de ne pas dépendre de la lumière naturelle, du climat et des saisons. Elle devrait produire en premier lieu des salades (qui seront commercialisées avec leur racine, ce qui sera une première en France), avant d’envisager une production de légumes et de plantes pour l’agroalimentaire ou l’industrie pharmaceutique ou cosmétologique. Selon les porteurs du projet, ce mode de production est censé être plus efficient que celui de la production conventionnelle en produisant avec un rendement dix fois supérieur, tout en consommant 80 % de produits phytosanitaires en moins et dix fois moins d’eau. La FUL a obtenu en 2015 le label des pôles d’innovation Terralia et Vegepolys. Le projet est notamment soutenu par Bonduelle. En cas de succès, il pourrait s’étendre progressivement à d’autres cultures et à d’autres villes. Eddy Fougier
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