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La vigilance reste de mise à l’international

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Pause logistique

Pause logistique

Les nerfs des chargeurs clients du transport maritime conteneurisé ont été mis à rude épreuve ces deux dernières années. Les stop-and-go qui ont jalonné la pandémie ont totalement désorganisé le marché de la ligne régulière. Durant cette période, la volonté des compagnies maritimes de protéger leurs intérêts, par la maîtrise de leurs capacités que beaucoup qualifient d’ententes, a probablement maintenu son dysfonctionnement sur la durée. Connues, les conséquences ont été des augmentations records des taux de fret, une dégradation inédite de la qualité de service, une pénurie de conteneurs, la suppression de services et d’escales, et dans certains

PAR ÉRICK DEMANGEON

cas, des arbitrages des flux du maritime vers l’aérien.

Normalisation dans le maritime

À présent, l’horizon du transport maritime conteneurisé s’éclaircit. Début octobre, les relevés hebdomadaires d’Ovrsea, consolidant ses informations et celles de plusieurs sources, montrent que « les taux spots sont repassés sous celui des taux contractuels depuis la fin de l’été. Désormais, c’est au tour des prix contractuels d’amorcer une décrue », observe le commissionnaire digital. Xeneta, cabinet conseil spécialisé dans les transports internationaux, estime cette baisse à 1,1 % en septembre.

« Elle confirme la position de faiblesse actuelle des compagnies maritimes, obligées d’accep- ter des renégociations Ovrsea. Quant aux taux spots, ils continuent à dévisser. Lors de la première semaine d’octobre, ils ont encore perdu 10 % entre Shanghai et Rotterdam, référence entre l’Asie et l’Europe, autour de 5 440 $/ EVP, note l’analyste Drewry. Sur la même période, le repli a été de 19 % entre Shanghai et les ports méditerranéens (5 220 $/EVP environ). Les prix spots ont également reculé de 13 % sur le Transpacifique (3 283 $/EVP).

À l’exception des tarifs sur les routes transatlantiques, stables à des niveaux élevés en raison de quelques tensions portuaires sur la côte est des États-Unis, Drewry prévoit la poursuite de ces baisses sur les taux spots à un rythme accéléré, de l’ordre de 10 % par les routes est-ouest au départ de Shanghai, selon le Shanghai Container Freight Index. Ces replis semblent annoncer une normalisation des taux spots et contractuels sur le marché de la ligne régulière conteneurisée. Un chemin encore long, puisqu’« ils restent deux à trois fois plus élevés qu’il y a un an ou avant la pandémie », tempère Ovrsea.

Dues à un affaiblissement de la demande mondiale sur un marché où l’offre s’est maintenue, voire a augmenté avec l’arrivée de nouveaux navires, ces tendances s’accompagnent d’une amélioration de la qualité de service. La fiabilité horaire des porte-conteneurs a atteint 46,2 % en août, en progrès de 5,8 points en un mois, selon le consultant SeaIntelligence, qui estime désormais le retard moyen mondial à 5,86 jours dans la ligne régulière. La surcharge de travail et l’allongement des temps d’attente dans les ports du nord de l’Europe continentale, dus aux grèves dans les ports britanniques, appartiennent déjà au passé.

La fiabilité horaire des porte-conteneurs a atteint 46,2 % en août, en progrès de 5,8 points en un mois.

Le retard moyen est actuellement de 5,86 jours dans la ligne régulière conteneurisée.

L’aérien résiste

En revanche, l’heure n’est pas encore au repli tarifaire dans l’aérien. Les tarifs du fret par avion demeurent à des niveaux historiquement hauts, autour de 6 $/kg entre Shanghai et l’Europe du Nord, selon le Baltic Air Index. « Fait intéressant, relève Ovrsea, dans les airs aussi les tarifs spots depuis l’Asie sont repassés sous les taux à long terme, une première en deux ans. » À l’issue du premier semestre, l’Association du transport aérien international (IATA) confirme ce constat sous l’effet d’une demande en baisse de 4,3 % (+ 2,2 % par rapport à 2019) et d’une capacité en hausse de 4,5 % (+ 2,2 % avant Covid).

Au moins trois facteurs influencent les tendances du fret aérien explique IATA : « l’assouplissement des confinements en Chine, les commandes d’exportation en diminution en raison de niveau de stocks élevés et la guerre en Ukraine ». Ce conflit impacte les capacités fret du mode, car « plusieurs compagnies aériennes basées en Russie et en Ukraine étaient des acteurs importants ». Au regard de ces facteurs, IATA estime que la hausse de 2,2 % de la demande par rapport à la période d’avant Covid « est un bon résultat ». À fin août, les tarifs spots moyens s’élevaient à 3,61 U$/kg dans le fret aérien, selon Clive Data Services. Bien qu’à un point bas depuis septembre 2021, ils sont encore supérieurs de 4 % par rapport à fin 2021 et de 113 % par rapport à 2019. Le repli des taux de fret maritime, et surtout l’amélioration de la fiabilité pourraient conduire les chargeurs à réarbitrer leurs flux de l’aérien vers le maritime. Pour le moment, ce basculement n’est pas perceptible.

Bien qu’à un niveau le plus bas depuis septembre 2021, les tarifs spot dans le fret aérien sont encore supérieurs de 113 % par rapport à 2019.

Craintes d’aggravation

Ces évolutions observées dans le maritime conteneurisé et le fret aérien pourraient inciter les chargeurs à revenir à une gestion normale de leur logistique internationale. Ikea, par exemple, a annoncé qu’il cessait d’affréter des porteconteneurs et d’acheter des conteneurs pour sécuriser ses chaînes d’approvisionnement et éviter les ports congestionnés. Pour de nombreux experts toutefois, la prudence

Nouveaux concepts « friendshoring » et « FORO »

Après le nearshoring, les tensions géopolitiques et les sanctions commerciales sont à l’origine d’un nouveau concept appelé « friendshoring ». Il consiste à relocaliser son sourcing ou sa production dans un pays « ami », pour limiter son exposition à un marché ou un pays potentiellement « hostile ». Publié en juillet dernier, le livre blanc de DHL Express consacré aux nouveaux défis de la logistique a introduit un autre concept, né avec la crise sanitaire et amplifié par les événements géopolitiques et climatiques : le « fear of running out » (FORO). Il décrit l’évolution imprévisible et erratique de la demande et des comportements des consommateurs face à une crainte, le plus souvent irrationnelle, de manquer ou de ne plus trouver un produit. Pour DHL, ce FORO provoque de très fortes variations de la demande et lamine les systèmes de prévisions et de gestion des stocks actuels. Moutarde, huile de tournesol, papier toilette et carburants sont quelques exemples récents qui illustrent ce phénomène et affectent les chaînes d’approvisionnement en place.

demeure dans un environnement toujours incertain en raison des événements géopolitiques, dans l’est de l’Europe en particulier, et le risque de sursauts pandémiques sur fond d’inflation généralisée. Cet appel à la vigilance est confirmé par Qima. La société spécialisée dans le contrôle qualité et RSE des chaînes d’approvisionnement internationales a complété son baromètre du troisième trimestre 2022 par une enquête auprès de 400 chargeurs pour cerner l’évolution des supply chains mondiales. Pour 95 % des sondés, leur supply chain a été perturbée au premier semestre 2022. Les deux tiers s’attendent à ce que cette situation se poursuive, voire s’aggrave d’ici à la fin de l’année, voire l’an prochain. Les principales perturbations citées sont « des problèmes logistiques et portuaires, les arrêts d’usines en Chine dus à des confinements et l’augmentation du coût de leurs approvisionnements (matières premières, composants, logistique, transports, etc.) ». Les conséquences relevées sont

« des difficultés à respecter les plannings de production et d’expédition » ainsi qu’à « définir des prévisions fiables et à gérer les stocks ». Les chargeurs manquent en outre de visibilité sur la capacité de production de leurs fournisseurs et s’inquiètent des conséquences de ces perturbations sur la qualité de leurs produits.

Diversifications du sourcing

Pour atténuer ces impacts, le baromètre trimestriel et le sondage réalisés par Qima montrent que les chargeurs ont engagé deux stratégies : « diversifier leurs sources d’approvisionnement et, en premier lieu, renforcer les relations avec leurs fournisseurs existants ». La diversification des sources d’approvisionnement passe par un désengagement en Chine. « La part relative de la Chine dans les portefeuilles d’approvisionnement est à son plus bas niveau depuis trois ans », commente Qima. Ce mouvement est toutefois « partiel », puisque la Chine demeure leur principal marché d’approvisionnement.

Fret aérien : prévisions d’Airbus et de Boeing

En juillet, Airbus et Boeing ont réactualisé leurs prévisions sur le marché du fret aérien au cours des 20 prochaines années. Pour les deux constructeurs d’avions, la flotte actuelle sera remplacée entre 70 et 80 %. D’ici 2041, le nombre d’avions-cargos atteindrait environ 3 100 unités. Sur la période, la croissance moyenne annuelle du fret aérien s’élèverait à 3,2 % pour Airbus et à 4,1 % pour Boeing. L’e-commerce transfrontalier et l’express seront les moteurs de cette progression. Selon Airbus, l’express représentait 17 % du marché du fret aérien contre 83 % pour les marchandises diverses en 2019. Dopé par l’e-commerce, il s’approprierait un quart du marché d’ici 2041. Boeing confirme cette projection et estime que la diversification des chaînes d’approvisionnement, suite à la pandémie Covid, est susceptible d’accroître la demande dans le fret aérien. « La pandémie a mis en évidence la valeur de la vitesse et de la fiabilité de l’aérien en tant qu’outil de réduction des risques sur les chaînes d’approvisionnement », selon le constructeur américain.

proches voisins comme le Sri Lanka », constate le spécialiste des inspections et audits des supply chains.

Fait nouveau, l’Inde diversifie sa production dans les biens de consommation comme les jouets, les produits ménagers et électriques ou les meubles, en plus d’articles textiles et de mode. Quant au Vietnam, la saturation de son tissu industriel constaté l’an passé s’est accompagnée d’investissements. Ces derniers sont susceptibles de lui donner de nouvelles capacités dans les prochaines années. En Asie du Sud-Est, Qima souligne enfin la montée en puissance de l’Indonésie et de la Thaïlande comme lieux de sourcing des chaînes d’approvisionnement européennes et nord-américaines.

Dans les stratégies de remplacement ou « Chine+1 », le Vietnam et l’Inde gagnent en importance devant le Bangladesh, la Turquie, l’Amérique du Sud et l’Amérique latine.

« L’Inde continue d’absorber des quantités croissantes d’affaires détournées de la Chine. Ce pays sert aussi d’alternative à ses

Encore secondaire en termes de volumes d’achat, le poids des régions de nearshoring augmente aussi dans les supply chains. « Deux tiers des entreprises européennes déclarent acheter davantage chez eux et des régions proches telles que le Moyen-Orient et le bassin méditerranéen, Turquie en tête. 50 % des entreprises euro- péennes et 40 % des entreprises américaines citent le nearshoring parmi leurs stratégies d’approvisionnement pour 2023 et au-delà », rapporte Qima. L’Atlas 2022 sur l’évolution du commerce mondial et des logistiques internationales du groupe DHL croise ces analyses. Il estime que les échanges mondiaux devraient rester à des niveaux élevés malgré les événements géopolitiques, sanitaires et climatiques, portés notamment par l’e-commerce transfrontalier. La Chine resterait le pays à la plus forte croissance commerciale jusqu’en 2026, mais sa part dans la croissance mondiale diminuerait de moitié pour se situer à 13 %. De nouveaux pôles prendront le relais, selon DHL citant les pays d’Asie du Sud-Est, d’Asie du Sud et d’Afrique subsaharienne. « Le centre de gravité du commerce mondial est sur le point de se déplacer vers le sud », affirme le groupe de transport et de logistique. Cette évolution s’accompagnerait d’une transformation des biens échangés entre économies « avancées et émergentes » n

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