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b. L’idée de pratiques circulaires : cycle, expérimentation, pratique
Intégration du faire dans la formation d’architecte
Ce que revendiquent Frédérique Jonnard, Guillaume Colinmaire, Caroline Klein et bien d’autres, en tant qu’architectes, c’est ce droit à savoir faire, cette volonté d’apprendre pour mieux comprendre et pour mieux faire. Qu’en est-il de cette revendication au sein de l’enseignement supérieur, dans les écoles d’architecture qui forment les nouvelles générations d’architectes ? Certaines écoles possèdent des ateliers comme Rennes ou Paris La Villette. Cependant, en dehors du stage « ouvrier » de fin de première année, les rapports, que ce soit à l’artisan, à la matière ou aux processus concrets de fabrication restent moindres. Pour Olivier Marty de l’Atelier KO il faut aller chercher ce qu’il manque dans notre formation 51 , dans son rapport à la matière et aux savoir-faire. C’est ce que sont allés chercher les architectes précédemment mentionnés et leurs revendications ne sont pas solitaires.
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Lors de conférences organisées au Pavillon de l’Arsenal sur la question Et demain, on fait quoi ?, au cours de la 4ème rencontre sur l’environnement, résilience et réemploi, un extrait du texte du philosophe Philippe Simay 52 et de l’architecte Clara Simay est lu. C’est un texte engagé sur la volonté de créer une nouvelle formation pour les futures générations d’architectes. Ils écrivent Quand cessera-t-on d’enseigner les projets comme une création de l’esprit qui tient les matériaux à distance ? De dévaluer les métiers de la main qui participent à la production de nos lieux de vie ? Ou de réduire l’architecture à des produits et des « grands gestes » alors que c’est un processus collectif, créateur de valeurs sociales, culturelles et politiques ? Une autre pédagogie, centrée autour des arts du faire et des matériaux qui garantissent l’habitabilité de la terre, est à inventer 53 . Pourtant les écoles sont en éveil et les enseignements évoluent. Frédérique Jonnard a tenu deux cours au printemps au sein de l’ENSA de Paris La Villette sur la construction en terre, une première session théorique et une seconde de mise en pratique.
Au-delà d’un rapport plus hybride entre enseignement théorique et pratique de l’acte de bâtir, ce sont des enjeux environnementaux et sociétaux sur l’évolution du domaine de la construction qui accompagnent également les mutations d’enseignement. Que ce soit par de nouvelles réglementations telles que la Réglementation Environnementale 2020, en application à partir de janvier 2022, du fait de la rareté des matières premières, de la remise en question des constructions neuves en masse au profit de la réhabilitation du parc bâti existant. Les mouvements appellent à repenser la manière de construire et par conséquent celle de penser l’acte de bâtir.
Par ces couples réunies de théorie et pratique et de conception et fabrication se créent des pratiques circulaires, où l’un nourrit l’autre.
b. L’idée de pratiques circulaires : cycle, expérimentation, pratique, …
Temporalités entre conception et chantier : pratiques circulaires
Le chantier est une phase temporelle, que certains architectes cités dans ce mémoire et connaissances, qui le pratiquent, s’intéressent à une organisation temporelle plus « naturelle »54 de celui-ci. Nicolas Barthomeuf est un ami, il est titulaire d’un diplôme d’état en architecture et il suit actuellement une formation en alternance à l’Asder55 (Chambéry). Dans ce cadre, il est en stage avec Janderson Batista Costa, artisan OPEC56 créateur de Casa de Terra, c’est une entreprise labellisée RGE57 spécialisée dans les enduits terre, chanvre et paille en isolation extérieure et intérieure. Nicolas m’explique comment Janderson organise son temps de travail sur l’année, il l’étale sur huit mois, de mars à octobre. Les quatre mois sur l’hiver ne sont pas favorables par leurs conditions au travail en extérieur ni à la mise en œuvre de son activité.
51 Marty, O, Op.Cit. 52 Maître de conférence à l’ENSA Paris Belleville 53 Simay, Clara et Simay, Philippe, Une école du réemploi : pour un Green New Deal de la construction 54 Dans le sens où les saisons ont pu régir le chantier et certains architectes retournent à cette temporalité : l’hiver est moins propice, le chantier se concentre du printemps à l’automne 55 Association Savoyarde pour le Développement des Énergies Renouvelables, spécialisée dans la sobriété et l’efficacité énergétiques ainsi que le développement des énergies renouvelables. 56 Ouvrier Professionnel en Eco Construction 57 Reconnu Garant de l’Environnement, c’est une qualification qui permet aux clients employant un artisan-ouvrier RGE de bénéficier de réduction fiscale et aides pour les rénovations énergétiques
Frédérique Jonnard m’explique comment dans l’avenir, si elle pouvait concilier sa pratique de maîtrise d’œuvre et d’entrepreneur, elle aimerait composer en deux temps : l’hiver pour concevoir et le reste de l’année pour les chantiers. Cela peut paraître utopiste d’organiser sa pratique en plusieurs temps et demande d’avoir la clientèle adéquate et réceptive. L’exercice d’architecte semble dicté par une production incessante où il faut toujours prévoir les études à venir, les chantiers qui commencent, l’équilibre du prévisionnel à respecter afin d’avoir un bilan positif, les études retardées ou avortées, les divers aléas… Le temps ne semble pas être une variable maîtrisable mais plutôt une contrainte. Cependant, en reprendre possession pourrait-il s’envisager, du moins à une certaine échelle de pratique ?
En écho aux propos de Frédérique et de Nicolas, pour Caroline et Guillaume, ce temps qu’ils prennent aujourd’hui à apprendre les différentes techniques de mise en œuvre du bois ou encore la connaissance des filières locales de la matière et les caractéristiques des essences sont d’autant d’atouts pour la suite de leur structure. La structure ayant pour objectif de développer prochainement sa branche architecturale, Caroline m’explique que le fait de ‘faire’ influence (sa) manière de dessiner en tant qu’architecte58 . Aujourd’hui, son temps est séquencé de la manière suivant : 80 % dans la conception, la gestion de la clientèle et la gestion administrative dont elle s’occupe et à 20 % dans la fabrication.
Expérimenter : un outil variable de conception
Si l’on cite de nouveau le concept de Richard Sennett sur l’homo faber et l’animal laborans qui apprend en faisant, certains architectes apprennent, conçoivent et développent, par le biais de l’expérimentation. A travers un processus de recherche et développement. Yann Santerre explique comment il a recherché, tenté, échoué, retenté, afin de concevoir une matière à base de sédiments marins qu’il développe avec Gwilen. C’est en combinant ses connaissances techniques d’ingénieur avec sa pratique créative architecturale qu’il est arrivé à un procédé de solidification à froid, faible en énergie, qu’il a décliné cette matière en une gamme de produits et mobiliers.
Pour Cigüe, l’expérience acquise en tant qu’entrepreneur et architecte, le développement de leur société et après plusieurs projets, les a conduit vers une approche empirique par le faire. Ils ont mis en place une démarche conceptuelle59 au sein de leur atelier, sous formes d’expérimentations et de prototypage. Guillem Renard parle d’un aller-retour constant entre la théorie et la pratique (qui) a forgé peu à peu (leur) culture de la mise en œuvre60 . Le faire nourrit le penser, et vice et versa. Son associé, Alphonse Sarthout, explique, en évoquant Jean Prouvé et sa démarche de conception interactive avec celle de construction, la dimension temporelle, réduite du fait de rapprocher le concevoir du faire. Le but est de mettre en place un dialogue61 constructif du projet, dans le sens où la fabrication permet d’anticiper certains aspects. Il montre également comment en expérimentant et en se « ratant », on peut découvrir des possibilités matérielles qui viennent enrichir, parfois, le projet. Il explique que l’atelier de l’agence est ouvert à tous les collaborateurs afin qu’ils puissent s’y « confronter ». Pour eux (Cigüe) c’est de cette manière que l’atelier devient un producteur d’idées 62 . Guillem renchérit, dans son mémoire, en expliquant que c’est le rapport entre l’architecture et l’artisanat qui favorise la cohérence dans l’expérimentation 63 et cite également l’intérêt qu’a développé Jean Prouvé dans sa démarche hybride alliant théorie et pratique architecturales aux connaissances des compagnons. L’expérimentation, c’est aussi le droit à l’erreur, concevoir un prototype leur permet de rapidement se confronter aux erreurs de conception.
58 Klein Caroline, Op.Cit. 59 Renard, W., Op.Cit, p.43 60 Idem, p.10 61 Sarthout, Alphonse, op.cit 62 Ibid. 63 Renard, W., Op.Cit, p.43
Figure 6 connecteur en fonte de Zamac dans le cadre d’une installation pour le styliste Julien David, 2017, Paris © Cigüe
Figure 7 Palette de coloris et table, matière : sédiments marins © Gwilen