5 minute read

Les saveurs de la Vallée sacrée

Next Article
Hawaii, autrement

Hawaii, autrement

Dans les hauteurs des Andes péruviennes se niche un restaurant où des chefs étoilés relancent, encouragent et préservent les pratiques traditionnelles avec innovation.

Photos par Ben Sklar, texte par Claire Sibonney

On ne vient pas à Moray par hasard. Ben Sklar, photographe, a cheminé au gré de paysages bordés de montagnes enneigées et ponctués de villages quechuas. Le site isolé niché dans les Andes est à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest de Cuzco, à 3 500 mètres d’altitude. Sa quête au cœur de la Vallée sacrée? Les ruines séculaires de Moray, d’anciennes terrasses circulaires de pratiques agricoles, et Mil, une expérience culinaire qui fait le pont entre ce vestige de l’ingéniosité inca et les temps modernes.

Des herbes cueillies suspendues pour sécher.

Derrière Mil se cachent Virgilio Martínez et Pía León, les visionnaires culinaires créateurs du Central à Lima, en tête de liste des 50 meilleurs restaurants du monde en 2023. Il y a aussi Malena Martínez (la sœur de Virgilio), scientifique et directrice de Mater Iniciativa, l’organe de recherche du groupe de restaurants. Pour cette équipe, exposer les convives aux écosystèmes qui entourent Mil est tout aussi important que servir les huit plats du menu de dégustation. « Nous voulons que les gens s’imprègnent du monde des Andes. Ils doivent donc comprendre ce qui les entoure et cette culture entièrement liée à l’environnement », explique Malena.

L’architecture de Mil s’intègre parfaitement à son environnement.

Le plat de maïs de Mil, composé de piscoronto, de chullpi et de maïs blanc, accompagné de queso fresco. Mil’s Corn dish, featuring piscoronto, chullpi and white corn, along with queso fresco.

Les ruines séculaires de Moray.

Au centre de recherche de Mil, Mater Iniciativa (photo ci-dessus), Malena dirige des projets qui associent des savoir-faire ancestraux à des techniques visant à révolutionner la durabilité alimentaire, notamment en renouant avec d’anciennes méthodes de conservation. L’équipe trouve aussi de nouvelles utilisations pour le cacao, l’ingrédient clé du chocolat. Plutôt que d’utiliser seulement les graines, soit environ 15 % du fruit, elle s’ingénie à utiliser la membrane, le mucilage, la peau des graines et la cabosse entière.

Une sélection de feuilles et pétales sont utilisés dans les plats de Mil.

En outre, le projet Anccoto lancé au printemps se concentrera sur l’éducation et la nutrition des enfants du village de Maras. Mil travaille en collaboration avec les communautés voisines, appliquant l’ayni, le concept andin de réciprocité : la récolte est distribuée en parts égales pour approvisionner Mil et les personnes qui travaillent la terre. « Nous allons audelà du court terme vers un développement durable », souligne Malena.

La route vers Mil et les ruines de Moray, à 3 500 mètres au-dessus du niveau de la mer dans la région de la Vallée sacrée des Andes.

À l’instar du Central, Mil se concentre sur les ingrédients propres au Pérou et aux Andes, mais pousse le concept au sommet. Tout ce qui figure sur le menu de dégustation provient des montagnes, à une altitude minimale de 3 000 mètres. Même un ingrédient typique du niveau de la mer, comme le sel, est récolté à environ 3 200 mètres d’altitude dans les mines de sel de Maras, créées à l’époque précolombienne et toujours utilisées par les communautés de Maras et de Pichingoto.

Un artisan tisse avec des fils teints naturellement; un agriculteur récolte des plantes dans un lac près d’Urquillos.
Des plantes ramassées à la main sèchent à Mater.
Un agriculteur récolte des plantes dans un lac près d'Urquillos.
Le temple inca de Wiracocha.

L’expérience Mil Immersion invite les clients à visiter les terres agricoles, rechercher des plantes avec un expert local et découvrir le laboratoire de Mater avant de passer à table. Chaque plat illustre l’un des écosystèmes autour de Mil, et on compte parmi les ingrédients plusieurs variétés de maïs, de pommes de terre et d’autres tubercules.

Il existe plus de 4 000 types de pommes de terre au Pérou, mais, jusqu’à récemment, la plupart des gens n’en cuisinaient que deux. Lorsque Ben a photographié Mil, il en a goûté plusieurs, notamment dans le plat « Central Andes » (photo ci-dessus) avec son éventail de pommes de terre indigènes, de racines et de chaco (une argile comestible). La présentation l’a marqué. « Le mélange de violet, de vert et d’or crée un trio visuellement parfait, stimulant à tous points de vue », admet-il. « Prendre conscience que l’on mange un morceau d’histoire rehausse l’expérience gastronomique. »

This article is from: