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Voyager comme les Suisses

À quoi ressemble une destination vouée au développement durable? Nous parcourons la Suisse en train pour le découvrir.

Par Dominique Lamberton

De toutes les merveilles qu’elle nous fait découvrir ce matin lors d’une visite de Lucerne, en Suisse centrale, Doris Mumenthaler ne s’attend sans doute pas à ce qu’une pile de sacs à ordures bleus bien ordonnés retienne notre attention.

Cette guide pour Lucerne Tourisme nous a accompagnés de la gare jusqu’à la vieille ville, sur les rives de la Reuss, avant de nous faire traverser le célèbre pont de la Chapelle pour nous montrer la Fritschibrunnen, une fontaine publique où coule de l’eau potable en provenance du Pilate. On en trouve plus de 200 à Lucerne.

Pourtant, c’est l’impeccable rangée de sacs à ordures sur la place Hirschenplatz qui soulève les clameurs. Pour nous, Nord-Américains, la scène mérite qu’on s’y attarde. Doris nous explique que les Lucernois adhèrent au principe du pollueurpayeur : les gens mettent leurs déchets dans des sacs standardisés qu’ils placent proprement, une fois remplis, à l’endroit désigné au bord de la rue, où ils seront ramassés.

Cette gestion efficace des déchets n’est qu’un exemple des pratiques que la Suisse déploie en tant que chef de file en développement durable. Ses infrastructures de transport en commun — plus de 11 000 trains circulent chaque jour sur près de 3 000 km de chemins de fer — en sont un autre. Et bien sûr, il y a la nature. Environ un septième du territoire, où s’enchaînent sommets alpins et quelque 1 500 lacs, est protégé. Mais la Suisse ne se contente pas d’être parmi les pays les plus durables au monde : elle veut aussi faire figure d’excellence en tourisme durable.

En 2021, Suisse Tourisme a lancé une stratégie pour soutenir le virage durable en tourisme : Swisstainable. Avec l’adoption de politiques gouvernementales pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050 et la sensibilisation accrue des voyageurs aux enjeux environnementaux, le tourisme est appelé à jouer un rôle déterminant. « Nous coopérons avec toute l’industrie afin que les voyageurs puissent profiter des paysages en ayant un impact minimal », affirme Viviane Grobet, responsable du développement et des partenariats de l’organisme, qui supervise le programme.

Avec le label « Swisstainable », des hôtels, des restaurants et même des destinations entières s’engagent à prendre certaines mesures durables, comme obtenir une certification reconnue (telles que B Corp ou EarthCheck). Le programme compte déjà plus de 2 500 entreprises, et on souhaite franchir la barre des 4 000 d’ici la fin 2024. Il offre aussi des conseils aux visiteurs, par exemple, déguster des produits régionaux ou prolonger leur séjour pour réduire leur empreinte écologique.

À cette fin, le Swiss Travel Pass permet aux touristes internationaux de voyager en train, en autobus et en bateau de façon illimitée partout au pays, pendant 3, 4, 6, 8 ou 15 jours. Ma passe 8 jours en main, je me suis donné comme mission d’explorer la Suisse centrale en mode durable, en empruntant seulement le train (et quelques téléphériques).

LA FERME URBAINE À LUCERNE

Sur les conseils de Doris, je gravis les rues en direction des remparts de la Musegg, l’un des plus longs murs fortifiés au pays. Derrière, j’emprunte un sentier au détour duquel j’aperçois un cochon qui broute et une poule qui ne tarde pas de se sauver. J’y trouve aussi Kulturhof Hinter Musegg, une ferme de 2,4 hectares où l’on cultive la terre en milieu urbain depuis le Moyen Âge.

Si la ville en est propriétaire depuis 1945, c’est Pia et Walter Fassbind qui en sont les gardiens depuis 2000. Aujourd’hui, c’est la fondation Stiftung Kultur- und Lebensraum Musegg qui supervise les activités, dont une ferme biologique, un restaurant, une boutique et des programmes consacrés au développement durable.

Sur place, on cultive des herbes et des fruits. Pour le reste, le restaurant et la boutique s’approvisionnent aussi localement que possible, et l’équipe s’efforce de minimiser les déchets. « Tout ce qu’on ne peut pas vendre en boutique, on l’utilise en cuisine », déclare Janine Balmer, chargée des événements et communications. « Un surplus de carottes, par exemple, peut être mariné puis revendu ou servi au restaurant. »

Moi, je les savoure en salade avec une délicieuse pointe de quiche dans la cour du restaurant. Plus tard, lorsque je pars en quête des vaches Highland, je remarque la citation qui orne la remorque transformée en salle de classe : « Lorsqu’on rêve seul, ce n’est qu’un rêve. Lorsqu’on rêve à plusieurs, c’est le début de la réalité ».

La Grotte Fromage Gstaad

De Lucerne, je mets le cap vers Gstaad, un chic lieu de villégiature dans les Alpes. En chemin, les trains panoramiques spacieux me dévoilent des paysages typiquement suisses : une contrée vallonnée, de jolis villages, des chalets classiques et des lacs d’un bleu intense.

Malgré son prestige, Gstaad ne peut nier ses racines agricoles. La ville est d’ailleurs reconnue pour son fromage, produit dans les plus pures traditions alpines. Chaque printemps, on conduit le bétail vers les alpages pour paître. Puis, début septembre, les bêtes, parées de cloches et d’une coiffe florale, redescendent en défilant jusque dans les villages en guise de célébration.

Papilles activées, je pars sur la piste du fromage d’alpage de la région, le Hobelkäse, à la grotte à fromage Molkerei Gstaad, une coopérative de 66 fermes laitières fondée en 1931. En compagnie de René Ryser, son directeur général, je m’aventure dans un ancien réservoir d’eau accessible par des escaliers en bois.

Au son d’une musique chorale, nous entrons dans une pièce souterraine où la lueur des bougies révèle plus de 3 000 meules de fromage.

On peut voir cinq lacs alpins turquoise le long des 98 km du Luzern-Interlaken Express.

Au centre, la table est mise pour la dégustation. J’y vois notamment du Hobelkäse, vieilli deux ans ici même avant d’être tranché à la main et roulé en délicats cylindres. Son goût est riche, prononcé et fruité; il respire l’histoire. « La production fromagère dans la région a débuté en 1548 », explique René. « De nos jours, les 100 producteurs de ce fromage utilisent encore la même recette. »

Les Alpes Sans Voiture Zermatt

Quand j’arrive à Zermatt, un autobus électrique m’attend à l’extérieur de la gare pour m’amener à l’hôtel. La ville est célèbre pour sa vue sur le Cervin, un haut sommet à l’aspect pyramidal, et son absence de voiture. Depuis les années 1960, c’est un véritable paradis piétonnier.

Rien d’étonnant, puisque la région est accessible par train de montagne et par téléphérique, dont ceux de Matterhorn Zermatt Bergbahnen. Parmi eux, le Matterhorn Glacier Paradise transporte les aventuriers jusqu’au sommet du Petit Cervin, la plus haute station de montagne européenne à 3 883 mètres d’altitude.

Je m’y rends avec Claudia Wyss, directrice des ventes mondiales de Matterhorn Zermatt Bergbahnen. Originaire de Zermatt, elle est une habituée des téléphériques. En été, elle occupe ses journées en se rendant à la station Schwarzsee pour courir, alors qu’en hiver, elle pratique le ski de randonnée.

En survolant le spectacle époustouflant des pics enneigés, je comprends pourquoi Claudia tient tant à cet endroit où vous n’êtes pas aux portes, mais au cœur de la nature. « À Zermatt, on aime la nature et on veut la protéger », explique-t-elle. « C’est important que les gens voient ces merveilles naturelles, qu’ils tombent sous leur charme et qu’ils s’efforcent de les protéger aussi. »

L’EMPIRE VÉGÉTARIEN À ZURICH

Après quelques jours de fondue et de raclette dans les Alpes, j’arrive à Zurich. Ici, le végétarisme est à l’honneur chez Hiltl, qui détient un record Guinness à titre de plus vieux restaurant végétarien toujours en activité au monde. Ouvert en 1898, cet empire familial s’est développé et compte aujourd’hui neuf établissements.

Les plats de son menu à la carte et de son buffet changent selon les saisons, et plus de 80 % des ingrédients proviennent de fournisseurs situés dans un rayon de 50 km. Ce souci vise également les produits non alimentaires. « Nous essayons d’être aussi durables que possible, tant pour les housses de menu que pour les sacs à emporter », explique Sandra Schirmeier, responsable des produits et de la qualité.

Le restaurant principal, Haus Hiltl, s’anime à l’heure du lunch. Au buffet, les convives remplissent leur assiette de salades colorées et de currys. « La durabilité fait partie du quotidien en Suisse », ajoute-t-elle.

À la fin de l’été, les vaches descendent de leurs alpages pour les célébrations qui animent les villages alpins suisses.

Mon voyage s’achève, et je prends mon douzième train en huit jours pour me rendre à l’aéroport — un court trajet depuis la gare centrale. Alors que j’admire pour une dernière fois les vues qui défilent par la fenêtre, je me rends compte que la durabilité n’a rien d’un rêve en Suisse, c’est une réalité. Depuis toujours.

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