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VOLTE-FACE

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Tchernobyl: la vérité d’un mensonge

L’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en 1986, a révélé la difficulté de traitement médiatique des drames environnementaux. Face à la rétention d’information, les médias français ont participé à la diffusion du mensonge.

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Le 26 avril 1986, 1h23. Le réacteur 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine, explose. L’incendie mobilise les pompiers de la ville de Prypiat. Le drame n’est d’abord présenté que comme un simple accident par les autorités de la ville. Dans un contexte de guerre froide, le gouvernement soviétique tente de dissimuler l’explosion. Il faudra attendre que la Suède détecte une radioactivité anormale, le 28 avril, pour que l’URSS communique enfin sur le sujet. En France, la presse commence alors à parler de ce mystérieux événement. Le Fi‑ garo titre, en bas de la une: «URSS: accident grave dans une centrale nucléaire.» Sur Antenne 2, le présentateur Claude Sérillon parle lui aussi d’un «accident qui a fait des victimes ». Les médias se contentent du peu d’informations dont ils disposent, celles relayées par l’agence Tass de Moscou.

« Aucun dAnger sur le plAn sAnitAire » La ville de Kiev est fermée aux journalistes et aux diplomates. Les correspondants de l’AFP sont retenus à Moscou. Certains dénoncent ce manque d’information en accusant l’Union soviétique de mentir. Dans un édito publié le 2 mai 1986 dans Libération, on lit : « Le silence dans ce domaine [nucléaire, NDLR] fait autant de ravages que la vérité.» Le 8 mai, Le Monde publie un papier titré «Ombre et doute sur Tchernobyl». Le nuage radioactif est-il passé par la France? Dès le 29 avril, le Pr Pierre Pellerin, directeur du Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI), affirme au journal de 13 heures qu’on a enregistré en France «une radioactivité notable mais qui ne présente aucun danger sur le plan sanitaire». Les jours suivants, les médias reprennent les communiqués rassurants du SCPRI. Le bulletin météo du journal d’Antenne 2 cristallise ce mensonge. La présentatrice Brigitte Simonetta annonce que la France est protégée par l’anticyclone des Açores: «Il bloque toutes les perturbations venant de l’Est.» La carte présentée affiche un panneau «stop» aux abords de la frontière française. Ce bulletin fait naître la légende d’un nuage ne pouvant passer la douane. En 2019, interrogée par Libération, Brigitte Simonetta a reconnu son erreur : «C’était peut-être de l’incompétence, pas de la manipulation.» Le 10 mai 1986, invité au journal de TF1, le Pr Pellerin reconnaît le passage du nuage sur la France et révèle qu’une radioactivité anormale a été mesurée dès le 30 avril. Fin de la supercherie. Le 12 mai, Libération titre en une « Le mensonge nucléaire». Trente ans plus tard, les médias français expliquent leur erreur par le mensonge des pouvoirs publics, le poids du nucléaire et l’impossibilité d’aller sur le terrain. Dans son article «La catastrophe écologique de Tchernobyl: les régimes de fausseté de l’information », publié dans la revue Le Temps des médias en 2018, Noël Mamère, présentateur du journal de 13 heures d’Antenne 2 à l’époque, raconte à l’historienne Anne-Claude AmbroiseRendu: «J’ai pu vivre la pression du lobby nucléaire pour faire croire aux journalistes qu’il n’y avait pas de danger. […] J’étais révolté parce que je voyais bien qu’il y avait de la rétention d’information et de la manipulation.» La catastrophe de Tchernobyl a contribué à détériorer le lien de confiance entre les Français et leurs médias. Mais elle a aussi montré la nécessité de remettre en cause les discours officiels sur les sujets environnementaux. Et à ce titre l’importance des journalistes.

En 2021, les environs de Tchernobyl reste une zone d’exclusion sur 30 kilomètres.

Chloé PLISSON et Marielle POUPARD

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