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ALTERNATIVES

moins performant, commence doucement à compléter son offre. En témoignent les documentaires Green Warrior et Génération Brut. Adélaïde Genuyt, journaliste chez Spicee, une plateforme de streaming vidéo 100% journalistique, explique cette évolution: «L’environnement est une thématique qui intéresse de plus en plus le public.» Le streaming vidéo semble être devenu le nouveau terrain de jeu des journalistes engagés pour le climat. Avec une progression annuelle de 40% depuis 2010, selon le Centre national du cinéma (CNC), leur public ne cesse de grandir. De nouvelles plateformes spécialisées dans le contenu journalistique voient le jour:telles Brut X ou Spicee. À la clé, du contenu plaçant un peu plus la thématique environnementale au cœur de l’attention. « Avec le streaming, les codes et les attentes ne sont pas les mêmes que lorsqu’une chaîne de télévision passe commande auprès d’une société de production, précise Adélaïde Genuyt. Le streaming nous donne une liberté d’écriture et nous permet de faire ce qui nous plaît vraiment.»

> Le « soLar Low tech magazine » prend son temps > « spLann ! » L’investigation à La bretonne

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«Il faudrait essayer de construire des sites web beaucoup plus légers», explique Kris de Decker, fondateur du Solar Low Tech Magazine. Il a créé ce média en ligne qui utilise les low-technologies (faibles en énergie, utiles, accessibles et durables) en 2018. Des typographies au traitement des images, chaque élément du site est pensé pour être moins énergivore. Le collectif Green IT a observé que le poids des pages web a quadruplé en dix ans. Or, plus un site est lourd, plus il consomme d’énergie et abîme les machines. Kris de Decker, lui, a choisi de n’alimenter son site qu’avec de l’énergie solaire. Pas de soleil, pas de connexion possible. Un choix fort alors que les utilisateurs de la Toile se connectent aujourd’hui trois fois plus longtemps sur Internet qu’en 2009, selon l’association Ville internet. Pour autant, «un tel basculement dans le low-internet ne serait pas logique en ce moment pour les grands médias, avance Diana Liu, journaliste et auteure d’un article sur le sujet pour le MediaLab de Franceinfo. Il s’agirait plutôt d’utiliser ces concepts comme des outils éducatifs pour évoquer la question des enjeux écologiques du numérique». À l’heure de la 5G, le changement semble difficile à amorcer pour les lecteurs et les sites d’information. Kris de Decker ne perd pas espoir: «Sans aller aussi loin que nous, beaucoup de médias pourraient réduire leur consommation d’énergie sans changer de cap.»

«Derrière la carte postale, des sujets sensibles que les journalistes peinent à révéler.» Splann est la première ONG entièrement dédiée à l’investigation journalistique en Bretagne. Le projet a été dévoilé le 15 février par le biais d’une campagne de financement participatif. Son objectif ? Produire des enquêtes locales au long cours. Près de 30000 euros ont déjà été récoltés. «Une somme qui permettra de financer trois enquêtes en 2021 sur des thématiques liées à l’industrie agroalimentaire», explique Faustine Sternberg, membre du comité éditorial et chef d’édition d’un hebdomadaire en centre Bretagne. Les cinq journalistes qui composent cette rédaction d’un nouveau genre choisissent les sujets et asle poidS deS pAgeS web surent bénévolement leur producA été multiplié pAr quAtre tion. Un pari local en dix AnS d’AprèS qui a du sens. La Bretagne c’est la le ColleCtif green it première région laitière et productrice de viande de France et l’une des plus importantes régions agroalimentaires d’Europe. Chaque jour, elle fait face aux enjeux environnementaux liés à l’agriculture : besoin d’infrastructures, puissance de l’industrie agroalimentaire, gestion et pollution de l’eau etc. Dans une lettre ouverte à la région en mai 2020, 250 journalistes et collectifs de professionnels ont appelé à mettre fin aux pressions subies par les journalistes enquêtant sur l’agroalimentaire. Splann est une première réponse qui impressionne par son ambition Nejma BENTRAD, Camille GRANJARD, Clara JAEGER et Romane LHÉRIAU

Libre comme l’air

Hervé Kempf est l’actuel rédacteur en chef de Reporterre. Le journaliste indépendant raconte la planète depuis 1982, en suivant ses envies et sa curiosité.

L’écologie était presque un moyen pour moi de fuir les organisations politiques où étaient mes copains. » Étudiant à Science Po dans les années soixante-dix très politisées, Hervé Kempf se tourne déjà vers l’écologie. Cinquante ans plus tard, installé dans son bureau rue de l’Est, à Paris, siège de Reporterre, il se remémore son adolescence. Des lectures lui permettent de forger son esprit critique:le journal écologiste La Gueule ouverte, créé en 1972 par Pierre Fournier, ou les livres de Claude Aubert, pionnier de l’agriculture biologique. Aujourd’hui, à 64 ans, il ne se définit toujours pas comme militant. «Je suis journaliste jusqu’au bout des ongles.» Au début de sa carrière, Hervé Kempf s’éloigne cependant quelques années des préoccupations environnementales. Il travaille d’abord au mensuel d’informatique Sciences et vie Micro, en tant que journaliste spécialisé dans le domaine des sciences.

Un principe, l’indépendance évolUer avec son temps

En 1986, la catastrophe de Tchernobyl (voir p.10-11) ravive son intérêt pour l’environnement. « Lorsque quelque chose se passe, je me demande comment je peux agir sur le monde : en informant», explique-t-il. Nelly Terrier, une amie de longue date, rédactrice au Parisien, assure qu’il a été l’un des précurseurs du traitement journalistique de l’écologie. «Les médias qui en parlaient se comptaient sur les doigts d’une main», se souvient-il en évoquant Le Monde, l’AFP et Libération . Après un passage à Courrier international, Hervé Kempf rejoint Le Monde en 1998. Il y traite d’environnement. Son vieil ami Patrice Lanoy, journaliste scientifique au Figaro, le décrit comme le seul, à la fin du XXe siècle, qui a su écrire sur l’environnement pour un large public, sans pour autant raconter des histoires anecdotiques ou bucoliques: «Il affrontait déjà les gros morceaux de l’époque», du nucléaire aux différentes industries et pouvoirs publics. Si certains déplorent que les informations dédiées à l’environnement soient anxiogènes, Hervé Kempf l’assume: «Il ne faut pas occulter la réalité de la catastrophe climatique déjà amorcée. C’est l’enjeu politique planétaire essentiel de ce XXIe siècle. Les citoyennes et les citoyens doivent s’emparer de la thématique. Elle détermine leur avenir.» Pour lui, l’indépendance est un principe essentiel à l’exercice de son métier. En 2016, il refuse la légion d’honneur que lui propose Ségolène Royal, alors ministre de l’Environnement. Il informe, en volant de ses propres ailes, et refuse de travailler pour des médias s’il ne s’y sent pas libre. Il quitte Radio Alligator après un désaccord éditorial puis France Télévisions à cause de pressions financières, mais aussi le journal Le Monde, car il s’estime censuré sur le sujet de Notre-Dame-des-Landes. Avec ses économies, Hervé Kempf crée Reporterre. Un média qui a su trouver sa place dans la presse en ligne. Pour garantir sa liberté, le rédacteur en chef surveille la provenance et le montant des dons. Il en est fier: le «quotidien de l’écologie» est désormais financé à 98 % par ses lecteurs et compte plus de 1,3 million de visiteurs par mois. Avec ce projet, il n’a nullement cherché une quelconque reconnaissance. «Le pouvoir

« il ne fAut pAs occulter lA réAlité de ne m’intéresse pas. Je trouve ça même assez ennuyeux. » lA cAtAstrophe climAtique déjà Amorcée. c’est l’enjeu Plus encore, il s’en méfie, à en politique plAnétAire de ce XXIe siècle » croire Patrice Lanoy. En 1998, ce dernier est élu président de l’Association des journalistes scientifiques de la presse d’information. Hervé Kempf l’interroge alors, sceptique, sur ses motivations. «J’aime toujours autant mon métier.» Plus encore, Hervé Kempf aime transmettre les fruits de son travail. Il veut dialoguer avec les nouvelles générations. Ses yeux brillent en évoquant ses articles publiés dans des manuels scolaires. Radio Bambou, un podcast longtemps hébergé sur son site, parlait d’écologie aux enfants. Loin de se reposer sur ses lauriers, il s’entoure de jeunes journalistes. L’un d’eux lui a soufflé l’idée d’utiliser Paypal plutôt que les chèques pour financer les dons de Reporterre. Il faut savoir évoluer avec son temps. Hervé Kempf lui, le sait. Marion CHEVALET et Camille GRANJARD

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