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VOLTE-FACE

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ALTERNATIVES

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Gardiens de l’innovation

Depuis 1980, The Guardian est précurseur dans la couverture de l’urgence climatique.

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En 2020, le quotidien britannique The Guardian a publié près de trois mille articles sur la crise climatique, soit plus de sept par jour. De quoi faire pâlir les journaux français. Cette couverture conséquente est le résultat d’une série d’annonces faites par le quotidien en octobre 2019, dans le cadre de son Climate Pledge (Engagement pour le climat). Il s’inscrit dans une longue tradition du Guardian: c’est dès la fin des années quatre-vingt que le journal dédie une rubrique à l’environnement. Depuis, il s’est doté d’une équipe de journalistes spécialisés.

Le choc des mots, Le poids des photos Avec le Climate Pledge, il franchit une nouvelle étape, toute la rédaction se mobilise. «Les journalistes doivent désormais penser leurs sujets aussi sous le prisme de l’urgence climatique, qu’ils portent sur la politique, sur l’éducation ou sur l’économie», explique Matthew Taylor, journaliste au Guardian. Le journal a aussi revu toute sa couverture médiatique du sujet, à commencer par les termes employés pour parler d’urgenceclimatique. L’expression «changement climatique» a été gommée au profit d’«urgence» ou de «crise climatique». Pour coller à la réalité, «réchauffement climatique» a été remplacé par «surchauffe climatique». Plus marquant encore, on peut désormais lire «négationnistes de la crise climatique» et non plus «climatosceptiques». Le quotidien a également changé sa politique iconographique. Fini les clichés d’ours polaires esseulés sur la banquise pour illustrer l’urgence climatique. La cheffe du service photographie, Fiona Shields, les juge abstraites et éloignées des préoccupations du quotidien des lecteurs. En collaboration avec les agences de photo, The Guardian donne la priorité désormais aux images de femmes, d’hommes et d’enfants victimes du réchauffement. Alerter les citoyens sur l’urgence de la situation se fait jusque dans les prévisions météorologiques du journal. L’idée: comparer le niveau de CO2 dans l’atmosphère à celui des années précédentes, le même jour. Mais le groupe Guardian Media et le quotidien britannique vont encore plus loin en planifiant la réduction de leur empreinte carbone à zéro d’ici 2030. Un pari audacieux qui s’est doublé d’une annonce détonante, en janvier 2020: The Guardian refuse désormais toute publicité de sociétés pétrolières et gazières. C’est le premier média au monde à prendre une telle décision. Celle-ci découle directement d’engagements pris en 2015, au lancement de la campagne Keep it in the Ground (Laissez-les dans le sol).

La une du 12 juillet 2019 de l’hebdomadaire britannique The Guardian Weekly.

Un journal, des années d’avant-garde

Août 1819. Une manifestation éclate à Manchester. Elle est réprimée dans le sang. Le massacre, camouflé par le gouvernement, pousse John E. Taylor à fonder un quotidien indépendant, aux antipodes des journaux conservateurs de l’époque. Deux ans plus tard, le Manchester Guardian voit le jour. En 1872, Charles P. Scott rachète le journal. Il en marque l’ADN. Sa ligne éditoriale, de gauche et progressiste, le fera s’opposer, par exemple, aux conquêtes coloniales britanniques. Une position assumée qui manque de provoquer la banqueroute du média. En 1936, ses héritiers assurent définitivement l’autonomie financière et éditoriale du Guardian, grâce à une structure indépendante, le Scott Trust. Au tournant du XXIe siècle, le quotidien accueille la démocratisation d’Internet avec enthousiasme et entame sa transition numérique alors que l’univers de la presse écrite est en souffrance. En proposant tous ses articles en accès libre sur le Web, The Guardian choisit de capitaliser sur son lien avec les lecteurs. Son actuelle rédactrice en chef, Katharine Viner, peut aujourd’hui s’enorgueillir d’être à la tête d’un journal davantage financé par ses lecteurs que par les publicités.

désinvestir Les entreprises poLLuantes Le journal, avec l’organisation non gouvernementale 350.org, fait campagne pour pousser des universités, des associations caritatives et des fonds de pension à ne plus investir dans des compagnies pétrolières et gazières. Le groupe, lui, ira jusqu’à désinvestir 935 millions d’euros. Quant à la rédaction, elle réalise davantage d’enquêtes environnementales. Matthew Taylor a par exemple écrit sur des compagnies pétrolières, révélant en novembre 2018 qu’elles investissaient près de 153 milliards d’euros dans l’industrie du plastique. D’autres journalistes se sont lancés dans le journalisme de solution. Ils ont notamment consacré une série d’articles à l’énergie solaire. «Nous avons la responsabilité d’alerter les lecteurs sur l’ampleur de la crise climatique et de sa rapidité, explique Matthew Taylor. Il faut révéler l’hypocrisie des entreprises polluantes, tout en présentant les acteurs qui nous donnent de l’espoir.»

Grâce au « dithering », une méthode particulière de compression, les images présentes dans les articles du site « Solar Low Tech Magazine » sont moins lourdes et dix fois moins énergivores.

DES MÉDIAS NOUVEAUX ET ÉCOLOS

Pour parler d’environnement ou du climat, ces médias ont fait le pari de l’originalité. Les ressources énergétiques, les contenus, les productions et même les canaux de diffusion se diversifient progressivement.

L’environnement occupe aujourd’hui une place importante dans l’écosystème médiatique. Les sujets mais aussi les procédés de création éditoriale eux-mêmes sont réinventés. Partout dans le monde, des acteurs sont en première ligne pour innover : un média breton se lance dans l’investigation, un pure player lutte face à la surconsommation énergétique quand des créateurs changent de canal de diffusion. Voici trois nouvelles voies pour faire du journalisme en 2021.

> Le streaming quand on veut où on veut En France, le contenu offert par les plateformes de streaming vidéo, comme Netflix ou Prime Video, se renouvellent. Le genre documentaire occupe désormais une place importante dans les bouquets. On observe, entre autres, un nombre élevé de documentaires qui concernent des thématiques environnementales. Ils montrent des modes de vie plus vertueux pour la nature. C’est le cas de Plastic Ocean ou Cowspiracy sur Netflix par exemple. Prime Video, jusqu’à présent

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