La Feuille hors série. Spécial Assises du journnalisme. Septembre 2021

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La Feuille

Septembre 2021 − ­­ Assises du journalisme

Gardiens de l’innovation

Focus

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Depuis 1980, The Guardian est précurseur dans la couverture de l’urgence climatique.

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n 2020, le quotidien britannique The Guardian a publié près de trois mille articles sur la crise climatique, soit plus de sept par jour. De quoi faire pâlir les journaux français. Cette couverture conséquente est le résultat d’une série d’annonces faites par le quotidien en octobre 2019, dans le cadre de son Climate Pledge (Engagement pour le climat). Il s’inscrit dans une longue tradition du Guardian : c’est dès la fin des années quatre-vingt que le journal dédie une rubrique à l’environnement. Depuis, il s’est doté d’une équipe de journalistes spécialisés.

Le choc des mots, le poids des photos

Avec le Climate Pledge, il franchit une nouvelle étape, toute la rédaction se ­mobilise. « Les journalistes doivent désormais penser leurs sujets aussi sous le prisme de l’urgence climatique, qu’ils portent sur la politique, sur l’éducation ou sur l’économie », explique Matthew Taylor, journaliste au Guardian. Le journal a aussi revu toute sa couverture médiatique du sujet, à commencer par les termes employés pour parler d’urgence-

climatique. L’expression « changement climatique » a été gommée au profit d’« urgence » ou de « crise climatique ». Pour coller à la réalité, « réchauffement climatique » a été remplacé par « surchauffe climatique ». Plus marquant encore, on peut désormais lire « négationnistes de la crise climatique » et non plus « climatosceptiques ». Le quotidien a également changé sa politique iconographique. Fini La une du 12 juillet 2019 de l’hebdomadaire les clichés d’ours polaires esseu- britannique The Guardian Weekly. lés sur la banquise pour illustrer l’urgence climatique. La cheffe du service même jour. Mais le groupe Guardian photographie, Fiona Shields, les juge abs- Media et le quotidien britannique vont traites et éloignées des préoccupations du encore plus loin en planifiant la réducquotidien des lecteurs. En collaboration tion de leur empreinte carbone à zéro avec les agences de photo, The Guardian d’ici 2030. donne la priorité désormais aux images Un pari audacieux qui s’est doublé d’une de femmes, d’hommes et d’enfants vic- annonce détonante, en janvier 2020 : The times du réchauffement. Guardian refuse désormais toute publiAlerter les citoyens sur l’urgence de la cité de sociétés pétrolières et gazières. ­situation se fait jusque dans les prévi- C’est le premier média au monde à prendre sions météorologiques du journal. L’idée : une telle décision. Celle-ci ­découle direc­comparer le niveau de CO2 dans l’atmos- tement d’engagements pris en 2015, au phère à celui des années précédentes, le lancement de la campagne Keep it in the Ground (Laissez-les dans le sol).

Un journal, des années d’avant-garde

Photo : The Guardian - DR

A

oût 1819. Une manifestation éclate à Manchester. Elle est réprimée dans le sang. Le massacre, camouf lé par le gouvernement, pousse John E. Taylor à fonder un quotidien indépendant, aux antipodes des journaux conservateurs de l’époque. Deux ans plus tard, le Manchester Guardian voit le jour. En 1872, Charles P. Scott rachète le journal. Il en marque l’ADN. Sa ligne

éditoriale, de gauche et progressiste, le fera s’opposer, par exemple, aux conquêtes coloniales britanniques. Une position assumée qui manque de provoquer la banqueroute du média. En 1936, ses héritiers assurent définitivement l’autonomie financière et éditoriale du Guardian, grâce à une structure indépendante, le Scott Trust. Au tournant du XXIe siècle, le quotidien accueille la démocratisation d’Internet avec enthousiasme et entame sa transition numérique alors que l’univers de la presse écrite est en souffrance. En proposant tous ses articles en accès libre sur le Web, The Guardian choisit de capitaliser sur son lien avec les lecteurs. Son actuelle rédactrice en chef, Katharine Viner, peut aujourd’hui s’enorgueillir d’être à la tête d’un journal davantage financé par ses lecteurs que par les publicités.

désinvestir les entreprises polluantes

Le journal, avec l’organisation non gouvernementale 350.org, fait campagne pour pousser des universités, des associations caritatives et des fonds de pension à ne plus investir dans des compagnies ­pétrolières et gazières. Le groupe, lui, ira jusqu’à désinvestir 935 millions d’euros. Quant à la rédaction, elle réalise davantage d’enquêtes environnementales. Matthew Taylor a par exemple écrit sur des compagnies pétrolières, révélant en ­novembre 2018 qu’elles investissaient près de 153 milliards d’euros dans l’industrie du plastique. D’autres journalistes se sont lancés dans le journalisme de solution. Ils ont notamment consacré une série d’articles à l’énergie solaire. « Nous avons la responsabilité d’alerter les lecteurs sur l’ampleur de la crise climatique et de sa rapidité, explique Matthew Taylor. Il faut révéler l’hypocrisie des entreprises polluantes, tout en présentant les acteurs qui nous donnent de l’espoir. » Lisa MORISSEAU et Flavie MOTILA


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