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ENFUMAGE

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VOLTE-FACE

VOLTE-FACE

En Bretagne, l’«Amoco Cadiz» coule toujours

Le 16 mars 1978, à Ploudalmézeau, en Bretagne, le pétrolier « Amoco Cadiz » a provoqué la plus importante marée noire du XXe siècle en Europe. Quarante‑trois ans plus tard, les élus et les journalistes se souviennent.

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Est-ce que vous sentez l’odeur?» À Brest, dans la locale de Ouest‑France, Paul Burel ouvre la fenêtre: les vents bretons ont le parfum du pétrole. Le journaliste appelle la gendarmerie pour comprendre ce qui se passe. Un bateau se serait échoué au large de Portsall, à Ploudalmézeau, dans le Finistère. «En arrivant sur place, on ne soupçonnait pas l’ampleur de la catastrophe», confie Paul Burel, aujourd’hui retraité. Des oiseaux vivants, englués dans le mazout, traînés hors de l’eau. Des poissons morts, collés aux barques des pêcheurs. Des plages transformées en cimetière à bateaux. Des eaux noyées sous les hydrocarbures. Nous sommes le 16 mars 1978. Le supertanker Amoco Cadiz vient de s’échouer. Dans ses soutes, 220000 tonnes de pétrole brut. Jo Patinec, ancien premier adjoint au maire de Ploudalmézeau, appuyé sur sa canne et à l’abri du vent breton dans sa veste rembourrée, se remémore: «C’était une catastrophe. Des habitants pleuraient. Qu’est-ce qu’on allait devenir?» Pendant plusieurs mois, des marées de venin noir successives envahissent les côtes. L’épave de l’Amoco Cadiz gît. Sur le port, les bateaux de pêche restent coincés et les murs de pierre qui bordent la localité suintent le pétrole. «À l’époque, on ne savait pas comment traiter cet événement. C’était inédit», se rappelle Paul Burel. Des mois durant, les journalistes de Ouest‑France se relaient à Ploudalmézeau. La priorité est de donner la parole aux marins et aux habitants qui ont subi le naufrage de l’Amoco Cadiz. Pour Dominique Pennequin, membre de la rédaction du Marin en 1978, la situation est différente: «On était une petite équipe. Trois à Rennes, moi à Paris et beaucoup de correspondants.» La difficulté consiste à raconter une tragédie qui a eu lieu à des centaines de kilomètres de la capitale. Le naufrage du supertanker fait l’effet d’une déflagration, à la fois pour les Bretons et pour les médias. Venus de toute la

France, des envoyés spéciaux débarquent à Portsall, sans se soucier parfois du désastre humain qui s’y joue, fascinés par le spectacle des marées noires. Des témoins affirment que des rédacteurs parisiens n’ont pas hésité à ajouter des mouettes dans le mazout, le temps d’un cliché. «Il y a eu une recherche du spectaculaire chez certains, s’indigne Paul Burel dont la colère reste intacte. Le désastre se suffisait à luimême.» À Portsall comme à Ploudalmézeau, les habitants sont révoltés par la lecture de certains papiers sensationnalistes. À l’époque, l’actualité écologiste est encore souvent traitée maladroitement dans les journaux. Quatre décennies plus tard, les vagues de la mer d’Iroise s’écrasent toujours sur les roches de Portsall. «On n’y pense plus trop aujourd’hui », soupire Jo Patinec, le regard embué par les souvenirs. L’ancre de l’« Amoco Cadiz », sur le port de Portsall. Des articles qui témoignent de cette catastrophe sont pourtant encore collés aux vitrines des boutiques de souvenirs. L’ancre de l’Amoco Cadiz trône sur le bout du port, massive et rouillée. Les touristes se regroupent face à l’océan, à la recherche du fantôme du supertanker. Le navire, englouti en 1978 par une nuit de tempête, hante les eaux de Portsall. Invisible, mais toujours présent. Hugo BOUDSOCQ

Infographie : Lisa Peyronne/EPJT ‑ Hugo Boudsocq/EPJT

‑ Photos : Pixabay

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