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LA MÉTÉO A CHAUD

Les bulletins grondent

Fini les jolis sourires après les JT, place au sérieux lors du journal météo. Les chaînes d’information misent de plus en plus sur les prévisions pour sensibiliser à l’urgence climatique.

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Bonsoir, je m’appelle Louise Bourgoin, je m’occupe de la météo, autrement dit, je suis humoriste.» On se souvient tous de la miss météo de Canal+ qui, de 2006 à 2008, faisait de son bulletin un moment léger et décomplexé dans Le Grand Journal, l’émission alors présentée par Michel Denisot. Moment d’antenne adéquat pour faire rire avec une jeune femme séduisante et traiter du temps qu’il fait avec humour. Pari réussi pour la chaîne: cet instant météo, diffusé en clair, est devenu culte. Miser sur la pluie et le beau temps n’est pas anodin. Les bulletins météo de France 2 réunissent en moyenne 2,5 millions de téléspectateurs après le journal de 13 heures et 4,3 millions de fidèles après celui de 20 heures. Du côté de TF1, ils sont environ 7 millions de Français à être chaque soir devant leur téléviseur. Isabelle Mevel, professeure de français, vit en Normandie, sur les côtes de la Manche, avec son mari et ses deux enfants. Jamais elle ne loupe la météo. «J’ai besoin de savoir le temps qu’il va faire. J’aime bien préparer ma tenue le soir pour le lendemain.» L’été, elle organise ses journées de manière à pouvoir aller à la plage s’il fait beau. Les prévisions météo sont devenues incontournables pour elle et rassemblent toutes les générations de la famille. En 2014, le vent tourne. Évelyne Dhéliat présente une météo catastrophe du futur. En s’appuyant sur des analyses scientifiques, elle alerte les téléspectateurs sur les probables conséquences du réchauffement climatique pour l’été 2050. «Alors, me direz-vous, tout ceci n’est que fiction. Eh bien non, ne croyez pas que ce bulletin soit sorti de mon imagination», met en garde la présentatrice. Personne ne se doute à l’époque

qu’un tel scénario pourrait être observé trente ans avant la date fatidique. Coup de tonnerre le 23 juillet 2019. Les températures astronomiques présentées dans la carte fictive sont atteintes. Il n’est alors plus seulement question d’un moment familial. La météo devient désormais un outil pédagogique pour sensibiliser aux problèmes de l’environnement. Guy Prigent enseigne l’histoire-géographie au collège JeanMonnet à Ouistreham (Calvados). Le quinquagénaire témoigne : «Quand j’étais jeune, les bulletins météos étaient plus rapides. II n’y avait pas la météo des plages ni la météo des neiges. Et encore moins des explications sur les anticyclones.» Simple manière d’occuper l’antenne ou réelle ambition pédagogique? Évoquer les catastrophes naturelles à l’étranger et expliquer la formation des intempéries semblent des moyens de prendre de la hauteur sur le sujet. De quoi concurrencer les chaînes dédiées aux prévisions météo comme la Chaîne Météo. Depuis 2016, Chloé Nabédian, autrice du livre La météo devient-elle folle?, présente la météo sur France 2. Elle anime aussi le magazine «Zéro émission» sur France Info. Dans un entretien accordé au quotidien La Nouvelle République, en octobre 2019, elle raconte l’importance qu’a pris le sujet dans le groupe France Télévisions : «En janvier 2017, nous avons lancé la première version du journal de la météo et au bout de seulement quelques mois, les audiences ont explosé. Tout le monde dans le service fait de l’info météo maintenant.» Même les chaînes pour enfants se prêtent au jeu. De 2008 à 2013, «La Météo de Gulli», programme pour enfants d’environ trois minutes, met en scène Toobo, un singe bonobo. Il présente les prévisions météo à la suite d’une courte introduction au sujet d’un thème écologique. Attention cependant à ne pas confondre climat 1922 L’émetteur de la tour et météo. Chloé NabéEiffel diffuse les premiers dian explique la nécesbulletins radiodiffusés de sité de rester objectif et prévisions météorologiques de ne pas présager à l’intention des Français. l’apocalypse à chaque 1946 Le 17 décembre, le intempérie. Les chaînes premier bulletin météo est d’information doivent, retransmise en direct par selon elle, miser sur la Paul Douchy, un prévision- pédagogie plutôt que niste à la Météorologie miser sur l’alarmisme. nationale. Après tout, il paraît que 1958 Les informations sur la misère serait moins la pluie et le beau temps pénible au soleil. deviennent un rendez-vous Carla BUCERO-LANZI et Irène PRIGENT

télévisuel quotidien et non plus seulement hebdomadaire. 1995 La Chaîne Météo, entièrement dédiée aux informations météo, est créée. Elle est diffusée en continu sur Canal Free. 2008 Les téléspectateurs de TF1 ou de France Télévisions bénéficient désormais des prévisions météo sur sept jours.

En 2014, Évelyne Dhéliat présentait une météo fictive afin d’alerter sur l’urgence climatique. LA PLUIE ET LE BEAU TEMPS EN QUELQUES DATES 2014 TF1 participe à une campagne de prévention sur le réchauffement climatique portée par la présentatrice Évelyne Dhéliat. Elle déroule, devant 7 millions de téléspectateurs, un bulletin fictif alarmiste daté du 18 août 2050. 2019 Chloé Nabédian, présentatrice météo à France Télévisions, sort un livre intitulé La météo devient-elle folle ?

Éducation au climat

De plus en plus de journalistes se forment aux questions climatiques. En 2017, l’ESJ a décidé de créer une formation dédiée à ces thématiques.

Le parcours Climat et Médias se déroule exclusivement à distance.

Depuis quatre ans, l’École supérieure de journalisme de Lille (ESJ) et l’université Paris-Saclay proposent un master 2 Climat et médias, en formation à distance, sur les questions relatives à l’environnement. L’objectif est de former des étudiants ou des journalistes déjà en poste à une meilleure compréhension des enjeux climatiques, grâce à une série de neuf modules coproduits par des journalistes spécialisés et des scientifiques. La formation donne des repères pour rendre accessible les savoirs scientifiques et se faire le relais de ces thématiques. À terme, l’idée est de mieux intégrer les enjeux climatiques et environnementaux au sein des sujets proposés au public. «Aujourd’hui, le climat est réservé aux pages Sciences, aux grands événements comme les rapports du Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat] ou aux catastrophes naturelles», commente Bruno Lansard, enseignant chercheur à l’université de Paris-Saclay.

ne pLus dire n’importe quoi Pour certains de ces journalistes formés dans le cadre du parcours Climat et médias, l’envie de se spécialiser est directement liée à l’ampleur de la crise climatique. «Je n’avais pas le sentiment, durant mon cursus, d’avoir été formé sur ces questions qui sont pourtant centrales puisque c’est une perturbation immense de tous les pans de notre société», confie Alexandre Reza Kobaki, membre de la deuxième promotion du master. Elle est, par ailleurs, journaliste pour Reporterre, site français d’actualité lancé en 2007 qui traite principalement de problématiques environnementales et sociales. «Il nous faut un bagage scientifique car nous ne pouvons pas nous permettre de dire n’importe quoi», reconnaît Mathilde Gardin, reporter au Point. C’est parce qu’elle avait envie de traiter ces thèmes en profondeur qu’elle a choisi de suivre cette formation en 2020. «Il s’agit maintenant d’essayer de trouver des sujets qui vont au-delà du simple compte rendu d’un rapport. Plus on connaît une thématique, plus on est en capacité d’en varier les angles de traitement.»

une demande croissante des Lecteurs Pour les lecteurs, un besoin d’information de qualité sur les questions climatiques se fait progressivement sentir. Or, ce qui manque le plus aux rédactions actuellement, ce sont de véritables connaissances scientifiques. L’initiative de l’ESJ pourrait, à terme, amener d’autres écoles à proposer le même type de formation. Elle pourrait également encourager les rédactions à recruter davantage de journalistes spécialisés sur le sujet du climat. «Même si vous ne verrez pas d’offres d’emploi sur les questions climatiques, c’est un facteur qui permet d’augmenter l’employabilité des journalistes», explique Olivier Aballain, référent du master Climat et Médias. Désormais, la balle est dans le camp des autres écoles.

Julia PELLEGRINI

Journaliste et scientifique

Pour traiter d’enjeux tels que l’urgence climatique, plusieurs écoles proposent de se former au journalisme scientifique.

n Le master 2 de L’esJ Depuis 1993, l’École supérieure de journalisme de Lille délivre un master 2 de journalisme scientifique. En partenariat avec l’université de Lille, le cursus est principalement destiné à des profils scientifiques qui désirent travailler dansles médias. Au programme : enseignements techniques et professionnels, vulgarisation des sciences et stages. L’entrée est conditionnée par l’évaluation d’un dossier puis par un oral d’admission.

Adresse: 50, rue Gauthier-de-Châtillon, 59046 Lille.

n L’option de L’ipJ en master 2 L’Institut pratique du journalisme de l’université Paris-Dauphine dispense une option Journalisme sciences, santé et environnement en deuxième année de master. D’une durée totale de trente heures dans l’année, le module familiarise les étudiants à l’information scientifique et à sa vérification. Les cours évoluent chaque année avec des axes d’études tels que le développement durable ou la crise sanitaire. S’il n’y a pas de prérequis pour suivre ce cours, l’école, reconnue par la profession, s’intègre sur concours.

Parler science ne s’improvise pas. Les étudiants en sont bien conscients.

Adresse: 24, rue Saint-Georges, 75009 Paris.

n Le master pubLic de paris-diderot Le master Audiovisuel, journalisme et communication scientifiques de l’université Paris-Diderot s’adresse d’abord à des étudiants ayant déjà suivi une formation scientifique. Le cursus forme aux métiers de la diffusion des sciences et des techniques. Des cours pratiques de journalisme et des cours théoriques sur les rapports entre médias et sciences sont dispensés aux étudiants. La seconde année se poursuit en alternance. Le recrutement se fait après l’examen d’un dossier de candidature puis la réussite aux épreuves de sélection.

Adresse: 85, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris. Héloïse WEISZ

L’avenir en questions

Quand le journaliste environnement Martin Boudot rencontre une étudiante en journalisme, militantisme, sciences et légitimité sont au cœur de la discussion.

Romane Lhériau est étudiante en journalisme à l’École publique de journalisme de Tours (EPJT). En mars 2021, elle a conversé en visioconférence avec Martin Boudot, journaliste environnement, pour parler de son métier. Ils ont exposé leurs craintes, leurs expériences et leur vision du journalisme. Quarante-cinq minutes d’une rencontre franche et souriante.

Romane Lhériau. Bonjour Martin. Je suis contente de pouvoir échanger avec toi car je trouve ton travail très inspirant. La notion de journalisme environnement est assez nébuleuse et sujette à des confusions. Je suis curieuse de connaître ton point de vue. Tout d’abord, je me demandais : comment est-ce que tu as développé cette conscience écologique? Martin Boudot. Je crois que c’est né quand j’avais 7 ans avec le dessin animé Capitaine planète [rires]. Je me souviens aussi des images du Paris-Dakar avec ces voitures et ces gros nuages noirs de gaz d’échappement, bien polluants, qui m’ont particulièrement marqué. Cette conscience s’est ensuite concrétisée avec mon engagement chez Greenpeace et avec une chronique que j’animais sur une radio bénévole. R. L. Quand on visionne tes documentaires, on retrouve de nombreux termes scientifiques… Comment as-tu réussi à avoir suffisamment de connaissances pour parler d’environnement? M. B. J’ai eu la chance de rencontrer des scientifiques très bons vulgarisateurs qui m’ont donné des conseils pour comprendre le jargon. Le meilleur moyen pour apprendre est de s’entraîner à comprendre des publications scientifiques. Ce sont des choses que j’ai aussi beaucoup apprises sur le terrain. R. L. Je n’ai pas de formation scientifique particulière et il me semble que toi non plus, à part un bac S… Je me demande souvent si je suis assez légitime pour parler d’environnement. Penses-tu que n’importe quel journaliste a les capacités et la légitimité pour traiter des questions environnementales? M. B. C’est sur le terrain que tout se passe. Le journalisme environnemental recoupe des sujets de société, d’économie, de politique. La clé du journalisme environnemental, c’est la rigueur. D’ailleurs, selon moi, la spécialisation à tout prix n’est pas le meilleur choix. Au Monde, par exemple, les journalistes changent de pôle au bout d’un moment car ils deviennent trop proches de leur sujet. Cela peut créer des connivences avec les sources et se révéler contreproductif. C’est ce qui se passe avec le journalisme politique. Je suis pour que chacun ait une préférence. Mais il ne faut pas se couper du reste de l’actualité car c’est tout aussi important. R. L. En revanche, comment fais-tu la distinction entre ton métier et celui de journaliste scientifique? M. B. Je ne suis pas journaliste scientifique mais je revendique un journalisme d’investigation qui s’intéresse à l’environnement, en partenariat avec des scientifiques. J’essaye de garder ce rôle qui est assez unique. Je vais sur le terrain faire des prélèvements qui sont ensuite donnés aux scientifiques puis analysés par eux. Je cherche à comprendre l’interprétation des résultats. Finalement, je suis le médiateur entre les militants et les scientifiques. R. L. Je souhaite devenir journaliste depuis longtemps mais, parallèlement, je milite au sein de plusieurs associations environnementales… Peux-tu m’expliquer ce fossé qui sépare le journalisme dit militant et le journalisme engagé ? M. B. Je suis engagé à faire des travaux qui ont un certain intérêt public. En revanche, ce sera aux citoyens de s’emparer des résultats. Je ne vais pas organiser de manifestations par exemple. C’est aussi par cette rigueur journalistique qui oblige à aller voir des deux côtés que l’on s’éloigne du militantisme. La difficulté, c’est que le journalisme environnemental est très clivant et bien trop pétri d’opinions. R. L. Comment arrives-tu à concilier ton engagement sur les questions environnementales et ta conscience écologiste avec des pratiques journalistiques qui ne le sont pas forcément? Personnellement, je ne suis pas à l’aise avec l’idée de me déplacer en avion. M. B. Pour les derniers épisodes de Vert de rage, [diffusés à la rentrée sur France 5], nous avons limité notre terrain à l’Europe. Nous nous déplacions donc plutôt en train. Mais la question continue de me préoccuper. Par exemple, je me demande toujours si un aller-retour en avion au Niger pour révéler les dangers de l’exploitation d’uranium vaut le coup. Est-ce que la balance penche d’un côté plus que d’un autre? On estime que notre contribution à l’environnement, c’est aussi de documenter des pollutions, quitte à parfois devoir augmenter notre impact carbone.

MARTIN BOUDOT

Après une formation à l’EPJT, il s’est spécialisé dans les questions environnementales. Son travail chez «Cash Investigation», sur France 2, mais aussi la série documentaire Vert de rage, diffusée sur France 5, ont marqué les esprits. En 2020, il publie un livre intitulé Toxic Bayer (Plon).

Reccueilli par Romane LHÉRIAU et Nejma BENTRAD

ROMANE LHÉRIAU

Journaliste en formation à l’EPJT, elle a 23 ans et souhaite se spécialiser dans les questions environnementales. Elle aimerait exercer en tant que journaliste d’investigation dans la presse locale.

En mars, les étudiants de Polytech Tours réalisent La Fresque du climat proposée par l’association éponyme. Le 16 septembre, c’est toute l’Université de Tours qui se lance dans l’aventure pour sensibiliser l’ensemble de la communauté universitaire.

Après avoir reconstitué la fresque, les participants la décorent pour mieux se l’approprier.

Le climat est fresque

Par l’intermédiaire d’ateliers pédagogiques, l’association La Fresque du climat forme aux enjeux environnementaux. Elle s’adresse à tous, journalistes compris.

Des crayons, une gomme, un jeu de cartes, 2 mètres carrés de papier et du scotch, tout est en place pour réaliser l’assemblage de la fresque. Vendredi 26 mars 2021, La Fresque du climat fait son animation au sein de l’école polytechnique de Tours (Indre-et-Loire). Des ateliers ouverts aux étudiants, aux collégiens, aux entreprises mais aussi aux journalistes. Installés autour d’une table, les élèves de l’école d’ingénierie activent leurs méninges pour replacer, dans le bon ordre, les 42 cartes du jeu. Dans un atelier ludique, 6 à 8 participants doivent identifier les causes et les conséquences du changement climatique. «Notre génération s’est déjà initiée au climat avec YouTube notamment. Mais c’est bien d’avoir des connaissances supplémentaires», assure Noé, étudiant de l’école. Le jeu de cartes, créé par l’ingénieur Cédric Ringenbach, se base sur les données du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). À chaque nouveau rapport de l’organisation, la fresque est mise à jour. Au fil des ans, les cartes vont attirer de plus en plus de particuliers et d’entreprises. C’est pour répondre à cette demande qu’en 2018 est créée l’association La Fresque du climat. Cette dernière fonctionne grâce à l’organisation des ateliers. Il faut en effet compter entre 10 et 36 euros par personne pour les trois heures d’atelier. Pendant une heure et demie, les animateurs, formés sur le tas, encadrent les joueurs dans la construction de la fresque. Les participants la lisent ensuite entièrement et la décorent pour s’en imprégner en l’observant dans sa globalité. Sur les fresques des élèves polytechniciens, on peut voir des dessins d’abeilles, des flammes, de la fonte des glaces et des messages : «Is there any hope?» [Y a-t-il un espoir ?], mélange de peur et d’optimisme. La dernière étape de l’atelier est consacrée au débriefing. Chaque participant écrit sur un post-it des solutions, à l’échelle individuelle ou collective, pour réduire l’empreinte de l’homme sur l’environnement. L’objectif est de «diffuser La Fresque du climat pour sensibiliser un maximum de personnes au changement climatique», si on en croit Victoria Morin, responsable communication de l’association. «Le but ultime est de mettre tout le monde en action», ajoute-t-elle. Mais le plus important pour Aline Dequidt, animatrice bénévole, «c’est de laisser réfléchir les participants eux-mêmes, comme ça ils retiennent mieux». Retenir et réexploiter ces savoirs, c’est ce que souhaite également l’association. Lors du debrief, les animateurs posent toujours une question aux participants: «Comment intégrer ces savoirs nouvellement acquis dans la pratique de votre métier?» Une interrogation qui fait doublement échos pour les journalistes. Ainsi, ils peuvent à la fois imaginer comment réduire leur empreinte carbone dans l’exercice de leur métier tout en cherchant à mieux informer le public. « Mieux arMée pour traiter des enjeux cliMatiques » Titouan, élève en ingénierie mécanique et participant à la fresque, est quant à lui assez critique: «Les journalistes sont mal formés, estime-t-il. Ils boivent les paroles des experts et les retransmettent sans plus les développer.» Ce n’est pourtant pas le cas de tous. Sophie Rolland est journaliste et réalisatrice à la télévision. Elle a participé à plusieurs ateliers afin de mieux s’informer. «On m’a recommandé de venir participer à la fresque et, grâce à elle, je me sens, non pas plus légitime, mais beaucoup mieux armée pour traiter des enjeux climatiques. » Tout sauf fataliste, Sophie Rolland préfère les solutions au défaitisme. La journaliste est même devenue animatrice pour l’association. « Cette méthode devrait être obligatoire dans toutes les rédactions », conclut-elle. Aujourd’hui, si quelques professionnels de l’information ont déjà participé à cet atelier, peu en revanche ont fait la démarche de contacter La Fresque directement. C’est l’association qui vient à eux. En précurseur, le journal Ouest-France prévoyait de développer un partenariat avec La Fresque du climat dès avril 2021. Mais, à ce jour, aucune rédaction n’a encore exprimé le souhait de participer à un tel atelier. Manon MODICOM

C’est parti. Le 9 mars 2021, Mickaël Correia annonce sur Twitter son entrée au pôle écologie de Mediapart. Au milieu des félicitations laissées par les internautes, un message se fait moins enthousiaste : « On pourra toujours parler foot ? » Réponse du journaliste: «Oui, bien sûr, ce n’est pas incompatible!» Vraiment? Football et écologie. Le mariage ne saute pas aux yeux. Pour nous convaincre, qui de mieux que Mickaël Correia, auteur d’Une histoire populaire du football (La Découverte, 2018)? Arrivé lundi 15 mars sur son nouveau lieu de travail, il est déjà sur le pont après six jours intenses et la sortie de ses premiers articles. Covid oblige, notre rencontre a lieu sur WhatsApp. Nous découvrons un visage mangé par une barbe brune. Si ses traits tirés laissent paraître une certaine fatigue, ses yeux témoignent d’un vif intérêt. Comment s’est passée cette rentrée ? «C’était bourrin», répondil d’une voix ferme, entre deux bouffées de cigarette électronique. Le décor est planté.

De la manif au journalisme À 38 ans, Mickaël Correia découvre le quotidien d’une rédaction, lui qui préférait jusquelà piger. Mais le traitement des sujets environnementaux, il connaît. L’écologie est, chez lui, une fibre cultivée depuis l’enfance. À 8 ans, alors qu’il est en vacances au Portugal d’où sa famille est originaire, un événement le marque. «Il y a eu un énorme incendie de forêt à cause de la monoculture de l’eucalyptus. Un désastre écologique, avec une montagne entière qui brûle devant mes yeux, une pluie de cendres, tous ces gens traumatisés et évacués…», se remémoretil. La cause environnementale chevillée au corps, Mickaël Correia se lance dans une formation d’écologue lors de ses années universitaires à Rennes. Ses convictions prennent de l’ampleur, au même titre que son engagement social. En 2006, les étudiants s’organisent dans un mouvement contre le contrat première embauche (CPE). L’occasion, pour lui, de prendre la plume pour la première fois: «J’ai commencé à écrire pour la presse indépendante, à CQFD, un journal de critique sociale. C’est là que j’ai découvert le journalisme, en voyant ça comme une pratique militante.» Cette expérience lui ouvre les portes de Transrural Initiatives,

Mickaël Correia a eu longtemps un pied dans le journalisme expérimental, un autre dans la pige. Il est aujourd’hui journaliste à Mediapart

Mickaël Correia Un atypique au centre du jeu

Sensibilisé à l’écologie dès son plus jeune âge, Mickaël Correia s’est fait connaître par un livre sur le football. Retour sur un parcourshors cadre.

revue d’informations sur le monde paysan. Pendant trois ans et demi, Mickaël Correia allie journalisme et écologie, puis il quitte le titre. «C’est là que je suis devenu indépendant, avec un pied dans le journalisme expérimental et l’autre dans la pige.»

Football sur terrain vert Entre des collaborations au Canard enchaîné, à L’Humanité ou au Monde Diplomatique pour les pages Environnement, il crée une revue de critique sociale : Jef Klak. Écologie et social, le combo gagnant. Jade Lindgaard, journaliste climat chez Mediapart, précise: «On voulait quelqu’un avec des connaissances climatiques, tout en ayant cette curiosité intellectuelle qui ne fait pas oublier la dimension sociale de l’écologie.» Et le foot dans tout ça, une passion? Plutôt une prise de conscience venue sur le tard, lors d’un reportage en Turquie réalisé pour CQFD. «J’étais à Istanbul pour suivre le mouvement social de la place Taksim. Une fois làbas, j’ai été très surpris par le rôle qu’occupait les supporters de football dans les manifestations», explique Mickaël Correia. Ainsi est née son livre sur le football. Et l’envie d’y mêler l’écologie. «Pour moi, football et environnement sont deux sujets de luttes, une intersection des combats. On l’a vu avec le féminisme et le mouvement Black Lives Matter.» Avec les enjeux climatiques et sociaux liés à la Coupe du monde 2022 au Qatar, les abonnés de Mediapart ne sont pas à l’abri de lire un sujet football dans leur rubrique écologie. Quant à ses projets, son prochain livre, Criminels climatiques, sort bientôt en librairie. Et promis, un chapitre sera consacré au ballon rond.

« Pour moi, football et environnement sont deux sujets de lutte, une intersection des combats »

Assises du journAlisme − septembre 2021

La Feuille

Des mômes et des piafs

Quand des collégiens réalisent un reportage sur un oiseau en voie de disparition, ils découvrent l’ornithologie et le rôle de l’Europe dans la protection des espèces.

Au collège Saint-Exupéry de Niort (Deux-Sèvres), plusieurs ados arrivent tout excités dans leur salle de classe. En ce début de mois de mars, ils ont rendez-vous pour une interview avec Jean-Michel Passerault, membre du Groupe ornithologique des Deux-Sèvres. Celui-ci étudie et protège les oiseaux. Le regard vif et la tignasse brune, Tristan, 14 ans, réquisitionne ses camarades pour aménager un studio improvisé. Stanislas, 14 ans, 1,57 mètre et long manteau noir, arrive à toute allure et annonce à bout de souffle: «C’est bon, j’ai bien le micro Zoom!» Les deux garçons participent, avec neuf autres volontaires, au concours de jeunes journalistes Europorters. Ils doivent mettre en lumière des projets européens qui influencent leur quotidien. Ils sont encadrés par la documentaliste du Centre de documentation et d’information (CDI), Élisabeth L., et leur professeure principale, Nathalie B. Après des semaines de réflexion et de conférences de rédaction, les élèves ont choisi de réaliser quatre reportages radio dont un sur l’outarde canepetière. L’espèce en voie de disparition niche dans le département, près du marais poitevin, à une dizaine de kilomètres de l’établissement. Jean-Michel Passerault leur parle avec passion de cet oiseau migrateur : «Les outardes reviennent, elles étaient parties nicher au soleil dans le sud de la France et en Espagne.» Ce projet, c’est aussi l’occasion de parler d’écologie, un enjeux important. L’ornithologue amateur poursuit: «On propose aux agriculteurs des aides financières européennes par parcelle non cultivée pour laisser nicher l’outarde.» «Comment sensibilisez-vous les plus jeunes?» demande, derrière son masque, Romane. «Nous organisons des interventions dans les classes, lui répond Jean-Michel Passerault. Sans l’Europe, nous n’aurions pas

les moyens de payer un salarié ni de faire ces interventions.» D’un coup, l’Union européenne semble plus proche et correspondre davantage aux valeurs des élèves. Pari gagné pour le Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (Clemi) et l’UE, qui organisent conjointement le concours. À la fin de l’interview, les idées fusent: «Demain, on se donne rendez-vous au montage à 14 heures», annonce Tristan. «J’ai déjà des idées pour le titre. On pourrait faire un jeu de mot avec piaf», lance Stanislas. La professeure principale se réjouit de cet enthousiasme. C’est elle, leur enseignante en histoiregéographie, qui donne de son temps et les a inscrits au projet. « Depuis le début de l’année, ils sont très impliqués dans ce Les apprentis journalistes au montage de leur reportage. cours, explique-t-elle. Je souhaitais investir leur énergie dans quelque chose de concret. L’Europe, c’est l’avenir et je voulais qu’ils se saisissent de ce projet pour leur montrer que l’UE les impacte au quotidien.» Dans sa classe, décorée de cartes du monde et de portraits de rois de France, elle est ravie: «Ce concours a été une belle opportunité alors que tout tombe à l’eau cette année.» Rendez-vous à Bruxelles en juin s’ils sont lauréats. Carla BUCERO LANZI

Le climat sur les bancs de l’école

Dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, des journalistes vont à la rencontre des collégiens et des lycéens pour leur faire prendre conscience de l’urgence climatique et la raconter.

Avec des lycéens en tête de cortège, l’année 2019 a été marquée par les marches pour le climat. Cette prise de conscience du réchauffement climatique semble générationnelle. Mais elle n’atteint pas toutes les jeunesses françaises. En 2019 également, à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), commence le projet Globe reporters environnement. En collaboration avec des professeurs, des journalistes interviennent dans des classes de collèges et de lycées des Hauts-de-France. Le but est de faire réfléchir les élèves aux conséquences du réchauffement climatique dans la région. Et qu’ils écrivent sur le sujet, à partir d’informations récoltées sur le terrain par des journalistes. «C’est un moyen de montrer que l’éducation aux médias et à l’information (EMI) est transdisciplinaire et de réconcilier les jeunes avec la science», explique Sidonie Hadoux, l’une des journalistes intervenantes. La sensibilisation aux questions climatiques passe aussi par la loi de proximité. La côte d’Opale risque d’être immergée dans cinquante ans, Calais est en rouge sur la carte du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Il y a plus proche que les ours polaires pour se rendre compte de l’urgence climatique. Le dispositif mis en place par l’EMI permet de sensibiliser les élèves à ce sujet, afin qu’ils se disent : « On ne peut pas laisser faire ça!» Ils sont poussés à trouver des solutions et des moyens pour y parvenir. Sidonie Hadoux rappelle que ce travail mène, in fine, les élèves à partager leur révolte en écrivant des articles. Un partenariat avec Ta Voix, la section jeune de La Voix du Nord, leur offre un moyen de diffusion important dans la région. «L’urgence climatique, c’est maintenant et c’est ici, résume la journaliste. Après, on ira voir ailleurs.»

Depuis les années quatre-vingt, les fausses informations sur le climat pullulent dans la sphère publique. Un fléau qui entrave l’action climatique et qui freine la prise de conscience générale. Six spécialistes témoignent.

VRAI OU FAUX, LE CLIMAT EN DÉBAT

Cela finira par se refroidir », déclarait Donald Trump en 2020 devant les forêts en feu de Californie. Ultime preuve du déni de la crise climatique. Une telle fausse information pousse à s’interroger sur la force et le fonctionnement des fake news. À l’intersection de questions sociales, économiques et politiques, le climat est un terreau fertile pour la désinformation. La simplicité des points de vue complotistes rend difficile la riposte. Les études scientifiques, plus rigoureuses, sont longues à étoffer et plus inaccessibles de par leur complexité. Face à cette problématique, chercheurs et acteurs de terrain ont mis en place des laboratoires d’analyse et de déconstruction pour démêler le vrai du faux. Quant aux journalistes, en plus de remplir un devoir d’information, ils ont désormais une tâche supplémentaire: combattre la désinformation. Des cellules de fact-checking sont nées au sein des rédactions afin de vérifier la véracité factuelle de propos ou d’images diffusées publiquement. Des pratiques, à la base du travail journalistique, qui sont devenues d’autant plus importantes face à la masse d’informations déferlant sur les réseaux sociaux. S’il est possible de les déconstruire au cas par cas, déconstruire l’ensemble du phénomène reste un défi de taille. Aux côtés des acteurs de terrain, des chercheurs se penchent sur la question pour comprendre les mécanismes de croyances et de diffusion qui se cachent derrière ces fausses informations. Leurs travaux, effectués avec plus de recul que ceux des journalistes, permettent de prendre une totale mesure du problème. Six spécialistes croisent leur regard pour éclairer ce sujet qui représente un enjeu majeur face à l’urgence climatique.

«Cela a commencé bien avant les réseaux sociaux. Les questions sur le climat étaient déjà présentes, en marge, à partir des années quatre-vingt. Ce qui interpelle, c’est que le sujet soit devenu aussi central dans nos questionnements. Pour ceux qui sont dans le déni du réchauffement climatique, il y a l’idée de dire que l’homme n’est pas responsable. Une grande partie de ce débat est née aux Etats-Unis et continue de s’y putréfier. Pour moi, c’est une crise systémique qui est manipulée et contrôlée par une stratégie politique rationnelle. Il y a de puissants lobbies industriels qui financent des recherches pour déresponsabiliser l’humain dans le réchauffement. Ils ont des intérêts partagés avec certains hommes et femmes politiques. La désinformation joue un rôle crucial dans cette stratégie. L’idée des auteurs de fake news, c’est de semer le doute. Ils n’ont pas de contremodèle à proposer. Tout ce qu’ils entreprennent, c’est dans le but d’éroder la confiance envers les sciences. Ces gens sont dans une forme d’intimidation de la pensée avec des attaques ad hominem. Des trolls circulent sur le Web pour dénigrer systématiquement les figures du mouvement pro-climat, comme Greta Thunberg. Ce sont des groupes très organisés qui parviennent effectivement à saper la confiance des publics vis-à-vis du discours scientifique. Il y a pu y avoir, fut un temps, une baisse de la mobilisation en faveur de l’environnement à cause justement de ces attaques ad hominem. La plus grosse fake news qui circule, à mon sens, c’est celle qui consiste à faire croire qu’il n’y a pas de consensus scientifique sur le changement climatique. Rien n’est plus faux. Mais l’accumulation de ces petites fake news finit par cacher l’enjeu majeur du réchauffement climatique.»

«Il existe quatre types de fausses informations qui circulent sur les questions climatiques. Il y a celles qui nient le réchauffement et vont dire “regardez, il fait froid en janvier”;celles qui vont défendre la théorie de cycles climatiques et refuser l’idée de l’impact de l’homme ; celles qui affirment que même s’il y a réchauffement, il n’a pas d’impact sur l’environnement ou la société. Et la dernière, plus retorse, est de dire qu’il n’y a pas de consensus au sein de la communauté scientifique. Ceux qui font circuler ces informations sont des

Divina Frau-Meigs, sociologue des médias et professeure agrégée à l’université Paris-3

« je me retrouve fAce à des désinformAteurs qui ont des heures de vidéo, tAndis que moi, je n’Ai que trois minutes pour informer »

Jérémie Nicey, maître de conférences, coordinateur scientifique à l’université de Tours

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