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UN LEGS DE FROID
• PAR GABRIELLE ANCTIL
« Les hivers enneigés de votre enfance ne reviendront jamais », titrait Radio-Canada en 2019, dans un article où le journaliste Naël Shiab analysait les données de stations météorologiques partout au pays afin de déterminer l’impact de la crise climatique sur le couvert neigeux. « [Montréal] a perdu près de deux semaines de neige au sol, au fil des décennies », note le journaliste – une situation similaire à travers la province.
Les impacts des bouleversements climatiques font désormais partie de notre quotidien. Ils se voient dans les inondations, les épisodes de chaleur record et autres feux de forêt qui font les manchettes presque chaque jour. Ils viennent aussi toucher un aspect important de la culture québécoise : la météo.
LA CULTURE CLIMATIQUE
Il est aisé de confondre météo et climat, mais la différence est majeure. Cette distinction est d’ailleurs abordée dans plusieurs activités et expositions de la Biosphère. La météo se mesure sur une période plutôt courte, comme une journée ; le climat correspond à l’analyse agrégée du comportement de l’atmosphère à plus long terme. Une journée chaude n’est ainsi pas le marqueur du réchauffement de la planète, mais un été où la température moyenne aura été anormalement élevée, au cours d’une décennie elle aussi très chaude, oui.
Quelles que soient leurs sources, les variations de température ont tout de même pour effet de permettre aux Québécois.e.s de s’adonner à l’une de leurs activités préférées : parler de météo.
« Ici, les gens passent leur temps à parler de température », sourit Diane Pacom, professeure de sociologie à l’Université d’Ottawa. Celle qui est arrivée au Canada il y a plus de quarante ans se surprend encore de la place qu'occupe la météo dans la culture de son pays d’adoption. « En sociologie, on parle d’une variable lourde. C’est-à-dire que la température a un effet important sur la politique, l’économie et la société de manière générale. »
Rien de surprenant à ça : les variations extrêmes de température entre l’été et l’hiver, et parfois même d’un jour à l’autre, offrent une infinité de sujets de conversation. Ils nous permettent aussi un coup d'œil privilégié sur les changements qui s’opèrent à l’échelle mondiale. « Quand la neige n’arrive pas avant Noël, ça nous déstabilise », donne en exemple Marie-Hélène Roch, chercheuse en nordicité urbaine.
SAUVER L’HIVER
Cet amour de la météo nous mènera-t-il à vouloir agir pour en préserver les nuances ? Impossible de répondre avec certitude. D’un côté, il est vrai que nous avons un attachement émotionnel à nos hivers enneigés et à nos étés au soleil éclatant. « Les Québécois.e.s présentent l’hiver aux nouveaux arrivants comme s’il s’agissait d’un être cher, d’un ami,» souligne Diane Pacom. Que nous voulions préserver à tout prix un morceau aussi important de notre identité n’aurait rien de surprenant.
À revers, il est essentiel de constater que nous nous comportons encore bien souvent comme si ces variations n’existaient pas. «À leur arrivée, les Européen.ne.s ont tenté d’importer des manières de faire de leur pays d’origine qu’ils ont appliquées sans les adapter aux conditions locales », rappelle Marie-Hélène Roch. Ces mauvaises habitudes se poursuivent aujourd’hui, alors que l’on construit encore des infrastructures qui ne tiennent pas en compte les rigueurs de l’hiver. « Comment se fait-il que les panneaux “attention, chute de glace” soient si fréquents ? Pourquoi ne pas avoir construit de manière à éviter ce danger?», questionne la chercheuse.
Une lueur d’espoir tout de même : « Le fait que nous devions constamment nous ajuster au climat nous a donné une grande capacité à s’adapter aux nouvelles situations », souligne Marie-Hélène Roch. Il est vrai qu’un.e nouvel.le arrivant.e doit développer des compétences qui peuvent sembler normales pour quiconque compose avec ces variations depuis le début de sa vie. Un exemple : l’habillement en pelures d’oignon, un enseignement directement transmis par les peuples autochtones aux premiers colons.
On sait que de nombreux bouleversements attendent le Québec. On estime que la température augmentera de près de 4°C dans le sud de la province dans les prochaines décennies. Vagues de chaleur intenses et inondations seront au menu. Pour espérer freiner ces dérèglements et réduire nos émissions de GES, il faudra puiser dans nos réserves d’ingénuité. L’avenir de nos hivers en dépend.