bold 72

Page 18

BOOKS

Texte Sarah Braun

note sur 5

ISABELLE SORENTE LA FEMME ET L’OISEAU

Tous les psychiatres vous le diront : les non-dits gangrènent les familles sur plusieurs générations. Thomas est un vieil homme qui vit en Alsace, à la lisière d’une forêt. Il est un de ces Malgré-nous, ces jeunes gens enrôlés de force dans l’armée allemande durant la Seconde Guerre mondiale.

« UN ROMAN POÉTIQUE ET PUISSANT SUR LA TRANSMISSION, QUI QUESTIONNE NOTRE RAPPORT À LA VIOLENCE, MAIS AUSSI NOTRE RAPPORT À LA NATURE »

pied du lycée pour sa violence, Thomas comprend que les secrets font – souvent – autant de mal que la vérité. Très vite, une relation particulière se noue entre le vieillard et l’adolescente, et les masques tombent. Un roman poétique et puissant sur la transmission, qui questionne notre rapport à la violence, mais aussi notre rapport à la nature. Un roman captivant qui s’achève sur l’espoir certain qu’aussi emprisonné que l’on puisse être dans une situation, il existe toujours un moyen de s’absoudre de cette violence et de s’élever.

Emprisonné avec son frère dans le goulag de Tambov, il est celui qui survit. Mais comment raconter l’horreur qu’il a vécue dans ce camp ? Alors il fait le choix de se taire. Quand Élisabeth, sa nièce, décide de venir passer quelques semaines chez lui pour s’échapper de Paris, de son tourbillon professionnel et, surtout, pour sauver sa fille Vina, mise à

LA FEMME ET L’OISEAU, ÉDITIONS JC LATTÈS

QUESTIONS À L'AUTEUR

©Francesca Mantovani

Ce livre vous a été inspiré d’une histoire de famille. Pourquoi a-t-il été nécessaire pour vous d’en faire un récit ?

18

Il y a une dizaine d’années, en 2010, j’avais accompagné mon père en Alsace, car son cousin voulait me parler. J’étais la romancière de la famille, j’étais donc celle à qui on pouvait raconter. Je pressentais que le cousin de mon père voulait me parler de la guerre et de son expérience de Malgré-nous. Je savais que des membres de ma famille avaient été enrôlés de force dans la Wehrmacht, je savais qu’ils avaient combattu sur le front russe, que ça avait été terrible. Mais je ne me doutais pas que mon parent allait me faire le récit de sa détention au camp de Tambov, en Russie, entre octobre 1944 et septembre 1945. Le camp de Tambov était un véritable goulag, les conditions de détention y étaient effroyables, plus encore durant le terrible hiver

44/45 où les températures atteignirent moins quarante degrés. Plusieurs milliers d’hommes moururent dans ce camp. Sur le moment, j’étais si bouleversée par le récit de mon parent que je me sentais incapable d’écrire sur Tambov. Je me demandais ce qu’un roman pouvait apporter de plus pourquoi ajouter quoi que ce soit aux témoignages des survivants ? Ce n’est que dix ans plus tard, après avoir écrit Le Complexe de la sorcière, que j’ai compris que seule la littérature pouvait raconter la transmission, la façon dont le chaos, la violence, la mémoire de la guerre se transmettent aux descendants – surtout quand les survivants n’ont pas parlé à leur retour, surtout quand ils ont gardé le secret sur ce qu’ils ont subi ou fait. Les secrets se transmettent d’une façon occulte – à travers les cauchemars, les conduites répétitives, les fantômes qui hantent les générations. C’est ce que je voulais raconter.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.