BOOKS
Texte Sarah Braun
note sur 5
JULIE ESTÈVE
PRESQUE LE SILENCE C’est dans un contexte troublé que je m’entretiens avec Julie Estève. Son dernier roman, Presque le Silence, a des atours de prophétie. Pandémie, guerre en Europe, il ne manque que la pluie de sang et des « rats gros comme des moutons barbares » au tableau pour nous retrouver complètement immergés dans le quotidien de Cassandre, son héroïne. Cassandre est née dans les années 80.
« MON HÉROÏNE EST FÉMINISTE EN CE SENS OÙ ELLE EST TOUT CE QU’ELLE RESSENT, SANS TABOU, SANS RIEN »
devient une adulte désirable et désirée. Elle vit sa vie – à moins qu’elle ne la subisse – une « suite inexorable de pertes » et de « hasards malheureux ». Dans ce monde qui se délite, Cassandre « veille à ce que la violence ne (la) pénètre pas » et se tient « loin des tragédies courantes, et le réel s’évanouit. » Autrice visionnaire, Julie Estève questionne la vie et ses affres en nous montrant le monde qui s’écroule sous nos pieds. Un roman totalement fascinant, porté par un style aussi sublime que drôle, qu’on n’arrive pas à lâcher sitôt commencé.
Cassandre est rousse, frisée et va vite faire l’expérience de la haine collective, quand ses petits camarades se mettent à l’appeler « le Caniche ». Mais surtout, Cassandre est amoureuse de Camille. Elle décide alors de consulter un voyant pour savoir si, un jour, il tombera amoureux d’elle : le cartomancien lui fait cinq prédictions. Terribles. Portant son avenir à bout de bras, Cassandre grandit,
PRESQUE LE SILENCE, JULIE ESTÈVE, ÉDITIONS STOCK
QUESTIONS À L'AUTEUR Comment est né ce livre ?
©Antoine Legond
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J’ai écrit sous la menace et dans une inquiétude assez profonde, dans cette éco-anxiété qu’on vit actuellement. Je crois qu’on est entré dans un âge de la terreur - terreur climatique, terreur environnementale - et aussi, à présent la guerre. Et puis je suis tombée enceinte : j’ai continué à écrire dans cet état modifié, j’ai écrit à deux. Puis j’ai accouché, et j’ai continué à écrire alors que j’étais complètement bouleversée. J’ai écrit aussi - ça c’était complètement terrifiant - dans la peur de ne plus pouvoir écrire, puisque la maternité et l’écriture ne font pas si bon ménage que ça. En tous cas au début. Ensuite, il y a eu le covid, j’ai écrit confinée. Puis j’ai eu la chance de partir sur une île merveilleuse, là j’étais complètement poussée dans le dos par sa force tellurique. Ce livre, je crois, est en fait né de bouleversements, intimes et collectifs. J’ai écrit dans tous les états possibles (rires).
« VIVRE C’EST APPRENDRE À PERDRE » La peur est en effet présente, tout au long du récit… Oui, je crois que j’ai écrit un livre sur l’amour et la peur. J’ai vraiment écrit dans un état second, sous contrôle (sourire). À présent, je n’ai plus peur. Je me suis débarrassée de cette terreur. Je crois même que j’ai écrit pour ne plus avoir peur. D’ailleurs, la fin du roman est plutôt positive ! Il y a une certaine pureté dans la fin. C’est une fin qui dit l’amour en fait, l’amour absolu. Et puis d’ailleurs, je ne parle que de ça dans le livre. De toutes les formes d’amour possibles et imaginables : l’amour filial, l’amitié,