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INTERVIEW CULTURE Jessica Da Silva

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CARNET HUMANITAIRE

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JESSICA DA SILVA “L'ignorance est notre plus gros problème”

Au sortir du lycée, Jessica Da Silva suit un cursus en architecture à l’Université d’Innsbruck, pour finalement décider de recommencer à zéro et se laisser guider par sa passion pour les arts visuels. Convaincue du bonheur inhérent à ce choix plus que de ses débouchés futurs, la Luxembourgeoise investit ce champ des possibles qu’est l’art. Ainsi, dans son travail, elle associe mer et migration pour questionner notre perception et notre rapport au « monde visible ».

GODEFROY GORDET

À la suite de vos recherches, comment décririez-vous ce «monde visible» aujourd’hui?

Nous voyons seulement ce que nous connaissons. Malheureusement, dans le monde il y a tellement de problèmes que la société occidentale omet. Au lieu de s'informer ou de regarder à travers une perspective différente, elle préfère ignorer. L'ignorance est notre plus gros problème.

En 2017, dans Sound of Silence vous abordez la censure dans la dictature nord-coréenne. Parler des limites de la liberté d’expression c’est un peu comme commencer par le commencement pour un artiste?

En effet, la liberté d'expression c'est le plus important pour nous. Nous avons décidé d'être artiste pour pouvoir faire quelque chose sans aucune restriction et exprimer ce que nous voulons.

Avec Souvenirs en 2018, vous abordez la vie que les réfugiés ont laissée derrière eux, fuyant la guerre ou la misère pour l’Europe. Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à cette crise sociétale ?

Quand les premiers réfugiés de la guerre civile syrienne sont arrivés au Luxembourg à l’été 2015, j'ai commencé à faire du bénévolat pour l'association Narin où je suis entrée en contact avec les réfugiés. Dans ce projet, je me positionne en tant que médium entre le réfugié et le spectateur. J'essaie de créer un contraste entre un sujet difficile et l'esthétique visuelle de l'œuvre.

Dans votre performance La Mer (2018), vous prenez pour objet de travail une nouvelle étape du parcours migratoire, en associant histoire individuelle et collective. Pourquoi cette mise en parallèle avec votre expérience personnelle?

La Mer me fait penser à la migration de mon père au Luxembourg depuis le Portugal où j'ai passé chaque été de mon enfance et où j'ai passé beaucoup de temps à la mer. Comme je me déplace beaucoup aujourd'hui, la mer est le seul endroit qui me donne toujours le sentiment d’être chez-moi et, en même temps, elle me donne l'envie de partir pour de nouvelles aventures. Pour un réfugié, la mer, qui l'emmène vers un nouveau pays, ça représente aussi le début d'une nouvelle étape dans sa vie.

Comme suite logique, dans Refuge (2018) et Refugees (2019), vous parlez de cette quête du refuge que les réfugiés de guerre et, bientôt, climatiques, poursuivent. L’art pour vous, a-t-il encore assez de voix pour bousculer la société, la faire réagir face à l’urgence?

Oui, plus que jamais je dirais. Les médias sociaux aident aux productions artistiques à devenir virales et à attirer l'attention. Je pense que le beau peut attirer et sensibiliser autant que le scandale. Notre monde a besoin de beauté et de douceur. C'est pourquoi l'esthétique de mes œuvres a une grande importance pour moi.

Plus récemment, dans Rhodes (2019), vous questionnez plus franchement le public en relevant sa perception des choses. À l’avenir, comptez-vous durcir plus encore votre discours?

J'aimerais bien me concentrer sur le déplacement en général et interroger plusieurs formes de migrations plutôt que d'aborder un contexte politique. Néanmoins, j'espère que la pandémie Covid-19 et son impact sur l'économie, ainsi que les manifestations pour la justice à la suite de la mort de George Floyd

qui affectent notre société aussi, conduisent à une prise de conscience. Nous devons penser de façon plus critique et nous éduquer pour changer.

Vous deviez participer à la 5 e Triennale Jeune Création, finalement reportée à 2021. Quel était votre projet et va-t-il prendre une autre tournure d’ici là ?

Mon idée consiste à réaliser un dessin grand format qui représente la mer Atlantique au First Landing State Park en Virginie, là où en Amérique du Nord, les premiers colonialistes anglais sont arrivés. Le dessin n'est pas narratif, pourtant la mer ici porte beaucoup d'histoires en elle. Pour l'instant je continue à penser ce projet.

Le monde entier s’est retrouvé impacté d’une façon ou d’une autre par la crise liée à la pandémie de Covid-19. Comment avez-vous appréhendez la chose?

Cette situation rend un grand nombre de problèmes de notre système capitaliste, transparents. Nous devrions en tirer des leçons. Pour ma part, malheureusement je n'ai pas pu voyager aux États-Unis pour faire des recherches pour mes projets artistiques. Mais comme les restrictions sont moins sévères ici, j'en ai profité pour faire beaucoup de promenades autour de la rivière et dans la forêt, ce qui m'a permis de me connecter avec la nature. À la suite du confinement, j'ai trouvé beaucoup d'inspiration dans la nature et j'ai appris beaucoup sur l'histoire du lieu. Cela peut me servir comme base pour un prochain projet.

© Jessica Da silva

Actuellement aux États-Unis, vous m’avez expliqué vouloir prolonger votre visa. Quels sont vos plans pour l’avenir?

Ayant perdu beaucoup de temps pour continuer mes recherches pour ma pratique artistique, j'aimerais encore rester pour compenser. Participer à une résidence artistique peut-être. En tout cas je n'aime pas vraiment faire des plans, les choses se passent toujours différemment! ●

en bref

2015 : Après 5 ans d'études, elle recommence à zéro pour suivre sa passion 2019 : 1 re exposition à Paris 2020 : L’année de son plus grand défi.

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