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Sommaire
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Présentation et sommaire Édito Globalisation : Changement d'échelle et « droits de la nature » Changer le cours de la société! Charte internationale pour la Terre et l'Humanisme MJ Verte : Mettre les jeunes en action pour préparer l'avenir Nourrir l'humanité, c'est un métier Tot morgen Les coopératives à finalité sociale, des initiatives citoyennes pour construire la société de demain Nous avons testé pour vous les monnaies complémentaires Demain : No futur ou malaise contemporain? Marinaleda : Une utopie vers la paix? « A real educational path »
Présentation — Le Swap Magazine, c’est une revue déclinée sous formats papier et numérique. Son but est de donner à lire, voir, découvrir, et ainsi susciter la réflexion, tout en positionnant clairement la FMJ et les enjeux, valeurs qu’elle défend. C'est également un outil de communication, de mise en réseau, d’information et de réflexion qui met l’accent sur des initiatives et alternatives porteuses et créatives, des ponts à double sens à construire entre le secteur jeunesse et le reste du monde, des réflexions, propositions et actions pour agir sur la société et induire des changements. À chaque parution, une thématique spécifique est abordée au travers des richesses, pluralités, actions, analyses et potentialités tant du secteur jeunesse que d’autres plus ou moins liés, à la fois en Belgique et en dehors de nos frontières.
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Bonne découverte! Bonne lecture!
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En guise d’introduction à ce numéro, nous vous proposons un extrait d’un poème de Sarah Roubato intitulé « Comme une odeur de printemps avorté ». « […] Tends l’oreille, petit. Tu entends? Des bruits de grattage, de reniflage, de pioches, de coups. C’est le bruit des taupes. Sous la poussière de l’arène médiatique, des millions de taupes travaillent pour préparer le monde de demain. Jour et nuit, jour de spectacle et jours de relâche. Elles creusent, abattent des cloisons entre des mondes qui s’ignoraient, relient des galeries, inventent de nouveaux itinéraires de vie. Souvent elles arrivent à des impasses, impossible de creuser plus loin. Alors elles font demi-tour, et cherchent un autre accès.
Un poème de Sarah Roubato Elles arrivent de tous les coins de la plaine. Des usines, des salles de classe, des champs, des bureaux, des estrades. De la grande ville, des banlieues, des campagnes. Là-haut, on leur avait appris qu’elles appartenaient à différentes espèces. Qu’elles devaient évoluer de chaque côté d’une ligne de fracture qui sépare les centre-villoises et les banlieusardes, les rurales et les citadines, les ouvrières et les patronnes, les chômeuses et les travailleuses, les littéraires et les scientifiques, les jeunes et les vieilles, celles qui sont nées ici et celles qui sont nées ailleurs.
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CLAP’ACTION #0 C’EST QUOI CE TRUC? Tout au long de ce numéro, la rubrique « Clap'Action » vous propose des pistes concrètes pour explorer chaque thématique avec les jeunes. Des petits gestes ou des grands projets, des conseils ou des idées, des témoignages ou des ressources,... De quoi vous aider à construire votre propre stratégie d’actions...!
Elles préparent le monde de demain. Elles ne savent pas si ce sera suffisant. Tant pis. Sous la poussière, elles creusent. Sous ceux qui rugissent, elles agissent. Sous ceux qui grognent, elles grattent. Sous les coups de griffes, elles reniflent. Pour pouvoir se dire à la fin du spectacle que quelque chose a changé pendant qu’elles sont passées.
Elles ne savent pas qu’elles sont aussi nombreuses. Chacune dans son tunnel suit un instinct, une idée, une intuition, une folie. Elles ont troqué la vision du monde qu’on leur a apprise contre celle d’un monde qui n’existe pas encore. Elles flairent les potentiels. Au fond du tunnel, elles voient d’autres horizons. Dans son couloir, chacune se croit seule. Elles passent souvent à quelques centimètres l’une de l’autre sans se rencontrer. Parfois, un coup de griffe bien placé, le mur tombe, et elles se rencontrent dans une galerie. Alors elles créent des associations, des collectifs, des mouvements, des villages. Creusent des écoles alternatives, des monnaies locales, fabriquent du naturel, organisent des circuits courts, encouragent un tourisme respectueux des espaces qu’il traverse, inventent d’autres modèles d’entreprise, ramènent la culture à la portée de tous, créent des associations pour ceux que leur âge, leur handicap ou leur parcours de vie, isolent de la société.
Elles préparent un monde où nos activités — manger, se chauffer, se déplacer, se maquiller — respectent le vivant, où les générations travaillent, s’amusent et apprennent ensemble, où les nouvelles technologies n’effacent pas la présence aux autres. Elles savent que demain exige de nous qu’on recalibre nos priorités, qu’on change de paradigmes et de cadres. C’est un changement qui ne se décrète pas et qui ne s’écrit pas à l’avance. Un changement qui s’essaye, qui se casse la gueule, qui se repositionne, les mains dans le cambouis du quotidien.
Il va te falloir choisir, petit. Dans chaque geste de ta vie. Entre ce qui s’agite à la surface et ce qui travaille en sourdine. Entre ceux qui attendent que le changement vienne d’en haut et ceux qui l’appliquent dans chaque geste. Entre ceux qui ont renoncé à leur puissance et ceux qui la reconquièrent. Entre ceux qui font faute de mieux et ceux qui œuvrent pour faire mieux. Entre ceux qui se contentent du monde tel qu’il est et ceux qui poursuivent le monde tel qu’il devrait être. » https://www.sarahroubato.com
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Changement d’échelle et « droits de la nature » Par Axel Gossiaux
Si l’étymologie du mot « flux », provenant du latin fluxus et se traduisant couramment par « écoulement », atteste du caractère ontologiquement mobile de la notion de flux, il n’est pas inutile de rappeler la différence essentielle entre les « variables de flux » et les « variables de stock ». Simplement dit, et donc par définition, le flux est en mouvement, au contraire du stock qui ne l’est pas. On comprend alors toute l’importance que prend la notion de périodicité si l’on cherche à comparer des flux entre eux. Les flux économiques sont donc des mouvements de biens et de valeurs se produisant dans un intervalle de temps déterminé. Les phénomènes de mondialisation des échanges se caractérisent notamment par une multiplication des flux humains (migrations, tourisme,...), immatériels (capitaux, informations, culture,...), commerciaux (produits manufacturés, agricoles, énergétiques, miniers,...) ou financiers par exemple.
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Ainsi, depuis la conférence de Bretton Woods en 1944 qui vit naître le Fonds Monétaire International (FMI), la Banque Mondiale (BM) et, un peu plus tard, l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (plus connu sous le nom de GATT pour General Agreement on Tariffs and Trade), la vitesse de circulation de ces flux n’eut de cesse de s’accélérer tandis qu’ils se généralisaient entre certains États du monde.
On voulait globaliser l’économie de marché, le libre-échange et le multilatéralisme commercial. Et c’est spécialement le GATT qui devait être le garant de la libéralisation des échanges internationaux tout en constituant un garde-fou contre le protectionnisme. Protectionnisme qu’il fallait absolument éviter car considéré comme l’un des éléments déterminants de l’émergence et de l’arrivée au pouvoir du nazisme. Dès sa naissance, le GATT eut donc une double mission : instaurer un code de commerce international et pousser tous les États du monde à négocier un abaissement des barrières tarifaires et non-tarifaires. C’est ce même accord qui, en 1994, aboutira à l’instauration de l’Organisation Mondiale du Commerce qui regroupe aujourd’hui 164 pays (sur 197 reconnus par l’Organisation des Nations-Unies) et dont la principale mission est de garantir le libre-échange total1.
Au-delà de ce très bref rappel historique et pour aborder pertinemment les réalités sociales de la mondialisation et leurs multiples vérités, certains auteurs comme Z. Laïdi partent de l’idée centrale que « la mondialisation n’existe que par les représentations qu’elle dégage »2. Il nous faut ainsi saisir les différents cadres d’interprétation et les différentes approches qui donnent sens aux réalités empiriques de la mondialisation pour comprendre cette dernière. Ces imaginaires, proches des idéologies, permettraient donc de mieux saisir le phénomène de globalisation ou mondialisation. En effet, ce dernier « ne semble intelligible qu’en fonction d’une part essentielle d’interprétation »3. Ainsi, dans son propre cadre d’interprétation, Laïdi soutient que la mondialisation n’est le projet de personne car la notion même de politique changerait de nature lorsque l’on adopte un point de vue mondial. En effet, si l’activité politique peut être essentiellement résumée par des rapports de pouvoir et donc par des positionnements d’amitié ou d’inimitié entre acteurs aux motivations et intérêts divers, et que l’on soutient, comme Laïdi, que le monde n’est pas une communauté mais une « scène »4, alors, à l’échelle de l’humanité, l’activité politique cèderait le pas à la régulation5. Il semble aujourd’hui que beaucoup s’accordent à désigner l’idéologie néolibérale comme principale responsable des dérives de notre système capitaliste global. D’où vient-elle? Que signifie-t-elle?
LAÏDI Z., Les imaginaires de la mondialisation, Esprit, octobre 1998.
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JACQUEMAIN M., La globalisation : cinq thèses et trois scénarios, communication dans un colloque, avril 2012. 3
Le lecteur intéressé trouvera bien sûr le développement de cette réflexion dans le texte original de Z. Laïdi. 4
JACQUEMAIN M., ibid.
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1 Sans rentrer dans le détail des considérations juridiques relatives aux divers articles du GATT/OMC et nonobstant le débat sur les diverses acceptations et implications des concepts de régionalisme et de multilatéralisme, précisons tout de même que les textes autorisent des accords dits « préférentiels » entre un nombre limité d’États afin de favoriser des échanges commerciaux régionaux qui pourront, selon certains, constituer des leviers futurs pour une globalisation totale. En regard du droit international, le marché commun européen n’aurait pas pu être créé légalement sans cet important article 24 du GATT/OMC qui permet donc à certains États signataires de s’arranger entre eux sur des questions d’importations/exportations sans être contraints légalement d’appliquer les mêmes accords à tous les autres États signataires du GATT/OMC.
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Terriblement traumatisés par l’horreur nazie, les membres de l’École de Fribourg — qui regroupe les principaux représentants à l’époque du néo-libéralisme allemand (plus connu sous le nom d’ « ordo-libéralisme ») qui furent contraints de fuir l’Allemagne ou l’Autriche pour échapper à la Gestapo — vont établir les principaux facteurs explicatifs de l’arrivée au pouvoir des nazis dans la République de Weimar. Pour les ordo-libéraux, ils sont au nombre de quatre : protectionnisme économique, politique sociale bismarckienne, politiques économiques planifiées et politiques keynésiennes en période de crise. C’est donc l’État-Providence, c’est-à-dire le principe de l’interventionnisme étatique en général mais surtout dans l’économie de marché, qui est la cible principale des ordo-libéraux allemands et des membres de l’école américaine du néolibéralisme6. Pour eux, c’est l’économie de marché qui doit surveiller l’État et non l’inverse. Se dessine alors ici l’une, sinon la différence essentielle entre « libéralisme classique » et « néolibéralisme ». Le premier vomit la présence de l’État sur le marché, alors que le second veut l’asservir pour le bon fonctionnement du marché. En effet, chez les néolibéraux, le marché est au cœur de la société et au cœur même de l’être humain. La société serait une société de l’offre, l’homo economicus serait essentiellement producteur, non consommateur. À la différence de la vision marxienne du facteur « travail » dans l’économie, les néolibéraux en proposent donc une vision qualitative et non quantitative. Très brièvement, ils soutiennent que le salaire doit être attaché au « capital humain », c’est-à-dire à l’ensemble des capacités indissociables d’un être humain, qu’elles soient innées ou acquises. Il faudrait donc chercher à combiner les éléments génétiques et sociaux les plus prompts à élever notre capital humain, la vie toute entière des individus se doit d’être tournée vers l’augmentation du capital humain. Ainsi, l’analyse et la « rationalité » économique expliquent, évaluent et orientent la totalité des comportements humains. Nous serions notre propre capital et nous serions théoriquement perpétuellement en concurrence les uns avec les autres dans tous les secteurs de la société.
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Partant de ces postulats, les néolibéraux voudront organiser absolument tous les secteurs de la société de manière concurrentielle et compétitive. L’idée est simple : faire de la société toute entière un lieu de concurrence, d’où la nécessité d’un cadre juridique de concurrence généralisée pour réglementer les litiges entres les individus. Le droit et l’État sont en première ligne dans cette société de marchés. Mais, attention, ils ne sont qu’arbitres, pas joueurs. Ils se contentent de fixer les règles du jeu et doivent se soumettre aux impératifs de bon fonctionnement des marchés. On comprend mieux pourquoi l’arrivée au pouvoir quasi concomitante de la Première ministre britannique M. Thatcher et du Président américain R. Reagan aux alentours des années 1980, tous deux porteurs d’un projet politique néolibéral, marquera une nouvelle ère pour les relations internationales. C’est l’offensive néolibérale, le rôle de l’État est totalement redéfini7. Désormais, il doit mener une politique économique d’attraction des investissements extérieurs et tenter de satisfaire les attentes des grands groupes internationaux. Une concurrence entre États se crée pour attirer les entreprises. Le Forum de Davos devient la vitrine, l’espace publicitaire des politiques d’investissements extérieurs des États et le lieu où les grandes entreprises leur expliquent ce dont elles ont besoin pour investir sur leurs territoires et à quelles exigences doivent ils répondre s’ils souhaitent que les grandes multinationales s’intéressent à eux. Comme en témoigne la crise de la dette dans la zone euro par exemple, le problème est que ces processus de globalisation économique « ont entraîné un changement d’échelle au plan économique ne trouvant pas son pendant au plan politique : s’ensuit une disparité entre le niveau de régulation politique de l’économie prévalant anciennement (au niveau de l’État-Nation) et celui de l’économie et du commerce, à présent européanisée et mondialisée »8. Ainsi, on peut soutenir que « La « mondialisation »
du Pouvoir politique, recouvrant progressivement celle du Pouvoir économique, est l’un des rares remèdes qui pourraient éviter à l’humanité de tomber sous la servitude maudite de ces maffias. L’on peut rêver... »9.
gouvernement (1794) résonneront (enfin) dans les esprits. Car, celui-ci considérant la Terre comme le bien de l’ensemble de l’humanité, l’appropriation par la force de Pour la moindre parcelle de celle-ci satisfaire devient irrecevable en droit. son mode de Elle ne peut être acceptée vie et de consommapour aucune nation, aucune tion, l’humanité a besoin collectivité, aucun gouverneaujourd’hui de l’équivalent ment, aucun individu : des ressources de plus « La Terre n’appartient à d’une Terre et demie. En personne. Mais chacun 2030, si l’on en croit les alors devra rendre des projections tendancielles comptes à tous de ce où la demande d’énergie qu’il en a fait. Tous les évolue conformément hommes seront forcés, pour aux tendances du passé lutter contre le néant, de s’unir. et où aucune nouvelle mesure L’on se souviendra alors, trop politique n’est adoptée, ce n’est pas tard sans doute, que les droits moins de deux Terres qui seront de l’homme étaient aussi ceux nécessaires à la rencontre de nos de la nature. Une nature qui ne besoins. « Cela signifie qu’au cours connait pas de frontières »13 d’une année, en consommant les
ressources renouvelables plus rapidement que les écosystèmes ne peuvent les régénérer, l’homme vit d’une certaine manière à crédit »10. Pire, selon l’étude publiée en 2012 dans la revue Nature qui s’inscrit comme point de départ du film-documentaire Demain, une partie de l’espèce humaine pourrait disparaître en 2100 à cause de son propre impact sur l’environnement11. Ces constatations scientifiques qui s’imposent comme représentations possibles de la fin du monde n’ont cependant pas pour unique but d’alarmer ou d’instaurer un climat anxiogène. Il s’agit d’agir, de réagir, réellement, concrètement. Les différentes alternatives qui vont être présentées ici en suivant la structure en quatre axes du film (alimentation, éducation, économie et démocratie) se comprennent donc comme autant de perspectives d’actions possibles et positives pour réagir à cet avenir cauchemardesque d’une humanité vivant à crédit sur une pauvre vieille Terre aux écosystèmes gangrénés par l’avarice, l’égoïsme et, in fine, la bêtise du dernier animal qu’elle a engendré.
Ainsi, si notre Terre si riche et diversifiée devient « ce désert que nous prédisent nos savants, dont les seuls oasis risquent de n’être que des cloaques »12, peut-être que les réflexions de Thomas Paine dans sa Dissertation sur les premiers principes de
6 Comme Friedrich von Hayek, lui-même un compagnon de route des ordo-libéraux parti enseigner à l’Université de Chicago, berceau du néo-libéralisme américain. 7 Ainsi, « Les années 1980 voient s’ouvrir en Belgique une ère très offensive du libéralisme qui s’incarne dans les gouvernements Martens-Gol », puis Dehaene dans les années 1990 et Verhofstadt dans la première décennie 2000. Aussi, à la fin des années 1990, « se popularise en Belgique la notion « d’État social actif » qui dans les faits constitue un recul social en intégrant des préceptes néolibéraux comme la flexibilité, l’esprit d’initiative et l’individualisme » (BROCHÉ A., Histoire des maisons de jeunes en Belgique francophone (1949-2016), Service de la Jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles/IHOES, 2016, p. 155). 8 BALZACQ T. et al., Fondements de science politique, De Boeck, 2014, p. 256.
GOSSIAUX P.-P., « Étrangers. De l’ordre du sang à celui de la raison », Réseaux : Revue Interdisciplinaire de Philosophie Morale et Politique, « Langues, Blancs, Pouvoirs, Inconscient », n°85-86-87, 1999, p. 148. 9
10 VICTOR J.-C., Le dessous des cartes. Itinéraires géopolitiques, Tallandier/ARTE, 2012, p. 79. 11 BARNOSKY A. et al., Approaching a state shift in Earth’s biosphere, Nature, Vol. 486, 2012, p. 52-58.
GOSSIAUX P.-P., op cit.
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GOSSIAUX P.-P., ibid., p. 137, 148.
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Par Cécile Lebrun
Comme présenté dans l’article précédent, nous évoluons actuellement dans une société où l’unique modèle économique se réfère au libre-échange. Dans ce contexte, le commerce international est ultra favorisé et la croissance économique est l’objectif permanent par excellence... Faire un maximum de profit! Les conséquences négatives de ce modèle sont multiples : délocalisation, pertes d’emplois, crises financières, non-respect de l’environnement...
« UNE CONSCIENCE COLLECTIVE APPARAÎT »
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Face à cela, petit à petit, une conscience collective apparaît. Des voix s’élèvent. Des associations se mobilisent. Des actions de toutes tailles se concrétisent, souvent en lien avec les idées et l’énergie transmises par des hommes faisant office de chefs de file...
«[...] Fédérer ce que l'humanité a de meilleur et cesser de faire de notre planète-paradis un enfer de souffrances et de destructions.» 11
Parmi ceux-ci, épinglons tout d’abord : Pierre Rabhi Né en 1938, Pierre Rabhi est à la fois paysan, penseur, conférencier, essayiste, romancier et poète français. Sur base de son vécu et de multiples constats, au travers d’exemples et d’anecdotes, il dénonce l'échec de la condition générale de l'humanité et les dommages considérables infligés à la Nature. Il nous invite à sortir urgemment du mythe de la croissance infinie. Il s’agit de reconsidérer le lien qui nous unit à la terre, de réaliser l'importance vitale de notre terre nourricière, de valoriser la coopération plutôt que la compétition pour le bienêtre de l’humanité dans son ensemble. À l’image de son propre parcours de vie depuis de nombreuses années, il suggère à tout un chacun de poser un acte politique de légitime résistance face à cette machine à détruire la planète et à aliéner la personne humaine. Il invite à une forme de simplicité et de gratitude qui donne à notre présence au monde un sens et une légèreté singulière, celle de la sobriété tranquille et heureuse.
1 L’agroécologie est une technique inspirée des lois de la nature. Elle considère que la pratique agricole ne doit pas se cantonner à une technique, mais envisager l’ensemble du milieu dans lequel elle s’inscrit avec une véritable écologie. La pratique agroécologique a le pouvoir de re-fertiliser les sols, de lutter contre la désertification, de préserver la biodiversité, d’optimiser l’usage de l’eau. Elle est une alternative peu coûteuse et adaptée aux populations les plus démunies. Source : www.pierrerabhi.org
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Il transmet son savoir-faire en agroécologie1 en Afrique, en France et en Europe, dans le but de redonner leur autonomie alimentaire aux populations. Il est aujourd'hui reconnu expert international pour la sécurité alimentaire et a participé à l’élaboration de la Convention des Nations Unies pour la lutte contre la désertification.
Il appelle donc à faire preuve d’intelligence pour fédérer ce que l'humanité a de meilleur et cesser de faire de notre planète-paradis un enfer de souffrances et de destructions. Selon lui, il est de la responsabilité de chacun de définir les éléments positifs essentiels à sa propre vie, mais aussi pour celle de ses semblables et pour les générations futures...
2 Mélanie Laurent est actrice depuis l’âge de 14 ans. Elle a aussi réalisé 4 films : deux courtsmétrages et deux longs métrages pour le cinéma.
Il défend un mode de société plus respectueux des hommes et de la terre et soutient le développement de pratiques agricoles accessibles à tous et notamment aux plus démunis, tout en préservant les patrimoines nourriciers. Avec le réalisateur Cyril Dion, il fonde en 2007 le Mouvement Colibris, mouvement pour la Terre et l’Humanisme et publie une Charte synthétisant remarquablement ses propos (à retrouver à la fin de cet article).
Mais ces deux amis n’en restent pas là... Suite à la publication d’une étude annonçant la possible disparition d’une partie de l’humanité d’ici 2100, ils projettent de réaliser un film documentaire : Demain. Leur idée? Raconter une histoire qui fait du bien, montrer des solutions pour favoriser la résolution des crises écologiques, économiques et sociales que traversent nos pays. Ainsi, Cyril Dion et Mélanie Laurent 2 partent avec une équipe enquêter dans dix pays pour comprendre ce qui pourrait provoquer cette catastrophe et surtout comment l’éviter. Durant leur voyage, ils rencontrent diverses personnes et associations qui réinventent l’agriculture, l’énergie, l’économie, la démocratie et l’éducation. En assemblant et présentant toutes ces actions concrètes, ils donnent naissance à un documentaire qui, depuis sa sortie en 2015, se révèle comme un puissant levier de changements. En effet, de nombreuses initiatives dites « de transition » voient le jour et témoignent d’un élan citoyen considérable. Ce numéro du Swap en est d’ailleurs une, s’appuyant lui-même sur les nombreuses actions menées dans ce sens au sein du secteur des Centres de Jeunes (dont certaines sont présentées dans ce magazine) et ailleurs.
« ENTRE UN MONDE QUI DÉCLINE ET UN AUTRE À CONSTRUIRE SE TROUVE UNE TRANSITION QU’IL NE FAUT PAS GÂCHER PAR NOTRE INERTIE... TOUT CHANGEMENT IMPLIQUE LE CHANGEMENT DE SOI CAR SI L’ÊTRE HUMAIN NE CHANGE PAS LUIMÊME, IL NE POURRA CHANGER DURABLEMENT LE MONDE DONT IL EST RESPONSABLE. »
Pierre RABHI
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Et justement, en parlant de transition, le deuxième chef de file qu’il nous parait important de mettre également à l’honneur n’est autre que : Rob Hopkins Cet enseignant en permaculture vivant à Totnes en Angleterre est l'initiateur en 2005 du mouvement des Villes en Transition. Partant du constat qu’il faut agir rapidement, sans attendre que les gouvernements parviennent enfin à s’entendre et à passer à l’action, un premier groupe de citoyens s’est créé à son initiative. Ce réseau Transition (le Transition Network) connaît depuis une expansion extraordinaire et compte aujourd’hui plus de quatre-mille initiatives dans plus de cinquante pays, dont la Belgique. Elles touchent à énormément d’aspects de nos sociétés et se concrétisent dans des villes, des villages, des universités, des écoles,... Ces initiatives de transition naissent en général de la volonté de quelques citoyens motivés qui travaillent ensemble et unissent leurs forces, leur créativité et leur énergie pour lancer des actions et projets concrets dans le but d’amener un changement positif dans leur lieu de vie. Ces initiatives sont basées sur une vision positive de l’avenir et une position constructive vis-à-vis du monde politique. Il arrive d’ailleurs que ces initiatives soient lancées et soutenues par des élus politiques. Tel est le cas dans la petite commune d’Ungersheim en Alsace, définie comme « la championne internationale des villes en transition » par Rob Hopkins lui-même... Le projet politique du maire, JeanClaude Mensch, se base sur un des principes de Gandhi : la meilleure manière de faire bouger les choses, c’est de montrer l’exemple.
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Pour une immersion ludique dans l’univers de la Transition, rendez-vous sur le site de la FMJ pour découvrir le premier web-documentaire sur le mouvement Transition en Belgique francophone…
« Qu’est-ce qu’on attend? » est le titre d’un documentaire réalisé par Marie-Monique Robin dont le but est de rendre compte de cette démarche de démocratie participative et de transition globale lancée et portée par le maire lui-même d’Ungersheim, ses collaborateurs et des citoyens éclairés. Ensemble, ils ont défini un programme intitulé « 21 actions pour le 21ème siècle ». Il englobe tous les aspects de la vie quotidienne : l’alimentation, l’énergie, les transports, l’habitat, l’argent, le travail et l’école. Depuis son développement concret, cette commune a économisé douze-mille euros en frais de fonctionnement et réduit ses émissions directes de gaz à effet de serre de six-cents tonnes par an. Elle a créé une centaine d’emplois. Et elle n’a pas augmenté ses impôts locaux. Mais au-delà de ces données quantitatives, les citoyens interviewés dans le cadre de la réalisation de ce documentaire mettent en évidence certains aspects de cette aventure : le sentiment de fierté engendré par le fait de prendre part à cette nouvelle identité de la commune, une prise de conscience de sa responsabilité, de ses devoirs et droits, le développement d’un intérêt pour le bien commun, le partage de compétences, l’importance de l’éducation, de la formation, de la jeunesse dans ce dispositif... En termes d’impact, ces éléments sont aussi essentiels (si pas davantage) que des données chiffrées. Effectivement, dans nos sociétés, nous avons été habitués à ce que tout vienne et soit décidé d’en-haut, c’est-à-dire par les responsables du monde politique et de celui des entreprises. Toutefois, petit à petit, et avec un effet de contagion, les citoyens commencent à comprendre qu’ils ont chacun une responsabilité dans le changement nécessaire et à agir en conséquence. Dans ce contexte, nous constatons aussi que les individus ont besoin de se sentir appartenir à un mouvement, à un réseau. Nous avons besoin d’être légitimés et de savoir que d’autres agissent dans le même sens.
Selon Olivier De Schutter 3, le terrain du véritable changement est donc celui des normes sociales. « Il faut lutter contre les pressions que les gens subissent par rapport à leurs modes de vie (manières de se déplacer, de se chauffer, de s’alimenter,..) déterminés via un système dit démocratique qui s’avère n’être qu’une démocratie par procuration ».
Olivier De Schutter est un belge engagé. Il est juriste et professeur de droit international à l’UCL. Il est expert de l'ONU. Il est aussi administrateur du Réseau Transition en Belgique.
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Dixit Olivier De Schutter
Le changement a débuté par une prise de conscience des citoyens. Mais il est lent justement parce qu’il nécessite beaucoup plus que des modifications d’ordre technique, économique, juridique... Pour continuer à favoriser ce changement, il est donc nécessaire que nos normes sociales soient de plus en plus influencées par l’expansion continue de ces changements concrets initiés par des citoyens de toutes parts. Et l’idéal selon Olivier De Schutter serait que « les politiques aient le courage de dire que nous devons consommer moins, qu’il faut produire moins et aller vers une société qui se fonde sur la sobriété heureuse et le bien-être collectif ». En conclusion, soulignons l’importance des initiatives locales et citoyennes qui voient le jour, de leur mise en réseau et de la communication à développer en leur faveur de manière à favoriser ces transformations des normes sociales.
CAR « CE QUI EST UTOPISTE, C’EST DE CROIRE QU’ON PEUT CONTINUER SUR LE CHEMIN QU’ON A EMPRUNTÉ JUSQU’À PRÉSENT SANS DOMMAGE CONSIDÉRABLE. LE RÉALISME AUJOURD’HUI, C’EST DE CHANGER RADICALEMENT LE COURS DE LA SOCIÉTÉ! » 4. 15
La charte internationale pour la Terre et l'Humanisme La planète terre est à ce jour la seule oasis de vie que nous connaissons au sein d’un immense désert sidéral. En prendre soin, respecter son intégrité physique et biologique, tirer parti de ses ressources avec modération, y instaurer la paix et la solidarité entre les humains, dans le respect de toute forme de vie, est le projet le plus réaliste, le plus magnifique qui soit.
CONSTATS La Terre et l'Humanité gravement menacées LE DÉSASTRE DE L’AGRICULTURE CHIMIQUE
LE MYTHE DE LA CROISSANCE ILLIMITÉE
L’industrialisation de l’agriculture, avec l’usage massif d’engrais chimiques, de pesticides et de semences hybrides et la mécanisation excessive, a porté gravement atteinte à la terre nourricière et à la culture paysanne. Ne pouvant produire sans détruire, l’humanité s’expose à des famines sans précédent.
Le modèle industriel et productiviste sur lequel est fondé le monde moderne prétend appliquer l’idéologie du « toujours plus » et la quête du profit illimité sur une planète limitée. L’accès aux ressources se fait par le pillage, la compétitivité et la guerre économique entre les individus. Dépendant de la combustion énergétique et du pétrole dont les réserves s’épuisent, ce modèle n’est pas généralisable.
HUMANITAIRE À DÉFAUT D’HUMANISME Alors que les ressources naturelles sont aujourd’hui suffisantes pour satisfaire les besoins élémentaires de tous, pénuries et pauvreté ne cessent de s’aggraver. Faute d’avoir organisé le monde avec humanisme, sur l’équité, le partage et la solidarité, nous avons recours au palliatif de l’humanitaire. La logique du pyromane-pompier est devenue la norme.
DÉCONNEXION ENTRE L’HUMAIN ET LA NATURE Majoritairement urbaine, la modernité a édifié une civilisation « hors-sol », déconnectée des réalités et des cadences naturelles, ce qui ne fait qu’aggraver la condition humaine et les dommages infligés à la terre.
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LES PLEINS POUVOIRS DE L’ARGENT Mesure exclusive de prospérité des nations classées selon leurs PIB et PNB, l’argent a pris les pleins pouvoirs sur le destin collectif. Ainsi, tout ce qui n’a pas de parité monétaire n’a pas de valeur et chaque individu est oblitéré socialement s’il n’a pas de revenu. Mais si l’argent peut répondre à tous les désirs, il demeure incapable d’offrir la joie, le bonheur d’exister...
QUELLE PLANÈTE LAISSERONS -NOUS À NOS ENFANTS?
PROPOSITIONS Vivre et prendre soin de la vie INCARNER L'UTOPIE
LA TERRE ET L'HUMANISME INDISSOCIABLE
L’utopie n’est pas la chimère mais le « non lieu » de tous les possibles. Face aux limites et aux impasses de notre modèle d’existence, elle est une pulsion de vie, capable de rendre possible ce que nous considérons comme impossible. C’est dans les utopies d’aujourd’hui que sont les solutions de demain. La première utopie est à incarner en nousmêmes car la mutation sociale ne se fera pas sans le changement des humains.
Nous reconnaissons en la terre, bien commun de l’humanité, l’unique garante de notre vie et de notre survie. Nous nous engageons en conscience, sous l’inspiration d’un humanisme actif, à contribuer au respect de toute forme de vie et au bien-être et à l’accomplissement de tous les êtres humains. Enfin, nous considérons la beauté, la sobriété, l’équité, la gratitude, la compassion, la solidarité comme des valeurs indispensables à la construction d’un monde viable et vivable pour tous.
SOBRIÉTÉ HEUREUSE
RELOCALISATION DE L'ÉCONOMIE
Face au « toujours plus » qui ruine la planète au profit d’une minorité, la sobriété est un choix conscient inspiré par la raison. Elle est un art et une éthique de vie, source de satisfaction et de bien-être profond. Elle représente un positionnement politique et un acte de résistance en faveur de la terre, du partage et de l’équité.
Produire et consommer localement s’impose comme une nécessité absolue pour la sécurité des populations à l’égard de leurs besoins élémentaires et légitimes. Sans se fermer aux échanges complémentaires, les territoires deviendraient alors des berceaux autonomes valorisant et soignant leurs ressources locales. Agriculture à taille humaine, artisanat, petits commerces... devraient être réhabilités afin que le maximum de citoyens puissent redevenir acteurs de l’économie.
LE FÉMININ AU CŒUR DU CHANGEMENT La subordination du féminin à un monde masculin outrancier et violent demeure l’un des grands handicaps à l’évolution positive du genre humain. Les femmes sont plus enclines à protéger la vie qu’à la détruire. Il nous faut rendre hommage aux femmes, gardiennes de la vie, et écouter le féminin qui existe en chacun d’entre nous.
L'AGROÉCOLOGIE, ALTERNATIVE INDISPENSABLE De toutes les activités humaines, l’agriculture est la plus indispensable car aucun être humain ne peut se passer de nourriture. L’agroécologie que nous préconisons comme éthique de vie et technique agricole permet aux populations de regagner leur autonomie, sécurité et salubrité alimentaires tout en régénérant et préservant leurs patrimoines nourriciers.
UNE AUTRE ÉDUCATION Nous souhaitons de toute notre raison et de tout notre cœur une éducation qui ne se fonde pas sur l’angoisse de l’échec mais sur l’enthousiasme d’apprendre. Qui abolisse le « chacun pour soi » pour exalter la puissance de la solidarité et de la complémentarité. Qui mette les talents de chacun au service de tous. Une éducation qui équilibre l’ouverture de l’esprit aux connaissances abstraites avec l’intelligence des mains et la créativité concrète. Qui relie l’enfant à la nature à laquelle il doit et devra toujours sa survie et qui l’éveille à la beauté et à sa responsabilité à l’égard de la vie. Car tout cela est essentiel à l’élévation de sa conscience.
QUELS ENFANTS LAISSERONS -NOUS À LA PLANÈTE? 17
Mettre les jeunes en action pour prĂŠparer l'avenir...
Par Coline Remacle et Nathalie Heusquin
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MJ Verte : une philosophie Depuis plusieurs années, certains acteurs du secteur jeunesse se sont emparés des enjeux du développement durable pour les intégrer dans leurs actions. C’est entre autres le cas dans le Brabant wallon (BW) où une dizaine de Maisons de Jeunes ont entamé depuis six ans des actions pour sensibiliser les jeunes à des modes de consommation et de production plus sains et durables en les mettant en action.
Au départ d’expériences porteuses réalisées par les jeunes, le collectif des Maisons de Jeunes du BW a mis en place le projet MJ Verte. Pour commencer, chaque MJ a fait un état des lieux de ses pratiques, actions, forces, faiblesses et envies de changement dans son travail avec les jeunes, à différents niveaux : les consommations proposées à la MJ, l’utilisation des ressources (énergie, eau,...) et la récupération, le réemploi, le recyclage. La MJ Antistatic (Tubize) avait déjà mis en place un potager. À la MJ Le Prisme (Braine-l’Alleud), un travail avait commencé autour des boissons en vente au bar. Mais la plupart des MJ ne faisait que trier ses déchets. Petit à petit, l’ensemble des MJ a commencé à réfléchir aux actions qu’elles pourraient mettre en place au départ des envies des jeunes et qui auraient un impact positif au niveau environnemental et sociétal. 19
MJ Verte : des expérimentations Dès 2014, les autres MJ de ce collectif ont commencé à faire des expérimentations avec les jeunes : mettre en place un système d’aquaponie1, un atelier cuisine saine, faire des meubles en palettes, changer les boissons au bar, presser du jus de pommes, aménager la MJ en terre-paille, construire une éolienne, cultiver des champignons, aménager un terrain en permaculture... Les animateurs se sont formés pour transmettre des savoir-faire aux jeunes dans le but que ces derniers prennent en main des actions de leurs choix. La méthode de travail consiste donc à mettre les jeunes en action pour ensuite réfléchir ensemble aux impacts que ces actions produisent, que ce soit au niveau de l’environnement, de la santé, de l’économie, de la solidarité,... Avec le soutien du Service Jeunesse et des deux Ministres de la Jeunesse successives, les expérimentations ont pu se poursuivre de 2014 à 2017.
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Afin de partager leur philosophie, leurs expériences et engagements avec tous ceux qui désirent travailler cette question d’éco-citoyenneté au sein de leur association, les MJ ont rédigé une charte qui peut être signée par les citoyens et les associations2. L’engagement éco-responsable est une notion omniprésente (de la conception à la finalisation d’une action), un concept transversal et permanent.
Signature en ligne sur www.mjverte.be
MJ verte : une charte d’engagements écodynamiques
1 Aquaponie : cultiver des végétaux en symbiose avec un élevage de poissons.
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2 3 Comprendre les enjeux sociétaux, environnementaux et économiques actuels.
Engagement, prendre un engagement pour le futur de la planète et de l’humanité.
Opportunité de participer au changement pour un monde plus juste et plus sain.
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Responsabiliser et se responsabiliser en posant des actes concrets.
Citoyenneté, prendre sa place dans la société.
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Actif, c’est être acteur de changement.
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Critique, c’est remettre en question la société de surconsommation.
Solidaire, c’est ensemble qu’on peut relever ces défis.
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MJ Verte : un festival bio-acoustique Le collectif des MJ du BW a progressivement repris l’organisation du festival L’Amour en Vers 3 . Ce festival sans électricité se déroule tous les ans dans un site naturel du BW. L’évènement est gratuit, les artistes jouent sans amplification et sont payés au chapeau. On y mange sain et bio, le site est propre, il y a des toilettes sèches... L’ambiance est conviviale et solidaire, les publics sont variés. Une trentaine de jeunes et leurs animateur /t rices le font tourner chaque année.
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www.lamourenvers.be
Ce festival est à la fois la vitrine et le laboratoire des expérimentations et des actions vertes réalisées pendant l’année. Par exemple, lors du festival de 2017, le public a pu s’atteler à construire des meubles en palettes accompagnés par l’eco-team du Centre Nerveux (MJ d’Ottignies), brasser de la bière avec les jeunes du Prisme ou encore entretenir son vélo avec le projet Bicyclo de la MJ Masure 14 (Tournai).
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MJ Verte : un label Dans un but de diffusion et de propagation de ses pratiques, le collectif a mis en place un label4 qui vise à donner une reconnaissance aux Centres de Jeunes qui s’engagent à long terme dans des actions écocitoyennes.
À CE JOUR, CINQ MJ SONT LABELLISÉES : MJ Antistatic - Tubize MJ d’Orp-Jauche MJ Le Cerceau - Genval MJ Woo - Waterloo MJ Masure 14 - Tournai D’autres MJ se préparent à rentrer également dans le label.
4 Possibilité de demander la labellisation via www.mjverte.be
LES CENTRES QUI DÉSIRENT SE FAIRE LABÉLISER DOIVENT : Mettre en évidence qu’ils ont effectué un certain nombre d’actions et qu’ils répondent à certains critères Signer la charte et la diffuser S’engager pour les années futures
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Diffusion du projet et ouverture du réseau MJ Verte Depuis 2016, les MJ du collectif vont régulièrement rencontrer des MJ ou d’autres collectifs pour partager leurs expériences ou transmettre des savoir-faire. Avec la charte, le label et le site www.mjverte.be, le collectif des MJ du BW a la volonté de partager ses expériences et sa philosophie d’action vers les MJ d’autres territoires, ainsi que vers les Centres d’Information des Jeunes (CIJ) et les Centres de Rencontres et d’Hébergement (CRH).
CLAP’ACTION #1 VERS UNE AUTRE ALIMENTATION Et si on changeait les produits proposés au bar de la MJ? Deux anecdotes pour vous inspirer : D’un coup, on substitue des produits bio issus des circuits courts (même si c’est plus cher) aux produits marketing classiques (Coca, Fanta, Snickers,...). À la MJ de Beaumont, ça a fonctionné malgré les étonnements des jeunes. « C’est vrai qu’on a dû prendre le temps d’expliquer au début mais comme les produits sont bons, les jeunes ont suivi ».
Le 2 octobre 2017, le collectif organise une journée d’échanges de pratiques éco-citoyennes à destination des professionnels de Centres de Jeunes. Sous forme d’ateliers de réflexion et d’ateliers pratiques, les participants pourront s’essayer à différentes techniques (potagers, fabrication de bijoux via la récup, brassage de bières,...) ou échanger sur le type de boissons et d’aliments proposés dans les MJ.
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Dans cette MJ liégeoise, un animateur a pris l’initiative de supprimer les chips, de préparer de la mayonnaise maison,... en vue d’un moment festif. Lorsqu’il s’est aperçu que ses propres collègues avaient réintégré « les crasses », il s’est rendu compte de l’importance d’une négociation préalable en équipe pour adopter collectivement une posture cohérente. Suggestions de produits à proposer :
Whole Earth, Tao, Bionade, Limonade Ritchie,... et toutes les bières locales brassées près de chez vous!
BRASSAGE DE BIÈRES ET PRESSAGE DE POMMES À LA MJ LE PRISME (BRAINE L’ALLEUD) RENCONTRE AVEC THIERRY VOUÉ, COORDINATEUR DE LA MJ Depuis plusieurs années, Le Prisme expérimente avec les jeunes différentes pratiques éco-citoyennes ayant pour finalité d’avoir un positionnement alternatif et constructif tant vis-à-vis du public qui fréquente régulièrement les activités de la Maison de Jeunes que du public occasionnel touché, par exemple, lors de festivals. Thierry insiste sur le fait « qu’il ne s’agit jamais d’être dans une position d’opposition ou de critique négative par rapport à ce qui se fait ailleurs, mais de proposer des alternatives ».
« IL NE S’AGIT JAMAIS D’ÊTRE DANS UNE POSITION D’OPPOSITION OU DE CRITIQUE NÉGATIVE PAR RAPPORT À CE QUI SE FAIT AILLEURS, MAIS DE PROPOSER DES ALTERNATIVES » Les réflexions avec les jeunes autour d’une consommation responsable, durable et éthique au sein de la MJ, et plus largement dans un milieu associatif et dans le cadre d’organisation d’événements festifs, ont mené au lancement de deux ateliers : le pressage de pommes et le brassage de bières. Grâce à l’essor du projet MJ Verte et au soutien financier de la FWB, Le Prisme a pu bénéficier d’un subside pour investir dans du petit matériel et se lancer!
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DO IT YOURSELF! Ces deux expérimentations portent une étiquette commune : le « Do It Yourself ». Au Prisme, l’idée de « faire soi-même » est de permettre aux jeunes de se rendre compte qu’ils sont capables de faire plein de choses. Elle est centrale. Pour Thierry, c’est aussi plus largement la possibilité d’amener les jeunes à la réflexion sur leur manière habituelle de fonctionner en se posant des questions. « Par exemple, lorsqu’on a la nécessité de faire l’acquisition d’un nouvel objet à la MJ ou chez soi, il est intéressant de se demander : en ai-je vraiment besoin? Est-ce que je ne pourrais pas l’acquérir gratuitement, le réparer ou le faire moi-même? Plutôt que de se précipiter directement dans un magasin. D’un point de vue pédagogique en Maisons de Jeunes, c’est cette éducation informelle qui me paraît primordiale. Ça rejoint entièrement les missions de notre secteur : être un citoyen le plus actif, responsable et critique possible ».
« ON A ACHETÉ QUELQUES BOUQUINS ET REGARDÉ PAS MAL DE TUTORIELS SUR INTERNET. ENSUITE, ON S’EST LANCÉ!» Le coordinateur raconte que « tant dans le pressage de pommes que dans le brassage de bières, nous étions tous novices, mis à part deux, trois jeunes qui avaient déjà fait quelques tentatives de brassage dans leurs baignoires. On s’est renseigné et auto-formé. On a acheté quelques bouquins et regardé pas mal de tutoriels sur internet. Ensuite, on s’est lancé ! Ce qui est intéressant, c’est que ce sont des matières super ludiques pour travailler avec les jeunes. C’est sale, on chipote, on fonctionne par essai-erreur. C’est très olfactif aussi. J’aime parler d’outils facettes car ils permettent de travailler plein de choses. Lors des ateliers, on laisse volontairement les portes de la cuisine ouvertes pour attirer des personnes qui a priori ne sont ni intéressées par le jus de pommes ni par la bière, mais qui peuvent être curieuses de manipuler une machine, par exemple. »
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Lorsque la première bière est sortie, il a fallu lui trouver un nom. Après un brainstorming avec les jeunes, il a été décidé de l’appeler : La Tronche. Mais pourquoi? « On s’est dit que le jour où on allait faire la première dégustation de notre bière, les gens allaient pouvoir venir à l’accueil de la MJ et se faire prendre en photo. Par le truchement de la technologie moderne, on allait imprimer directement l’étiquette de la bouteille avec le portait du jeune qui pourrait repartir avec sa bouteille avec sa tronche dessus. Ça a été un carton total! » relate Thierry.
S’AUTO-FOURNIR : UNE UTOPIE?
Les ateliers sont bien ancrés dans la MJ mais ils se font de manière ponctuelle. Thierry explique : « On avait l’ambition de s’auto-fournir. Dans nos rêves les plus fous, on pensait vendre régulièrement notre bière et notre jus de pommes à l’accueil de la MJ. Mais on s’est vite rendu compte que c’était impossible. Il fallait des installations beaucoup plus importantes, une démarche beaucoup plus professionnelle, sans compter les normes prescrites par l’AFSCA... ». Néanmoins, toute la carte du bar de la MJ a été changée. Aujourd’hui, Le Prisme travaille avec des produits locaux et bio. Il y a aussi une réelle volonté de respecter et promouvoir les produits des producteurs qui travaillent dans cette optique ainsi que de travailler avec des produits de saison.
PROJETS FÉDÉRATEURS Aussi modestes qu’elles étaient au départ, ces expérimentations ont été très fédératrices : « Ces projets ont touché plein de jeunes d’horizons différents et ont également eu un impact au niveau de la vie locale car il y a rapidement eu un effet de bouche-àoreille et les gens de la ville ont trouvé ça super que les jeunes de la MJ fassent de la bière et du jus de pommes eux-mêmes ! Ces activités ont eu une aura très positive pour la MJ. Une dynamique intergénérationnelle a pu se créer. Beaucoup de personnes souvent âgées nous ont contactés spontanément pour nous proposer des pommes de leurs vergers. Nous accueillons aussi des gens du quartier qui veulent utiliser la presse ». Les jeunes ont désormais acquis de nouveaux savoirs et savoir-faire qu’ils peuvent partager avec d’autres. Ils sont souvent sollicités par des associations pour venir faire des sessions de brassage au Prisme ou ailleurs. Dernièrement, l’association Le Silex, qui travaille avec des personnes en situation de handicap, est venue brasser de la bière avec les jeunes de la MJ. De son côté, la presse à pommes voyage dans les différentes Maisons de Jeunes de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
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L’ÉCOTEAM DE LA MJ DE WATERLOO (MJ WOO)
RENCONTRE AVEC PIERRE-ADRIEN LUSIGNAN, COORDINATEUR DE LA MJ
En 2014, une proposition arrive sur la table du collectif des Maisons de Jeunes du Brabant Wallon : le Festival Esperanzah recherche des jeunes pour s’occuper de la propreté du site durant son événement. De retour à la MJ, le coordinateur de la Maison de Jeunes de Waterloo poste un message sur Facebook pour voir si des jeunes seraient intéressés et l’engouement est immédiat! L’écoteam est née. La première année, une animatrice accompagne les jeunes volontaires et coordonne l’organisation des bénévoles sur le site. Les jeunes s’occupent du tri des déchets, de la gestion de la propreté du site, mais aussi de la sensibilisation des festivaliers. Ils se sont formés sur le tas et n’ont pas eu de formation particulière. Pierre-Adrien explique que « les premiers jeunes à s’être lancés dans le projet avaient une petite conscience écologique et ils ont eu envie de se mettre en action avec ce projet ».
Pour le coordinateur de la MJ Woo, « ce qui est intéressant dans ce genre de projets, c’est que les jeunes puissent joindre l’utile à l’agréable. Certes, ils accèdent gratuitement au festival, mais ils abattent un gros travail car la gestion de la propreté d’un site n’est pas une mince affaire. Par ailleurs, ils font un travail essentiel de sensibilisation de leurs pairs puisque les trois-quarts du public des festivals sont des jeunes de 15 - 30 ans. C’est une démarche très intéressante dans la philosophie de travail d’une Maison de Jeunes ».
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Forts de cette première expérience, les jeunes ont eu envie de continuer. Un petit groupe s’est formé et les jeunes se sont mis à rechercher d’autres festivals, à motiver les troupes et surtout à gérer l’ensemble des bénévoles sur les différents sites.
Au fil des événements, les jeunes se sont autonomisés. Pierre-Adrien raconte : « C’était vraiment très intéressant de voir qu’au début, c’était un projet que nous avions amené et que finalement, les jeunes se le sont complètement réapproprié. Aujourd’hui, le projet est quasiment autogéré par eux. D’une vingtaine de jeunes la première année, le groupe est passé à une centaine de jeunes qui se relayent sur les sites. L’équipe d’animation de la MJ les accompagne lorsqu’ils en ont besoin (par exemple, pour les transports). Mais de manière générale, ils gèrent complètement le projet ».
« LES PREMIERS JEUNES À S’ÊTRE LANCÉS DANS LE PROJET AVAIENT UNE PETITE CONSCIENCE ÉCOLOGIQUE ET ILS ONT EU ENVIE DE SE METTRE EN ACTION AVEC CE PROJET »
Une attention particulière est aussi portée à la transmission des compétences. En effet, les jeunes ont acquis une forme d’expertise en matière de gestion des sites. Aujourd’hui, ils se sentent prêts à partager leurs bonnes pratiques et à formuler des propositions, par exemple pour une gestion plus dynamique.
Cette année, vous aurez peut-être l’occasion de croiser les jeunes de l’écoteam de la MJ Woo sur vos festivals préférés. Ils sont reconnaissables grâce à leurs t-shirts « Écoteam »!
En trois ans, l’écoteam s’est fait connaître dans le milieu festivalier! Le bouche-à-oreille fonctionne bien et des organisateurs d’évènements prennent désormais directement contact avec la MJ. L’Inc’Rock, le Ward’in Rock, Couleur Café,... sont autant de festivals sur lesquels l’écoteam est passée. Elle répond également présente pour les événements directement organisés par la MJ Woo ou encore pour le festival L’Amour en Vers.
Plus d'infos sur MJ Verte : www.mjbw.be
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C'est un métier...
Par Cécile Lebrun
Puissant, poétiquement percutant, impressionnant par son réalisme, par la maîtrise de contenus et d’informations spécifiques, par la capacité d’analyse, par ses qualités artistiques, tels sont les mots qui viennent à la bouche à l’issue d’une représentation de ce spectacle de théâtre documentaire de la Compagnie Art & tça.
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En effet, cette création parvient avec habileté à rendre compte d’une réalité méconnue du plus grand nombre, celle du quotidien de nos agriculteurs. Basé sur d’innombrables rencontres, interviews ainsi que sur diverses lectures et des tas de documentaires, ce spectacle est un outil efficace, un élément déclencheur d’une prise de conscience accompagnée d’une envie de participer, de faire quelque chose…
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L’art, en l’occurrence ici les arts de la scène et la vidéo, permet de prendre du plaisir, de découvrir, de sourire mais aussi d’informer, de questionner, de réfléchir, pour ensuite se positionner et faire des choix. « Nourrir l’humanité, c’est un métier » en est un exemple parfait. Cette alliance entre la force et la qualité du jeu, de la scénographie avec des contenus objectivés, réels, actualisés, appuyés par une projection de témoignages choisis avec empathie et bienveillance entraîne chez le spectateur une envie d’agir. Cette création est une forme de diagnostic à laquelle le spectateur est confronté et face à laquelle il ne peut ensuite que se sentir concerné... Parce que manger, c’est la base de la vie! Manger est vital! Cela nous permet de satisfaire un de nos besoins primaires liés aux contraintes physiologiques de l’individu.
Bien manger est essentiel. Manger sainement est légitime.
Dès lors, pourquoi se préoccuper à outrance du commerce plutôt que de nos producteurs locaux? Car c’est de cela qu’il s’agit. Le problème fondamental, c’est le modèle économique régi par l’Europe qui prône le système dit de libre échange et de libre concurrence!
Et oui, on ne nous dit pas que notre politique agricole dépend de la Politique Agricole Commune (PAC) de l’Union Européenne. Celle qui prétend vouloir soutenir une agriculture familiale...
Pourtant, Charles et Valérie, les deux acteurs en scène, nous apprennent que cette PAC verse 80% de son budget à quelques grosses exploitations agricoles, à ces méga fermes appartenant en réalité à des multinationales (comme Nestlé par exemple). On ne nous dit rien non plus de ces traités internationaux tels que le CETA (Accord Economique et Commercial Global) et le TTIP (Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement)...
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Et pourtant, ce modèle agricole dominant qui impose cette nourriture industrielle a un coût certain! Des milliards d’euros d’argent public sont dépensés en sa faveur alors qu’il entraîne d’innombrables dégâts sur la nature, le climat, la biodiversité, les équilibres naturels, l’eau, et sur notre santé... Que d’argent dépensé dès lors également pour la dépollution des eaux en pesticides et nitrates, pour les recherches dans le domaine médical, pour la restauration et la préservation de la biodiversité! Cet argent pourrait servir à bien d’autres choses, nettement plus positives et durables...
Alors qu’on sait (mais on ne nous le dit pas) que le modèle de ferme le plus durable est celui de taille humaine... C’est aussi le plus autonome (ce qui est probablement un élément dérangeant pour les multinationales). Cette agriculture familiale est celle qui fournit le plus d’emplois au niveau local tout en étant la moins énergivore... Olivier Laval ©
Charles met alors en garde : « Si ces traités passent, ils détruiront nos normes sociales, environnementales, sanitaires, alimentaires, judiciaires. Ce qui entraînerait une justice privée, avec ses propres tribunaux d’arbitrage qui obéiront aux lois du marché libre et non plus aux lois des États, nos lois ! ». Il nous sera alors difficile de résister... À coup de matraquages publicitaires incessants, on ne cesse de nous vanter une « nourriture moins chère, moins chère, moins chère »... Mais on ne nous dit pas qu’elle est le résultat de pratiques dangereuses d’une poignée de multinationales qui n’hésitent pas à produire de la viande aux hormones, qui pratiquent la culture OGM ou encore qui ne voient pas de problème dans le fait de laver le poulet avec du chlore! Et bien entendu, on n’entend quasi pas parler des études prouvant les conséquences néfastes de cette nourriture industrielle : maladies, allergies, cancers,...
« SI CES TRAITÉS
PASSENT, ILS DÉTRUIRONT NOS NORMES SOCIALES, ENVIRONNEMENTALES, SANITAIRES, ALIMENTAIRES, JUDICIAIRES. CE QUI ENTRAÎNERAIT UNE JUSTICE PRIVÉE, AVEC SES PROPRES TRIBUNAUX D’ARBITRAGE QUI OBÉIRONT AUX LOIS DU MARCHÉ LIBRE ET NON PLUS AUX LOIS DES ÉTATS, NOS LOIS! » 33
Il y a lieu donc de s’interroger et de partager nos inquiétudes, nos incompréhensions. Voire de se faire entendre, de se mobiliser pour ce qui nous semble juste, de toute évidence... C’est ce qu’induit ce spectacle. Il dénonce en informant avec sensibilité, bienveillance et malgré tout, optimisme. Charles et Valérie rêvaient et rêvent encore d’un lobby citoyen pour contrer cette puissance économique et industrielle. Et ils nous donnent envie de nous joindre à eux, à ces agriculteurs... Au quotidien, par de simples gestes, pourquoi n’imposerions-nous pas des solutions durables, petit à petit? On le voit, l’argent n’est pas le problème. C’est le modèle! Les milliards d’euros dépensés pour provoquer des dégâts et ensuite les réparer pourraient être voués à tout autre chose, non?
En 2020, une nouvelle PAC européenne sera votée. Plutôt que de contraindre nos agriculteurs à tant de pressions administratives, à tant de surcharge de travail, cette PAC ne devrait-elle pas leur permettre d’accéder à des conditions de vie professionnelle et familiale dignes? Plutôt que de les emprisonner dans des mécanismes de primes, de les obliger à utiliser des produits qui ne respectent pas les sols et les aliments, cette PAC ne devrait-elle pas leur octroyer des moyens pour les encourager à la transition écologique et énergétique? Plutôt que de favoriser l’agrandissement des fermes qui en ont les moyens via les primes à l’hectare, le développement de zonings commerciaux et industriels, cette PAC ne devrait-elle pas favoriser l’installation de jeunes agriculteurs et leur accès à la terre? Ne devrait-elle pas les aider à reprendre des exploitations familiales à taille humaine, à leur tour transmissibles à d’autres plus tard?
PARCE QUE COMME L’ÉCRIT JOSTEIN GAARDER DANS LE MONDE DE SOPHIE :
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« QU’EST-CE QU’IL Y A DE PLUS IMPORTANT DANS LA VIE? TOUS LES HOMMES ONT ÉVIDEMMENT BESOIN DE NOURRITURE. ET AUSSI D’AMOUR ET DE TENDRESSE. MAIS IL Y A AUTRE CHOSE DONT NOUS AVONS TOUS BESOIN : C’EST DE SAVOIR QUI NOUS SOMMES ET POURQUOI NOUS VIVONS ».
CLAP’ACTION #2 CONSOMMER MOINS
À Rochefort, la dernière édition de l’opération Earth Hour a été un succès : le spectacle Tempus Mutatur a attiré plus de 300 spectateurs! Une mise en scène d’un monde utopique où la nature a repris ses droits, réalisée par plus de 80 jeunes qui voulaient porter un message d’espoir. Tout est parti d’un groupe porteur de quelques jeunes à qui la MJ de Rochefort a donné carte blanche pour créer sur le thème « Consommer moins, consommer mieux ». En lien avec les principes du théâtre-action, le groupe a d’abord réfléchi aux propos qu’il voulait faire passer : exploration de la thématique, rencontre avec des acteurs locaux de la transition,... Les jeunes se sont renseignés et ont construit leur message. Ils sont ensuite passés à l’écriture, en toute liberté, pour produire un texte de fiction tout en évitant un ton moralisateur. C’est la vision des jeunes, leurs mots, leur façon de voir qui transparaissent dans la pièce. Autour de ce groupe porteur, des dizaines d’autres jeunes se sont mobilisés à différents niveaux pour concrétiser le projet : des chorégraphies, des décors, des régisseurs,...
Olivier Laval ©
Tempus Mutatur ou comment les jeunes agissent pour un autre monde grâce au théâtre-action...
La force de ce projet? Une approche globale et la volonté d’être cohérent tout au long du projet : en proposant un prix d’entrée en Voltî (la monnaie complémentaire locale), en organisant des débat en amont, des stands d’info à l’issue du spectacle, en réduisant au maximum les déchets produits, en tentant même de produire l’électricité nécessaire à l’éclairage le jour-J! Pourquoi les jeunes s’impliquent? Ce qui les attire, c’est l’occasion d’utiliser leurs talents. Au départ, ils ne viennent pas forcément pour la thématique : ils voient surtout une occasion de faire de la musique dans des conditions professionnelles, du théâtre avec une certaine ambition, etc. Au final, ils ont tous été sensibilisés aux alternatives de consommation en sensibilisant eux-mêmes le public rochefortois! Plus d’info? MJ de Rochefort - Claude Adam
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Par Valérie Hébrant
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POUR ÉLARGIR LA THÉMATIQUE DES FORMES ALTERNATIVES D’ÉDUCATION, NOUS RESTONS DANS LE CHAMP DE L’ÉDUCATION NON FORMELLE EN PARTANT À LA RENCONTRE DE NOS PARTENAIRES FLAMANDS POUR VOIR COMMENT SE TRADUIT, DANS LES JEUGDHUIZEN, LE SOUTIEN À LA PRISE D’INITIATIVES DES JEUNES. NOUS NOUS SOMMES D’ABORD PENCHÉS SUR LA COOPÉRATIVE HAVEN, CO-FONDÉE PAR LA FÉDÉRATION FLAMANDE DE MAISONS DE JEUNES « FORMAAT ». PUIS NOUS SOMMES ALLÉS À LA RENCONTRE D’UN PROJET CONCRET AU SEIN DE LA MJ SOJO À KESSEL-LO.
Les MJ flamandes sont assez différentes de ce que nous connaissons en Fédération Wallonie-Bruxelles. Le secteur n’a pas connu la professionnalisation massive. En Flandre, les Jeugdhuizen sont pour la plupart uniquement constituées et portées par des bénévoles. Seule une minorité dispose d’une équipe professionnelle. Les travailleurs de ces dernières, avec leur fédération Formaat, ont réfléchi collectivement à leur rôle, au sein des MJ, vis-à-vis des jeunes porteurs d’initiatives et sur la notion d’entrepreunariat en Maisons de Jeunes. De fil en aiguille, les parties prenantes ont développé un dispositif particulier d’accompagnement aux initiatives des jeunes, directement implanté dans les MJ. Ayant bien compris qu’il y a une phase expérimentale importante dans le trajet d’un jeune et que leurs MJ proposent des espaces pour toutes formes d’expérimentation mais également conscients que les dispositifs légaux existants peuvent freiner le développement des initiatives et des projets des jeunes, ils ont créé ce dispositif intermédiaire. L’originalité du dispositif réside dans le fait qu’il est directement implanté au sein des Maisons de Jeunes participantes. En effet, pour que le dispositif rencontre son public et que les jeunes en aient réellement connaissance, il est nécessaire de le développer là où les jeunes se trouvent, se rencontrent et initient des actions, c’est-à-dire dans les Maisons de Jeunes.
Pour mettre en place ce dispositif, il était nécessaire de créer une nouvelle structure qui a pris la forme d’une coopérative. Formaat était à l’initiative de la création de la coopérative — Haven Incubator cvba-so — avec les MJ impliquées. Ensemble, ils ont cherché des partenaires disposant d’une expertise. C’est ainsi que l’université de Gand a rejoint Haven. Collectivement, avec 14 Maisons de Jeunes, ils se partagent la direction de la coopérative et ont engagé un coordinateur grâce au soutien de l’agence flamande pour l’entrepreunariat. Depuis 2015, Haven dispose d’un financement du Gouvernement flamand pour développer son action. La coopérative Haven propose un incubateur de projets, décentralisé au sein des Maisons de Jeunes participantes, via la présence d’animateurs spécialisés qui travaillent au quotidien avec les jeunes dans les MJ. Ce sont eux qui coachent les jeunes et qui assurent le lien entre leur MJ et la coopérative.
En ce moment, douze des quatorze MJ impliquées coachent des projets. Chacune accompagne une à quatre initiatives et ce sont vingt-et-un jeunes qui sont directement accompagnés par Haven sur le terrain.
Nous sommes allés à la rencontre de la MJ Sojo, qui n’est pas directement impliquée dans Haven mais développe un projet d’entrepreneuriat original et collabore avec la coopérative. 37
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Les coopératives à finalité sociale, des initiatives citoyennes pour construire
Par Nathalie Heusquin
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Elles ont une finalité sociale, tout comme les ASBL, mais sont vouées à une activité économique.
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Les coopérateurs alimentent la coopérative en capital, mais ne peuvent en tirer qu’un bénéfice limité à 6%.
3 À TRAVERS L’EXPÉRIENCE DE TROIS JEUNES COOPÉRATIVES BELGES, NOUS VOUS INVITONS À DÉCOUVRIR CE QUE POURRAIT ÊTRE L’ÉCONOMIE DE DEMAIN. UNE ÉCONOMIE SOCIALE QUI VISE LE BIEN COMMUN, LA SATISFACTION DES BESOINS DE CHACUN ET NON UNE RENTABILITÉ FINANCIÈRE VISANT LA RÉTRIBUTION DES ACTIONNAIRES. LES COOPÉRATIVES À FINALITÉ SOCIALE REPOSENT SUR QUELQUES PRINCIPES :
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Le pouvoir est exercé de manière démocratique. Chaque coopérateur a une voix à l’assemblée générale, quel que soit le nombre de parts souscrites.
Les services bancaires : Suite à la crise financière mondiale de 2008, les états ont dû intervenir pour renflouer les banques de peur que le système s’écroule au vu de la confiance rompue... En Belgique, ce sont environ 15 milliards d’euros qui ont été injectés dans les banques privées. Suite à cela, des citoyens et des organisations de la société civile se sont rassemblés en vue de créer une nouvelle banque éthique, c’est la coopérative New-B.
Pour illustrer ceci, nous sommes partis à la rencontre de trois projets coopératifs, agissant dans trois domaines différents : les services bancaires, l’information et l’alimentation.
TROIS DOMAINES D’ACTIVITÉ OÙ LE MODÈLE ÉCONOMIQUE ACTUEL LAISSE APPARAITRE SES CONTRADICTIONS ET SES LIMITES.
L’alimentation : Des industries agroalimentaires peu respectueuses de l’environnement et des producteurs, des circuits de distribution longs et peu écologiques, des consommateurs qui fonctionnent en mode automatique sans se poser la question d’où provient ce qu’ils achètent et mangent. Face à cette situation, depuis plusieurs années, des alternatives se développent : alimentation bio, locale ou équitable, mais à quel prix! Alors, de jeunes citoyens se rassemblent en vue de créer leur utopie : un supermarché coopératif et participatif qui propose des produits sains, locaux et de qualité à prix accessibles. La coopérative BEES coop est fondée.
L’information : Des journalistes mal payés, des articles courts, des informations révélées rapidement sans être vérifiées. Un management dur pour obtenir une rentabilité économique et finalement, des dérives et une méfiance du citoyen vis-à-vis des grands médias. À contre-pied, un groupe de journalistes, graphistes et informaticiens fondent la coopérative Médor. Quelques mois plus tard, leur projet se concrétise. Le premier magazine sort, un magazine avec des formats longs, des enquêtes, des reportages qui permettent aux journalistes d’être libres de s’exprimer et de jouer leur rôle d’information et de réflexion critique de la société.
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À la rencontre de la coopérative New-B « LA NEW-B, C’EST UNE COOPÉRATIVE QUI A POUR PROJET DE CRÉER UNE BANQUE. À CE JOUR, NOUS SOMMES 50.000 CITOYENS COOPÉRATEURS ET 149 ORGANISATIONS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE IMPLIQUÉS DANS CETTE COOPÉRATIVE »
Nous avons rencontré Marc Bontemps de New-B, JeanPierre Borloo de Médor et Quentin Crespel de la BEES coop afin d’en savoir un peu plus sur leurs initiatives, leurs fondements, leurs fonctionnements et leurs perspectives.
Quelle est la base de votre coopérative? À quels enjeux entendt-elle répondre? Notre initiative est née après la crise financière de 2008, lorsque l’état a dû injecter des milliards pour sauver les banques privées. Nous, les citoyens et la société civile, avons émis l’idée de construire nous-mêmes notre banque éthique, transparente, participative, solidaire et durable.
Aujourd’hui, nous proposons comme services une carte de paiement, des assurances et des placements éthiques et durables. Quand nous aurons obtenu notre licence bancaire, nous serons en mesure de proposer des comptes à vue, des comptes épargne et des crédits à nos clients-coopérateurs.
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Après avoir fait un tour de Belgique pour présenter notre idée et fait des études de faisabilité, nous avons créé la coopérative en 2012. En 2014, nous avions l’intention d’obtenir notre licence bancaire et de lancer la banque. Mais cela n’a pas pu se faire parce que d’un côté, nous n’avions pas assez de capital et de l’autre, parce que les taux d’intérêt avaient fortement baissé. Nous avons donc changé de stratégie et commencé à développer d’autres services dans un premier temps avant de nous lancer dans l’activité bancaire à proprement parler.
Qui sont ceux qui l’ont fondée? Peut-on dire que c’est une coopérative citoyenne? Au départ, ce sont 24 organisations francophones et néerlandophones de toutes tendances qui se sont rassemblées. Nous avons cherché des personnes du monde de la finance pour réaliser un business model. Une fois ce modèle réalisé, nous l’avons présenté au public. Pendant 100 jours, nous sommes partis à la rencontre d’autres citoyens et associations. Notre initiative a eu un franc succès et en quelques mois nous avons mobilisé 40.000 coopérateurs. L’année suivante, nous avons lancé le projet. Nous avons fait les premiers investissements et nous avons commencé à nous professionnaliser. Aujourd’hui, nous sommes 13 salariés, dont 3 banquiers et 2 experts en assurance. Le secteur bancaire est soumis à des réglementations importantes et il faut en maîtriser la technicité. Nous devons toujours trouver des équilibrages entre l’approche financière et l’approche sociétale.
Utilisez-vous des outils innovants? Oui, par exemple, notre carte de paiement prépayée Goodpay est une carte éthique, durable (biodégradable) et solidaire (à chaque paiement, 0.05€ sont versés à une association choisie). Nous avons développé un outil informatif via une application pour faire réfléchir les coopérateurs sur l’implication financière de leurs actes d’achat. C’est en quelque sorte une manière d’agir au niveau d’une éducation économique. Nous lançons des nouvelles assurances co-créées avec nos coopérateurs. Nous travaillons avec l’intelligence collective de nos coopérateurs, c’est un atout important.
Quels sont vos modes d’organisation? Dans la coopérative, nous avons un modèle de gouvernance unique. Pour commencer, chaque personne a une voix, quel que soit le capital investi. Notre Assemblée Générale est composée de trois collèges. Pour qu’une décision soit adoptée, il faut que les trois collèges trouvent un consensus allant dans le même sens. Le 1er collège, ce sont nos 149 associations membres. Il est le garant des valeurs. Le 2ème collège se compose de citoyens, nos clients coopérateurs. Le 3ème collège se compose des investisseurs qui possèdent le capital et la connaissance du secteur bancaire. La recherche de consensus se fait donc dans la tension entre le sociétal, l’économique et les attentes des clients. L’Assemblée Générale élit un Conseil d’Administration, un comité sociétal (garant du respect des valeurs), et d’autres comités. Ce qui est unique, c’est que dans notre Conseil d’Administration, il y a des non-banquiers. Au niveau de la participation, nous organisons des forums locaux avant l’AG afin de discuter avec les coopérateurs des propositions qui seront votées à l’AG. Dans l’équipe, nous fonctionnons aussi de manière horizontale, chacun avec ses responsabilités.
Quels sont les freins majeurs que vous rencontrez dans le développement du projet? À ce jour, notre défi majeur est que l’offre de New-B suscite l’engagement des coopérateurs et qu’ils s’approprient ces produits afin de dégager une marge financière suffisante pour développer d’autres produits et obtenir notre licence bancaire. 47
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À la rencontre de la coopérative Médor
Qui sont ceux qui l’ont fondée? Peut-on dire que c’est une coopérative citoyenne? Dès le début, Médor s’est constitué en coopérative. Nous sommes 19 fondateurs, des journalistes, des graphistes, des dessinateurs BD et des informaticiens. Notre démarche est citoyenne car ce qui compte, ce n’est pas de faire de l’argent avec le magazine, mais bien de propager l’information. Nous avons aussi voulu impliquer dès le départ nos lecteurs potentiels. Avant de lancer le magazine, nous avons organisé des réunions « Médorware », pour comprendre quelles étaient les attentes et demandes des lecteurs et identifier ce qui leur manquait dans le paysage médiatique belge. Nous réfléchissons à l’impact environnemental de notre publication. Par exemple, la distribution est faite à vélo. Les envois sont préparés par l’atelier de travail adapté de La Ferme Nos Pilifs 1. Nous développons l’aspect vie coopérative en organisant des réunions pour impliquer davantage les coopérateurs.
« MÉDOR, C’EST UN MAGAZINE TRIMESTRIEL QUI FAIT DES FORMATS LONGS D’ENQUÊTES ET DE REPORTAGES APPROFONDIS EN FORMAT PAPIER. ACTUELLEMENT, NOUS TRAVAILLONS SUR LE 7 ÈME NUMÉRO » Quelle est la base de votre coopérative? À quels enjeux entend-telle répondre? Nous voulions être libres, sans contrainte économique et managériale. Nos patrons, ce sont nos coopérateurs qui valident la ligne éditoriale chaque année à l’Assemblée Générale (AG). Notre objectif est de placer le journaliste au centre de la réflexion, de retrouver le sens de l’information en dehors des critères de rentabilité économique. Nous voulons prendre le contre-pied des tendances actuelles dans les médias qui sont d’écrire court, aller vite, publier dès qu’on a une info. On a vu des tas de dérives au niveau de l’information et une perte de qualité. Nous voulons restaurer une information de qualité qui joue son rôle dans une société démocratique, qui dénonce des dérives et salue des projets positifs. C’est le rôle sociétal du journaliste.
Située à Bruxelles, dans la commune de Neder-Over-Heembeek, la Ferme Nos Pilifs, Entreprise de Travail Adapté, occupe 140 personnes handicapées dans des métiers variés tels que l’atelier bio, les jardiniers, la jardinerie, l’estaminet, l’épicerie et la ferme d’animation. 1
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« NOUS VOULONS DÉVELOPPER L’ASPECT COOPÉRATIF AVEC NOS COOPÉRATEURS. COMMENT LES IMPLIQUER DAVANTAGE DANS LA DYNAMIQUE ET COMMENT DÉCLOISONNER LE TRAVAIL DE JOURNALISTE? NOTRE IDÉE EST DE FAIRE DU LIEN ENTRE LES JOURNALISTES ET LA RÉALITÉ DE TERRAIN»
Quels sont vos modes d’organisation? Utilisez-vous des outils innovants? Pour chaque numéro, c’est une équipe différente qui gère. Il y a un pilote de fond et un pilote visuel qui travaillent avec une équipe tournante. Toutes les prises de décision sont horizontales. Les choix rédactionnels sont pris en équipe avec tous les fondateurs sur base des décisions prises en AG. On travaille uniquement avec des logiciels libres et nos articles sont en licence « creatives commons ». Cela veut dire qu’ils peuvent être partagés librement. Nous sommes également innovants sur la distribution. L’innovation porte aussi sur les aspects graphiques. En amont de la conception d’un article, un travail commun est fait par le graphiste et le journaliste de manière à avoir une complémentarité entre le texte, les images, le graphisme et les illustrations.
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Parvenez-vous à combiner rentabilité sociétale et rentabilité économique? Aujourd’hui, c’est la misère dans le statut des journalistes. Ils sont très mal payés. Alors que pour produire de la qualité journalistique, il faut leur donner du temps et bien payer les journalistes. Nous pratiquons donc des tarifs plus élevés que dans tous les autres organes de presse belges. Tous les journalistes sont indépendants. En amont du lancement, nous avions fait un plan financier. Nous devions atteindre 3.800 exemplaires pour arriver à l’équilibre financier. Dès le 1er numéro, nous avons réalisé 10.000 exemplaires car Mithra, une société sur laquelle nous avions enquêté, nous a intenté un procès pour en faire interdire la parution. Cela a fait un fameux coup de pub. Maintenant, nous avons stabilisé un tirage à 7.500 exemplaires. Au niveau financier, nous avons un bon résultat sur notre première année, sans que le capital de départ n’ait été entamé. Avec les bénéfices, nous avons engagé une directrice chargée de la gestion quotidienne, de l’administratif et des perspectives à moyen et long terme. Cela répond aux difficultés que nous avons rencontrées jusqu’ici car nous sommes des rêveurs et des utopistes.
CLAP’ACTION #3 L’ÉCONOMIE DU PARTAGE Et si on créait une « Give Box » ? Au départ, il y avait juste chez les jeunes une envie de bricoler, de fabriquer quelque chose... Pourquoi pas une « Give Box », une sorte d’armoire publique où chacun peut déposer ce qu’il n’utilise plus et / ou prendre librement ce dont il a besoin! Depuis l’installation de cette « Give Box » à deux pas de la MJ, une réelle dynamique s’est créée autour de celleci. Elle est utilisée par toute sorte de personnes et non pas juste par « les pauvres » comme l’imaginaient a priori les jeunes. « Ah bon... Un objet dont je ne me sers plus peut servir à quelqu’un d’autre! » En voici un de plus convaincu par la récup! Il jettera moins, achètera peut-être moins aussi... Une autre manière de consommer s’est amorcée. Même lors des fêtes de quartier, la dynamique a changé. On n’installe plus systématiquement un bar en se demandant combien la fête rapportera. Place au système d’auberge espagnole qui privilégie la convivialité plutôt que des relations financières. Et depuis qu’il n’y a plus rien à vendre, les jeunes se réjouissent de ces moments de partage et des réelles rencontres. Même la « Give Box » est devenue un lieu de rencontre : « Il y a toujours quelqu’un, on y discute, on y débat,... ». Elle a sa fête d’anniversaire et sa page Facebook! N’hésitez pas à y jeter un coup d’œil pour découvrir la suite de ses aventures... Plus d’infos? Etienne Droussin — MJ du Thier-à-Liège (Facebook : @giveboxthier)
Quelles sont vos perspectives? Premièrement, nous voulons développer l’aspect coopératif avec nos coopérateurs. Comment les impliquer davantage dans la dynamique et comment décloisonner le travail de journaliste? Notre idée est de faire du lien entre les journalistes et la réalité de terrain. Nous désirons aussi nous ouvrir à des collaborations avec d’autres coopératives avec lesquelles nous partageons un idéal et une éthique. Par exemple, Médor est vendu à la BEES coop. Nous le distribuons aussi via des paniers bio. Notre deuxième perspective est de développer un site internet afin de faire vivre les enquêtes entre deux numéros et élargir notre potentiel de diffusion.
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À la rencontre de la BEES coop « LA BEES COOP, COOPÉRATIVE BRUXELLOISE ÉCOLOGIQUE, ÉCONOMIQUE ET SOCIALE, EST UN PROJET DE SUPERMARCHÉ COOPÉRATIF ET PARTICIPATIF À BRUXELLES DONT LE BUT EST DE SE RÉAPPROPRIER NOTRE ALIMENTATION ET DE PROPOSER DES PRODUITS SAINS, LOCAUX ET DE QUALITÉ À DES PRIX ACCESSIBLES ». Les valeurs de base du projet sont la solidarité, la durabilité, la participation des membres, l’équitabilité (comme dans le commerce équitable, être juste dans le rapport avec les producteurs et les grossistes).
Quelle est la base de votre coopérative? À quels enjeux entend-t-elle répondre? L’enjeu de la coopérative est de rendre accessible à tous une alimentation saine et durable. On met en avant les qualités nutritives d’une alimentation plus diversifiée, moins transformée, moins industrielle. Notre constat est qu’il existe pas mal de freins aujourd’hui pour certaines catégories de population. Le premier de ces freins, c’est l’aspect financier. Avec le modèle de participation des membres, on parvient à lever ce frein. Toutes les personnes qui
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veulent faire leurs courses dans le supermarché vont devoir travailler 2H45 tous les 4 semaines. Ce qui permet d’alléger la charge financière de la coopérative. Pour lever un autre frein, plutôt éducationnel ou informatif, nous organisons toutes les semaines des séances d’information. Nous participons à des projets de recherche et nous partageons nos connaissances sur l’alimentation saine et durable.
Qui sont ceux qui l’ont fondée? Peut-on dire que c’est une coopérative citoyenne? Initialement, ce sont 10 personnes issues du réseau ADES 2, elles-mêmes rejointes par des personnes actives dans des groupes d’achat de légumes. Ces personnes actives dans la vie associative voulaient poser une action concrète. En partant de réflexions sur l’économie et sur la façon dont le monde tourne aujourd’hui, elles ont voulu aller au-delà des modèles théoriques. Elles avaient envie d’être dans le concret et de passer à l’action. Grâce à la mise en place d’un supermarché, on touche plusieurs aspects de la vie. Premièrement, nous abordons l’aspect production en favorisant une agriculture locale, familiale, bio... Loin de la logique des grandes fermes et de la course aux subsides européens. Deuxièmement, nous avons un impact sur l’aspect distribution qui d’ordinaire, engendre beaucoup d’emplois précaires. Et enfin troisièmement, nous abordons l’aspect consommation en amenant les gens à réfléchir à ce qu’ils achètent, à sortir des gestes passifs. C’est pourquoi nous sommes transparents sur l’origine et la qualité des produits.
Quand on a lancé l’initiative, les porteurs avaient une moyenne d’âge de 25-26 ans. Pour la plupart, nous avions eu une première expérience professionnelle qui ne répondait pas à nos attentes. Au fur et à mesure du développement de ce projet, nous nous sommes ouverts à différentes tranches d’âge. Aujourd’hui, BEES coop est un projet intergénérationnel. Nous sommes 1300 coopérateurs-acheteurs. Au départ, le projet est citoyen car il est participatif, mais on vise la création d’un projet économique professionnel, une vraie entreprise mais avec une finalité sociale. L’objectif est de rendre service à la société et non pas de faire du profit. 2 ADES : Réseau pour des Alternatives Démocratiques, Économiques et Sociales. http://www.reseauades.net
Illustration : Manon Brulé ©
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Nous nous organisons avec une gouvernance horizontale, inspirée de la sociocratie 3. Nous avons trois niveaux d’organisation. Tout d’abord, le niveau stratégique qui prend les orientations sur le long terme, c’est l’Assemblée Générale (AG) au sein de laquelle chaque coopérateur a une voix. Ensuite, il y a le niveau tactique, c’est le comité de coordination qui met en œuvre les orientations prises par l’AG. Le travail est effectué par les cellules. Ce sont des groupes de travail avec les bénévoles qui concrétisent ce qui a été décidé, c’est le troisième niveau. C’est un modèle d’organisation très démocratique, mais il est compliqué au quotidien. Nous sommes accompagnés par Collectiva, un collectif qui travaille les méthodes d’intelligence collective. Par exemple, nous avons fait une élection sans candidat pour les administrateurs de la coopérative. Nous sommes partis du groupe de bénévoles. Il y avait 75 personnes et nous avons défini nos besoins. En suivant pas à pas cette méthode, le groupe a pu se choisir 4 personnes pour composer le Conseil d’Administration (CA).
3 Sociocratie : Mode d'organisation du pouvoir où celui-ci est exercé par l'ensemble de la société. Le mode de prise de décision et de gouvernance permet à une société, un groupe, une entreprise, une organisation, de se comporter comme un organisme vivant et de s'auto-organiser.
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Illustration : Manon Brulé ©
Quels sont vos modes d’organisation? Utilisez-vous des outils innovants? Quels sont les freins majeurs que vous rencontrez dans le développement du projet? Nous ne rencontrons pas de frein majeur. Il y a des choses qui nous ralentissent, qui sont liées au développement d’une entreprise. Nous avions par exemple sous-estimé le temps des travaux pour la rénovation du bâtiment qui abritera le supermarché, pour les permis d’urbanisme et le respect des normes... Nous devions apprendre beaucoup de choses car nous ne sommes pas du métier de la distribution ni du bâtiment. Mais dans le réseau des coopérateurs, on a des personnes ressources qui permettent au projet d’évoluer.
Quelles sont vos perspectives? En septembre, l’ouverture du supermarché est prévue. Actuellement, on a un labo-market qui fonctionne où les coopérateurs peuvent déjà venir faire leurs courses et travailler. À plus long terme, on voudrait valider le modèle que l’on a inventé. On rêve aussi de pouvoir faire des achats groupés, de développer des structures pour mutualiser la logistique, d’intégrer une partie de la production.
CONCLUSION FACE À UN SYSTÈME ÉCONOMIQUE MONDIALISÉ QUI PRODUIT DES DÉGÂTS SOCIO-ÉCONOMIQUES (DÉLOCALISATIONS, FERMETURES D’ENTREPRISES, CHÔMAGE MASSIF, PERTES DES ACQUIS DES TRAVAILLEURS,...) ET DES DÉGÂTS ENVIRONNEMENTAUX (AGRICULTURE INTENSIVE, PERTE DE BIODIVERSITÉ, POLLUTION,...); FACE À DES POLITIQUES PUBLIQUES ORIENTÉES PAR LA PENSÉE NÉOLIBÉRALE QUI ESSAYE DE NOUS FAIRE CROIRE QU’IL N’Y A PAS D’ALTERNATIVE; DES CITOYENS SE METTENT EN ACTION ET S’ORGANISENT POUR CRÉER DES ENTREPRISES À LEUR ÉCHELLE, CAPABLES DE RÉPONDRE À LEURS BESOINS ET QUI ONT UN IMPACT POSITIF AU NIVEAU ENVIRONNEMENTAL ET SOCIÉTAL. C’EST DANS CETTE ENVIE DE FAIRE DU NEUF, DE FAIRE PLUS JUSTE ET PLUS ÉTHIQUE, QUE SE SITUENT LES TROIS PROJETS RENCONTRÉS, DONT LES MODES D’ORGANISATION VARIENT MAIS QUI TENDENT TOUS LES TROIS VERS UN HORIZON COMMUN ALLIANT L’ÉTHIQUE, LA QUALITÉ, LA DURABILITÉ, LA SOLIDARITÉ.
MÉDOR PROUVE QUE SON MODÈLE EST PERTINENT ET ÉCONOMIQUEMENT VIABLE. LA BEES COOP POURRA D’ICI QUELQUES MOIS VALIDER LE SIEN. ET NEW-B SE CHERCHE ENCORE UN PEU DANS UN ENVIRONNEMENT ÉCONOMIQUE TRÈS COMPLIQUÉ ET AU CŒUR D’UN SYSTÈME QU’IL REMET EN QUESTION. 55
Nous avons testé pour vous
Par Benjamin Cambron
Afin d’agrémenter vos soirées débats sur l’avenir du monde et la place de l’argent dans celui-ci, nous sommes partis à la découverte des monnaies complémentaires. Lancer une monnaie complémentaire, c’est créer une monnaie sur un territoire limité qui fonctionne en complément de la monnaie nationale. Elle vise principalement à dynamiser l’économie locale. Elle n’a pas cours légal et ne peut faire l’objet de spéculation.
QUELQUES MONNAIES COMPLÉMENTAIRES L’Épi lorrain à Virton, Le Valeureux à Liège, Les Blés à Grez-Doiceau, Le Talent à Ottignies / Louvain-La-Neuve, Le Voltí à Rocherfort-Ciney-Marche, Et dernièrement, le Sous-Rire du côté de Malmedy, Stavelot, Waimes, Trois-Pont, Vielsalm,...
Graphisme Sous-Rire : Charlotte Langohr ©
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Ça sert à quoi la monnaie? Excellente question! D’ailleurs, c’est celle qui apparait partout quand on parle de monnaie complémentaire. Dans les livres d’économie, on attribue habituellement trois fonctions à la monnaie : Moyen d’échange : La monnaie facilite les transactions entre les personnes et les communautés car elle est acceptée par tous. Elle permet aussi d’éviter les inconvénients du troc (biens ne se conservant pas, biens qui ne sont pas toujours acceptés de tous,...).
CHEZ NOUS, L’EURO EST L’INSTRUMENT DE PAIEMENT LÉGAL. IL INCARNE CES TROIS FONCTIONS. AUCUNE AUTRE MONNAIE N’EST RECONNUE EN TANT QUE TELLE.
Unité de mesure : La monnaie permet de mesurer la valeur des biens et des services de nature et de qualité très différentes. Elle peut servir d’étalon, d’unité de mesure commune grâce à laquelle un prix est établi pour chaque bien selon ses spécificités. Réserve de valeur : Avec la monnaie, une personne peut, soit utiliser immédiatement celle-ci, soit reporter son achat en la mettant en réserve grâce au mécanisme de l’épargne financière (auprès des banques) ou grâce à la thésaurisation (si l’argent reste chez la personne).
Illustration : Julie Boiveau ©
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Monnaie légale? L’euro étant la seule monnaie légale qui a cours en Belgique, quid des monnaies complémentaires? Sont-elles dangereusement subversives? Êtes-vous complice d’un délit en laissant trainer une monnaie complémentaire dans le fond de votre portefeuille? Toujours dans l’idée de vous soutenir pour briller en société, voici l’article pénal qui concerne la protection de la monnaie ayant cours légal : « Quiconque aura émis un signe monétaire destiné à circuler dans le public comme moyen de paiement sans y avoir été habilité par l’autorité compétente sera puni d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de 50 à 10.000 euros, ou d’une de ces peines seulement ». Votre vivacité d’esprit aura tout de suite percuté que sur cette base, ce n’est pas une bonne idée de faire une monnaie complémentaire en Belgique. Et pourtant, si on se penche sur les travaux préparatoires de cet article du code pénal, on y décèle également les limites pensées par le législateur. Ainsi, « Ne tombent évidemment pas dans le champ d’application de l’article [178bis], l’émission de chèques, de lettres de change, de cartes de paiement ou l’ouverture de comptes à vue dont on peut disposer au moyen de chèques ou d’ordres de virement pour effectuer des paiements, ainsi que l’émission de jetons, de bons ou tickets dont l’utilisation est limitée à des usagers bien définis, tels le personnel d’une entreprise, la population d’une école, les membres d’une association, et dont la valeur est limitée en fonction du prix des biens et services qui peuvent être consommés par ces usagers ».
Voici une synthèse de l’idée (les textes légaux n’étant finalement là que pour vous permettre d’étaler votre superbe lors de la prochaine soirée « on-refait-le-monde-économique-de-demain ») : 1) Chaque émission monétaire doit être jugée au cas par cas pour voir si elle est licite. Actuellement, aucune monnaie complémentaire dans le pays n’a été interdite. 2) En Belgique, une monnaie complémentaire n’est pas réellement une monnaie. Ce sont des bons dont l’usage est de soutenir l’économie locale. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour l’émetteur de cette monnaie, cela veut dire beaucoup. Cela veut dire qu’il reste libre... Vous restez sans voix suite à ces deux paragraphes techniques sur les fonctions de la monnaie et la légalité des monnaies complémentaires? Ce silence témoigne probablement d’un intérêt très marqué pour le sujet. Continuons donc sur la même lancée en abordant un point qui devrait être soulevé tôt ou tard lors d’un débat sur les monnaies complémentaires : « Au fond, c’est quoi la différence entre une monnaie complémentaire et une monnaie locale? »
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Monnaie locale ou monnaie complémentaire? En général, on préfère utiliser le terme de monnaie complémentaire plutôt que de monnaie locale. La raison est assez simple, les monnaies complémentaires sont d’usage conjoint avec l’euro. Il ne s’agit pas d’un moyen de financement autonome et indépendant. Sans euro, pas de monnaie complémentaire. Ces dernières reposent sur l’existence d’un système monétaire officiel. À l’inverse, le terme « monnaie locale » pourrait sous-entendre une autonomie de fonctionnement que l’appellation « monnaie complémentaire » n’a pas. Dans l’optique de rester dans la philosophie du cadre posé par l’article [178bis] du code pénal, cela a donc tout son sens de parler de monnaie complémentaire. Dans les grandes lignes, c’est chou vert et vert chou mais l’un des deux est moins critiquable légalement. Enfin, pour être tout à fait complet, on utilise le terme de « monnaie complémentaire locale » qui a l’avantage de concilier la relation de la monnaie à la monnaie officielle tout en soulignant sa vocation de soutien à l’économie locale.
Comment cela marche-t-il? Après tout ce topo théorique, reste à aborder le côté pratique de la chose. Parce qu’une monnaie complémentaire, au-delà de toutes les considérations ci-dessus, c’est un outil de paiement concret sur un territoire donné. Ainsi, en tant que consommateur, vous rentrez dans un lieu qui propose la monnaie complémentaire. Vous échangez des euros contre celle-ci ou vous achetez un bien avec des euros et l’on vous rend le reste en monnaie complémentaire. Avec cette dernière, vous pouvez acheter ce que vous désirez auprès des commerces acceptant ce type de monnaie. En tant que distributeur de biens ou services acceptant d’être payé en monnaie complémentaire, une partie de votre chiffre d’affaire est réalisé en monnaie locale. Vous allez chercher à l’écouler en négociant avec certains de vos fournisseurs pour qu’ils acceptent d’être payés en monnaie complémentaire. Effet boule de neige, l’économie locale est dynamisée par l’usage de cette monnaie alternative comme moyen d’échange sur un territoire. Comme vous avez tout suivi attentivement depuis le début, vous retrouvez ici l’objectif principal d’une monnaie complémentaire tel que présenté dans l’introduction de cet article. Néanmoins, ce n’est que l’un des buts annoncés par les usagers de ce type de monnaie... 59
Pourquoi des monnaies complémentaires? Il peut y avoir de multiples raisons d’utiliser une monnaie complémentaire. En voici quelques-unes régulièrement avancées sur le sujet : Recréer du lien local Soutenir des entrepreneurs régionaux et encourager les circuits courts Respecter l’environnement Favoriser l’économie sociale et solidaire Sécuriser les ressources et garder les richesses localement Limiter les risques liés au monopole monétaire dans lequel nous vivons. En effet, aucune monoculture ne peut espérer être stable. Au moindre rouage économique grippé, le risque que tout s’écroule existe. Les monnaies complémentaires amènent une diversité dans ce modèle
En pratique donc, même si on trouve d’évidentes similitudes, chacun trouve derrière l’usage de monnaies complémentaires une motivation qui lui est propre.
UNE ANECDOTE TRUCULENTE POUR ÉTALER VOTRE SAVOIR SUR LA QUESTION ET RELANCER LE DÉBAT : Au moyen-âge, on avait une prolifération de monnaies locales. Ainsi, par exemple, on trouvait 17 monnaies complémentaires de la monnaie royale rien que dans le Languedoc. 60
Illustration : Julie Boiveau ©
EN TANT QUE MJ, POURQUOI AVEZ-VOUS DÉCIDÉ DE PARTICIPER À LA DYNAMIQUE D’UNE MONNAIE COMPLÉMENTAIRE LOCALE?
La Bicoque à Liège « On a vu cela comme une occasion de favoriser la consommation locale, bio,... Pour nous, participer à une monnaie locale, c’est une première étape pour amener un autre mode de consommation à la MJ. Par exemple, actuellement, on vend des produits de marque internationale; demain, on pourra réfléchir à proposer autre chose. On va voir comment cela va évoluer avec les jeunes, c’est tout nouveau pour nous ».
MJ Virton « Et pourquoi pas? Pour nous, une monnaie complémentaire, c’est un exemple de la diversité que l’on peut trouver dans les MJ. Nous sommes une sorte de société dans la société. Participer à ce genre d’initiative, c’est une ouverture à la diversification que l’on trouve au niveau de la société. Finalement, pourquoi n’avoir que l’euro? Proposer une monnaie locale chez nous, cela sert aussi de base à des discussions sur l’économie aujourd’hui, la place des banques, etc. Et puis c’est une ouverture sur ce qui se fait au niveau local et sur une tendance qui prend de plus en plus de place au niveau national ». VOUS VOULEZ EN SAVOIR DAVANTAGE? Le réseau financité (https://www.financite.be/) a réalisé un guide extrêmement complet sur les monnaies complémentaires. Ou encore via les sites liés aux monnaies complémentaires citées dans cet article :
www.enepisdubonsens.org / www.valeureux.be www.grezentransition.be / www.letalent.be www.levolti.be / www.sous-rire.be
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Par Magali Company
« Demain » est un adverbe, venant du latin de et mane qui signifie « matin ». Adverbe qui détermine souvent une action (un verbe) dans le futur 1. Deux références de temps : le jour qui suivra immédiatement aujourd’hui, l’autre désigne un futur approximatif.
« DEMAIN » DÉSIGNE DONC UNE TEMPORALITÉ. IL FAIT RÉFÉRENCE AU TEMPS. LE TEMPS COMME NOTION QUI REND COMPTE DU CHANGEMENT DU MONDE. LE TEMPS EST ABSTRAIT, MAIS IL CONDITIONNE FORTEMENT NOTRE SOCIÉTÉ. 62
Synonymes de « demain » : bientôt, dans la suite, dans le futur, à l’avenir... 1 2
http://www.cnrtl.fr/definition/demain http://www.ftu.be
COMME L’AFFIRME MONTULET EN 1998 À TRAVERS SON CONCEPT SOCIOLOGIQUE, LE TEMPS REVÊT UNE DOUBLE DIMENSION 2 : Une dimension objectivable parce qu’il est le cadre de référence collectif sur lequel une société s’organise, mais il ne possède pas de nature en soi. Le temps ne prend sens que dans sa deuxième dimension, celle de sa subjectivation.
Parce que le temps est vécu, il est donc une expérience 3
Illustration : Magali Company ©
Dans l’Histoire des sociétés, le rapport au temps s’est vu radicalement modifié avec la montée de l’industrialisation au 19ème siècle : division du travail, rationalisation, production... On passe d’une mesure du temps déterminée par la tâche à une mesure de la tâche de travail par le temps.
Ce processus de mise en étapes dans le temps est une pratique pédagogique utilisée dans notre secteur Centres de Jeunes : la pédagogie du projet. Ce socle fondamental est essentiel, surtout depuis le Décret de 2000 qui définit l’action des Centres de Jeunes sur base d’une planification d’actions dans le temps, à savoir quatre ans. Soit aujourd’hui une réalité « x » et demain, la projection d’une autre.
3 https://www.letemps. ch/economie/2016/03/17/ rapport-temps-varie-selon-culture
Le temps est une norme, une valeur, qui n’est pas la même selon où on se situe sur le globe terrestre. Ainsi, pour certaines cultures, la question du temps se conçoit différemment. Ce rapport est induit par l’architecture de nos langues qui influe sur notre manière de raisonner et de percevoir le temps. En fonction des langues, nous recourons ou non aux conjugaisons des verbes, à l’emploi de formes passées ou de formes futures. Par exemple, la langue française fait une distinction très nette entre le passé, le présent et le futur. Elle privilégie donc la chronologie. À l’inverse, le mandarin qui ne se conjugue pas ne donne pas à opposer des temps. Les verbes sont invariables et les temps sont marqués par l’adjonction, avant ou après le verbe, de particules ou d’auxiliaires. Il en résulte une vision du temps cyclique.
Les règles de grammaire commandent donc nos manières respectives de découper la réalité et de nous projeter dans l’avenir. Ainsi, dans notre société, on va privilégier l’approche par projet individuel ou collectif : soit une projection où une action est planifiée dans le temps.
La tâche est ardue. Il s’agit de porter une vision, dessiner un trajet en prenant pour point de départ « aujourd’hui »... À savoir une société en crise : crise économique, crise des migrants, un marché de l’emploi au plus bas, des acquis sociaux qui s’effritent, un état qui contrôle, qui prend des mesures sécuritaires... Quant au niveau mondial, la barbarie dans laquelle sombrent certaines sociétés crée un sentiment d’asphyxie et une incapacité à se projeter. La trajectoire est-elle inexorable? Question d’autant plus difficile à traiter s’il y a précarité des publics jeunes. Ce sera l’angle choisi pour cet article, en faisant le lien avec la réflexion menée par un collectif d’animateurs sur Liège.
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Pour éclairer la question, rencontre avec Géraldine Brausch 4
Géraldine Brausch : Chercheuse à l’ULG en Philosophie morale et politique; Professeur de Philosophie (HECH - IPEPS); publication : Sur le chemin de l’émancipation. Le pari de l’égalité. http://orbi.ulg.ac.be/ bitstream/2268/135859/1/Contribution-Brausch.pdf 4
Chercheuse en philosophie politique et critique, elle intervient au sein de ce Collectif Précarité 5 au départ de questionnements amenés par les animateurs : quelle posture avoir en tant qu’animateur en Maisons de Jeunes face à des publics de plus en plus précarisés? Comment les amener dans des projets quand les besoins fondamentaux ne sont pas remplis? Comment faire si, au niveau psychologique et réalisation de soi, la précarité impacte la vie des jeunes : démobilisation, difficultés de s’engager dans des projets et de se projeter dans l’avenir?
À PARTIR DE CELA, IL S’AGIT D’ÉCHANGER — ÉCLAIRER — COMPRENDRE. La pédagogie du projet est une démarche au centre de l’action en Maisons de Jeunes. Aujourd’hui, avec la crise que nous traversons, comment amener les jeunes à se projeter dans l’avenir? Un projet, c’est se mobiliser. C’est avoir la capacité de se projeter. C’est une vraie interrogation. L’affirmation : « les jeunes ne se projettent pas », en tout cas sur la question de la participation, n’est pas propre aux jeunes. Elle se pose pour nous tous.
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5 Le Collectif Précarité : recherche action participative qui regroupe les Maisons de Jeunes sur le territoire de Liège : Thier-à-Liège, Sclessin, kinkempois, Angleur, Sainte-Walburge, Jupille, Chênée, Saint Nicolas. Il s'agit ici d'envisager des pistes d'actions possibles à construire sur du long terme. Ce groupe est constitué de 15 personnes.
Pour que cela fonctionne, un projet doit faire sens. Il y a une telle offre autour de la consommation du temps libre ! Les MJ font un métier « pour » les autres. Par définition, ces autres-là, il faut savoir de quoi ils ont besoin, et surtout ce qu’ils veulent.
Illustration : Magali Company ©
Lors d’une formation menée par la MJ de Sambreville (formation I . Teenagers), une formatrice chargée du suivi individuel des jeunes expliquait le malaise (voire l’agressivité) chez un jeune provoqué par la simple question : « C’est quoi ton rêve? » « Qu’est-ce que tu as envie de devenir? » Cette question - « au fond, tu veux quoi? » - parait anodine. Mais elle fait réagir le jeune qui tombe des nues. C’est parce qu’on ne lui a jamais posé la question. Tout simplement. Or, c’est à force de poser la question qu’on commence à réfléchir. Si on ne pose jamais cette question à un enfant, sa capacité à s’imaginer va s’éteindre. Cette réflexion sur soi ne va pas être stimulée, elle n’existera pas. Ou elle existera, mais de manière tellement intuitive que les mots ne sortiront pas. À ce moment-là, il n’y a pas d’articulation de la parole à la pensée. Hannah Arendt est une politologue, philosophe et journaliste allemande, naturalisée américaine, connue pour ses travaux sur l’activité politique, le totalitarisme, la modernité et la philosophie de l'histoire.
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http://la-philosophie.com/definition-la-politique : La politique en philosophie est une notion centrale. Elle provient du grec polis, la Cité, et techné, la Science : la politique se définit comme une science du gouvernement de la cité. Les philosophes contemporains (Habermas, Arendt, Rawls) ont fait de la démocratie le cadre indépassable de la pensée politique. Chez eux, la question est plutôt : comment améliorer la démocratie? Qu’est-ce qui la menace? Comment la sauvegarder? 7
Lors d’une séance de travail avec le Collectif Précarité, tu nous as parlé de Hannah Arendt 6 connue pour ses travaux sur l’activité politique. Dans La Condition de l’homme moderne (1961), elle distingue deux genres de vie : vie active et vie contemplative. Cette dernière rejoindrait-elle « l’insouciance de l’adolescence »? Pour moi, l’insouciance n’est pas liée à la vie contemplative. Elle s’apparente davantage à la société des loisirs, qui va naitre grâce aux acquis des mouvements ouvriers, et dans le même temps, au développement du capitalisme. On débloque un autre temps que celui jusqu’alors dévolu au travail. Cela a pour conséquence que cette masse de temps, on ne sait pas quoi en faire. On n’y est pas préparé parce que jusque-là, on a toujours été défini comme travailleur... C’est là que le capitalisme rebondit et développe des activités de consommation de loisirs. Ce n’est donc pas sûr que ce temps libéré soit devenu du temps de contemplation ou du temps consacré à la « politique »7... Toutefois, le monde associatif s’est aussi développé au même moment. Mais le capitalisme étant plus fort, il a parfaitement compris ce qu’était le secteur des loisirs. Je ne sais pas si l’insouciance de l’adolescence est liée à de la contemplation ou à de la consommation de loisirs. L’insouciance de l’adolescence est vraiment liée à la modernité, et même sans doute au 20ème siècle. D’ailleurs, dans d’autres cultures, l’adolescence n’existe pas. Les enfants passent directement de l’enfance à l’âge adulte. Dans notre société, l’adolescence est une construction de l’individu.
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Par rapport à cette question du temps, n’y a-t-il pas une exigence qui ne correspond pas à la réalité des jeunes. Ne trouves-tu pas qu’on leur en demande beaucoup en leur demandant de s’engager et de participer à des projets? Je ne sais pas si on leur demande beaucoup ou pas beaucoup... Peut-être leur demande-t-on quelque chose qui est à côté de la plaque, si en retour il n’y a pas de réponse de leur part... Pour en revenir à l’insouciance, de mon point de vue, je ne suis pas certaine que l’adolescent soit si insouciant. Je dirais plutôt qu’il est en interrogation existentielle. L’adolescence, c’est le propre du questionnement. De même, je ne pense pas que l’enfance soit vraiment insouciante, ça dépend des conditions de vie. Je vais avoir un point de vue marxiste sur ce sujet : l’insouciance est quand même liée à un minimum de confort. Certains enfants à l’école n’ont pas leurs tartines pour manger à midi. Ils ont faim et se font taper sur les doigts parce qu’ils n’ont pas leur matériel. Ces enfants rentrent dans la spirale infernale de l’échec et de la discrimination. Pour moi, ces enfants sont loin d’être dans l’insouciance.
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N’y a-t-il pas une image faussée entre la représentation qu’on a des jeunes et leurs réalités, une image véhiculée par les médias et la publicité qui codifient la jeunesse : « Quand on est jeune, on est cool! »? Et pour être cool, il faut avoir le smartphone dernier cri, sans nécessairement avoir de quoi manger tous les jours. Nous vivons dans cette dictature du cool! C’est une réalité! La cool attitude est devenue une exigence du système, et les premiers touchés sont notamment les jeunes. On le constate avec l’image complètement transformée du cadre supérieur de 30 ans. Avant, c’était le mec hyper rigide. Maintenant, c’est le type cool qui rigole. Nous sommes dans l’éloge du copain (et de la bande de copains) qui aime la vie, boit des apéros et préfère déboutonner sa chemise plutôt que de porter la cravate austère d’autrefois. Cette cool attitude traverse tout le monde, tous les groupes. D’ailleurs, au travail, le chiant de service, c’est celui qui n’est pas cool... Ne pas être cool pourrait même devenir un facteur de discrimination. Quelque part, c’est l’esprit de sérieux qu’on envoie balader. La personne un peu sérieuse devient l’emmerdeur de service. C’est redoutable! Car être cool, c’est prendre les choses à la légère. Et tout ce qui peut être considéré comme sérieux est rejeté. Or, être sérieux, c’est prendre le temps de s’arrêter, aller au bout du problème. C’est analyser... Les actes rejoignent la pensée. Et penser, c’est être rigoureux, sérieux au bon sens du terme. On s’arrête un moment, et on pense. Ça peut prendre du temps, ça peut être long, ça risque d’être difficile.
« DE MON POINT DE VUE, JE NE SUIS PAS CERTAINE QUE L’ADOLESCENT SOIT SI INSOUCIANT. JE DIRAIS PLUTÔT QU’IL EST EN INTERROGATION EXISTENTIELLE. »
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pa n
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En MJ, quand on est face à des jeunes, il est impossible de tricher. Nous sommes obligés d’entrer dans leur monde, dans leurs modes de références. Comme on le disait tout à l’heure, on ne peut pas penser des projets sans partir de ce qui fait sens chez eux. Parfois, les MJ deviennent le dernier lieu de socialisation des jeunes, le dernier endroit qu’ils fréquentent quand ils ne vont plus à l’école, n’ont plus de travail…
tration : Magali
m Co
Dès lors, comment parvenir à construire les choses en étant là-dedans? Je ne vois qu’une issue. À partir du moment où ils sont bénéficiaires, parce que le système est établi comme ça, il faut partir de leur cadre. Que ce cadre soit du hip-hop ou encore de la musique traditionnelle turque, il s’agit de partir de leurs valeurs. Si ce cadre est religieux, il faut travailler à partir de cela. Mais je pense que cela peut être source de problèmes parce qu’il y a un réel non-dit sur ce sujet... Il faut bien se dire que la plupart des valeurs et des normes viennent essentiellement des religions. Partir de leurs cadres pour arriver à repérer la plus petite chose qui les met en avant, qui les définit est important. Toute personne qui travaille « pour » est confrontée au même souci : à un moment donné, nous partons de notre propre cadre, de nos références, avec du coup l’envie de transmettre. Mais il faut veiller à ce que notre travail reste dans l’échange et dans un processus de transmission.
C’est un grand leitmotiv « de travailler avec », « à partir de »... Mais il faut constamment être conscient de nos mécanismes. D’autant qu’aujourd’hui, nous sommes dans une crise économique extrêmement grave. Celle-ci creuse davantage les inégalités entre les personnes en présence. Donc, les projets ne seront pas les mêmes, ni les besoins, ni les envies. Il faut absolument partir du public, et non pas du cadre culturel, du cadre normatif, du cadre socio-économique... Cela signifie aussi que la question du « demain » se pose également pour les travailleurs au contact de ces publics. 67
On remarque souvent chez les jeunes une incompréhension face au travail de l’animateur. Par exemple, ils peuvent ne pas comprendre pourquoi un animateur est payé pour jouer au ping-pong... La question de l’argent revient assez souvent… Le fait qu’un jeune pose la question : « pourquoi es-tu payé pour jouer au ping-pong et moi pas? », ou encore « toi, tu vas venir à l’AG et tu seras payé, et moi pas! » n’est pas une donnée propre à la jeunesse. Elle peut s’appliquer à tout un chacun. N’est-on pas beaucoup plus assidu dans ce pourquoi on est payé plutôt que dans ce pourquoi on ne l’est pas? En partant de là, il faut être un peu pragmatique, et faire sauter une série de questions.
As-tu entendu parler du phénomène de la sherwoodisation?8
Donc construire demain sans penser à cette notion d’argent, sans penser à l’économique, c’est impossible?
Oui, c’est quand les modèles de société ne correspondent plus, ne répondent plus aux besoins des gens. On peut partir dans la forêt de Sherwood. Avec tout ce que cela comporte comme fragilité, qui peut être récupérée par les mafias sous prétexte d’une idéologie, comme Daesh par exemple.
En effet, je ne vois pas comment on peut faire autrement. Parce qu’on est dans une tension, on vit une crise socio-économique gravissime, combinée à un héritage de la société des loisirs que le capitalisme a capté... On est dans quelque chose d’incroyablement difficile à penser parce que la société des loisirs était pensable à partir du moment où tout le monde avait son confort.
Il y a une vraie crise du sens. Et ce qui va faire sens, c’est notamment ce qui répond d’abord aux besoins élémentaires de l’Homme : manger et faire communauté. Dans la forêt de Sherwood, on retrouve ça. On ne peut pas le négliger! La fracture est tellement de plus en plus grande qu’elle se joue déjà entre le travailleur socioculturel qui a un boulot et le jeune qui n’en n’a pas...
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8 http://www.revuenouvelle.be/ La-sherwoodisation-ou-l-obsolescence-de-la-cite : Le terme, né d’une boutade entre chercheurs, désigne un processus silencieux, progressif de décrochage d’un nombre grandissant de citoyens. Il a été repéré lors d’analyses de statistiques démographiques anglaises où il apparaissait qu’une population avait disparu des registres. D’où la référence à la forêt de Sherwood, lieu mythique où serait réfugiée cette population déracinée, désaffiliée, désocialisée... Car le réel ne lui répond plus, elle va chercher ailleurs, un lieu social propice, qui selon elle, lui donne du sens.
Aujourd’hui, on combine cet héritage de société des loisirs avec un cadre sociétal où il n’y a plus le confort... Un double enjeu se joue : d’une part, le socioéconomique et en parallèle, un besoin de sens, besoin de faire communauté. Si tu les combines, tu trouves ce qui fonctionne. Et pour l’instant qui offre ça? Les mouvements réactionnaires et mortifères. Ça, c’est très difficile! Il n’y a pas d’autre contreoffre. Dès lors nous pouvons nous poser une question : le film Demain est-il une contre-offre? Il ne l’est que pour la classe moyenne qui y trouve du sens. Mais je ne suis pas certaine que ça soit une contre-offre pour des populations en très grande précarité parce qu’il y a des codes sociaux pour en faire partie. L’enjeu est là : Proposer une contre-offre avec les gens concernés!
Non, je ne pense pas que ça va concerner les jeunes. L’électorat du PTB, ce n’est pas les jeunes en crise de sens et en crise socio-économique. Les jeunes ne connaissent plus la signification du mouvement ouvrier. Ça ne leur parle plus. Parce qu’il n’y a plus de condition ouvrière. C’est fini. Il faudrait l’équivalent du parti ouvrier, dans un mouvement de gauche, mais qui tienne compte de la condition des jeunes...
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Et à un niveau politique, penses-tu qu’il y aura une contre-offre, par exemple avec le PTB?
pa om iC l a g Ma ion : Illustrat
La condition ouvrière a permis de rassembler des milliers de gens précisément parce qu’ils avaient des enjeux communs. Aujourd’hui, c’est ultra compliqué de trouver le dénominateur commun qui permettrait de mobiliser des personnes dans des situations très différentes, avec des histoires très différentes dont le seul point commun est la précarité et / ou la crise de sens.
CLAP’ACTION #4 SENSIBILISER CEUX QUI NE SE SENTENT PAS CONCERNÉS
Comment aborder l’écocitoyenneté avec un public surtout préoccupé par des questions de précarité, de difficultés familiales ou scolaires? Comment accrocher ceux qu’on n’accroche pas? Via l’accueil? À la MJ de Sprimont, les « thèmes accueil » ont été imaginés pour travailler l’axe citoyenneté avec les jeunes qui ne s’inscrivent pas dans les projets, ceux qui ne viennent qu’à l’accueil ou plus occasionnellement. Il s’agit de mettre un thème à l’honneur à l’accueil et de proposer une multitude de références tout au long de l’année pour informer, interpeller, discuter. L’activisme/militantisme, l’alimentation figuraient par exemple parmi les derniers thèmes définis. À partir du thème choisi, les pistes d’actions vont dans tous les sens : expo « portraits d’activistes » sur les murs de l’accueil, soirée présentation du Valeureux (monnaie complémentaire liégeoise), projection du film Demain, changement des produits proposés au bar, action replantage d’arbres, passage aux gobelets réutilisables, activité potager ou atelier cuisine « bonne bouffe »... À chaque fois, l’idée est d’associer des moments de réflexion à des temps plus actifs. Avec ce projet, la MJ mise sur le long terme. Il s’agit de la juxtaposition de plusieurs petites actions qui s’ajoutent les unes aux autres pour sensibiliser de façon durable. Des actions au départ très descendantes, pas forcément « créées par les jeunes » mais qui ont débouché sur des réelles prises de conscience. Les jeunes se sont approprié ces nouveaux codes, plus durables, à l’intérieur de la MJ. Au point que lorsque les animateurs ont voulu retirer la limonade alternative de la vente, les jeunes ont fait une pétition et interprété une ode à leur « Isis citron » pour revendiquer sa réintégration! Plus d’info? MJ Sprimont — John Balancier
Conclusion
Le travail en Maisons de Jeunes reste bien dans le champ socioculturel. Malgré l’urgence sociale, cette spécificité doit se poursuivre parce qu’il y a des processus qui fonctionnent, parce qu’il y a des jeunes porteurs de ces processus, réflexions, actions, parce que ça fait sens, parce qu’il y a un effet de groupe. La dynamique collective est le moteur. Et là où ça fonctionne le mieux, c’est lorsque les jeunes eux-mêmes ont acquis ces mécanismes et sont dans la transmission auprès d’autres jeunes. C’est le déclencheur de changements plus profonds. Les Maisons de Jeunes travaillent depuis longtemps les questions liées à la consommation, l’immédiateté et le rapport à l’argent. La réalisation des envies des jeunes doit passer par une prise de conscience : s’ils veulent quelque chose, il va falloir trouver de l’argent, et s’organiser euxmêmes pour le financer. Le préalable avant tout, c’est la relation. Il est primordial de créer la relation. Partir des jeunes, échanger, les amener à développer un mécanisme d’échanges pour leur apprendre à « donner ». S’autoriser à leur demander de « donner » quelque chose, même s’ils n’ont rien car en mettant en place ces processus d’échanges, c’est leur rendre de l’empathie. Le principe de donner fait partie des échanges humains. Donner, c’est aussi se sentir considéré. Et ça, c’est constitutif de leur avenir. 69
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Une utopie vers la paix? Par Sarah Beaulieu
Marinaleda est une petite ville d’Andalousie située dans la Province de Séville comptant 2800 habitants. Elle représente depuis 1979 un exemple de contre-pouvoir au modèle prédominant à travers son dispositif politique, économique et social original.
À Marinaleda, il n’y a pas de policier, pas de sans-abris. Le maire n’est pas rémunéré. À Marinaleda, le chômage est quasi inexistant et on partage le travail. Tout le monde gagne le même salaire, qu’on travaille au champ ou à l’usine. À Marinaleda, on paie son loyer quinze euros par mois.
EST-CE SEULEMENT POSSIBLE? MARINALEDA, C’EST AUSSI ET SURTOUT UNE HISTOIRE DE LUTTES!
CLAP’ACTION #5 INTÉRESSER LES JEUNES À LA POLITIQUE Depuis de nombreuses années, Infor Jeunes Couvin s’est donné pour mission de sensibiliser les jeunes à la chose politique. À l’occasion de périodes électorales ou pas, ils ont édité des publications et proposé des animations à destination des jeunes. Leur expérience leur a permis de dégager trois balises incontournables pour que cela fonctionne. Fournir des supports compréhensibles : traduire les contenus en langage simple, avec des phrases courtes, beaucoup d’images et d’illustrations pour un accès facilité. Aller là où les jeunes se trouvent sans attendre qu’ils viennent à nous : aller dans les écoles, dans les associations, dans les centres de formation, les Centres d’Insertion Socio Professionnelle (CISP). La demande est là! Faire vivre les choses plutôt que d’expliquer : dans un contexte ludique, par des mises en situation, les jeunes se mettent à la place d’électeurs, de politiciens,... Dans un moment de débriefing, ils sont ensuite capables de mieux formuler leurs questions. Plus d’info? Infor Jeunes Couvin - Katia Raimondi — www.inforjeunescouvin.be
L’accès à la santé, à l’éducation et aux activités culturelles est gratuit ou presque, ainsi que les services comme la garderie. Marinaleda a aussi une taxation parmi les plus faibles d’Andalousie. Le travail, la culture, l’éducation et la santé sont considérés comme un droit. Le système est simple : les habitants ont créé une coopérative qui ne redistribue pas les bénéfices, mais réinvestit pour créer du travail.
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Acte 1 :
La lutte pour la terre
Au commencement, il y a une lutte pour la terre dont le seul slogan est la tierra para el que la trabaja (trad. : la terre à celui qui la travaille). En 1976, c’est la fin de la dictature du général Franco. La région est désertique. On n’y observe que des champs arides à perte de vue. La population est extrêmement pauvre et majoritairement composée d’ouvriers agricoles effectuant un travail très dur pour un salaire de misère. Ils ne sont pas propriétaires des terres. Celles-ci appartiennent à un des plus riches propriétaires fonciers d’Espagne, le duc de l’Infantado. Ce dernier possède des milliers d’hectares et exploite des milliers de travailleuses et travailleurs journaliers. Dans la mouvance des paysans brésiliens « sans Terre », ces ouvriers agricoles s’engagent alors dans douze longues années de lutte douloureuse rythmée par des centaines d’occupations de fermes détenues par les riches propriétaires terriens de la région, une grève de la faim de 700 habitants en 1981, de nombreuses procédures judiciaires entamées à l’encontre des travailleurs, des intimidations... Puis en 1991, le duc de l’Infantado lache enfin une partie de ses terrains. Mille-deux-cent hectares sont cédés aux habitants de Marinaleda. Ils décident alors de les exploiter sous le modèle d’une coopérative et de mettre en place une réforme agraire.
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La construction d’une démocratie participative au travers d’une idéologie de gauche
Acte 2 :
Une logique de communautarisation des richesses Avec les habitants, Gordillo met en place un système de démocratie « directe et participative » grâce auquel les habitants décident de tout en assemblées participatives. Pour être représentative de l’ensemble des habitants, l’adhésion doit avoisiner les 80%. Lors de ces assemblées, les habitants votent des propositions et modèles luttant contre le capitalisme, favorisant le travail, le logement et la culture pour tous. Ils ont par exemple adopté la création de maisons « autoconstruites » dans le but de lutter contre la spéculation immobilière faisant rage dans la région. Le système est simple : la Junta de Andalucia (communauté autonome) dirigée par le PSOE 1 fournit le matériel, la mairie, le terrain et l’architecte. Le futur locataire construit la maison avec l’aide d’autres habitants. Chacun construit la maison de tout le monde. Chaque habitant paiera ensuite quinze euros de loyer par mois afin de rembourser l’investissement de l’Andalousie et de la mairie.
En 1979, ce sont les premières élections municipales démocratiques depuis la fin de la dictature et c’est Juan Manuel Sanchez Gordillo qui les emporte à Marinaleda. Ce professeur d’histoire, syndicaliste au SOC (Syndicat Ouvrier Rural) d’obédience communiste devient, à 27 ans, le plus jeune maire d’Espagne. Se met alors en place un système de résistance organisée où le rapport de force doit être rétabli entre l’administration centrale, l’économie capitaliste et le souhait des habitants insoumis qui luttent afin de mener leur vie comme ils l’entendent.
1 PSOE : Parti Socialiste Ouvrier Espagnol – Parti de centre-gauche.
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MAIS QU’EN EST-IL DE MARINALEDA AUJOURD’HUI? UNE TRANSMISSION DES LUTTES?
DÈS LORS, QUELLES POURRAIENT-ÊTRE LES CONDITIONS D’ÉMERGENCE À DE TELLES ALTERNATIVES ?
Aujourd’hui, dans une Espagne en crise, à genoux, où le taux de chômage atteint plus de 40% en Andalousie (55% chez les 16 – 24 ans) plongeant 3,5 millions de personnes à la limite du seuil de la grande pauvreté, Marinaleda, grâce à son système unique et aux luttes menées, est la dernière enclave prospère. À l’heure actuelle, c’est contre la crise financière et l’austérité que les habitants luttent. Le maire est toujours là et désormais, depuis 2008, il est aussi député de la Gauche Unie 2 au Parlement d’Andalousie. Avec ses habitants et les militants ouvriers du syndicat, il continue à organiser des actions de désobéissance civile d’occupation et de « pillage organisé » des supermarchés.
Et par extension, pourquoi et comment les Centres de Jeunes peuvent être des lieux de contrepouvoir et de démocratie participative?
La question de la transmission du système à la jeune génération de Marinaleda est un sujet important pour ce village. Cela constitue même un enjeu majeur pour sa pérennité. Le renouvellement générationnel ne peut se faire que si les jeunes gens « s’emparent » de l’héritage construit par les anciens et le font évoluer en fonction des réalités et enjeux actuels.
Face à cette « sinistrose » ambiante, nous percevons également l’augmentation d’un sentiment de renoncement ou d’autocensure parmi la population, particulièrement chez des personnes vivant la précarité ou dont les choix de vie sont dits « différents ». Ces dernières semblent finalement intégrer les dysfonctionnements structurels d’une société en crise comme une responsabilité individuelle. Une sorte d’autodiscipline induite qui permet de s’adapter au cadre institué, aux systèmes de plus en plus rigidifiés. Le risque qui se profile ici est d’une part, la négation de soi en tant qu’individu, avec ses propres projets, souhaits (mais cela peut-il tenir sur le long terme?) et d’autre part, la perte de l’analyse critique et de l’autonomie de choix qui concernent sa vie, la fin de la remise en question constructive. Celle qui permet de construire ensemble une société adaptée à chacun et pas l’inverse.
On le comprend bien, l’histoire est complexe et l’acquis de Marinaleda s’est gagné petit à petit au prix de beaucoup de luttes, avec une organisation et une détermination sans faille. Le système est tout à fait exportable. Mais faute de volonté politique, c’est complexe. En d’autres termes, nous sommes d’avis qu’il existe toute une série d’habitus (comportements et habitudes propres à l’individu, dictés par sa culture et son éducation) qui contraignent une société civile dans l’exercice de la démocratie. Cela dit, chaque individu, face à un problème social donné et grâce à ses interactions et ses alliances avec la société et d’autres groupes d’individus, à un moment donné de l’histoire, a la capacité de remodeler ses habitus et ses pratiques culturelles, et de (re) penser la notion de « démocratie » et l’action collective et civile. L’exemple de Marinaleda nous montre qu’il est possible d’explorer les pistes de l’autogestion tout en ne versant pas dans le protectionnisme et le repli sur soi. C’est l’accès à la terre, au logement, aux services et à la culture, le modèle économique, l’emploi mais surtout la démocratie qui sont réfléchis par, pour et avec les habitants.
Nous vivons actuellement une difficulté à être en démocratie réelle et à mettre en évidence le pouvoir d’agir et les richesses des gens (individuellement et collectivement), à mettre en lumière et à créer des espaces où ces pouvoirs d’agir et ces richesses peuvent s’exprimer, avec leurs points communs et leurs différences. Pourtant, ces espaces et ces temps où les conceptions et actions différentes peuvent s’exprimer dans le but de permettre de construire des actions porteuses de vivre ensemble sont la base même de la démocratie.
Or, les Centres de Jeunes sont le lieu où cette démocratie participative se construit au quotidien, où les jeunes adultes en devenir peuvent analyser ensemble les causes des situations qu’ils vivent et agir contre elles, où ils peuvent, via leurs actions, provoquer un « effet boule de neige », une dynamique de réseau. L’enjeu connexe est de rétablir le rapport de force qui se joue entre les acteurs défendant cette conception démocratique et participative et ceux qui la rejettent. Pour le moment, ce sont ceux qui la rejettent qui ont la main car la culture dominante de la compétition laisse peu de place à d’autres logiques que la sienne et maîtrise les moyens culturels, politiques et économiques de masse pour asseoir sa domination. Gageons donc sur le « Ensemble, nous sommes plus forts ! ».
C’est davantage sur la potentialité de réseau et la délocalisation du problème qu’il faut miser. Au travers des micros actions que nous menons, nous pouvons jeter les bases d’actions macrosociales. Ainsi, la méthodologie que nous appliquons dans les petites structures est porteuse d’une méthodologie de changements plus globaux. Izquierda Unida : Parti Espagnol de gauche radicale.
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Un véritable trajet éducatif.
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Par Valérie Hébrant
1 Présentation www.oranetwork.eu @NetworkORA ORAchannel
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EN MATIÈRE D’ÉDUCATION, LE SECTEUR DES CENTRES DE JEUNES N’EST PAS EN RESTE POUR INVENTER ET RÉINVENTER DES PROCESSUS ET DES MÉTHODES DE TRAVAIL AVEC LES JEUNES QUI PERMETTENT D’APPRENDRE À APPRENDRE ET À APPRÉHENDER LE MONDE QUI NOUS ENTOURE, EN DEHORS DE TOUT ESPRIT DE COMPÉTITION. À LA MAISON DES JEUNES LES RÉCOLLETS, À VERVIERS, CELA SE TRAVAILLE AVEC DES PARTENAIRES INTERNATIONAUX.
ORA 2 est l’anagramme de Observe – Rethink – Act et le nom d’un réseau européen composé de différents types d’associations (centres de jeunes, réserves naturelles, collectifs d’artistes, associations de défense de l’environnement, groupes de citoyens engagés). Elles ont comme dénominateur commun d’être en contact avec le public jeune et de vouloir l’impliquer dans leurs actions. Ce réseau informel a été créé en 2009 au départ pour échanger sur les possibilités d'inclusion sociale, culturelle, environnementale et économique des jeunes dans leurs communautés. Ses membres ont décidé de constituer un réseau formellement identifié en 2015. Cette institutionnalisation a pour but de pérenniser le projet. La MJ Les Récollets est un membre actif de ce réseau. Le concept de base d'ORA est de fournir aux jeunes l'opportunité directe d'observer leurs contextes à la fois au niveau local et international, de repenser leur propre rôle d’individus et de membres de la société dans le but d'agir en tant que citoyens responsables. ORA fonctionne en combinant différentes méthodologies d'éducation non formelle et des concepts liés au développement durable. 77
S UR L’ÉDUCATION... À côté de l'éducation académique, d'autres systèmes existent et se développent. On parle alors d'éducation ou de formation non formelle et informelle. La distinction entre ces trois catégories s'effectue à partir de quatre critères majeurs : • • • •
L'existence d'institution nationale (système scolaire et universitaire) L'existence de structures organisées (scolaires ou autres : ONG, associations, périscolaire, sanitaires, populaires, professionnelles, etc.) L'identification d'un public cible particulier (classe d'âge, population spécifique) L'objectif d'éducation avec une intentionnalité lisible (connaissances attendues, programme, reconnaissance des acquis)
...FORMELLE L'éducation formelle répond aux quatre critères, elle est donnée dans des institutions d'enseignement par des enseignants permanents dans le cadre de programmes d'études. L’éducation formelle se réfère au système éducatif hiérarchiquement structuré. Ce type d'éducation est caractérisé par l'unicité, une programmation et des structures organisées horizontales (classes d'âge homogènes, cycles standardisés) et verticales (programmation, cycles hiérarchisés).
...NON FORMELLE L'éducation non formelle répond aux trois derniers critères, c'est-à-dire que l'éducation est organisée, pour un public repéré avec des objectifs pédagogiques identifiables pour un public normalement volontaire. L’éducation non formelle peut avoir lieu aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur des établissements d'enseignement et s'adresser à des personnes de tous âges. Selon les pays, cet enseignement peut englober des programmes d’alphabétisation des adultes, d’éducation d’enfants non scolarisés, d’acquisition de compétences sociales à la vie ordinaire, d'éducation à la santé, compétences professionnelles et de culture générale. C’est un processus organisé avec des objectifs éducatifs (on retrouve la notion d’intentionnalité). Il concerne l’apprentissage de compétences sociales ou professionnelles et la préparation à une citoyenneté active. Il est basé sur l’expérience et l’action et part des besoins des participants. Les programmes d'éducation non formelle ne se conforment pas nécessairement au système scolaire. Ils peuvent être de durées diverses et être ou ne pas être sanctionnés par un certificat des acquis de l'apprentissage.
...INFORMELLE L'éducation informelle ne prend en compte aucun critère directement. C'est une éducation diffuse par laquelle chaque individu acquiert des attitudes, valeurs, compétences et connaissances à partir de l’expérience quotidienne et au hasard des influences et ressources éducatives de son environnement. L'éducation informelle est le fait de la famille mais elle désigne aussi l'ensemble des aspects systématiques et cumulatifs de l'apprentissage liés à l'expérience quotidienne (travail, loisirs, déplacements, médias, etc.). Cet apprentissage n’est pas assujetti à une programmation stricte et se déroule hors institutions et structures organisées. Les publics et les savoirs ne sont pas posés a priori mais peuvent être identifiés le plus souvent a posteriori notamment par la validation des acquis.
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L E PROJET Les projets du réseau ORA sont constitués de « multi-activités » (des projets dans le projet). Ils sont définis lors de rencontres annuelles et suivent tous un schéma identique articulé en 3 phases correspondant à 3 rencontres physiques, c’est-à-dire des séjours accueillis par les différents organismes partenaires qui rassemblent les participants autour d’une thématique.
Phase d'observation Quelles bonnes pratiques éducatives existent autour de nous?
Formation des « personnels éducatifs » Comment s'approprier des pratiques pour travailler avec les jeunes? Trois sous-thématiques sont travaillées.
Échange de jeunes international Mise en action avec les jeunes autour des trois sous-thématiques. La diversité des membres du réseau ORA permet d’aborder les choses de manière « multi angulaire » et internationale. Les membres du réseau exploitent les différentes possibilités du programme européen Erasmus + : les échanges de jeunes, le service volontaire européen (qui permet d’accueillir ou d’envoyer un jeune pour plusieurs mois au sein d’une association partenaire) et les actions de mobilité des travailleurs (visites d’étude, séminaires, formations,...). Les participants aux différentes phases sont tant des professionnels que des bénévoles, des animateurs, des enseignants et des jeunes. Chaque projet intègre de nouveaux participants, tant des individus que de nouvelles organisations partenaires.
Trois processus (projets) ont été entièrement achevés : « Green areas to enhance youth inclusion and participation » (2014), « Sustainable Communities with Youth Power Switched ON » (2015) et « Creative expression for Human rights » (2016). 79
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Méthodologie
Durant les échanges, les participants sont invités à réfléchir à leur environnement (au sens large) et à repenser le milieu dans lequel ils vivent.
« REPENSER LE MILIEU DANS LEQUEL ILS VIVENT »
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Les rencontres sont composées de différents temps de travail qui rythment le séjour et permettent d’aboutir à un résultat concret à travers différentes méthodes d’éducation non formelle.
Illustration : Polina Stoyanova ©
Phase 1 RENCONTRER ÉCHANGER RÉFLÉCHIR « Reflexion groups » Entre participants des différents pays et avec les acteurs locaux rencontrés. Ils sont créés dès le lancement de l’échange, sans intervenant. Ce sont des groupes de discussion qui abordent les contenus, les méthodes, les approches, les manques, les envies des participants. Des temps de retour en grand groupe sont organisés tous les jours pour renvoyer des éléments. Les écrits collectifs des groupes sont conservés.
Phase 2 TESTER EXPÉRIMENTER « Workshops » Les ateliers sont thématiques et récurrents durant le séjour. Ils permettent d’aborder les contenus via un temps de représentation, des partages d’expériences, des réflexions collectives (pour qui, pourquoi est-ce important?) sur les enjeux pour ensuite passer aux actions concrètes, aux réalisations. « Les écrits collectifs » Afin de conserver les traces et de retravailler les productions des groupes, des moments d’écrits collectifs sont prévus à chaque phase des projets afin de garantir la mémoire du travail réalisé. Ces écrits sont retravaillés en fin de processus pour éditer une publication (handbook) disponible en ligne.
Phase 3 SE CONFRONTER À LA COMMUNAUTÉ LOCALE « Le temps de partage avec la communauté locale » Expliquer ce qui a été fait à la communauté locale et échanger (échos via parents, pairs, éducateurs,...). Chaque sous-groupe thématique (workshop) prévoit quelque chose à faire partager avec la communauté locale en fin de séjour. « Travail d’approche interculturelle » En fonction de la composition du groupe de participants, des moments d’échange et de découverte interculturelle sont prévus via des animations spécifiques ou des temps de partage plus informels. « Le show and tell »
Construction d’un espace barbecue et d’un four en terre pour les visiteurs d’une réserve naturelle : phase 3 du projet « Sustainable Communities with Youth Power Switched ON », Torino del Sangro (Italie),2015. Illustration Polina Stoyanova
C’est un moment qui permet aux participants de partager ce qu’ils veulent avec le groupe en lien avec le thème (une compétence, un projet, une création,...) durant une soirée spécifique.
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À côté du partage avec la communauté locale sur place lors du séjour, un temps spécifique est consacré à la réflexion de chacun sur la manière dont il va agir une fois de retour chez lui. Ainsi, d’un échange en Italie, des actions concrètes seront menées au retour dans chaque communauté locale des participants partenaires du projet. Ces actions seront ensuite relayées via le web à l’ensemble du groupe. Les partenaires veillent à partager largement les résultats et les outils nés des projets. En fin de processus, tous les écrits collectifs, les supports, les outils et les productions sont retravaillés pour réaliser une publication, un « handbook » qui présente l’ensemble des démarches et des supports conçus durant le projet. Tous les contenus des handbooks (fiches, outils, illustrations, police de caractère,...) sont réalisés par les participants et sont partagés sur le site d'ORA3.
Chaque partenaire d’ORA a des liens au sein du monde de l’enseignement et fait en sorte de créer des ponts en invitant des membres des deux secteurs à collaborer, à se former ensemble. C’est via les échanges qui suivent les rencontres que l’on peut mesurer l’imprégnation des méthodes non formelles dans les écoles. 82
« UNE DES SPÉCIFICITÉS DE CE RÉSEAU EST DE DÉVELOPPER DES COLLABORATIONS ACTIVES AVEC LE MONDE DE L’ÉCOLE, DE L’ÉDUCATION FORMELLE » Outils, publications : http://oracapacitybuilding.weebly.com/
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Une des spécificités de ce réseau est de développer des collaborations actives avec le monde de l’école, de l’éducation formelle. L’objectif est d’amener des méthodes d’éducation non formelle dans le monde scolaire via des collaborations (participation de professeurs aux formations notamment). ORA est convaincu que l’école peut apprendre des méthodes de l’éducation non formelle et les intégrer pour améliorer les apprentissages en classe. Par exemple, sur des sujets concrets tels que les Droits de l’Homme, les membres du réseau ORA peuvent amener des méthodes et des techniques d’apprentissages concrètes pour les jeunes.
APRÈS : Réalisation d'une publication (handbook) sur les méthodes de travail et les techniques concrètes développées. La publication est déclinée en version papier et en version électronique.
SUR PLACE :
SUR PLACE :
Partage avec la communauté locale qui accueille le projet, ce qui est créé sur place reste.
Partage des traces sur le web et les réseaux sociaux (site du réseau ORA, page Facebook, chaîne Youtube,...)
APRÈS : La communauté locale est invitée à se les approprier.
PROJET "X"
APRÈS : Les écrits collectifs sont retravaillés en vue de réaliser une publication.
SUR PLACE : Lors de chaque phase, un temps est prévu pour que chacun réfléchisse à ce qu'il fera de retour chez lui.
SUR PLACE : Toutes les traces des trois phases sont conservées : lors de chaque rencontre, des temps sont consacrés aux écrits collectifs.
APRÈS : Une / des action(s) concrète(s) est / sont portée(s) dans les différentes communautés locales et partagées via le web.
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Impacts
Actuellement, via le travail réalisé avec ORA, la MJ Les Récollets a pu impliquer plus d’une centaine de jeunes dans les différents projets. Il ne s’agit pas uniquement de jeunes issus du public de la MJ mais également de jeunes artistes locaux, de jeunes de la région ou encore de jeunes d’autres MJ. Des liens se sont créés avec Les Récollets et les jeunes restent impliqués, à différents niveaux, dans la vie et les actions de la MJ. Plus largement, l’équipe constate que la dynamique d’ORA amène les jeunes à « ricocher » sur différents projets. Cela leur ouvre des perspectives de mobilité, de carrière, d’expression et de rencontres humaines fondamentales dans la suite de leur parcours.
CLAP’ACTION #6 IMPLICATION DÉMOCRATIQUE De la parole aux actes : Associer les jeunes à la gestion de leur ville. À l’origine, il y a ce constat d’un fossé de plus en plus grand entre les jeunes et la politique. Ensuite, les expressions du genre « de toute manière, on ne nous écoute pas », « on ne peut rien y faire » derrière lesquelles se réfugient souvent les jeunes... À Tournai, la MJ Masure 14 a voulu réagir. Convaincu que « les petites pierres font les grandes montagnes », un réseau d’associations jeunesse a lancé le projet De la parole aux actes. Leur objectif : montrer aux jeunes qu’il y a moyen d’être entendus et qu’il y a des possibilités d’agir! La première démarche a été de récolter la parole des jeunes via un sondage-forum dans les écoles sur ce qu’ils aiment dans leur ville et ce qu’ils voudraient y améliorer. Une réunion collective a ensuite permis de compléter et valider les résultats. Parmi les propositions d’amélioration, trois priorités ont été choisies : soutenir l’installation d’une salle de concert, développer une infrastructure sportive de type agora space et améliorer le climat de sécurité en ville. Des actions ont alors été menées pour faire avancer ces dossiers : perturbations créatives et autres manifestations ludico-artistiques dans l’espace public, lobbying, rencontres avec les politiques et avec les médias, organisation de cours de self-défense,... Résultats : une promesse du bourgmestre d’aménager une salle de concerts dans Tournai Expo d’ici 2020! De quoi mobiliser les jeunes pour réfléchir leur participation aux différentes étapes que nécessitera la création de cette nouvelle infrastructure... Une des clés du succès? Le travail en coulisses des animateurs pour soutenir les démarches des jeunes : élaboration des dossiers, négociation politique en amont, contact avec la presse,... Juste un peu d’huile dans les rouages pour ne pas que les jeunes « se prennent le mur » mais qu’ils puissent, au contraire, être fiers de leurs succès. Et reprendre confiance en leur capacité d’agir pour leur ville! Plus d’infos? Masure 14 (Tournai) - Johakim Chajia — www.delaparoleauxactes.be
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Illustration : Polina Stoyanova ©
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Éditeur responsable : Marc Chambeau — 8 rue aux Chevaux - 4000 Liège Rédactrice en chef : Cécile Lebrun Graphisme et mise en page : Constance Schrouben Illustration de la cover : Guillaume David et Constance Schrouben Ont collaboré à la réalisation de ce numéro : Guillaume David, Coline Remacle, Thierry Voué, Pierre-Adrien Lusignan, Delphine Renard, Aurélie Lambert, Yves Reuchamps, Charles Culot, Marc Bontemps, Jean-Pierre Borloo, Quentin Crespel, Géraldine Brausch, Kaat Jans, Tim Bryon, Charlotte Langohr, Julie Boiveau, Manon Brulé, Polina Stoyanova et Olivier Laval. Pour la FMJ ASBL : Anne-Sophie Bourgeois, Benjamin Cambron, Magali Company, Sarah Beaulieu, Antoinette Corongiu, Valérie Hébrant, Nathalie Heusquin, Julie Reynaert et Axel Gossiaux. Typographies : Kohinoor Bangla Family & SwapFontTwo Impression : Imprimerie Vervinckt
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FMJ ASBL 8 rue aux chevaux 4000 Liège +32 4 223 64 16 fmj@fmjbf.org www.fmjbf.org
AIDER LES MAISONS À SE CONSTRUIRE... La Fédération des Maisons de Jeunes vit par et pour les jeunes... et leurs maisons. Par les jeunes, parce que leurs enthousiasmes et leurs énergies constituent la source de tous nos projets. Pour les jeunes, parce que leurs initiatives et leurs réalisations sont autant d’encouragements à continuer notre fantastique aventure. HELPING BUILD THE CENTRES, HELPING BUILD THE FUTUR... Young people and their community centres constitute the raison d’être of the Fédération des Maisons de Jeunes. The enthusiasm and energy of these teenagers are, in fact, the lifeblood of all our projects; their endeavours and achievements provide us with the encouragement to continue to pursue our fantastic adventure. BOUW MET ONS MEE... De «Fédération des Maisons de Jeunes» leeft door en voor jongeren. Door jongeren. Omdat hun enthousiasme en hun energie de motor zijn achter onze projecten. Voor jongeren. Omdat alles wat ze ondernemen en realiseren, telkens opnieuw een aanmoediging is om ermee door te gaan, met ons geweldig avontuur.
- Réalisé avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Service Jeunesse) et de la Wallonie (Emploi) -
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