Sommaire
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Présentation et sommaire
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Pros du numérique à tous crins ou anti-numériques voyant le danger partout?
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Les musiques électroniques en MJ
Le Fablab'ke : Une boîte à outils numérique pour les jeunes
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Émergence d'un groupe d'actions sur le thème du numérique et des fablabs
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Fluctu-art Nec Mergitur
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Édito — Le grand bain
Utiliser les TICE pou démystifier les institutions européennes Droits d'auteur : Évolution du monde numérique et culture Et si on se réappropriait notre vie numérique?
Deux formats
Un outil
Positionner la FMJ Susciter la réflexion
Ill. : Benjamin Cambron
Parution
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Plus de deux milliards d’utilisateurs de Facebook. Plus d’un milliard d'heures visionnées chaque jour sur YouTube. Soixante milliards de messages échangés chaque jour sur Messenger et Whatsapp. Des revenus du jeu vidéo avoisinant
les cents milliards de dollars par an, soit le double de l’industrie cinématographique, elle-même fortement ébranlée par le succès du modèle NETFLIX…
C’est le Grand Bain numérique, et nous y sommes tous plongés. Certains d’entre nous ont peur de boire la tasse, alors que d’autres, les geeks des premières heures, ont eu le temps de s’habituer à la température, en y entrant lentement par les marches de la petite profondeur. Les jeunes eux, c’est bien différent : ils sont tout simplement nés dedans. Ils ont tous été des « bébés nageurs numériques ». Ils ont aujourd’hui de nouvelles conceptions du collectif. Il n’y a vraiment que les parents, les profs – les vieux quoi - pour penser qu’on se replie sur soi-même parce que l’on passe beaucoup de temps sur son GSM « plutôt que de sortir et d’aller voir des gens ». Les jeunes, aujourd’hui connectés en permanence, ont tout simplement une nouvelle manière d’être ensemble qui n’a pas remplacé les précédentes, mais s’est tout naturellement ajoutée à elles. On échange, on partage, on intervient, on poste, on débat, on vanne, on propose, on crée. Même quand on joue à un jeu vidéo, on est connecté avec d’autres joueurs, de l’autre côté de la rue ou à l’autre bout du monde. Et on n’hésite pas à baragouiner quelques mots d’anglais avec un partenaire de raid, alors qu’on déteste le faire en classe. Les « enfants de la télé » qu’ont été leurs parents n’étaient-ils pas infiniment plus isolés, seuls dans leur canapé devant leur Club Dorothée? Faisaient-ils autre chose que gober ce que le poste leur mettait dans le crâne? Pouvaient-ils, après en avoir parlé entre amis, dire au présentateur du JT qu’ils n’étaient pas d’accord et voulaient changer le monde? Aujourd’hui, c’est sur les réseaux sociaux que vous trouverez les critiques les plus acerbes et les dénonciations les plus cinglantes des dangers... des réseaux sociaux. Alors oui, ça sera peut-être entre une vidéo de chat et une pub pour des vérandas. Mais ça y est. Il faut juste faire le tri. Vous avez déjà vu une émission sur les dangers de la TV à la TV, vous?
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Par Frédéric Lorent
Nouvelle Vague 2.0 Quand la petite caméra Éclair 16 mm arrive sur le marché en 1960, les jeunes Godard, Truffaut ou Chabrol s’en emparent et tournent à toute vitesse sans aucune expérience des petits films, sans moyens, sans décors, avec des comédiens qui n’en sont pas : la Nouvelle Vague est née. Qui oserait aujourd’hui nier qu’elle a transformé à tout jamais et en quelques années seulement l’histoire du Cinéma? C’est très exactement ce qu’il est en train de se passer sous nos yeux, et à une échelle bien plus grande : aujourd’hui, ce n’est pas une mais bien une multitude d’innovations technologiques dont une immense quantité de gens peuvent s’emparer pour s’exprimer. Nous avons pratiquement tous un studio de cinéma dans notre poche (notre GSM) et même une chaine de distribution mondiale et gratuite à disposition (YouTube )! Jamais une proportion aussi énorme de la population n’a eu autant d’outils pour créer et s’exprimer à une échelle aussi gigantesque. Alors oui, c’est vrai, tous les YouTubers ne sont pas des puits de sciences, et un seul troll peut pourrir un contenu en quelques lignes d’injures. Mais l’invention de Gutenberg n’a-t-elle pas aussi permis d’imprimer les collections « Harlequin » et « Mein Kampf »? Combien de bouquins idiots pour un Kafka ou un Hugo?
Les médias sont creux, ce sont des tubes qui véhiculent ce que l’on y met. Cela a toujours été ainsi, et cela sera toujours le cas. Aujourd’hui comme hier et comme demain, la différence viendra toujours de l’éducation, de l’accompagnement, de l’échange, du métissage. Bref, de l’intelligence collective. Autant dire de la résistance. Et c’est bien là l’enjeu pour le Secteur Jeunesse à l’heure de la nage en eau libre 2.0 : non pas de rouler des mécaniques et jouer les Maîtres-Nageurs — on ne va tout de même pas prétendre apprendre à nager à des dauphins — mais bien évoluer à leurs côtés, et prendre plaisir avec eux. Parfois les suivre vers de nouveaux horizons — leurs horizons — et parfois leur rappeler qu’il y a de bien belles choses sur le « vieux continent », celui des livres, des idées, des peintures, des films, des sculptures, des danses et des poèmes, toutes ces nourritures célestes qui ne demandent qu’à être emportées sur ces nouvelles îles qu’ils découvriront.
NE JETONS PAS LE JEUNE AVEC L’EAU DU BAIN NUMÉRIQUE! 5
PROS DU NUMERIQUE A TOUS CRINS Par André Kreutz
Ou anti-numériques voyant le danger partout? Trop souvent, nous avons un regard stéréotypé sur l’utilisation des médias numériques et sur les joueurs de jeux vidéo à qui nous collons une image de jeunes isolés accrochés de manière addictive à leurs portables, tablettes et / ou ordinateurs. Comme le souligne Olivier Servais1, la réalité des profils des joueurs n’est peut-être pas aussi noire qu’on pourrait le penser. Des expériences mises en œuvre dans certaines Maisons de
Jeunes confirment les propos de ce chercheur et nous montrent une image positive de l’utilisation des jeux vidéo en particulier ainsi que de l’utilisation des médias numériques et des réseaux sociaux de manière plus large. Des animateurs de Maisons de Jeunes (MJ) partagent avec nous ciaprès des expérimentations qu’ils ont menées dans leurs associations. Olivier Servais est professeur à l’UCL, anthropologue et historien de formation, académique régulier du Laboratoire d’Anthropologie prospective — www. uclouvain.be/fr/repertoires/olivier.servais 1
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« Partager ma passion pour la création et la communication numérique » Isam, l’animateur-coordinateur de la Maison de Jeunes Le Câble à Seneffe, nous explique que dans un monde en constante mutation, le jeu vidéo représente un média de masse permettant de moderniser certaines approches en termes d’information et de sensibilisation. Selon lui, dans les rapports que nous entretenons quotidiennement avec les jeunes, recourir à des supports moins calfeutrés pour favoriser le début d’une réflexion invitant à un dialogue constructif n’est plus seulement une option, mais bien une nécessité. Cet animateur passionné par la création et la communication numériques a développé plusieurs projets convoquant cette passion pour le numérique. Pour lui, les pratiques de jeux en réseau ont, d’une certaine manière, désenclavé le rapport des jeunes au jeu.
2 Inauguré en janvier 2017, le Quai 10 est un lieu inédit en Belgique qui regroupe du cinéma, du jeu vidéo et une brasserie au sein d’une structure ultra contemporaine. La force du projet est de pouvoir rassembler, dans un même endroit, une démarche culturelle forte et une proposition pédagogique inédite mêlant jeu vidéo et cinéma.
De façon paradoxale, la compétition induite par certaines franchises a ouvert la voie à un principe de coopération (jeu en équipes) de plus en plus répandu. Néanmoins, la plupart du temps, cette tendance à la coopération s’inscrit dans une logique instrumentale. L’intérêt d’initiatives telles que celles développées par l’ASBL Quai 10 2 consiste justement à replacer la coopération au centre de tous les enjeux ludiques. Pendant le stage qui s’est déroulé à la MJ, les jeunes ont d’une part appris les bases de la programmation d’un jeu vidéo et d’autre part, ils ont pu développer un esprit collaboratif induit par les jeux de rôles vidéo3 et les activités proposées par l’animateur. Le fil rouge du stage était, à partir de ce média, de permettre aux jeunes de résoudre ensemble des problématiques du monde qui les entoure, de s’ouvrir de manière plus large à la citoyenneté. Le jeu Overcooked est un jeu de simulation coopératif local dont la thématique est la gestion culinaire.
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Ce stage était la première expérimentation au niveau de cette MJ et Isam espère développer un rapport différent (et somme toute raisonné) au jeu. Vu le succès du stage, il envisage de donner la possibilité de réitérer l’expérience sur une période plus longue afin d’aborder, à partir de ce média, certaines thématiques comme par exemple la coopération, la philosophie, la citoyenneté avec davantage de profondeur. L’idée centrale consiste également à amener les jeunes à prendre conscience de ressources insoupçonnées qui peuvent être valorisées dans le cadre de leurs développements personnels.
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« Le jeu vidéo : découvrir, comprendre, créer » Le terme blockbuster est utilisé dans les médias pour qualifier les films / jeux vidéo à gros budgets et à gros revenus. Ce sont des productions exceptionnelles sur le plan financier, matériel et humain. 4
Pour Dimitri Matanda Kapenda, animateur à la Maison de Jeunes de Viroinval, le constat est simple : « le jeu vidéo est le premier média des moins de dix-huit ans et la première industrie culturelle mondiale. Il a d’ailleurs rejoint le kicker et la table de ping-pong dans les accueils des Maisons de Jeunes. » Cependant, l’utilisation des jeux vidéo dans les Centres de Jeunes reste très consommatoire. Il s’agit donc d’intégrer le jeu vidéo dans un projet pédagogique positif au-delà des clichés et des blockbusters4. L’objectif de ces ateliers est de faire découvrir et comprendre l’envers du décor tout en permettant aux jeunes de développer leur créativité : de l’élaboration du scénario à la mise en forme du produit fini. L’enjeu est de montrer les possibilités créatives et éducatives du média aux jeunes tout en développant un regard critique sur celui-ci.
Le Gaming Out est un espace dédié au jeu vidéo à Charleroi — www.rtbf.be/info/regions/ detail_gaming-out-acharleroi-un-nouvelespace-dedie-au-jeuvideo?id=9509097 5
Pour ces ateliers, l’équipe de la MJ de Viroinval s’est inspirée de l’initiative positive de For’J (Fédération de Maisons de jeunes et Organisation de Jeunesse) qui développe depuis longtemps des projets et des outils d’éducation aux médias dans le cadre de la plateforme « Gaming Out »5. Les animateurs ont par ailleurs participé à la formation pour utiliser les jeux vidéo dans un cadre pédagogique, artistique ou culturel. À partir du constat de l’utilisation consumériste de la vidéo au sein de la MJ, Dimitri a décidé de mettre en place un atelier de création de jeux vidéo ouvert aux jeunes de douze à vingt-six ans afin d’aborder l’aspect créatif et la logique de mise en place des divers éléments qui constituent le processus de création d’un jeu vidéo. Il a identifié plusieurs étapes intéressantes et diversifiées dans le développement. Les jeunes doivent faire preuve d’un grand panel de ressources. Dimitri les aide et les encourage à s’entraider et à faire des recherches afin de faire émerger des idées sur les différents aspects tels que la création du monde et des décors, la scénarisation et la création des dialogues, le graphisme et l’animation, la musique et les sons, les tests et ajustements de la cohérence du jeu dans son ensemble. Parmi ces différentes étapes, les jeunes font appel à leur imagination, à leurs talents artistiques et à la recherche documentaire pour contextualiser l’histoire et créer l’univers du jeu tant au niveau graphique que sonore. Cet atelier permet donc de développer de nombreuses compétences basées sur une pédagogie créative suscitant l’entraide et la coopération.
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DANS LE FUTUR, DIMITRI VOUDRAIT : Créer des ponts entre l’atelier jeux vidéo et un atelier de musique créative. Les jeunes pourraient ainsi créer les effets sonores et les musiques des jeux.
Ainsi, à partir d’un média souvent connoté comme « individualiste », les jeunes s’entraident. Ils collaborent à chaque phase d’élaboration et de réalisation du jeu. Par exemple, chacun.e a l’occasion d’essayer les jeux des autres afin de les déboguer (c’est-à-dire trouver les anomalies de fonctionnement), pour ensuite pouvoir les corriger et les améliorer. La création d’un jeu vidéo développe par ailleurs d’autres compétences comme l’inventivité, l’imagination, la logique, la capacité de comprendre l’envers du décor, le fonctionnement d’un jeu, de différencier le point de vue de l’utilisateur par rapport au point de vue du créateur. Vu l’engouement des jeunes pour ce média, Dimitri a décidé de continuer à développer cet atelier et de l’étendre grâce à l’acquisition d’un nouveau matériel permettant de le proposer au sein des deux espaces d’accueil de la MJ (sur Nîsmes et sur Oignies) ainsi que dans l’EPN (Espace Public Numérique) du Plan de Cohésion Sociale.
Organiser des tournois une fois par mois ou tous les quinze jours (à voir avec les jeunes) sur base des jeux créés par les jeunes, mais aussi de jeux dits « classiques » comme Fifa, Juste Cause 4 ou encore Call of Duty et Black Cops 4. Participer à des « Gaming Out » dans le cadre du projet « Responsible Young Gamer »6 qui propose des animations, des ateliers, des formations, des conférences et des événements pour favoriser la découverte de la variété de ce média. Faire découvrir les « Serious games » ( jeux sérieux — c’est-à-dire les jeux ludo-éducatifs) aux jeunes, les jeux engagés et les jeux d’entraînement et de simulation. Et enfin permettre aux jeunes de découvrir d’autres univers de jeux créés par des concepteurs de jeux indépendants n’ayant pas la pression de superproduction qui coûte cher en production, en marketing, et doit rapporter gros. Dans ce secteur, il est possible d’y trouver des jeux oniriques, atypiques, innovants... disposant d’une forte identité et ne devant pas séduire les foules comme un jeu AAA doté des budgets de développement et de promotion les plus élevés. 6 Projet porté par l’ASBL Quai 10 de Charleroi.
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« Caméra Quartier fait le buzz : le numérique à la base de la création de la structure Maison de Jeunes » Nordine Oualdlhadj (alias Oualdo) a d’abord travaillé dans le cadre du Service de Prévention de la Commune de Schaerbeek pendant seize ans. Alors qu’il était confronté à une forte demande des jeunes d’avoir un espace de parole, il s’est rendu compte que le secteur de la Prévention n’est pas optimal pour mener des projets ascendants, venant des jeunes. En 2012, il eut l’idée d’utiliser la vidéo et les réseaux sociaux comme vecteurs pour porter la parole des jeunes. Le succès a été au rendez-vous dès la première vidéo postée sur la chaîne YouTube qu’il a créée avec les jeunes.
Caméra Quartier Saison 1 épisode 1
Les retours médiatiques positifs ne se sont pas faits attendre via des articles de presse dans les journaux (DH, La Capitale, De Standaard). Ceci a encouragé Oualdo à poursuivre sa démarche. Pour pérenniser le projet et à la demande des jeunes, il décide en 2013 de créer l’ASBL Caméra Quartier. En effet, les seuls lieux alors à disposition des jeunes étaient les maisons de quartier ayant pour mission le développement d’activités centrées sur l’insertion socioprofessionnelle (rédaction de CV, simulation d’entretien embauche,...) ne permettant pas de porter la parole des jeunes dans l’espace public.
Au niveau pédagogique, Oualdo laisse une grande autonomie aux jeunes. Il n’intervient pas dans l’élaboration des scénarios, ni dans le choix des thèmes abordés. Pour chaque capsule, les jeunes sont autonomes. Ils partent de leurs observations du quartier ou s’emparent de l’actualité en général. L’équipe n’intervient que pour un appui technique si c’est nécessaire. Une fois que le scénario est écrit par les jeunes, Oualdo propose des pistes pour aller plus loin et / ou pour soutenir les propos défendus dans la capsule vidéo.
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L’idée est de permettre aux jeunes de prendre leur place dans l’espace public via les réseaux sociaux pour interroger la société au moyen de ces capsules vidéo comportant toujours une touche humoristique, voire caustique. Cette démarche leur permet de décoder et de se positionner par rapport à des faits de société. Le fil conducteur de l’atelier vidéo est une mise en pratique de la logique de citoyen responsable actif et critique tout en acquérant des compétences techniques. Ceci permet de faire sauter les préjugés à l’égard d’une jeunesse qui ne serait pas intéressée par le monde qui l’entoure... Chaque vidéo postée sur Internet provoque des échanges et des discussions sur les réseaux sociaux avec un public large et de tout âge. Pour Oualdo, la plus belle reconnaissance pour les jeunes réside dans les commentaires positifs liés à chaque sortie vidéo.
« SI JE REGARDE EN ARRIÈRE ET QUE JE VOIS LEUR ÉVOLUTION, JE PEUX AFFIRMER QUE LE PROJET LEUR A PERMIS DE GRANDIR, DE PRENDRE DE LA MATURITÉ. TROIS JEUNES EN ONT FAIT LEUR MÉTIER. C’EST GRÂCE AU TALENT QU’ILS ONT DÉVELOPPÉ DANS LE PROJET MJ QU’ILS ONT DÉCROCHÉ DES CONTRATS »
— Oualdo
Caméra Quartier - Facebook
Et grâce à ces vidéos, certains jeunes ont été repérés par des producteurs de séries. Ces producteurs sont venus faire un casting à la MJ. Une dizaine de jeunes ont ainsi été choisis comme acteurs dans une série avec des rôles d’une certaine importance (pas de la figuration). D’autres ont eu l’occasion de jouer dans trois films qui sont sortis dans la grande distribution. Sans nier l’existence d’une utilisation consumériste du numérique et loin des logiques addictives véhiculées par les jeux vidéo, les réseaux sociaux et le numérique en général, ces trois expériences menées en Maisons de Jeunes donnent la possibilité aux jeunes de prendre conscience d’une série de choses et de développer des compétences multiples tant au niveau technique que social. Ceci leur renvoie évidemment une image valorisante.
Et vous! Êtes-vous plutôt pros du numérique à tous crins ou anti-numériques voyant le danger partout? Partagez avec nous vos expériences et nous les relayerons dans le Swap numérique (disponible via le site de la FMJ — www.fmjbf.org).
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LES MUSIQUES ELECTRO- NIQUES en MJ Lieux par définition pluridisciplinaires, les Maisons
de Jeunes (MJ) voient se croiser au quotidien une
large palette d’activités et de publics. Depuis tou-
Par Jean-Raymond Carton et Thomas Oyarzabal Martinez
jours, une des thématiques phares dans le secteur
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reste sans conteste la musique. Avec plus de 450 concerts organisés chaque année, le réseau MJ est assurément un des plus gros opérateurs musicaux
en Fédération Wallonie-Bruxelles. S’il y a certes les concerts et la diffusion, l'apprentissage et la création prennent également une place centrale dans les activités avec plus d’une centaine d’ateliers musicaux hebdomadaires qui vont de la guitare à la batterie, du djembé au chant, du Rock au Rap en passant par la Pop et le Punk. Dans cette large palette, la mu-
sique électronique et la Musique Assistée par Ordina-
teur (MAO) se sont également et naturellement fait
une place! Mais laquelle?
GRÂCE À L'ÉLECTRONIQUE ET À L'INFORMATIQUE, LA PRATIQUE DE LA MUSIQUE DEVIENT PLUS ACCESSIBLE
En parallèle avec les instruments « traditionnels » toujours très populaires, plusieurs MJ proposent des ateliers de MAO. Ceux-ci permettent de s’initier à ces techniques, d’en maîtriser les logiciels, les effets, les instruments virtuels, et d’apprendre ainsi les bases de l’enregistrement et de la théorie musicale nécessaires à de petites productions. À la MJ L’Antichambre (Woluwe-Saint-Lambert), on prolonge l’atelier via un concert organisé chaque mois. Il permet aux participants de présenter leurs réalisations face à un public. À la MJ Chez Zelle (Louvain-La-Neuve) et dans le collectif « La Cimenterie » (projet collectif des MJ Port’Ouverte, Masure 14 à Tournai et du Centre des Jeunes d’Antoing), on tente même de proposer un parcours complet, ou en tout cas, des ponts entre les ateliers MAO et ceux d’écriture et chant rap. L’idée est évidemment que les uns composent les musiques sur lesquelles d’autres placeront leur texte et vice versa. Mais la formule n’est simple et évidente que sur papier... car comme tout projet en MJ, cela demande à être testé, éprouvé, re-questionné pour que les jeunes puissent être porteurs, moteurs et pas juste consommateurs des activités mises en place.
Force est déjà de constater que la démocratisation de l’informatique dans la musique a bousculé les formats traditionnels de l'apprentissage, de la création et de la diffusion. Et ce n’est sans doute pas fini! La musique, envisagée avant comme un art difficile et coûteux à apprendre, à maîtriser et même à promouvoir, devient, grâce à l’électronique et l’informatique, une pratique plus accessible. Le contraste est en effet flagrant entre l’usage des interfaces permettant de créer de la musique à partir d’instruments virtuels et l’apprentissage d’un instrument classique. Ces premières ne nécessitent quasi aucune connaissance du solfège ou en tout cas un apprentissage moins lourd, mais permettent néanmoins d’aboutir rapidement à un résultat diffusable et valorisant. Les progrès numériques en musique et leur démocratisation permettent ainsi de faire émerger les créativités et sont sans conteste un vecteur de démocratie culturelle, pouvant libérer l’individu de son statut de simple consommateur d’une offre musicale commerciale.
D’autres MJ ayant proposé des ateliers MAO récurrents ont quant à elles vu rapidement diminuer la fréquentation. Le même constat un peu partout : le public devenant rapidement autonome — une fois la base de la technique maîtrisée — ne ressent plus le besoin de participer à un atelier régulier à des heures fixes.
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C’est sur base de ce constat que certaines MJ se sont tournées vers la formule « journée thématique ». Elle a comme principal intérêt de permettre la découverte par un large public des différentes facettes et possibilités offertes par l’électronique dans la musique. La MJ Le Prisme à Braine-l'Alleud a ainsi organisé à deux reprises « Les Musiques Electroniques ». Les différentes activités proposées lors de cet événement permettent à chacun de découvrir, d’apprendre et de tester tout en s’amusant ! Tout au long de la journée, on y aborde les différents aspects de la musique électronique à travers des mini-conférences, des démos, des workshops sous forme d’initiations aux logiciels, aux musiques modulaires, au Circuit
Bending 1. Le tout se clôturant généralement par une jam électronique.
D’autres Maisons de Jeunes telles que Le Studio Indigo (Strépy-Bracquegnies), le Secteur 42 (Lodelinsart) et le Bug-1 (Genappe) proposent plutôt des stages d’initiation à la MAO. Se déroulant sur deux à quatre journées, ils permettent d’acquérir les bases nécessaires à l’élaboration de premières compositions. À la MJ Carpe Diem (Comines), on planche également sur des stages qui permettront de découvrir d’autres facettes de la MAO telles que la conception d’une « machine à sons », de sa construction jusqu’à la modification et l’assemblage de diverses machines que les participants tenteront par la suite de faire cohabiter dans l’espace sonore. Dans les cartons également, la découverte d’outils comme le « MaKey MaKey » qui permet grâce à divers circuits électroniques et capteurs de transformer n’importe quel objet — voire végétal — en source sonore.
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1 Circuit Bending : l’art de modifier, court-circuiter, transformer un instrument de musique électronique même basique (jouet pour enfant, pédale d’effets,...) afin de créer de nouvelles sonorités.
Le virage vers la numérisation dans l’univers musical en MJ est donc bel et bien amorcé, mais il n’en est aussi qu’à ses débuts ou, comme la plupart de nos interlocuteurs l’ont exprimé, en mode « Search ». Ces nouveaux modes d’expression, de création et les codes qui leur sont propres obligent notre secteur à repenser la manière dont le lien doit être fait entre les activités proposées et les désirs et besoins d’un public parfois aveuglé par la « Starmania » et la notoriété facile. Certes, les progrès numériques ont amorcé une réelle évolution voire révolution dans le monde musical mais ils n’en restent pas moins des outils qui demandent implication, motivation et travail si l’on veut pouvoir en tirer le meilleur.
Mais au fait... La MAO, c’est quoi? Fin des années septante, les premiers ordinateurs grand public équipés de haut-parleurs intégrés, tels que le Commodore 64 ou l’Amstrad CPC, font leur apparition sur le marché. Même si ceux-ci ne permettent de produire que des sons qui s'apparentent plus à des bipeurs de réveils légèrement améliorés, les bidouilleurs-geeks y voient une opportunité de créer des sons différents et de bidouiller de la fréquence, favorisant la mélodie à une quelconque recherche de sonorités réalistes. Ces premières compositions resteront dans l’histoire (principalement du jeu vidéo) comme des musiques aux harmonies complexes et absorbantes.
Dans les années quatre-vingt, un acteur va venir bousculer le monde de la MAO. La société Amiga propose une nouvelle solution qui repose sur des sons digitalisés. Une note préenregistrée jouée plus ou moins rapidement permet d’obtenir une note différente. Un Do joué au piano une fois accéléré devient un Ré. Lorsqu’on le ralentit, il devient un Si. Outre cette évolution, l’Amiga permet enfin de jouer jusqu’à quatre voies (notes) en même temps, là où le Commodore 64 n’en jouait que trois. Il est également possible d’attribuer pour chaque voie un instrument différent et même de changer d’instrument en cours de partition.
2 Le Midi = acronyme de Musical Instrument Digital Interface, un protocole de communication qui permet l’échange entre des instruments de musique et des logiciels.
À la même époque, les premiers ordinateurs Windows arrivent sur le marché. Orienté vers la bureautique, Microsoft rate le pari du multimédia et c’est une jeune société qui va prendre la main avec ses premiers Mac. Les produits Apple sont beaucoup plus orientés multimédia et interfaces audio (via le Midi2). Ils s’assurent dès lors le marché des développeurs de logiciels musicaux et de leurs utilisateurs. La marque à la pomme devient l’outil de référence des professionnels de l’image et du son. Les ordinateurs restent néanmoins limités par leur puissance de calcul. Il faudra attendre la fin du XXème siècle pour que l'explosion des capacités et de la miniaturisation des composants permette à la MAO de franchir un nouveau pas. L’ordinateur vient se placer au cœur de la musique, c’est l'ère de l'interactivité!
Jusque-là limitée à un travail en deux temps, composition puis restitution, la machine est à présent capable de travailler en temps réel, transformant et réagissant instantanément aux notes produites par un musicien. Le début des années deux-mille voit également s’imposer la démocratisation (technique et financière) du matériel nécessaire à la prise de son et l’enregistrement pour le grand public. Plus besoin de passer par un studio professionnel, n’importe quel passionné peut maintenant disposer de son propre home studio. Les logiciels de montage et les séquenceurs soignent leurs présentations. Patience et créativité permettent maintenant de produire des morceaux. L’arrivée des premiers smartphones et autres tablettes avec leurs palettes de logiciels musicaux permettant depuis à un plus grand nombre de s'approprier l'expression artistique numérique.
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, Le Fablab ke Une boîte à outils numérique pour les jeunes
Par Adèle Dupont
Fablab, Relab, Makerspaces, OpenFab, Micro Factory, PopUp Lab, TimeLab, des mots qui
ne nous sont pas tout à fait inconnus, mais pas tout à fait familiers non plus.
DE QUOI S’AGIT-IL EXACTEMENT? À QUOI ÇA SERT? D’OÙ ÇA VIENT?
Les Fablabs sont des laboratoires de fabrication. Ils naissent un peu partout en Belgique et ailleurs en Europe grâce au Fonds Européen de Développement Régional (FEDER). Le FEDER vise depuis quelques années à renforcer la cohésion économique et sociale au sein de l’Union européenne en corrigeant les déséquilibres régionaux. Une des stratégies pour y arriver est le développement d’espace d’expérimentation numérique vers un développement de l’innovation et à plus long terme de l’entreprenariat.
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Ok, mais, … Quésaco? L’appellation Fablab est une contraction de l'anglais « fabrication laboratory » (trad. laboratoire de fabrication). Le concept même de Fablab est né à la fin des années nonante au Massachusetts Institute of Technology (MIT), institut de recherche et université américaine spécialisés dans le domaine des sciences et des technologies. Plus précisément, il s’agit d’un lieu ouvert au public où sont mis à disposition toutes sortes d'outils, notamment, des machines-outils pilotées par ordinateur pour la conception et la réalisation d'objets. Les plus populaires sont la fameuse imprimante 3D et la découpeuse laser. Du matériel de soudure, de couture, de découpage, de peinture, de manipulation électrique, électronique, etc., est aussi mis à disposition. C’est suite au constat que les ingénieurs ne faisaient finalement pas grand-chose de leurs mains qu’un professeur décide de créer un cours qui s’appelle « Comment fabriquer presque n’importe quoi ». De là est donc né le concept de laboratoire de fabrication numérique.
L’objet d’un Fablab est alors et surtout l’expérimentation, la création et enfin le développement d’un peu tout ce qu’on veut. L’intérêt est d’arriver avec une idée et de lui donner vie, de la prototyper. L’élément essentiel des Fablabs est leur accessibilité, sans quoi ils ne permettraient aucune création. Globalement, ils s'adressent aux entrepreneur.euse.s, aux designers, aux artistes, aux bricoleur. euse.s, aux étudiant.e.s ou aux hackers en tout genre, qui veulent passer plus rapidement de la phase de concept à la phase de prototypage, de la phase de prototypage à la phase de mise au point, de la phase de mise au point à celle de déploiement, etc. Ils regroupent différents métiers, populations ou encore tranches d’âge. Ils constituent aussi un espace de rencontre et de création collaborative permettant, entre autres, de fabriquer des objets uniques (objets décoratifs, objets de remplacement, prothèses, orthèses, outils) ainsi que de transformer ou réparer des objets de la vie courante.
Pour être appelé et reconnu comme Fablab, un atelier de fabrication doit respecter la charte des Fablabs mise en place par le Massachusetts Institute of Technology (MIT). Dans les grandes lignes, cette charte prévoit une mission principale, à savoir que les Fablabs sont un réseau mondial de laboratoires locaux permettant l’invention en donnant accès à des outils de fabrication numérique. Dans un souci d’accessibilité, la charte prévoit que les Fablabs partagent un inventaire évolutif de capacités de base pour faire presque n'importe quoi (tant que cela ne nuit à personne). C’est-à-dire que tout ce qui est expérimenté et appris dans le laboratoire peut et doit être partagé avec les autres utilisateurs. Les Fablabs sont finalement des espaces de formation dans la mesure où ils sont des espaces de capitalisation de connaissances pour l’éducation des autres et futurs utilisateurs. 17
Focus sur un Fablab pas comme les autres : Le Fablab’ke Le Fablab’ke se situe à la Maison des Cultures et de la Cohésion Sociale de Molenbeek, un service communal proposant beaucoup d’activités culturelles avec de nombreux partenariats. Il s’agit d’un espace de fabrication numérique qui accueille un public particulier. C’est le seul en Wallonie qui permet exclusivement aux jeunes de fabriquer presque n’importe quoi à l’aide d’outils numériques ou non (imprimante 3D, découpeuse laser, fraiseuse à commande numérique et encore tous les outils classiques de travail du bois, du matériel électronique et informatique). Le Fablab’ke fait partie du programme CASTII qui a démarré en 2016. Ce programme est axé sur la créativité avec les technologies. Il veut développer la recherche de nouvelles formes d’apprentissage, d’émancipation, d’autonomie et d’inclusion, mais aussi de reconnaissance sociale et professionnelle dans le monde numérique actuel. C’est au sein de ce programme que le Fablab’ke a vu le jour avec Philippe et Julien, les deux animateurs de la structure. L’intention du Fablab’ke est alors de rendre accessibles les outils numériques aux jeunes, de les y initier et de les rendre autonomes dans leur utilisation. Pour ce faire, les équipements sont spécialement adaptés aux jeunes, les outils mis à disposition sont sélectionnés en fonction de leur degré de dangerosité. Toute manipulation de matériel plus dangereux se fait alors de manière supervisée et encadrée. Le Fablab’ke propose un programme d’activités pour les jeunes, seuls ou accompagnés de leurs parents. On peut noter plusieurs types d’atelier et d’activités récurrentes ou non : Pour les 12-16 ans, il y a le « Young Makers », un atelier-laboratoire dans lequel s’inventent plein de choses et grâce auquel sont testées plusieurs techniques pédagogiques. Le « Project Lab », ouvert à tous, fonctionne sur projet, c’est-à-dire que les jeunes viennent avec un projet spécifique auquel ils ont envie de donner vie grâce aux outils numériques.
Ensuite, l’atelier « Mini Makers » fonctionne comme le « Young Makers » mais pour les 9 - 12 ans. Le « Family Lab » permet d’explorer, d’expérimenter en famille sur base d’une thématique. Enfin, grâce au « Fablab’ke@school », le Fablab’ke travaille avec les écoles. Il se déplace dans les classes ou invite les classes dans leur local. Il forme aussi des professeurs et leur prête ensuite des kits de création pour travailler directement en classe avec leurs élèves.
Le Fablab’ke a de nombreux partenaires avec qui il travaille et invente plus d’occasions de créer
davantage. Il travaille notamment en partenariat avec l’ASBL de Lutte contre l’Exclusion Sociale (LES), l’IMAL (le Centre Arts, Sciences et Technologies de la Région Bruxelloise), la Fonderie du
Canal, le Festival de la musique de la Maison des cultures et de la cohésion sociale de Molenbeek,
le festival « Même pas peur », l’Académie des Beaux-arts de Bruxelles, le Fablab mobile Brussels et
bien d’autres. Une partie de leurs activités sont alors menées autour d’une thématique, d’un évènement, avec les écoles, des partenaires locaux, des associations locales dans le but de multiplier les accès à leur boîte à outils géante et d’en maximiser l’ouverture.
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Le Fablab’ke, une boîte à outils pour la création vers l’autonomisation des jeunes? Comment le Fablab’ke, avec l’aide du numérique et des nouvelles technologies, soutient-il l’expression, la création ou encore la créativité chez les jeunes? Peut-on parler d’autonomie ou encore d’émancipation des jeunes? Tout d’abord, fabriquer presque n’importe quoi, c’est s’exprimer. Fabriquer presque n’importe quoi, c’est créer, c’est être créatif.
Dans un second temps, il y a une dimension artistique dans la création que les animateurs de la structure essayent de valoriser au maximum. D’autant plus qu’ils sont eux-mêmes initialement artistes. L’intention est alors de mettre de nouveaux outils à disposition pour la création artistique et ainsi, démystifier l’art aux yeux des jeunes.
Fabriquer presque n’importe quoi permet d’aller même un pas plus loin. Cela permet aux « makers » (trad. faiseurs ou fabricants) de s’émanciper, d’envisager le numérique autrement et d’en révéler les potentialités. En effet, fabriquer presque n’importe quoi à l’aide du numérique et des nouvelles technologies permet une forme de conscientisation et de sensibilisation à « la capacité à », « au pouvoir de », et donc à l’émancipation. Quelques analyses et évaluations menées par les animateurs du Fablab’ke permettent de tirer ces conclusions.
Enfin, les animateurs veillent à l’autonomisation des jeunes dans leur utilisation des outils et de l’espace du Fablab’ke. Ils favorisent le tutorat entre les jeunes afin qu’ils se responsabilisent dans l’expérimentation et l’utilisation des outils. Ainsi, les plus novices sont accueillis par les jeunes « experts » et initiés par leurs soins. Cela permet un écolage entre pairs et une autonomisation dans la pratique des outils numériques et dans la mise en projet. Une fois l’initiation terminée, les jeunes sont libres d’opérer seuls. Les animateurs sont évidemment toujours disponibles et alertes quant à la manipulation des outils plus dangereux. Lors de certains évènements publics, les jeunes deviennent animateurs. Ils accueillent les gens curieux, leur présentent le matériel, le concept, les projets en cours, etc.
Dans un premier temps, le Fablab’ke permet aux jeunes de sortir de la consommation basique du numérique. Par-là, on entend la consommation quotidienne du numérique à travers les jeux virtuels, les réseaux sociaux, les applications divertissantes sur smartphone, tablette, etc. Effectivement, le numérique présente tellement de potentialités de création méconnues.
Finalement, une réelle expertise se développe au cours des séances au Fablab’ke. Cela permet aux jeunes de créer de manière autonome, de partager leurs « capacités à » ainsi que de s’exprimer de manière créative et inventive avec et dans des matières originales.
Certains ingénieurs, artistes et personnes passionnées se prêtent au jeu de l’expérimentation du numérique depuis plusieurs années et en vivent. Le Fablab’ke, quant à lui, fait naître de réelles passions et curiosités en donnant à voir et à tester dès le plus jeune âge. Les stages et ateliers du Fablab’ke permettent en effet aux jeunes de découvrir et de s’approprier les possibilités d’un ordinateur à travers une pédagogie par projet. La finalité étant systématiquement la création, la production de quelque chose.
Le Fablab’ke travaille donc depuis trois ans à créer le plus de ponts possibles avec les associations et les écoles de Molenbeek afin d’offrir plus d’accessibilité aux outils numériques et aux nouvelles technologies aux jeunes. Ses animateurs sont convaincus par le processus que traversent les jeunes grâce à la pédagogie par projet. Celui-ci permet toute une série d’apprentissages et une ouverture à de nouveaux modes d’expression inexploités par l’école, ou très peu. Le modèle de création que les animateurs proposent navigue entre l’expérimentation scientifique et artistique, ce qui demande une ouverture sur le monde pour s’inspirer avant de créer. Finalement, le Fablab’ke est une sorte de grosse boite à outils mise à disposition des jeunes pour rencontrer, partager, vivre ensemble et expérimenter le numérique autrement. Sources : http://carrefour-numerique.cite-sciences.fr/fablab/wiki/doku.php?id=charte#fn__1 https://fablabke.castii.be/category/pedagogie/ https://fr.wikipedia.org/wiki/Fonds_europ%C3%A9en_de_d%C3%A9veloppement_r%C3%A9gional Interview de Philippe, animateur-coordinateur du Fablab’ke
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Émergence d'un groupe d'actions sur le thème du
Par Clémence Nioche (FRMJC Midi-Pyrénées1 )
NUMERIQUE & DES FABLABS LA FÉDÉRATION RÉGIONALE DES MJC DE MIDI-PYRÉNÉES A ÉLABORÉ EN 2016 UN LA FÉDÉRATION MJC DE MINOUVEAU PROJET RÉGIONALE FÉDÉRATEURDES ISSU D'UN TRAVAIL DE A DEUX ANS DE DI-PYRÉNÉES ÉLABORÉ ENCONCERTATION 2016 UN NOUVEAU AVEC L'ENSEMBLE DES ACTEURS DUTRAVAIL RÉPROJET FÉDÉRATEUR ISSU D'UN DE SEAU : PROFESSIONNELS, ADMINISTRADEUX ANS DE CONCERTATION AVEC L'ENSEMBLE TEURS, BÉNÉVOLES, ETC. DES ACTEURS DU RÉSEAU : PROFESSIONNELS, FRMJC Midi-Pyrénées : ADMINISTRATEURS, BÉNÉVOLES, ETC. Fédération Régionale 1
des Maisons de Jeunes et de la Culture de la Région Midi-Pyrénées
Ainsi, depuis janvier 2017, un groupe de travail a été constitué autour de la thématique « FabLab et pratiques numériques ». Ce groupe est essentiellement
Ce travail de concertation a permis de faire émerger le besoin de mettre en place davantage d'actions de réseau en lien avec des questions de société actuelles : numérique, développement durable, insertion, prévention de la radicalisation,... À ce titre, la Fédération Régionale a mis en place des groupes de travail afin de mieux croiser et mutualiser les compétences et les innovations à l’œuvre dans le réseau.
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composé de professionnels. Il réunit des structures ayant une expertise sur le développement et la mise en place d'un Fablab ainsi que d’autres qui souhaitent développer des actions sur ce thème. Une réflexion collective au sein de ce groupe de travail a permis de faire émerger cinq enjeux communs entre les Fablabs et les MJC. C'est à partir de ces cinq enjeux que la Fédération Régionale des MJC de Midi-Pyrénées a pu d'une part, se positionner stratégiquement et politiquement et d'autre part, développer des actions de réseau.
1. Travail en réseau et multi-acteurs Dans la mise en place d’un Fablab qui, par nature et par habitude, demande à travailler avec plusieurs structures, nous observons qu’une démarche de travail collectif et collaboratif se met en place de façon globale sur l'ensemble de la structure qui intègre un Fablab.
En plus de la création indispensable d’un comité de pilotage rassemblant différents partenaires, de nombreux acteurs doivent circuler dans un Fablab : jeunes, passionnés, entrepreneurs, entreprises, associations, établissements scolaires, établissements de formation, étudiants, créatifs, structures qui travaillent avec des personnes en insertion sociale et professionnelle,... Le travail en réseau et multi-acteurs favorise ainsi la transversalité entre les domaines d’activités dans les MJC.
2. Ouverture aux entreprises Il a été évoqué deux dimensions concernant l’ouverture aux entreprises : La mobilisation de savoirs et de savoir-faire sur la pratique numérique permet de penser au lien qui pourrait être fait entre les entreprises et les jeunes utilisateurs réguliers d’un Fablab (notamment ceux en difficulté scolaire). Cela peut passer par une valorisation de compétences pour les jeunes, des offres de stages dans les entreprises liées au numérique, des formations hybrides Fablabs/écoles/entreprises. Un partenariat avec des entreprises locales œuvrant sur le numérique pourrait s’imaginer autrement que via une demande de sponsoring. Il est évoqué notamment des échanges de services et de compétences ou encore de la mutualisation de machines.
CES PISTES DE PARTENARIAT FONT ÉCHO AUX PROBLÉMATIQUES ACTUELLES QUI SE POSENT DANS LES MJC CONCERNANT L’OUVERTURE AUX ENTREPRISES. 21
3. Démarches et enjeux éducatifs Beaucoup de savoirs, savoir-faire et savoir-être sont mobilisables à travers l’utilisation d’un Fablab. Il y a toute la dimension directement liée à l’utilisation de machines-outils numériques : programmation informatique, écriture numérique, prototypage,... On peut également travailler sur la collaboration : il faut souvent se constituer en « équipe projet » avec plusieurs « expertises » pour réaliser un objet.
4. Nouveau modèle économique La mise en place d’un Fablab au sein d'une MJC permet d’imaginer un modèle économique pérenne avec des ressources nouvelles pour les associations : formations techniques, achat de matières premières par les adhérents, prestations aux entreprises,... Il y a également un mode de fonctionnement du Fablab à imaginer. Il en existe qui louent les machines-outils à l’heure, rendant dès lors peu accessible le Fablab aux personnes à faibles revenus. La MJC de Rodez a quant à elle fait le choix de faire fonctionner le Fablab sous forme de club et expérimente un modèle économique pour les deux années à venir. L'intégration d'un nouvel outil tel que le Fablab permet de questionner le modèle économique sur un des aspects de fonctionnement d'une MJC. Cette dimension correspond aux questionnements actuels que se posent les MJC au regard des réductions de subventions de fonctionnement.
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Enfin, la démarche expérimentale (manipulation d’objets, essais-erreurs pour arriver à l’aboutissement de son objet) paraît comme la démarche pédagogique assez naturellement mise en place auprès des plus jeunes sur un Fablab. Cette démarche éducative et pédagogique mise en œuvre au sein d’un Fablab correspond à celle des structures issues du mouvement d'éducation populaire.
5. Propriété intellectuelle et liberté de circulation des connaissances À la question « À qui appartiennent les inventions faites dans un Fablab? », la charte des Fablabs stipule « Les designs et les procédés développés dans les Fablabs peuvent être protégés et vendus comme le souhaitent leurs inventeurs, mais doivent rester disponibles de manière à ce que les individus puissent les utiliser et en apprendre ».
Ceci permet d'aborder à la fois la question de la place de l'adhérent utilisateur d'un Fablab et la façon dont une MJC propose un lieu de libre circulation des connaissances et des données. C'est l'occasion pour la MJC de se positionner sur le rapport aux savoirs, à la privatisation des données et au brevetage. Cela a été l'occasion de souligner collectivement que les MJC peuvent trouver ici l'occasion de défendre la libre circulation des connaissances et la démarche de Creative Commons2.
2 Creative Commons est une organisation à but non lucratif dont le but est de faciliter la diffusion et le partage des œuvres, tout en accompagnant les nouvelles pratiques de création à l'ère du numérique. Le but de Lawrence Lessig, le fondateur, était donc de développer des droits de propriété intellectuelle plus souples. Creative Commons propose des contrats types, ou licences, pour la mise à disposition d’œuvres en ligne, inspirés par les licences libres, les mouvements OpenSource et OpenAccess.
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Après avoir défini ces enjeux liés à la création d'un Fablab au sein d'une MJC, les membres du groupe de travail ont très vite fait émerger la nécessité de se « mettre en pratique » pour pouvoir développer des actions liées au numérique. De plus, une politique institutionnelle était favorisée avec notamment un appel à projets annuel proposé par le Conseil Régional pour permettre la création de Fablab, notamment sur les départements ruraux. Ainsi, ce sont cinq MJC qui se sont lancées dans une démarche de création d'un Fablab au sein de leurs structures. En 2018, ce sont les MJC de Saint-Jean et de Graulhet qui ouvrent leurs Fablabs deux ans après la MJC de Rodez. Les MJC du Saint-Gaudinois et de Saint-Céré ont développé des actions et travaillent à l'ouverture d'un Fablab en partenariat avec des acteurs locaux (intercommunalité, institution de formation, etc.). Une réelle dynamique a été créée entre ces cinq structures car elles peuvent partager concrètement des expériences et des réflexions à de nombreux niveaux : institutionnel, politique, technique, pédagogique ou encore économique. Parallèlement à cette dynamique, il a été pris en considération les MJC qui n'avaient pas la vocation d'ouvrir un Fablab afin de leur permettre de développer des actions en lien avec le numérique sans pour autant s'investir dans un projet d'aussi grande envergure.
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Une formation spécifique a été co-construite par les MJC de Rodez et du Saint-Gaudinois. Cette formation — « Montage et utilisation d'une imprimante 3D » — a rassemblé dix MJC du réseau et a fait émerger plusieurs dynamiques : Une dizaine d'animateurs jeunesse ont découvert le potentiel des actions éducatives et pédagogiques liées à l'imprimante 3D et au numérique plus largement. Les MJC bénéficiaires de la formation ont mis en place des partenariats avec des acteurs du numérique sur leurs territoires (Fablabs, associations de sensibilisation au numérique, services de mairie, etc.) Un groupe d'animateurs jeunesse se réunit régulièrement pour partager ses difficultés et ses expériences avec une imprimante 3D. Ce groupe partage à la fois des questions très techniques (comment réparer son imprimante 3D? Où se procurer les consommables?) ou pédagogiques (comment proposer une animation pour un groupe de 12 jeunes? Quelles manipulations laisse-t-on faire aux jeunes?).
Enfin, la Fédération Régionale propose des actions de sensibilisation à l'ensemble du réseau pour permettre de faire découvrir ce qu'est un Fablab au plus grand nombre. Des visites de Fablabs de la région sont proposées régulièrement aux professionnels, bénévoles et administrateurs des MJC. Aujourd’hui, le groupe de travail constitué il y a deux ans continue de se réunir une fois
par an pour définir les actions de réseau qui pourraient se développer. Pour 2019, le groupe de travail souhaite notamment travailler sur le développement de la formation professionnelle des acteurs éducatifs sur le thème du numérique. Le souhait est également de travailler sur le développement de fiches pédagogiques pour rendre accessibles à un plus grand nombre d'animateurs des actions sur le thème de l'impression 3D.
RUTECH, LE FABLAB DE LA MJC DE RODEZ APRÈS TROIS ANS D'EXPÉRIENCE, QUELS SONT VOS PROJETS POUR LA SUITE ?
COMMENT A ÉMERGÉ L'ENVIE DE DÉVELOPPER UN FABLAB AU SEIN DE VOTRE MJC? La MJC de Rodez avait une cyber-base depuis 2004. À l’occasion des dix ans d’existence de cet espace multimédia, nous nous sommes questionnés sur nos actions et sur leur pertinence au sein d’une société qui se transforme très rapidement avec les outils numériques. Cette remise en question a posé la nécessité d’innover. Les compétences des animateurs associés aux bénévoles passionnés par l’impression 3D ont permis d’acquérir une imprimante 3D et de lancer un club 3D (décembre 2013). Ensuite, très vite, il fut question de lancer un Fablab (février 2014). Et c’est en avril 2014 que nous avons répondu à un appel à projets du Ministère de la Jeunesse et des Sports de la Ville intitulé « Éducation populaire et pratiques numériques des jeunes ». En novembre 2014, nous avons été informés que notre dossier était retenu, ce qui nous permettait de lancer le Fablab RuTech (80 000€ de subvention pour deux années d’expérimentation de janvier 2015 à décembre 2016).
Après trois ans de fonctionnement, nous sommes toujours en perpétuelle réflexion et remise en question. Notre implication dans les réseaux régional et national des Fablabs nous aide beaucoup. Cela crée beaucoup d’interactions avec nos collègues des autres Fablabs et cela nous tire toujours plus vers le « plus » et vers le « haut ». Nous sommes en « veille » permanente et avides de toutes les idées novatrices. Nous souhaitons poursuivre nos actions en rendant accessibles au plus grand nombre la création et la fabrication numérique. En s’appuyant sur les partenaires identifiés (service du développement économique de Rodez Agglomération / incubateur d’entreprises, pépinières d’entreprises, CCI...), nous souhaitons poursuivre la sensibilisation et démontrer qu’un Fablab est un espace de ressources accessible aux entreprises au sens large.
Pour plus d’infos sur RuTech : www.rutech.fr/ www.facebook.com/FabLabRuTech/ Bilan de l’expérimentation : www.experimentation.jeunes.gouv.fr/ IMG/pdf/rf_fablab_mjc_rodez_expe_ apep_101.pdf Rapport et évaluation du dispositif : www.experimentation.jeunes.gouv.fr/ spip.php?page=article&id_article=1379
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Utiliser 1 les TICE Pour démystifier les institutions européennes
Par André Kreutz
Gaëlle Pellon est docteur en sciences politiques et sociales. Elle est chargée de cours à l’UCL et l’ULB depuis 2010 dans le cadre du projet EDGE / FEPES2.
Partant du constat que les jeunes se sentent peu concernés et peu informés sur les enjeux et sur le rôle du Parlement européen, elle a mis à profit son expérience et son expertise dans le domaine des pédagogies actives et des institutions européennes pour développer un jeu permettant de comprendre, de manière ludique et interactive, les rouages de l’institution européenne. Elle attache une grande importance à l’intelligence collective pour aborder des questions politiques parfois complexes.
EDGE est un projet qui, à travers l’axe FEPES (First European Parliament Elections Simulator), a permis de développer un prototype de jeu digital éducatif portant sur les élections européennes de 2019. Ce learning game se présente sous forme d’une histoire interactive où l’utilisateur peut acquérir et consolider, selon ses objectifs (s’informer ou se former), ses connaissances et ses compétences sur le Parlement européen et sur les élections européennes au travers d’une fiction narrative portant sur un cas réel (ici : le syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles). 2
Nom du jeu de type webstory développé par Gaëlle Pellon.
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TICE : Technologies de l'Information et de la Communication pour l'Enseignement qui recouvrent les outils et produits numériques pouvant être utilisés dans le cadre de l'éducation et de l'enseignement. Il s’agit d’un ensemble d’outils conçus et utilisés pour produire, traiter, entreposer, échanger, classer, retrouver et lire des documents numériques à des fins d'enseignement et d'apprentissage. L'étude des méthodes d'enseignement intégrant les TICE est quant à elle l'objet de la techno-pédagogie. 1
Concrètement, elle place l’apprenant au centre d’une co-construction de savoirs. L’utilisateur est immergé dans divers scénarios portant sur des questions européennes. Cette approche novatrice doit lui permettre d’avoir des clés de compréhension afin de mieux cerner les enjeux des élections européennes.
Dans une démarche d’éducation permanente, Gaëlle Pellon désire permettre à tous les jeunes de mener une réflexion sur des enjeux sociétaux auxquels ils ne sont pas nécessairement sensibilisés. Dans les Chroniques d'Utsuuq 3, elle aborde de manière détournée la compréhension de l’institution européenne. Dans cette invitation au voyage au sein du monde européen, elle permet à l’utilisateur d’évoluer dans une webstory qui se veut ouverte dans le but de lui permettre de se faire sa propre opinion — au travers des différents scénarios proposés — sans jamais formater et influencer ce que l’on doit penser de l’Union européenne.
Elle est attentive à ne pas rebuter les jeunes par rapport à la question européenne. C’est pourquoi elle a fait le choix de ne pas parler directement d’Europe, d’élections,... « On joue, et au travers du jeu, on aborde la question européenne ». Ainsi, au travers des différents scénarios, le joueur se positionne, éveille sa conscience politique, découvre l’exercice de la démocratie à partir d’une synopse4 qui permet de découvrir le passage d’une dictature à un système démocratique. Le sujet est traité différemment débouchant sur des réponses multiples dans le but de montrer qu’il y a une pluralité d’approches et une pluralité d’actions possibles. Au cours du jeu, le joueur va se positionner, à partir de vrais enjeux européens, et découvrir de nouvelles clés de compréhension pour aborder la question européenne. Le fil conducteur reflète le souhait de construire une conscience politique du jeune.
5 Les « livres dont vous êtes le héros » en France et au Québec, sont un genre de romans ayant pour caractéristique d'être interactifs, le déroulement de l'histoire dépendant des choix du lecteur.
Dans l'industrie cinématographique, ce terme désigne le résumé condensé d'un scénario.
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GAËLLE PELLON NOUS EXPLIQUE : « L’idée n’est pas de s’arrêter à une seule chose, une seule histoire. On n’est ni dans un jeu vidéo, ni dans le jeu « sérieux », mais bien dans une webstory interactive à la manière du roman dont vous êtes le héros5 transposé sur le web, ce qui offre la possibilité de rentrer dans des questions complexes ». Au-delà du sujet politique traité dans cette webstory, elle a voulu créer une méthodologie exportable à tout questionnement politique, proposer d’autres canaux que l’éducation formelle pour toucher un public très peu habitué à aborder ces sujets. Elle attache une importance au côté digital pour aborder la question politique. « Il faut faire évoluer nos pratiques pédagogiques pour aller vers des canaux de communication qui touchent un public très habitué à un environnement digital ». Pour ce qui est de la forme, elle s’est entourée d’une équipe d’auteurs, de game designers ayant toutes les compétences pour créer un vrai produit multimédia qui donne envie de jouer et qui soit accessible à partir d’une adresse email sur différents supports tels qu’ordinateur, tablette ou encore smartphone.
Dans un premier temps, Gaëlle Pellon s’est attachée à récolter les représentations des jeunes concernant l’Europe. Pour cette pré-phase, elle a envoyé un questionnaire online centré sur l’institution européenne à un panel d’étudiants venant d’horizons différents. D’une part, à des jeunes universitaires sensibilisés ou non à la question politique venant de facultés de sciences politiques et d’autres facultés non concernées par un questionnement politique. D’autre part, à des jeunes encore à l’école secondaire pour recueillir leurs expériences, leurs connaissances au sujet de l’Europe. Pour ce faire, elle a utilisé des questions telles que : « Pour vous, qu’est-ce que cela veut dire quand on parle d’Europe? Comment aimeriez-vous parler d’Europe? Quels sont les thèmes qui vous intéressent? Quelles sont les envies par rapport à cette thématique? ».
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Cette récolte de données a alimenté la construction d’un prototype du jeu, qu’elle a ensuite soumis à un panel de jeunes dans le cadre du milieu scolaire universitaire et secondaire ainsi qu’à des jeunes dans le cadre du milieu de l’éducation non formelle, comme les Maisons de Jeunes. Pour toutes ces expérimentations, Gaëlle Pellon a été attentive à ce que le panel des personnes ciblées soit équilibré au niveau du genre. Elle a ensuite profité de l’événement European Youth Event 6 à Strasbourg pour faire un test à grande échelle en juin 2018 auprès de cent jeunes primo-votants de quinze nationalités différentes. Ainsi, à partir de ces différents feedbacks, elle finalise actuellement les différents scénarios de cette première webstory sur les élections pour pouvoir mettre le jeu en ligne et le rendre disponible pour tous. En lien avec ce jeu, elle crée également une boîte de dialogue (chatbox ) permettant de discuter sous la forme d’un quiz, avec des questions-réponses qui permettent d’aller plus loin dans la réflexion. 6 Les auditions de l'EYE permettent aux participants à cet évènement de présenter certaines des idées les plus percutantes évoquées pendant la rencontre auprès des commissions parlementaires, d'en discuter avec les eurodéputés et d'avoir ainsi un impact sur le programme de travail du Parlement européen.
Les différents acteurs, qu’ils soient jeunes ou venant des institutions européennes, ont une perception d’une grande pertinence quant à l’utilisation de ce support pour parler des élections. Elle a eu des retours positifs d’une grande partie des jeunes qui se sont dit intéressés par cette approche. En effet, quatre-vingt pourcents des jeunes du panel de départ se sont déjà inscrits pour le grand testing du jeu dans sa version finale. Au-delà de la compréhension des enjeux des élections européennes, ce type de scénario pourrait, dans le futur, être élargi à d’autres questionnements socio-politiques. Par exemple des parcours d’intégration, la précarité ou des question complexes environnementales, que ce soit au niveau politique ou culturel, dans l’idée d’une co-création de projet. Le jeu sera disponible dans le courant du premier semestre 2019. Le collectif des Maisons de Jeunes du Brabant Wallon va tester la version finale en janvier 2019 et échanger sur l’opportunité d’utiliser cet outil pour aborder la question européenne au sein des Maisons de Jeunes.
LE SYNOPSIS DE LA WEBSTORY : Les Chroniques d'Utsuuq proposent une expérience inédite pour explorer de l’intérieur le monde européen. Ici, vous êtes à la place du personnage qui va devoir lutter pour faire entendre sa voix dans le monde complexe de l’Europe.
L'HISTOIRE : Jiil est envoyée depuis les colonies souterraines vers Utsuuq, la Cité aux 7 Territoires indépendants. Sous terre, la situation est grave suite à un mal étrange qui touche les chenilles produisant la précieuse levure, base de l’alimentation des colonies. Seule option, aller en surface pour comprendre et résoudre le problème. Mais en surface, les choses sont bien différentes, surtout à l'heure du Défilé des Appellations. Face à ce défi, Jiil est aidée par Tove — l’intelligence artificielle des Colonies — et par le Haut-Conseil. Que va-t-elle faire pour parvenir à résoudre le problème des chenilles? Tout au long de l'histoire, Jiil sera confrontée à des questions simples en apparence. En fonction de ses choix, l’histoire s’écrira différemment. Dans Les Chroniques d'Utsuuq, Jiil, c'est vous!
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Par Frédéric Lorent
Fluctu-art Nec Mergitur WHY SO SERIOUS? Et si ce fameux sourire de la Joconde se faisait The D in David de Yaron Farkash and Michelle Yi.
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2 Gustav Klimt de Gianfranco Iannuzzi — Renato Gatto — Massimiliano Siccardi (à l’Atelier des Lumières de Paris).
rectifier par le « Joker », l’iconoclaste ennemi de Batman? Et si les acrobaties d’Assassin’s Creed donnaient envie de se faire un citytrip à Paris pour visiter la Sainte Chapelle? Et si voir les planètes du Petit Prince avec un casque de réalité virtuelle donnait envie de lire Saint Exupery? Il serait où le problème? Ça gênerait qui?
Installation et bodypainting de Zach King.
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Les innovations technologiques dans le domaine du numérique ne représentent aucunement un danger, mais bien une formidable opportunité non seulement de créativité bien sûr, mais aussi d’une multitude de nouvelles approches de la Culture en général et de l’Art en particulier. Quel régal de voir un David de Michel Ange en images de synthèse courir nu (forcément!) dans un musée1. Quel voyage étrange que de s’immerger dans la peinture de Klimt au moyen de gigantesques projections vidéo2. Quelle expérience saisissante de voir un personnage de Van Gogh sortir de la toile pour aller draguer « une Vermeer » dans le cadre d’à côté!3
L’Art n’est pas un objet en deux tomes, en deux temps, avec un « avant » et un « maintenant ». Il est un flux continu, un fleuve qui va grossissant de tous les cours d’eau, petits ou grands, qui s’y jettent depuis des siècles. S’il est passionnant de se laisser emporter par ses flots contemporains pour découvrir et profiter de ses futurs méandres, il ne faut pas se priver d’en remonter aussi le courant, pour découvrir d’où tout cela peut bien venir, et à quels ailleurs cela pourrait bien mener.
Bien sûr il faudra sans doute pagayer un peu, mais quel bonheur, grâce à ces quelques efforts, de retourner jusqu’à Klimt ou Michel Ange, Saint-Pierre de Rome ou Notre Dame de Paris, pour repartir de là, et faire un nouveau voyage créatif.
À l’évidence, c’est justement ce mouvement de va et vient qui ne peut être qu’extraordinairement fécond pour l’Art : tantôt un nouveau regard est un moyen d’activer la curiosité de retourner à l’œuvre originale, tantôt c’est précisément l’œuvre originale qui féconde une nouvelle, pour voir sa substance réactivée sous une autre forme à travers cette création qui à son tour vivra sa vie. On l’aura compris, si les nouvelles technologies sont autant de nouvelles opportunités de ces aller-retours, elles ne sont bien sûr que les outils d’un nouveau regard, d’une intention, d’une envie qui se cultivent. Un œil qui voit, un cerveau qui comprend, un cœur qui aime, une main qui fait. Ce n’est que par des rencontres, des initiations, des découvertes, des prises de contact et des prises en mains que l’on pourra s’attendre à de belles naissances et de fiers héritages. À nouveau, rencontres et métissages nous emporteront bien plus loin que ces deux excès contraires que seraient d’un côté, la nostalgie pure des oeuvres du passé et de l’autre côté, leur mépris voire pire, leur oubli. Métissage des pratiques, rencontre des époques — un film qui contamine une peinture de la Renaissance, un morceau de musique classique qui enchante un jeu vidéo — mais aussi métissage des supports, rencontre des médias — visite virtuelle de chantiers de cathédrales, changement d’époques par la réalité augmentée...
L’histoire de l’Art est depuis toujours à la rencontre de l’histoire des Idées et de l’histoire des Techniques. Pourquoi en serait-il autrement aujourd’hui alors qu’il n’a jamais fusé et circulé autant de ces deux constituants? Bien au contraire : quel que soit l’endroit du Fleuve que nous souhaitons explorer, nous avons aujourd’hui plus de moyens et d’opportunités que jamais de profiter du courant... artistique.
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DROITS D'AUTEUR
Par Benjamin Cambron
Évolution du monde numérique et culture EN SEPTEMBRE 2018, LE PARLEMENT EUROPÉEN A
ADOPTÉ UN TEXTE SUR LA MISE À JOUR DES RÈGLES RELATIVES AUX DROITS D’AUTEUR À L’ÈRE DU NUMÉRIQUE (DIRECTIVE « COPYRIGHT »). LE VOTE DE CETTE DIRECTIVE SE PASSE DANS UN CONTEXTE PARTICULIER. En 2017, la collecte mondiale de droits d’auteur a atteint le montant de 9,6 milliards d’euros (selon la CISAC — Confédération internationale des sociétés d’auteurs et de compositeurs). L’essentiel des revenus générés viennent des TV et radios. Ces derniers correspondent à 40,6% des collectes mondiales. Dans cette collecte des droits d’auteur, les plateformes numériques, tous secteurs confondus, ne génèrent que 13, 2% du montant total . Et au sein de toutes ces plateformes, de grands utilisateurs de contenus soumis aux droits d’auteur comme YouTube (liée à Google) ne paient qu’une infime partie. C’est cette faible participation à la collecte des droits d’auteur des grands acteurs du numérique qui a amené l’Europe à se pencher sur cette question. Deux camps s’opposaient autour de cette directive « copyright ». D’un côté, le GAFA (acronyme utilisé en Europe pour désigner Google, Apple, Facebook et Amazon) et les partisans autoproclamés d’un Internet libre. D’un autre côté, les éditeurs de presse et le monde de la création. Ce sont finalement ces derniers qui paraissent avoir remporté le bras de fer suite à l’adoption par le Parlement européen de cette directive.
Bien que l’objectif principal de cette directive soit d’assurer la rémunération des auteurs de contenus créatifs par les grandes plateformes numériques, elle pourrait avoir des conséquences sur le secteur culturel de manière plus large. Le contour de ces impacts reste néanmoins encore flou. Il subsiste encore quelques étapes avant que cette nouvelle règle ne s’applique à nos réalités professionnelles. Tout d’abord, la version du texte votée par le Parlement n’est pas définitive. Elle doit être discutée et négociée avec le Conseil de l’Union européenne et les services de la Commission européenne. Ensuite, comme il s’agit d’une directive, chaque État membre devra veiller à l’intégrer dans son droit national. Cela implique que l’on pourra voir apparaître de légères variations d’un pays à l’autre.
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Sur base du texte adopté par le Parlement européen, on peut cependant identifier quelques menaces pour les acteurs culturels qui utilisent les médias numériques (pour informer, diffuser leurs créations, adapter des images trouvées sur Internet, intégrer des séquences de films dans leurs productions, etc.). C’est sur ce point que nous allons surtout nous centrer. L’Article 13 du texte voté oblige les plateformes (on parle ici de plateformes telles que YouTube, Facebook, Dailymotion,...) à signer des accords avec des sociétés de gestion collective pour la diffusion, par les utilisateurs de ces plateformes, de contenus potentiellement couverts par un droit d’auteur. Faute d’accord, les plateformes devront faire en sorte d’empêcher la mise en ligne des œuvres protégées. Un système de filtrage existe déjà sur YouTube, appelé ContentID, destiné à repérer les contenus protégés par le droit d’auteur. Il est malheureusement connu pour supprimer fréquemment des utilisations totalement licites de contenus soumis aux droits d’auteur comme la parodie ou le remix. De même, le système de filtrage de Facebook a déjà montré les risques qu’il génère...
Concrètement, dans la situation d’une production cent pour cent réalisée par vos soins, cet article de la directive n’aura pas d’effets sur vos habitudes. Il en est de même si vous utilisez des éléments créés par d’autres mais pour lesquels vous bénéficiez du droit patrimonial (cf. encart) adapté à l’usage que vous en faites. Par contre, si vous utilisez des extraits d’une vidéo dont vous n’êtes pas l’auteur et ne bénéficiez d’aucun droit patrimonial (pour faire une critique cinéma, remixer un clip et le doubler, etc.), vous ne pourrez pas poster votre création sur ces plateformes tant que celles-ci n’ont pas trouvé un accord avec les ayants droit. Ce qui est perçu par certains comme une forme de censure et touche à la question de la liberté d’expression et le droit à la critique, le droit à la parodie, le droit à l’information. À titre d’exemple, à l’avenir, sera-t-il encore possible de détourner une vidéo? D’informer pleinement tout en respectant ce cadre? De réaliser une critique de films ou de jeux vidéos sans extraits de ceux-ci? De diffuser des reprises musicales de son groupe dans l’espoir de se faire connaître? Le filtrage des contenus pourrait être la fin d’un certain nombre de démarches culturelles. Dès lors, la question d’avoir le droit d’exploiter une œuvre, et donc de bénéficier du droit patrimonial sur celle-ci, est au cœur de la démarche. Sans la jouissance de ces droits, il y a un ensemble de choses qui sont aujourd’hui tolérées qui ne seront probablement plus possibles demain. Une piste de solution est de se tourner vers des œuvres qui ont été placées sous des licences facilitant l’appropriation par d’autres. Par exemple : les licences Creatives Commons, art libre, le domaine public, l’OGL, la GPL, la beerware, la WTFPL... Ces licences servent à simplifier la diffusion et l’utilisation de créations artistiques ou autres. Attention, choisir ces licences ne veut pas dire que l’œuvre est mise à disposition sans contrepartie(s). Suivant la licence sous laquelle l’oeuvre est déposée, vous pourriez avoir un ensemble d’obligations à honorer (exemple : préciser qui est l’auteur original, ne pas vendre l’oeuvre finale, etc.).
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En tant que producteur de contenus culturels, vous pourriez également choisir l’une de ces licences afin d’en faciliter l’utilisation future par d’autres. Il s’agit alors d’une démarche volontaire du choix d’une licence précisant dans quelles circonstances on peut, ou pas, bénéficier d’une partie ou de la totalité des droits patrimoniaux de sa création. Le choix et l’usage d’une licence de ce type sur les contenus que nous produisons dans le secteur culturel apparaissent comme pertinents à plusieurs niveaux. Par essence, la législation sur les droits d’auteur est principalement pensée dans une logique commerciale. Un auteur peut demander une contrepartie (souvent financière) pour qu’un tiers puisse diffuser son œuvre, la traduire, la transformer, etc. Le droit d’auteur est un cadre permettant à un individu de gagner sa vie à travers les œuvres qu’il crée. Des organismes comme la CISAC 1 étant le bras armé permettant d’assurer cette rétribution des auteurs. Mais lorsque notre finalité en tant qu’association est de favoriser l’accès à la culture, la création culturelle en tant que mode d’expression, la question de la commercialisation apparaît secondaire. Pire, le droit d’auteur tel qu’il est prévu par défaut, et que la directive européenne renforce encore davantage, va à l’encontre de l’idée de la démocratisation de la culture. Il renforce l’idée que la culture est une marchandise qui demande certains moyens pour y accéder. 1 CISAC : Confédération internationale des sociétés d'auteurs et compositeurs.
Le choix d’une licence plus ouverte que le droit d’auteur par défaut favorise également la réutilisation des œuvres, leur amélioration et leur réappropriation pour amener de nouveaux élans artistiques. On vise alors un cercle vertueux culturel. Plus il y a d’œuvres disponibles dans l’espace public, sans l’entrave de licences, et plus il est possible de s’affranchir des contenus protégés pour développer ses propres idées. Enfin, dans la mesure où une partie du secteur artistique et culturel en Fédération Wallonie-Bruxelles est financée par des fonds publics, faire ce choix de licence est également une manière de rendre à la collectivité ce qui a été financé directement ou indirectement au nom de l’intérêt commun. Pour terminer cet article, afin d’être cohérent avec son contenu, sachez que le texte est placé sous licence Creative Commons Zero — www.creativecommons.org/publicdomain/zero/1.0/deed.fr
LE DROIT D’AUTEUR EN BELGIQUE EN QUELQUES LIGNES Il s’agit d’un droit qui protège les auteurs d'œuvres littéraires et artistiques. L’esprit de cette règle est de permettre aux auteurs de contrôler l'exploitation qui est faite de leurs créations et d'en protéger l'intégrité. Pour invoquer la protection des droits d’auteur, il faut que la création existe sous une forme qui lui permet d’être communiquée à quelqu’un d’autre (vidéo, livre, mp3, etc.) et qu’elle soit une création intellectuelle propre à son auteur (c’est-àdire qu’elle reflète sa personnalité, qu’elle soit le résultat de choix créatifs et libres). En Belgique, l'obtention d'un droit d'auteur naît automatiquement par la création d'une œuvre originale. À l’intérieur du droit d’auteur en tant que tel, on peut scinder deux catégories de droits dont bénéficie l’auteur à l’égard de son œuvre : les droits moraux et les droits patrimoniaux. Les premiers, les droits moraux, ont pour objectif de protéger la personnalité de l’auteur à travers son œuvre. C’est la question du lien de paternité entre l’auteur et sa création, la question du respect de son œuvre. Par essence, les droits moraux ne peuvent pas être cédés à un tiers. L’auteur d’une œuvre est et restera toujours celui qui en est à l’origine. Les droits patrimoniaux, par contre, peuvent être cédés à un tiers. En synthèse, il s’agit de ce qui permet à l’auteur de tirer un revenu de l’exploitation de son œuvre. On trouve derrière cette idée la possibilité de communiquer une œuvre, de traduire une œuvre, de l’adapter, de la louer, etc. Liens vers des ressources dont les auteurs cèdent volontairement certains de leurs droits patrimoniaux www.unsplash.com — Photos www.jamendo.com — Musique www.artlibre.org — Images www.bdzmag.actualitte.com — BD www.coverr.co — Vidéos www.videos.pexels.com — Vidéos www.framalibre.org — Logiciels 35
Et si on se réappropriait
NOTRE VIE NUMERIQUE?
Par Nathalie Heusquin
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Virginie Braconnier a fait des études de sciences politiques et a travaillé à la Commission européenne pendant de longues années. Motivée par l’aspect collectif, elle avait envie d’apporter sa pierre à l’édifice européen. Elle vit dans un habitat groupé et est membre de différentes
associations. Sa devise est la suivante : « Qui veut aller vite, va tout seul. Qui veut aller loin, va ensemble ». Même si le travail collectif est toujours un défi, elle aime cela.
En 2013, suite à un problème avec son ordinateur, une personne lui propose d’installer un système d’exploitation Linux pour lui éviter de devoir se racheter un PC. Ça a très bien fonctionné et progressivement, elle a commencé à s’intéresser aux logiciels libres. Elle participe alors aux Rencontres Mondiales du Logiciel Libre à Bruxelles, où elle ouvre alors de grands yeux en découvrant tout ce qu’il y a moyen de faire avec ces logiciels libres. Elle découvre un monde jusque-là inconnu avec une multitude d’alternatives portées par des valeurs et une communauté. Aujourd’hui, membre active d’ABELLI, l’Association Belge de Promotion du Logiciel Libre, Virginie organise des séances d’information et de sensibilisation ouvertes à tous. Cette association a pour objectif de permettre à tout citoyen ou association de se réapproprier sa liberté et sa sécurité numériques. Rencontrée lors de Dialogues en Humanité 1 où elle animait des quizz sur cette thématique, elle a piqué notre curiosité et nous a donné envie d’en savoir plus et de partager son enthousiasme avec vous, les lecteurs du Swap Magazine.
Peux-tu nous expliquer ce qu’est un logiciel libre et les valeurs sur lesquelles il est fondé?
Dialogues en humanité : Festival citoyen dont l’objectif est d’inviter la société civile à questionner notre humanité face aux grandes impasses de notre époque et à explorer les audaces nécessaires pour changer de voie et retrouver confiance en l’avenir et l’envie d’agir. 1
Les principales valeurs sur lesquelles sont fondés
les logiciels libres sont liberté, égalité et fraternité. C’est un logiciel dont le code source est disponible à tout qui veut voir le programme. Le code source, c’est comme une recette de cuisine qui explique ce que le logiciel fait et comment il le fait. Du coup, un informaticien peut vérifier ce que ce logiciel fait effectivement en allant lire les instructions que le programme donne à l’ordinateur. C’est donc très différent des logiciels propriétaires ou privateurs dont on n’a pas le code source et auxquels on doit fait confiance a priori. À titre d’exemple, Microsoft et Apple ne dévoilent pas les codes sources de leurs logiciels. Il faut donc leur faire confiance sans aucune possibilité de vérification des opérations effectuées par ce logiciel.
La liberté pour tout un chacun de voir et d’étudier le code source, mais aussi de le transformer et de le redistribuer tout en respectant sa licence. L’égalité : Le principe est que tout le monde puisse y avoir accès. C’est souvent gratuit, mais pas toujours. Ça fonctionne beaucoup avec des dons. La fraternité : Ce qui est important, c’est la communauté. De par le monde, il y a des milliers de programmeurs qui créent des logiciels, qui les améliorent, qui discutent entre eux. Il y a beaucoup de partage et c’est toujours sans but lucratif. 37
À quels enjeux répondent les logiciels libres aujourd’hui?
www.gafam.laquadrature.net
Aujourd’hui, il y a une véritable mainmise des plus grandes multinationales du web, les GAFAM 2, sur le marché, mais aussi sur les esprits. En effet, les utilisateurs d’outils numériques ne se rendent même plus compte qu’ils utilisent quotidiennement une multitude de logiciels sur lesquels ils n’ont aucune prise. Ils ne savent pas ce que ces multinationales font de leurs données privées, comment ils les traitent, à qui ils les revendent. Régulièrement des scandales éclatent, comme celui de Cambridge Analytica en 2018. Cette société a utilisé les données de 87 millions d’utilisateurs Facebook partout dans le monde en exploitant une faille de sécurité sur une application du réseau social. Ces données ont ensuite été utilisées pour influencer des élections, le vote sur le Brexit, l’élection de Donald Trump, les élections au Kenya,... Autre exemple, le Cloud est devenu très à la mode ces dernières années. Ce système permet de stocker vos données sur un serveur à distance. Ainsi, l’utilisateur peut y accéder de partout avec différents appareils (ordi, smartphone,...). Le problème, c’est que vos données ne vous appartiennent plus, elles vont être données à une société qui ne vous permettra que d’accéder à des copies.
2 GAFAM : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft
Les logiciels libres sont quant à eux une réelle alternative qui favorise la sécurité des données et de la vie numérique de tout individu. Les systèmes d’exploitation libres, tel que Linux, consomment beaucoup moins de ressources et de mémoire qu’un système propriétaire, comme Windows de Microsoft ou MAC OS X d’Apple. Avec le libre, on peut donc rééquiper des ordinateurs qui sont considérés comme obsolètes sur le marché. C’est par exemple ce que fait OXFAM. Cette organisation récupère, recycle et revend des ordinateurs à petits prix. Les logiciels libres répondent donc aussi à des enjeux de durabilité et d’écologie. Cette accessibilité aux personnes ayant de faibles ressources économiques peut contribuer à la réduction de la fracture numérique. Un autre enjeu est la pérennité des créations numériques. Si un logiciel n'est plus mis à jour par ses développeurs, vous ne perdez pas les fichiers (textes, vidéos et/ou sons) que vous aviez créés car un autre logiciel pourra les ouvrir. Avec un fichier au format fermé, vous ne pouvez l'ouvrir qu’avec un certain logiciel et parfois même avec une seule version.
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Quels sont les outils numériques libres accessibles aujourd’hui?
Certains services et logiciels libres sont accessibles très facilement. Chacun peut décider d’utiliser des services libres en ligne. Pour travailler sur un document collaboratif en ligne, il est possible de se passer de Google. Framasoft 3 propose une série d’outils collaboratifs pour éditer, calculer, enquêter, organiser un sondage, partager de la musique, des vidéos,... www.framasoft.org/fr/full/
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4 www.lea-linux.org/ documentations/Annuaire:LUG_Belgique
Très accessibles également, une série de logiciels libres s’installent sur un système d’exploitation propriétaire. Comme navigateur Internet, il y a Firefox. Thunderbird est un logiciel de courrier électronique. LibreOffice, une suite bureautique... Il existe aussi des logiciels libres pour le traitement photos (GIMP ), vidéos, son,... Si l’utilisateur veut aller un peu plus loin, il peut décider de passer à un système d’exploitation libre, GNU / Linux. Il existe différentes distributions comme Mint, Ubuntu, Debian,... Un utilisateur débutant pourra s’appuyer sur la communauté pour faire installer son système et apprendre à le paramétrer. En Belgique, dans une trentaine de villes, il existe des communautés d’utilisateurs, les LUG 4. Par exemple, LiLiT (Liège Linux Team) organise des journées de découverte et d’installation. Les smartphones aussi peuvent fonctionner avec des logiciels libres. Il suffit d’une petite manipulation pour faire disparaître la « couche » Google d’un smartphone. Ensuite, on peut télécharger F-Droid, une bibliothèque d’application pour smartphone. En téléchargeant Openstreetmap, on pourra avoir accès à un plan de la ville où l’on se trouve ainsi qu’à toutes les informations en temps réel concernant les transports en commun de cette ville. Il y a aussi des réseaux sociaux, comme Diaspora ou Communecter, qui ne se financent pas sur la publicité et via lesquels vos données privées ne sont pas collectées à des fins commerciales ou de marketing.
Qui utilise des logiciels libres? Il est intéressant de souligner que les logiciels libres équipent deux tiers des serveurs web de la planète. En Belgique, beaucoup d'administrations utilisent des logiciels libres. Beaucoup de serveurs sont sous Linux. Un nombre grandissant de petites et moyennes entreprises développent leurs propres logiciels ou les font développer par des prestataires informatiques. L’avantage est alors qu’elles paient des services à des entreprises locales plutôt que de payer des licences à de grandes entreprises multinationales. Il y a aussi beaucoup de citoyens qui, dans une démarche de cohérence éthique, se tournent vers les systèmes et logiciels libres.
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Quels sont les freins à la généralisation de l’utilisation des logiciels libres?
Au niveau sociétal, les GAFAM font un énorme lobbying et un marketing très offensif. Par exemple, quand on achète un ordinateur, il est fourni avec un système d’exploitation et des logiciels gratuits mais ce sont des logiciels propriétaires. Vu qu’ils sont gratuits à la livraison, il y a beaucoup de chance que l’acheteur continue à les utiliser. C’est en quelque sorte de la vente forcée. Ces multinationales vont aussi consacrer d’énormes budgets en publicité, comme Apple par exemple qui développe une stratégie de marketing hyper efficace. D’autres vont offrir leurs logiciels dans le secteur de l’enseignement pour que les enfants apprennent à les utiliser dès leur plus jeune âge. Du côté du libre, il n’existe pas de grosses entreprises, mais des communautés d’individus qui développent, améliorent, échangent des logiciels et services libres. Il n’y a donc pas de publicité alors qu’on trouve une énorme diversité de programmes et de services. Au niveau individuel, les plus grands freins à la généralisation des logiciels libres, c’est la méconnaissance de ceux-ci et l’impression que « c’est trop complexe » à installer et utiliser. Les utilisateurs choisissent souvent par mimétisme et par reproduction. On va plus facilement vers des systèmes qu’on connaît et qui sont utilisés par notre entourage (environnement professionnel, familial, amical).
Comment dépasser ces freins? Dans un premier temps, les utilisateurs doivent prendre conscience des enjeux. Sont-ils d’accord de confier leurs données aux multinationales du web? Veulent-ils continuer à être dépendants de celles-ci? Veulent-ils continuer à être les cibles du marketing et continuer à devoir acheter sans cesse du nouveau matériel pour être à la dernière mode? Dans un deuxième temps, les utilisateurs peuvent essayer des services et des logiciels libres. S’ils adhèrent, ils pourront approfondir en s’appuyant sur la communauté d’utilisateurs et de développeurs.
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En quoi les logiciels libres favorisent-ils la créativité?
Imaginez que vous vous trouviez dans un restaurant et que vous mangiez un excellent plat. Peut-être aurez-vous l'envie de le cuisiner la semaine d’après
Dans le libre, le besoin de l’utilisateur est le moteur de la création de nouveaux logiciels. Il y a donc une grande créativité du côté des développeurs qui partent de quelque chose de réalisé par un autre pour l’adapter à leurs besoins et le redistribuer. Il existe des logiciels libres qui recouvrent beaucoup d’activités artistiques, allant de la peinture numérique à la création sonore, en passant par la création d’images animées, la modélisation 3D, le graphisme,... 5 Pour les artistes qui utilisent des outils numériques, les logiciels libres sont de belles opportunités. Ils sont gratuits, ils garantissent la sécurité des données et si l’artiste a besoin d’une fonctionnalité sur le logiciel qui n’existe pas, il pourra facilement rentrer en contact avec un développeur qui pourra créer cette fonctionnalité. Dès lors, pourquoi ne pas tenter l’expérience des logiciels libres dans votre Centre de Jeunes? En faisant appel à la communauté d’utilisateurs et de développeurs du libre, vous trouverez les ressources pour vous lancer dans l’aventure. Les jeunes pourront acquérir des connaissances et des compétences et les transmettre ensuite à d’autres. Vous pourrez remettre en état des ordinateurs déclassés, vous pourrez utiliser gratuitement une série de logiciels et si nécessaire, les adapter à vos besoins. S’engager dans les logiciels libres, c’est une manière d’être plus cohérent avec les valeurs que les Centres de Jeunes défendent comme la liberté et l’égalité. C’est aussi un moyen de rendre les outils numériques accessibles à tous et de lutter contre la fracture numérique. https://fr.wikipedia.org/ wiki/Liste_de_logiciels_ libres#Multimédia 5
chez vous pour vos amis?
C'est impossible, car vous n'avez pas la recette du plat. Vous pouvez toujours le manger dans le restaurant, mais même si vous connaissez le goût, vous ne savez pas comment le reproduire. En informatique, c'est la même chose avec un logiciel. La plupart des logiciels sont distribués sans leurs recettes. Et il est interdit d'essayer de comprendre leur fonctionnement. On parle dans ce cas d'un logiciel propriétaire. Il est interdit de les partager avec vos amis et d'essayer de les modifier pour les adapter à vos besoins.
En revanche, un logiciel libre vous garantit plusieurs libertés : La liberté d'utiliser le logiciel, pour quelque usage que ce soit. La liberté d'étudier le fonctionnement du programme et de l'adapter à vos propres besoins. La liberté de redistribuer des copies de façon à pouvoir aider votre voisin. La liberté d'améliorer le programme, et de diffuser vos améliorations au public de façon à ce que l'ensemble de la communauté en tire avantage.
L'accès au code source est une condition pour tout ceci. Donc, avec un logiciel libre, vous avez le plat, la recette, le droit de redistribuer (ou de vendre) le plat, la recette, et même de la modifier. Plus d’infos sur www.april.org
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Éditeur responsable : Marc Chambeau — 8 rue aux Chevaux - 4000 Liège Rédactrice en chef : Cécile Lebrun Graphisme et mise en page : Constance Schrouben Ont collaboré à la réalisation de ce numéro : Isam Ben Bellat, Dimitri Motanda Kapenda, Nordine Gualdlhadj, Clémence Nioche, Gaelle Pelon, Frédéric Lorent, Virginie Braconnier. Pour la FMJ ASBL : Benjamin Cambron, Adèle Dupont, Sarah Beaulieu, Nathalie Heusquin, Marc Chambeau, Anne-Sophie Bourgeois, André Kreutz, Jean-Raymond Carton et Thomas Oyarzabal. Impression : Imprimerie Vervinckt
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FMJ ASBL 8 rue aux chevaux 4000 Liège +32 4 223 64 16 fmj@fmjbf.org www.fmjbf.org
AIDER LES MAISONS À SE CONSTRUIRE... La Fédération des Maisons de Jeunes vit par et pour les jeunes... et leurs maisons. Par les jeunes, parce que leurs enthousiasmes et leurs énergies constituent la source de tous nos projets. Pour les jeunes, parce que leurs initiatives et leurs réalisations sont autant d’encouragements à continuer notre fantastique aventure. HELPING BUILD THE CENTRES, HELPING BUILD THE FUTUR... Young people and their community centres constitute the raison d’être of the Fédération des Maisons de Jeunes. The enthusiasm and energy of these teenagers are, in fact, the lifeblood of all our projects; their endeavours and achievements provide us with the encouragement to continue to pursue our fantastic adventure. BOUW MET ONS MEE... De «Fédération des Maisons de Jeunes» leeft door en voor jongeren. Door jongeren. Omdat hun enthousiasme en hun energie de motor zijn achter onze projecten. Voor jongeren. Omdat alles wat ze ondernemen en realiseren, telkens opnieuw een aanmoediging is om ermee door te gaan, met ons geweldig avontuur.
- Réalisé avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Service Jeunesse) et de la Wallonie (Emploi) -
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