Swap Magazine #3 - 2018 // "Les murs"

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AĂŻcha et Houssman de Jeunesse Nomade


Sommaire

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Présentation et sommaire Édito Mondialisations et divisions : deux faces d’une même pièce? La politique migratoire en Belgique Jeunesse Nomade : Des histoires, leur histoire... Témoignages Décision coûteuse Rencontre avec Marco Martiniello De l'émotion à l'action Murs-Murs : Pour faire tomber les murs qui enferment les jeunes d’ici et ailleurs La courte-échelle vers un acte citoyen Poème de Mériana Attendre - Moments suspendus avec des demandeurs d’asile


Deux formats

Un outil

Positionner la FMJ Susciter la réflexion

Ill. : Benjamin Cambron

Parution

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édito

Par Anne-Marie

Je salue l’initiative de la Fédération des Maisons de Jeunes pour ce spectacle aussi interpellant qu’est « Jeunesse Nomade » et je félicite chaque participant. En regardant le spectacle, je me suis vue et pour la première fois, le film de ma vie n’était pas dans ma tête mais juste en écran devant moi et interprété par de vrais acteurs de vie. Certaines personnes diront que c’est juste un spectacle. Mais non, c’est la réalité de la vie des personnes comme moi, avec un parcours de vie particulier. En ce jour, je me trouve en train de devoir supporter non pas une vie mais trois vies : celle du pays d’où je viens, celle de la traversée et celle du pays actuel où je vis. Et je peux dire que psychologiquement, ce n’est pas facile.

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Je suis Togolaise âgée de 22 ans. Je vis en Belgique depuis le mois de mars 2016 et mon parcours n’est pas des plus simples. Après la mort de mon père en 2004, alors que je n’avais que sept ans, je me retrouve esclave vendue par la femme de mon père. J’ai passé près de neuf ans de ma vie enfermée, utilisée comme esclave sexuelle. Abusée jour et nuit au plaisir de mes bourreaux. Je vis un réel calvaire et une torture sans fin ayant pour identité une cicatrice de brûlure à mon pied droit, brûlure qui me fut infligée afin de reconnaitre mon signe d’esclave. Un jour, avec l’aide de deux personnes, je réussis à m’enfuir de mon pays à l’âge de seize ans pour entamer un long voyage dont j’ignore la fin. J’ai là une première vie qui me suivra partout et dont je ne pourrai jamais me débarrasser.


Partie de mon pays, j’entame une traversée qui peut me coûter la vie. De pays en pays, avec des étrangers, sans savoir de quoi demain sera fait. Voir des passeurs malveillants, marcher des heures dans la forêt pour atteindre la mer, un moyen pour y arriver pour certains et pour d’autres, une fin de vie. Je me pose la question de savoir qui confiera sa vie importante à la mer sans gilet de sauvetage et dans un petit zodiaque si ce n’est qu’en cas d’extrême survie? Arriver dans un autre pays et, prise dans le piège d’un trafic d’organes, voir mon ami de traversée sur une table le ventre ouvert avec deux hommes penchés dessus à prélever ses organes. Comment faire pour sortir de là vivante? Devenir une cible et recherchée pour avoir découvert cela, je suis encore plus en danger au milieu de tous ces gens sans savoir à qui faire confiance? À qui crier à l’aide? Je finis par trouver une issue pour enfin arriver en Belgique. Une deuxième vie à gérer et à porter pour le restant de mes jours.

Belgique, pays choisi, pays où j’espère vivre en sécurité et prendre racine. Mais personne ne m’a préparée à affronter le système. Ce système dans lequel il faut remplir des critères pour avoir droit à un certain privilège. Subir d’interminables interviews, où une même question vous est posée des dizaines de fois mais avec de minuscules nuances dans le but de vous piéger. Tout cela pour finir en refus. Je vis au jour le jour avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête sans savoir quand elle s’abattra sur moi. Je n’étais pas préparée à cette troisième vie, remplie de stress et d’incertitude. Heureusement que j’ai eu à rencontrer dans tout ce brouillard des gens biens et conscients du fait que je suis un être humain et pas seulement un numéro de dossier ou encore une étrangère venant s’incruster. Pour eux, j’ai droit à ma petite place, à mon bonheur et de prendre position de la personne que je suis.

Pour tous ceux qui de près ou de loin militent pour que nous ayons un toit sur la tête et un bol de soupe chaude tous les jours. Tout en bravant le système pour notre survie, à ces genslà, oui à vous, je vous dis un grand merci du fond du cœur et soyez rassurés, vous faites du mieux que vous pouvez et on ne peut que vous être reconnaissants.

UNE JEUNE FILLE FORMIDABLE, COMME TANT D’AUTRES… 5


Mondialisations et divisions

Par Axel Gossiaux

Deux faces d’une même pièce? En l’année 122 de notre ère, l’imperator Hadrien décida de la construction d’une muraille défensive qui devait protéger ses légions des « barbares ». Cette muraille allait permettre la consolidation des frontières de l’Empire romain en marquant très concrètement sa limite nord avec un mur de presque 120 kilomètres de long1. Le « mur d’Hadrien » marqua ainsi les esprits comme étant l’un des premiers murs défensifs majeurs de l’histoire occidentale2. En 2014, à l’occasion des vingtcinq ans de la chute du mur de Berlin, mur politico-idéologique par excellence, Courrier international y consacrait un numéro spécial intitulé « Cinquante murs à abattre ». On y découvrait qu’il existerait plus de cinquante murs frontaliers dans le monde pour seulement une dizaine durant la guerre froide3. 5  L’un des derniers en date est le CETA, ou AECG en français ( pour Accord Économique et Commercial Global ), conclu entre le Canada et l’Union européenne. Il est provisoirement entré en vigueur le 21 septembre 2017. En effet, seuls les éléments relevant de la compétence exclusive de l’Union européenne sont en application tandis que les points d’accord relatifs aux compétences des États-membres de l’Union attendront la ratification complète des autorités compétentes de ces derniers. Car, tout est affaire de compétences et la Cour de justice de l’Union européenne considère que les accords dits « mixtes », c’est-à-dire dont les dispositions relèvent de compétences et de prérogatives réparties entre l’Union et les États, ne peuvent pas être conclus par l’Union seule (cf. Cour de justice de l’Union européenne, communiqué de presse n°52/17 (avis 2/15), Luxembourg, 16/05/17).

1  Aux coordonnées correspondant aujourd’hui, à peu près, à la frontière entre l’Angleterre et l’Écosse. 2  DRAÏ R., « Murs politiques, murs mentaux », Cités, n°31, 2007, p. 22, 23. C’est par exemple la politique défensive d’Hadrien qui a inspiré à George Martin la création du « Mur » dans la saga Game of Thrones.

« Cartographie. Murs, barrières, clôtures : comment le monde se referme », Courrier international, 2409-15, disponible en ligne. 3

4  L’ouvrage approfondit la thèse de l’article de Fukuyama publié en 1989 dans la revue The National Interest, « The End of History? ».

NEISSE F. et NOVOSSELOFF A., « L’expansion des murs : le reflet d’un monde fragmenté? », Politique étrangère, 2010/4, p. 732. 6

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Pourtant, la chute du mur de Berlin en 1989 et le démantèlement de l’URSS deux ans plus tard — et partant de l’ordre bipolaire mondial — impulsèrent un vaste sentiment d’euphorie quant à l’avenir du monde. Par exemple, s’inspirant d’une vision hégélienne de l’histoire en attribuant à celle-ci une fin, F. Fukuyama, dans La Fin de l’histoire et le Dernier Homme (1992)4, se persuada qu’il n’y avait pas d’alternative possible et plus bénéfique qu’une forme de gouvernement qui conjugue la démocratie libérale à l’économie de marché. Il s’agissait pour lui, et beaucoup d’autres, de l’aboutissement ultime de l’évolution idéologique de l’Humanité, la forme finale de gouvernement qui allait balayer tous les conflits du monde. Ceci, aussi, dans un contexte d’offensive politique néolibérale au niveau international qui favorise depuis lors la multiplication des traités dits de « libre-échange »5 et l’impression que la « fin des territoires » pourrait devenir réalité6.


Avançons à présent quelques chiffres concernant les migrations avant de revenir sur le propos précédent. Soulignons d’abord que, selon Myria, le Centre fédéral Migration, la population de nationalité étrangère en Belgique7 représentait 1.295.660 personnes au 1er janvier 2016. Parmi celles-ci, 68% sont issus d’un pays de l’Union européenne et, si l’on ajoute les ressortissants de Turquie, « 75% des étrangers [en Belgique] sont issues du continent européen ». Par ailleurs, en 2015, les citoyens de l’UE représentaient 60% du flux des immigrations en Belgique8. Qui plus est, alors qu’« en moyenne, les Belges pensent que les immigrés représentent 29% de l’ensemble de la population nationale », ces derniers n’en représentent en réalité que 16%9 ! Précisons ensuite que, selon Amnesty International, en 2015, 35.476 personnes ont effectué une demande d’asile en Belgique, ce qui représente 2 demandeurs d’asile par 10.000 habitants, « et en 2016 les demandes sont retombées à 18.710 (dans la moyenne des dix dernières années). À titre de comparaison, la Belgique avait reçu 42.000 demandes d’asile en 2000, quand les pays européens avaient dû accueillir les réfugiés du Kosovo. À l’époque, on ne parlait pourtant pas d’afflux de réfugiés ni de crise des réfugiés! ». Insistons aussi sur le fait que, depuis 2013, la majorité des personnes qui demandent l’asile en Belgique sont originaires de pays en guerre et viennent donc chercher protection, non « toucher nos allocations » ou « prendre notre travail »10. En témoignent les chiffres du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés qui montrent que 55% des 22,5 millions de personnes dans le monde considérées comme réfugiés11 à la fin de l’année 2016 proviennent de trois pays : la Syrie, l’Afghanistan et le Soudan du Sud. Par ailleurs, soulignons que 84% de ces 22,5 millions de personnes se trouvent dans les régions en voie de développement12. Les critères à partir desquels les États sont censés accorder le statut de « réfugié » sont définis dans la Convention internationale du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et ses annexes, plus connue sous la Convention de Genève. L’article 1er (A, 2) de la Convention stipule que « le terme "réfugié" s’appliquera à toute personne : qui, [...] craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. […] ». Bien que la Convention de Genève se base sur l’évaluation des risques encourus par la personne demandeuse d’asile pour lui accorder ou non le statut de réfugié, une interprétation restrictive de la Convention a conduit beaucoup de pays, dont la Belgique, à mener une politique d’enfermement basée sur la suspicion de toute arrivée d’individus dans un pays où l’arrivée d’étrangers constitue un besoin démographique et économique (voir à cet égard la loi du 15 juillet 1996 qui crée les centres fermés destinés aux étrangers déboutés de la demande d’asile politique).

Myria précise que ce terme « rassemble toutes les personnes qui n’ont pas la nationalité belge et qui résident officiellement en Belgique (qu’elles soient nées en Belgique ou à l’étranger) ». Il s’agit donc des « étrangers » présents sur le territoire belge (cf. Myria, « La migration en chiffres et en droits », Rapport annuel, 2017, p. 25 ; voir aussi LAFLEUR J.-M. et MARFOUK A., Pourquoi l’immigration? 21 questions que se posent les Belges sur les migrations internationales au XXI e siècle, L’Harmattan, 2017, p. 33). 7

Myria, op. cit., p. 26-28, 31.

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Il est nécessaire de préciser ici ce que recouvre le terme de « population immigrée » car : « Toute personne de nationalité étrangère n’est […] pas forcément un immigré ». En effet, « certains individus naissant à l’étranger sont de nationalité belge grâce à leurs parents belges [et] certains immigrés acquièrent la nationalité belge après un certain nombre d’années de résidence sur le territoire belge ». Sachant que 211.212 étrangers établis en Belgique sont nés en Belgique, la population immigrée ne possédant pas la nationalité belge, c’est-à-dire les étrangers établis en Belgique nés à l’étranger, s’élève à 1.084.448 individus (cf. LAFLEUR J.-M. et MARFOUK A., op. cit., p. 29, 33).

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10  Amnesty International, 10 préjugés sur la migration : arrêtons de croire n’importe quoi! , 2017, disponible en ligne.

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« EN 2016, SELON FRANCE CULTURE, IL Y AVAIT 65 MURS EN CONSTRUCTION OU CONSTRUITS, REPRÉSENTANT 40.000 KM DE LONG, SOIT LA CIRCONFÉRENCE DE LA TERRE 13»

UNHCR, « Global Trends 2016 », 2016, p. 2, 3.

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Quoique peuvent dire ces chiffres, le phénomène de (re) fermeture des frontières des deux dernières décennies s’est encore accéléré depuis un an au moins. Aujourd’hui, par exemple, ce ne sont pas moins de 3200 kilomètres de frontières que le tristement absurde et pathétique twittos de la Maison Blanche croit devoir fortifier d’une invasion de Mexicains assoiffés de dollars, de crimes ou d’emplois. En 2016, selon France Culture, il y avait 65 murs en construction ou construits, représentant 40.000 km de long, soit la circonférence de la Terre13. Les informations de Courrier international et de France Culture montrent donc qu’une quinzaine de murs supplémentaires auraient été construits ou planifiés entre 2014 et 2016. E. Vallet, dont les travaux ont été l’une des sources principales aidant la construction des cartographies de Courrier international et de France Culture, ajoute : « Le marché du frontalier militaire représentait 17 milliards de dollars dans le monde en 2011 »14. Il va sans dire que le complexe militaro-industriel et autres entreprises de surveillance et de sécurité ne peuvent pas se permettre de négliger un tel potentiel lucratif.

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Camille Renard, « Le monde se referme : la carte des murs aux frontières », France Culture, 21-09-16, disponible en ligne. 13

NEISSE F. et NOVOSSELOFF A., op. cit., p. 741.

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PIERET D., op. cit., p. 6.

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Courrier international, op. cit. 14

Pour comprendre ce paradoxe entre « d’une part, une incitation permanente et généralisée à la mobilité, une tendance à l’ouverture des frontières et d’autre part, la multiplication des murs, les mesures de lutte contre l’immigration clandestine et la militarisation des frontières », D. Pieret propose de replacer le « phénomène migratoire » dans son contexte contemporain : «la mondialisation du marché du travail et le développement du néolibéralisme ». Cette perspective permet alors de mettre en lumière le développement d’une nouvelle approche autour des migrations à la fin du XXe siècle. En effet, « le schéma n’est plus celui d’une frontière que l’on peut ouvrir ou fermer au besoin, mais celui d’une membrane semi-étanche, un dispositif régulant des flux inexorables ». Les migrations ne sont donc plus « un phénomène à réprimer localement mais des flux à manager globalement », entrainant par là même une « mutation » du « sujet migrant » à travers la déclinaison en 15  PIERET D., « Les frontières plusieurs variantes du statut d’« étranger » : de la mondialisation. Ges« De l’homme d’affaires "global" au clandestion des flux migratoires en régime néolibéral », tin apatride, une palette de statuts se déSérie Philosophie, Presses ploie qui trace une multitude de frontières. Universitaires de Liège, 2014, p. 1-5. L’un est choyé, l’autre chassé »15.

PIERET D., ibid., p. 5-7.

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La logique managériale du néolibéralisme impose donc de gérer ces flux migratoires au moyen de divers instruments qui « évoluent dans une rationalité économique qui vise à construire l’individu migrant comme entrepreneur de luimême, afin de gouverner les populations ». En effet, rappelons que l’homo oeconomicus néolibéral diffère de l’homo oeconomicus classique en ce « qu’il n’est pas seulement un calculateur et un producteur, il est lui-même un processus de transformation constante, un organisme qui doit veiller à sa propre évolution ». Les migrations ne sont alors plus « le passage d’une sédentarité à une autre », mais « une mise en circulation permanente ». Ainsi, les personnes appartenant aux catégories de migrants les plus précaires pourront être soumises à l’enfermement dans les camps de réfugiés qui, dans la logique néolibérale, « n’ont pas pour but d’immobiliser les migrants mais de les rendre disponibles à la mobilité, pour le moment opportun ». Car, si « la figure du migrant est celle de l’entrepreneur [alors] il se meut sur un marché. Et sur tout marché, il doit y avoir des gagnants et des perdants, dans une danse continue ». Les deux figures les plus opposées du migrant, celle de l’« élite » et celle du « déchet », dessinent ainsi un mouvement perpétuel rythmé par la « rationalité néolibérale qui voit dans l’individu un entrepreneur de lui-même. D’un bout à l’autre de la chaîne, on est censé ne devoir son sort qu’à soi-même »16.


Entre globalisation et divisions, entre inclusions et exclusions, entre « mobilité » et « sécurité », « les liens de causalité entre mondialisation, fragmentation et construction de nouveaux murs sont indéniables »17. L’idéologie néolibérale se doit de maintenir les « migrants » dans un état de circulation permanent afin de donner à ces flux un caractère commensurable qui permettra de reproduire sans cesse les conditions du marché dans les sociétés. En effet, rappelons qu’il s’agit pour le néolibéralisme d’organiser la totalité des secteurs de la société de manière concurrentielle et compétitive sur la base du capital humain. Et si certains restent sur le carreau ou sont maintenus dans un état perpétuel de danger, de précarité et de mort, tant pis. Le néolibéral dira qu’ils sont « victimes d’eux-mêmes »…

« PEUT-ÊTRE L’EMPLOI GÉNÉRALISÉ DU TERME "MIGRANT"     AU LIEU D’ "IMMIGRÉ" EN EST-IL UN INDICE »18. 9


La politique migr atoire

en Belgique

Par Sarah Beaulieu

Le « droit des étrangers » répond à plusieurs bases légales relevant du niveau international, européen et belge.

La Belgique est signataire de conventions internationales et de directives européennes lui imposant d'accorder un accueil digne, une protection internationale et des droits aux personnes étrangères qui se trouvent sur son territoire et qui ont besoin de protection internationale. 1

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HCR : Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés

Sur le plan international, c’est principalement la Convention de Genève de 1951 qui prévaut et qui constitue la clef de voûte du droit des réfugiés. Notons également les guides et principes directeurs du HCR1 qui doivent être pris en compte et respectés par les instances étatiques ainsi que la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Au niveau européen, plusieurs directives et règlements existent avec pour objectif l’harmonisation des politiques d’asile et d’immigration en Europe. En termes de droit d’asile, c’est le Règlement Dublin III qui est observé. Il sert avant tout à déterminer quel État membre est responsable pour l’étude de la demande d’asile d’un migrant. Il répond à différents critères dont celui qui est le plus controversé est « le point d’entrée » du demandeur dans l’UE. Par exemple, si un demandeur syrien demande l’asile en Belgique mais que pour arriver chez nous, il est d’abord passé par l’Italie (et qu’on peut le prouver), alors il sera renvoyé vers l’Italie pour effectuer sa demande d’asile. C’est essentiellement pour cette raison que les pays du sud de l’UE (par où arrivent logiquement les migrants) atteignent un taux de « saturation » des demandes d’asile. Afin d’équilibrer les demandes entre tous les pays membres, la proposition de l’établissement de quotas par pays avait été émise. Malheureusement, plusieurs pays membres ont refusé de les appliquer, parfois de manière très violente, comme c’est par exemple le cas en Hongrie.


© Roland Polman

Réforme du droit d’asile en Belgique : Un parcours législatif bousculé et controversé

EN BELGIQUE, LE DROIT FIXE LES CONDITIONS   D’ENTRÉE ET DE SÉJOUR DES ÉTRANGERS VIA :  La loi du 15-12-1980 qui régit l’accès au territoire, le séjour, l’établissement ainsi que l’éloignement des étrangers. Notons toutefois les très fréquentes modifications des conditions et procédures. La loi du 30-04-1999 et l’Arrêté Royal du 09-06-1999 relatifs à l’occupation des travailleurs étrangers. Les circulaires et instructions prises par l’administration et / ou les ministres. Ce sont, par exemple, des instructions en faveur d’une décision de régularisation de plusieurs demandeurs d’asile.

Théo Francken, secrétaire d’État à l’Asile et la Migration, a livré une véritable course contre la montre afin de faire voter sa proposition de réforme du droit d’asile. En effet, le projet de loi du 22 juin 2017 a été discuté en Commission des affaires intérieures le 27 juin, puis les 4 et 10 juillet pour être finalement voté le 9 novembre. Cette chronologie très serrée a fait l’objet de vives critiques, principalement de la part de divers experts et associations spécialisés en matière de droit d’asile et des étrangers invités aux séances de juillet afin de livrer leurs commentaires sur le projet de loi. À regret, ceux-ci ont tous préféré décliner l’invitation en invoquant le manque de temps nécessaire pour lire un texte très complexe de près de quatre-cent pages. Le Conseil d’État lui-même s’est dit « pris de court » face à l’ampleur du travail à réaliser dans un laps de temps trop réduit pour que le travail puisse se faire consciencieusement.

Néanmoins, nous observons de plus en plus de points de tension entre la prérogative étatique et les principes énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. En effet, cette déclaration prévoit le fait de pouvoir quitter son pays et d’y revenir librement ainsi que le droit de demander l’asile. Mais elle n’a pas de force contraignante, elle ne peut rien imposer. C’est donc bien la souveraineté des pays qui prévaut. Tout un enjeu donc pour des politiques d’asile de plus en plus fermées qui flirtent parfois au travers de certaines mesures avec le non-respect de ces principes fondamentaux présents dans les grandes conventions internationales.

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D’aucun y voit d’ailleurs une stratégie du secrétaire d’État pour réaliser ce « passage en force » de la réforme, avec un laps de temps beaucoup trop court pour permettre un travail pertinent de relecture qui aurait pu déboucher sur des avis négatifs, des mises en garde, des points de tension et des désaccords risquant de retarder le vote de la réforme. Initialement, ce projet de loi a été présenté sous l’angle de la volonté d’harmonisation de la législation belge sur les directives européennes en la matière datant de 2013. Dans les faits, il apparaît très clairement une volonté gouvernementale de durcissement des conditions d’accueil et d’octroi du statut de réfugié via plusieurs mesures disséminées çà et là dans le texte. C’est donc là où le bât blesse. Sous couvert d’un alignement technique aux lois européennes, c’est bien un combat idéologique ainsi qu’une volonté de fermeture des frontières que draine le texte. En définitive, c’est bien la détention en centres fermés ainsi que l’expulsion qui en sont les clés de voûte et les outils de communication du gouvernement.

CGRA : Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides 2

Plus précisément… Les points qui font débat :

La multiplication des procédures expéditives. La réduction du droit à un recours effectif avec pour conséquence la possibilité de renvoi des demandeurs d’asile vers des pays où ils risquent des traitements inhumains et dégradants.

La détention plus systématique et sans critères clairs des demandeurs d’asile avec la construction d’un centre fermé pour familles avec enfants effectif dès janvier 2018.

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Le soupçon a priori de fraude ou d’abus des demandeurs d’asile à la protection internationale.

L’accès des policiers et des agents du CGRA2 aux données privées (SMS, comptes Facebook, Instagram,...) des demandeurs d’asile avec enfermement si refus de les donner.


3  Ciré : Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers 4  CNCD : Centre National de Coopération au Développement 5  Point d’appui : Service d’aide aux personnes sans papiers

MYRIA : le Centre fédéral Migration (institution publique indépendante) 6

7  Bernard Demonty, « Grand Baromètre : la NVA en forme, Théo Francken superstar », Journal Le Soir, 8/09/2017, disponible en ligne (http:// www.lesoir. be/113142/article/2017-09-08/ grand-barometrela-n-va-en-formetheo-franckensuperstar)

Huit associations se sont malgré tout penchées sur le texte afin de livrer leurs commentaires. Amnesty International, le Ciré  3, le CNCD 4, La Ligue des droits de l’Homme, la plate-forme Mineurs en exil, Point d’appui 5, Vluchtelingenwerk Vlaanderen et Caritas ont demandé d’une même voix aux députés de ne pas voter ce texte, mais de consulter la société civile et de tenir compte de l’avis d’instances comme le HCR, Myria 6 ou la Commission de protection de la vie privée. Sur chacun des points de tension précités, ces associations dénoncent le manque de critères clairs, le flou permettant de craindre notamment une augmentation des détentions arbitraires. En effet, le principe fondamental du HCR est bien mentionné dans le projet de réforme de la loi sur les étrangers (loi de 1980). On peut donc y lire qu’aucun étranger « ne peut être maintenu au seul motif qu’il a présenté une demande de protection

internationale ». Mais avant la proclamation de ce principe, le projet de loi liste une série de critères qui permettent de telles détentions « si aucune mesure moins coercitive ne peut être effectivement appliquée ». Le problème réside donc dans la non définition de ces critères qui, selon ces mêmes associations et instances, n’offrent pas assez de garanties pour éviter la détention arbitraire de certains demandeurs d’asile sur le territoire.

Après relecture du texte, les experts, associations et instances officielles ont tout de même émis un avis négatif motivé sur le projet de loi. C’est notamment le cas de la Commission de protection de la vie privée, du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et de La Ligue des droits de l’Homme. Cet avis a bien entendu été présenté en séance. Toutefois, la majorité parlementaire avait fait savoir qu’elle ne ferait que très peu de cas des éventuels commentaires négatifs. C’est donc sans grande surprise que la réforme a été votée au parlement le jeudi 9 novembre 2017.

Théo Francken a tout de même réagi aux craintes formulées de recul ou violation des droits fondamentaux des étrangers en assurant qu’il y serait vigilant dans les arrêtés d’exécution qui seront votés suite à l’adoption de la réforme. Le secteur associatif dénonce au travers de cette procédure accélérée une confiscation du débat démocratique avec une volonté affichée de non prise en compte des recommandations formulées. Notons également que ce projet de réforme s’est tenu à l’écart du débat citoyen et de la société civile qui aurait souhaité une communication plus transparente afin d’éviter l’effet « douche froide » et de pouvoir être en mesure de réagir « en temps voulu ».

Une politique affirmée, décomplexée et valorisée Cependant, le malaise s’installe!

Applaudi ou critiqué pour sa politique migratoire très ferme, Théo Francken, adepte des polémiques en tout genre et des propos incendiaires à l’égard des étrangers, est néanmoins, si l’on en croit les sondages, la personnalité préférée des Flamands7. En Wallonie et à Bruxelles, Théo Francken ne cesse de gagner du terrain dans les sondages puisqu’il passe en 8ème position sur le baromètre de la popularité des personnalités politiques. 13


UNE QUESTION DE FOND SE POSE DONC : Pour quelle(s) raison(s) Théo Francken semble-t-il si populaire? Adhésion idéologique? Peur de l’Autre? Perte de valeurs, de sens? Repli identitaire? Crise de la démocratie représentative? Sans verser dans le fatalisme, il nous faut bien avouer qu’il n’est pas simple en ces temps troubles de résister au chant des sirènes en voyant dans l’image des « migrants » la personnification voire la cause de beaucoup de maux. Au choix : le chômage structurel, la précarité galopante des emplois, le détricotage de nos acquis sociaux, le conditionnement de l’octroi de l’aide sociale de base, la baisse du pouvoir d’achat, la perte de sens chez les jeunes générations ou plus globalement le fossé toujours plus grand des inégalités sociales, économiques et culturelles. D’aucuns semblent tenir ici leur porte-étendard, leur leitmotiv politique afin de passer sous silence d’autres réformes structurelles répondant au mot d’ordre de l’austérité et du toujours plus de contrôle.

OUI MAIS… Si tout le monde n’était pas dupe? Tentons de prendre un peu de hauteur quant à la politique menée par le secrétaire d’État et soutenue par ailleurs par le Gouvernement de Charles Michel (MR / N-VA). C’est avant tout un « bouleversement des lignes démocratiques » qui est à l’œuvre. L’élément neuf, en comparaison à ses prédécesseurs, c’est que Théo Francken assume et valorise sa politique ferme et décomplexée à coup de déclarations « chocs » dans les médias et sur les réseaux sociaux. Il tient finalement une ligne de conduite très cohérente entre ce qu’il dit, ce qu’il pense et ce qu’il fait.

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La « migration de transit » Revenons sur quelques faits concrets qui mettent clairement un coup de projecteur sur ce choix politique en termes idéologique et communicationnel et qui placent le curseur sur une échelle de valeurs « à géométrie variable ».

Fin 2016, la Belgique, à l’instar de la France avec cette tristement nommée « Jungle de Calais », voit arriver cette « migration de transit », des migrants qui ne souhaitent pas demander l’asile en Belgique et qui rêvent, pour la plupart, de rejoindre l’Angleterre. Ces migrants, faute d’alternatives politiques, sont contraints de loger vaille que vaille dans des installations de fortune que l’on a notamment pu observer au Parc Maximilien à Bruxelles, dans des conditions sanitaires catastrophiques.

8  MYRIA, « Myriadoc 5 : Un retour, à quel prix? », Communiqué de presse, 09/11/2017, disponible en ligne (http://www.myria.be/ files/171109_Myriadoc_5_ Detentie_en_verwijdering_ Persbericht_FR.pdf )

Encore une fois, les réponses politiques sont claires : on n’en veut pas!

Le choix sur l’échelle des valeurs est très visible dans ce cas précis!

La population qui compose cette « migration de transit » a donc fait l’objet de plusieurs arrestations administratives (29.000 en 2016, soit une augmentation de 20% par année) ciblées en fonction des nationalités. Nous pouvons ainsi observer cinq fois plus d’arrestations de Soudanais, quatre fois plus d’arrestations d’Érythréens et trois fois plus d’arrestations d’Iraniens.8

En effet, le Gouvernement préfère renvoyer des Soudanais dans l’une des pires dictatures de la planète (où on a toutes les raisons de craindre que ces personnes soient soumises à la torture, voire à la peine de mort) plutôt que de voir se former dans les rues de la capitale des camps « sauvages » et spontanés tels qu’on a pu les observer à Calais.

C’est également dans ce même contexte que le Gouvernement, toujours à l’initiative de Théo Francken, a conclu un accord avec le Soudan permettant de « rapatrier » dans leur pays d’origine les personnes arrêtées sur le territoire sans possession d’un titre légal de séjour ou en procédure d’asile.

Les autorités ont donc jugé plus important d’empêcher les « migrants en transit » de s’établir anarchiquement dans nos parcs bruxellois que de les protéger d’un régime politique mené par un homme poursuivi par la Cour pénale Internationale.

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Bons VS Mauvais migrants

Quant à l’aspect légal de cette collaboration, notons tout de même que le Tribunal de Première instance de Liège a condamné la Belgique a une astreinte de 20.000 euros si le jugement suivant n’est pas respecté : « L’interdiction d’expulser des Soudanais détenus au centre fermé de Vottem vers leur pays d’origine ou vers tout autre pays européen ». Ce Tribunal a également interdit toute identification de personnes par la mission soudanaise. La Ligue des droits de l’Homme soutient ce jugement et a introduit une requête unilatérale auprès du président du tribunal liégeois visant à interdire préventivement des rapatriements jugés illégaux à destination du Soudan, « où les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire sont établies et dénoncées ».9 Ce qui pose question, c’est l’obstination de Théo Francken et du Gouvernement à ignorer les décisions de justice qui vont à l’encontre de certaines mesures, d’ignorer les astreintes et d’introduire systématiquement des recours à chaque fois qu’une décision judiciaire leur est défavorable. Le pouvoir exécutif semble donc disqualifier le pouvoir judiciaire et par là même, porte atteinte à l’État de droit présent dans notre démocratie ainsi qu’au respect du droit international par la Belgique. Enfin, notons que cette politique a un coût. Ce sont en effet 85 millions d'euros (+ 35%) qui sont affectés à la construction d'un centre de détention pour familles migrantes avec enfants ainsi que pour la création de places supplémentaires en centre fermé. À l'heure où tous les autres secteurs publics se serrent la ceinture, nous sommes en droit de poser la légitimité idéologique et financière de telles mesures!10

« Equality » par Hyder Cadersa est l’une des photos présentées dans l’exposition de photos Speak Silence de JHR

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9  Ligue des droits de l’Homme, « Expulsion et identification illégale des soudanais détenus à Vottem : le juge donne une nouvelle fois raison à la LDH », Communiqué de presse, 23/10/2017, disponible en ligne (http://www.liguedh.be/ espace-presse/138-communiques-de-presse-2017/2912-expulsion-et-identification-illegale-des-soudanais-detenusa-vottem-le-juge-donne-unenouvelle-fois-raison-a-la-ldh)

François De Smet, directeur de MYRIA (RTBF auvio, L'invité de Matin Première - François De Smet)

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Nous comprenons donc que la politique d’asile de Monsieur Francken s’articule autour d’un axe finalement très manichéen :

LES « BONS » MIGRANTS ET LES « MAUVAIS » MIGRANTS...  Les premiers sont ceux qui ont obtenu un statut de protection, les catégories dites « vulnérables » (les Mineurs Non Accompagnés, les femmes ayant subi des violences) sans oublier les personnes d’origine étrangère hautement qualifiées qui voudraient venir travailler en Belgique.


Les seconds sont les « sans » papiers, les déboutés de l’asile, ceux encore que l’on appelle les « illégaux ». Pour ces derniers, peu importe les raisons qui les ont poussés à arriver chez nous souvent au péril de leur vie, peu importe qu’ils travaillent en Belgique sans protection sociale aucune mais en contribuant à la valeur ajoutée de notre économie, non, ceux-là seront refoulés. Pour y parvenir, le Gouvernement ne lésine pas sur les moyens : politique et discours sécuritaires, amalgames sans papiers / criminels, et tout récemment, la création d’une « fast team », sorte d’équipe d’intervention de « l’Office des Étrangers » qui pourrait descendre sur les lieux d’un incident, repérer les personnes sans papiers pour les mettre en centre de détention en vue de les expulser.

Extrait du communiqué de presse de Menia Goldstein, Président du Centre communautaire laïc juif. David Susskind / lundi 29 janvier 2018  www.cclj.be/actu/politique-societe

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En effet, afin de justifier sa politique migratoire auprès de l’opinion publique, Théo Francken s’appuie quasi exclusivement sur des arguments d’ordre sécuritaire en utilisant l’amalgame migrant sans papiers  = criminel  =  fraudeur.

Or, jusqu’à présent, aucun chiffre ne peut démontrer le lien de corrélation supposé entre les migrants sans papiers (voire les migrants tout court) et une hausse de la criminalité. Par contre, ce que les chiffres nous montrent, c’est bien le lien entre la criminalité et les trafics d’êtres humains dont les premières victimes sont les migrants eux-mêmes (cf. la médiatisation récente et importante concernant la situation en Lybie).

« LA POPULATION BELGE SE MOBILISE ET FAIT PREUVE D’UNE GÉNÉROSITÉ QUI MÉRITE NOTRE ADMIRATION [...] NOUS SAVONS AUSSI — CAR L’HISTOIRE NOUS L’ENSEIGNE — QUE NOTRE DIGNITÉ PASSE PAR LE RESPECT DE LA DIGNITÉ D’AUTRUI » 11

La construction de la « panique morale » dans l’objectif de faire passer des politiques migratoires coercitives est un jeu vieux comme le monde. Pour y jouer avec efficacité, il suffit d’utiliser une sémantique relevant du vocabulaire du chaos voire guerrier. La dénomination de « Jungle de Calais » en est un très bon exemple car dans l’imaginaire collectif, ce sont les animaux sauvages qui vivent dans la jungle. Il y règnerait une loi brutale, celle du plus fort, où aucune civilisation n’oserait s’aventurer. Nous pouvons ajouter à cela l’effet performatif du langage, c’est-àdire la « mise en récit » de faits en les distordant, en les amplifiant. Encore une fois, les exemples ne manquent pas : souvenons-nous des gros titres des journaux signalant « une crise migratoire sans précédent », « un afflux historique d’immigrés », sans parler des fameux amalgames entre les migrants et la criminalité (terroristes, voleurs, fraudeurs, délinquants, violeurs,...) qu’il faudrait plutôt analyser et déconstruire. Cette « construction de la peur » à laquelle beaucoup d’acteurs contribuent (parfois malgré eux), si elle n’est pas l’objet d’une volonté de discours politique, est permise notamment par le grand relativisme de la vérification des sources qui pourrait couper court à bon nombre de procédés langagiers précités.

Un remède infaillible de vérification des sources, des informations et des faits est incontestablement le contact humain, la relation, le lien social. On n’a pas peur de ce que l’on connaît... Mais pour créer du lien, il faut du temps. C’est bien sur cette différence flagrante de temporalité entre les discours en tout genre, les flux d’information quasi instantanés et le temps plus long que nous mettons à « aller vers l’autre » que d’aucuns jouent pour « brouiller les pistes » et chemin faisant, disséminer des discours haineux.

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UN MIGRANT est une personne qui quitte son pays, légalement ou non, de façon temporaire ou permanente, volontairement ou de manière forcée.

UN DEMANDEUR D’ASILE est une personne qui dépose une demande de protection internationale.

UN RÉFUGIÉ OU UN PROTÉGÉ SUBSIDIAIRE est une personne qui a fui la persécution ou la guerre et qui a obtenu un statut de protection internationale.

Ill. : Billy Chesterson De Nkenglack

UNE PERSONNE DÉBOUTÉE DE L’ASILE est une personne qui n’a pas obtenu de décision positive à sa demande d’asile.

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UNE PERSONNE « SANS PAPIERS » est une personne qui n’est pas ou plus en ordre de séjour et qui n’est pas autorisée à rester sur le territoire.


#INMYNAME

Quelle société d’accueil souhaitons-nous défendre? Vous l’aurez compris, l’enjeu sous-jacent est idéologique. Une grosse partie de l’opinion publique est en parfait désaccord avec la politique menée par la Belgique. Preuve en est l’énorme mobilisation citoyenne et solidaire s’organisant pour loger, chaque nuit, tous les laissés pour compte du Parc Maximilien, de la gare du Nord et d’ailleurs. C’est également d’une même voix que des citoyens de toute part, le monde associatif et humanitaire, certains partis politiques, des institutions internationales se sont indignés et ont réagi, faute de volonté politique, en clamant haut et fort un #NotInMyName ! Cette opération vient d’être rebaptisée #InMyName pour une seconde étape défendant une autre politique migratoire. Pour passer de la dénonciation (de ce que nous ne voulons pas) à l’affirmation de ce que nous voulons plus que jamais! En filigrane, c’est la réappropriation et la réaffirmation citoyenne des valeurs d’accueil, de solidarité, de dignité, d’égalité et de respect qui s’opèrent...

« UNE GROSSE PARTIE DE  L'OPINION PUBLIQUE EST EN   DÉSACCORD AVEC LA POLI-  TIQUE MIGRATOIRE MENÉE  PAR LA BELGIQUE. IL S'AGIT  TANT DE PERSONNALITÉS QUE  DE CITOYENS, DE FLAMANDS  QUE DE WALLONS ET BRUXEL-  LOIS, DE GENS DE GAUCHE  QUE DE DROITE,... » 12

Cf. édito de Béatrice Delvaux mis en ligne le 30/01/18 sur http:// plus.lesoir.be/137033/ article/2018-01-30/

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Ill. : Magali Company

Par Magali Company

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Ill. : Magali Company

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Ill. : Magali Company


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Ill. : Magali Company


Jeunesse Nomade Des histoires, leur histoire...

Par Valérie Hébrant

© François Dvorak

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Acte 1  :  Jeunesse en transit Il était une fois, dans une contrée bien développée, avec des ressources et des moyens importants, un gouvernement qui rechignait à accueillir les Hommes, les Femmes, les Enfants qui se pressaient à ses frontières dans l’espoir d’une vie meilleure. Alors, de nombreux citoyens réagirent, sous diverses formes, pour rappeler à ce gouvernement ses devoirs et les valeurs fondamentales que lui et les autres États s’étaient engagés à respecter à la sortie du conflit le plus meurtrier de l’Histoire à travers la Déclaration universelle des droits de l’homme. Les Centres de Jeunes — eux-mêmes fondés sur les valeurs et les principes de respect des droits humains — à leur niveau, s’impliquèrent dans de nombreuses initiatives pour contribuer à rendre de la dignité à ceux qui ont dû tout quitter pour tout recommencer.

Depuis plus de soixante ans, les Centres de Jeunes (CJ) accueillent de façon spontanée, non sans difficultés, les jeunes issus des vagues d’immigrations successives qui se sont installés dans les quartiers, dans les communes, au fur et à mesure des catastrophes, des crises économiques, des dictatures et des guerres à travers le monde. Chaque vague a entraîné, pour les équipes d’animation, un travail d’ajustement, d’écoute, de réflexion sur les bases du vivre-ensemble et de dialogue interculturel entre les publics autochtones et les publics primo-arrivants. Si l’accueil de ces publics issus de parcours migratoires était surtout mené dans les CJ urbains, la création depuis les années 90 de centres d’accueil pour demandeurs d’asile, principalement situés en milieu rural, a porté les CJ ruraux à développer les mêmes démarches.

Alors, en 2016, au plus fort de la dérive médiatique sur la dénommée « crise de l’accueil des réfugiés » et au regard des politiques d’accueil mises en place par le Gouvernement belge, les CJ se réunissent et se questionnent sur la manière de réagir à cette actualité. Celle-ci touche aux valeurs fondamentales de notre travail : de la plus ancrée comme le concept même d’accueil, élément incontournable du projet CJ, à la plus nouvelle comme l’éducation aux médias qui s’est invitée sans prévenir dans notre travail ces dernières années.

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Acte 2 :  Saint-Omer À cette période, les médias diffusent chaque jour des images de Calais et de son bidonville à ciel ouvert où s’agglutinent dans des conditions indignes, des milliers de migrants. Parmi eux, de nombreux jeunes seuls, non protégés, non accompagnés. Le Délégué général aux droits de l’enfant se rend alors sur place et en appelle à leur protection.

Les Centres de Jeunes et la FMJ ASBL participent alors à une première action collective, une « opération sacs à dos » impulsée par un collectif de citoyens : proposer à un jeune d’ici de remplir un sac avec quelques affaires en bon état et rédiger un petit message à l’attention de ses pairs migrants à Calais.

Dans les sacs, des petits trésors : des bonbons, des magazines GEO sur Londres, quelques mots écrits en anglais, des dessins, des écouteurs,... À l’heure d’emmener les sacs à Calais, le gouvernement français décide de démanteler à grands renforts de tractopelles ce que les médias nomment « la jungle ». Les hommes, les femmes et les enfants vivant sur place sont éparpillés à travers la France, beaucoup décident de rester à proximité de Calais. Les CJ décident donc de se rendre à Saint-Omer, à la rencontre d’une association locale qui recueille les jeunes isolés, pour leur remettre les sacs à dos.

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Acte 3 : De Florennes à Han-sur-Lesse Après cette expérience, les CJ et la FMJ ASBL se recentrent :

Et chez nous, comment ça se passe? Pas de Calais certes, mais comment les gens sont-ils accueillis? Où sont les jeunes? Ont-ils accès à leurs droits? Comment peut-on les inviter à fréquenter les CJ pour rencontrer d’autres jeunes, échanger, s’exprimer?

Qui peut nous en parler? Qui mène ce travail? Nous nous mettons alors en recherche. Les CJ déposent tous les quatre ans leur projet pédagogique en vue du renouvellement de leur agrément. Parmi ces projets, un dossier en présente un hors du commun : un partenariat structuré et à long terme entre la Maison de Jeunes de Florennes et le centre Fedasil de sa commune. Nous invitons la MJ de Florennes à nous rejoindre. Il nous semble nécessaire de nous former, ensemble, pour partir de bases communes et réfléchir collectivement à notre méthodologie pour construire les rencontres. Se former également sur les questions d’asile et de migrations afin de bien comprendre les phénomènes, les politiques à l’œuvre, leurs écueils, avant de s’embarquer dans cette aventure.

Une fois ces bases acquises, nous décidons ensemble d’aller voir à Florennes comment l’équipe de la MJ et celle du centre Fedasil travaillent. Sur base de ces observations et discussions, nous décidons d’organiser ensemble une activité au sein du centre d’accueil pour faire se rencontrer les jeunes des MJ avec les jeunes demandeurs d’asile. Nous allons devoir réunir des jeunes qui ne se connaissent pas et qui sont issus de mondes différents. Qu’allons-nous leur proposer pour que la sauce prenne? Faisons simple : des animations pour faire connaissance, un repas convivial, un espace d’expression sous la forme d’un vidéomaton et des ateliers sympas tout en permettant les entrées et sorties des jeunes mais aussi des résidents du centre. Joyeux bordel. De cette première rencontre, il s’agissait de constituer un groupe et d’organiser une deuxième rencontre, en dehors du centre cette fois et si possible y associer encore d’autres jeunes. Nous les avons réunis à nouveau. Et ils sont venus. Au fur et à mesure des rencontres, ils se sont présentés, ils ont parlé de qui ils sont, de ce qu’ils aiment, de ce à quoi ils aspirent. Alors nous les avons réunis encore et nous avons parié qu’ils pouvaient raconter une histoire ensemble. Tout n’était pas gagné. Il fallait trouver des pros de la vidéo, de la danse, du théâtre, de la musique et un metteur en scène, tous prêts à nous rejoindre ainsi qu’un lieu de séjour et aussi de l’argent. Comme dans les belles histoires, c’est une succession de coïncidences et de rencontres inattendues qui ont permis de constituer notre équipe de X-Men : 1 vidéaste, 2 chorégraphes, 2 musiciens, 2 comédiens et 1 metteur en scène sont venus compléter l’équipe d’animateurs de MJ et de la FMJ. Avec l’accueil bienveillant et plus qu’amical d’un gîte qui nous ouvrait ses portes, ses cuisines, ses chambres et tout ce qu’il pouvait ouvrir encore... Et enfin, grâce aux budgets octroyés par la Fédération Wallonie-Bruxelles, nous étions prêts à démarrer.

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Acte 4 :  Sinimatiko Jeunesse Nomade Un dimanche de juillet, nous avons donc embarqué valises, matériel, nourriture et puis surtout beaucoup d’envie pour relever un challenge inédit : 5 jours pour créer un spectacle original qui sera joué en live à « Espéranzah! » le sixième jour avec 60 jeunes amateurs... Yeah!

Lundi matin : ils sont finalement 45... mais qu’est-ce qu’ils sont beaux! Évidemment, tout ce qu’on a imaginé doit être adapté, ajusté. Il faut revenir en arrière et puis surtout écouter. Des moments lumineux succèdent à des instants très sombres, des émotions intenses et puis la fatigue. Mais on ne lâche rien et tout le monde y croit, ensemble jusqu’au bout de la nuit pour créer les contenus et finaliser les supports du spectacle. Et des contenus, il y en a : de la création vidéo, du théâtre, des chorés, des chansons et des musiques originales. Certains de ces contenus sont arrivés par les ateliers encadrés et puis d’autres sont arrivés pendant les pauses, aux repas, pendant les soirées ou à l’occasion de coups de gueule ou de témoignages inattendus. Quand ils ont créé la chanson « Sinimatiko Jeunesse Nomade » (trad.  « Je suis venu à Jeunesse Nomade ») en Pular (langue parlée dans une vingtaine d’États d’Afrique de l’Ouest et centrale), on était déjà le quatrième jour du séjour. On ne sait trop comment, nous nous retrouvons vendredi matin au Centre Culturel de Rochefort pour une répétition générale avec un ingénieur du son magique qui garde sa sérénité face à un groupe exténué qui n’est pas dedans. Quelques heures seulement pour la mise au point et puis nous décollons pour rejoindre le camping du festival. Trente tentes ont été montées la veille avec l’aide de bénévoles qui croient en ce que nous faisons et qui sont là pour faire en sorte que cela soit possible.

Et puis la flotte, la drache, on est trempés. Les mines grises qui sortent une à une des tentes en ce samedi matin (7h30) ne nous disent rien qui vaille. Dans quelques heures, on sera sur scène. Arrivée sur le site détrempé et complètement vide, il faut à nouveau s’ajuster. 12h45 : tout le monde est amassé dans les loges, le stress est palpable. Y a–t-il du public? Et puis il faut se lancer.

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Le chapiteau est complet, on a dû fermer les portes. La musique démarre. C’est la première fois que certains vont voir le spectacle complet, sans devoir quitter la salle pour aller faire des courses, ramener du matériel, monter des tentes ou répondre au téléphone.

Ils sont formidables, justes, magnifiques en scène. Le public est debout, ils sont applaudis à tout rompre. On aurait donc réussi? Avec l’intensité du travail, nous en avons presque oublié de penser. Tous les objectifs qu’on avait fixés sont largement dépassés, transcendés même, tant au niveau du processus que du résultat. À la sortie, on nous demande quand et où on rejoue le spectacle. L’aventure va continuer, « SINIMATIKO jeunesse nomade », et je reviendrai.

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Acte 5 :  La dernière scène Dimanche matin, sur le camping d’« Espéranzah! », après une nuit très froide, c’est le soleil qui nous réveille. Et une jeune fan qui voudrait des autographes du groupe! Évaluation à chaud sur la semaine, le spectacle et les suites à donner. Tout le monde veut continuer, c’est unanime. Les mots qui ressortent : « amazing, amis, fatigue, formidable ». On ne va pas s’arrêter là. Un collectif est né.

Un charleroi danse / LES ecuries SPECTACLE à 20h00 LE interpellant

24/02

theatre / musique / chant / danse / video

UNE INITIATIVE DE LA FMJ ASBL

Jeunessenomadeofficiel

Wallonie

30

7€ tarif plein / 5€ ou 3€ tarif réduit / Gratuit demandeurs d’asile/réfugiés Réservations : 0475 53 88 38 ou jeunessenomade.charleroi@gmail.com

Après le repos nécessaire, la reprise : la diffusion du spectacle, de la parole construite par le groupe, un message à transmettre largement. Sur base des portraits réalisés par les jeunes pour le spectacle, nous créons une affiche, une affiche qui doit refléter le message; alors au milieu des portraits, on place une grosse croix rouge, une croix qui symbolise le poids qui pèse sur le groupe : la possibilité imminente d’une expulsion par l’État belge, un État belge qui se distingue sur la durée du projet par des actes et des mesures toujours plus dures et arbitraires. Et on en revient au premier acte de notre histoire : une jeunesse en transit. On se sent bien impuissants face à la législation, aux procédures, à l’injustice. On se demande quoi faire, comment dire qu’on n’est pas d’accord, qu’il y a de la place pour eux dans ce pays, pour eux et pour les autres. Qu’il ne faut pas les renvoyer vers l’horreur ni vers l’inconnu, qu’ils ont évidemment droit à une vie digne, à un avenir. Tout cela prend d’un coup une tournure très réelle lorsque deux membres de la troupe disparaissent brusquement suite à la réception de décisions négatives de la part de l’Office des Étrangers. La famille Jeunesse Nomade est indignée et bouleversée mais d’autant plus convaincue de sa démarche et de sa volonté de témoigner.


« TOUT CELA PREND D’UN COUP UNE TOURNURE TRÈS RÉELLE LORSQUE DEUX MEMBRES DE LA TROUPE DISPARAISSENT BRUSQUEMENT SUITE À LA RÉCEPTION DE DÉCISIONS NÉGATIVES DE LA PART DE L’OFFICE DES ÉTRANGERS. »

CITOYENS, C’EST VOUS QUI AVEZ LE POUVOIR!  Nous avons la chance de vivre dans une

démocratie mais cela ne veut pas dire que

les lois en vigueur ne doivent pas évoluer. Ces lois sont vo-

tées par les élus du

peuple, les représentants des citoyens.

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Témoignages

Par Valérie Hébrant

Quel est votre ressenti par rapport à la situation des MENA aujourd’hui?  MARIE DE BARQUIN  // Tutrice

Comment êtes-vous devenue tutrice? J’ai travaillé dans le secteur de l’Aide à la Jeunesse pendant presque trente ans, et ce, plus de vingt ans comme directrice de SAAE (institutions d’hébergement pour enfants et jeunes). En 2013, j’ai rencontré de grandes difficultés professionnelles... Après un bilan de compétences, je me suis rendu compte que le management me pesait vraiment trop et l’éloignement du terrain, des jeunes, de leurs familles ne me convenait plus du tout.

Il est difficile de faire état d’un ressenti unique. Chaque jeune est tellement différent, les pays d’origine, les histoires, les chemins sont éminemment pluriels... Globalement, je peux faire état de tant de souffrances... liées à la séparation brutale d’avec les familles, parfois, dans le sang; liées à l’horreur des voyages d’exil; liées à des encadrements très collectifs dans les centres en Belgique; liées à la longueur des démarches d’asile, avec des logiques incompréhensibles par rapport aux délais... Des jeunes attendent quelques mois, d’autres, quelques années, sans qu’on n’en comprenne toujours les explications... Et puis, il y a les refus que l’on comprend, ceux que l’on ne comprend pas... Liés à un accueil mitigé de la population belge...

Comment voyez-vous la suite de votre tutorat? Pour ce qui me concerne personnellement, la suite consiste dans l’accompagnement de mes pupilles (c’est ainsi qu’on les nomme!), la poursuite du chemin avec ceux qui deviennent majeurs et qui le souhaitent et les perspectives de nouveaux suivis à venir!

Alors, à ce moment-là, j’ai décidé de me reconvertir d’une part, comme prof pour tenter d’influer positivement sur des jeunes en formation et d’autre part, comme tutrice MENA pour être en contact direct avec des jeunes, pouvoir les aider directement, sans intermédiaire... En 2015, il y a eu la crise des arrivées massives et je croisais plein de MENA sans tuteur... Or, sans tuteur, aucune démarche de demande d’asile ne peut être initiée...

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J’ai beaucoup réfléchi, et en septembre 2016, j’ai décidé de ne pas reprendre le chemin de l’école pour me consacrer uniquement aux MENA.

Quoi qu’il en soit, pour tous, je conçois les choses comme ceci : « Promettre peu mais promettre vrai! ». Je crois que ce dont ces jeunes ont le plus besoin, c’est de vrais signes qu’ils comptent pour certaines personnes ici. Alors, je tente de les voir à intervalles réguliers, tous les quinze jours, quelles que soient les circonstances, « tu as une place dans ma vie, je te consacre une heure de mon temps tous les quinze jours minimum! »


CLAUDE LACHAPELLE

// Chef éducateur MENA à Fédasil Florennes

Comment êtes-vous devenu travailleur dans le secteur de l’accueil? À l'âge de dix-sept ans, après un long parcours dans les mouvements de jeunesse, j'ai pris la décision et l'option d'entreprendre des études d'éducateur. Cette orientation m'a permis de rencontrer diverses populations, personnes handicapées, jeunes en difficulté relationnelle, personnes en réinsertion sociale. À la sortie des études, je me suis orienté vers les enfants et adolescents en difficulté et ce pendant douze années. Ensuite, un passage de trois ans dans la réinsertion professionnelle avec un public d'origine étrangère. Face à cette richesse culturelle, j'ai eu la chance de pouvoir entrer au sein de l’agence Fédasil à Florennes où j'y ai exercé depuis onze ans deux fonctions liées à l'accueil et à l'encadrement des demandeurs : huit ans au service « accueil », trois ans dans la section MENA (Mineurs Étrangers Non Accompagnés).

Comment vous sentez-vous dans votre travail actuellement en regard de la politique d’accueil menée par la Belgique? Depuis plusieurs années, travailler dans le domaine de l'accueil n'est pas évident et souvent incompris par la population. Cette incompréhension vient, à mon avis, d'un manque de connaissance et d’une stigmatisation de l’étranger. Rappelons-nous de l'arrivée des Italiens dans les années soixante pour travailler dans les mines de charbon, rappelons-nous de l'affiche à la cantine des Italiens avec la note suivante : « Interdit aux chiens et Italiens!!! ». Alors... Même si l'histoire est un éternel recommencement... Faut-il haïr? Faut-il avoir peur? Non, non, non! Apprenons plutôt des différences, apprenons de l'autre à travers son histoire, sa culture... Apprenons à nous respecter, à nous faire confiance et croyons en l’humain et l’Humanité.

Comment vous projetez -vous professionnellement dans l’avenir? Comme je dis chaque matin, j'aime partir en sifflant et rentrer en chantant. Chaque jour, je sais que je vais vivre de nouvelles expériences, expériences parfois négatives, mais je ne veux garder que les positives.

Jeunesse Nomade est un projet porté par des personnes ayant une richesse à transmettre, alors mon projet est de les accompagner dans ce projet et même si nous sommes parfois « fous », je suis sûr que la folie pourra à terme changer la vision de la population sur le regard vis-à-vis de l'étranger. Soyons tous « nomades » et parcourons la richesse de notre pays, de notre terre. 33


AURELIEN & ALLAN

// Jeunes des MJ de Hannut et de Florennes

Comment es-tu entré en contact avec des jeunes demandeurs d’asile (contexte de départ)? Comment es-tu « tombé » dans le projet Jeunesse Nomade? AURÉLIEN : On m'en a simplement parlé, j'ai accepté directement. Je suis entré en contact avec ces jeunes demandeurs d'asile par l'intermédiaire de notre projet, Jeunesse Nomade.

Comment vois-tu la suite des choses après cette expérience? AURÉLIEN : Alors moi je vois grand. Des tournées partout en Belgique, clôturer l'année 2017, refaire ce projet avec du contenu différent et recommencer! Notre MJ nous apprend assez bien à avoir un esprit critique face à la société. Autrement dit, ça n'a rien changé dans ma vie de tous les jours, mis à part le fait qu'on se rend réellement compte de leurs histoires à travers ce qu'ils nous disent.

1  DASPA : Dispositif d’Accueil et de Scolarisation des élèves Primo-Arrivants (anciennement appelé « Classe-Passerelle »).

Comment s’est passée la rencontre (Jeunesse Nomade)? AURÉLIEN : La rencontre s'est passée pour le mieux. C'était une super belle expérience, j'ai adoré rencontrer ces jeunes demandeurs d'asile, connaître leur histoire, leur parcours,... C'est un grand « Oui! » pour ce type de projet. J'avais le sentiment d'être « fraternel », vraiment de les considérer comme mes frères et sœurs d'autres familles, ça m'a vraiment fait du bien de me heurter à cette réalité qu'est le phénomène des migrants.

ALLAN : J'espère pouvoir changer les choses ou du moins changer la façon de penser des gens qui viennent nous voir. Ce projet m'a apporté énormément de choses au niveau culturel mais aussi au niveau humain. Je peux dire que ce projet a changé quelque chose en moi.

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ALLAN : J'étais dans une école avec une classe DASPA1 et du coup, j'ai fait connaissance avec certains. Pour le projet, c’est venu tout seul avec la fréquentation de la MJ dont je fais partie et c'est avec la proposition de mon animatrice Lolita Mattivi qui pensait que le projet me convenait parfaitement bien que je suis rentré tout naturellement dedans. J'avais envie d'en apprendre plus sur les cultures des gens et j'avais envie de changer d'avis sur la migration et les étrangers en général.

ALLAN : Avec beaucoup d'appréhension car il y avait la peur de ne pas se comprendre et de ne pas savoir faire quelque chose tous ensemble car malgré tout, nous ne parlons pas la même langue. Mais une fois cette barrière dépassée, cette expérience n'en a été que plus enrichissante.


Ill. : Hamza Mogueh Guelleh

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« JE SUIS HASIBULAH, JE VIENS D’AFGHANISTAN ET J’AI 19 ANS. »

© Philippe Lavandy

« JE M’APPELLE ANGELA, J’AI 19 ANS, JE SUIS EN 6ÈME ÉDUCATION À PESCHE (COUVIN). »

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HASIBULAH & ANGELA // Un jeune réfugié et une jeune demandeuse d’asile

Quel était le contexte de ton départ? ANGELA : Nous sommes partis à cause de problèmes familiaux entre mes parents qui n’étaient pas d’accord entre eux sur notre avenir à ma sœur et moi. Mon père voulait qu’on soit excisées et mariées à nos cousins et ma mère a refusé. Alors on s’est enfuis d’Éthiopie avec mes deux petits frères, ma petite sœur et ma maman.

HASIBULAH : On a dû quitter l’Afghanistan parce qu’on avait des problèmes politiques, il y a la guerre, la guerre civile et beaucoup d’autres problèmes. Je suis parti avec ma famille.

Comment as-tu vécu le parcours jusqu’en Belgique? ANGELA : Dès que j’ai dû partir, je me suis sentie vide de devoir laisser mes amis, mes proches derrière moi pour partir vers une nouvelle vie. On ne savait pas ce qu’il allait nous arriver. On ne savait pas ce qui nous attendait. Quand on est arrivés en Belgique, on s’est sentis en sécurité. Mais en même temps, on ne sait pas si on va avoir des papiers ou pas et c’est un autre stress pour nous.

HASIBULAH : C’était dur, il y avait la peur, le froid, la faim. Je ne peux pas vous raconter mais quand je me souviens du parcours qu’on a fait, je me dis qu’on était fous de faire ça. Ça aurait pu nous coûter la vie, mais on a eu de la chance, on a survécu.

Comment vois-tu ton avenir? HASIBULAH : J’ai une meilleure vie ici qu’en Afghanistan. Ici, je peux aller à l’école, jouer au foot. Je peux réaliser mes rêves, peut-être pas tous mes rêves mais certains que j’ai depuis toujours : aller à l’école, être libre, avoir des amis, une meilleure vie. Dans dix ans, je me vois comme un joueur de foot professionnel ou un acteur, un architecte, un informaticien. J’espère rester en Belgique car la Belgique nous a acceptés, nous a donné des papiers et j’aimerais être quelqu’un d’utile pour la Belgique et pour tous les pays qui en ont besoin.

ANGELA : J’espère qu’on aura nos papiers. Je veux juste que ma maman soit heureuse parce qu’après tout, c’est elle qui a tout fait pour nous, pour qu’on soit là aujourd’hui. Elle a vécu pour nous, elle n’a pas eu une vie facile et nous non plus. J’espère qu’elle sera heureuse et qu’on aura nos papiers, que je pourrai continuer mes études et aller à l’université.

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Décision AMBIANCE NÉFASTE

// Ak-Flow – Prophesy

Coûteuse AK-FLOW

J'AI 16 ANS, ON A QUITTÉ LE PAYS IL Y A PLUSIEURS SAISONS, LA POLITIQUE LÀ-BAS, ELLE A SES RAISONS, À FORCE DE TAXE DOUTEUSE SUR NOS POSSESSIONS, DÉCISIONS COÛTEUSES, ON CHANGE DE MAISON. LA LOI DU PLUS FORT, C'EST LA CORRUPTION, ON CHANGE DE DÉCOR, PAPA A DE L'AMBITION, SES ENFANTS, C'EST DE L'OR, NOS VOIES, SA CHANSON. MAMAN NOUS BORDE AVEC ATTENTION,

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LA CHUTE EST LONGUE COMME LE TEMPS D'ATTENTE DE NOS PAPIERS, D'ENVIRON UN AN À DES ANNÉES, L'INTOLÉRANT NOUS A PASSÉ, L'IGNORANT NE L'A PAS SU, IL N'Y A PLUS D'ENFANCE POUR L'AINÉE, PLUS D'INNOCENCE POUR L'CADET. LA VIE RESSEMBLE À LA RUE, JE VOUS SALUE ! LE REGARD ME JUGE

PATIENCE ET PASSION, ON ARRIVE À DESTINATION. NOUVEAU DÉPART DE PART ET D'AUTRE, CHACUN A SON ASCENSION

J'COMPTE SUR PERSONNE POUR MON SALUT. ON N'M'A PAS VU, POUR EUX TROP VU SI JE PARLE DE SOMME, ON M'INCLUT, CE N'EST PAS JUSTE.

MAIS L'ASCENSEUR EST ÉMOTIONNEL, MAL INTENTIONNÉ, NOUS A MENTIONNÉS, NOUS A MUSELÉS, TOUS ISOLÉS, DONC IL VOULAIT QUE NOUS DESCENDIONS.

AUCUNE PAROLE BANDE DE PARJURES JE SATURE, MAIS J'ASSURE, J'SUIS PAS COMME C'QU'ILS DESSINERAIENT SUR LEUR PEINTURE.


PROPHESY

ÇA, JE L’AI COMPRIS SANS PARLER LA LANGUE VOS REGARDS EN DISENT LONG QUAND ILS M’ANALYSENT TOUT DU LONG AH, MAIS JE NE ME LAISSE PAS ABATTRE UN FUTUR PROSPÈRE, JE L’ESPÈRE ET BOSSE DUR POUR L’AVOIR HÉ, FAUT QUE T’ACCEPTES QUE CETTE TERRE EST NÔTRE QUE LES PENSÉES SECTAIRES N’ONT PLUS LEURS PLACES DANS NOS VIES QU’ON LES EFFACE ET QU’ON S’ALLIE CAR SEULS LES CONS CONÇOIVENT QU'ON NE SOIT PAS ÉGAUX NON? SOIS BELGE ET TAIS-TOI C'QU'ILS ME DISENT À CHAQUE FOIS QUE JE PROCLAME QUE J'SUIS PLUS RICHE DEUX CULTURES EN MOI ILS ME DISENT QU'IL ME FAUT UNE CULTURE EN MOINS, À MOINS QUE JE NE VEUILLE RETOURNER D'OÙ JE VIENS À MOINS QUE LEUR CULTURE NE SOIT PAS ASSEZ BIEN CROIS-MOI J'AI VU DE TOUT, DES GENS BONS DE CARACTÈRE ET DES CARACTÈRES À LA JAMBON AUX BEAUX AIRS

HA, MAIS MALGRÉ TOUT LES REMPARTS, J’FAIS MON PARCOURS M'ALLIANT À BLACK, BEURRES ET BABTOU ON S'ENTRAIDE ET SE PROTÈGE DES VAUTOURS CAR, L'UNION FAIT LA FORCE L'UNION FAIT LA FORCE ON SE LE RÉPÈTE COMME UNE PRIÈRE DANS CE SYSTÈME, C'EST NOTRE MANIÈRE DE NE PAS PERDRE LE NORD HÈ, C'EST NOTRE DEVISE SUR LA BANNIÈRE QUE L'ON PORTE ARMÉNIENS, IRAQUIENS, CONGOLAIS

L'IMPORTANT N'EST PAS D'OÙ L'ON VIENT MAIS LES VALEURS QUE NOS CŒURS PORTENT 39


Rencontre avec

Marco Martiniello Extraits de propos recueillis par Sarah Beaulieu

NOUS AVONS RENCONTRÉ MARCO MARTINIELLO, DIRECTEUR DU CEDEM (CENTRE D’ÉTUDES DE L’ETHNICITÉ ET DES MIGRATIONS) DE L’ULIÈGE

Selon vous, qu’est-ce que le populisme? MARCO MARTINIELLO : Il a mauvaise presse pour l’instant et derrière le mot populisme, on tend à mettre des choses extrêmement différentes. On utilise parfois ce terme pour qualifier tant la politique et le discours de Trump que celui du PTB. C’est une catégorie utilisée qui traverse le panorama politique de la droite à la gauche, même de l’extrême droite à l’extrême gauche. Il règne donc une grande confusion autour de ce terme! Ceux qui dénoncent le populisme pensent qu'il est très négatif et dangereux pour la démocratie.

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En revanche, ceux qui se revendiquent du populisme de manière plus ou moins explicite pensent au contraire qu'il s’inscrit dans une tentative de rompre avec toutes les dérives du système de la démocratie représentative. Puisque n’oublions pas que populisme vient du mot peuple. Le populisme désigne des discours et des politiques qui se basent sur une distinction entre le peuple dominé et les élites dominantes. Et l'objectif est de redonner le pouvoir au peuple contre les élites qui l'ont confisqué.


Et la N-VA dans tout ça? Et Mr Francken en particulier, estil « populiste »?

Mais maintenant, comment est défini le peuple? Est-il défini en termes d’appartenance nationale? De faible pouvoir socio-économique? Etc. Il existe beaucoup de divergences sur cette définition du « peuple ».

AUTRE CONFUSION : L’ASSOCIATION ENTRE POPULISME ET NATIONALISME.

Parfois on parle de « National populisme » et on utilise le terme populisme pour qualifier certains mouvements ultra nationalistes et d’extrême droite. Le constat de départ qu’on peut faire aujourd’hui est que notre système de démocratie représentative ne répond pas aux attentes de la plus grande partie de la population, ce qui est un terreau pour toutes les personnes qui se présentent comme celles qui vont « redonner le pouvoir » au peuple. Attention aux dérives!

MARCO MARTINIELLO : On pourrait considérer que Théo Francken est populiste dans le sens où :

Il légitime son action en disant toujours qu’il fait appel au bon sens du peuple. En disant : « Je fais ce que les gens veulent ». Une grande caractéristique du populisme est de « faire croire aux gens qu’il fait ce qu’ils veulent ». Même si ce qu’on lui dit des volontés des gens ne correspond pas forcément à la réalité ou en tout cas à toute la réalité.

Je pense donc que ce n’est pas facile pour les jeunes de comprendre à quoi ça fait référence.

Un avatar de son populisme général est également lorsqu’il tire profit des violences de Bruxelles pour venir avec l’idée d’une police des étrangers pour défendre le peuple. Qu’on appelle cela populisme ou pas, c’est quelque chose qui est profondément malhonnête au niveau intellectuel puisque les violences de Bruxelles n’ont rien à voir avec la question des étrangers. C’est aussi populiste puisque ça surfe sur des peurs diffuses dans la population et que justement, ce genre de positions contribuent à renforcer ces peurs.

Ill. :  Tiounine

Ce n’est pas évident d’en parler avec les jeunes... 0n constate aussi que beaucoup de personnes croient ou se laissent tenter par les théories complotistes (complot musulman pour remplacer les populations d’Europe par exemple « Théorie du grand remplacement ») et cela ajoute aussi à la confusion générale.

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Faut-il donc voir un danger dans sa ligne de conduite politique qui est de tenir bon malgré qu’il soit pointé du doigt par des instances internationales?

MARCO MARTINIELLO : Franken pourrait dire : « Peu importe les sanctions ou les avis négatifs, je continue car j’ai mon agenda qui est d’ailleurs votre agenda du peuple. Donc les Organisations Internationales qui représentent les dominants ce n’est pas mon problème. Moi je vous représente, vous le peuple, donc je vais faire ce que vous, vous voulez ». Donc oui, c’est effectivement très dangereux : Pour un système démocratique sain. On est en train de devenir de plus en plus restrictifs au niveau des droits et de leurs applications d’abord pour les étrangers mais après pour d’autres catégories de personnes (jeunes, chômeurs, femmes, etc.).

C’est aussi une réponse totalement inappropriée par rapport aux réalités des migrations puisqu’elles vont continuer et qu’on va même de plus en plus en avoir besoin. Donc mettre en avant un volet uniquement sécuritaire, répressif et allant vers la fermeture ne répond pas à l’enjeu des migrations.

Ça ne sert à rien de dire que c’est quelqu’un d’extrême droite car ça contribue à le renforcer puisqu’il peut dès lors se présenter comme victime. Mais c’est effectivement quelqu’un qui vient d’une tradition de droite très dure et ça c’est la réalité!

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D’après vous, qu’est-ce que les politiques vont faire de toutes ces personnes qui n’obtiendront pas le droit au séjour et qui resteront malgré tout en Belgique?

MARCO MARTINIELLO : C’est une des grandes questions. Que fait-on avec les personnes sans documents qui sont de manière permanente en Belgique? Cette question met en difficulté tout l’échiquier politique. C’est donc un enjeu important. On sait aussi que pour certains, il y a une intégration dans le marché du travail mais qui est complétement en marge du marché du travail officiel. Certains sans-papiers sont exploités. Ils sont taillables et corvéables à merci. En plus, ils courent le risque d’être pris dans des trafics de traite des êtres humains. La présence d’une population sans droits dans une société de droits remet celle-ci en question!


Peut-on alors craindre une forme de récupération politique à des fins électorales et que la prochaine étape soit par exemple la délation et la sanction des citoyens qui accueillent des « sans-papiers » chez eux?

Ill. : eh

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MARCO MARTINIELLO : Tout à fait et malheureusement, je pense que cette approche peut être aussi intériorisée par une partie de la population étant elle-même issue de l’immigration et qui est « mieux installée ». C’est par exemple le cas avec certaines situations conflictuelles entre les Belges d’origine marocaine et des Syriens dans certains quartiers d’Anderlecht. Il existe une convergence entre des partis de droite voire d’extrême droite et des populations qui ne sont peut-être pas toujours explicitement politisées mais qui craignent que ces personnes-là remettent en question leur statut dans la société. Donc en fait, il y a toutes les raisons pour essayer de résoudre ces questions-là. On ne peut pas, dans une société de droits, maintenir des gens sans droits. Moralement, ça ne tient pas la route. Mais, politiquement... C’est quelque chose de différent, ça peut être utile à certaines formations politiques pour légitimer des politiques sécuritaires et restrictives en matière de droits civils et sociaux, notamment.

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VENONS-EN AU PROJET JEUNESSE NOMADE...  Selon vous, à quoi sert ce type de projets si les jeunes demandeurs d’asile reçoivent quand même des décisions négatives et des « Ordres de Quitter le Territoire » (OQT)? MARCO MARTINIELLO : À donner une parole publique, à rendre « visibles » ceux qui ne sont d’habitude pas visibles (les jeunes, les demandeurs d’asile,...), à se confronter, à rencontrer les gens...

Comme ce n’est pas nous qui décidons, qu’est-ce qu’on peut faire? On sent une peur voire une lassitude chez certaines personnes qui s’installent. Je crois que ce qui est déjà très utile, c’est que probablement par cet engagement-là, par cette participation-là, les gens se rendent peut-être compte à quel point il y a des absurdités dans le système. Donc, c’est quand même un moment de conscientisation (pour soimême et pour les autres) et c’est ce qui peut constituer le point de départ d’une lutte politique. « Sans conscience, il n’y a pas de lutte ! ». On peut se dire que, même si je suis conscient d’un problème, je ne peux pas le régler. Ce qui, directement est vrai. Mais je pense que c’est à partir de ce moment qu’on peut essayer d’imaginer, de penser aux outils qui pourraient permettre d’avoir un changement politique.

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D’autant plus que nous sommes dans deux années cruciales puisqu’il va y avoir deux fois des élections : en 2018 et en 2019. La mobilisation et la conscientisation sont importantes dans ce contexte. Même si on est critiques par rapport aux élections, elles sont toujours là et c’est quand même mieux de voter que de ne pas voter. Et de voter par rapport à des objectifs et un programme politiques plutôt que de voter par rapport à la sympathie d’une personne.

« SANS CONSCIENCE, IL N’Y A PAS DE LUTTE! »

Mais toute une partie de la population et des jeunes avec lesquels nous travaillons nous disent être perdus, ne pas vouloir voter car ils ont peur qu’on ne respecte pas leur vote... MARCO MARTINIELLO : Oui c’est vrai... Mais ce n’est pas seulement par des arguments rationnels qu’on change cela. Il y a une désaffection politique, et pas seulement des jeunes d’ailleurs, quand on voit le nombre de votes blancs et nuls qui n’arrête pas d’augmenter pendant les élections. Beaucoup de gens ont ce sentiment d’impuissance. Quoi qu’ils fassent, ils pensent que finalement, ça ne changera rien. Il faut peut-être donner des exemples de sociétés où la situation était encore bien pire et où ça a quand même changé. Prenons pour exemple l’apartheid en Afrique du Sud. À une époque, on boycottait, on n’achetait pas les oranges parce qu’elles venaient d’Afrique du Sud et on pensait que le système résisterait quand même toujours car il était tellement puissant économiquement, militairement, etc. Et puis ça c’est quand même « cassé la figure ».

Les gens ont souvent l’impression qu’ils sont seuls mais finalement, peut-être qu’on est moins seuls qu’on ne le pense. L’enjeu est donc de redonner l’espoir aux gens, ce qui n’est pas évident parce que beaucoup sont eux-mêmes dans des situations précaires ou dans la peur de la précarité. Mais je crois qu’il n’y a que ce discours-là à tenir. Un discours volontariste, de prise de conscience en essayant d’utiliser les moyens qu’on a à notre disposition et les élections en restent quand même un. Et puis de trouver éventuellement d’autres moyens pour faire changer les choses « par le bas », par de nouvelles pratiques de solidarité que beaucoup de gens développent déjà.

En fait, on a besoin de recréer du lien et du lien qui débouche sur une action politique. La pire chose que l’on puisse faire, c’est de dire que plus rien ne sert à rien ! Même si on sait que le système est quand même relativement figé et qu’il est très difficile d’obtenir des changements profonds, il peut quand même y avoir des choses qui changent.

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Selon vous, quelles suites pourraient être intéressantes à envisager avec un projet comme Jeunesse Nomade et sur quoi serait-il indispensable d’appuyer? MARCO MARTINIELLO : Je crois qu’il faut distinguer le court, le moyen et le long terme.

À court terme, il faut avoir à l’esprit qu’on va entrer dans deux années électorales (2018 et 2019). Il faut continuer à porter ce discours-là et à utiliser cet outil (le spectacle) afin de faire réfléchir le plus grand nombre, en particulier de jeunes.

On ne peut pas donner d’orientation directe pour que ça marche. Je crois que des projets comme celui-là, il y en a plein en route et il ne faut peut-être pas trop vite les interrompre. Il faut essayer de les faire voir par le plus grand nombre par tous les moyens, accompagnés de discussions, etc. Parce que, si on lance quelque chose et puis que ça s’arrête, on risque de recréer un nouveau sentiment d’abandon. Si on arrête le spectacle de manière abrupte, certains vont avoir cette réflexion : « Mais pourquoi on l’a fait alors? ».

Maintenant que le groupe est établi, on peut envisager d’autres types d’actions mais l’important est que quelque chose continue.

Il n’est cependant pas toujours évident de réussir à faire programmer notre spectacle car l’étiquette « Centres de Jeunes » rime souvent avec « amateurs » et « mauvaise qualité »... Nous, nous pensons que chacun peut s’emparer des pratiques artistiques et en faire quelque chose de beau, de percutant... MARCO MARTINIELLO : Personnellement, la qualité artistique ne m’intéresse pas tellement. Ou plutôt, elle m’intéresse comme spectateur mais pas comme sociologue. Je crois qu’il peut y avoir des spectacles très bons et très beaux qui n’ont aucun impact et des spectacles qui peuvent même être « mauvais » au niveau artistique mais qui sont très bons au niveau mobilisation, au niveau réflexion même s’ils ne respectent pas les canons esthétiques des écoles d’art. Il y a toujours cette tension entre ces deux pôles. Parfois, on a un peu l’impression que les artistes peuvent faire de l’engagement mais que les engagés ne peuvent pas faire de l’art!

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Par rapport aux jeunes demandeurs d’asile qui sont sur scène, en quoi le fait de rentrer dans un projet comme Jeunesse Nomade peut avoir un effet positif ou négatif sur eux? Car certains « s’exposent » quand même en osant raconter, même de manière discrète, un bout de leurs parcours...

MARCO MARTINIELLO : Pour que ça reste positif pour eux, je crois qu’il faut que ce soit vraiment une démarche volontaire de leur part. Il ne faut pas les forcer à le faire. Mais je crois que pour certaines et certains, c’est aussi un moyen d’exister dans une société qui les invisibilise. Donc je monte sur scène, je parle, ça veut dire j’existe ! Et c’est déjà très important pour des personnes qui parfois perdent toute estime d’elles-mêmes puisqu’elles ne sont pas considérées par la société. Donc, le fait d’en parler peut, au niveau individuel, redonner une confiance en soi. Mais ça peut aussi avoir un effet positif sur les autres sur ce chemin de la reconnaissance en tant que personne avec des droits et des devoirs dans une société. Alors oui, il y a des risques car ils s’exposent. Mais d’un autre côté, symboliquement, ce serait aussi fort de « profiter » du spectacle pour sensibiliser de manière forte à la disparition de certains.

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« L’ENJEU EST DE POUVOIR TRANSFORMER LES ÉMOTIONS EN RESSOURCES POUR L’ACTION COLLECTIVE. »

En conclusion... MARCO MARTINIELLO : Je pense en effet, qu’il existe beaucoup d’effets bénéfiques qu’on ne voit pas à court terme mais la culture et les arts en général peuvent être importants dans la mobilisation sociale et politique mais ça ne remplace pas des formes plus traditionnelles de participation politique. On ne peut donc pas tout attendre de la culture et de projets artistiques. Mais ce sont des outils importants qui recréent du lien social et qui peuvent aider les gens à comprendre pourquoi ils sont dans telle situation. Ça peut aussi être des moments d’échange d’expériences, ça peut nous faire comprendre que l’autre nous ressemble aussi et que finalement, on est les victimes d’un même système. Mais d’un autre côté, ça peut créer de la frustration puisque les choses ne changent pas suffisamment vite après.

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D’aucuns pensent que la porte d’entrée artistique permet de « jouer » sur les émotions du spectateur mais n’y a–t-il pas là un risque d’individualisation de ce genre de thématiques via l’émotionnel d’une personne? Est-ce que ça ne risque pas de « déforcer » le côté collectif?

MARCO MARTINIELLO : L’enjeu est de pouvoir transformer les émotions en ressources pour l’action collective. Si on est touchés émotionnellement, le terreau est là pour greffer dessus une action de mobilisation mais si on s’en tient uniquement à ça, on s’arrête en cours de route. Mais cela nécessite un encadrement fort et la formation du personnel. Au départ, le secteur jeunesse n’était pas fait pour ça. Donc il faut, d’une certaine manière, un peu détourner le système, faire faire « autre chose » et je crois que c’est bien que ça soit dans le système et pas « en dehors ». Il faut sortir un peu du contrôle et de l’occupationnel pour que les gens se réapproprient, prennent confiance en eux et commencent à repenser qu’en faisant des choses ensemble, on va pouvoir peut-être changer des petites choses çà et là. Je ne parle même pas de grands bouleversements...

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Stimuli  Émotions  Incompréhension  Réflexion  Recherche  Analyse critique  Indignation  Action... 50


...Soutenir les initiatives   Encourager    Sensibiliser Refuser la fatalité    Recouper les informations Assister à des conférences Des spectacles   Lire des livres   Aller à la rencontre des autres Héberger Participer à des actions humanitaires  Faire des dons Devenir parrain  Voisin solidaire Résister Questionner les lois   Donner de la voix Porter une parole collective Revendiquer plus de justice Participer à des pétitions Manifester son soutien Son désaccord  Devenir tuteur pour des MENAS Rejoindre un collectif Une association Sensibiliser d’autres personnes Faire témoigner... 51


52 © Nathalie Heusquin


Par Nathalie Heusquin & Cécile Lebrun

POUR FAIRE TOMBER LES   MURS QUI ENFERMENT LES   JEUNES D’ICI ET D’AILLEURS

En 2010, sous l’impulsion de la Fédération Départementale des Maisons de Jeunes et de la Culture 1 des côtes d’Armor (ou FDMJC222), le projet Murs - Murs a vu le jour. Il s’agissait d’un premier échange de jeunes provenant de cinq pays européens et du bassin méditerranéen (Allemagne de l’Est, Bosnie-Herzégovine, Belgique3, France, Palestine et Tunisie).

L’idée était de faire se rencontrer des jeunes vivant dans des contextes très différents et de les faire réfléchir et s’exprimer ensemble sur les questions de murs, de frontières, d’enfermements, réels et / ou symboliques. La sauce a bien pris, cette rencontre de jeunes fut enrichissante et les partenaires décidèrent alors de poursuivre le projet.

1  Les Maisons de Jeunes et de la Culture (MJC) sont des associations d’Éducation Populaire qui travaillent à l’émancipation individuelle et collective de tous. Elles sont donc ouvertes à tous et offrent à la population, aux jeunes comme aux adultes, en prenant conscience de leurs aptitudes, la possibilité de progresser à tous les âges de la vie. Elles visent à développer la personnalité de chacun dans la convivialité, en développant l’ouverture au collectif, au monde, aux idées et au sensible, afin de devenir citoyen actif et responsable d’une communauté vivante. 2  Depuis de nombreuses années, la FMJ ASBL collabore avec la Confédération des MJC de France (CMJCF) et ses fédérations régionales, dont la FDMJC22.

Plusieurs MJ membres de la FMJ ASBL ont participé à ce projet : la MJ Woo (Waterloo), la MJ Regard (Schaerbeek), et depuis 2015, la MJ de Hannut.

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Ainsi, depuis sept ans, tous les étés pendant dix jours, une cinquantaine de jeunes entre quinze et vingt ans se retrouvent dans un des pays partenaires pour vivre des rencontres extraordinaires, pour comprendre la complexité du monde, pour prendre conscience qu’il est important de comprendre ces murs pour les abattre et pour exprimer leurs idées et leurs messages de solidarité. En effet, ces jeunes vivent, chacun à leur manière, des enfermements. Les Palestiniens vivent dans un camp de réfugiés, sur un territoire occupé. Ils sont confrontés au quotidien au « mur » qui entoure leur camp. Les jeunes français et belges quant à eux font face à des « murs » tels que la discrimination ou le chômage. Un objectif de ces échanges est de parler des situations géopolitiques complexes que vivent ces jeunes, en lien avec la question de la place des jeunes dans leur société et leur manière d’être citoyens et de combattre, avec des pratiques pacifiques, le racisme, la xénophobie et d’autres injustices. Ce projet a aussi pour objectifs de favoriser la citoyenneté et l'implication des jeunes dans la société civile sur leurs territoires respectifs, de favoriser leur accès à la culture et aux médias, de favoriser la compréhension mutuelle et la recherche du vivre-ensemble en s’appuyant sur des processus d’éducation populaire. Au-delà du projet Murs - Murs, il existe aujourd’hui un réseau de partenaires et de personnes liées par un idéal et des valeurs communes.

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Corinne Le Fustec, directrice de la FDMJC22, initiatrice et porteuse de Murs-Murs, nous en dit davantage sur ce projet : À quels enjeux globaux et spécifiques entend répondre le projet Murs - Murs? CORINE L.F. : Grandir avec des murs empêche de pleinement s’épanouir. Parfois les murs invisibles, dans les têtes, sont plus infranchissables que les murs physiques. Se parler, se rencontrer pour échanger sur cette question permet une réelle ouverture, car franchir une frontière, c’est aller à la rencontre de la différence pour la confronter à sa propre réalité et ainsi s’enrichir et / ou se redéfinir. C’est une toute autre démarche que celle qui consiste à vouloir annexer ou envahir son voisin pour lui imposer son modèle. Apprendre, comprendre sa société en comprenant celle de l’autre donne ensuite « envie » de s’engager et de construire ensemble. C’est ce que notre expérience nous montre aujourd’hui.

Aujourd’hui, quel bilan ferais-tu pour les jeunes, les travailleurs de jeunesse, pour la société? CORINE L.F. : Le plaisir de voir des jeunes gens s’ouvrir aux autres et par le détour, par l’autre, s’intéresser à leur propre société, et les voir s’y investir par une grande prise de responsabilité qu’ils assument pleinement sans instrumentalisation.

En sept ans, ces objectifs et enjeux ont-ils évolué? CORINE L.F. : Le projet a connu différentes phases. Il s’est d’abord enrichi de délégations désireuses de participer à cette réflexion collective. De la question initiale des murs, toujours nécessaire, la question de la construction de la démocratie, là où l’on vit dans nos associations, s’est imposée, le sentiment de participer à la société, à sa transformation. Des groupes ont porté le projet et sont restés impliqués plusieurs années, d’autres les ont rejoints. Des thématiques sont venues peu à peu resserrer l’angle de vue : vivre-ensemble, lutter contre les discriminations, comprendre les rapports de domination, les médias - véritables porteurs de murs, la place des jeunes dans leurs sociétés, être citoyen...

Quelles sont les perspectives du projet et du réseau? CORINE L.F. : Continuer à partir des propositions qui vont se définir, mais très certainement s’ouvrir à d’autres jeunes victimes de nos murs, et je pense aux jeunes qui doivent fuir leur pays et devenir réfugiés ici, au prix parfois de leur vie!

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« Mon nom est Aysar Al Saifi. J’ai 28 ans. Je vous écris  depuis le camp de réfugiés de Dheisheh en Palestine.  C’est un honneur pour moi de participer au programme  Murs - Murs depuis six ans. Au début, j’étais un jeune  participant. Depuis deux ans, j’organise le programme  — avec l’association Laylac dont je fais partie — pour  les autres jeunes palestiniens.    Murs - Murs est un espace où les jeunes de différents  pays peuvent se rencontrer et apprendre sur eux-  mêmes, sur les autres et sur le monde. C’est un lieu où  vous discutez de votre vie et de votre avenir, et où vous  vous sentez à l'aise avec les jeunes d’autres pays. Je  pense que Murs - Murs donne la chance aux jeunes de     confronter leurs idées, de construire des ponts culturels  au-delà des distances, des guerres, des murs, des dif-   férences, des couleurs, des identités. Ce projet permet  aussi de connecter, de relier les jeunes et leurs pays. »   Aysar Al Saifi - jeune réfugié - Palestine

« Depuis seize ans, je travaille comme volontaire dans le cadre de différents projets d'échanges internationaux et nationaux. La FDMJC22 est une organisation partenaire de notre association depuis plus de onze ans. Celle-ci s'appelle « Kindervereinigung Leipzig e.V. » et envoie une délégation allemande chaque année dans le cadre du projet Murs - Murs. Murs - Murs permet d’ouvrir et de plonger dans des discussions sur les vies personnelles, les rêves et les sentiments ainsi que sur des sujets comme la politique, les limites mentales et les frontières. De tels projets sont nécessaires pour créer et maintenir une Europe unie sans racisme, haine et guerre. En 2012, j'ai moi-même participé à un atelier à Gorazde (Bosnie-Herzégovine) pour discuter de la poursuite du développement de projets d'échanges. Les années suivantes, j'ai participé en tant que chef d'équipe allemande. Ce projet est le moyen idéal pour rencontrer des gens de pays étrangers, rejoindre un groupe intéressé, trouver de nouveaux amis, partager des idées et des visions différentes. Les adolescents recueillent beaucoup d'informations, acquièrent des expériences et sont capables de partager ou de ramener les souvenirs à la maison. À mon avis, après un échange, les participants allemands sont plus motivés à s'impliquer dans des projets sociaux, plus intéressés par différentes cultures et plus ouverts d'esprit. Je crois fermement que les expériences qu'ils ont vécues au cours de ce projet ont la capacité de changer leur attitude envers les étrangers, leurs difficultés et leur situation en Allemagne et dans d'autres pays. Au cours de l'évaluation après chaque échange, nous découvrons que la plupart de nos jeunes veulent continuer à faire partie du projet et partager leurs souvenirs avec les autres. » Alexander Kürth - Kindervereinigung E.v à Leipzig – Allemagne

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« En 2015, mon collègue Cédric, six jeunes et moi avons rejoint Murs - Murs de manière impromptue. Nous avons découvert le projet au jour le jour! Au bout des dix jours, notre groupe était tellement touché par l’expérience que nous avons directement proposé d’accueillir l’édition suivante en Belgique! Un sacré challenge d’organiser l’accueil de cinquante jeunes, mais quelle satisfaction!    Murs - Murs est un projet qui me tient énormément à cœur. Ce qui, en apparence, pourrait ressembler à un simple camp de vacances est bien plus que ça. Murs - Murs est pour moi une véritable porte ouverte sur le monde, un message d’espoir et une leçon d’humanisme et d’humilité. Une chance en or pour les jeunes de se découvrir et de devenir de meilleurs citoyens! Murs - Murs est une opportunité absolument incroyable pour les jeunes!   C’est toujours un moment riche en émotions, une véritable aventure humaine qui je suis certaine, les marque profondément et pour longtemps!    Chaque année, on constate très clairement un avant et un après Murs - Murs!    À la fin de l’échange, la rencontre des autres, la vie en communauté, l’adaptation à différentes cultures, les nouvelles connaissances sur les autres pays en font des adolescents plus ouverts d’esprit, plus tolérants, plus emphatiques et plus solidaires! »    Charlotte Maquet – animatrice à la MJ de Hannut - Belgique


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Ill. : Cover du magazine du projet Mur-Mur


La courteéchelle Par Sarah Beaulieu

Vers un acte citoyen

Une centaine de lettres déposées au cabinet du secrétaire d’État à l’Asile et la Migration Dans le cadre du festival « Espéranzah! » de 2017, quelques écrivains publics du réseau PAC (Présence et Action Culturelles : mouvement d’éducation permanente) ont proposé au public de réfléchir individuellement et / ou collectivement à la politique d’asile et d’accueil en Belgique.  http://www.espace-ecrivain-public.be/images/ stories/illu_reseau/documents/charte_des_ecrivains_publics.pdf 1

À l’aide de supports visuels expliquant les dernières mesures prises par le secrétaire d’État à l’Asile et la Migration (Théo Francken) ainsi qu’une exposition de photos montrant la réalité de la « Jungle de Calais » et du parc Maximilien de Bruxelles, le public était amené à participer à un atelier d’écriture collective et à s’exprimer sur ces visuels. Par ailleurs, les écrivains publics proposaient un soutien à l’écriture de lettres individuelles destinées à Théo Francken.

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Des personnes de tous âges ont écrit, ont pris beaucoup de temps pour tourner et retourner les mots afin qu’ils décrivent le plus finement possible les sentiments engendrés par certaines mesures politiques en matière de politique d’asile et de migration. Sans bafouer le devoir de confidentialité que respectent les écrivains publics (cf. la charte des écrivains publics)1, le contenu des lettres oscillait entre des revendications, des propositions politiques claires et des réactions émotionnelles et empathiques, surtout chez les enfants. Après l’évènement, une petite équipe d’écrivains publics s’est rendue rue Lambermont à Bruxelles afin de déposer les lettres au cabinet de Monsieur Francken. L’action a été couverte médiatiquement, mais le secrétaire d’État à l’Asile et la Migration ainsi que son équipe n’ont pas souhaité descendre afin de réceptionner les lettres en main propre. Qu’à cela ne tienne, le geste était ici symbolique.


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Et en matière de réflexions de fond sur des thématiques transversales liées à l’actualité travaillées dans des logiques collectives, les écrivains publics n’en sont pas à leur coup d’essai!

Pourquoi cette action? Au départ, un sentiment d’injustice et une volonté de proposer une réaction collective.

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publique à la base de cette action.

puisse réagir » nous dira une écrivain

faisait derrière notre dos sans que l’on

« On avait l’impression que tout se

C’est en effet en juillet 2017 que M. Francken a proposé son texte de loi visant la réforme du droit d’asile en Belgique sans vraiment laisser le temps ni aux associations compétentes ni aux citoyens de réaliser ce qui se passait. C’està-dire une volonté de fermeture des frontières traduite par des mesures de plus en plus coercitives à l’égard des migrants et particulièrement des demandeurs d’asile déboutés.

Depuis deux ans, le thème des migrations est en effet travaillé par les écrivains au travers de diverses actions et collaborations. C’est notamment le cas avec le collectif La voix des sans papiers de Liège ainsi qu’avec le groupe Exil initié par le groupe des écrivains publics de Bruxelles.

Dans ce contexte faisant parfois l'effet d'un « rouleau compresseur », ces écrivains ont proposé au tout public de pouvoir, le temps d’un instant, s’arrêter, sentir, réfléchir, partager une parole, une émotion et coucher sur papier leurs ressentis et réflexions sur cette société d’accueil à deux vitesses. D’un côté, celle de la frénésie sécuritaire, de la fermeture des frontières et de la peur, et de l’autre côté, celle des citoyens qui souhaitent prendre du temps et du recul afin de réaffirmer une bonne fois pour toute les valeurs de solidarité qui sont les leurs.

Les écrivains publics sont aussi là pour soutenir individuellement des personnes dans l’écriture, la lecture et la compréhension de lettres et courriers personnels, officiels ou administratifs. Nous savons que le rapport à l’écrit constitue un frein pour un nombre encore beaucoup trop important de personnes, un mur qui peut mettre à mal leur crédibilité envers certaines institutions (CPAS, FOREM, ONEM, employeur, école, etc) et avoir des conséquences directes très négatives sur leur quotidien.


Action collective et fissure des « murs » L’utilisation de l’« outil » écriture comme moyen d’interpellation politique et de sensibilisation, nous l’avons compris, peut se réaliser autour d’un travail individuel et / ou collectif. Mais qu’il s’agisse de l’écriture ou de tout autre outil relevant des pratiques artistiques utilisé dans une logique émancipatrice, subversive et critique, le passage du niveau individuel de réflexion et d’action au niveau collectif permet souvent une résonnance beaucoup plus riche et créative à nos actions.

La bonne nouvelle, c’est qu’il existe énormément d’actions non médiatisées et collectives, de véritables embryons de résistance qui, au travers des logiques d’éducation populaire pour ne citer qu’elles, contribuent quotidiennement à « fissurer », « casser » et faire tomber les murs.

C’est l’opportunité de réaliser un acte citoyen notamment par le biais de la sensibilisation.

C’est aussi un moyen de récupérer un peu de son « pouvoir d’agir » en exprimant sa révolte de façon collective, ce qui engendre également un sentiment d’être entendu, porté par le groupe. De collectiviser une situation insatisfaisante que l’on pensait être le seul à vivre / ressentir.

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‫‪Poème‬‬

‫‪© Armir Sejdaj‬‬

‫إن سألوك عني قل لهم إين رحلت‬ ‫وإين تركت حقائبي وأشيايئ الثمينة وهاجرت‬ ‫تركت قلبي هناك يف اال مكان حيث ال انس والجان‬ ‫وإن سألوك عن قلبي قل لهم لقد مات‬ ‫واندثر تحت رماد الوجود واعتنق دين العزة والالت‬ ‫مل يعد هناك مايغريه يف هذه الحياة‬ ‫فحياته اشبه برساب يف صحراء مقفرة حيث النخيل وال واحات‬ ‫وإن سألوك عن عيني قل لهم مل تعد ترى وارق قلق ووجد‬ ‫لقد ارق السهر لونهام والبعد‬ ‫ياخائن العهد امل نكن عىل وعد‬ ‫ّأن لك وانت يل لالبد‬ ‫أيها الغدار امل تشتبك خنرصينا‬ ‫امل تلتق راحتينا امل نغص يف حسن عينينا‬ ‫كم الف مرة أطفأ البعد جسدينا‬ ‫كم الف مرة شممت طيبك وكم مرة مللمت شعري املسافر توسد صدري ودعنا ال نكابر‬ ‫هاقد عاد زمن الحرب والرب‬ ‫وكلنا يبحث عن طريق وعن درب‬ ‫يبحث عن وطن بال امل يبحث عن عزلة بال امل وحب بال امل يبحث عن اشتياق بال امل‬ ‫يبحث عن عينني ميلؤهام الحنني ليعيدا إىل عيني طيب السنني‬ ‫ال ادري كيف السبيل فقد ضاع الحب بني اقدام القدر‬ ‫وتكدست أحالمنا ومات البرش‬ ‫مللتالليلوالنجوموالقمر‬ ‫حتى إنني كرهت السهر‬ ‫واضحى طعم الحياة علقم ومرر‬ ‫فارحل عني ودعني كناسك يف برية‬ ‫ألين كرهت كذبة اسمها البرشية‬ ‫دعني ا ُمللِ ُم جسدي الفاين ساعيتاً نحو الحرية دعني ارتحل يف ضامر الخوف حتى إن فكرت بلحاقي‬ ‫ستضيع بني رمايل الذهبية‬

‫‪Par Mériana‬‬

‫‪62‬‬


CHACUN DE NOUS CHERCHE UNE PATRIE SANS DOULEUR... CHERCHE UN ISOLEMENT SANS DOULEUR... ET UN AMOUR SANS DOULEUR... SI QUELQU’UN TE DEMANDE DES NOUVELLES DE MOI,  DIS-LUI QUE JE SUIS PARTIE

CHERCHE UNE PRÉSENCE SANS DOULEUR... CHERCHE DES YEUX REMPLIS DE NOSTALGIE.

ET QUE J’AI LAISSÉ MES BAGAGES   ET MES EFFETS PRÉCIEUX.

MAIS JE NE SAIS COMMENT TROUVER LE CHEMIN POUR RENDRE À MES YEUX LES SOUVENIRS HEUREUX

J’AI LAISSÉ MON CŒUR LÀ-BAS,   OÙ IL N’Y A PLUS RIEN.  SI QUELQU’UN TE DEMANDE DES   NOUVELLES DE MON CŒUR,

DES ANNÉES PASSÉES, CAR L’AMOUR EST PERDU ENTRE LES PIEDS DU DESTIN. ET NOS RÊVES SE SONT ACCUMULÉS. LES GENS SONT MORTS.

DIS-LUI QU’IL EST MORT ET QU’IL A DISPARU DANS LES CENDRES, CAR IL N’EXISTE PLUS RIEN QUI LE   RETIENNE DANS CETTE VIE.

MAINTENANT JE SUIS FATIGUÉE DE LA NUIT ET DES ÉTOILES, MÊME DE LA LUNE, ALORS QUE JE LES AIMAIS TANT.

MAINTENANT,  MA VIE RESSEMBLE À UN MIRAGE   DANS UN DÉSERT STÉRILE.  SI QUELQU’UN TE DEMANDE DES NOUVELLES DE MES YEUX,  DIS-LUI QU’ILS NE VOIENT PLUS,  QUE MES NUITS D’INSOMNIE ONT

J’AI PERDU LE GOÛT DE LA VIE, TELLEMENT QUE J’EN AI DÉTESTÉ L’HUMANITÉ. LAISSE-MOI, COMME UN ERRANT DU DÉSERT, LAISSE-MOI RÉPARER MON CŒUR BLESSÉ, LAISSE-MOI TENDRE VERS LA LIBERTÉ. LAISSE-MOI PARTIR AVEC TOUTES MES CRAINTES.

CHANGÉ LEUR COULEUR.  ET, MÊME SI TU PENSES À ME SUIVRE, LE TEMPS DE LA GUERRE   EST DE RETOUR.

SOIS SÛR QUE TU VAS TE PERDRE ENTRE MES SABLES D’OR...

TOI ET MOI   CHERCHONS UN CHEMIN EN SÉCURITÉ...   63


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Ill. : Ahmed Ibiro


Attendre

Moments suspendus avec des demandeurs d’asile

Une partie des illustrations de ce Swap#3 sont issues d’une collaboration avec Catherine Pineur. En complicité avec Coline Zimmer, elle a mené un projet en animant cinq journées de pratiques artistiques autour du thème de l’attente avec des demandeurs d’asile. Ces journées ont eu lieu dans le cadre de l’atelier « des traces et des mots ». Cet atelier s’est créé au centre d’accueil pour demandeurs d’asile de la Croix-Rouge de Belgrade (Namur) en lien avec le collectif citoyens solidaires de Namur. Points de vente :

Il propose des allers-retours entre le mouvement et la trace picturale, la parole et le dessin, la danse et l’illustration.

Ill. : Kokou Boris Don Brignt Agbotame

Ill. : Lassine Cisse

Les photos, illustrations et textes réalisés par ces demandeurs d’asile durant ces cinq jours sont valorisés au travers d’un livre intitulé « Attendre, moments suspendus avec des demandeurs d’asile ». Ce livre est disponible dans les points de vente cités ci-contre. Et il est important de signaler que l’intégralité des bénéfices de la vente de ce livre sera versée à la Croix-Rouge.

Ill. : Pascal Koffi N’Guessan

Point-Virgule à Namur Papyrus à Namur Le Musée de la Photographie à Charleroi Ciaco à Louvain La Neuve À livre Ouvert à Bruxelles Tropismes à Bruxelles La Mazerine à La Hulpe Livres aux trésors à Liège Le Wolf à Bruxelles Autre Chose à Hannut

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Éditeur responsable : Marc Chambeau — 8 rue aux Chevaux - 4000 Liège Rédactrice en chef : Cécile Lebrun Graphisme et mise en page : Constance Schrouben Illustration de la cover : Constance Schrouben Ont collaboré à la réalisation de ce numéro : Une jeune demandeuse d’asile anonyme, Axel Gossiaux, Allan - Hasibulah – Angela et Aurélien (quatre jeunes artistes de Jeunesse Nomade), AK Flow et Prophesy (membres de Ambiance Néfaste), Mériana (jeune poète syrienne), Armir Sejdaj (jeune photographe d’origine albanaise), Marie de Barquin, Claude Lachapelle, Marco Martiniello, Corinne Le Fustec, Aysar Al Saïfi, Charlotte Maquet, Alexander Kürth, Pierre Lempereur, Anne Iwens, Roland Polman, Catherine Pineur, Lassine Cisse, Kokou Boris Don Brignt Agbotame, Pascal Koffi N’Guessan, Billy Chesterson De Nkenglack, Hamza Mogueh Guelleh, Philippe Lavandy, Ahmed Ibiro, François Dvorak. Pour la FMJ ASBL : Sarah Beaulieu, Anne-Sophie Bourgeois, Benjamin Cambron, Magali Company, Antoinette Corongiu, Valérie Hébrant, Nathalie Heusquin, Delphine Verstraelen. Typographies : « Kohinoor Bangla Family » & « Bespoke » by Metaflop Impression : Imprimerie Vervinckt

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FMJ ASBL 8 rue aux chevaux 4000 Liège +32 4 223 64 16 fmj@fmjbf.org www.fmjbf.org

AIDER LES MAISONS À SE CONSTRUIRE... La Fédération des Maisons de Jeunes vit par et pour les jeunes... et leurs maisons. Par les jeunes, parce que leurs enthousiasmes et leurs énergies constituent la source de tous nos projets. Pour les jeunes, parce que leurs initiatives et leurs réalisations sont autant d’encouragements à continuer notre fantastique aventure. HELPING BUILD THE CENTRES, HELPING BUILD THE FUTUR... Young people and their community centres constitute the raison d’être of the Fédération des Maisons de Jeunes. The enthusiasm and energy of these teenagers are, in fact, the lifeblood of all our projects; their endeavours and achievements provide us with the encouragement to continue to pursue our fantastic adventure. BOUW MET ONS MEE... De «Fédération des Maisons de Jeunes» leeft door en voor jongeren. Door jongeren. Omdat hun enthousiasme en hun energie de motor zijn achter onze projecten. Voor jongeren. Omdat alles wat ze ondernemen en realiseren, telkens opnieuw een aanmoediging is om ermee door te gaan, met ons geweldig avontuur.

- Réalisé avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Service Jeunesse) et de la Wallonie (Emploi) -

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