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Sommaire
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Présentation et sommaire
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Édito
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Quand la cité populaire croise la cité intellectuelle
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Décloisonner, difficile mais essentiel
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Hip-hop : se familiariser avec une culture
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Ambiance Néfaste — « Des mots pour ta tête du son pour tes pieds »
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Ak-Flow : Gloussement hypocrite — paroles
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Hip-hop : les enjeux de la reconnaissance
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Hip-hop au féminin
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Le rap, le monde ou rien...
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PNL : Le monde ou rien — lexique
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« L'art naît des contraintes, vit de luttes et meurt de liberté »
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Gallerie et remerciements
Présentation — Au revoir l’Antre’Toise… Place désormais au Swap Mag ! En effet, notre magazine avait besoin d’un nouveau souffle… Mais que voulions-nous garder? Et quelle bouffée d’oxygène lui apporter? Le résultat de notre réflexion menée en 2016, vous le tenez entre vos mains... Une revue dont le but est de donner à lire, voir, découvrir, et ainsi susciter la réflexion, tout en positionnant clairement la FMJ et les enjeux, valeurs qu’elle défend. Un outil de communication, de mise en réseau, d’information et de réflexion qui met l’accent sur des initiatives et alternatives porteuses et créatives, des ponts à double sens à construire entre le secteur jeunesse et le reste du monde, des réflexions, propositions et actions pour agir sur la société et induire des changements. À chaque parution, une thématique spécifique sera abordée au travers des richesses, pluralités, actions, analyses et potentialités tant du secteur jeunesse que d’autres plus ou moins liés, à la fois en Belgique et en dehors de nos frontières. Pourquoi « Swap »? Il s’agissait de trouver un mot permettant de traduire l’échange, le transfert, le « chassé-croisé », mais aussi le partage. Le mot « swap » a été proposé pour sa facilité de compréhension, pour sa prononciation proche d’une onomatopée, pour son côté à la fois décalé et moderne, pour son ton accrocheur, court et dynamique.
— Bonne découverte! Bonne lecture!
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par Axel Gossiaux
Dans le Bronx du milieu des années 70, lorsque le DJ-producteur Afrika Bambaataa institua l’Universal Zulu Nation et structura sa philosophie autour de la réunion des quatre éléments-disciplines primaires de la culture hip-hop (DJing, breakdance, MCing, graffiti ) il ne se doutait certainement pas de l’ampleur que sa devise, née d’une opération d’unification doctrinale censée sublimer la violence des gangs (« Peace, Love, Unity and Having fun »), allait prendre dans le monde :
« Au moment où l’époque des gangs s’estompait, Bambaataa vit le futur avant tout le monde. Chaque cité avait son propre gang […]. Mais lui était prêt à emmener les gens de l’autre côté de frontières qu’ils ne savaient pas pouvoir traverser, dans des cités qu’ils ne savaient pas pouvoir fréquenter »1. 1 CHANG J., Can’t Stop, Won’t Stop. Une histoire de la génération hiphop, Éditions Allia, 2015 [2006], p. 119.
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Si le hip-hop, qui s’est imposé comme un phénomène culturel global majeur indéniable des trente dernières années, fait maintenant face à de nouvelles données et de nouvelles ressources, il semble toujours être confronté à certains enjeux très similaires à ceux auxquels il le fut à ses balbutiements. Et s’il existe bien un enjeu qui reste fondamentalement important aujourd’hui, c’est celui du décloisonnement. Cette revue interroge donc, notamment, le décloisonnement de deux « mondes » qui, malheureusement, se pensent parfois trop différents et trop éloignés ou qui pensent ne pas pouvoir parler la même langue. Ces deux mondes, celui des sociologues « de la rue » et celui des sociologues « des tours d’ivoire », celui des « artistes » et celui des « scientifiques », observent et analysent pourtant exactement les mêmes phénomènes et enjeux sociétaux globaux à partir desquelles ils tirent des conclusions. C’est pourquoi une initiative comme le projet Urban Mouv’, ses préparatifs et ses prolongements, ne peut être que saluée et encouragée.
De nombreux enjeux découlent, qui plus est, de ce seul objectif de décloisonnement, comme celui de la réappropriation des savoirs produits sur une culture « urbaine » comme le serait la culture hip-hop. Par exemple, si on s’intéresse brièvement au concept d’engagement, il semble que beaucoup de travaux de recherche et d’analyse sur la question auraient peut-être tendance à s’enfermer encore dans une conception théorique assez archaïque de celui-ci, conception dont la pertinence se trouve lourdement affectée par les réalités d’un mouvement et d’un courant comme le hip-hop. En effet, les « jeunes » sont loin d’être « apathiques » ou « désengagés », ils sont, au moins, tout aussi critiques et informés que leurs aînés. Il devient alors urgent de faire accepter une définition beaucoup plus élargie de ce que recouvrent les concepts « classiques » de participation et d’engagement politique afin de mieux appréhender certaines évolutions sociétales et leurs conséquences.
Un décloisonnement peut aussi favoriser l’émancipation, valeur si chère au mouvement hip-hop, et briser les déterminismes induits par les uns et les autres afin d’ouvrir le champ des possibles. Ces vingt dernières années, c’est en ce sens que la culture hip-hop fut employée par le réseau associatif comme un instrument au service du social et comme un outil à disposition des animateurs et éducateurs socio-culturels dans les Maisons de Jeunes et autres. Toutefois, les pratiques artistiques du hip-hop éprouvent toujours beaucoup de mal à s’insérer de manière pérenne dans le « circuit culturel traditionnel ». Ce décloisonnement est donc loin d’être achevé. Pourtant, des mondes qui semblent parfois si opposés et inaccordables peuvent trouver une harmonisation commune lorsque les regards des uns et des autres circulent de manière réciproque et lorsque les valeurs / principes et objectifs essentiels sont ou peuvent être partagés. Je pense d’ailleurs que le hip-hop et les sciences sociales ont bien plus en commun que ce que l’on pourrait penser. L’un comme l’autre, par exemple, se doivent d’avancer et d’évoluer en gardant à l’esprit que la remise en question et la réflexivité sont des conditions sine qua non à leur perpétuation et, surtout, à leur pertinence. Il va sans dire qu’un décloisonnement de tous ces « mondes » permet aussi de réduire les inégalités. Cette culture, intrinsèquement interculturelle, croit en effet à l’égalité effective de tous les êtres humains et peut donc être employée à l’effondrement des hiérarchisations sociales implicitement ou explicitement formulées par certains. Car, finalement, « le monde », « les mondes » et tous les adjectifs qualificatifs qui peuvent les accompagner, n’appartiennent à personne.
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ENTRE INJUSTICE ET ÉMANCIPATION : Des expériences s’expriment !
Par Vanessa Vandijck Animatrice coordonnatrice de L’Atelier (MJ de Saint Nicolas)
« En pratique, nous gardons l’idée qu’il y a ceux qui ont un mandat pour faire des études et ceux dont le destin est d’être étudiés afin d’être préservés comme les aborigènes, ou afin d’être éclairés ou réhabilités. Mais que nous nous nommions anthropologues ou sociologues, nous nous acheminons vers l’égalité avec ceux qui sont les objets ou les sujets de nos études. Nous pourrons un jour n’étudier que nos égaux, c’est-à-dire des gens qui pourraient très bien nous étudier 1».
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Everett C. Hughes cité par Nicolas JOUNIN, « Voyage de classe », éditions la Découverte, Paris, 2014, p.219.
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C’est une journée organisée par les jeunes et l’équipe de la MJ après une année de rencontres avec des intellectuels. C’est un tremplin vers l’écriture (en cours actuellement) d’un recueil de textes de rap et de réflexions scientifiques par les jeunes avec des intellectuels.
C’est une des réponses à un événement choc, à une injustice vécue par les jeunes étiquetés d’« islamistes » par des intellectuels des sciences sociales, après avoir rappé à la Foire du Livre Politique à Liège.
Urban Mou
Difficile pour nous de cibler, de s’arrêter lignes l’histoire d’une aventure qui a dém
C’est aussi la rencontre avec le monde intellectuel, des débats préparatoires à la MJ avec des sociologues, des politologues, des politiques. C’est une envie d’apprendre et de comprendre l’autre qui s’impose à nous. C’est la curiosité, celle du désir de s’infiltrer dans un monde que nous connaissons peu et sur lequel nous avons une série d’a priori. C’est participer à des conférences dans différents lieux... mais aussi à la MJ, à la salle des fêtes de Montegnée, ...
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C’est proposer une forme de débat adapté aux intelligences de chacun (entrecoupé de références scientifiques, d’expression corporelle, de rap, ...). C’est demander aux intellectuels de s’adapter aux codes des jeunes et non plus se laisser gouverner par les codes de la classe dominante.
C’est un moment fort dans l’histoire de notre MJ, une volonté des jeunes de partager leur expérience, de donner à d’autres jeunes la possibilité d’avoir un autre regard sur leur avenir, de se questionner sur nos déterminismes, d’enrichir nos savoirs. C’est une étape dans un processus long. C’est la transformation d’une injustice, une prise de conscience et une réappropriation des savoirs produits sur nous. C’est encore un questionnement permanent ... Une parenthèse dans un parcours qui voudrait pouvoir rassembler les mondes, qui voudrait, à notre petite échelle, transformer la société.
uv’ c’est ...
sur l’essentiel, de partager en quelques marré en 2014 et semble vouloir continuer.
C’est aussi et surtout un « projet de fou » proposé par Yanny en sortant de notre première rencontre avec un intellectuel!
C’est une dizaine de MJ partenaires, une centaine de jeunes sur scène, une ouverture sur le secteur associatif, un soutien des pouvoirs publics, ...
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Qui sont les jeunes... De quelle MJ? Saint-Nicolas est une des communes les plus pauvres et la plus dense de Wallonie. La MJ se situe dans un quartier populaire de la commune avec une diversité culturelle importante. 2 Ils sont donc une dizaine de jeunes (garçons Le collectif « Barbarie » est né d’une demande rappeurs et filles du Collectif Barbarie 2 ) à s’être de jeunes filles de la embarqués dans la réflexion mais aussi dans MJ qui ont souhaité travailler sur les l’action. Ils ont des parcours de vie différents, injustices qu’elles particuliers et cumulent ensemble une série de vivaient et tenter de les transformer en actions difficultés sociales (orphelin, parent toxicomane, subversives et créatives ancien dealer, casier judiciaire, immigré, musuldans l’espace public. man, allocataires sociaux, sans emploi, homosexuel, ...). Certains sont dans des situations de précarité importante, subissent des discriminations à l’embauche et du racisme ordinaire... Une violence invisible et multiforme quotidienne!
Ce qui les rassemble semble plus fort que ce qui les sépare. Ils ont des liens d’amitié puissants et considèrent parfois la MJ comme partie intégrante de leur « famille ». Ils semblent souvent souffrir d’un manque de reconnaissance et font plutôt partie de ceux qu’on étudie dans les facultés de sciences sociales...
L’injustice comme point de départ de la rencontre, du projet! En effet, c’est après avoir été étiquetés de jeunes islamistes que les jeunes ont souhaité rencontrer des intellectuels des sciences sociales. Ils ont ressenti une forme d’urgence, celle qui les a poussés à sortir de leur confort et à se confronter à un autre monde.
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Jeune : « À l’unif, comme ça je pourrai dire à ma mère que je sors de l’unif! ».
Animatrice : « Vous préférez qu’on rencontre le sociologue à la MJ ou à l’unif? ».
3 « Un 16 » est un texte de 16 mesures. Soit, pour simplifier, 16 lignes de textes ou 16 rimes. Ce nombre de lignes correspond à la taille habituelle d’un couplet standard, mais il existe des 8, des 32, des 64 et bien d’autres types de texte : http://genius.com/ Rap-genius-france-lexiquedu-rap-francais-lyrics
Les portes de ce monde étrange se sont donc ouvertes progressivement... Les jeunes ont chanté lors de la première rencontre avec un sociologue dans une salle de réunion de l’Université et ils ont clôturé la rencontre en demandant au sociologue et aux animateurs de la MJ d’écrire un « 16 3 » pour la fois d’après. En contrepartie, ils se sont engagés à lire des articles écrits par le sociologue rencontré et d’en faire un retour.
L’ÉCHANGE DES SAVOIRS ÉTAIT ALORS EN MARCHE! Les jeunes ont aussi participé à une journée organisée par Tout Autre Chose 4. Ils sont allés à des conférences à la Cité Miroir, au Théâtre de Liège. Un d’eux a été sélectionné au concours « Aux encres citoyens » organisé par la Maison des Sciences de l’Homme. Aujourd’hui, ils tutoient des intellectuels renommés à Liège et ailleurs... Ils partagent leurs opinions, débattent ou parlent de foot et alimentent leurs textes de rap.
Nous avons alors commencé à nous infiltrer dans ce monde presqu’inconnu... Nous avons assisté à des conférences. Nous sommes allés à l’Université à plusieurs occasions pour y rencontrer une série d’intellectuels pour la préparation du projet Urban Mouv’.
Locale de Liège du mouvement qui se définit de la manière suivante sur leur site à l’adresse www. toutautrechose.be : « Nous sommes un mouvement citoyen belge francophone, cousin du mouvement néerlandophone Hart boven Hard. Nous fédérons des citoyens et des collectifs déjà investis dans des luttes et des alternatives mais aussi des citoyens qui n’étaient pas encore engagés. Nous prônons un nouveau type d’action politique, souple, ouvert, créatif et réjouissant […]. Nous voulons stopper la progression d’un modèle sociétal qui valorise la compétition et l’individualisme, accentue la pression sur les plus faibles, déshumanise les rapports entre les êtres humains et se fout du long terme. Nous travaillons à l’émergence d’un modèle sociétal alternatif en partant des milliers d’initiatives locales et sectorielles, en valorisant l’ouverture et le débat, et en cherchant à lier et concrétiser ce qui nous unit ». 4
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QUELQUES CONSTATS POSÉS... Quelques découvertes étonnantes! Des jeunes, des intellectuels et des animateurs engagés?
Propos inspirés d’un « journal » édité par SAW-B, Barbara Garbarczyk, Frédérique Konstantatos, Quentin Mortier, Être engagé pour une cause par une entreprise sociale ou {comment} peut-on être militant et salarié en même temps, étude 2015. 5
S’engager, c’est « prendre nettement position, en particulier sur des problèmes politiques, sociaux, économiques ». Il semble que l’origine de l’engagement soit souvent liée à une injustice qui soit nous concerne directement (injustice vécue) et peut provoquer de la révolte, soit nous concerne indirectement (injustice perçue) et qui nous indigne 5. Les textes de rap écrits par les jeunes garçons et le travail subversif proposé par le Collectif « Barbarie » sont le reflet de l’engagement critique et politique de ces jeunes dans l’espace public.
Voici un court extrait d’un texte écrit par Yanny suite à une conférence et après une conversation avec une animatrice sur l’engagement à travers le rap.
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Du côté du monde académique, le choix pour les intellectuels, sociologue par exemple, de consacrer leur carrière à la musique « urbaine », à l’immigration, à la place de la femme, à la critique sociale n’est pas anodin. Il semble que ces thèmes s’imposent à eux, les indignent au même titre que le contenu des textes et les injustices dénoncées par les jeunes à travers leurs textes de rap ou une installation subversive dans l’espace public.
« INSTRUMENT DE LEURS CHIFFRES, ILS MESURENT LEUR CHIBRE, ILS FONT CROIRE QU’ON EST LIBRE, DU MENSONGE QU’ON NOUS CRIBLE — MAIS ÇA ME REND PAS CRÉDIBLE, L’ENGAGEMENT N’A PAS DE PRIX, L’ACTIVISTE N’A PAS DE PRISE, CAR LA RUE RESTE PÉNIBLE — JE RETOURNE À L’ÉNIGME, QUEL CHEMIN VAIS-JE PRENDRE, JE SURMONTE LA PENTE, MAIS JE GARDE LE RYTHME — JE RESTE DANS L’DÉNI, J’SAIS PLUS QUOI PENSER, SUIVRE LES RÈGLES DU DÉLIT OU LES FAIRE DANSER — FAUT QU’JE GARDE LE FEELING, J’AI TROUVÉ LE FILON, SACHE QU’ILS JOUENT AU BOWLING, MAIS LES QUILLES SONT DES PIONS — SI JE RESTE EN TRAINING ET QU’JE FUME UN PILON, JE SUBIS LE COACHING, CAR J’AFFRONTE LEUR RAISON — JE FUCK LES ONDIT, JE TRIE VOS AVIS, J’F’RAI PAS LES GROS TITRES, C’EST POUR LA FAMILLE, SELON MON ENVIE, J’AVANCE EN ÉQUIPE — PAS SEUL À COMBATTRE, JE ME CONFIE AUX AUTRES — ON A LE CHOIX, ENTRE LA RUE ET LA SCÈNE, COUP D’MASSUE QU’ON M’ASSÈNE, CAR MA VUE ME RENSEIGNE, ILS ABUSENT SUR NOS FRAIS, DONC EFFUSENT NOS REGRETS, ILS S’AMUSENT DE NOS TEXTES, L’APERÇU EST ABSTRAIT ».
L’animateur, accompagnateur de ce type de projets, doit nécessairement s’engager avec les jeunes. Il ne peut, selon moi, le faire que s’il parvient à s’indigner avec les jeunes. En effet, Urban Mouv’, l’événement, pour ne parler que de cette étape du projet, a demandé à l’équipe une mobilisation hors normes et une co-réflexion permanente avec les jeunes. Le temps consacré, les soirées de réflexion, les conflits engendrés par les visions différentes du projet, le partage des tâches avec les partenaires peuvent parfois être difficiles et décourageants pour l’équipe et les jeunes, mais restent aussi et surtout une source d’enthousiasme et de plaisir partagé inépuisable.
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La difficile réappropriation des savoirs
Il semble qu’une part importante de la population soit indignée... Mais chacun dans son entre soi, chacun dans sa classe sociale, son groupe d’appartenance...
En dehors de ce projet, que font les intellectuels, les experts qui s’intéressent à l’art produit par les jeunes, à leur critique, à leur milieu de vie de leurs récoltes d’informations et des articles qu’ils publient? Les bouquins qui parlent des jeunes, de la banlieue, du rap ou de la créativité comme critique sociale sont-ils accessibles aux gens dont ils parlent ? Où partent toutes ces analyses, tous ces constats?
6 CUKIER, Alexis, LAVERGNE, Cécile, DELMOTTE, Fabien, (sous la dir.), Émancipation, les métamorphoses de la critique sociale, Paris, éd. Croquant, 2013. p.33.
L’écriture est un métier... L’engagement du sociologue ou du politologue n’est pas complètement différent de celui des jeunes. Il s’agit également pour ces intellectuels de faire entendre leur voix dans l’espace public, mais aussi d’engager leur savoir, de le rendre accessible, de sortir de l’université et passer de la position de sociologue pour sociologue à sociologue pour tout le monde... Ce défi paraît compliqué aujourd’hui tellement « ils savent qu’ils doivent produire leurs deux ou trois articles par an, de préférence en anglais et qui doivent être formatés de façon à pouvoir être publiés dans des revues dites à comité de lecture, etc. 6 ».
Ce que ce projet a tenté de faire, c’est rassembler les énergies, créer des liens entre des jeunes et des intellectuels qui dénoncent les mêmes choses dans un langage différent. C’est aussi appuyer le discours des jeunes, lui donner une certaine légitimité, rendre le rap accessible à un public non amateur au départ (en distribuant les textes avant un concert, par exemple). Si l’intention du rappeur est d’apporter une critique sociale, la rendre accessible et compréhensible devient une nécessité. Le passage à l’écrit, avec les codes de l’intellectuel, lui permet d’avoir accès au contenu et d’entamer un débat, une discussion pour ensuite avoir envie d’entendre... Ce petit pas vers l’autre, avec ses codes, décloisonne et permet à la critique apportée d’avoir un plus grand impact, de sortir du quartier. À l’inverse, l’accessibilité des intellectuels à travers la rencontre, dans l’échange verbal et non pas à travers un texte, a permis aux jeunes de démystifier, d’entrer en contact dans une relation humaine pour ensuite avoir envie de lire...
Yanny (s’adresse au sociologue) :
« C’est vrai que pour certains textes, c’était un peu plus dur à comprendre parce que les choses étaient formulées dans un jargon de sociologue… Sans forcément établir des préjugés… Pour ma part, j’ai arrêté l’école assez tôt, je ne comprenais pas certaines choses, il me fallait un dictionnaire près de moi. Sinon je trouvais ça bien, la formulation des phrases, intéressant. Personnellement, en tant que rappeur, ça me pousse à vraiment faire attention à la manière dont je rappe, dont j’écris mon texte. D’ailleurs, suite à ça, j’ai été inspiré pour faire un texte. À la base ça s’appelle « si c’était le cas » mais je l’ai nommé « le teaser » parce que c’est le début d’une suite d’événements entre guillemets, dont le recueil. Je voudrais répondre à vos études avec une « EP11 7 », donc faire entre 6 et 8 musiques grâce auxquelles ça parlerait justement des études, des recherches,… Et j’irai vous le rapper en bas juste après 8 ». 14
Un « Extended Play », souvent appelé EP (à ne pas confondre avec Maxi 45 tours), est un format musical plus long que celui du single mais plus court qu’un album.
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Des sources d’inspiration communes... L’écriture et la créativité comme exutoires... Comme subversions!
Christian Maurel, Éducation populaire et puissance d’agir, les processus culturels de l’émancipation, l’Harmattan 2010, Paris, p.74.
Le jeune, comme l’intellectuel, irait donc chercher dans son parcours de vie, dans les révoltes qui l’animent, qui l’indignent, un moteur pour l’écriture ou la subversion. Certains rappeurs du groupe ont écrit leurs textes pendant une conférence, comme si l’émotion liée au contexte ou aux contenus des discours était trop forte et les obligeait à s’en libérer par l’écriture... Une sorte d’urgence, une pression de la nécessité.
« La culture dans l’éducation populaire est nécessairement critique et procède d’une démarche émancipatrice. Cette qualité ne tient pas qu’à son contenu mais aussi à un mode de production et de socialisation qui met l’individu en posture d’en faire un acte d’émancipation 9 ».
LES JEUNES LUTTENT, S’AMUSENT, REVENDIQUENT, TOUCHENT AVEC LEUR ART.
8 Extrait de la transcription d’une rencontre avec un sociologue, le 19 mars 2016. 9
La critique commune, celle qu’on retrouve dans les textes de rap, dans les installations subversives et la créativité mais aussi dans les écrits académiques rassemble deux mondes régis par des codes différents, des langages différents; deux classes sociales, deux groupes de personnes qui ne se seraient jamais rencontrés si l’un des deux n’avait pas insulté l’autre. Les jeunes rappeurs et les filles du Collectif « Barbarie » s’adonnent à la lecture et l’écriture en dehors de l’institution scolaire, comme une envie d’apprendre et de comprendre le monde qui les entoure, de rendre une utilité à l’écriture, celle de dénoncer, de parler de soi, de sa classe sociale, des injustices perçues.
Les thèmes abordés dans leurs textes ou leurs installations artistiques le sont également dans certains textes académiques. Ils parlent d’exploitation économique, de capitalisme, de mondialisation, de domination politique, d’oppression culturelle, de domination masculine, d’homosexualité, de déterminisme social et familial, de résilience… Le rap et la créativité sont des exercices essentiels dans le processus émancipatoire en ce sens qu’ils permettent d’apprendre à parler, à créer, à danser sur tous les sujets, à brûle-pourpoint… C’est apprendre à vaincre sa timidité, à se vaincre face au regard de l’autre, à confronter sa parole, son corps, à faire soi-même avec ses tripes. 15
QUELQUES INCOMPRÉHENSIONS PARFOIS? Vers une commune
humanité et l’égalité effective de nos intelligences... Certains intellectuels ont souhaité parler de leurs parcours, de leurs origines sociales comme pour rassurer les jeunes, mettre le doigt sur un point commun :
Sociologue : « Je viens du même milieu, j’ai grandi dans une famille ouvrière, il y a une affinité qui reste même si les choses ont changé ». Yanny : « [...] Pour moi, la classe ouvrière, c’est déjà la classe de bourges 10 ».
Extrait de la transcription d’une rencontre avec le sociologue B, le 8 février 2016.
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Nous avions au départ beaucoup d’appréhensions, des préjugés, une peur, et parfois un sentiment d’infériorité, une représentation de nous-mêmes négative, une stigmatisation qui rendait la hiérarchie sociale légitime. « Le médecin, c’est normal qu’il ait un salaire plus élevé, il a fait plus d’études, il a plus de mérite ».
Extrait de la transcription d’une discussion à la MJ, le 16 mars 2016.
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Il nous fallait parfois faire de nécessité vertu : « Je crois le truc des classes supérieures par rapport aux classes inférieures, ils veulent se sentir aussi libres que nous, pour moi, franchement, ceux qui sont en haut, ils sont moins libres [...] ».
De plus, la rencontre avec les classes dites supérieures ou les institutions de la classe dominante est parfois violente : « J’ai commencé par droit, le premier jour, j’ai niqué mon ordinateur parce que j’ai eu une crise de panique, parce que dès que tu rentres, il n’y a déjà personne comme toi [...] ». Au fil des rencontres et de l’affinement de notre compréhension du monde et des inégalités, nous avons aussi senti que les jeunes ressentaient une certaine reconnaissance en leurs capacités, une confiance en eux, de l’estime. Après avoir discuté du concept d’égalité des chances et de l’institution scolaire avec un sociologue, un jeune nous dit : « C’est que moi, maintenant que je sais tout ça, je vais me donner la place que je veux avoir et pas celle qu’on va me donner ou qu’on a essayé de me donner toute ma vie ». Les jeunes ont pu aussi nous renvoyer qu’ils avaient parfois le sentiment de ne rien apprendre de neuf après la lecture d’un texte scientifique ou en sortant d’une conférence, comme si ils étaient surpris d’en savoir autant sur l’état du monde. D’autres jeunes ont pu dire « qu’ils disent avec des beaux mots ce qu’on sait déjà ». Ensuite, un point commun, une sorte d’évidence : « Le point commun, c’est qu’on est des humains, tu es un humain, tu n’es pas moins bien que moi, tu n’es pas mieux que moi non plus. [...] C’est juste qu’ici, ils ont ça (l’argent) 11 ».
12 « Kaira » signifie « raNotre pari est de vivre une expérience qui ouvre sur caille » en Verlan. d’autres possibles, sur la croyance en l’égalité, mo13 teur de notre enthousiasme à combattre les inégaliExtrait du texte écrit par Beytullah (ASK2O) : Je tés, les injustices. Sortir de nos déterminismes, pour ne suis pas une Kaïra s’entendre sur notre commune capacité intellectuelle à comprendre le monde, à se comprendre et parfois jusqu’à comprendre qu’on ne se comprend pas. Il ne s’agit pas de masquer nos différences de classes ou de conditions sociales, ni même de cacher nos savoirs, mais bien de partir de l’égalité pour construire la relation, pour passer du statut d’êtres égaux promulgué par la Déclaration Uni« NE TE VOILE PAS LA FACE verselle des Droits JE NE SUIS PAS UNE KAÏRA, de l’Homme à la NE TE VOILE PAS LA FACE conviction d’une JE NE SUIS PAS UNE KAÏRA, égalité effective de TE MÉPRENDS PAS nos intelligences.
Et une réparation... En 2015, un an après « l’événement », les jeunes ont souhaité revenir à la Foire du Livre Politique et ont proposé une conférence lors de laquelle ils ont expliqué le retour qu’ils avaient eu l’année précédente et les conséquences de cette accusation. Ils ont parlé des rencontres avec les intellectuels et du projet Urban Mouv’ en préparation, de leur envie d’écrire un recueil de textes de rap et de réflexions académiques sur des sujets qui les interpellent... Le jeune qui avait interprété le texte ayant posé question a alors proposé une réponse en chanson Je ne suis pas une Kaïra! 12
JE NE SUIS PAS UNE KAÏRA, MAIS TE MÉPRENDS PAS, JE NE SUIS PAS UNE KAÏRA, POUR QUELQUES POILS SOUS LE MENTON, JE PASSE POUR UN TERRORISTE, T’INSULTES MA RELIGION EN M’INSULTANT D’ISLAMISTE, JE NE SUIS PAS POUR LA GUERRE, JE NE SUIS QU’UN PACIFISTE, NE ME TRAITE PAS DE VOLEUR NI MÊME D’ANARCHISTE, JE SUIS JUSTE MOI AVEC MES DÉFAUTS ET QUALITÉS, JE SUIS JUSTE MOI AVEC MON ISLAM QUE JE VEUX PARTAGER, JE NE SUIS PAS DU GENRE À ME LAMENTER, NI DU GENRE À PLEURER MA DIFFÉRENCE, MAIS S’IL TE PLAÎT NE TE VOILE PAS LA FACE JE NE SUIS PAS UNE KAÏRA […] 13 ».
Le rap cherche souvent à s’opposer au discours dominant... Il semble que les jeunes aient eu besoin de réagir et de montrer, de prouver, d’affirmer leur refus d’être amalgamés. Sontils et sont-elles devenu(e) s les porte-paroles des inégalités vécues dans les banlieues?
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« Seuls les poissons morts nagent dans le sens du courant 14 ». Il est question dans cet article d’une réflexion sur une situation, sur une action qui se déroule... Il s’agit d’un questionnement sur d’autres formes d’intelligence que pourraient amener les petites histoires des gens qui en principe, ne sont pas des philosophes, des sociologues, des spécialistes de la pensée.
Il s’agit aussi de porter une attention particulière à l’ordinaire, à cette petite histoire pour certains, à cette grande aventure pour d’autres, qui se joue avec des gens ordinaires. Les jeunes de nos quartiers ont peu l’occasion de fréquenter cet autre monde. C’est à cette expérience que nous avons participé, à ce constat de la violence symbolique que nous pouvions ressentir... Peut-être aurons-nous contribué à « faire naître en eux une attitude de classe, critique devant le constat des inégalités? 15 ». Peut-être aurons-nous permis la rencontre de deux « entre soi » et un passage de « l’entre soi » à « l’entre nous ». Aujourd’hui, nous avons la chance d’avoir élargi notre réseau et de multiplier nos partenariats avec une série d’institutions et d’associations que nous avions peu l’habitude de côtoyer. La MJ, les travailleurs et les jeunes semblent s’ouvrir et continuer à découvrir ensemble. Nous continuons à alimenter l’écriture de notre livre, recueil partagé entre expression artistique et textes académiques comme critique sociale. Nous ressentons une envie grandissante de continuer à amener le rap, la banlieue, les « précaires » comme ils s’appellent parfois là où on ne les attend pas, là où on ne les entend pas, et d’être troublés et peut-être troubler l’autre. Cet article essaye d’aborder l’émancipation. Entre nos déterminismes et notre capacité à agir à travers la confrontation à un autre monde, une autre classe sociale, nous aurons 18
découvert sur d’autres, sur nous... Et sur notre capacité critique à lutter pour un monde plus juste. Les sociologues ont-ils encore les moyens de donner des armes aux plus pauvres pour se battre dignement, à égalité, en passant par la justification et le combat d’idées? Comment les classes sociales les moins favorisées peuvent-elles se réapproprier les savoirs produits sur elles pour pouvoir comprendre et agir en conscience? Cette aventure nous aura sans doute permis de passer, humblement et petitement, d’une culture de reproduction sociale à une culture de transformation sociale en mettant l’art au service du social et non en proposant de l’art pour de l’art, au service du divertissement. Il nous semble aujourd’hui essentiel de continuer à rattacher la culture aux réalités sociales pour dénoncer les rapports de domination, en impliquant jeunes, intellectuels et animateurs dans une relation favorisant la co-construction des savoirs et des représentations. Notre travail commun est d’analyser les tensions, les injustices en conservant leur caractère d’incertitude et ensuite de laisser se dévoiler l’inventivité, la créativité des jeunes pour critiquer et se justifier. Nous essayons de passer d’une injustice ressentie sur le plan local et personnel à une cause collective. La solidarité entre les jeunes les amène rapidement à se constituer en groupe et à se réapproprier l’injustice faite au(x) pair(s) pour ensuite, ensemble, rétablir la justice, analyser le conflit nécessaire au dialogue, à la rencontre. La conséquence positive de ce besoin de justice a été de rassembler des êtres qui étaient jusque-là
séparés par des frontières les isolant les uns des autres. Ces liens peu probables, inédits, semblent enrichir les jeunes, l’équipe et les intellectuels. Plus le temps passe, plus les rencontres s’accumulent, plus nous sentons les jeunes redevenir eux, troquer leur tenue du dimanche contre leur tenue quotidienne, troquer leur timidité contre une parole publique affirmée… Plus le temps passe, plus ils assument les codes de leur classe et la représentent dans l’autre monde... Pas question « d’être un traître », « on les accepte comme ils sont, qu’ils en fassent de même ». Plus le temps passe, plus je me rends compte que j’ai encore du chemin à faire vers ma propre émancipation...
QUI A ÉMANCIPÉ QUI ET COMMENT? Le chemin parcouru nous aura permis d’aborder la complexité de l’émancipation, tiraillés entre contraintes sociales et actions. Il nous aura permis de faire le point sur les fragilités qui nous traversent, qui nous enferment et en même temps nous permettent de nous libérer.
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Proverbe chinois
Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, La violence des riches, chronique d’une immense casse sociale, éd la découverte, Paris, 2014, p.179. 15
Nous aurons parcouru un chemin où l’émancipation individuelle et collective se profile sans nier le poids des contraintes sociales. Nous aurons constaté les traces gravées dans nos corps et nos êtres sociaux en gardant les yeux rivés vers l’espoir d’un monde plus juste, une utopie. Avec comme point de départ la colère, nous aurons traversé la peur de l’autre, dépassé notre timidité et notre anxiété, découvert la reconnaissance, la confiance en soi et l’estime de soi pour approcher l’émancipation, la nôtre, chacun à notre niveau, chacun sur son chemin, le regard libre de se poser sur ce qui nous interpelle le plus. C’est à partir de notre expérience, de nos besoins que nous aurons acquis des savoirs utiles entre étouffés par notre position et transformés par les rencontres. Merci aux jeunes et à l’équipe d’alimenter la réflexion, de s’engager et de permettre à cette aventure de laisser une trace dans nos mémoires!
URBAN MOUV’ « ILS NE SAVAIENT PAS QUE C’ÉTAIT IMPOSSIBLE ALORS ILS L’ONT FAIT ». – Mark Twain
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Décloisonner
p
difficile mais essentiel! difficile mais essentiel !
Conversation entre Marco Martiniello - docteur en sciences politiques et sociales et directeur du Cedem (Centre d’Études de l’Ethnicité et des Migrations) et Gaëlle Henrard – déléguée pour Les Territoires de la Mémoire. 1
Article paru dans la revue Aide-mémoire (publication trimestrielles des Territoires de la Mémoire) N°76, avril-mai-juin 2016. 1
GAËLLE HENRARD :
Quel est votre point de vue de sociologue sur cette collaboration et ce travail de décloisonnement entre deux mondes? MARCO MARTINIELLO : C’est clair qu’il y a un cloisonnement qui est là. Ce sont des mondes qui ne se connaissent pas, qui ne se parlent pas. Des jeunes de quartiers populaires, de différentes origines, des garçons, des filles, des personnes qui peuvent avoir des orientations sexuelles différentes, etc. Tous essaient de tenir la tête hors de l’eau et peut-être même plus, de donner un sens à leur vie dans une société qui ne leur facilite pas la tâche et ne leur offre rien. Je dirais que c’est plus qu’une perception
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parce que la situation est loin d’être florissante surtout dans certains quartiers. Et puis il y a ce qu’ils perçoivent de l’université. Je me suis rendu compte qu’en fait, ils ne savent pas ce que c’est. La première fois qu’ils sont venus, c’était la première fois qu’ils mettaient les pieds ici et pour eux, c’est une espèce de boîte noire avec des gens qui parlent bizarrement et qui n’ont pas nécessairement envie de les rencontrer, de les entendre et de les écouter. Ma démarche a toujours été de décloisonner tous ces mondes, en l’occurrence ici un monde jeune, populaire et un monde universitaire. Même si, bien sûr, d’autres décloisonnements sont possibles.
J’ai contacté ces jeunes parce que mes recherches portent sur l’importance des expressions artistiques dans la cohésion sociale, dans la politisation des publics : comment les pratiques artistiques peuvent donner un sens et des projets à des jeunes qui sont un peu en recherche de positionnement dans la société? Ce n’était pas directement lié à l’incident de la Foire du Livre politique, même si mon réflexe, quand on m’a rapporté cette interpellation, a été de me dire « il faut que je les rencontre ». Très clairement, je me suis tout de suite rendu compte que je ne rencontrais pas un groupe de jeunes radicaux mais des jeunes en questionnement, en interrogation profonde sur la société et sur leur place dans celle-ci. Et oui, dans cette perspective, des messages qui peuvent parfois sembler hors propos ou forts sont aussi une manière d’essayer de montrer aussi qu’on existe.
Notre rencontre est partie de là. Et ma position a été très claire : je suis un vieux mec qui a grandi dans les quartiers populaires et qui a connu des difficultés semblables à une autre époque; je suis arrivé à la fin des périodes glorieuses, donc moi quand j’ai grandi, c’était déjà la crise. En 1973, j’avais 13 ans. J’ai été socialisé dans un discours qui a toujours été le discours de crise. Mais en leur racontant tout ça, je ne voulais ni prendre la parole à leur place, ni leur faire croire que j’étais comme eux, parce que, il n’y a rien à faire, je suis dans une certaine catégorie d’âge, j’ai des responsabilités universitaires, donc je ne peux pas, moi, commencer à me mettre en training avec la casquette et dire « Yo! Yo! Je suis avec vous les potes! ». Ce n’est pas ça le but. Je pense toutefois qu’il est utile, possible, important d’avoir ce type de dialogue entre des personnes qui sont dans des « mondes » différents mais qui, quelque-part, sont tous pris dans les enjeux globaux de nos sociétés.
G.H. :
Ils se disent « sociologues de la rue » et estiment faire des constats similaires à ceux des sociologues mais par le biais artistique... MARCO MARTINIELLO : Et c’est ce biais qui m’intéresse particulièrement. Je crois que c’est vraiment un vecteur d’expression et de réflexion très important. On a d’ailleurs eu une expérience qui, pour moi, est vraiment très importante. À la fin de notre première rencontre, on voulait se revoir et continuer à discuter et l’accord avait été pris qu’ils lisent quelques-uns de mes articles, en échange de quoi ils m’avaient répondu : « Chiche! Vous êtes capable d’écrire un texte de rap? ». Certains d’entre eux pensaient peut-être que je ne le ferais pas mais je l’ai fait. C’était mauvais mais peu importe, l’objectif n’était pas là. Eux ont passé du temps à lire mes articles, ils ont fait des ateliers de lecture pour les lire et ils ont même fait un rap à partir de ce qu’ils pensaient pouvoir retenir de ces articles et moi, j’ai essayé d’entrer dans leur langage. Je trouve que ça, ce sont des expériences fortes. En tout cas, pour moi, c’était vraiment fort et j’avais la volonté de retourner vers eux. Je ne voulais pas faire un entretien et puis merci au revoir. C’est quelque chose qui, j’espère, va durer mais sans qu’il y ait un objectif précis. Bien sûr, cette expérience fera l’objet de publications scientifiques mais l’important est d’échanger, de discuter et de poser des enjeux ensemble et de voir comment on analyse une même réalité à partir de points de vue différents. Et ça, je crois que c’est important parce qu’il existe de moins en moins de tels espaces de discussion.
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G.H. :
D’autant que le discours de ces jeunes souffre d’un manque de légitimité d’analyse que l’on attribue plutôt au discours scientifique... MARCO MARTINIELLO : Et encore, la légitimité maintenant, elle est plus du côté des amuseurs, dans les talkshows etc. En Belgique francophone, celui qui fait l’opinion politique, c’est Pierre Kroll. Je n’ai rien contre Pierre Kroll en tant que personne mais je trouve qu’on fait trop peu appel aux intellectuels et, effectivement, encore moins aux gens qui vivent les choses. Par cette expérience, je renoue avec quelque chose que je n’ai, en réalité, jamais vraiment quitté. Pour moi, la patte de la sociologie, c’est le contraire de la tour d’ivoire. Je me suis toujours considéré comme un acteur parmi d’autres dans la société, avec un point de vue qui est ce qu’il est et qui doit être combiné avec d’autres points de vue. Je ne suis pas dans une démarche positiviste, qui dit « c’est comme ça ». En même temps, c’est vrai qu’on applique des méthodologies bien particulières. Mais je n’ai jamais perçu l’université comme une tour d’ivoire. Je viens d’une tradition de sociologie fortement imprégnée du terrain et je fais par ailleurs partie d’une génération de sociologues issus des classes populaires, issus de l’immigration et pour qui la sociologie était peut-être à l’époque ce qu’aujourd’hui le hip-hop est pour d’autres. Je dis donc à ces jeunes que je n’ai pas l’impression de ne pas les comprendre, mais je refuse en même de temps de me placer comme le sociologue qui va leur dire comment ils doivent faire. Maintenant quand ils me demandent mon avis, je leur donne. Je leur ai d’ailleurs dit que la journée qu’ils ont organisée le 2 avril est déjà un grand succès. Parce que bien sûr, le jour J ce sera l’apothéose mais le plus important c’est le processus. Il faut se rendre compte, ils ont mis vingt maisons de jeunes ensembles avec des moyens totalement dérisoires! Et moi, en tant que sociologue, je peux relayer ça dans d’autres mondes justement. Je considère d’ailleurs que ces jeunes sont en avance sur beaucoup de théoriciens du multiculturalisme puisque, eux, ils le vivent, ils l’expérimentent, ils sont dans une dynamique de projet, ils savent qu’il y a des parcours différents, des origines culturelles différentes. Ils ne sont pas cons, ils le savent bien. Mais c’est secondaire par rapport à ce qui compte, c’est-à-dire leur projet. Et ça, pour moi, c’est vraiment important de montrer qu’on n’est pas face à des voyous, des gens repliés sur eux-mêmes, violents, bref tous les clichés qui circulent. Tout cela est question de positionnement. Mais je crois qu’il faut inventer, dans l’interaction, des modalités de dialogue. Ils n’attendent pas que nous arrivions là et que nous nous exprimions avec leurs codes. Ce serait d’ailleurs complètement idiot, artificiel, déplacé et insultant même. Mais d’un autre côté, je ne suis pas gêné, si je ne comprends pas, de leur demander. Et j’attends qu’ils fassent la même chose avec moi.
G.H. :
Quelle est votre lecture de l’interpellation qui a lieu suite à leur représentation à la Foire du Livre politique de 2014? 22
G.H. :
Mais tenir ce discours-là, sur le religieux notamment, dans ce cadre-là, a permis de mettre le doigt sur une tension. Ce n’est pas rien.
Voir à ce sujet le billet de Marco Martiniello sur son blog : http:// blogs.ulg.ac.be/marcomartiniello/2016/01/13/ une-premiere-historiqueune-candidate-portantle-foulard-a-the-voicebelgique/, consulté à la date du 09/03/2016. 2
MARCO MARTINIELLO : Je crois que cela révèle une certaine tension dans la société où on a tendance à prendre les mots prononcés au premier degré, ce que beaucoup de gens semblent avoir fait dans ce cas-ci. Certains ont même parlé « d’appel au djihad ». Pour moi, cela révèle une tension, un inconfort dans la société par rapport à des thématiques qui sont extrêmement complexes. D’autant qu’il s’agit ici d’un groupe dans lequel il n’y a pas que des musulmans. On en a parlé, notamment avec celui qui avait dit ce texte : ils voulaient attirer l’attention sur des problèmes importants et je ne suis même pas sûr, mais il faudrait leur demander, qu’ils aient anticipé le type de réaction que cela pouvait susciter.
MARCO MARTINIELLO : Je suis d’accord avec vous, c’est positif de secouer un peu la baraque et de faire sortir tout le monde de sa zone de confort intellectuel et d’analyse. Moi-même, je le fais parfois, j’ai des discussions récurrentes à ce sujet avec certaines personnes qui ne laissent rien passer là-dessus et je trouve que c’est une conception de la laïcité qui est problématique. Personnellement, je me définis comme laïque mais on n’a pas tous la même compréhension. La dernière fois, c’était via Twitter. Pour une fois que je regarde ça... Je regardais The Voice et il y avait une candidate portant le foulard et ça a été tout de suite mal pris par certains. Personnellement, j’avais plutôt envie de dire : « ouf, pour une fois, on voit une personne voilée dans un autre contexte que la guerre, le terrorisme, etc. On voit quelqu’un qui chante 2 ». Ça m’a fait plaisir et je ne voulais pas dire autre chose que cela. C’est un message qui s’inscrit dans ma conception de la laïcité. Pour revenir aux jeunes, montrer qu’ils réfléchissent et porter ces questionnements là où on ne les attend pas, potentiellement, c’est porteur. Même s’il y a des moments conflictuels. Ces jeunes l’ont fait et ils ont eu un retour, c’est important. Cela ouvre des portes et un dialogue peut se développer. Je suis convaincu qu’on a besoin de cela : plutôt que de rester chacun dans notre coin en imaginant plein de choses et en nous renforçant dans nos convictions, réapprenons à nous disputer. Parfois, on s’aperçoit que les désaccords ne sont pas si profonds qu’on le pensait, ou qu’ils ne sont pas là où on le pensait. Et je fais ce travail avec d’autres rappeurs, ici mais aussi ailleurs. Décloisonner, je crois vraiment qu’il faut décloisonner. Et parfois, c’est difficile puisqu’on s’expose. Ce n’est pas nécessairement confortable. Maintenant, attention : objectivement, en ce qui me concerne, je n’ai pas de problème pour payer mes factures à la fin du mois. C’est la grande différence et c’est la réalité. Ce n’est pas un rapport de force entre nous et eux, ça révèle les inégalités présentes dans la société. Et ça nous dépasse largement.
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LE DJING
LE BREAKDANCE
Il consiste à passer des disques simultanément en les mélangeant, en les mixant et en les modifiant.
Un style de danse caractérisé par un aspect acrobatique et des figures au sol. Un danseur de breakdance est appelé breaker, breakdancer, Bboy ou b-boy (pour un homme), Bgirl ou b-girl (pour une femme).
LE RAP Courant musical qui découle de la culture hip-hop. Il associe les disciplines musicales MCing avec DJing ou beatmaking.
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hip hop n
LE GRAFFITI Recouvre différentes techniques graphiques. Le plus souvent, un graff est réalisé dans l’espace public avec des bombes aérosol. Le Tag est quant à lui l’art de la signature et de l’écriture de la culture hip-hop, la représentation des lettres et des mots en respectant certains codes.
- SE FAMILIARISER AVEC UNE CULTURE Par Nathalie Husquin
LE MCING Est un chant saccadé composé de paroles souvent très imagées, voire utilisant des figures poétiques en jouant sur la phonétique.
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LE HUMAN BEATBOX
LE BEATMAKING Composition musicale réalisée avec des machines et/ ou programmes sonores sur ordinateur. Constitue le fond sonore destiné à soutenir le flow du MC. Le beatmaking s’est progressivement imposé à la place du djing.
Plusieurs genres de musique se superposant créés en utilisant uniquement la voix, la gorge et le nez et joué sans fond musical.
Histoire Né dans le Bronx (un des 5 arrondissements de la ville de NewYork) dans les années 70, dans un contexte de ségrégation raciale et de misère socioéconomique, le hip-hop s’est développé parallèlement aux mouvements politiques de revendication des populations afro-américaines pour la reconnaissance de leurs droits civiques. Le Djing, le Mcing et le breakdance se développent alors dans des free party. Ces fêtes de rue permettent l’expression non violente des laissés-pour-compte du « rêve américain ». Cette culture de quartier s’organise pendant les années 70 jusqu’à devenir un mouvement culturel. Dès 1980, la sortie d’un premier album de rap sur une major permet une diffusion grand public qui touche des jeunes de cultures différentes.
Une culture, un mouvement, des valeurs L’ensemble de ces disciplines forme une culture urbaine qui fait référence à son contexte d’apparition. Le hip-hop entend donner une voix aux laissés-pour-compte du « rêve américain », les jeunes de ghettos qui ne voulaient plus s’exprimer par la violence mais bien par d’autres moyens plus à même de faire évoluer la société.
le racisme, contre la violence et la guerre, la dénonciation des abus de pouvoir, le rejet de l’exclusion sociale.
Dès le départ, le mouvement était porteur d’un message : « peace, love, unity and having fun ».1 Des valeurs qui découlent de ce message ont progressivement été portées par le mouvement hip-hop : le respect d’autrui, la lutte contre
Cette culture de rue est donc un mouvement qui vise à établir une unité des populations à l’aide de moyens tout simplement humains. En effet, le hip-hop est non seulement caractérisé par la solidarité mais aussi par la volonté d’absence de barrière sociale, religieuse ou raciale. Ces artistes de rue rêvent donc d’une société égalitaire.
1
Par leur engagement, les artistes hip-hop délivrent un message en vue de faire évoluer les mentalités. Ils utilisent l’art de la danse, du visuel ou de la parole pour s’échapper de leur quotidien et canaliser la violence présente en eux.
Paix, amour, unité et s’amuser
Fin des années 80, le hip-hop se répand d'abord sur le continent américain, puis vers l’Europe et le monde début des années 90. Cette diffusion touche en premier les grandes villes puis progressivement les petites villes et le monde rural.
Évolution — de la revendication à la commercialisation Le HIP-HOP reste tout de même un art parfois mal compris puisqu’il est souvent perçu comme un art pratiqué par des voyous. Dans certains cas, il est encore associé à du vandalisme. En effet, de nos jours, le graffiti reste un art illégal et
la diffusion de ses messages s’en voit donc limitée. De plus, la commercialisation de la danse et du rap a modifié certains messages originaux de ce mouvement pour laisser place à un modèle commercial. C’est donc avec regret qu’on
peut désormais observer des vidéos de rappeurs exhibant leur richesse et promouvant la violence, la drogue... On peut ainsi se demander si ces nouveaux artistes surmédiatisés connaissent vraiment les principes du mouvement hip-hop, dont les messages sont le strict opposé de ceux qu’ils diffusent. 25
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« DES MOTS POUR TA TÊTE, DU SON POUR TES PIEDS! » Par Valérie Hébrant & Benjamin Cambron
À l’origine du projet Urban Mouv’, il y a les jeunes de la MJ de Saint-Nicolas, parmi eux, les membres du groupe Ambiance Néfaste. Nous avons rencontré deux de ses membres, Ak-Flow et PROPHESY afin de mieux connaître leur parcours et leur univers.
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FMJ : Pouvez-vous vous présenter ainsi que l’ensemble des membres du groupe?
AK-FLOW : Nous sommes Ak-Flow et PROPHESY, membres du groupe Ambiance Néfaste. Nous sommes cinq à la base : il y a Tx.K qui est fondateur du groupe avec moi. Il y a cinq ans, il a écrit « AN » sur un banc : « Ambiance Néfaste ». Puis il m’a proposé de créer un groupe de rap du même nom. On écrivait déjà lui et moi depuis l’âge de douze ans. Le groupe Ambiance Néfaste est né. J’ai voulu l’écrire « AMBN » pour que ce ne soit pas trop long. Les autres membres sont Ky4420, troisième membre du groupe, PROPHESY est le quatrième et on a eu un cinquième membre, Beyt. C’est le chanteur « ambianceur » du groupe.
Néfaste n
Néfaste ...
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FMJ : Pouvez-vous nous expliquer un peu la signification de vos noms? AK-FLOW : Tx.K (Adil) était à la base Tirax Kérosène, puis Tirax Kurosawa en référence à un univers ninja japonais. Il a été loin dans la recherche des mots et dans l’imaginaire. Pour Ky4420, ce sont les initiales de son nom et de son prénom et le code postal de la commune de Saint-Nicolas. Et pour Beyt c’est juste la première partie de son prénom. PROPHESY : Mon vrai prénom c’est Mohammed Sy donc « Prophète Sy » puis « PROPHESY » pour faire le jeu de mots. AK-FLOW : AK-Flow, c’est en référence à la kalachnikov parce que dans le rap, j’ai toujours voulu toucher à tout, que ce soit des flow très rapides ou plus calmes et toucher toutes sortes de styles de rap. J’aime aussi jouer avec le mot par des personnages que je construis dans le rap. Le nom « Ambiance Néfaste », on peut le prendre de beaucoup de manières : sur le monde qui part un peu en vrille ou sur des petites choses, du racisme quotidien, une ambiance néfaste, une sale ambiance, à l’école, partout.
Jonathan Winthagen, auteur et interprète dans le groupe liégeois ATOMIC SPLIFF SOUNDSYSTEM.
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FMJ : Vous habitez tous le quartier? AK-FLOW : Non, j’habite au Longdoz, Tx.K à Grivegnée, Ky4420 et Beyt à Saint-Nicolas et PROPHESY habite au Thier-à-Liège. On s’est connus d’abord Adil et moi, quand on avait onze ans. J’ai énormément déménagé et changé d’école mais on s’est retrouvés ensemble en 5ème primaire et on est devenus frères, on ne s’est jamais quittés depuis.
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FMJ : Comment vous êtes-vous retrouvés à la MJ alors que vous habitez dans des quartiers différents ? Qu’est-ce que vous avez pu faire via la MJ ? AK-FLOW : C’est Ky4420 qui nous a dit de venir ici, qu’il y avait un studio. C’était l’opportunité de nous enregistrer, de savoir où on en était et d’apprendre. Quand on est arrivés, Jona1 était coordinateur et animait l’atelier rap. Je ne participais pas à l’atelier rap mais j’avais déjà pu entendre le potentiel, les capacités qu’il avait. Ça vendait du rêve. Il nous a poussés à fond. Il voyait qu’on avait les capacités. C’est le genre de musicien qui est proche de nous, qui nous fait avancer. Quand il est parti, ça a été dur, même pour la MJ, pour tout le monde.
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Après, j’ai amené le projet Urban Mouv’ pour rassembler deux mondes2; parce qu’on nous prend pour des débiles et que nous, on les prend pour des pètes-culs. Et l’équipe de la MJ nous a soutenus malgré le fait que la MJ ne traversait pas forcément une bonne passe.
Le monde du hip - hop et le monde de la sociologie.
Il y a eu cette rencontre et puis l’opportunité de faire un premier concert, le premier concert en groupe : Place Saint-Etienne en sound système. C’est la première fois que je rappais devant des gens avec un texte. C’est grâce à la MJ qu’on a eu des scènes, des opportunités. C’est ça qui est génial. Moi, je ne pourrais jamais assez remercier la MJ pour ça. On m’a donné une scène, c’était mon rêve.
Et donc voilà, on en est là. Je suis animateur de l’atelier écriture et de l’atelier rap à la MJ. Je suis vraiment content et je m’épanouis par rapport à ça. Maintenant, c’est clair et net qu’on voudrait avoir des scènes où c’est « Ambiance Néfaste » qui se produit et pas « des jeunes rappeurs de MJ ». À côté de ça, on n’oubliera jamais que c’est grâce à la MJ qu’on a pu faire tout ça et qu’elle a ouvert pas mal de portes.
FMJ : Et là, vous travaillez encore ici parfois ou vous allez chez l’un et l’autre?
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PROPHESY : C’est plus que la MJ. Je viens plus pour les gens que pour le studio. Parce qu’on n’enregistre plus vraiment ici. Quand Ben est là, quand Laurence est là, quand Vaness3 est là... On peut avoir des vraies discussions. Mais je pense que c’est partout comme ça, parce que ce n’est pas qu’un bâtiment, ce qui compte ce sont les gens dedans. On est venus au début pour le studio et on est restés là pour les gens.
L’équipe d’animation de la MJ.
AK-FLOW : On enregistrait ici, par rapport au matos. À chaque fois qu’on passe ici, on passe un bon moment.
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FMJ : Comment travaillez-vous en groupe? Quels sont vos processus de création? PROPHESY : Plutôt chacun de son côté. Si on a un projet ensemble, on a le thème mais chacun a sa manière de faire. Ak-Flow va passer 24h ou plus pour écrire un texte, moi je vais quasiment pas l’écrire. C’est comme ça qu’on a grandi. Ak-Flow écrit depuis qu’il est tout petit; moi depuis l’Afrique ça vient comme ça, tu chantes, t’as pas besoin d‘écrire. Je vais plus partir en freestyle, en improvisation sur un truc alors qu’Ak-Flow, quand il a trouvé son truc, il commence à écrire. AK-FLOW : J’ai fait autant de musiques seul qu’en groupe. Par exemple, le texte Gloussement hypocrite, je l’ai écrit lors d’une conférence de la Maison des Sciences de l’Homme sur la solidarité, la communauté... Le sujet ne me touchait pas trop, c’était plutôt l’ambiance générale de la salle. J’ai vu plusieurs personnes rigoler d’une blague faite par le conférencier qui n’était pas drôle. Il n’y avait rien de drôle. Les gens rigolaient-ils pour être polis? C’est là que j’ai trouvé l’expression « gloussement hypocrite » et je suis parti là-dessus : t’es limite obligé de glousser pour faire comme eux, pour te faire accepter alors que non, tu peux te donner toi-même ta place. Je suis parti dans un délire. J’aime bien écrire le texte pour qu’on se l’approprie : si je remplace tel mot, je me reconnais, ça devient ma vie. Moi c’est ce que j’aime bien faire quand j’écoute le rap, donc c’est ce que j’essaie de faire en écrivant : jouer sur les mots pour que ça parte dans tous les sens et que les gens l’interprètent de façons différentes. Un rien peut nous attirer, nous donner envie d’écrire. Il y a beaucoup de textes que j’ai écrit pendant des cours, des conférences où je m’embêtais... Puis il y a une phrase dans ma tête qui bouge et je pars sur un thème et ça, c’est pareil pour tous les membres du groupe. On s’est déjà assis ensemble à dire : voilà, on a un son, on part comme ça, on écrit quelques lignes puis on voit où l’autre part et chacun lâche ce qu’il a en tête sur le texte. Puis on rappe ensemble et la plupart du temps, c’est complètement cohérent. C’est le même thème mais avec tous les points de vue. Souvent, on se prend la tête jusqu’à 4h du matin sur un sujet. On se prend beaucoup la tête entre nous, on aime bien et ça développe l’argumentation.
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FMJ : Vous passez combien de temps ensemble? PROPHESY : On se voit énormément. Chaque fois qu’on a du temps libre, on est ensemble, à la MJ ou ailleurs. Moi je les ai connus sur le tard. Avec AkFlow, on ne s’était jamais vus avant de rapper pour la première fois ensemble. J’ai connu Ky4420 à l’école. Il était dans le groupe. Il m’a fait écouter un son, c’est là que j’ai entendu Ak-Flow et j’ai dit : « Je vais rapper avec le blanc » — (rires). Moi j’étais 100% freestyler parce que je rappais juste pour moi, pour personne d’autre et lui il m’a envoyé un texte que j’appelle un sermon, un truc qu’on aurait pu lire à l’église. Dès que j’ai lu son texte, je me suis dit qu’il fallait que je le rencontre et deux mois après, j’étais dans le groupe! Au début, on ne parlait que de rap parce qu’on aime ça et souvent, on ne s’entend pas parce qu’on a des inspirations complètement différentes. C’est pour ça qu’on débat souvent ensemble pendant des heures. Au départ, on ne parlait que musique mais maintenant, on peut parler ensemble des heures de nos problèmes personnels, de nos familles. Pour le moment, on se voit beaucoup. On n’a jamais aussi peu parlé musique ensemble depuis qu’on est dans le groupe : on partage, on est amis, on est frères. AK-FLOW : Il y a deux facettes au groupe Ambiance Néfaste. La première facette, c’est le groupe artistiquement parlant : il faut travailler et on gueule. Tout le monde donne du sien, mais on ne se rate pas. On préfère se critiquer entre nous plutôt que quelqu’un d’extérieur le fasse. C’est donc la facette artistique. À côté, il y a l’autre facette : on est frères, c’est la famille, c’est ça qui fait que quand tu te disputes avec ton frère, tu ne le rates pas. PROPHESY : On préfère être dégueulasses entre nous plutôt que d’autres soient dégueulasses dehors. « Je t’aime bien, donc c’est pour ça que je vais te mettre une droite ». Et ce n’est pas parce qu’on est amis, frères qu’on va éviter ça. Quand tu passes toute une nuit à travailler et que tu te reçois un « c’est nul » dans la gueule, t’es énervé, t’as envie de dire « c’est nul mais je m’en fous, c’est mon truc, je veux le faire comme ça ». Mais au bout de deux heures, tu changes ton truc. C’est dur à accepter parce que c’est souvent personnel, ta vision à toi, et quand tu ramènes ta vision à toi et qu’on te dit non, c’est dur.
© Maïté Brocha
« PLUS ON GRANDIT ET PLUS ON SE DIT QUE C'EST LE MOMENT DE DÉCIDER CE QU'ON VEUT FAIRE »
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Pour les autres membres du groupe, il y a aussi des rappeurs français Ky4420 ne jure que par Rohff et Médine — quelqu’un de très engagé; mais aussi Keny Arkana et Kamelancien. Pour Adil, c’est à peu près la même chose, mais il a élargi ses horizons.
FMJ :
Qu’est-ce qui est considéré comme nul?
On écoute aussi en dehors du rap : du reggae, de la soul. Moi, en ce moment, j’écoute les lives de Selah Sue. Je pense que c’est pas mal aussi d’écouter d’autres styles.
AK-FLOW : Ça dépend, Adil, par exemple, va très loin dans les textes. Parfois, il se perd sur les instrus. Donc, on va lui dire qu’on n’aime pas et on va discuter. Il faut accepter les critiques. C’est dur, c’est comme une maman qui vient d’accoucher et qui présente son enfant à qui on dit : « Il est moche! ». Pour moi, chaque nouveau texte, c’est le meilleur et donc, à chaque fois, on se prend la tête et on ne se rate pas. Mais quand quelqu’un ramène une bombe, on lui montre aussi qu'on veut tous monter sur le son...
PROPHESY : Contrairement à Ak-Flow, j’ai vraiment commencé à écouter le rap quand je suis arrivé ici, il y a huit ans. J’avais déjà rappé avant, quand j’allais chez ma grand-mère, mon oncle écrivait des textes, il disait : « Toi viens ici, tu parles bien le français » — et les touristes français écoutaient le gamin de huit ans qui rappait pour de l’argent et tout le monde était content. Moi, c’est comme ça que j’ai commencé.
FMJ :
Quelles sont vos références dans l’univers hip-hop? AK-FLOW : On a des goûts très différents. Je suis grand fan de hip - hop depuis tout petit. Ma maman écoutait du rap, j’étais bercé par ça, par le funk, cette espèce de groove. Il y a déjà beaucoup de messages rien que dans les sonorités. Après, il y a le rap, le chant. Les premiers artistes qui m’ont fait aimer la musique en général c’est le groupe Body Count, avec Ice-T. C’est du métal, du rap-métal à la base, mais ce sont les pionniers du rap américain. D’autres artistes qui m’ont donné envie de rapper sont DMX — un rappeur newyorkais qui dénonce beaucoup de choses avec un côté assez dur, 2Pac — poète engagé activiste qui dénonce pas mal et qu’il faut prendre le temps de lire et de traduire parce qu’en plus de l’ambiance musicale, il faut lire ses textes, puis il y a Biggie [The Notorious B.I.G.] et plus récemment, Eminem. On peut se douter que j’écoute Eminem parce que je suis blanc mais il faut reconnaître que ce gars-là a une manière d’écrire unique. En plus de Biggie, il y a d’autres rappeurs américains, il y en a énormément qui nous inspirent, surtout sur la musicalité, le flow, les nouvelles approches.
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En Afrique, le rap n’était pas vraiment dans mes styles musicaux. Il y avait beaucoup trop d’autres trucs : le reggae, les sons inspirés des tropiques, de musique africaine et tout ça. J’ai grandi dans ça, donc mes influences musicales sont très larges : ça part du rappeur le plus hardcore à Céline Dion — quand il est 3h du matin et que tu veux dormir, Pour que tu m’aimes encore, c’est magnifique. Quand je suis arrivé ici et que j’ai vraiment commencé à écouter du rap, le premier album que j’ai écouté en entier c’était Lil Wayne avec Tha Carter 3. Dans ma liste il y a aussi des MC classiques que tout le monde doit écouter. Pour pouvoir parler de rap avec quelqu’un, au minimum tu dois connaître 2Pac — il y a beaucoup trop de noms à citer mais au minimum : Biggie, Eminem et un peu plus loin RUN DMC, Body Count,... Nous, on s’inspire aussi les uns des autres. L’un de nous va ramener un truc et ça va nous pousser à essayer des choses. C’est une sorte de compétition fraternelle : « C’est moi le meilleur rappeur, non c’est moi... » — même si à la fin de la journée, on est tous d’accord que c’est moi — (rires). En termes d’inspiration, c’est vraiment très large. AK-FLOW : Ce qu’on n’a pas dit, c’est qu’il y a aussi Gainsbourg, Aznavour... PROPHESY : Quand j’ai eu mon diplôme de rhéto, mon prof de français m’a offert une pile de CD's de Gainsbourg, Brassens,... et on écoute encore le CD de Brassens dans la voiture aujourd’hui. Puis Atomic Spliff aussi, on soutient — (rires).
FMJ :
Quelle est votre définition du style d’Ambiance Néfaste? AK-FLOW : C’est plutôt les gens qui définissent un style. On est surpris du public qu’on attire, il y a plus d’adultes dans la vingtaine que de jeunes ados. On se retrouve avec des gens qui disent : « D’habitude, je n’aime pas le rap, mais vous... ». Après, on a trop de styles dans le rap pour se confiner à un truc. Parce que le rap, déjà, c’est vaste. On dénonce pas mal de choses tout en ne voulant pas être catégorisés de rap hardcore, rap engagé,... On a notre style, on ne veut pas qu’on nous mette dans des cases.
FMJ :
Vous vous défendez de faire du rap engagé, pourquoi? PROPHESY : Quand on dit qu’on n’est pas engagés, ça ne veut pas forcément dire qu’on ne l’est pas mais on n’est pas que ça. Ne nous enfermez pas dans une case. C’est vrai qu’au début, parce qu’on émane d’une MJ, la plupart des gens nous ont classés. Mais plus on grandit et plus on se dit que c’est le moment de décider ce qu’on veut faire. Soit on est des rappeurs qui vont parler de politique tout le temps, soit on va faire comme tout le monde pour choisir la facilité et pour passer à la radio, soit on va juste essayer d’être vrais. Je ne vais pas me forcer à parler de politique pour qu’on pense que je suis intelligent. Et je ne vais pas non plus parler de bagarre et de guns pour qu’on pense que je suis un dur.
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FMJ :
Comment cherchez-vous de nouvelles choses, de nouveaux sons? Par internet?
© Maïté Brocha
AK-FLOW : Par internet, par PROPHESY qui a une vaste connaissance de la musique en général, et via d’autres personnes qui aiment la musique et qui écoutent d’autres styles. C’est super important de discuter avec d’autres artistes qui écoutent d’autres styles de musique. Dernièrement, j’ai parlé avec un métalleu, on a échangé, c’est enrichissant. Dans le rap, ça fait partie des bases d’aller vers d’autres choses.
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FMJ :
Au quotidien, tu écoutes de nouvelles choses? PROPHESY : Oui, c’est limite obsessionnel. Quand je suis arrivé ici il y a huit ans, c’était en mai. Je ne pouvais pas rester à l’école parce que c’était la fin de l’année et je ne connaissais personne. Donc, de mai à septembre, je suis resté seul à la maison avec mon ordinateur et j’ai passé mes journées à regarder des trucs. Tu commences sur un truc africain et tu passes par un autre. La musique, c’est devenu un moyen pour moi de me calmer, peu importe la pagaille. Quand je vais me coucher, je vais sur Youtube et je tape Blue Grass, Country,... de la vieille country des années 30. Si tu te réveilles le matin et que tu as un air dans la tête, que tu cherches la chanson, ça y est! Ça t’énerve même, comme quand tu perds un truc. Ça m’a permis d’aller chercher dans plein de styles différents. Je suis fan de musique avant d’être fan de rap. FMJ :
Tu ramènes ça aux autres membres du groupe? PROPHESY : Oui, des fois, ça les fait tripper, ou pas. Derrière, c’est la voix qui m’intéresse. Pour le moment, un truc qui m’obsède beaucoup, c’est le Yodel.4 C’est magnifique, c’est une vraie technique vocale. Dès que j’entends un son, je le télécharge sur mon ordinateur, sur mon téléphone. C’est un kiff que j’ai, d’aller vraiment chercher dans des styles différents. AK-FLOW : Quand tu sais qu’à la base Eminem s’est inspiré de country...
FMJ :
Dans quoi ne vous reconnaissez-vous pas du tout? AK-FLOW : C’est un goût personnel, ce qui se passe actuellement dans le rap. Il y a un côté du rap qui est devenu populaire. Quelqu’un est venu avec une manière de faire et les rappeurs ont pris cette manière de faire et la gardent. C’est ça, c’est la même manière de faire. Tu te retrouves à zapper cinq sons d’affilée et c’est la même base, c’est la même chose. Tu entends « drogue », « salope », « bedo »,... Au bout d’un moment, t’es obligé d’aller plus loin pour dire là, c’est bien... Ce qui passe à la radio et même sur Youtube, je n’aime pas. Je « n’avance pas avec mon temps ». Je n’aime pas ces paroles très lentes, où le mec met trois minutes pour faire une phrase. Quand ce n’est pas très recherché, qu’il n’y a pas de punchline. Nous, on se prend la tête. Parfois, je commence à écrire un texte, il est trois, quatre heures du matin — parce que je me réveille en plein milieu de la nuit — et je finis le lendemain à vingt-trois heures. Mais je n’ai pas fini, le lendemain il faut retaper. Mais c’est ma passion, j’adore écrire et aller le plus loin possible. Pour moi, le rap, c’est peut-être la seule chose que je fais bien. Et c’est pour ça que je pousse à fond. Je veux être authentique. Je trouve qu’en ce moment, le rap ne l’est pas. 4 Yodel : technique de chant consistant à passer rapidement de la voix de poitrine à la voix de texte (Youtse en suisse)
POUR MOI, LE RAP, C’EST PEUTÊTRE LA SEULE CHOSE QUE JE FAIS BIEN. ET C’EST POUR ÇA QUE JE POUSSE À FOND.
PROPHESY : Maintenant, c’est automatique, s’il y a un mauvais truc qui se passe dans la musique, spécifiquement dans le rap, aux ÉtatsUnis, cela va arriver ici. Et ça nous impacte parce qu’on s’inspire musicalement de tout ça. Mais moi, j’ai un problème avec le manque de diversité. De tous temps, dans tous les styles de musique, il y a eu des bons, il y a eu des mauvais. Mais que ce soit ceux qui ne parlent que de drogue et de putes, ou ceux qui ne parlent que de politique tout le temps, j’ai le même problème avec les deux. Moi, je parle de tout. Quand j’écoute la radio, j’ai envie que ce soit le reflet de la société, pas d’une partie. Surtout ne pas choisir la facilité. Il y a une époque où quand t’écoutais un rappeur, tu pouvais interpréter la même phrase de trois manières différentes, il y avait quelque chose dans l’écriture qui faisait que tu étais content de toi quand tu avais compris quelque chose. Mais maintenant, quand tu écoutes la radio, tu écoutes le même son, le mec il dit « sexe », tu zappes. T’arrives sur une autre chanson, il dit « sexe », tu zappes. C’est la même musique, c’est la même rythmique et c’est ce qu’on essaye de ne pas faire.
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" GLOUSSEMENT HYPOCRITE " AK FLOW REFRAIN :
C’EN EST TROP, ON KICKE DU SALE, SANS EFFORT, SANS LES MOTS, LANGAGE DE SIGNES PAR DÉFAUT, QUE DES FAUX, ILS NOUS ATTIRENT, PAR NOS TORDS SENS MES CROCS SUR TON CORPS AUCUN REMORDS 36
JE ME SENS CITOYEN EN MARGE DE LA SOCIÉTÉ,
[ REFRAIN ]
SACHE QU’ICI TU N’ES RIEN, POUR EUX T’ES QU’UN BOULET AUX PIEDS
JE PEINE À CROIRE QUE L’PURGATOIRE, POUR L’PURE BAVARD, NE S’RA TROP TARD,
QUI N’EST QUE TRAÎNÉ, EN TRAINING ENTRAÎNÉ ENTRÉE DIGNE D’UNE TRAÎNÉE, TRAITÉE D’UN SEUL TRAIT ENTRETIEN ENTRE FRÈRES, ENTRE DEUX GRAMMES DE VERTE ENTRE DEUX LARMES, JE PERCE, L’ANTRE DE L’ÂME EN PERTE PRISONNIER DE LEURS JUGEMENTS, QU’ILS ME CARACTÉRISENT, ÉTIQUETÉ DEPUIS L’ENFANCE, DONC MON ACIER SE BRISE MENTAL EN INOX, ILS ME DEMANDENT COMMENT FAIRE ILS ME DEMANDENT DE ME TAIRE, M’FONT PASSER POUR UN TOX, ILS INCULQUENT QU’ON EST INCULTE, CE QUI INCLUT, QU’LA HAINE S’ACCULE TES LACUNES, TON MANQUE DE THUNES FAUT QU’T’ASSUMES TON INFORTUNE DES RIMES DANS TOUS LES SENS EN PLUS DE RAJOUTER D’L’ESSENCE JE VEUX MONTRER MON AISANCE AK-FLOWMATIC DE NAISSANCE ON VEUT DU CHANGEMENT MAIS PERSONNE N’PASSE À L’ACTE, DONC POUR MON ENGAGEMENT, J’PASSE POUR LA TÊTE DE L’ART « J’ÉCRIS LE DRAME, DE MA VIE SUR UNE LISTE, ACTIVISTE QUI S’ATTRISTE DE LA CRISE ÉCONOMIQUE » J’TE BRISE LE CRÂNE, CAR MES RIMES SATIRIQUES, DÉNONCENT LA TYRANNIE, CELLE D’UNE PSEUDO PYRAMIDE LES MULTINATIONALES NOUS POUSSENT AU CAPITALISME, NOUS POUSSENT AU CANNIBALISME, ÇA SE BOUFFE ENTRE SEMBLABLES CA S’ÉTOUFFE ENTRE GENS SALES, C’EST LA PUISSANCE DU POUVOIR, LA PLUIE D’SCIENCE EN OUVRAGE C’EST SEULEMENT POUR LES BOURGEOIS
JE CRÈVE LA DALLE, DONC J’GARDE MES BALLES QUELQUES RAFALES SANS ÉTAT D’ÂME GLOUSSEMENT D’INTÉGRATION FOND SONORE D’HYPOCRISIE TU TE MENS À TOI MÊME TU T’AGENOUILLES POUR LEUR PLAISIR LA BOUCHE GRANDE OUVERTE, T’ASSIMILES LEURS GRANDES THÈSES, PROLÉTAIRE N’VEUT PLUS L’ÊTRE, SORTS DES QUARTIERS POPULAIRES LES NICHES POUR LES PAUVRES, ON SAIT QUE RICHES SONT EN CAUSE, LES DIRIGEANTS NOUS IMPOSENT, LA PRÉCARITÉ EST EN HAUSSE, UN DROGUÉ ET SA DOSE, SES PHRASES VOUS INTERPELLENT RÉFLEXION DANS UN BOSE, C’QUI VOUS REND L’APPAREIL TEXTE ÉCRIT DANS UN DÉBAT ME POUSSE AU QUESTIONNEMENT, CE QUI EST DIT PAR CES GENS-LÀ ME POUSSE À L’ÉTONNEMENT MASTURBATION COLLECTIVE, QU’ILS S’ÉCOUTENT PARLER USURPATION COGNITIVE POUR MIEUX MANIPULER
CHUT JE N’AI PAS FINI LE VENIN DU VÉNÈRE DANS LES VEINES EST VENU DANS L’PYGARD SOUS MA PLUME, SENS MON ENCRE VENIMEUSE, PARCOURANT DANS LA BRUME PAR UNE VOIE ÉPINEUSE, TENACE, SOUS MON MASQUE, L’AIR VÉRACE DANS MES PHRASES, LES MENACENT N’ONT PAS D’PLACE, QUAND L’IMPASSE EST NÉFASTE SUBTILEMENT DÉGUEULASSE FURTIVEMENT TIRE DANS L’AXE, DÉCHAINEMENT SUR LA FOULE, J’GRAVE MES MOTS SOUS L’THORAX J’METS LES POINTS SUR LES « I » PENDANT QU’MES RIMES FONT LE POINT, J’TAFFE LE JOUR ET LA NUIT POUR QUE MES MOTS AIENT DU POIDS J’METS LA VIE DANS UN COIN J’PRENDS LES CHOSES INTÉRESSANTES, J’PENSE PAS AUX CONSÉQUENCES, CERTAINS M’OUVRENT LE CHEMIN PORTE-PAROLE D’UNE JEUNESSE, VIENDRA PAS D’MON CRAYON, CA NE VIENT QUE DE MOI J’DÉVOILE MON OPINION... J’AI LA HARGNE DANS L’CAISSON, J’CACHE UNE LAME DANS MES SONS, JE DÉCOUPE MA RAISON D’UNE TRANCHANTE VIBRATION... [ REFRAIN ]
VOUS N’ÊTES QUE DU PARAÎTRE ENFERMÉS DANS UN RÔLE PUIS TRIÉS DANS DES CASES QUI GLOUSSENT SI C’EST VULGAIRE
KY TE LA DIT, APPUIES SUR REPEAT C’EST UN TSUNAMI, AK-FLOWMATIC
C’EST QU’UNE BANDE D’HYPOCRITES SOUS DISCOURS POLITIQUES, CONTRE MON RAP PROLIFIQUE QUI VOUS CRÈVE L’ORIFICE
HEY CE SOIR J’SUIS PAS BIEN S’IL TE PLAIT NE VIENS PAS M’PARLER ÇA NE SERVIRAIT À RIEN
PERSONNE NE M’COMPREND UN JEUNE QUI CHERCHE SA PLACE, D’UNE PERSONNE ENCOMBRANTE QUI RESSORT DE LA CRASSE ON EST JUSTE UNE RACE PARMI CELLES DES ANIMAUX DIVISÉ DANS LEUR ESPACE, UN NOM EST UN NUMÉRO
HEY NAN CE SOIR J’SUIS PAS BIEN, J’ME SUIS MENTI TOUTE LA JOURNÉE, DEVANT LES MIENS JE N’RESSENS RIEN
[ REFRAIN ]
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Après quelques 35 années de vitalité créative dans notre pays, la culture hip - hop confirme son importance dans le paysage culturel, sa maturité... et une nouvelle jeunesse. Tentons sommairement de cerner une évolution pour le moins spectaculaire pour ce courant qui aura marqué plusieurs générations de « jeunes », non sans nous poser quelques questions importantes sur l’actualité.
Par Alain Lapiower – directeur de Lezarts Urbains ASBL
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Au hip-hop des origines… Majoritairement éclos dans les milieux populaires et les quartiers de relégation de nos grandes villes dans les années 80, le hip-hop fut porté pendant près de vingt ans principalement par une jeunesse déracinée, issue de l’immigration. À travers l’expression artistique, il permettait non seulement de retrouver une forme de dignité et de sens face à de criantes inégalités, mais aussi de matérialiser une révolte adolescente bien légitime.
Il mobilisait par ailleurs un nombre moins important mais significatif de jeunes des classes moyennes, motivés par une forme d’engagement, attirés par cette course échevelée dans un courant provocateur et novateur, qui allait bousculer les normes. Les uns et les autres se sont investis corps et âme, dans ce qui devint rapidement non seulement un courant culturel majeur au sein de la jeunesse occidentale, mais aussi un mouvement d’aktivistes, sur la brèche jours et nuits, poussés par une puissance créative et iconoclaste. Mobilisés au nom op mind anti -r aciste, d’un hip -h Cinquième, car les quatre preanti -d rogues, anti -s ystème, mières qu’étaient le rap — la anti -v iolence (peace & love); ils — le DJaying — le graffiti danse défendaient une vision fédératrice désignaient ce corpus unique (unity ) et festive (having fun ), se et transversal, petite révolution sentant investis d’une mission forculturelle en gestation, probablemative et conscientisante sous ce ment comparable en importance concept désigné par l’appellation à ce qu’avait apporté la culture de « 5ème discipline ». rock à une autre époque. Le hip-hop dessinait clairement une nouvelle esthétique, une nouvelle façon d’être, qui plus est dans un environnement hostile à la culture et hostile tout court : sans moyens, dans la rue et sur les murs, sans formation nécessaire aucune, dans une énergie incroyable et nouvelle.
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Interculturelle par essence, profondément émancipatrice, attachée à des valeurs d’authenticité et de socialisation, cette culture ne pouvait qu’attirer l’attention et la sympathie du réseau associatif, motivé par l’éducation permanente ou par un travail avec des ados. Ce fut le cas notamment des maisons de jeunes, qui furent rapidement à l’écoute, servant de premier accueil de cristallisation pour ce mouvement. On se souvient par exemple, du rôle de la MJ du Thier à Liège pour un groupe comme le futur Starflam.
Mais les hip-hoppers aspiraient à bien plus que des stages durant les vacances et un soutien qu’ils jugeaient trop rudimentaire pour des aspirants aux « grandes scènes » et aux grands studios professionnels. Ce fut le premier coinçage d’un énorme « malentendu » — au sens premier du terme — qui dura des années. Que ce soit sur la danse, la musique, l’écriture ou les graffitis, le « Circuit Culturel » (en ce compris les pouvoirs publics! ) se révéla fermé, méprisant même, au mieux condescendant, face à ces nouveaux artistes en casquettes et baskets dont il avait souvent peur et face à qui il ne manifestait, sauf rares exceptions, aucune curiosité. Une situation qui cantonna le hip-hop dans un underground ou dans un artisanat qui allait le marquer, l’obligeant à bricoler ou — pour les danseurs par exemple — à se produire en rue, et répéter dans les halls de gare ou les galeries commerçantes.
Starflam - live Pure FM
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Une évolution spectaculaire Entretemps, une nouvelle génération se levait, tant sur les scènes qu’en coulisses, sur les mixtapes, les CD’s ou les murs graffés. Beaucoup plus dure, moins idéaliste, plus « consciente » (à l’image de l’évolution du monde) et socialement déjà plus diversifiée. De cette période date la sympathie affichée de nombreux rappeurs pour les taulards et la délinquance. Pour les uns, au nom d’une sorte de complicité de classe, pour les autres par désir d’opposition. D’autres se sont mis à pratiquer l’ironie ou l’écriture décalée, une autre forme de lucidité par rapport au « système ». Plusieurs maisons de jeunes, ainsi qu’un collectif comme « Same Same » à Bruxelles, furent des creusets pour cette nouvelle émergence, dévoilant de futurs noms emblématiques comme Trésor, Opak, Convok ou James Deano... Mais de façon générale, c’est toujours la grande frustration qui domine et le manque de moyens pour se développer ou simplement exister. Seul le graffiti en a — forcément — profité. C’est l’âge d’or, avec plusieurs dizaines de crews très forts, répartis sur l’ensemble du territoire belge, tant sur les voies de chemin de fer ou de métro que dans les jams organisées et désormais les premières expositions.
De nouvelles disciplines apparaissent, comme le slam, la danse dite debout, qui se sépare de celle « au sol » en organisant ses propres battles, ou le dit street art qui va brouiller les pistes sur les murs. C’est donc le moment où se confirme l’appellation peut-être malhabile mais probablement plus exacte de « cultures urbaines », pour désigner un courant de plus en plus éclectique, de plus en plus large et de plus en plus composite.
Autour de l’an 2000, on assista à l’émergence d’une première génération de collectifs artistiques et / ou d’organisateurs, suffisamment structurés pour monter les premiers évènements autonomes importants frappés du sceau hiphop ou pour publier les premiers albums autoproduits, et s’impliquer dans les premières créations de danse à ambition professionnelle. Souterrain, Zulu Nation et 9mm à Bruxelles, Starflam à Liège, NBS à Namur et d’autres, allaient constituer les premiers noyaux qui finiraient par arracher, quelques années plus tard, une forme de reconnaissance et un début de soutien de la part des pouvoirs publics.
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Le grand basculement date, en Belgique, de l’année 2008, au cours de laquelle, le Ministère de Fadila Laanan propose, après avoir rencontré l’ensemble du « secteur » culturel, le subventionnement de plusieurs collectifs, ainsi qu’une convention conséquente pour une association comme Lezarts Urbains, chargée de structurer et faire murir le jeune courant « urbain ». Une série d’artistes et de groupes se sont hissés vers un réel professionnalisme, atteignant même un certain succès médiatique, tandis qu’une nouvelle génération inondait les murs... et désormais internet. Une toute autre configuration se déploie dès lors pour le hip-hop et ces « cultures urbaines »...
Où en est-on aujourd’hui ?
ALORS QU’UNE FORME D’ÉTAT DE GRÂCE S’EST ESTOMPÉE; ALORS QUE DE NOMBREUX ANCIENS ACTIVISTES SE SONT RETIRÉS PAR LASSITUDE OU POUR FONDER UNE FAMILLE; ALORS QUE LE HIP-HOP, DE « MOUVEMENT » S’EST TRANSFORMÉ EN « COURANT », TRÈS LARGE MAIS BEAUCOUP PLUS DIFFUS; ALORS QUE LA NOTORIÉTÉ S’ACQUIERT PLUS PAR LE NOMBRE DE VUES SUR LE NET QUE PAR LA « PATATE » SUR SCÈNE; IL EST UTILE DE REPRÉCISER NOTRE SUJET ET LES NOUVEAUX ENJEUX QUI SE POSENT POUR CEUX QUI S’INTÉRESSENT À CETTE CULTURE, QUI EST LOIN D’AVOIR DIT SON DERNIER MOT.
UNE SÉRIE DE DONNÉES NOUVELLES SE PRÉSENTENT À NOUS : La reconnaissance d’une grande partie de ce qui est désormais considéré comme un secteur culturel — même si celui-ci reste un vrai parent pauvre par rapport à ce qu’il mériterait. Une réelle ouverture et une meilleure compréhension de la part des instances responsables, et parallèlement une maturation artistique et organisationnelle, permettent à présent aux artistes qui le souhaitent d’accéder plus facilement aux modes de production, de diffusion et de formation, ainsi qu’aux outils techniques nécessaires, au même titre que la plupart des autres sphères artistiques dans notre pays. C’est-àdire douloureusement, ne nous leurrons pas sur ce qu’est vraiment la vie artistique en Belgique.
Une réelle diversification sociale, géographique (jusqu’en milieu rural), et même générationnelle pour ce courant d’expression et ses publics, lui permet un droit de cité plus aisé même si ce dernier reste limité. Les écolages et les perfectionnements, tant pour la danse que pour la musique ou même pour les graffitis, ne se dispensent plus « dans la rue » mais dans des cours, des stages ou des résidences de « coachings », qui permettent à l’ensemble des artistes — amateurs ou confirmés — d’opérer un parcours effectif et intéressant qui, s’il ne débouchera pas nécessairement sur la « réussite », aura du sens tant pour eux que pour le public. Les arts urbains, toutes disciplines confondues et en particulier le rap, cartonnent dans les festivals et continuent à attirer énormément de jeunes, et ce dans presque toutes les couches de la société. 43
Une nouvelle fracture sociale ? Certes, on est bien loin de ce hip - hop né dans le ghetto et qui permettait d’en sortir. Il s’est battu pour cela. En revanche, il nous faut nous questionner à présent sur des réalités qui devraient selon nous interpeller tout intervenant culturel ou socio-culturel, ainsi que toute personne que les cultures urbaines intéressent.
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L’émergence massive d’un rap et d’un hip-hop de la classe moyenne, si elle n’a rien de problématique en soi, d’autant qu’elle est de qualité, nous pose malgré tout une question importante, dans la mesure où un constat préoccupant l’accompagne : les artistes issus des milieux populaires ont beaucoup plus de mal à se faire accepter et entendre, au point qu’on assiste à une véritable fracture sociale au sein du courant « urbain », ce qui était pour le moins inattendu. Les jeunes issus des milieux favorisés, disposent dès l’abord, non seulement d’un « carnet d’adresses », mais aussi de capacités littéraires terriblement séduisantes aux yeux des médias ou des opérateurs culturels.
La diversification a aussi eu pour effet d’éclater les disciplines en milieux et publics totalement séparés, tandis que parallèlement — surtout dans le rap — on assiste à des tendances communautaristes difficiles à contrer. Par exemple, le « rap de blancs », comme le nomment certains, est une entité qui se suffit à ellemême et a tendance à se comporter de façon dominante. Par ailleurs, en matière de contenus, une dérive s’est accentuée ces dernières années, qui a édulcoré une grande part du message véhiculé par cette culture. Alors que le rap, pour ne citer que lui, était un creuset privilégié pour exprimer des contenus sinon engagés, tout au moins « conscients », il a fait place souvent au jeu formel des punchlines, à la prédominance de l’egotrip ou à une grande amertume désenchantée. Ceci est d’autant plus préoccupant que les tendances actuelles qui séduisent les médias et glanent le succès tournent autour d’une imagerie pénible quasiment maffieuse, que l’argument du second degré ne dissipera pas dans notre esprit.
Enfin, et c’est la rançon de la reconnaissance, les disciplines hip - hop enseignées dans des cours et pratiquées dans des sphères de plus en plus élevées et protégées, ne sont-elles pas en train de perdre ce qui en faisait l’âme et l’intérêt? Au-delà de la nostalgie, nous nous trouvons à présent confrontés à ces questionnements et à des défis qui sont ceux posés par tout mouvement culturel, lorsqu’il a atteint une forme de reconnaissance, de maturité et de développement. Dans un large éventail de propositions, il s’agit de faire des choix sur ce qui nous semble important ou prioritaire à promouvoir, et sur la façon de valoriser la recherche du sens par rapport à des valeurs auxquelles nous tenons : comme la démocratie culturelle, la diversité, l’authenticité, l’émancipation, la transmission...
IL NE SUFFIT PLUS D’AIDER LE HIP - HOP POUR OUVRIR LE CHAMP DES POSSIBLES.
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Et les filles dans tout ça? Quelle est leur place da la culture hip-hop? Leur rôle se cantonne-t-il à de la figuration dénudée dans les clips des rappeurs bling bling? Comment les filles se débrouillent-el dans cet univers a priori très masculin? Que peut leur apporter le Hip Hop? Tentons d’explorer ces questions à travers deux expériences. Par Julie Reynaert
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UN PROJET CONSACRÉ À LA PLACE DES FILLES : Hip-hop au féminin Rencontre avec Laure Thouault, danseuse dans la compagnie L’danse et porteuse du projet.
D’où vient ce projet? Il vient de nos trajets de vie, de notre vécu. Personnellement, je suis entrée dans le hip-hop par la musique quand j’étais jeune. J’ai eu un déclic le jour où j’ai vu une fille danser au sol. C’était plus physique, plus masculin. Ça m’a attiré et j’ai cherché des cours. Il n’y en avait pas. J’ai donc appris dans la rue, dans le quartier Empalot à Toulouse, en pleine cité. Dès ce moment-là, j’ai ressenti les différences entre garçons et filles : toute la transmission passait par les hommes. Et puis, ça se marque de plus en plus dans les façons de danser. C’est évident, on n’a pas les même corps, la même anatomie, donc on bouge différemment. Ça se sent aussi plus dans les comportements et dans les façons de qualifier, dans les jugements qui sont marqués en fonction de notre genre. J’ai eu envie d’exprimer qui j’étais par la danse, et donc de m’exprimer en tant que femme. J’ai d’abord rencontré trois nanas et créé « Portrait de femmes ». Puis au fil de mes rencontres, un duo s’est mis en place, inspiré des travaux de Benoite Groult. Nous avons pu créer une chorégraphie autour du thème de la femme. C’était du locking, discipline plus burlesque dans laquelle je m’étais spécialisée. Puis, avec plusieurs amies, nous en sommes arrivées à monter ce spectacle qui aborde la place de la femme, une thématique qui, depuis près de vingt ans me tient vraiment à cœur.
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En quoi consiste le spectacle? C’est un spectacle en plusieurs tableaux qui balaie l’histoire en illustrant la place de la femme à chaque époque par des chorégraphies. À travers la danse et les textes lus, c’est toute l’évolution de la place de la femme dans la société ainsi que son inscription dans la culture hip-hop qui est abordée. Nous avons construit le spectacle avec Véronique Bordes, chercheuse en sciences de l’éducation. C’était une volonté de confronter le hip - hop à d’autres sphères, de l’intégrer dans un univers plus « sérieux », plus prestigieux. Le hip - hop a du caractère. Cette force-là doit pouvoir intégrer des débats, même dans d’autres milieux. Croiser notre univers avec celui de l’université, c’est une manière aussi de dépasser le côté stigmatisé du hip - hop et de travailler vers plus d’égalité.
C’EST AVEC DES PETITS PAS QU’ON ARRIVE À ÉVEILLER LES CONSCIENCES. Et pour nous, danseuses, ça libère. Ça permet d’exprimer nos trajectoires, y compris certaines violences vécues. Déjà quand j’étais jeune, le hip -h op m’a permis d’être plus à l’aise avec mon corps, notamment vis-à-vis des regards masculins parfois oppressants. Au début, c’était simplement grâce au style vestimentaire. Maintenant, c’est grâce à la liberté d’expression et à l’ouverture au monde que m’apporte la danse.
Il y a très peu de visibilité de la femme dans le hip -h op, même si ça commence vraiment à changer. Je pense que c’est lié à la mauvaise image du hip -h op combinée à une image de la femme relativement stéréotypée dans la société en général. Maintenant, comme dans toutes les cultures, il y a différents courants, différentes tendances. Évidemment, il y a le hip -h op bling bling, assez médiatisé où la femme est réduite à un objet sexuel qu’on exhibe. Mais à côté, il y a plein d’autres courants : le rap conscient qui aborde des faits sociaux, les MC 1, des trucs plus funky... Moi, c’est plutôt de ce côté que je me retrouve, où les femmes ont des choses à dire!
MC = Master of Ceremony
La pièce crée un espace pour discuter de la place des filles avec des jeunes, des jeunes filles, y compris dans les quartiers. Le hip - hop amène les choses par l’émotion, par le corps, par le vécu. Pas forcément par la parole, ça ouvre le débat. La danse nous donne des moyens d’expression qui suscitent des questionnements. C’est ça qui nous intéresse. Le fait de donner du sens tout en étant très poétique, grâce au mouvement. On le voit bien, les gens sont touchés. Certaines femmes ont partagé leur émotion à l’issue du spectacle, elles se livrent.
Quel regard sur la place des filles dans le hip - hop?
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Qu’est-ce que ce spectacle amène ou permet?
Et la suite? Nous travaillons encore à peaufiner notre pièce, par deux résidences d’ici le mois de mai. Puis nous voudrions tourner en France mais également à l’étranger. Nous avons par exemple beaucoup de contacts avec le Népal où la question de la femme se pose encore différemment. Plus d’infos sur www.ldanse.com
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Interview de Sismik l’Amazone LE TÉMOIGNAGE D’UNE JEUNE RAPPEUSE
Quel est ton parcours? Tout a commencé quand j’avais quatorze ou quinze ans, lors d’un atelier d’écriture organisé par le Théâtre de Namur et animé par Bienvenu et Sonar 2. Bienvenu m’a repérée, il a vu que j’avais du potentiel et il m’a pris sous son aile. Il m’a emmenée partout avec lui, à des évènements, des concerts... Ils m’ont fait monter sur scène, c’était génial. Ça m’a donné le goût et puis, j’avais des trucs à dire! Après, j’ai rencontré RISA et c’est avec lui que j’ai sorti un premier projet en physique — il n’y avait pas encore internet à l’époque! On a joué sur les mots « âme à zone » et « amazone ». J’ai fait pas mal de scènes, en Belgique (dont les Franco's avec Sonar...). Nous sommes même allés au Burkina Faso pour un projet d’album.
Qu’est-ce que le rap t’a apporté? Rigueur et discipline. Il en faut pour évoluer là-dedans. Pour être passée par là, je sais qu’on me respecte maintenant pour ma force de caractère et mon obstination. Gérer des scènes, ça te force aussi à être ultra concentré, organisé. J’ai beaucoup aimé aussi tout le côté préparation artistique, préparer les scènes, les sons... Et puis les textes. J’étais assez cash, radicale. Je proposais un regard critique sur le monde. Je disais ce que je percevais avec mes yeux, mon vécu. J’ai fait un texte sur la condition de la femme parce que ça me touche. Je trouve que nous vivons dans une société patriarcale qui impose des contraintes aux femmes sans même qu’elles s’en rendent compte, même ici en occident. 2 Après la découverte de la culture hip-hop à la fin des années 80, et l’achat de ses premières platines en 1989, Sonar devient en 1991 l’un des deux DJ’s officiels (avec Mig One) de la formation liégeoise H-Posse — « Fidèle au Vinyl », qui prendra plus tard le nom de « Malfrats Linguistiques » et enfin « Starflam ». En 1996, il lance son propre groupe avec Bienvenu, qu’il nomme tout simplement Bienvenu-N-Sonar.
Infos : www.facebook. com/sonar.narso
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Ensuite, tu as tout arrêté... Oui, j’ai stoppé d’un coup. Au bout d’un peu plus de dix ans, j’en avais marre. C’est beaucoup d’investissement humain, financier. Il faut toujours se justifier de qui on est, de pourquoi on rappe. Étant donné que je suis une femme blanche qui semble venir de la classe moyenne, beaucoup me voyaient comme quelqu’un qui n’a rien à dire, qui n’a pas de vécu... Je m’en suis pris beaucoup des insultes durant les concerts, des menaces par mails, des plans foireux...
© Alice de Liège
Ces difficultés sontelles en lien avec le fait que tu sois une femme?
© Alice de Liège
Pas seulement, c’est dur pour tout le monde. Il faut être bien entouré, être porté par une communauté. Mais c’est sûr qu’être une femme n’aide pas. Surtout une femme assumée. Les mecs dans le hip - hop, ils ont du mal à entendre des femmes dire des choses dures. Comme si ce n’était pas notre place. Même inconsciemment, il y a quelque chose de cet ordre. Des mecs avec qui je m’entendais bien, qui me respectaient et dont j’appréciais les projets m’ont déjà dit qu’ils n’écouteraient jamais ce que je faisais. « Entendre la voix d’une femme, c’est pas mon délire. Ça ne me porte pas ». Et puis, ça ne le faisait pas de faire un morceau avec une petite nana toute menue avec une tête de suédoise... C’est comme si moi, je n’avais pas le droit. Comme si je n’étais pas légitime. Avoir une grande gueule, c’est ok dans le rap, mais seulement si tu es un homme!
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Est-ce possible d’être rappeuse et femme? À la fin, justement, j’exagérais volontairement le côté meuf. J’arrivais ultra féminine, maquillée, avec des danseuses sur scène. Certains adoraient, d’autres niaient complètement : « Ce n’est pas du rap ça... ». D’ailleurs, quand tu vois les rappeuses qui cartonnent en France, elles ressemblent à des mecs. Casey, Ladea, Keny Arkana... Toutes ces meufs, ce sont des garçons manqués! Je pointerais juste Nina Miskina, une rappeuse belge talentueuse qui assume sa féminité. Je pense que si ça marche pour elle, c’est aussi parce qu’elle a été portée par sa communauté (congolaise) et par ses réseaux (c’est la cousine de Gandhi! ). Mais il y a aussi l’exemple inverse : Shay... Une autre rappeuse belge, super vulgaire qui joue à fond sur le côté sexy. Elle a été signée par Booba. Elle surfe sur cette image de la femme-objet, qu’elle n’est peut-être pas tant que ça. Et ça marche! Ce n’est pas mon truc, mais ça ne me pose pas de problème. Chaque fille fait ce qu’elle veut!
Le rap véhicule souvent une image de la femme assez sexiste, qu’en penses-tu? C’est vrai qu’il y a cette image de femme-objet, de fille facile, assez machiste. Moi, je prends ça avec beaucoup de recul. Il y a des filles comme ça dans la société, le rap en parle. Le rap n’est pas là pour dire ce qui est bien ou ce qui est mal. Il dit ce qui existe : la came, l’argent facile, la société ultra commerciale, libérale... C’est trash, mais c’est là-dedans qu’on vit. Qu’on ne crie pas au scandale quand Booba met trois
filles dénudées dans son clip. Qu’on regarde plutôt dans quel monde on évolue aujourd’hui! Il ne faut pas faire de mauvais procès : ce n’est pas le rap qui est dérangeant, c’est ce qui est en train de s’y dire, d’y être dénoncé.
NOUS SOMMES DANS UNE SOCIÉTÉ OÙ LE RÔLE DE LA FEMME EST FORMATÉ : LE RAP EST LE REFLET DE CETTE SOCIÉTÉ-LÀ!
Plus d’infos sur https://sismiklamazone.bandcamp.com/
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Aujourd’hui, on voit apparaitre le terme « rapologie » dans des cours d’universités tant aux États-Unis qu’en France, alors que depuis déjà bien longtemps, la culture hip - hop fait partie intégrante de la culture populaire, et ne s’apprend pas sur les bancs d’écoles. Il semble donc qu’il y ait à présent davantage de perméabilité entre ces deux mondes. Par Magali Company
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LE RAP Expression populaire, reflet d’une génération, d’une classe sociale ?
Parlons rap. Venu tout droit des États-Unis, le sens étymologique du mot « rap » n’est pas évident à définir. Il pourrait signifier Rage Against the Police ou encore « parler sèchement », comme le verbe to rape en anglais. Dans le rap, on peut distinguer différents genres et styles, tant au niveau des textes que des beats... Aux USA, ce mouvement représente l’expression de souffrances, d’un certain malaise social et de plaintes, tout comme le « spoken word 1 » à l’origine chanté par les esclaves noirs. Aujourd’hui, c’est une forme de poésie destinée à la représentation sur scène, plutôt que conçue sous la forme littéraire. Le spoken word, en raison de son immédiateté et de son rapport direct avec le public, contient souvent des références à des événements et à des questions d’actualité. Son énergie est puissante et attire des artistes issus d’un large éventail de disciplines et de milieux sociaux. Dès ses débuts, le rap s’impose comme une musique de type contestataire. Il traite de sujets tels que le racisme, la pauvreté, le chômage, l’exclusion 2,... 1 Spoken Words : http://fr.urbandictionary.com/
À découvrir : Ghostpoet et son album Peanut butter blues and melancholy jam ainsi que Spoek Mathambo avec son morceau Control (reprise de Joy Division) 2 http://musiquetpe1es1jv.e-monsite.com/ pages/le-rap-expression-desjeunes-de-banlieues.html
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La Belgique, petit pays où la diffusion artistique a souvent misé sur ses valeurs sûres, mais seulement celles-ci une fois reconnues, sans prise de risque! Ce n’est d’ailleurs pas uniquement lié à la culture hip - hop! La Belgique a souvent des pratiques plutôt « frileuses », ne misant pas suffisamment sur ses talents, son terreau, son ADN artistique. Ces talents artistiques doivent toujours attendre pour obtenir la reconnaissance dans les institutions, les musées, les galeries d’art, les salles de concerts...
Les années ont passé. Si le hip - hop fait déjà partie intégrante de certaines universités américaines, aujourd’hui, en France et en Belgique, les universités et les écoles s’emparent à leur tour de cette rhétorique du discours. Pourtant, cette culture est toujours considérée pour beaucoup comme une « sous culture » parce qu’elle n’est pas une pratique artistique sortant des institutions officielles (académies, conservatoires, BeauxArts). On la considère plutôt comme « populaire », marginale, tout en l’associant directement à la cité, à la banlieue, créant alors une image indélébile dans l’inconscient collectif. Pourtant, cette association « banlieue-rap » n’est pas nécessairement intrinsèque au mouvement hip - hop. Par exemple, en Italie, le rap n’est pas associé à une culture de banlieue, mais est reconnu comme un mouvement artistique en tant que tel, provenant de n’importe quel milieu social. Roland Barthes : 1915 – 1980. Écrivain, critique et sémiologue, faisant partie de l’école structuraliste française.
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Cette association provient des médias qui, pour créer des représentations, des référents communs fonctionnent par analogie, par symbolique, par représentation, particulièrement dans ce monde de l’image. En communication visuelle, on appelle cela « produire du sens », c’est envoyer des signes 3. Le sociologue français Karim Hammou, spécialisé dans le domaine du rap, a mené une recherche pendant une dizaine d’années. Elle se base sur dix ans d’émissions télé et sur des artistes qui identifiaient leur expression artistique comme étant du rap en se référant directement au rap américain. En élargissant son champ de recherche, Karim Hammou constate que cette image amenée par les médias français a joué un rôle en fonctionnant par analogie avec le rap américain venant du Bronx. Ils ont fortement contribué à cette association « rap = cité ». Puisque sur les plateaux télé, on ne savait pas qualifier cette expression artistique, il a fallu créer une image, une identité auprès du public.
Le Monde.fr 31/03/2015 – Ines Belgacem
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La plupart des journaux télévisés sont eux-mêmes créateurs de représentations sociales. De par leur fonction, en tant que médias, ils utilisent un référentiel et un situationnel, par exemple lorsqu’on parle des banlieues au JT. Ce référentiel sera l’antenne parabolique. L’image est dès lors créée dans l’inconscient collectif 4. 57
Dee Nasty http://www.lesinrocks. com/2016/01/03/musique/ dee-nasty-monumentdu-rap-fran%C3%A7aisrevient-sur-30-ans-de-carri%C3%A8re-11795187/ 5
6 Serge Gainsbourg You’re under arrest 1987 https://www.youtube.com/ watch?v=TkRXtwUD86M
7 https://fr.wikipedia. org/wiki/Louis-Ferdinand_C%C3%A9line
Aujourd’hui, malgré que le rap soit implanté dans nos habitudes culturelles, il demeure stigmatisé. Les groupes de rap eux-mêmes sont dans un paradoxe : celui de jouer avec cette identité associée à la banlieue, mais validant en même temps une image cliché dans laquelle les politiques et les médias les ont enfermés. L’auteur revient sur les affrontements dans les médias entre les détracteurs du rap et ses défenseurs, les uns y voyant « une sous-culture d’analphabètes tandis que les autres y saluent un admirable moyen d’expression de la frustration ressentie par les jeunes résidant en banlieue ».
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Si le hip - hop est analysé en tant que paradigme par la sociologie dans le sens qu’elle cherche à comprendre et à expliquer l'impact de la dimension sociale sur les représentations (façons de penser) et les comportements (façons d'agir) humains, on retrouve aussi la culture hip - hop étudiée sous d’autres angles dans les universités. Jay Z est étudié dans des écoles de marketing et dans des cours de poésie contemporaine. Booba est comparé à Céline 7 dans des facultés de sciences et lettres.
Karim Hammou retrace à rebours l’origine du rap, depuis son arrivée en France et en Belgique, au début des années 80. Une sorte d’archéologie des étiquettes et des identités que charrie l’histoire du rap français, et collatéralement belge. Il démontre dans son travail de généalogie du rap français, qu’à ses débuts, le rap n’était pas particulièrement associé aux banlieues et à leurs jeunesses. Sur les plateaux télé, le rap était soit pratiqué par des artistes du monde de la variété (il cite Annie Cordy ou encore Phil Barnez), soit par des passionnés de musique noire américaine, des artistes isolés comme Dee Nasty 5, ou encore Serge Gainsbourg avec son dernier album You're Under Arrest 6.
Dans la prestigieuse École normale supérieure de Paris 8 qui compte huit départements littéraires, on étudie la prose des rappeurs. Des textes y sont étudiés au même titre que Baudelaire, Rimbaud, Boris Vian : « Le rap est une forme de littérature, de langage et un sujet d’étude aussi légitime que la poésie 9».
Wikipédia : L’École normale supérieure de Paris est l’une des institutions universitaires et de recherche les plus prestigieuses et les plus sélectives en France, spécialisée en lettres comme en sciences.
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9 http://www.lemonde.fr/ campus/article/2015/03/31/anormale-sup-la-prose-derappeurs-analysee-en-seminaire_4606025_4401467.html
Si le spectre linguistique est un champ vaste à explorer, n’oublions pas la musicalité du rap. Il faut que les textes collent à la musique et créent une synchronisation. La création sonore en rap se fait par la création de beats, de samples, et il faut avoir du flow 10... Un processus qui doit parvenir à créer une harmonie dans laquelle s’englobent et se fondent ellipses, figures de styles, punchlines. Autant d’éléments qui constituent en partie le rap. S’ajoute le champ lexical propre, comme le verlan, l’argot, les néologismes des cités,… En rap, la voix est considérée comme un instrument (une percussion source de rythmes). Il s’agit de rapper en cadence avec le beat pour que le flow épouse le rythme du morceau.
Le terme est actuellement un peu galvaudé et concerne souvent des rassemblements qui n'ont plus rien à voir avec la vie d'un quartier et la culture populaire 11.
10 Flow : Flux, rythme avec lequel le MC (Master of Ceremony) débite les paroles.
Aujourd’hui, on parle de beatmaker, qui a la fonction de compositeur grâce auquel les rappeurs posent leurs textes. Si au départ les logiciels étaient réservés à des professionnels du son, avec l’arrivée de l’informatique et du web 2.0, il est désormais possible de faire du son chez soi, ce qu’on appelle : home studio.
L’évolution musicale du rap est vaste, y compris l’art du DJing dans le milieu des block parties propres à
la culture américaine. Une fête de quartier qui réunit
un voisinage autour de quelques musiciens. Les block
parties ont vu leur popularité augmenter à partir des
années 1970, notamment à New York dans des quartiers comme Harlem, le Queens, Brooklyn ou le Bronx. Les
block parties ont eu une influence très importante sur
l'éclosion de la culture hip-hop, du rap, du DJing.
11 Sources : Hip-hop is born at a birthday party in the Bronx - History (history.com)
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L’accessibilité à des procédés d’enregistrement d’albums a grandement facilité la diffusion du rap, y compris de son image via YouTube. Et les jeunes de la « génération Y » comme on les nomme, ne cessent d’innover, et pas toujours nécessairement sur le banc des écoles. C’est l’art de la débrouille, un esprit collaboratif, même si parfois autocentré sur leur propre groupe. Ils brouillent les codes traditionnels, dans un monde où il faut s’adapter sans cesse. Ce n’est pas qu’une génération désabusée! Le groupe PNL 12 en est un exemple. Il propose un univers radicalement opposé au style agressif de leurs aînés. Référencé par plusieurs revues musicales comme étant la révélation du rap français avec plus de 58 millions de vues sur YouTube, PNL interpelle. Qu’on aime ou qu’on déteste leur style dark wave 13, on ne reste pas indifférent à leur univers beaucoup plus sombre, beaucoup plus existentiel.
La musique de PNL n’est pas ouvertement politique à l’image de leurs prédécesseurs. Elle exprime plutôt un mal être général propre à sa génération, un désenchantement. Le titre Le monde où rien (2ème titre du premier album Le monde de Chico) est devenu un des slogans les plus populaires lors des manifestations en France contre la loi travail.
« Une phrase qui condamne simultanément le conservatisme à l’esprit étroit et en demande plus à la vie que ce qui est actuellement offert. Cela veut dire qu’on n’a aucun problème à se comparer au reste du monde. C’est ce que l’on veut 14 ».
Le succès de PNL s’est viralisé à travers les réseaux sociaux. N’accordant jamais d’interviews en direct, le groupe est largement relayé par les médias, une vraie déferlante. Cette montée en puissance a surpris beaucoup de monde, y compris dans les maisons de disques. Ce qui est à retenir, c’est que les jeunes ont toujours des choses à dire, dans une société où l’économie est laborieuse et la précarité grandissante dans le monde du travail. Leurs préoccupations d’avenir sont bien légitimes et demandent une sacré dose d’espoir.
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LES MJ' S ONT TOUJOURS FAIT PARTIE DE CES ALTERNATIVES VENANT ELLESMÊMES DE L’ÉDUCATION POPULAIRE. ELLES ONT OUVERT DES PORTES PARCE QU’UN DE LEURS AXES DE TRAVAIL EST L’EXPRESSION, LE DROIT À S’EXPRIMER.
Autant d’interrogations de la part de ces jeunes qui nécessitent de les exprimer, une urgence de les déposer. La Belgique peut s’enorgueillir d’avoir toujours su cultiver cette culture, par une scène alternative forte, que ce soit à travers la revendication du punk, la musique électro, et depuis plus de vingt ans à travers la culture hip - hop. Les Maisons de Jeunes ont toujours fait partie de ces alternatives venant elles-mêmes de l’éducation populaire. Elles ont ouvert des portes parce qu’un de leurs axes de travail est l’expression, le droit à s’exprimer. Cette « contre-culture » s’est instituée là où les institutions officielles fermaient les portes. L’histoire s’est écrite ensemble, parce que les Maisons de Jeunes ont toujours fait partie de cette contre-culture qui a favorisé l’expression de plusieurs générations de jeunes. Aujourd’hui, un nouveau tournant semble avoir été pris. En divers endroits, divers lieux, entre institutions et culture urbaine, il y a une volonté de se rencontrer.
PNL (sigle de Peace N’Lovés) groupe de cloud rap français indépendant composé de deux frères, Ademo et N.O.S (de leurs vrais noms Tarik et Nabil Andrieu), originaires de la cité des Tarterêts à Corbeil-Essonnes
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À écouter : Le monde ou rien Lien : https://www. youtube.com/ watch?v=umF1kfVujhM Wikisource : le terme dark wave est apparu dans les années 80 pour décrire une variante mélancolique et sombre des musiques new wave et post-punk. Un genre musical construit à partir de simples bases musicales, contenant des paroles sombres et introspectives accompagnées d’une dose de tristesse. 13
https://destroyerstv. com/le-monde-ou-riende-pnl-interview/
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PNL
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« Le monde ou rien » — lexique —
Thèmes : Trafic de drogues, esprit de clan, solidarité avec la famille. Plusieurs morceaux de PNL évoquent la bicrave (le trafic de drogues, en argot de cité) qui est envisagée comme la seule issue du jeune de banlieue face au chômage. Un thème largement exploré dans le rap français. S'il n’a rien d’original, PNL l'exploite pour installer une esthétique. Champ lexical : PNL utilise le vocabulaire du deal : taga (hachisch), le shit bulle (excellent), traces (lignes), bon-char (verlan de charbon synonyme de travail). Sans oublier « vé-Her » (Hervé), leur client le plus fidèle, également cité dans le morceau « La petite voix ». Le style PNL se caractérise par des phrases minimalistes et un vocabulaire codé de cité (« igo » pour mec, « mif » pour famille, « bacqueux » pour agent de la BAC) déclamé à l'aide de l'auto-tune, un logiciel correcteur de voix qui permet de chanter juste à travers une voix robotique.
Figures de style :
Antanaclase : Reprise d'un même mot avec un sens différent : « J'suis dans ma bulle » — « le shit bulle ». Paronomase : Utiliser deux mots au son proche mais dont le sens est différent : « bulle » et « boule ». Métonymie : Désigner un objet ou une idée par un autre terme que celui qui convient (« sang sur le pull »). Antithèse : « Oh shit ton mal, mon bien ». Références : Le choix de tourner le clip dans la cité mal famée de La Scampia à Naples, qui sert de décor au roman Gomorra de Roberto Saviano sur la mafia napolitaine, n'est pas anodin. L’image de la mafia incarne au mieux l'idée de clan, avec des gros plans sur les tours, les escaliers, la dalle de la cité et les jeunes de tout âge. Le titre et certaines répliques du morceau renvoient par ailleurs à Tony Montana et au Scarface de Brian de Palma : « Le monde, chico… et tout ce qu’il y a dedans ».
Épilogue : Critique sociale de la situation précaire des populations qui peuplent les banlieues. L'absence de travail formel, le chômage qui génère l’ennui : « je tourne en rond ». L’économie parallèle comme seule option, pour faire survivre ses proches : « la famille a faim », « tout pour les miens », « que la famille ». La cité est un enfer.
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«
L’ART
naît des
contraintes,
vit de luttes
et meurt de liberté »
L iber t É
(André Gide)
Par Benoît Lambart (Jeunesse et Droit) et Cécile Lebrun 64
INVESTIR L’ESPACE PUBLIC POUR PERFORMER, S’ENTRAÎNER, PARTAGER, S’EXPRIMER, CONTESTER PAR LE BIAIS ARTISTIQUE EST POUR BEAUCOUP D’ENTRE NOUS UNE LIBERTÉ ESSENTIELLE... Sur un même territoire, diverses réalités ethniques, culturelles, religieuses, économiques, sociales peuvent être amenées à vivre ensemble et s’exprimer. Si la notion de sécurité est devenue une préoccupation majeure des discours politiques, elle n’interdit pas la tenue d’événements et d’expressions artistiques organisés dans l’espace public ouvert, mais ceux-ci sont soumis à certaines règles. Ces règles constituent parfois des limites, des contraintes pour tout qui agit de manière à faire se rencontrer les arts, les cultures dans la rue... Ainsi, bien que la liberté d’expression soit garantie par la Convention européenne des droits de l'Homme en son article 10, son second alinéa en limite l’exercice : « 2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ». Avec le même type de cadrage, la Constitution belge en son article 19 stipule « […] la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties, sauf la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés ».
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Au nombre de ces délits, nous pourrions relever certaines infractions reprises au Code pénal, telles que les crimes et délits contre les propriétés, la diffamation, la calomnie ou l’injure, favoriser la violence; d’autres infractions sont reprises par des lois, telles l’incitation à la haine ou à la discrimination pour des motifs xénophobes, racistes (Loi du 30 juillet 1981 dite Loi Moureaux ) ou pour des motifs d’âge, d'orientation sexuelle, d'état civil, de naissance, de fortune, de conviction religieuse ou philosophique, de conviction politique, de langue, d'état de santé actuel ou futur, d’handicap, de caractéristique physique ou génétique ou d'origine sociale (Loi du 10 mai 2007 dite Loi anti-discrimination ). Nous évoquerons encore l’infraction d’encouragement à commettre des crimes ou délits (Loi du 25 mars 1891 ). N’oublions pas non plus la Loi contre le négationnisme du 23 mars 1995 en matière de limites à la liberté d’expression.
La loi ne distingue pas les supports utilisés pour commettre le fait répréhensible. Il pourrait s’agir d’un article de presse, d’un sketch humoristique, d’une BD, d’une affiche, d’une chanson, etc. S’agissant plus spécifiquement d’activités exercées en rue ou dans d’autres lieux publics en plein air, l'article 26 de la Constitution énonce que si « les Belges ont le droit de s'assembler paisiblement et sans armes, en se conformant aux lois qui peuvent régler l'exercice de ce droit, sans néanmoins le soumettre à une autorisation préalable », « cette disposition ne s'applique point aux rassemblements en plein air, qui restent entièrement soumis aux lois de police ». Les communes disposent donc de prérogatives en matière de réunions publiques en plein air. Celles-ci peuvent, par voie de règlement communal (souvent le règlement général de police), être soumises à autorisation préalable du bourgmestre. 66
" Vandalisme poétique " de XL'J
Il faut donc vérifier si une telle disposition, ou un règlement spécial pour les spectacles de rue, existe pour la commune sur le territoire de laquelle l’activité publique doit avoir lieu. Si c’était le cas, il s’agirait de demander l’autorisation préalablement à l’activité. Si le bourgmestre souhaite interdire l’activité, sa motivation devra stipuler en quoi l’interdiction constitue une mesure nécessaire, dans une société démocratique, ou à la sécurité nationale, ou à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, ou à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, ou à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection de la réputation ou des droits d'autrui (art. 10, 2. CEDH, repris ci-dessus). La décision d’autorisation du bourgmestre pourrait encore imposer certaines restrictions, sans que celles-ci ne rendent nécessairement impossible la tenue de l’activité. Il est toujours possible d’introduire un recours devant le Conseil d’État à l’encontre d’une décision de refus ou de limitation, mais il faut faire vite et le Conseil d’État ne pourra pas se substituer au bourgmestre. Il pourra éventuellement annuler la décision. Il vaut mieux s’adresser à un avocat avant de lancer le recours parce qu’il s’agit d’une procédure technique et coûteuse.
Performance de Steven Cohen
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La Bicoque (Liège) — Collectif Melting Flash — Projet « Inside Out »
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Si certains règlements communaux paraissaient excessifs, semblaient ne pas respecter le droit à la liberté d’expression, il serait toujours possible d’interroger le bourgmestre sur la bonne signification à donner aux textes en cause. Si, au vu des explications ainsi obtenues, les craintes persistaient, il serait probablement trop tard pour demander l’annulation du règlement communal au Conseil d’État (des délais sont en effet à respecter en la matière qui courent à partir de la date de publication du règlement). Mais il serait toujours possible d’introduire une demande d’autorisation pour un événement auprès de la commune, et si la demande était refusée sur la base du règlement, d’introduire un recours devant le Conseil d’État contre cette décision comme mentionné au paragraphe précédent. En cas de succès du recours, l’intérêt serait aussi d’obtenir une motivation qui détaille en quoi le règlement contrevient à certaines dispositions — comme la liberté d’expression — et ainsi de pouvoir plus facilement demander la modification du règlement en question à l’autorité communale.
Par ailleurs, si le règlement communal n'impose aucune demande d'autorisation pour les rassemblements en plein air, les pouvoirs de police administrative générale permettraient néanmoins à un bourgmestre de les interdire, pour des motifs d'ordre public.
Parfois des activités se tiennent pourtant spontanément sans avoir obtenu l’autorisation préalable nécessaire. En principe, si on participe à ce type d’activités sans qu’elles ne causent de trouble à l’ordre public, la police ne peut arrêter personne, mais si elle en reçoit l’ordre, elle le fera... Une amende administrative est également souvent prévue par le règlement de police pour les personnes participant à l’activité qui n’a pas été autorisée (maximum 350 € ou 175 € pour une personne de moins de 18 ans). La police pourra néanmoins veiller au déroulement paisible de l’activité si elle ne représente pas un trouble grave pour l’ordre public ou la circulation.
Par contre, si le bourgmestre a interdit l’activité demandée, la police pourrait disperser les participants après avertissement, bien que la Cour européenne des droits de l’homme (17 mai 2011, Acgöl et Göl / Turquie) invite à la tolérance en l’absence de violences ou de troubles graves de l’ordre public. Par ailleurs, s’agissant d’activités engendrant un certain niveau sonore, des nuisances pourraient être invoquées par des riverains et relever du tapage nocturne. Celui-ci est défini par le Code pénal (art. 561). On pourrait en effet se rendre « coupable de bruits ou tapages nocturnes de nature à troubler la tranquillité des habitants » qui seraient punissables. La jurisprudence a établi que la nuit commence à 22 heures (mais certains juges la font débuter au coucher du soleil). À côté du Code pénal, d’autres réglementations (régionales, communales,…) peuvent également régler des questions de nuisances par le bruit, et pas seulement nocturnes, aussi durant la journée. Là encore, le contrevenant pourrait encourir une amende administrative au vu de ce que prévoit le règlement.
Intervention de JR
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Telle est la démarche des artivistes (citons parmi ceux-ci JR, les Guerilla Girls, Steven Cohen, etc.) dont les objectifs sont de faire prendre conscience de problématiques, d’injustices via leurs performances et interventions ainsi que de réinjecter de l’espoir dans l’expérience contestataire contaminée par un esprit de sérieux grâce à une (ré)activation de l’humour, de la parodie, de l’imagination.1 Dans l’espace public, tous les interlocuteurs sont légitimes : passants, artistes, services communaux, commerçants, habitants,… Veiller à l’information et à la communication permet de faciliter la compréhension, la confiance, la convivialité,...
"Grand Méchant Louvres " - CJ de Spa
L’environnement lui-même peut devenir la matière première d’une intervention artistique (ex : street art). Il peut donc être intéressant de veiller aux conditions favorables de cette coexistence avec les bénéficiaires, occupants de cet espace public... ARTIVISME. Art, action politique et résistance culturelle, Stéphanie LEMOINE et Samira Ouardi. Editions Alternatives. Paris.
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L’espace public, c’est l’espace du citoyen, l’espace du « public / population ». Il n’est figé ni dans le temps, ni physiquement, ni politiquement. Avant l’arrivée et l’installation des artistes / performeurs, l’espace public vit déjà avec ses occupants — permanents, en transit, éphémères, réguliers. Dès lors, il convient pour ces artistes de se rendre compte que leur présence peut bousculer les habitudes, l’organisation de cet espace (ce qui n’est évidemment pas nécessairement négatif, au contraire...). L’occupation artistique de l’espace public peut aussi être conquérante, revendicative, politique. Elle peut correspondre à une volonté de se l’approprier comme espace de création, comme lieu d’expression en faveur ou contre quelque chose dans le but de transformer les rapports de force, les rapports au(x) corps, à l’autorité, aux limites (visibles, invisibles, symboliques), aux frontières (féminin / masculin, centre / périphérie, occident / orient, Nord / Sud,...).
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Guerrilla Girls
Ainsi, l’accent ne sera pas mis sur les désagréments subis, mais plutôt sur la satisfaction de contribuer à cette expression, de participer à cet événement,... Intervenir artistiquement dans l’espace public peut aussi être inconfortable, tant pour la population que pour les artistes... Veiller au bien vivre ensemble est important... Mais doit-on pour autant tout légiférer, cadrer, règlementer...? N’est-ce pas aussi lorsqu’on laisse place à la surprise, à l’imprévisible que l’intervention artistique est la plus réussie? Ces interventions plaisent en effet pour leur côté subversif, inattendu qui transforme le quotidien des endroits où elles se déroulent... et se font bousculer les idées.
S’informer sur les règles qui s’appliquent en la matière permet de poser ces actes artistiques et citoyens en connaissance de cause, d’initier des modifications en interpellant la sphère politique locale et donc de repousser les limites.
N’EST-CE PAS AUSSI LORSQU’ON LAISSE PLACE À LA SURPRISE, À L’IMPRÉVISIBLE QUE L’INTERVENTION ARTISTIQUE EST LA PLUS RÉUSSIE? 71
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Merci à ces jeunes artistes... 1. Dessin réalisé par Guillaume David. Guillaume est un jeune homme curieux qui dessine pour son plaisir depuis longtemps. Après avoir suivi des cours de dessin à l'Académie des Beaux-arts de Liège, il a choisi d’orienter ses études dans cette direction. Il poursuit désormais ses études à l’Institut secondaire Saint-Luc à Liège. Depuis peu, il s’intéresse de près à différents programmes informatiques de dessin. Et avec le groupe de jeunes skateurs dont il fait partie, il envisage de créer une gamme de vêtements en prônant la qualité et un coût démocratique. 2. Projet de graff réalisé par Nolan Jean, jeune artiste graffeur, après la lecture du texte « Gloussement hypocrite » publié dans ce magazine. Nolan est actif depuis quatre ans au sein des ateliers graff' de la Maison de Jeunes d'Engis. Il a participé à de nombreux projets artistiques, dont Urban Mouv'. 3. Illustration collective réalisée par Laura BRAHIMI, Nicolas COURTOIS, François DABOMPRE, Rémi DEJONJHE, Axel DUCHENE, Maxime GENGOUX, Nathan NEURET, Elouan VANDERHEYDE. Ces jeunes participent à l’atelier Bande Dessinée mis en place par la MJ de Wanze en collaboration avec Grain d’Art (Centre culturel de Wanze). Depuis 2007, il permet aux jeunes d’appréhender le monde du 9ième art grâce à l’encadrement assuré par un animateur, Matthieu Gauthy, professionnel reconnu de l’illustration et de la bande dessinée. Au-delà de l’apprentissage de techniques artistiques, l’atelier BD est un lieu de rencontre, de développement personnel et collectif via différents projets originaux. 4. Fresque graff' collective réalisée en plein air lors de l’événement Urban Mouv’ (avril 2016). 5. Fresque collective réalisée en juillet 2016 au Centre de Jeunes de Spa dans la cadre de leur projet « Grand Méchant Louvre ».
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Éditeur responsable : Marc Chambeau — 8 rue aux Chevaux - 4000 Liège Rédactrice en chef : Cécile Lebrun Graphisme et mise en page : Constance Schrouben Illustration de la cover : Guillaume David et Constance Schrouben Pour la FMJ ASBL : Anne-Sophie Bourgeois, Benjamin Cambron, Magali Company, Antoinette Corongiu, Valérie Hébrant, Nathalie Heusquin, Julie Reynaert, Laurence Drion. Ont collaboré à la réalisation de ce numéro : Julie Bylos, Guillaume David, Yanny Dechamps (AK-Flow), Matthieu Gauthy, Axel Gossiaux, Nolan Jean, Benoît Lambart, Alain Lapiower, Jonathan Marini, Mohammed Sy (Prophesy), Sismik l’Amazone, Laure Thouault, Vanessa Vandijck. Impression : Imprimerie Vervinckt
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FMJ ASBL 8 rue aux chevaux 4000 Liège +32 4 223 64 16 fmj@fmjbf.org www.fmjbf.org
AIDER LES MAISONS À SE CONSTRUIRE... La Fédération des Maisons de Jeunes vit par et pour les jeunes... et leurs maisons. Par les jeunes, parce que leurs enthousiasmes et leurs énergies constituent la source de tous nos projets. Pour les jeunes, parce que leurs initiatives et leurs réalisations sont autant d’encouragements à continuer notre fantastique aventure. HELPING BUILD THE CENTRES, HELPING BUILD THE FUTUR... Young people and their community centres constitute the raison d’être of the Fédération des Maisons de Jeunes. The enthusiasm and energy of these teenagers are, in fact, the lifeblood of all our projects; their endeavours and achievements provide us with the encouragement to continue to pursue our fantastic adventure. BOUW MET ONS MEE... De «Fédération des Maisons de Jeunes» leeft door en voor jongeren. Door jongeren. Omdat hun enthousiasme en hun energie de motor zijn achter onze projecten. Voor jongeren. Omdat alles wat ze ondernemen en realiseren, telkens opnieuw een aanmoediging is om ermee door te gaan, met ons geweldig avontuur.
- Réalisé avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Service Jeunesse) et de la Wallonie (Emploi) -
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