introduction
L’art rupestre des chasseurs-collecteurs d’Afrique australe
Léa Jobard, Carole Dudognon & Camille Bourdier Après un siècle et demi de recherche, l’art rupestre d’Afrique australe s’édifie aujourd’hui sur de remarquables matériaux permettant de penser, dans la longue durée, l’histoire des chasseurs-collecteurs, qui en ont été longtemps privés. Alors que les témoignages artistiques des groupes contemporains ont attiré l’attention des chercheurs au moment même où ces populations disparaissaient (Ego, 2000), les récits ethnographiques et linguistiques des derniers artistes ont tenté de redonner du sens à ces œuvres (Bleek, 1874, 1932 ; Orpen, 1874). Longtemps considérées comme les manifestations de l’histoire récente des populations San, ces productions artistiques présentent une qualité plastique louée dès le XIXe siècle. Elles ont été reproduites à l’occasion de nombreuses campagnes de relevés, dont certaines ont amorcé des parallèles avec la préhistoire européenne (Breuil, 1948). Couvrant une superficie de quelques millions de kilomètres carrés, de la Namibie au Mozambique, et du nord du Zimbabwe au Cap de Bonne Espérance, les nombreux travaux de documentation ont révélé chez les populations de chasseurs-collecteurs un fonds traditionnel puissant relatif à l’iconographie sur parois. Au sein de cet ensemble commun, un jeu complexe de variations spatiales aboutit à la reconnaissance de quatre grandes provinces « artistiques » : le Zimbabwe-Limpopo, la Namibie, le South-Eastern Cape et le plateau central d’Afrique du Sud, le Western Cape (Lewis-Williams, 1983 ; Garlake, 1987 ; Parkington et al., 1994 ; Hampson et al., 2002 ; Eastwood et Eastwood 2006 ; Eastwood et al., 2010). Grâce au renouveau théorique et méthodologique des années 1970, les approches désormais tournées vers l’anthropologie sociale et l’ethnographie sont venues éclairer la récurrence des principaux motifs et compositions par-delà les distances : une essence chamanique dont cet art rupestre serait l’émanation et
l’illustration (Vinnicombe, 1976 ; Lewis-Williams, 1983 ; Lewis-Williams et Dowson, 1989 ; Lewis-Williams et Pearce, 2012 ; van den Heever, ce numéro ; Witelson, ce numéro). Depuis la fin du XXe siècle, la datation est devenue un enjeu fondamental de la recherche afin d’envisager la profondeur historique de ce cadre ontologique et socioculturel, encouragée par le renouvellement constant des approches méthodologiques appliquées à l’art rupestre. Selon les données actuelles, en Afrique australe, l’expression graphique apparaît au cours du Middle Stone Age dans différents gisements, sous la forme de décors géométriques sur matériaux bruts ou sur objets (187 00050 000 ans : Marean et al., 2007 ; Mackay et Welz, 2008 ; Henshilwood et al., 2009, 2014 ; D’Errico et al., 2012 ; Jacobson et al., 2012 : Texier et al., 2013). Les animaux peints sur les plaquettes d’Apollo 11, en Namibie, introduisent l’expression figurative pendant le Late Middle Stone Age, autour de 30 000 ans (Rifkin et al., 2015). Pour l’art rupestre, les datations directes (Mazel et Watchman, 1997 ; Bonneau et al., 2011) restituent actuellement cette pratique pour l’holocène du Later Stone Age, bien que certains contextes archéologiques pointent vers de premiers témoignages datant de la fin du Pléistocène (Walker, 1995). De multiples études tendent ainsi à reconsidérer l’ancienneté, et plus généralement l’âge, de ces productions graphiques. Les datations directes sont conditionnées par la présence d’éléments spécifiques dans la composition des peintures, ce qui ne concerne qu’une minorité des graphismes, incitant ainsi les chercheurs à innover dans leurs méthodes (Mullen, ce numéro). Lorsque la géomorphologie du site a permis leur accumulation et leur conser vation, les dépôts archéologiques au pied ou à proximité des parois ornées
Lesedi #23 | Carnets de terrain | IFAS-Recherche | Novembre 2020
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