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N° 10
N°
LE journal du cercle du Grand Théâtre et du Grand tHéâtre de GEnève
Un bijou d’opéra surréaliste
Der rosenkavalier une affaire de femmes
Juliette ou le théâtre du rêve Les tribus de l’opéra
é pi s o d e 2
L e maî t re d u L i e d
Matthias Goerne
Avant JJR citoyen de Genève en septembre
en 2012, Jean-Jacques Rousseau fait sa musique
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DGrosmangin/MCMorazzani
Grande expérience. Jeune banque. Partenaire solide.
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LAUSANNE
WINTERTHOUR
LO C A R N O
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Photo de couverture Le « Bureau des rêves» de Juliette ou la Clé des songes. © Opéra national de Paris C. Leiber
Buzz op 2-3 Quoi de neuf dans le monde de l’opéra à Genève et ailleurs opération 4-21 Connaissez-vous Juliette ? Juliette, une pièce, un opéra, un film... Une production mythique Der Rosenkavalier, une machine à remonter le temps en ballet 14-19 Anna Karenina Glory carnet du cercle 16-17 Témoins de nos 25 ans Plein feux 20-23 Herbert Graf, le militant de « l’opéra pour tous » Matthias Goerne : lied de velours Comédie nouvelle didactique 24-31 Les ateliers du rêve « Ô Femmes Femmes ! Femmes ! » Les tribus de l’opéra (épisode 2) Les langues du lyrique Le culte de l’art vivant
uia volorpore, elenisquam qui am evente dem et volupta estotatus, quo omnihiti diandi adit ab ilisquis excepel itaquam et eos modit evelignit deliqui conecesti comnia exeri con nus, sam faciaep udaecep erepererunt etum nonsequos dolorem fugites cipsam as mos ipit qui ilit escitiu sanditis dunti omnimuscil molorem rehent, voloreicid quate moluptatur aute re molecus. Eventiur, iderae la nost placcuptae. Et acestiur magniene consenimi, quia vel maximinis estibus repersp erchilitae es doluptatia ime simenis et facessum lab isquame quis experchit, acidicatur renturia evenisi ut rem que sam coria eume vellor sinveli cimusant, nusandem voluptate sin consercit reptatem ut odisitia nonsent iusdam venis doluptae porio blabore ndaepercimet re nesto qui de quam, tor remodit magnis dolupta dunt mod quo velene vellit, sunti ut lab ipsum lanihitiis rae et qui voluptatur arum as eum laut que de sequistia del est ulparum sim ea quid quianda illa perum fugit la comnihictis volorep tatur, voloreprat quam eos doluptatur sa vitatestius es aut lauda plibust reribea cus ma nonetur acea vendus, simi, velestiat inctem volorem et et moluptas dolorrovitat eos acea que vendi nullori busdandis ipsanti untem. Volorempore namet eium, nim dita que pla periam que vel molupta peribus.Cabo. Pari comni optate et moluptibus, ipsunt re rectur aut dolenient pore ilitati officim inctatur, evellig endellanimin pa si quodita soluptios sequae autem utat aut molut volorio toresto tatius. Hent dolessitaque lit molupta volecepro conem doluptat et aut accabore poris exceate re sumet laudam cum que doloresectis modiatem rem harcietur? Quissimil ium quis aborpor eremqui ommolore pror aria autem endam cus cum rest volores evelibusciis eos sinverum aut ea vendam, ulluptatas qui cone re culparunt omnihil latur? Ita quam, conseque latet moluptatur sum in endae laut quibus, sum is dunt eataqua epelendandis dolorectaqui conseque sum demquamene ni am ab in con niendis quodis sequo dolende nditatus nos ut elis sum quid ulparum dolentia doluptatus eum in culpa consedio dolenienis a suntiost mo Eventiur, iderae la nost placcuptae. Et acestiur magniene consenimi, quia vel maximinis estibus repersp erchilitae es doluptatia ime simenis et facessum lab isquame quis experchit, acidicatur renturia evenisi ut rem que sam coria eume vellor sinveli cimusant, nusandem voluptate sin consercit reptatem ut odisitia nonsent iusdam venis doluptae porio blabore ndaepercimet re nesto qui de quam, tor remodit magnis dolupta dunt mod quo velene vellit, sunti ut lab ipsum lanihitiis rae et qui voluptatur arum as eum laut que de sequistia del est ulparum sim ea quid quianda illa perum fugit la comnihictis volorep tatur, voloreprat quam eos doluptatur sa vitatestius es aut lauda plibust reribea cus ma nonetur acea vendus, simi, velestiat inctem volorem et et moluptas dolorrovitat eos acea que vendi nullori busdandis ipsanti untem. Volorempore namet eium, nim dita que pla periam que vel molupta peribus.Cabo. Pari comni optate et moluptibus, ipsunt re rectur aut dolenient pore ilitati officim inctatur, evellig endellanimin pa si quodita soluptios sequae autem utat asconsetad Tobias Richter
Agenda 32
Directeur général du Grand Théâtre de Genève
Directeur de la publication Tobias Richter Responsable éditorial Albert Garnier Responsable graphique & artistique Aimery Chaigne Coordination Frédéric Leyat
11, bd du Théâtre CP 5126 CH-1211 Genève 11 T +41 22 418 30 00 F +41 22 418 30 01 grandtheatre@geneveopera.ch www.geneveopera.ch
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Ont collaboré à ce numéro Kathereen Abhervé, François Dachet, Daniel Dollé, Jennifer Florquin, Albert Garnier, Christopher Park, Anne Zendali. Impression Kreis Druck AG Parution 4 éditions par année Achevé d’imprimer en Novembre 2011 6000 exemplaires
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u Op
Rousseau Ce n’est pas un hasard si l’année du tricentenaire s’est ouverte en musique au Grand Théâtre. L’activité musicale de Rousseau est en effet très étendue : réflexion théorique (il est à l’origine d’un nouveau système de notation chiffrée, écrit les articles de musique de l’Encyclopédie et rédige lui-même un Dictionnaire de musique), composition d’œuvres vocales et orchestrales (Le Devin du village, présenté à Fontainebleau devant le roi, connaît un des succès les plus considérables du XVIIIe siècle) et copie de musique se succèdent dans une existence dont Rousseau pensait lui-même, au départ, qu’elle serait entièrement consacrée à cet art. C’est cette ligne de force qui a été reconnue par les citoyens genevois lorsque nous avons lancé, en mars 2007, l’appel à projets du tricentenaire. Sur les 131 propositions reçues au Département de la culture de la Ville de Genève, plus de quarante touchaient, de près ou de loin, au domaine musical. Il est dès lors tout à fait logique que l’année 2012 reflète cette tendance et qu’elle privilégie cet aspect particulier de l’œuvre de Rousseau. Le moment est d’ailleurs bien choisi. Plusieurs éditions scientifiques des œuvres musicales de Rousseau sont actuellement en préparation : citons le Dictionnaire de musique préparé pour le compte des éditions Slatkine par Brenno Boccadoro, le même Dictionnaire préparé par Maria Semi pour le compte des éditions Classiques Garnier et, chez le même éditeur, les deux éditions exceptionnelles du Devin du village par Jacqueline Waeber et des articles de musique pour l’Encyclopédie par Alain Cernuschi. Ajoutons à cela les numéros spéciaux consacrés par plusieurs revues à la musique de Rousseau, au premier rang desquelles Orages : littérature et culture 1760 – 1830 dont la parution est prévue ce printemps et dont tous les contributeurs s’exprimeront cet automne, dans le cadre de l’exposition Nota Bene : de la musique avec Rousseau (Espace Ami Lullin, Bibliothèque de Genève, 16 octobre 2012 - 2 mars 2013). Après la présentation au Grand Théâtre de La Serva Padrona de
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2012, Rousseau pour tous
Jean-Jacques Rousseau est né le 28 juin 1712 à Genève, où il a passé les seize premières années de sa vie. Proposé par le Département de la culture et du sport de la Ville de Genève, 2012 Rousseau pour tous a pour but de célébrer le tricentenaire de la naissance du philosophe et écrivain, et de rappeler toute l’importance de l’héritage genevois dans la vie et l’œuvre de Rousseau. Musique, arts du spectacle, patrimoine culturel, arts plastiques et visuels, philosophie, littérature, traduction, pédagogie, botanique… 2012 Rousseau pour tous se veut un projet rassembleur. Pergolese et du Devin du village dans une orchestration de JeanMarie Curti et une mise-en-scène d’Ivo Guerra, l’année se décline tout naturellement en musique : l’Orchestre de Chambre de Genève présente au BFM, le mardi 21 février, plusieurs scènes lyriques regroupées sous le titre « La faute à Rousseau ! » ; l’Association Hors-Portée s’intéresse à la parodie du Devin du village de Mme Favart dans un cycle opportunément intitulé Le Devin loin du village ; le groupe norvégien Lux Borea et le comédien suisse PierreAlain Clerc préparent un concertspectacle dont le titre (Femme qui pète n’est pas morte) est directement emprunté au texte des Confessions ; le Chœur de la cathédrale SaintPierre propose enfin, au théâtre Pitoëff, un spectacle intitulé « Me voici donc seul sur la terre ». L’événement phare, sur le plan musical mais également dans le cadre plus général du tricentenaire, est toutefois la création, le 11 septembre prochain, de l’opéra de Philippe Fénelon sur un livret de Ian Burton, JJR (citoyen de Genève). Les spectateurs ont déjà pu se faire, en janvier dernier, une idée du travail de Ian Burton et de Robert Carsen, le metteur en scène, respectivement librettiste et metteur en scène du Richard III de Giorgio Battistelli. Et, de même que les représentations
© Ville de Genève / Rémy Gindroz / Olivier Gay-Deslarzes / DorothÈe ThÈbert Filliger
à l’écoute de
Le pavillon sur l’Ile Rousseau, lors de l’inauguration le 19 janvier 2012. Le Conseiller fédéral Alain Berset, le Maire de Genève Pierre Maudet et le Conseiller administratif Sami Kanaan. Le chanteur auteur-compositeur Stephane Eicher.
de La Serva Padrona et du Devin du village s’intercalaient entre les soirées consacrées à Richard III, nous avons songé offrir, à la suite de l’opéra de Philippe Fénelon, un divertissement (oserons-nous dire un intermède ?) basé sur l’histoire de l’enfant Rousseau tel qu’il nous est présenté dans le premier livre des Confessions. Cet opéra pour marionnettes et musique verte intitulé Tic -Tac Rousseau est une œuvre de Jean-Marie Curti, déjà connu
pour la composition d’un Candide présenté au Grand Théâtre en 2004, sur un livret de Luc Jorand. De la musique, donc, avant toute chose ! C’est en effet aller au cœur de l’activité de Rousseau que de commencer par là. Lui-même n’écrivait-il pas : « Il faut assurément que je sois né pour cet art, puisque j’ai commencé de l’aimer dès mon enfance, et qu’il est le seul que j’aie aimé dans tous les temps. » Nous le croyons aujourd’hui volontiers.
Ring 13-14 C’est lors d’une conférence de presse qui s’est tenue le 7 février dans ses fastueux foyers, que le Grand Théâtre de Genève a annoncé le retour de la tétralogie de Wagner sur la scène de neuve. L’Or du Rhin, programmé dès mars 2013, symbolisera l’entrée dans le tricentenaire Wagner, alors que La Walkyrie, Siegfried et Le Crépuscule des dieux se dérouleront lors de la saison 2013-2014. Confiée à Dieter Dorn pour la mise en scène, à Jürgen Rose pour les décors et costumes et à Ingo Metzmacher pour la direction musicale, cet ambitieux projet saura sans doute attirer à Genève tous les amateurs de Wagner, par delà les frontières.
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Open’ Ateliers
En 2012 Genève s’associe pour la première fois aux Journées des Métiers d’Art et pour cette première participation c’est au Grand Théâtre que revient l’honneur de vous ouvrir les portes de ses ateliers et de vous inviter à partir à la rencontre d’hommes et de femmes de passion. Nous vous donnons dors et déjà rendez vous le 30 mars, pour une journée faite de découvertes et de surprises, et nous vous invitons à découvrir le programme sur www. geneveopera.ch Retrouvez le travail de nos ateliers en page 25 et dans le reportage vidéo sur notre chaine youtube bit.ly/xZQQK2
Gergiev &
Depardieu Suite à l’immense succès remporté par le concert spécial donné en janvier 2011 et avant le ballet Anna Karenina dansé par le Ballet du Théâtre Mariinksi en avril 2012, Valery Gergiev sera au Grand Théâtre de Genève
u Op
JJR en signes Le Département de la culture et du sport de la Ville de Genève développe conjointement avec le Service cantonal de la Culture, le Comité Régional Franco-Genevois (CRFG) et Pro Helvetia un axe « Médiation culturelle, culture et handicap » dans la manifestation 2012 Rousseau pour tous. Cette approche, qui se propose d’améliorer de manière durable l’accessibilité aux lieux culturels et de développer l’offre pour les personnes en situation de handicap, semble toute naturelle, dans une manifestation nourrie par l’œuvre d’un homme qui connut la gloire et les honneurs, mais aussi l’exil, la solitude et le rejet. En collaboration avec le Département Culture et Sport de la Ville de Genève le Grand Théâtre de Genève s’associe à ce projet en proposant l’audio-description de l’opéra JJR (Citoyen de Genève) présenté au BFM Les 11, 13, 16, 18, 20 , 22 et 24 septembre 2012.
avec son orchestre et le chœur du célèbre opéra de St. Petersbourg, le mardi 13 mars 2012 à 20 h, pour une soirée dédiée à Igor Stravinski. Au programme L’Oiseau de feu (1909-1910), première musique de ballet composée
J’ai vu Glory
Le 28 janvier dernier, les 980 places du Bâtiment des Forces Motrices (BFM), ont été prises d’assaut lors
par Igor Stravinski et qui
de la répétition publique de Glory, la dernière créa-
le rendra instantanément
tion du Ballet du Grand Théâtre de Genève. Après
célèbre ; et Œdipus Rex (1927), opéra-oratorio créé
avoir été accueilli par son directeur Philippe Cohen,
en version concert à Paris,
les spectateurs ont pu observer les 22 danseuses et
au théâtre Sarah-Bernhardt
danseurs de la compagnie donner vie à la chorégra-
en 1927, puis en version scénique à l’Opéra d’État de
phie d’Andonis Foniadakis. Ce jour-là, sur la scène
Vienne un an après, et dont
du BFM où le spectacle a été joué du 4 au 12 février
l’acteur francais Gérard De-
2012, Andonis Foniadakis a notamment expliqué
pardieu sera le récitant. Une soirée événement à ne manquer sous aucun pretexte.
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son travail et a répondu aux questions des amateurs de danse présents dans la salle.
Monsieur et Madame Chamot, vainqueurs du concours organisé par le Grand Théâtre à l’occasion du réveillon 2011
Rossinien Le 31 décembre dernier, plus de 130 personnes fêtaient le changement d’année dans les fastueux foyers du Grand Théâtre de Genève. La soirée avait débuté quelques heures plus tôt avec une coupe de champagne de bienvenue et s’était poursuivie avec Le Comte Ory, le célèbre opéra de Rossini mettant en scène un libertin devant se travestir en nonne pour s’approcher de sa proie. Une heure avant les douze coups de minuit, un dîner de réveillon était servi aux convives installés autour de tables de 10 personnes. C’est dans une ambiance conviviale et festive que les hôtes du Grand Théâtre sont entrés dans l’année 2012.
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OP´ A t On
> Juliette ou la clé des songes
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de Bohuslav Martinu°
Direction musicale : Jirˇí Be ˇhohlávek Mise en scène : Richard Jones Décors & costumes : Antony McDonald Reprise de la Mise en scène : Philippe Giraudeau Juliette : Nataliya Kovalova Michel : Dteve Davislim
Au Grand Théâtre, 24 | 26 | 28 février et 1er | 3 | 5 mars 2012
« Une Juliette de rêve. Très brillante reprise de la poétique production de Juliette ou la Clé des songes de Bohuslav Martinu° signée pour le Palais Garnier en 2002 par Richard Jones. Une œuvre splendide servie avec originalité et sans faute de goût, sous la baguette experte de Jirˇí Belohlávek. » Voilà ce qu’on pouvait lire sous la plume de Gérard Mannoni sur Altamusica lors de la reprise de la production de Juliette ou la clé des songes à l’Opéra national de Paris en 2006. C’est cette production que le Grand Théâtre vous propose de découvrir place de Neuve dans les derniers jours du mois de février et les premiers jours du mois de mars.
Connaissez-vous Juliette ? U par Daniel Dollé
ne occasion rare pour découvrir un ouvrage onirique qui nous plonge dans l’univers du surréalisme au son de l’accordéon, et de rencontrer un des chefs-d’œuvre de la littérature lyrique du XXème siècle. En découvrant cette partition vous serez convaincu qu’il s’agit d’un ouvrage majeur du XXème siècle, tant sur le plan vocal que pour l’invention qui préside à l’orchestration qui ne cesse de surprendre par ses couleurs et l’agencement des timbres. Martinu° grâce à la magie des sons vous emportera au Bureau Central des Rêves, aux frontières du cauchemar et de la réalité. Dans l’astucieuse scénographie d’Antony McDonald, vous découvrirez une maison accordéon, mais également une forêt nocturne bleutée et mystérieuse, propice à la rencontre amoureuse. Mais dans le « Bureau des Rêves » et de la mémoire vous prendrez conscience de l’importance du rêve et de la mémoire que ceux, qui les ont perdus, sont prêts à acheter. Sur la scène du Grand Théâtre vous verrez… Au premier acte, un accordéon gigantesque représente les petites maisons d’un port du sud de la France avant guerre. Les photos en noir et blanc des maisonnettes sur l’accordéon, les costumes des personnages étendus par terre, font irrésistiblement penser à un vieux film de Marcel Pagnol. Michel, pieds nus et en pyjama, donne vie à tout cet univers qui se réveille d’un coup : l’ambiance est au rêve, à la poésie, à l’onirisme. Au deuxième acte, un autre accordéon, couché par terre, s’ouvre d’abord sur la forêt dans laquelle Juliette a donné rendez-vous à Michel, ensuite sur la passerelle d’un bateau. Michel a assassiné Juliette, il commence à ne plus faire confiance à sa mémoire, l’angoisse monte, tel un Hoffmann du XXe siècle, notre héros se déglingue au fil de l’intrigue. L’accordéon du troisième acte, mi-instrument de musique, mitrieur à paperasses, est un appareil bureaucrate, où s’est installé l’employé du Bureau Central des Rêves, et qui ne laisse passer que les rêveurs « en règle ». Michel glisse doucement dans la folie, une folie apaisante dans laquelle il pourra rejoindre Juliette. Après un monologue devant un rideau fermé décoré de dormeurs et d’oreillers qui forment le prénom de Juliette, Michel se retrouve tel qu’au premier acte, en pyjama, éveillant de nouveau les autres protagonistes.
« Nous n’avons pas tout oublié, pas tout perdu. Il y a des souvenirs dans mon accordéon et quand je le presse, je les vois qui sortent » Georges Neveux
Connaissez-vous Martinuº ? Bohuslav Martinu° est né dans une petite ville de Bohême où son père était sonneur de cloche. Dès son plus jeune âge, il manifeste des dons exceptionnels pour la musique. Il entre au conservatoire de Prague, mais est renvoyé au bout de deux ans. Il continue alors ses études musicales en autodidacte. Il compose ses premières œuvres en 1910-1915. À ses débuts, il est marqué par la musique française, et notam-
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vie, car il est le domaine de l’absolue liberté délivré des inhibitions. Mais ici le rêve s’arrête au premier degré, ce sont des rêves saisis avec humour et qui restent très proches de la réalité, leur profondeur mystérieuse sondées par Sigmund Freud n’apparaît pas directement dans l’œuvre. Martinu° ne souhaitait nullement explorer le monde imprévisible et opaque du rêve, La Clé des songes n’est qu’une allusion à une interprétation populaire des rêves. L’œuvre aborde également un désir fondamental humain, le besoin de posséder, l’amour fou. Et lorsque tombe le rideau, la pièce pourrait reprendre au commencement. Le rêve-cauchemar est-il terminé avec un retour à la réalité, ou continue-t-il dans un cycle interminable ? L’article de Gérard Mannoni que nous évoquions en introduction se terminait de la manière suivante : « Voilà donc une très belle soirée d’opéra, devant une salle pas pleine du tout. Il serait quand même bien que le public parisien finisse un jour par s’intéresser à autre chose qu’à La Bohème, La Traviata et La Flûte enchantée, quel que soit par ailleurs l’intérêt incontestable de ces chefs-d’œuvre ! » Aurait-il pu écrire cela en venant à Genève ? Assurément, ce commentaire ne sera pas de mise dans la Cité de Calvin qui fête le tricentenaire de Rousseau depuis le 19 février 2012. DD
© Opéra national de Paris / C. Leiber
ment par Debussy. En 1923, il part à Paris et se lie d’amitié avec Albert Roussel. En 1938, il compose son premier opéra Juliette ou la Clé des songes qui est créé au Théâtre National de Prague sous la baguette de Václav Talich. En 1940, il émigre aux États-Unis. À la fin de la guerre, il souhaite revenir aux Etats-Unis, mais à deux reprises, il devra y renoncer. Il s’installe alors en France ou en Suisse, où il meurt d’un cancer, en 1959, à Liestal près de Bâle. Il nous lègue plus de 400 œuvres dont six symphonies, des fresques orchestrales, 150 mélodies, une quinzaine d’opéras, ainsi que de la musique de chambre. Avec Smetana, Dvorˇák et Janácˇek, il est l’un des grands représentant de la musique tchèque. Vous n’avez jamais eu l’occasion d’écouter un des 387 numéros d’opus, alors précipitez-vous pour écouter prochainement l’opus 253. Avec Juliette, Martinu° invente un nouveau langage, un langage-couleur basée sur l’harmonie et le timbre qui opère la synthèse avec l’héritage debussyste. Il sert idéalement l’envoûtement poétique et la féerie du monde des rêves. Dans ce monde hérité du surréalisme, Juliette ne rêve pas, elle est le Rêve. Elle est l’image de toutes les autres femmes dispensatrices d’oubli. Ce monde sans mémoire se déroule ponctué de quelques thèmes, des leitmotivs qui, contrairement à chez Wagner, ne se transforment pas, mais tout au plus se transforment. En même temps que ces leitmotivs, on trouve également ce que Harry Halbreich appelle les leit-timbres : le cor anglais ou le hautbois associé à Michel, la flûte, et plus sporadiquement l’accordéon sont associés à Juliette. La musique tantôt opulente et lyrique, tantôt discrète se bornant à ponctuer le chant nous entraîne dans un monde de pur rêve surréaliste. Pour les surréalistes, le rêve peut donner un sens à la
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Direction musicale : Jirˇí Be ˇhohlávek Mise en scène : Richard Jones Décors & costumes : Antony McDonald Reprise de la Mise en scène : Philippe Giraudeau
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Captures d’écran du film de Marcel Carné de 1951, Juliette ou la Clef des songes avec Gérard Philipe, Suzanne Cloutier, Jean-Roger Caussimon et Yves Robert.
© DR
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En 1952, la pièce de Georges Neveux est créée au Rideau de Bruxelles, avec le comédien Pierre Michaël © DR
qui joue Michel.
Juliette
ui se souvient de Georges Neveux disparu il y a trente ans à Paris, après une carrière de dramaturge, de scénariste et de traducteur de Shakespeare et de Tchékov ? Débarquant de son Ukraine natale à l’âge de 20 ans, Georges Neveux s’installe à Paris et le poète Robert Desnos l’introduit aussitôt auprès du groupe des surréalistes mené par André Breton. Influencé par ses amis qui comme lui cherchent à « forcer les portes de l’irrationnel », il publie dès 1927, plusieurs œuvres nimbées de rêve, comme sa première pièce Juliette ou la Clef des songes. Elle est représentée à Paris en 1930, au Théâtre de l’Avenue aux Champs-Élysées avec sa directrice, l’actrice Renée Falconnetti (La fameuse Jeanne d’ Arc du film de Carl Dreyer en 1927) dans le rôle-titre. Ce spectacle poétique déclencha un véritable scandale mais fut tout de même joué près d’une trentaine de fois. Il déconcertait le public et la presse plus habitués au théâtre de boulevard léger et frivole, qu’à cet incroyable voyage onirique. Un critique de l’époque notera tout de même : « Il y a dans l’ouvrage de Neveux, de quoi tenter un musicien. »
Juliette, une histoire pas comme les autres La pièce est composée de trois actes. Les deux premiers actes narrent la quête de Michel, un jeune libraire parisien parti à la recherche de Juliette, une jeune femme entrevue jadis chantant à sa fenêtre et qui depuis hante ses nuits. Il retourne dans le village de la belle dont tous les habitants ont perdu la mémoire. Juliette, mystérieuse et fuyante, n’a pas échappée à l’amnésie générale. Puis lorsqu’à la fin du second acte, il décide de quitter la ville, il a oublié la jeune fille et jusqu’à la raison de sa venue : « Mais qu’est-ce-que je suis venu faire ici ? ». La pièce aurait pu s’arrêter ainsi, c’est du moins ce qu’aurait souhaité Georges Neveux qui, malgré tout lui ajoute un troisième acte. Il s’en explique dans une note de l’édition de 1945 du recueil Théâtre paru chez Julliard : « L’histoire de Juliette s’achève avec le départ de Michel sur le bateau. L’acte du « Bureau Central des Rêves » n’a été ajouté que pour rendre la pièce jouable, comme on verse un colorant sur un précipité pour rendre visible. Mais si Juliette devait être rejouée un jour, j’aimerais que ce fût en deux pièces distinctes, l’une en deux actes – les deux
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par Kathereen Abhervé
premiers – l’autre en un acte – le dernier. » Cette pièce est une fantaisie poétique délirante où Michel est le seul à avoir conservé la mémoire, du moins jusqu’à ce qu’il franchisse lui aussi la limite du non-retour. Ce long voyage initiatique vers l’être aimé, vers la femme idéale qui s’avèrera inaccessible et destructrice, va être pour lui un combat de la raison contre la folie, de la stabilité contre les sables mouvants de l’oubli, de la conscience contre un monde en déliquescence où le temps se réduit au présent immédiat. Le rêve devient alors prétexte aux situations les plus absurdes et lui permet ainsi de résister à l’appel de cet espace sans mémoire : « Tout ce qui m’arrive aujourd’hui est tellement fabuleux, tellement prodigieux que j’ai une peur effrayante. Tenez, j’ai peur d’être endormi et en train de faire un rêve. »
Le coup de foudre de Martinu° On ignore si le compositeur tchèque avait vu ce spectacle, lui qui dans les années 1930 habitait Paris et se rendait très fréquemment à Prague où la pièce de Neveux avait été reprise après sa création parisienne. Quoi qu’il en soit, il en commence une adaptation avant même d’avoir obtenu les droits de son auteur. En 1936, alors qu’il avait déjà composé une partie de son opéra, il contacte Georges Neveux afin d’obtenir les droits de mettre la pièce en musique : « J’ai relu il n’y a pas si longtemps votre pièce et je ne sais comment cela s’est fait mais je m’aperçois que j’ai déjà mis le premier acte en musique ; si vous voulez l’entendre, venez me voir. » Trop tard. Le dramaturge s’était déjà engagé avec le compositeur allemand Kurt Weill en exil aux États-Unis, qui souhaitait en faire une comédie musicale. Mais Georges Neveux, après avoir écouté le premier acte joué au piano par Martinu° , est séduit : « Martinu° manifestement aimait Juliette et il a rendu plus intense son charme et sa profondeur. Il en a fait un chef-d’œuvre et moi j’en étais franchement ébloui. Le lendemain j’ai écrit à l’agent américain de Kurt Weill qu’il y a eu un malentendu et que ma pièce n’était pas disponible... » C’est à Paris entre mai 1936 et janvier 1937, que Martinu° compose son opéra pratiquement d’une seule traite. Juliette ou la Clé des songes est créé en mars 1938 au Théâtre National de Prague sous la direction du chef d’orchestre et ami du com-
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Une pièce, un opéra, un film... positeur, Václav Talich, dans un décor remarquable du peintre surréaliste tchèque František Mursika. Ce fut un véritable triomphe, hélas sans lendemain, puisque des événements politiques tragiques allaient bientôt faire disparaître la jeune République tchècoslovaque. Georges Neveux présent à la création pragoise de Juliette, estima l’opéra supérieur à sa pièce. Michel Carné craque aussi pour Juliette La pièce de Georges Neveux a également intéressé le cinéaste français Marcel Carné qui voulut dans les années quarante en tourner une adaptation avec de grands artistes comme Jean Marais pour interpréter Michel. Micheline Presle, alors débutante, devait tenir le rôle-titre et Jean Cocteau en signer les dialogues. De peur qu’il soit interdit par la censure nazie de l’époque, le film fut abandonné avant d’avoir commencé. En 1949, Marcel Carné et son ami Jacques Viot reprirent le projet avec Georges Neveux comme dialoguiste. Étonnamment, il proposa un scénario assez éloigné de la pièce, modifiant l’intrigue, rajoutant des personnages (un accordéoniste et Barbe-Bleue) et surtout supprimant le troisième acte et proposant un dénouement bien différent. Michel est un jeune détenu qui s’endort dans sa cellule en rêvant de Juliette, la femme qu’il aime éperdument. Apparaît alors un village ensoleillé dont les habitants ont perdu la mémoire. Il retrouve la jeune femme nimbée d’une pureté et d’une beauté célestes, mais dont le regard est étrangement vide. Au moment de sa libération, Michel apprend que la belle oublieuse va se marier avec un autre. Il décide alors de se suicider afin de préserver l’image sublimée de son amour. Sorti sur les écrans en 1951, ce film poétique, onirique et romantique dans un noir et blanc sublimé par le grand chef opérateur Henri Alekan, est remarquablement interprété par Gérard Philipe dans le rôle de Michel, l’actrice canadienne Suzanne Cloutier dans le rôle-titre et Yves Robert dans celui de l’accordéoniste, sans oublier l’étonnant Jean-Roger Caussimon prêtant son élégante prestance à un Barbe-Bleue plus énigmatique que nature. Sélectionné au Festival de Cannes 1951, ce film ne souleva aucun enthousiasme et fut même complètement démoli par la critique dérangée par le sujet. Louis Chauvet, un journaliste du Figaro, résumait assez bien la situation : « Tout ce
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qui, dans ce film, revient en propre à Marcel Carné mérite d’ailleurs les plus grands éloges... De bout en bout la mise en scène est magistrale... L’erreur dont Marcel Carné partage la responsabilité avec Georges Neveux et Jacques Viot, c’est d’avoir cru pouvoir traduire cinématographiquement ces songes ardus, ces héros abstraits, cette littérature trop souvent discutable. » Le film fut rapidement retiré des écrans et sombra dans un oubli total vraiment bien injuste. Fort heureusement il en existe aujourd’hui une version en DVD. Le secret de Juliette Si la pièce de Georges Neveux a suscité un tel intérêt auprès d’un compositeur tel que Bohuslav Martinu° et d’un cinéaste comme Marcel Carné, c’est qu’elle aborde de manière poétique, des thèmes comme le souvenir et l’amnésie, l’insolite et l’irrationnel, le monde des rêves, de la folie, et l’amour fou avec un grand A. De quoi intéresser Martinu° qui depuis l’enfance s’était passionné pour les rêves et dont l’œuvre fut largement influencée par le mouvement surréaliste. Si le rêve a toujours constitué un sujet de choix pour les gens de lettres, peintres, sculpteurs et cinéastes, il fascina réellement les artistes surréalistes qui le considéraient plus important que la vie réelle. Pour eux, le rêve était le moyen infaillible permettant d’atteindre à l’acte créateur et de se libérer des contraintes morales, de lever les tabous et de faire sauter les chaînes qui entravent l’esprit. Ceci allant de pair avec l’amour fou né d’un seul regard, d’un hasard dont la quête enfiévrée devient source d’inspiration et le moyen d’accéder à la « vrai vie ». Un état « second » dans lequel Michel entre volontairement lorsqu’à la fin de la pièce, il croit rejoindre Juliette « Je vais pouvoir te rejoindre, je te reverrai, je ne te quitterai plus jamais, je te tiendrai dans mes bras, je te couvrirai de baisers, ta bouche, tes cheveux, tes mains, ta robe, ton corps, Juliette ! » Un tel sujet avait aussi de quoi tenter un cinéaste comme Marcel Carné qui avait signé quelques chef-d’œuvres comme Les Visiteurs du soir, film fantastique par excellence et Les Enfants du paradis, grand classique du cinéma français. Mais si la pièce, l’opéra et le film sont différents à bien des égards, ils ont en commun d’être un hymne poétique à l’amour fou qui peut faire perdre la raison à celui qui s’y aventure. KA
DVD du film de Marcel Carné chez Aventi dans la collection Ciné-club. Il existe également en coffret chez le même éditeur.
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> der rosenkavalier de Richard Strauss
Direction musicale : Jirˇí Kout Mise en scène : Otto Schenk Décors & costumes : Jürgen Rose La Maréchale : Soile Isokoski Octavian : Alice Coote Sophie : Kerstin Avemo OCHS : Alfred Reiter Faninal : Lionel Lhote Au Grand Théâtre, 29 mars et 1 | 3 | 5 | 10 | 12 avril 2012
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L'arrivée d'Octavian en chevalier à la rose dans le salon des Faninal. Décor de Jurgen Rose, inspiré par le salon du pavillon d'Amalienburg du château munichois de
par Daniel Dollé
© Bayerische Staatsoper/Wilfried Hösl
Nymphenburg.
Une production E
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xiste-t-il au monde une scène lyrique qui n’a pas songé de présenter Le Chevalier à la rose de Richard Strauss ? Une collaboration exemplaire entre le poète-dramaturge Hugo von Hofmannstahl et Richard Strauss qui ne manque pas de nous rappeler les célèbres Nozze di Figaro où la Comtesse et Chérubin nous font irrémédiablement penser à la Maréchale et à Octavian. Au premier soir d’Elektra, Strauss aurait dit : « La prochaine fois, j’écris un opéra de Mozart ». Et pourtant, que de différences entre le chef d’œuvre de Mozart et cette comédie en musique qui se déroule au rythme anachronique de la valse, sorte de devise musicale de l’érotisme qui est présent dès l’ouverture. Un érotisme polymorphe qui peut-être trivial, raffiné, vécu ou rêvé, il est omniprésent tout comme dans Salome où il est plus paroxystique. La valse demeure une sorte au génie de Vienne où se déroule l’action, au temps de l’impératrice Marie Thérèse. Le génie de Hofmannsthal a transformé les vœux du compositeur en une pièce de théâtre authentique dont la substance se révèle inépuisable pour ceux et celles qui veulent bien l’interroger. Hofmannstahl, autrichien comme Mozart, mais également italien par sa mère, est tourné vers le théâtre populaire viennois, mais également vers la commedia dell’arte. L’écrivain de grande culture et d’une extrême finesse montre une grande tendresse pour l’opéra-bouffe, très vivant et apprécié dans
la première décennie du règne de Marie-Thérèse, aux environs de 1740-1750. Le baron Ochs, un Don Juan de village, sans être grotesque serait l’équivalent du barbon ridicule qui guigne la jeune fille, mais qui sera finalement dupé, alors que Sophie et Octavian sont le couple d’amoureux. Mais la présence des ingrédients habituels, ne doit pas nous faire oublier que nous sommes en présence d’une comédie qui s’est doublée d’un drame psychologique grâce à la présence d’un personnage surnuméraire, un personnage hors du cadre traditionnel de la commedia dell’arte : la Maréchale, princesse von Werdenberg. Le drame intime qu’elle vit sublime le tout et déplace le centre de gravité de l’œuvre, jusqu’à jeter le trouble dans le cœur des jeunes amoureux. L’œuvre s’achève sur un trio sublimissime, où la Maréchale, Sophie et Octavian se retrouvent à la croisée de leurs destins, seuls face à euxmêmes. Chacun des personnages aura connu sa vérité, le renoncement à un amour plus vivace que jamais, la douleur du choix ainsi que l’ambiguïté de toute réalité. Le voyage initiatique s’achève en rappelant La Flûte enchantée, un autre opéra initiatique. Un duo dans la tonalité de sol majeur viendra conclure l’œuvre avec une nouvelle réalité amoureuse sur des paroles, probablement difficiles à prononcer de la Maréchale : « Ja, ja ». La Maréchale aurait-elle abdiquée ? À chaque titre programmé se pose la question de savoir si le théâtre présentera une nouvelle production, ou s’il faut
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mythique s’orienter vers une production existante. Sans vouloir entrer dans le détail des paramètres qui vont déterminer le choix, il est essentiel de rappeler que les critères économiques et la charge de travail des ateliers de production d’une institution demeurent des critères fondamentaux pour l’orientation des décisions. En programmant Der Rosenkavalier, le Grand Théâtre a opté pour la présentation d’une production existante et son choix s’est porté vers une production mythique du Bayerisches Staatsoper de Munich. Une production imaginée en 1972 par le célèbre humoriste et comédien Otto Schenk en compagnie d’un scénographe-costumier qui a marqué de nombreuses productions lyriques, théâtrales et chorégraphiques sur les plus grandes scènes internationales. Créée en 1972, elle est toujours à l’affiche de la vénérable institution munichoise et a été à nouveau présentée dans le cadre du Festival de Munich, l’été dernier. Le rôle du Baron
Duo final Sophie Ist ein Traum, kann nicht wirklich sein, C’est un rêve, cela ne peut être vrai, Dass wir zwei beieinander sein, que nous soyons l’un près de l’autre Beieinand’ für alle Zeit l’un près de l’autre pour toujours, à jamais. Und Ewigkeit ! Octavian Spür nur dich, spür’ nur dich allein Il n’existe que toi, je ne sens que toi seule Und dass wir beieinander sein ! et que nous sommes près l’un de l’autre ! Geht all’s sonst wie ein Traum dahin Et tout le reste, à la manière des rêves, Vor meinem Sinn ! s’envole loin de mon esprit !
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Croquis de Jürgen Rose pour les costumes de la création pour l'Opéra d'état de Bavière (1972)
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Otto Schenk
© Fechter Management
C’est un comédien et un metteur en scène qui a parcouru le monde. Il commence sa carrière de comédien au Theater an der Josefstadt et au Volkstheater de Vienne. En 1953, il fait ses début de metteur en scène au Burgtheater de Vienne, au Munchner Kammerspiel, ou encore au Festival de Salzbourg. Il met en scène des pièces de Shakespeare, d’Arthur Schnitzler, Ödön von Horwath, d’Anton Tchekov. C’est au Landestheater de Salzbourg qu’il met en scène son premier opéra, Die Zauberflöte. Avec Lulu d’Alban Berg au Theater an der Wien, Otto Schenk assure sa notoriété en tant que metteur en scène lyrique. Bientôt il sera l’invité permanent de l’opéra de Vienne, en continuant à parcourir le monde avec des escales à La Scala de Milan, au Covent Garden, à l’opéra de Berlin et à l’Oopéra de Munich, entre autres. Le Metropolitan de New York, où il avait débuté en 1968 avec Tosca, retiendra surtout le Ring des Niebelungen, en 1986, sous la direction musicale de James Levine, qui restera à l’affiche du Met jusqu’en 2009 et demeure une référence pour certains wagnériens. Il fait ses adieux au Met en 2006 avec une production de Don Pasquale avec Anna Netrebko et Juan Diego Flórez. On pouvait lire dans le New York Times, le 10 mai 2009 : « The audience was clearly waiting for the Austrian director Otto Schenk to appear. With this performance of Götterdämmerung Mr. Schenk’s production of Wagner’s “Ring” cycle was being retired after more than 20 years. The Wagner fans who love his realistic, lushly Romantic staging, rich in storybook imagery and free of conceptual agenda, wanted to show their appreciation. » En tant qu’acteur, il apparaît dans plus de 30 films et réalise, en 1973, un film basé sur La Ronde d’Arthur Schnitzler.
Jürgen Rose
© DR
Avant de le découvrir dans la nouvelle tétralogie du Grand Théâtre de Genève en 20122013 et 2013-2014, nous allons rencontrer l’univers poétique et somptueux de l’artiste qui compte parmi les plus grands scénographes et costumiers du moment. Après des études à la Kunstakademie de Berlin, Jürgen Rose fait ses débuts de scénographe et d’acteur à Ulm à l’âge de 22 ans. En 1961, commence une longue collaboration avec la prestigieuse institution théâtrale munichoise, Le Kammerspiele. Un an plus tard, commence la fameuse collaboration avec John Cranko, le chorégraphe. Il dessine les décors et les costumes de Roméo et Juliette pour le Ballet de Stuttgart. Cette production figure au programme de nombreuses compagnies de ballets à travers le monde. Mais John Cranko ne fut pas le seul chorégraphe à faire appel aux talents de Jürgen Rose, ainsi il travaille avec John Neumeier, directeur artistique du Ballet de Hambourg. À partir de 1970, commence sa carrière dans le monde lyrique qui va le conduire sur les plus grandes scènes internationales, entre autres, à Vienne, à Berlin, à Munich ou encore à La Scala. Mais Jürgen Rose est également metteur en scène. C’est avec La Traviata en 1996, à Bonn qu’il débute cette nouvelle carrière. Tout récemment l’opéra de Munich a repris son Don Carlos, et André Tubeuf, le célèbre critique musical, écrivait : « Jürgen Rose a réussi là un des Verdi les plus serrés et intenses dramatiquement, les mieux en place qu’on ait jamais vus. Il a tout fait dans ce spectacle, lumières et concept compris, assurant son unité idéale à un chef-d’œuvre qu’on laisse trop souvent dispersé et composite, toile de fond historique avec morceaux de bravoure. Ici l’unité d’un grand Verdi est retrouvée, et l’impact est foudroyant. » Membre de l’Académie des arts à Berlin depuis 1975, il a également enseigné pendant 27 ans à Stuttgart où l’une de ses élèves les plus connues a été rosalie qui a signé les décors et les costumes du Ring mis en scène par Alfred Kirchner au Festival de Bayreuth, où Jürgen Rose a créé la nouvelle production du Vaisseau Fantôme, en compagnie d’un complice depuis de longues années, Dieter Dorn, avec qui il a réalisé Orphée et Eurydice de Gluck au Festival de Salzbourg en 2010. Nous avons le plaisir et le bonheur de pouvoir retrouver Dieter Dorn et Jürgen Rose pour la nouvelle production du Ring des Niebelungen au Grand Théâtre.
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La soprano Soile Isokoski, ici à San Francisco en 2007, tiendra aussi le rôle de la Maréchale au Grand Théâtre en mars 2012.
Ochs était tenu par Peter Rose, qui chantait Osmin en novembre 2011 sur la scène de Neuve, et Sophie Koch que nous retrouverons prochainement aux côtés de Diana Damrau dans Mignon interprétait Octavian.
© James efferman
Les plus grands interprètes ont participé à cette production qui malgré son grand âge a conservé un charme et une poésie. Elle a été immortalisée en DVD sous la direction du regretté Carlos Kleiber en 1979. Il aura marqué cette production pendant douze ans et restera une référence absolue pour la direction musicale de l’œuvre. Carlos Kleiber ne dirigeait pas cette musique, il était la musique. Pour décrire et percer le mystère de sa direction un livre ne suffirait probablement pas. Pour ceux qui ont eu le privilège de le voir diriger, ils n’oublieront pas de sitôt l’osmose parfaite entre ses gestes et sa musique. Carlos Kleiber donnait l’impression d’improviser avec une complicité parfaite avec l’orchestre, mais pour ceux qui le connaissaient, ils savaient que tout était préparé avec une parfaite minutie. Il avait une maîtrise parfaite pour conduire le flux et le reflux de la musique, et le trio final, commencé dans une lenteur exceptionnelle, semblait en apesanteur. Certes le temps passe, mais avec la direction de Kleiber le temps passait encore plus vite. Ses interprètes avaient pour noms : Gwyneth Jones, Brigitte Fassbaender, Lucia Popp, Manfred Jungwirth, Benno Kusche ou encore Francisco Araiza. Certains trouveront la production d’un autre âge, elle l’est assurément, mais elle colle parfaitement à l’esprit de l’œuvre et nous permet de remonter un source d’un ouvrage qui n’est pas prêt de disparaître des affiches et qui garde toute son actualité. N’oublions jamais, qu’une œuvre ne vit que par rapport aux regards que nous y portons. Il est dans l’art, et plus particulièrement dans l’art lyrique, essentiel de faire cohabiter et se croiser des esthétiques différentes qui nous ramènent vers des origines, mais qui nous conduisent également vers de nouveaux horizons. Ce qui reste certain et objectif, c’est lorsque cette production apparaît dans la programmation du Bayerische Staatsoper, elle affiche encore chaque soir complet… Le Grand Théâtre saura-t-il rivaliser avec la célèbre institution bavaroise où René Pape, avant de nous offrir un magnifique récital, venait de jouer Philippe II, un de ses rôles fétiches, aux côtés de Jonas Kaufmann ? DD
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Lucy Crowe (Sophie) salue les festivaliers munichois avec Sophie Koch (Octavian)
© DR
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Le premier Octavian de la mise en scène d'Otto Schenk. Brigitte Fassbaender en 1972
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Alice Coot en Octavian au Los Angeles Opera avec Adrianne Pieczonka en Maréchale. Elle sera Octavian à Genève. (ci-dessous)
Peter Rose campe un Baron Ochs de taille aux Operfestspiele de Munich en 2011 (ci-dessus)
Maquettes des décors d’Ezio Toffolutti pour la production du Comte Ory au Grand Théâtre.
© Bayerische Staatsoper/Wilfried Hösl
Dans le Financial Times du 25 juillet 2011 sous la plume d’Andrew Clark on pouvait lire : « …The staging, vintage 1972, represents a nostalgia-trip for anyone who remembers the Bavarian State Opera’s glory years. Directed by Otto Schenk and designed by Jürgen Rose, it radiates opulence – the rococo splendour of Faninal’s town house still provokes applause at the Act Two curtain-up – while maintaining a sense of classical proportion… » Sur le site Seen and Hear International, on trouvait également l’extrait suivant : « This stage production bears the signature of Otto Schenk, whose work is always a guarantee of stage beauty, not to mention good taste. The production was premiered at this theater in 1972, i.e. 39 years ago and it is good to remind ourselves that none of the female protagonists in this performance, nor its music director, were even born when this production was premiered. The sets and costumes are by Jürgen Rose and both are spectacular and beautiful, as you would expect from this artist. A beautiful room for the first act, and a spectacular Faninal mansion in the second – which raised spontaneous applause from the audience – while the third act was not at the same level. The stage direction by Otto Schenk is not modern, but is always at the service of text and score. Many may consider the production outdated, but I do not share that idea. Real beauty is never outdated and I sincerely hope that when this production is retired for good, it can be preserved and be still be seen in a museum of opera somewhere. »
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Der Rosenkavalier
Une machine à remonter le temps P par Christopher Park
Au premier acte de Der Rosenkavalier, peu avant d’envoyer son jeune amant Octavian porter la rose d’argent, la Maréchale se livre à une méditation d’une tranquillité exquise et déchirante, sur le temps qui passe. Elle pressent la fin de leur liaison et le moment, peut-être imminent, où le jeune comte lui préfèrera une autre, plus belle et surtout plus jeune. Cette échappée mélancolique et magique est l’un des nombreux moments où la magnifique « viennoiserie » de Richard Strauss et Hugo von Hofmannsthal révèle qu’elle est bien plus qu’une fantaisie désinvolte sur les mœurs matrimoniales au temps de l’impératrice Marie-Thérèse.
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ar le sentiment d’impuissance absolue que l’on éprouve, ballotté dans le sillage de son déroulement, c’est le temps qui est indubitablement le personnage principal de Der Rosenkavalier. Écrite à la veille de la Première Guerre mondiale, pénétrée de la nostalgie des valses qui firent la renommée de Vienne au XIXe siècle, l’œuvre est un génial chassécroisé d’anachronismes où Strauss et Hofmannsthal mettent en scène deux traits typiquement viennois : ne jamais vraiment dire ce que l’on pense et cacher sous une épaisse couche de cette bonhomie archi-viennoise que l’on nomme Gemütlichkeit les névroses produites par nos troubles les plus profonds ; celles que provoquent, par exemple, le temps qui passe, les empires qui se désagrègent, les guerres lointaines (ou imminentes) et la mutation des ordres sociaux. On trouve tout cela dans Der Rosenkavalier. Dans une Autriche impériale, l’image même du charme et de la grâce, la foule de personnages créée par Hofmannsthal est harmonieusement hiérarchisée, véritable image d’Épinal d’Ancien Régime : laquais, majordome, modiste, notaire, coiffeur, chanteur, flûtiste, intrigant et intrigante italiens, commissaire de police et négrillon ornemental, tous gravitent avec déférence autour de la princesse Marie-Thérèse von Werdenberg, dite « la Maréchale » d’après le grade militaire détenu par la figure absente de son mari. Éprise d’Octavian, comte Rofrano, la Maréchale le surnomme affectueusement « Quinquin » tandis que lui l’appelle« Bichette » dans leurs moments d’intimité, car dans le monde de Rosenkavalier, toutes les élégances sont en français dans le texte : « Der Baron Lerchenau antichambriert nicht », « Fürstin Brioche », « Eh bien, ma cousine ». Le cousin de la Maréchale, le baron Ochs auf Lerchenau se targue d’appartenir à l’ancienne noblesse (pas celle de ces bourgeois parvenus anoblis de Faninal), mais sa vraie nature – aujourd’hui, on dirait son « manque de classe » – ne tarde pas à se révéler. Derrière toutes ces apparences, Strauss et Hofmannsthal nous font comprendre que quelque chose sonne faux. Tandis que la Maréchale et sa maisonnée passent de la tasse de chocolat aux rituels de la levée et que le Maréchal chasse dans les forêts de Croatie, un ferment de révolution bouillonne déjà sous la croûte souriante et poudrée de l’ordre établi, tout comme dans l’œuvre que Hofmannsthal et Strauss reconnaissaient volontiers comme la principale inspiration de leur opéra : Le Nozze di Figaro de Mozart et da Ponte. Sur un air de valse… Bien que la Vienne de Marie-Thérèse (l’impératrice, pas la Maréchale) soit passée directement des Lumières au Biedermeier, sans connaître le traumatisme sanglant de la Révolution française, elle n’a pas échappé aux angoisses existentielles communes à toute l’Europe romantique, à témoin les élans pathétiques de Beethoven ou l’âme tourmentée de Schubert. C’est dans ce contexte qu’un jeune maître de mu-
sique et talentueux violoniste nommé Johann Strauss commença à cachetonner dans des soirées d’auberges viennoises où l’on se pressait pour danser le Ländler à trois temps, qui allait devenir la valse. En 1827, il fondait son propre orchestre et l’on se rendit vite compte que le rythme tourbillonnant et endiablé de la valse de Johann Strauss était une excellente métaphore pour les agitations politiques secouant l’Empire austrohongrois, sous le couvert de la Gemütlichkeit générale. Au XXe siècle, Richard Strauss (sans lien de parenté), en composant son Rosenkavalier, n’avait pas oublié cet aspect déterminant de la culture viennoise du siècle précédent. Strauss et Hofmannsthal connaissaient mieux que quiconque les travers de leurs compatriotes viennois : la suffisance bourgeoise, le culte de la respectabilité, les fastes insensés des rituels funéraires et l’obsession de la mort, un antisémitisme pernicieux et un conservatisme catholique à toute épreuve, que l’on peut encore percevoir dans l’Autriche contemporaine, déchue depuis belle lurette de ses splendeurs impériales. Strauss greffa sur la tendre satire politico-sociale de Hofmannsthal une partition où le rythme cadencé de la valse couvre d’un délicieux glaçage de pâtisserie viennoise par-dessus les névroses des personnages de la distribution. Car la valse est la forme musicale attitrée de la Gemütlichkeit : la Maréchale et Octavian chantent à trois temps pour cacher leur inquiétude devant la présence menaçante du temps qui passe et qui, inévitablement, les sépare. Le baron Ochs fredonne sa propre petite valse, ironiquement la plus mélodieuse de tout l’opéra (« ohne mich, ohne mich jeder Tag dir so bang… mit mir, mit mir keine Nacht dir zu lang »), pour se convaincre qu’il est capable, malgré son âge et sa grossièreté, de se fiancer à une jolie jeune fille tout en contant fleurette à une autre. À l’époque où le cabinet du Dr. Freud au Bergstrasse 19 ne désemplissait pas, les auteurs de Rosenkavalier vont pratiquer l’exercice de la révélation de l’intimité psychique dans ce qu’elle a de plus véritable et déclencher ainsi la mélancolie ineffable de leur œuvre. L’opéra commence avec un prélude orchestral joyeux et ébouriffé, qui suggère les ébats matinaux de la Maréchale et d’Octavian, mais il devient très vite évident que le cœur de la Maréchale est bien plus vulérable qu’elle ne voudrait le laisser paraître à son jeune amant. Avant la fin du premier acte, on se rend compte que leur liaison touche à sa fin. Le monologue de la Maréchale à la fin du premier acte (« Die Zeit ist ein sonderbar Ding ») est une véritable confession de divan de psychanalyste : elle raconte l’anxiété que lui procure le passage du temps, comment elle se lève la nuit pour arrêter les pendules, sa tentative risible non seulement de mettre un frein à son vieillissement, mais aussi de faire cesser l’inévitable déroulement de levées, de visites, d’offices religieux, d’obligations et de promenades en carrosse au Prater qui règle son existence. Le constat fait de toutes ses névroses, la Maréchale règlera ellemême son processus thérapeutique, de manière partiellement involontaire. Elle va amorcer une série d’événements qui la
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sépareront d’Octavian et qui donneront une leçon de bonnes manières à son goujat de cousin Ochs. Sophie von Faninal, la riche héritière, fille de bourgeois parvenus, qu’Ochs aimerait épouser et de qui Octavian tombera éperdument amoureux, représente le nouvel ordre social qui va évacuer l’aristocratie impériale, figurée par la Maréchale. Strauss, dans les opéras qu’il écrivit avant Der Rosenkavalier, Salome et Elektra, avait utilisé les mondes antiques de la Judée et de Mycènes comme métaphores de la déliquescence de l’ordre socio-politique au début du XXe siècle en Europe (et il y avait également déjà inscrit, en commentaire ironique, des mélodies de valse aux moments les plus tendus de l’action) ; il allait tout naturellement reprendre le même procédé dans Rosenkavalier pour commenter le passage à l’histoire de l’Empire austro-hongrois de François-Joseph, à travers la métaphore de l’époque de MarieThérèse. Hofmannsthal et Strauss savaient que le monde splendide de l’Autriche impériale de leur jeunesse partait à la dérive. On sent ainsi dans la musique de Der Rosenkavalier, autant que dans les relations d’une surprenante modernité entre les personnages, toutes les tensions accumulées de l’histoire viennoise et l’on pressent surtout l’agonie de l’ordre aristocratique ainsi que l’imminence du carnage généralisé de la Première Guerre mondiale. … scintillant et étrange Les deux visages de cette Vienne en déchéance, tiraillée entre Gemütlichkeit bourgeoise et Unheimlichkeit freudienne, on les retrouve dans la partition. D’un côté, Strauss réalise avec brio son hommage à l’aisance classique de Mozart et au lyrisme romantique de Schubert, sans pour autant délaisser la richesse chromatique de son propre style. Chaque personnage est tracé avec une exquise finesse, même les rôles mineurs. Mais c’est la Maréchale qui l’emporte par la complexité musicale sublime de son personnage, ce qui n’est pas surprenant quand on connaît l’amour passionné que Strauss vouait à la voix de soprano. Lorsque la Maréchale est en présence d’Octavian, Strauss lui donne un chant clairement harmonique, d’un lyrisme assuré ; quand elle est seule, son univers sonore devient plus torturé. Lorsqu’elle regrette amèrement d’avoir donné son congé à Octavian de manière si abrupte (« Ich hab ihn nicht einmal geküsst »), Strauss fait voler en éclats l’assurance harmonique de la Maréchale et, à l’instar des quatre laquais essoufflés qu’elle lance vainement à sa poursuite, il halète à travers différentes toniques pour se résoudre finalement sur le vent des paroles du Troisième Laquais, «wie der Wind ». La ligne de chant du baron Ochs, par contraste, est résolument diatonique, sa petite mélodie sentimentale et cadencée suit le modèle d’une chanson populaire des faubourgs de Vienne ou d’une valse de Johann Strauss. Comme le jardinier Antonio, dans Le Nozze di Figaro, la simplicité de la ligne vocale du personnage est une indication à peine voilée de son naturel grossier. Faninal chante de manière délibé-
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rément monotone, tandis que sa fille Sophie adopte un ton d’une innocente clarté. La voix de Sophie est placée dans registre aigu de la tessiture de soprano, pour contraster avec la gravitas de la Maréchale, et c’est grâce à la pureté juvénile de son ton qu’on comprend que Sophie est destinée à séduire Octavian. Quant à ce dernier, « il » (puisqu’incarné par une mezzo-soprano « en culottes ») aura tendance à s’adapter par mimétisme à la présence féminine qu’il côtoie. Boudeur et puéril en compagnie de la Maréchale, Quinquin occupe le registre grave de la tessiture de mezzo. Tout change lorsqu’il offre la rose d’argent à Sophie, signe de l’intérêt matrimonial que lui porte le baron Ochs. Dans le duo final avec Sophie (« Ist ein Traum / Spür nur dich »), la voix d’Octavian la rejoint dans la tessiture élevée. L’apparition d’un ténor italien, destiné au divertissement de la Maréchale, permet à Strauss de se moquer gentiment du phrasé exagérément lyrique d’un Puccini. Les deux intrigants italiens, Annina et Valzacchi, font écho au duo impayable de Marcellina et Bartolo dans Le Nozze di Figaro et, à l’instar de la grande comédie domestique de Mozart et da Ponte, Strauss ne néglige aucun détail musical des répliques destinées aux membres, proches ou distants, de la maisonnée de la Maréchale. L’orchestre, vaste comme l’aimait Strauss, fourmille d’inventions, dont la plus célèbre est certainement le motif scintillant et étrange, détaillé en staccato sur les flûtes, de la « rose d’argent ». Ce monde sonore audacieux que créa Strauss, brutalement atonal dans Elektra ou mélancolique « recherche du temps perdu » dans Der Rosenkavalier, avait en lui le pouvoir de griser ou d’alarmer ceux qui venaient l’écouter. Uni aux textes de Hofmannsthal, dont le pittoresque anachronique étudié alimente le moteur de cette machine à remonter le temps qu’est Der Rosenkavalier, il offrit aux publics élégants de Dresde (où eut lieu, il y a un tout petit peu plus de cent ans, la première de l’œuvre) et de Vienne (où l’opéra fut rapidement un succès, tant les Viennois furent flattés d’y voir représenté leur âge d’or) une admonition de taille. Car tout ce qu’ils chérissaient dans leur nostalgie conservatrice, depuis les tasses de chocolat matinal aux promenades vespérales au Prater, risquait fort d’être bientôt balayé dans les abîmes d’un conflit aux dimensions inimaginables. Tandis que la rose d’argent scintille et qu’Octavian et Sophie s’étreignent à la fin du troisième acte, on ne peut s’empêcher d’imaginer que si Octavian avait « vraiment » été un garçon de 17 ans au moment de la première, on aurait pu le retrouver quelques années plus tard au nombre des victimes de Caporetto ou de l’offensive du Piave. Le monde de Der Rosenkavalier ressemble à ces étés de notre jeunesse, en apparence interminables, baignant dans une lumière dorée, mais il s’y trouve en abondance les signes prémonitoires de lendemains de fête particulièrement difficiles. Des lendemains de fête dont nous ferions bien, face aux visions de marasme financier et économique que nous présente l’an de grâce 2012, de nous rappeler. ChP
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Le tableau de William Hogarth The Countess morning levee inspira Hugo von Hofmannsthal pour le premier acte de Rosenkavalier
(ci-dessus)
Cartes postales de la création en 1911 à Dresde de Rosenkavalier. Margarethe Siems (La Maréchale) Eva von der Osten (Octavian) Minnie Nast (Sophie)
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Ce ballet inspiré du chef d’œuvre de la littérature de Léon Tolstoi et composé par Rodion Chtchédrine pour sa femme, la célèbre ballerine russe Maïa Plissetskaïa arrive à Genève pour trois soirées exceptionnelles avec les meilleurs danseurs du corps de ballet du théâtre Mariinski accompagné par l’orchestre du théâtre Mariinki dirigé pour la première soirée par son directeur musical, Valery Gergiev.
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La jeune danseuse Yekaterina Kondaurova dansera le rôle d’Anna Karenina le 17 avril 2012 au Grand Théâtre. Elle est première danseuse au Théâtre Mariinski. Née à Moscou et diplômé en 2001 de l’Académie de ballet Vaganova qui donne chaque année au Théâtre Mariinski ses meilleurs éléments. Elle rejoint donc ce dernier la même année. Elle a reçu le Prix Benois de la Danse en 2006, le Prix Golden Sofit en 2010 et le Prix Golden Mask en 2011pour ses rôles d’Anna Karenina dans le ballet éponyme.
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> Anna Karenina
Ballet en deux actes d’après le roman de Tolstoï Musique de Rodion Chtchedrine
Orchestre du Théâtre Mariinski Direction musicale : Valery Gergiev et Alexei Repnikov Ballet du Théâtre Mariinski Chorégraphie : Alexei Ratmansky Décors & costumes : Mikael Melbye Scénographie video : Wendall Harrington Lumières : Jørn Melin
Yekaterina Kondaurova (Anna), Andrey Yermakov (Vronski) Victoria Tereshkina (Anna) - Vladimir Shklyarov (Vronski) Uliana Lopatkina (Anna) - Yuri Smekalov (Vronski) Au Grand Théâtre, 17 | 18 | 19 avril 2012
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La danseuse étoile du Théâtre Mariinski Ouliana Lopatkina dansera le rôle d’Anna Karenina le 19 avril 2012 au Grand Théâtre (ici en photo avec le danseur Yuri Smekalov). Née en Crimée et diplômé en 1991 de l’Académie de ballet Vaganova, elle rejoint le corps de ballet du Théâtre Mariinski la même année. Elle a obtenu de nombreux prix depuis, dont le Prix Golden Sofit en 1995, le Masque d’or de la meilleure danseuse, le Prix Benois de la Danse, le prix de la Baltique en 1997 et le prix de l’Etat de Russie en 1999. Elle est nommé Artiste émérite de la Fédération de Russie en 2000. Une maternité et un accident l’éloignent quelques temps de la scène. Mais depuis elle illumine toutes les tournées du Ballet du Théâtre Mariinski. Son rôle phare reste pour de nombreux fans celui du Cygne blanc du Lac des Cygnes de Tchaïkovski. Elle est danseuse étoile depuis 1995. Le danseur Yuri Smekalov a rejoint le corps de ballet du Théâtre Mariinski en 2009 et depuis accumule de nombreux premiers rôles. Il est aussi chorégraphe et a reçu en 2009 le 1er prix au concours international de Moscou. Il remporte également le Masque d’or du meilleur danseur pour son rôle dans le ballet La Mouette de Rodion Chtchedrine au cours de la saison 2007/2008. Natif de l’Oural, il est passé par la célèbre académie de ballet de Vaganova d’où il sort diplômé en 1998. Avant de rejoindre le Mariinski, il est premier danseur à l’Eifman Ballet de SaintPetersbourg et sera souvent invité à danser dans de nombreux théâtres européens. Il sera Vronski le 19 avril 2012 au Grand Théâtre.
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Fondé en 1986, le Cercle du Grand Théâtre s’est donné pour objectif de réunir toutes les personnes et entreprises qui tiennent à manifester leur intérêt aux arts lyrique, chorégraphique et dramatique. Son but est d’apporter son soutien financier aux activités du Grand Théâtre et ainsi, de participer à son rayonnement.
Rejoigneznous !
Nous serions heureux de vous compter parmi les passionnés d’arts lyrique et chorégraphique qui s’engagent pour que le Grand Théâtre de Genève conserve et renforce sa place parmi les plus grandes scènes européennes. Adhérer au Cercle du Grand Théâtre, c’est aussi l’assurance de bénéficier des avantages suivants : • Priorité de placement • Service de billetterie personnalisé • Echange de billets • Dîner de gala à l’issue de l’Assemblée Générale • Cocktails d’entractes réservés aux membres • Voyages lyriques • Conférences thématiques « Les Métiers de l’Opéra » • Visites des coulisses et des ateliers du Grand Théâtre. Rencontre avec les artistes • Possibilité d’assister aux répétitions générales • Abonnement au journal ACT-O • Envoi des programmes • Vestiaire privé Pour recevoir de plus amples informations sur les conditions d’adhésion au Cercle, veuillez contacter directement : Madame Gwénola Trutat (le matin, entre 8 h et 12 h) T + 41 022 321 85 77 F +41 022 321 85 79 cercle@geneveopera.ch Cercle du Grand Théâtre de Genève Boulevard du Théâtre 11 1211 Genève 11
Le carnet du Cercle Bureau Mme Françoise de Mestral, présidente M. David Lachat, vice-président M. Gabriel Safdié, trésorier Mme Véronique Walter, secrétaire Autres membres du comité Mme Diane d’Arcis S. A. S. la Princesse Andrienne d’Arenberg M. Luc Argand M. Friedrich B. Busse Mme Muriel Chaponnière Rochat M. Gerson Waechter M. Pierre-Alain Wavre Membres bienfaiteurs M. et Mme Luc Argand Mme René Augereau M. et Mme Guy Demole Fondation de bienfaisance de la banque Pictet Gonet & Cie, Banquiers Privés M. et Mme Pierre Keller MM. Lombard Odier Darier Hentsch et Cie M. et Mme Yves Oltramare Mrs Laurel Polleys-Camus SFG - Société Fiduciaire et de Gérance SA Union Bancaire Privée – UBP SA M. Pierre-Alain Wavre M. et Mme Gérard Wertheimer Membres individuels S.A. Prince Amyn Aga Khan Mme Diane d’Arcis LL. AA. SS. Le Prince et la Princesse Etienne d’Arenberg Mme Dominique Arpels Mme Véronique Barbey Mme Christine Batruch-Hawrylyshyn M. et Mme Gérard Bauer M. et Mme Pierre Benhamou M. et Mme Philippe Bertherat Mme Antoine Best Mme Saskia van Beuningen Mme Françoise Bodmer Prof. Julien Bogousslavsky M. Jean Bonna M. Alain Boucheron Comtesse Brandolini d’Adda Mme Robert Briner M. et Mme Yves Burrus M. Friedrich B. Busse Mme Caroline Caffin Mme Maria Livanos Cattaui Mme Muriel Chaponnière-Rochat Mme Anne Chevalley M. et Mme Neville Cook M. Jean-Pierre Cubizolle M. et Mme Alejandro Dahlhaus M. et Mme Claude Demole Mme Virginia Drabbe-Seemann Grace, Countess of Dudley M. et Mme Olivier Dunant Mme Denise Elfen-Laniado Mme Maria Embiricos Mme Diane Etter-Soutter Mme Catherine Fauchier-Magnan Mme Clarina Firmenich Mme Pierre Folliet Mme Pierre-Claude Fournet M. et Mme Eric Freymond Mme Elka Gouzer-Waechter Mme Bibi Gritti Mme Claudia Groothaert M. et Mme Philippe Gudin de La Sablonnière M. et Mme Philippe Jabre Mme Marie-Josèphe Jacquet M. et Mme Jean Kohler Mme Maria Pilar de La Béraudière M. et Mme Pierre de Labouchère M. David Lachat M. Marko Lacin Me Jean-Flavien Lalive d’Epinay M. Christian Langlois-Meurinne M. et Mme Pierre Lardy
Mme Michèle Laraki M. et Mme Guy Lefort Mme Eric Lescure M. et Mme Thierry de Loriol Mme Eva Lundin M. Ian Lundin M. Bernard Mach Mme France Majoie Le Lous M. et Mme Colin Maltby M. Thierry de Marignac Mme Mark Mathysen-Gerst M. Bertrand Maus Mme Anne Maus M. Olivier Maus M. et Mme Charles de Mestral M. et Mme Francis Minkoff M. Pierre G. Mirabaud M. et Mme Bernard Momméja M. et Mme Christopher Mouravieff-Apostol Mme Pierre-Yves Mourgue d’Algue M. et Mme Trifon Natsis Mme Laurence Naville M. et Mme Philippe Nordmann M. et Mme Alan Parker M. et Mme Shelby du Pasquier Mme Sibylle Pastré M. Jacques Perrot M. et Mme Gilles Petitpierre M. et Mme Charles Pictet M. et Mme Guillaume Pictet M. et Mme Ivan Pictet M. et Mme Jean-François Pissettaz Mme Françoise Propper Mme Ruth Rappaport Mme Karin Reza M. et Mme Gabriel Safdié Comte et Comtesse de Saint-Pierre M. Vincenzo Salina Amorini M. et Mme René Sanchez M. et Mme Paul Saurel M. et Mme Julien Schoenlaub Mme Noëlie Schoenlaub Baron et Baronne Seillière M. Thierry Servant Marquis et Marquise Enrico Spinola Mme Christiane Steck Mme Isabelle Stoffels M. André-Pierre Tardy M. et Mme Riccardo Tattoni M. et Mme Kamen Troller M. Richard de Tscharner M. et Mme Gérard Turpin M. et Mme Jean-Luc Vermeulen M. et Mme Olivier Vodoz M. Gerson Waechter Mme Véronique Walter M. et Mme Lionel de Weck Mme Paul-Annik Weiller Membres institutionnels 1875 Finance SA Activgest SA Christie’s (International) SA Fondation BNP Paribas Suisse Fondation Bru Fondation de la Haute Horlogerie Givaudan SA H de P (Holding de Picciotto) SA JT International SA Lenz & Staehelin Mandarin Oriental, Genève MKB Conseil & Coaching MM. Mourgue d’Algue & Cie, Genève Notz, Stucki & Cie, SA La Réserve, Genève SGS SA Organe de révision : Plafida
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Marie-France Minkoff & Hugues Gall
Témoins de nos 25 ans
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Chère Françoise, Le temps qui passe estompe les ombres et éclaire d’une lumière plus belle les souvenirs, dit-on… Cela ne s’applique pas aux sentiments si précis et si forts que je conserve de mes quinze années au service du public genevois. Parmi les nombreux bonheurs que j’ai vécus place Neuve figure en bonne place la création de votre cercle, voici 25 ans, une époque où, déjà, les fonds publics se faisaient moins spontanément généreux en faveur du prestigieux mais dispendieux opéra dont Genève avait su se doter grâce au si opportun testament du Duc de Brunswick. L’idée de fédérer les énergies des plus fervents amis de notre maison et de canaliser vers elle leur générosité – dans tous les sens de ce beau mot – revient à deux hommes clairvoyants : René Emmegger remarquable magistrat en charge de la Culture, d’une part, et au grand président de la Fondation du Grand Théâtre qu’a été Maître Jean-Flavien Lalive, d’autre part. Mais, cette idée n’aurait jamais pris corps sans la vision ni l’énergie d’Elisabeth Salina, présidente engagée et superbement active. Elle a été secondée dans ces années de lancement par le dévouement de la chère Béatrice Caillat, comment l’oublier ce soir ! C’est au Cercle que nous devons le premier système de surtitrage mis au point par Pascal Bau, et servi depuis, soir après soir par la compétente et combien élégante Saskia van Beuningen. C’est encore au Cercle que nous devons l’édition des années durant, d’une publication qui passe aujourd’hui encore pour une référence, et ce grâce à la culture et au total engagement de son rédacteur en chef, mon collaborateur et mon ami Christian Schirm. Que de beaux textes il a su réunir, quelles signatures prestigieuses ! Comme nous étions fiers grâce à vous, d’être les éditeurs des profondes analyses d’un Jean Starobinsky notamment ! L’œuvre ainsi commencée a été poursuivie, je le sais, de manière parfois différente mais toujours remarquable par leurs successeurs. Vos rangs, se sont enrichis de nouveaux membres : vous êtes désormais des acteurs indispensables à la vie et au rayonnement de cette maison à laquelle je dois tant. Je suis le premier de vos débiteurs. Dès lors, comment ne pas vous dire à vous tous, ce soir, ma reconnaissance et mon regret d’être littéralement aux antipodes ce 24 novembre – je vous parle de Nouvelle Zélande où un voyage prévu de longue date me retient. Mais chère Françoise ma pensée la plus fidèle est avec vous – elle transperce le globe terrestre en ligne droite pour vous dire les vœux fervents d’infinie longévité que je forme pour le cercle du Grand Théâtre et pour chacun de ses membres. Hugues Gall
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Madame la Présidente, chère Françoise, Absents de Genève, nous ne pourrons malheureusement pas célébrer avec vous les 25 ans d’existence du Cercle. Au cours de ce quart de siècle, la métamorphose de notre Maison d’Opéra, déjà amorcée sous l’éminente direction de Rolf Liebermann et poursuivie depuis avec succès par ses différents successeurs a transformé cette « Belle au bois dormant » provinciale en une Institution capable de rivaliser en qualité avec les meilleurs scènes européennes (ainsi qu’en témoignent, notamment, les distinctions de « Meilleur spectacle européen de l’année » décernées à deux reprises à Genève durant le mandat de J.-M. Blanchard). Durant toutes ces années, le projet artistique fut éclectique et ambitieux, les charges financières très lourdes et le budget plutôt modeste, mais le but fut atteint. Il est vrai que, sans la participation de sponsors, mécènes et plus particulièrement le soutien sans faille de l’un d’entre eux, aussi généreux que discret, le Grand Théâtre ne serait peut être pas parvenu à relever le défi. Le Cercle a, quant à lui, contribué pour une part non négligeable à maintenir ce fragile équilibre financier. Aujourd’hui plus que jamais, alors qu’il s’agit de préserver la qualité des prestations de notre Opéra dans une conjoncture morose et économiquement préoccupante, le soutien des amateurs d’art lyrique est essentiel voire indispensable et leur mobilisation étroitement liée à leur motivation. Il me semble exprimer un sentiment partagé par d’autres en souhaitant, sans préjuger aucunement des choix artistiques, que chaque spectacle soit guidé par le souci de servir l’œuvre et son compositeur dans le respect des interprètes et non pas, à l’inverse, d’utiliser, voire de détourner l’œuvre pour satisfaire d’irrépressibles pulsions narcissiques doublées d’interprétations personnelles plus ou moins loufoques ou discutables… Pour terminer, je voudrais saluer le travail fourni depuis des années pour ouvrir l’Institution sur la cité et la sortir de la tour d’ivoire dans laquelle l’opinion publique se complait souvent à la confiner, en développant des activités pédagogiques et culturelles coordonnées autour des spectacles proposés et en tachant de redéfinir une politique tarifaire plus abordable notamment pour les jeunes. Inciter la jeunesse à fréquenter régulièrement le Grand Théâtre constitue pour ce dernier le gage de survie à long terme. Enfin, last but not least, forte de 18 ans de compagnonnage avec le Cercle, je tiens à vous remercier pour votre écoute, votre disponibilité et votre engagement personnel, chaleureux, enthousiaste et efficace, engagement qui ne peut qu’inciter chacun d’entre nous à s’impliquer davantage pour soutenir la cause qui nous réunit tous. En souhaitant donc que la fréquentation et l’activité du Cercle se poursuivent « ad multos annos » je vous adresse, Madame la Présidente et chère Françoise, mes très amicales pensées et vous souhaite une magnifique soirée le 24 novembre prochain. Marie-France Minkoff
Le 24 Novembre 2011, le Cercle du Grand Théâtre fêtait ses 25 ans d’existence. L’occasion d’une belle célébration sur le plateau de scène, dans les décors de L’enlèvement au sérail. L’occasion aussi pour les convives d’apprécier, parmi de grands airs, les sonorités surprenantes des chœurs du Grand Théâtre interprétant des extraits de Richard III, et la virtuosité de son ballet dans un extrait de Closer, chorégraphié par Benjamin Millepied. Deux grands absents de cette soirée, retenus par leurs obligations ont souhaité être un peu présents, nous vous présentons sur ces pages les fac-similés des courriers de Marie-France Minkoff et Hugues Gall, qui témoignent de leur attachement au Cercle, au Grand Théâtre et à l’art lyrique.
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C’était du 4 au 12 février 2012 sur la scène du BFM et chaque spectateur qui était présent a éprouvé un choc vitaminé. Les vingt danseurs du ballet du Grand Théâtre virevoltaient, sautaient, se jetaient, se rejetaient... pendant une heure intense dans une ambiance de lumières digne de Grand messe Rock et sur une musique de Haendel revivifiée. Une heure de fougue baroque chorégraphié par le Crêtois Andonis Foniadakis.
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Le militant de « l’opéra pour tous » R
(ci-dessous)
La Walkyrie, première journée de la Tétralogie L’Anneau du Nibelung mis en scène par Herbert Graf en 1968 au Grand Théâtre de Genève. Il signe également les décors et s’inspire d’Adolphe Appia. (en-dessous et page de droite)
Il met en scène en 1970 Boris Godounov de Moussorgski cette fois dans des décors de Nicola Benois et sous la baguette de Georges Sebastian. C’est Nicola Rossi-Lemeni
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qui chante le rôle-titre.
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Herbert Graf
eplacé dans le contexte genevois de l’époque, l’arrivée de Herbert Graf en 1965 à la direction du Grand Théâtre de Genève relève d’un vrai challenge. Le nouveau Directeur doit faire face à un déficit conséquent. Heureusement un auditoire particulièrement exigeant et éclairé assure un taux de fréquentation et de remplissage constant et élevé, liton dans la presse. Car si les organes de surveillance désirent maintenir une programmation artistique de grande qualité, ils imposent à Herbert Graf une gestion rigoureuse. Ce dernier va introduire plusieurs notions et pratiques nouvelles, non seulement dans la gestion du théâtre mais également dans l’élargissement et la démocratisation du public, en associant ce dernier au processus de création, la scène n’étant plus seulement le lieu de la représentation. En effet, pour Herbert Graf, les transformations économiques et technologiques de l’époque ne garantissent pas l’avenir de l’opéra et une partie des problèmes qu’il relève doivent trouver leurs solutions dans la confiance et la formation du public : tout d’abord, l’éducation de la jeunesse, dans un étroit contact avec les écoles, ceci en vue de former le public de demain avec des invitations d’étudiants aux répétitions générales ; puis la démocratisation, en permettant à des couches plus vastes de la population d’assister à des représentations d’ouvrages particulièrement populaires et enfin des invitations au public dans le cadre de démonstrations du travail de mise en scène. Pour ce faire, sa politique va alors privilégier deux grands axes qui sont novateurs au sein de l’institution genevoise : la formation, celle des exécutants mais aussi celle du public ; et la démocratisation, le fait d’offrir des productions pour rapprocher l’opéra des gens, thème qu’il développe dans ses Mémoires d’un homme invisible et dans Opera for the people. Politiquement l’enjeu était important puisqu’il s’agissait de convaincre qu’un théâtre lyrique disposant de moyens proportionnés aux ressources économiques, sociales et culturelles du canton de Genève pouvait aspirer à une qualité artistique comparable à celle des Opéras des grandes métropoles nationales européennes ou américaines, si les ambitions affichées de démocratisation parvenaient à réunir le soutien unanime de tous les acteurs de la cité, public, presse et pouvoirs publics. Ce soutien unanime devait quant à lui s’excercer en acceptant les budgets que l’institution défendait. Dans cette conception, dont les fondements remontent pour
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par François Dachet & Anne Zendali*
L’article 1 que nous Herbert Graf aux débats dans son envous présentons ici auxquels fance les noms de Wagner est issu des discus- et de Nietzsche étaient atla mission de sersions du colloque de tachés, vice public va de pair avec mars 2011 « Herbert la qualité artistique et indes spectacles Graf metteur en tellectuelle offerts à un public le plus scène » et ouvre, avec large possible. Durant sept années à la tête de nombreux docu- ses du Grand Théâtre (1965ments inédits, sur 1973), Herbert Graf n’aude cesse d’offrir cette des versants encore ra programmation artistiméconnus de l’œuvre quement très élevée. Tout s’entourant de nomde celui qui dirigea en breuses collaborations le Grand Théâtre de prestigieuses (ainsi du chef d’orchestre Ernest 1965 à 1973. Ansermet ou du peintre Oskar Kokoschka), il n’hésite pas à retourner aux sources de son style et monte parmi beaucoup d’autres un Ring, y compris décors et costumes, dont la mise en scène dialogue avec les textes d’Adolphe Appia qui inspiraient sa thèse presque un demi siècle auparavant, comme avec ceux de son père, le musicologue Max Graf. Mais là n’est pas le seul bénéfice de sa politique à la tête du Grand Théâtre. C’est au cours de cette période que le Centre lyrique international de Genève voit le jour et que des ateliers de costumes et de décors attachés à la production lyrique et chorégraphique de l’institution sont créés. Cet aspect genevois de l’ouvrage montre à quel point les archives du Grand Théâtre de Genève, les archives administratives déposées aux Archives de la Ville et le fond Graf déposé à la Bibliothèque de Genève permettent d’avoir une lecture nouvelle de cette période foisonnante de projets lyriques et de rapprochements avec le public, et abritent encore les matériaux de recherches futures. Mais un autre aspect de l’ouvrage nous révèle aussi ce que les mises en scène d’Herbert 1 Herbert Graf, la vie sur scène, numéro 4/5 de la revue Superflux, éditions de l’Unebévue
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* François Dachet est psychanalyste, maître de conférences HDR à l’Université de Paris Est Créteil et dirige la revue Superflux, et a publié
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(de haut en bas)
Le ténor Charles Kullman, un inconnu, Herbert Graf , la contralto Kerstin Thorborg et le basse Richard Mayr à Salzbourg dans les années 30. La soprano Marian Anderson répète son rôle d’’Ulrica pour Un Ballo in Maschera l’opéra de Verdi aux côté d’Herbert Graf, alors metteur en scène au Metropolitan Opera en décembre 1954.
en 2008 L’innocence violée ? Herbert Graf/le petit Hans : devenir metteur en scène d’opéras. Anne Zendali est responsable des archives au Grand Théâtre de Genève.
2 Herbert Graf, Richard Wagner Metteur en scène. Étude pour une histoire du développement de la mise en scène à l’opéra.
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il explique comment il rendra vivantes – c’est pour lui l’essentiel – les mises en scène lyriques auxquelles, désormais, il va consacrer sa vie. Car on ne peut évoquer aujourd’hui Herbert Graf sans évoquer un personnage qui a acquis une certaine renommée, faut-il dire – mais ce n’est pas sûr – « à la place » de Herbert Graf. Il s’agit du petit Hans, personnage central du Cas de phobie d’une petit garçon de cinq ans, élaboré par Freud tant à partir de son expérience de la psychanalyse qu’avec les récits de plusieurs moments de l’enfance de leur fils que lui firent les parents de Herbert, eux-mêmes proches du divan de Freud. Le petit Hans est vite devenu au fil des années le prototype de la psychanalyse avec les enfants. Mais très vite aussi, ce texte qui témoigne de l’audacieuse liberté transférentielle de la pratique freudienne a été recouvert par les commentaires normatifs. Et bien que le cas freudien ait connu une nouvelle jeunesse dans les années cinquante avec l’enseignement de Jacques Lacan, ledit symptôme phobique du petit Hans a poursuivi son circuit, confit dans le récit analytique, bien à l’écart des pratiques artistiques du metteur en scène lyrique Herbert Graf. Mais Herbert Graf, lui, n’a pas oublié le moment de sa vie qui l’avait amené, enfant, à contribuer à l’invention de la psychanalyse. Et des premières lignes de sa thèse aux derniers actes de sa vie artistique il l’a fait savoir. Cette expérience inouïe et trop souvent impensée des transferts en vadrouille, de leur indestructibilité hors du champ de l’analyse, amène à poser l’œuvre d’Herbert Graf comme répondant, dans la dimension de la création des symboles, de ce que la posture psychologique ne peut s’empêcher de tenir dans la dimension du symptôme. Une lecture donc à saisir pour qui souhaite interroger la place de l’opéra dans les arts du spectacle vivant aujourd’hui, ses rapports avec la cité, ses contributions à l’audiovisuel contemporain ou tout simplement découvrir les inspirations profondes de ce metteur en scène marquant du XXe siècle. AZ & FD
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Graf doivent à sa proximité, datée mais loin d’être désuète, avec la création freudienne. En contextualisant les relations de la psychanalyse aux différentes cultures dans lesquelles elle se situe, plusieurs articles opèrent ainsi une lecture approfondie des sources auxquelles puisait l’art de Herbert Graf. Herbert Graf a mis en scène durant un demi-siècle. Au regard de cette durée les quelques photos de sa vie professionnelle qui sont passées au public et demeurent aujourd’hui accessibles sont en nombre restreint. Cela confirme que la position dont il avait déclaré le principe à la revue du Metropolitan de New York Opera News peu de temps avant sa mort, être l’homme invisible de la scène lyrique, n’était pas une posture tardive, mais bien une constante de son œuvre. Cette politique scénique et la résistance qu’elle dut opposer aux empiètements du vedettariat ne sauraient se comprendre sans la référence au projet de l’adolescent Herbert Graf, projet qui a animé sa vie artistique et qui l’a amené, comme il l’avait rêvé, à réaliser pour l’opéra ce que, dans la suite de la troupe des Meininger, Max Reinhardt avait à ses yeux pleinement réussi pour le théâtre : produire la vie sur la scène, faire vivre pour les spectateurs les œuvres du répertoire et renouveler celui-ci en créant les œuvres contemporaines. La thèse qu’il soutient en 1925 au Musikwissenschaftlisches Institut de Vienne sous le titre Richard Wagner Metteur en scène 2 est entièrement consacrée à cette question. Cette thèse, jusque-là inédite et aujourd’hui traduite en français chez L’unebévue-éditeur, a constitué l’axe du colloque qui a eu lieu à l’Opéra Bastille. On y trouvera donc aussi ce qui a mené Herbert Graf, le si jeune collaborateur de Freud, futur directeur de la scène du Metropolitan Opera de New York et Directeur du Grand Théâtre de Genève, inventeur du broadcast lyrique, à questionner dans son œuvre la vie des fantasmes. Et quelle place, invisible du public, il assigne au metteur en scène d’opéra. Car dans sa thèse, Herbert Graf rassemble une première fois les composantes de son expérience : « Que savais-je en ce temps-là – écrira-t-il plus tard – de l’importance pour moi d’avoir grandi dans un entourage dans lequel Richard Strauss, Loos, Kokoschka et Sigmund Freud allaient et venaient ? » Enchanté par la magie de Max Reinhardt, entre lectures de Nietzsche et références à Freud,
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Herbert Graf, alors directeur artistique à l’opéra de Zurich,
Les ouvrages cités dans cet article sont disponibles à la boutique du Grand
avec le metteur en scène
Théâtre ou sur le site www.unebevue.org
Lofti Mansouri en 1960.
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> Matthias Goerne Baryton
Récital Winterreise Piano : Eric Schneider Au Grand Théâtre, 19 février 2012 à 19 h 30
par Daniel Dollé
Matthias Goerne
es récitals se succèdent sur la place de Neuve, et leurs points communs sont l’excellence et l’enthousiasme qu’ils suscitent auprès d’un public sans cesse plus nombreux. Le 19 février le Grand Théâtre accueille un artiste merveilleux dans le domaine du lied. Il parcourt les plus grandes salles du monde avec une prédilection pour ce monde subtil et raffiné de la mélodie. Lorsqu’on sait que ses maîtres sont Hans Joachim Beyer, Elisabeth Schwarzkopf et Dietrich FischerDieskau à qui on le compare si souvent, on comprend alors aisément sa passion, son amour pour le lied. Ses récitals, il les définit de la manière suivante : « Je dois m’exprimer, je n’ai pas besoin de réciter, ce côté “raconter quelque chose aux gens” ne fonctionne qu’avec certains thèmes. Quel est finalement l’objectif d’un récital de chant? On veut atteindre les gens et les confronter aux sentiments qui deviennent de plus en plus rares, qui font de moins en moins partie de la vie quotidienne. Je le prends plutôt mal, lorsqu’un chanteur essaie de m’expliquer ce que le texte signifie. Mais il y a aussi des gens qui ne peuvent pas le supporter. Curieusement, il n’y a pas de milieu concernant l’opinion sur ma manière de chanter. » C’est à l’opéra, en 1997, au Festival de Salzbourg qu’il fait ses grands débuts, depuis il est l’invité des plus grandes scènes telles que le Royal Opera House à Londres, le Teatro Real de Madrid, l’Opéra de Paris, la Staatsoper de Vienne
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ou le Metropolitan Opera de New York. Il choisit soigneusement ses rôles qui incluent Papageno (La Flûte enchantée de Mozart), Wolfram (Tannhäuser de Wagner) et Kurwenal (Tristan und Isolde de Wagner) ainsi que les rôles-titres de Wozzeck de Berg, Mathis der Maler de Hindemith et Lear d’Aribert Reimann. En 2003, au Festival de Salzbourg, il assure la création mondiale de L’Upupa de Hans Werner Henze. Ses partenaires musicaux sont des chefs d’orchestre de premier plan comme Valery Gergiev, Lorin Maazel, Seiji Ozawa ou Simon Rattle… Ses accompagnateurs ont pour nomPierre-Laurent Aimard, Leif Ove Andsnes, Alfred Brendel ou Christoph Eschenbach. Matthias Goerne est l’invité des plus grands orchestres américains – Boston, Chicago, New York ou San Francisco , mais il chante aussi avec le London Symphony Orchestra, le London Philharmonic Orchestra, le Philharmonia Orchestra, les Berliner Philharmoniker, les Wiener Philharmoniker, l’Orchestre de Paris... Lorsqu’on s’intéresse à sa discographie et à ses projets, on peut dénombrer pas moins de 11 enregistrements consacrés à Franz Schubert, le chantre de l’art romantique. En cette période hivernale, il propose de nous entraîner dans l’univers si particulier de Winterreise, l’un des trois cycles du compositeur Viennois. Un cycle souvent considéré comme l’un des plus noir du romantisme. L’artiste qui compare la Belle Meunière et Le voyage d’hiver, dans les lignes suivantes, ex-
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Lied de velours L
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Son calendrier
28 février 2012 Récital Winterreise - C. Eschenbach, piano Salle Pleyel, Paris 5 mars 2012 Récital Winterreise - C. Eschenbach, piano Kennedy Center, Washington (USA) 8 et 10 mars 2012 Concert Le Château de Barbe-Bleue (Béla Bartók) avec Michelle de Young (Soprano) Kennedy Center, Washington 15 au 18 mars 2012 Concert Récital - F. Schubert & R. Strauss avec le Dallas Symphony Orchestra Chef d’orchestre : Jaap van Zweden The Meyerson Symphony Center, Dallas 25 mars 2012 Concert Récital - War Requiem (B. Britten) avec Nancy Gustafson (Soprano), Mark Padmore (ténor), chœur et orchestre philharmonique de Londres. Chef d’orchestre : Lorin Maazel Royal Festival Hall, Londres 7 avril 2012 Concert Récital Le Château de Barbe-bleue (Béla Bartók) Orchestre symphonique de Berlin Chef d’orchestre : Kent Nagano Philharmonie, Berlin 11 et 12 avril 2012 Concert Récital - F. Schubert & R. Strauss avec l’Orchestre de Paris Chef d’orchestre : Paavo Järvi Salle Pleyel, Paris 16 au 22 avril 2012 Concert Récital - F. Schubert & R. Strauss avec le Los Angeles Philharmonic Chef d’orchestre : Christoph Eschenbach Walt Disney Concert Hall, Los Angeles 11 mai 2012 Récital Schwanengesang C. Eschenbach, piano Salle Pleyel, Paris 31 mai au 5 juin 2012 Opéra Le Château de Barbe-Bleue (Béla Bartók) Chef d’orchestre : Seiji Ozawa Teatro del Magio Musicale, Florence
prime un tout autre avis : « À la fin, un personnage totalement désespéré. (parlant du jeune garçon) Contrairement au « Voyage d’hiver », qui manifeste l’espoir. Au dénouement, le joueur d’orgue de Barbarie n’est pas la mort, même s’il est souvent assimilé à la Faucheuse. Le voyage d’hiver a pour moi une issue où tout est encore possible. Son protagoniste n’est pas aussi fanatique que le jeune meunier. Il se révolte, mais trouve ensuite une vision sereine de la vie. » Au disque, il dialogue avec Alfred Brendel lorsqu’il enregistre Le voyage d’hiver car pour lui le monde du lied n’est ni suranné, ni dépassé. Il est conscient que parfois le public se fait plus rare et qu’il ne se presse pas de la même manière que pour d’autres manifestations. Pour lui les sentiments humains n’ont pas changé, et il estime qu’avec Schubert, il est aisé de faire partager et d’expliquer toutes les facettes de la peur, de la nostalgie, de la mélancolie, des manquements et des erreurs. En apparence l’humanité a changé, beaucoup changé, cependant les pulsions et les sentiments des hommes sont restés les mêmes. C’est avec Heidenröslein de Schubert qu’il a abordé l’univers du lied grâce à un professeur de musique qui était en même temps son professeur d’éducation physique. Matthias Goerne se rappelle très bien, il venait d’arriver à l’école de Chemnitz et devait se mettre devant toute la classe pour chanter. Il avait alors 11 ans, et l’ambiance était plutôt lourde. Lorsqu’il se mit à chanter « Sa hein Knab ein
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Röslein stehn… », un silence religieux s’installa, et le maître lui dit : « tu as une voix particulièrement belle. » Schubert aurait pu le consacrer comme chanteur, mais bien avant un telle idée germait dans sa tête, car il a toujours aimé chanter et intégra très rapidement le chœur d’enfants du théâtre de Chemnitz, alors qu’il trouvait le monde lyrique étrange et se demandait quelle était sa signification. Très jeune, il savait de quoi il avait envie, et il n’aurait jamais supporté de rejoindre la troupe d’un opéra. Sans répit, il est à la recherche de la vérité dans ses interprétations et dans la vie. Une vérité qu’il fait partager grâce à la chaleur de son timbre de baryton et à la fluidité de son chant et à l’extraordinaire qualité de ses interprétations. Il déteste les esprits chagrins, les pessimistes et les oiseaux de mauvais augure qui prédisent la disparition progressive de valeurs qui lui sont essentielles et qui lui paraissent fondamentales comme le récital, la musique et l’Art capables de donner un sens à un monde qui sans relâche privilégie la course à l’événementiel et le superficiel, pour ne pas parler de facilité. Une nouvelle fois le Grand Théâtre vous convie à un moment qui pourrait bien devenir exceptionnel grâce à un artiste de plus en plus sollicité au sommet de son art et qui partage avec ses illustres prédécesseurs l’aspiration à l’excellence dans un domaine qui mériterait d’être davantage partagé. DD
Son dernier enregistrement Schubert Vol. 5 Matthias Goerne Nacht und Träume Piano : Alexander Schmalcz Harmonia Mundi, 2011 B0044ZQ8SU
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Le ateliers du rêve par Camille Bozonnet
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l nous reste la motorisation du manège de Petrouchka à terminer, la mise au point sera réglée sur le plateau. L’enlèvement est quasi bouclé. On a commencé le Comte Ory. L’usage du carton est une première. Il réagit beaucoup à l’humidité : il s’est dilaté d’un centimètre. Le Devin, j’hésite, je n’ai encore jamais habillé de cubes : impression numérique sur PVC, peinture sur toile, collage des images avant ou après la découpe des 168 faces… Le Chevalier à la rose, tout dépend de l’accueil : s’il vient de Munich, ce sera 400 m2 de praticable à refaire, d’Amsterdam, moins…» égrenait Michel Chapatte, chef des ateliers décors, fin septembre dernier. Créations, co-productions, adaptations de l’étranger ou rafraîchissements avant un départ en tournée, les ateliers décors sont toujours sur le fil. Répartis en quatre services et trois sites de production, ils réalisent, en moyenne pour chaque spectacle, l’équivalent de six containers de 30 à 40m3. Inventivité, humour et rigueur, rien n’est acquis, tout est permis. Petite musardise en féerie. L’indispensable invisible Atmosphère contrastée à la serrurerie où dominent les extrêmes du clair-obscur. C’est ici que sont travaillés le métal et l’aluminium, parfois l’ertalon (teflon anti-bruits), pour façonner tous types de charpentes, châssis, supports, fixes ou mobiles, pièces d’assemblage et mécaniques essentiels à la structure d’un décor. L’atelier débite, usine, pointe, soude des barres ( fer plat) et des profils (tubes) de diamètres, calibres et sections variés. Rien de poétique ni de sexy, une précision astreinte au millimètre au service d’un résultat souvent invisible. La magie semble opérer ailleurs. Et pourtant… « On utilise très peu d’éléments du répertoire, hormis des roulettes de supports pour chars tripodes, des fermes arrondies destinées à accrocher les toiles de fond de scène en demi-lune au niveau des cintres » nuance, dans un large sourire, Serge Helbling, à l’atelier depuis 25 ans. Chaque spectacle réclame ses éléments sur mesure qui obligent à l’innovation. Tel le carrousel de Petrouchka, épuré jusqu’à rappeler une sorte de gigantesque araignée aux dix pattes articulées, habillées de guirlandes lumineuses. «Une pièce unique. Nous n’avions pas de référent. On est partis un peu à l’inconnu… cela peut être frustrant d’être obligés de tout défaire pour remonter autrement parce qu’on découvre les obstacles à surmonter au fur et à mesure.» Puis survient la commande plus créative. L’escalier hélicoïdal de la maison de Bartolo (Il Barbiere di Siviglia), imaginée la saison dernière par Paolo Fantin. Seize marches ciselées autour d’un poteau central de 6,40 m de haut, une balustrade de rappel et un retour. Trois potelets par degré, de longueurs différentes, une rampe, des marches fines avec soudures
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constantes sauf pour quatre d’entre elles qui reprennent l’élément de support de l’escalier. « Il faut beaucoup de doigté, souligne Serge, la prunelle pétillante. La main de l’homme interprète des cotes au dixième de milimètre, doit sentir l’élément, pour corriger la main courante, par exemple, mettre les points de chauffe aux bons endroits. Il aura fallu plus d’un mois et demi à deux. Mais une fois terminé, l’escalier était spectaculaire ! » L’art des décors naturels «Notre domaine, c’est le bois. Principalement, les lambourdes (pièces de faible section) de sapin pour les châssis, les panneaux d’okoumé, un bois tendre et rosé, disponibles de quatre à vingt-cinq milimètres d’épaisseur et les croisés, une sorte de contre-plaqué en quatre milimètres standard pour rhabiller », détaille Claude Jan Du Chêne. Jumeau de la serrurerie, l’atelier menuiserie construit et assemble les structures, les praticables avec ou sans pentes, quelques gros accessoires et des éléments invisibles, tels les escaliers servant à accéder au décor par les coulisses. Il rhabille également les châssis de métal, réservant les essences et matériaux rares aux faces apparentes. Trente-trois ans de maison procurent à Claude une belle collection d’anecdotes. Il évoque, pêle-mêle, l’unique décor réalisé en acajou. Les plans autrefois tracés à genoux en trois à quatre semaines. Les volumes improbables qui envahissent les 1 000 m2 baignés de lumière grâce aux linéaires de vitrages. Comme le monumental pont à triple arche, voulu par Jean-Marc Stehlé pour Don Giovanni en 1990-1991. Colossal au point qu’ils aient été obligés d’ouvrir le mur du fond, aujourd’hui abattu, pour l’achever. Et dernièrement, la construction d’Il Barbiere di Siviglia, façade d’un immeuble du sud au recto, intérieur bariolé de Bartolo au verso, impossible à tester en entier : les huit mètres sous les DINs (poutres métalliques) du plafond étaient trop courts pour les douze à treize m du bâtiment. Ils ont dû travailler par morceaux, assemblés plus tard sur le plateau. Un joli souvenir. «Tout était praticable. Les stores marchaient. Je ne suis pas tellement impressionnable et je me rends rarement aux générales, mais là… Lorsque le rideau s’est ouvert, les spectateurs ont applaudi pendant cinq minutes. Cette fois, la qualité de notre travail, remarquable, était reconnue», a-t-il savouré, songeur.
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Les ateliers décors (à gauche)
Les ateliers des peintres du Grand Théâtre sur les décors du Comte Ory (page suivante)
Le coin des accessoiristes et l'atelier construction
Trompe-l’œil subtil mais prononcé Ni peinture en bâtiment, ni œuvre léchée sur chevalet, la peinture de décor orchestre des jeux d’ombre et de lumière pour créer un volume, visible de loin. Les contrastes sont plus durs, le trait ponctué de points clairs aux endroits judicieux afin que le spectateur puisse lire la forme. « Sans cette force, comparable à un agencement de pixels, un pointillisme XXL,
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« En chiffres 2010-2011
Menuiserie
10 450 29 600
m2 de panneaux m de lambourdes
Serrurerie
20
tonnes d’acier/ aluminium
Visserie
1 000 15
pièces tous les
jours
Peinture
4 000 50 240
kg
brosses, pinceaux, rouleaux m de toile blanche
Tapisserie
600 600
m de molleton noir kg de colle blanche
Retrouvez sur notre blog l’humeur capricieuse du bleu de Prusse, ce que
de loin, il ne se passe rien, la peinture est plate. Pour que nos dessins aient une âme, nous conservons le blanc au maximum. Nous montons progressivement dans les tons foncés, par couches successives. Il faut savoir prendre son temps. De cette manière, la toile conserve une légèreté et une profondeur qui permettent au spectateur d’y voyager », raconte, intarissable, Stéphane Croisier, au théâtre depuis quinze ans. Les cyclos (toiles de fond de scène) peuvent atteindre quarante mètres de longueur par 8, 10, 12 ou 15 m de large : « un chouette terrain de jeux ! Là, sur des toiles de vingt mètres sur six du Comte Ory, on peint à l’italienne, en parsemant une base foncée de touches de lumière. On a passé deux semaines sur le traçage, on en est à quatre pour la peinture. Un régal. Mais parfois, couvrir de noir de grandes surfaces à la Olivier Py fait du bien, l’absence de questions nous repose… » Car, souvent, les peintres doivent s’en poser pour résoudre des énigmes : ils inventent jusqu’à des instruments qui rendront parfaitement tel effet. Une roulette pour « user » du carton, une forme tracée dans la sciure pour imiter un veinage de bois ou de pierre, une toile frottée au papier de verre pour la vieillir et la transformer en fresque… Autrement, ils peignent sur du sagex préalablement enduit, de la fibre de verre, du carton, du latex, utilisent des peintures synthétiques ou acryliques, évitent celles à solvant – toxiques, compliquées à retoucher, un cauchemar pour les chanteurs qui craignent les odeurs – et se délectent des mélanges de pigments. Un jour, les toiles sont pliées, emportées et montées sur scène. L’occasion de dernières modifications lorsque, lors des répétitions, découvertes à taille réelle, avec les éclairages, les costumes et les accessoires, le scénographe peut souhaiter quelques rectifications. « C’est toujours délicat de se prononcer sur un échantillon. Les tests sont validés, mais à si petite échelle. On suit la maquette, bien sûr, mais on l’interprète aussi, avec notre sensibilité et l’idée que l’on a du rendu final. Il y a la question de l’éclairage également. Tel effet de lumière peut sublimer ou abîmer une toile. L’essentiel est de comprendre que le décor ne nous appartient pas. Ce n’est pas une œuvre d’art. On s’éclate et puis il part. Et on recommence !»
les peintres peuvent bien faire avec 1040 clous, l’épopée de la Cadillac sur le pont, les effets de l’alcool sur l’acajou et autres tuyaux.
operapourtous.ch
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Merveilleux capharnaüm Chez les tapissiers-décorateurs, enfin, règne un joyeux fourbi. Aux murs, les étagères bondées hébergent un bric-à-brac de cartons remplis d’échantillons, de boîtes regorgeant de petits bidules et de machins, collection de cactus, boules de cotillons
voisinant avec une statue de nymphe en faux bronze, un ours brun grandeur nature, un parachute pendu au plafond… Chacun veille jalousement sur son coin à malices, source d’inspiration pour de futures inventions puisqu’il s’agit, ici, d’habiller les décors, de confectionner les accessoires et les leurres en carton pour les répétitions. D’après des maquettes fournies par le décorateur ou, souvent, en traduisant plus ou moins librement une intention. Un exercice qui fait appel à un savant mélange de créativité débridée, de recherche et de respect de nombreuses contraintes liées au poids, au volume, au transport, au montage, aux odeurs, à la sécurité. Le défi peut être technique, comme l’explique Pierre Broillet, ébéniste, à l’atelier depuis dix ans : « pour l’Enlèvement au sérail, Gunnar Ekman a imaginé un canapé tout en rondeur, une goutte en métal implantée dans un univers “James Bondien”, période Sixtie’s. J’ai dû faire un plan puis un tracé à l’échelle un sur un. Il a fallu commander un panneau de mélaminé marine pour créer un squelette basé sur trois âmes régulières reliées par des liteaux. Mettre un croisé (panneau souple de bois reconstitué) pour suivre la forme. Injecter de la mousse expansive afin de solidifier la bête. Enfin, appliquer une couche d’apprêt, une couche de rouge, et patiner l’ensemble pour lui donner un aspect de vieux cuivre, le côté métallique. » Parfois, la difficulté consiste à trouver cette entente parfaite avec le décorateur qui permet de donner forme à un désir un peu flou: «nous avons réalisé pas moins de treize prototypes de panneaux pour Les Sylphides. Paul Cox voulait que le tissu tombe raide tout en paraissant souple. Et sans coutures apparentes alors que le spectacle partant en tournée, les panneaux doivent se démonter et se monter facilement. Un casse-tête qui nous a demandé huit à dix mois de recherche. Pas en continu, bien sûr », précise Pierre, d’humeur narquoise. Car la règle tacite de l’atelier semble être de s’amuser. Bidouiller. Faire preuve de sagacité lorsqu’une partie de l’équipe part en courses s’équiper : un grandiose rubis de plastic repéré dans une échoppe thaïlandaise ornera le sceptre d’Alice, des photos de vieux cadrans dénichées aux Puces seront agrandies puis imprimées sur une série de montres anciennes d’un mètre dix, une banale lampe de poche de la Migros simulera un viseur infrarouge monté sur une arme dont la crosse sera sciée, un bateau télécommandé de chez Weber servira de corps secret à un aileron de requin de sagex peint, censé effrayer des baigneuses dans un bassin à 30°C… CB
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! s ! e m s e m » e ! m F s « Ô Fem me m e F
Le directeur du Théâtre de Carouge, Jean Liermier, crée sa version du Mariage de Figaro. Une pièce de Beaumarchais qu’il a adaptée en se frottant au livret que Lorenzo Da Ponte a réalisé pour Mozart. Alors, Beaumarchais + Mozart = Figaro ! ? Entretien avec son responsable de la communication, Francis Cossu.
Francis Cossu Vous êtes un familier des Noces de Figaro que vous avez mis en scène à l’Opéra national de Lorraine. Comment cela influence-t-il votre approche du texte de Beaumarchais dans Figaro ! ? Jean Liermier J’ai tout de suite été séduit par l’adaptation faite par Lorenzo Da Ponte pour Mozart. Il a su relever un vrai défi car toute l’adresse dramaturgique de Beaumarchais s’exprime dans cette pièce pré-révolutionnaire à l’intrigue foisonnante et aux rebondissements en cascade ! FC Un opéra moins politique que la pièce, aussi ? JL Da Ponte a apporté quelques aménagements politiques bien plus fondamentaux que de simples coupures faites pour contourner la censure. J’en veux pour preuve l’air de Barberine, au début du quatrième acte, au cours duquel une petite jeune fille de rien a toute la lumière braquée sur elle… FC Mais surtout, il rend l’opéra plus elliptique que la pièce, notamment en resserrant l’action (on passe de cinq à quatre actes) sur les protagonistes. JL Mon envie était de partir de la structure du livret et de « réinjecter » le texte original de la pièce. Les comédiens ne chanteront pas mais il s’agira d’une version de chambre parlée avec, comme seule musique, la langue de Beaumarchais… FC Cette langue qui a inspiré Mozart !
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JL Probablement. Les Noces de Figaro suivent de peu Le Mariage de Figaro, et c’est forcément dans les rapports avec la pièce de Beaumarchais que s’appréhende le chefd’œuvre mozartien. Mais il faut se souvenir que la création de Beaumarchais fut un événement théâtral retentissant, et que les conditions dans lesquelles la pièce s’est répandue en Europe sont exceptionnelles : c’est une vague, un feu roulant, un événement médiatique (savamment orchestré par l’auteur !…) qui a pour cible le système déliquescent qu’est l’Ancien Régime. FC Comment revenez-vous au théâtre avec une structure dramaturgique si… orchestrale ?
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JL J’ai essayé de rendre de la façon la plus saillante les situations théâtrales explosives inventées par Beaumarchais : Marceline qui cherche à ravir Figaro à Suzanne, avant de découvrir qu’elle est en fait sa mère ; la Comtesse, à cause des frasques de son époux, contrainte d’inventer le stratagème qui consiste à prendre la place de sa domestique pour le reconquérir ; Suzanne qui, mariée depuis une poignée d’heures à peine, fera souffrir Figaro par amour ; un Chérubin ado, brut de décoffrage, qui cristallise les crises, semant la zizanie partout où il passe – électron libre, incarnation du désir. FC Quid de votre approche du personnage de Figaro ?
JL Pour moi, Figaro n’est pas un héros. C’est une petite voix dans la nuit, celle d’un ex-coiffeur devenu chauffeur, un domestique (Suzanne et lui n’ont même pas obtenu de leurs « patrons » une pleine journée de congé pour leur mariage…), un soumis, qui s’élève pour dire non ! Ce qui est beau, c’est d’assister à travers lui, à travers son destin, à la naissance d’une opposition, d’une révolution.
Figaro ! d’après Beaumarchais
du 24 février au 18 mars 2012. Répétition publique le vendredi 17 février 2012, 14 h-16 h (entrée libre). Visite thématique au Musée d’art et d’histoire Dimanche 18 mars 2012 à 14 h réservation conseillée : visite@tag.ch, +41 (0)22 308 47 209). Informations : www.tcag.ch +41 (0)22 343 43 43 .
FC Ce nouvel opus vous donne l’occasion d’interroger – toujours plus – la légitimité des liens du mariage, de sonder les profondeurs du sentiment amoureux… JL Effectivement, c’est le cœur de l’histoire. À quelques heures de sa noce avec Figaro, Suzanne voit d’un mauvais œil le cadeau de mariage du comte Almaviva : un lit, et surtout la meilleure chambre du château, attenante à celle de ce seigneur en mal de restaurer le droit de cuissage qui lui permettrait de profiter des charmes de la jeune mariée avant son promis... Mais il n’est plus question de se laisser faire. Le comte devra affronter une coalition qui triomphera de son désir et de ses droits. Ce qui m’intéresse ici, c’est l’Histoire avec un grand H quand elle est inextricablement mêlée aux petites histoires, une intrigue d’adultère sordide, d’abus de pouvoir. FC Si vous deviez résumer votre pièce en une phrase ? JL Une folle journée, une course contre la montre, où le Désir s’oppose à l’Amour ! FC Une Mozart’s touch en quelque sorte ? JL (Rires) Oui, aux lois qui contraignent les relations sociales, Mozart superpose la loi du désir, il fait de l’amour le champ de bataille d’un affrontement de classe.
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Les Siegmund et les Sieglinde
Nos deux intrépides ethnographes poursuivent leur voyage au plus profond des forêts vierges de l’opéra… De nouvelles peuplades, reconnaissables par leurs totems, choisis parmi les personnages du répertoire lyrique, ont été identifiées, cartographiées et croquées sur le vif par le crayon acéré et amusé de notre artiste invité. En vue de votre prochaine expédition dans la jungle lyrique et chorégraphique, n’oubliez pas d’emmener avec vous ces précieux carnets...
L
a tribu des Wagnériens fait un peu bande à part. On ne les voit dans les théâtres que lorsqu’on y célèbre le culte de leur prophète ou alors dans les présentations de saison, pour protester qu’encore une fois on a écarté de l’affiche ses œuvres géniales. Ceux-là ne doivent pas se battre pour aller à Bayreuth ; ils y ont leurs entrées car ils passent le plus clair de leur temps libre à faire tourner les Cercles Richard Wagner dans le monde entier. Ils forment un réseau dont l’orthodoxie pourrait faire pâlir d’envie la Curie romaine et leur science accumulée en matière wagnérienne est, il faut bien le reconnaître, une référence utile pour les interprètes vocaux et instrumentaux de l’opus du Vieux Sorcier…
Les tribus Des textes de Christopher Park et des illustrations de LUZ
Les Reines de la nuit, les princes Ramiro
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e monde lyrique a ses propres têtes couronnées qui apparaissent souvent aux premières du Met, de Garnier ou de Covent Garden. Ils sont d’ordinaire assez timides mais il suffit de leur faire parvenir une invitation et ils sont là, heureux de parader... Parmi cette espèce très décorative, on trouve les chanteurs, les comédiens, les personnalités du milieu de la mode, du cinéma et de la télévision, ainsi que les chanteurs d’opéra eux-mêmes, toujours curieux de savoir comment la concurrence roucoule...
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d ACTqu Les Brünnhilde et les Marcelina
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l’heure où l’on fait grand cas des exploits des « cougars », ces dames d’un certain âge, croqueuses impénitentes de chair masculine, de préférence pas trop flétrie, il ne faut pas oublier que les maisons d’opéra, sont fréquentées depuis des temps immémoriaux par des dames, plutôt même des demoiselles, souvent rentières ou en tout cas financièrement affranchies, qui dilapident leurs biens en séjours thermo-chirugicaux, en expositions et en galeries, en injections d’hormones de placenta de requin, en vins fins, en plaisirs de la table et en excursions lyriques dans le monde entier. Devoir se déplacer en chaise roulante ou sur des béquilles ne leur pose aucun problème, elles savent se frayer un chemin jusqu’aux meilleures places du parterre et elles ont souvent à leur bras un jeune Siegfried ou Octavian pour les aider à avancer (ou pour les garder en position verticale au moment de l’entracte).
de l’opéra (épisode 2)
Les Cherubino et les Barberina (Jeunes publics)
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orn this way : le titre de l’album de Lady Gaga pourrait bien devenir la devise de ces jeunes adultes qui assument sans broncher leur goût pour un genre de divertissement où le spectateur lambda a, en moyenne, le double de l’âge de leurs parents. Sont-ce des inadaptés de la vie contemporaine, trop timides pour faire les 400 coups dans les temples de la techno et d’expérimenter avec la chimie récréative ? Ont-ils eu une enfance surprotégée où on les conduisait de l’école au concert, sans passer par Justin Bieber et Rihanna ? Pas du tout. La jeune génération du public lyrique est autant rallyes et rangs de perles que hipster chic et hiphop… Nous avons même pu identifier à Genève une piste allant directement de la Place de Neuve à la Place des Volontaires (sans passer par le BFM)… ChP
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exceptionnel!
Soirée StravinSki l'oiSeau De feu œDipuS rex 13 marS 201 2 à 20 h
SoliSteS Du théâtre mariinSki chœur Du théâtre mariinSki orcheStre Du théâtre mariinSki Direction valery gergiev avec gérarD DeparDieu
avec le Soutien Du cercle Du granD théâtre De genève
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par Yamina Djilani
Les langues du lyrique Le 18 janvier 2012. C’est un mercredi soir plutôt inspirant… je sors du Grand-Théâtre où j’ai pu assister à une rencontre avec le compositeur Giorgio Battistelli et le dramaturge Ian Burton avec petit aperçu des répétitions en prime ! L’un des avantages d’avoir entre 18 et 30 ans et d’être déléguée culturelle Labo-M, c’est de faire des rencontres marquantes avec de grands artistes de la scène internationale. « Interpréter le monde qu’on vit à travers la musique » et produire un « vertige » chez le spectateur ; termes de Battistelli qui restent gravés en moi au terme de cette rencontre. Oui, je crois que je vais aussi à l’opéra pour ressentir un vertige, quel qu’il soit… On ne peut pas ressortir d’une représentation sans avoir été touché, interpelé, bouleversé des fois. D’origine Algérienne et Liechtensteinoise, née dans une Suisse aux quatre langues nationales, différentes cultures, langues, et religions s’affrontent en moi et se querellent parfois. C’est dans l’art que je trouve un refuge, un langage universel à un arc-en-ciel d’émotions. Quand on commence la danse classique à cinq ans, on a beau arrêter dix ans plus tard il y’a le langage du corps et le rapport à la musique qui restent imprégnés à jamais. Après un bachelor en Littérature et Civilisation allemandes et anglaises à la Faculté des Lettres de Genève, où j’ai pu découvrir bon nombre de textes littéraires, d’auteurs et de théories linguistiques, j’ai ressenti un besoin immense de revenir au corps et à la voix. De ne plus me contenter de laisser voyager des lettres en noir et blanc dans mon imagination, mais de les incarner pour pouvoir les transmettre et les partager. Pour cela, je suis partie une année à Séville faire une école d’art dramatique, après avoir démissionné de l’entreprise dans laquelle je travaillais. En rentrant d’Andalousie, j’ai continué le théâtre en
filière pré-professionnelle au Conservatoire de Genève. C’est pendant cette période que j’ai eu la chance de pouvoir faire de la figuration au Grand-Théâtre et que j’ai pu réaliser un rêve de petite fille : incarner une sylphide en tutu blanc sur les planches d’un théâtre ; d’un Grand-Théâtre même ! C’était dans la Donna del Lago de Rossini, mis en scène par Christopher Loy ; une expérience assurément marquante. Aujourd’hui je termine un master en littérature allemande et enseigne dans une école de commerce. Etudier les langues m’a permis de faire de nombreux voyages à l’étranger et je suis heureuse de travailler avec des jeunes et de pouvoir leur transmettre un peu de ce que je appris sur ma route. Je continue et je continuerai à aller à l’opéra et à voir des ballets pour qu’on me raconte des histoires, pour être touchée, pour me poser des questions, pour combler un vide et moins égoïstement pour essayer de trouver des réponses à notre histoire commune, puisque l’histoire se répète comme nous le montre si bien un Shakespeare indémodable et plus actuel que jamais. Pour preuve : un livret de Richard III avec une photo de Mouammar Kadhafi accompagné de A horse! a horse! my kingdom for a horse!… Je refuse d’accepter un monde à l’image d’un Richard III et je vote naïvement pour garder de la poésie dans un monde qui en a plus que jamais besoin. Je remercie les magiciens de la scène qui continuent à nous faire rêver malgré la dureté du métier. YD
Deux autoportraits des nouveaux relais Labo-M de la saison 20112012. Yamina, la multi-culturelle et Anne-Laure, la jeune passionaria lyrique.
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par Anne Laure Bandle
Le culte de l’art vivant
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droit de l’art de l’Université de Genève. En plus de mes recherches pour le Centre, je travaille beaucoup avec des étudiants qui, intéressés par la culture, suivent le cours du droit de l’art. Il n’est d’ailleurs pas rare que je les surprenne aux représentations! Alors que par le passé, le Grand Théâtre était essentiellement réservé à des privilégiés, il attire de plus en plus de jeunes gens, grâce notamment à une programmation qui jongle habilement entre classicisme et modernisme. Ce succès n’est pas surprenant, au vue des efforts considérables fournis par le Théâtre pour offrir des spectacles attrayants à un large public. Pour ma part, je vais au Grand Théâtre pour y admirer les costumes élaborés et les décors impressionnants, m’émerveiller devant les danseurs qui s’envolent et, enfin, tendre l’oreille pour écouter les voies pénétrantes des artistes qui me donnent la chair de poule… À chaque occasion, je propose à quelques amis de m’accompagner, car comme le disent si bien les anglophones, « Sharing is caring » ! AB © DR
L’année 2012 commence fort pour le Grand Théâtre de Genève ! L’opéra Richard III a été ovationné par les spectateurs, la première parution de l’année d’Act-O est déjà publiée et, pour la première fois, contient les contributions des « délégués culturels Labo-M ». De qui ? Eh bien oui, la petite équipe qui s’engage à promouvoir le Grand Théâtre auprès des jeunes a récemment changé de nom, et je suis fière d’y apporter mon soutien. Lorsque j’ai intégré le groupe des délégués culturels Labo-M au début de la saison 2011/2012, j’ai eu envie de transmettre ma passion pour les arts vivants qui remonte à mon enfance. Dès mon plus jeune âge, mes parents m’ont fait découvrir des spectacles inoubliables, tels que l’opéra Aida au Metropolitan Opera à New York ou le ballet Casse-Noisette de la troupe de Béjart. Adolescente, j’ai successivement joué de la flûte à bec puis du piano, avant de me lancer dans le chant d’opéra. Après avoir réalisé qu’atteindre le niveau de Rosa Ponselle ou de Maria Callas était le travail d’une vie, j’ai abandonné mes partitions pour les confortables fauteuils du Grand Théâtre, me laissant séduire par ses spectacles merveilleux et surprendre par ses mises en scène étonnantes. Aujourd’hui, les créations artistiques et les biens culturels font partie intégrante de mon quotidien, puisque je suis assistante doctorante au Centre du
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Opéra-comique en trois actes d’ Ambroise Thomas
Melodramma en quatre actes de Giuseppe Verdi
Au Grand Théâtre 9 | 11 | 16 | 18 mai 2012 à 20 h 13 | 20 mai 2012 à 15 h Direction musicale Frédéric Chaslin Mise en scène Jean-Louis Benoît Décors Laurent Peduzzi Costumes Thibaut Welchlin Lumières Dominique Bruguière Chœur Ching-Lien Wu Avec Sophie Koch (Mignon), Andrej Dunaev (Wilhelm Meister), Diana Damrau (Philine), Nicolas Courjal (Lothario), Carine Séchaye (Frédéric), Emilio Pons (Laërte), Frédéric Goncalves (Jarno), Chœur du Grand Théâtre Orchestre de la Suisse Romande Production de l’Opéra Comique de Paris
Au Grand Théâtre 13 | 15 | 18 | 21 | 26 juin 2012 à 20 h 24 juin 2012 à 15 h Direction musicale Ingo Metzmacher Mise en scène Christof Loy Décors Jonas Dahlberg Costumes Ursula Renzenbrink Lumières Bernd Purkrabek Chorégraphie Thomas Wilhelm Dramaturgie Yvonne Gebauer Chœur Ching-Lien Wu Avec Davide Damiani (Macbeth), Christian Van Horn (Banco), Jennifer Larmore (Lady Macbeth), Andrea Care (Macduff) Chœur du Grand Théâtre Orchestre de la Suisse Romande Nouvelle production
Mignon
MAcbeth
Conférence de présentation par Florent Lézat Mardi 8 mai 2012 à 18 h 15
Conférence de présentation par Sandro Cometta Lundi 12 juin 2012 à 18 h 15
Récitals de la Troupe des jeunes solistes en résidence
Isabelle Henriquez
Mezzo-Soprano Piano Todd Camburn Au Théâtre Les Salons 22 mars 2012 à 20 h
Récital
Waltraud Meier
Mezzo-Soprano Piano Joseph Breinl Au Grand Théâtre 20 juin 2012 à 20 h
Compositions espagnoles et Zarzuelas (Obradors, Granados, de Falla, Breton, Luna, Chapi, Serrano, Gimenez)
Emilio POns
Ténor Piano Xavier Dami Au Théâtre Les Salons 21 avril 2012 à 20 h
Airs d’Amérique latine et d’Espagne (de Falla, Hahn, Toldrá, Ginastera, Moreno, García Abril, Braga, Villa-Lobos, Lecuona, Obradors, Grever, Gardel, La Calle, Ponce)
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