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| mars 2013 |

LE journal du cercle du Grand Théâtre et du Grand tHéâtre de GEnève

tri o m a g i q ue

Ingo Metzmacher, Dieter Dorn & Jürgen Rose Leur Rheingold ouvre LA nouvelle production du

RING

un bi jo u de pucci ni

Madama Butterfly destinées Japonaises

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ILS témoignent de la réouverture

L a mezzo du baroque

anne Sofie von Otter

Le bary ton qui charme

Ludovic Tézier

La Saga de l’anneau (suite)

Les leitmotifs - épisode 3 ACT-0_N°14_couv.indd 1

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1839, Vacheron Constantin crée de nombreuses machines dont le célèbre pantographe, un outil mécanique permettant pour la première fois de reproduire d’une façon parfaitement fidèle les principaux composants horlogers, augmentant encore le niveau de qualité de ses garde-­temps. Cette invention propulse la marque dans l’avenir et révolutionnera l’horlogerie suisse.

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Photo de couverture Le chef d'orchestre Ingo Metzmacher, le metteur en scène Dieter Dorn et le décorateur-costumier Jürgen Rose de la nouvelle production du Ring des Nibelungen.

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© GTG / Carole Parodi  / Aimery Chaigne (DA)

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Buzz op 2-3 Quoi de neuf dans le monde de l’opéra à Genève et ailleurs opération 4-13 La saga du Ring - épisode 3 Les coulisses de Rheingold Madama F.B. Pinkerton et la Gräfin Coudenhove on stage 14-17 Ludovic Tézier Anne Sofie von Otter, la Regina di Suezia carnet du cercle 18-19 Elīna Garanča et le Cercle Plein feux 20-23 Souvenirs de la réouverture Je me rappelle... didactique 24-35 Au firmament astrolyrique - épisode 3 Wagner, architecte Valoriser l'excellence L'art et la manière de susciter des vocations Du maniérisme architectural, une perspective Labo-M agenda 36

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hères lectrices, Chers lecteurs, C’est un immense bonheur de pouvoir vous inviter à partager avec nous une fabuleuse aventure, un rêve et un défi pour toute institution lyrique : la représentation du Ring des Nibelungen, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Richard Wagner. Après 37 ans d’absence l’œuvre revient dans son intégralité sur la scène de Neuve. Un gigantesque opéra de plus de 14 heures qui a généré tant de discours et tant d’écrits, et qui n’a pas fini de faire couler de l’encre. Une épopée digne des jeux électroniques contemporains et qui toujours interpelle. Il y a quelques années, la Verte Colline était un passage presque obligé pour découvrir la Tétralogie du maître de Bayreuth, que les paysages helvétiques ont certainement inspiré, car il a séjourné à Genève, à Zurich, sans oublier Tribschen au bord du lac des Quatre-Cantons. Aujourd’hui, de plus en plus de théâtres offrent la possibilité de découvrir les ouvrages de Richard Wagner sans entreprendre de longs voyages. C’est pour nous un grand plaisir d’accueillir et de vous présenter une équipe acclamée sur de nombreuses scènes internationales, mais qui reste encore trop méconnue dans bien des pays francophones. Dieter Dorn, le metteur en scène, et Jürgen Rose appartiennent à la catégorie des hommes de théâtre d’exception et Ingo Metzmacher gravit les marches de la notoriété à grand pas, il court de succès en succès. Nous vous attendons nombreux pour vivre la création de ce projet qui, bien souvent, transgresse certainement les limites du raisonnable. Cette aventure ne peut s’imaginer sans un grand engagement et le professionnalisme de toutes les équipes du Grand Théâtre et sans votre soutien et vos encouragements. Rendez-vous à partir du 9 mars pour le prologue… Merci pour votre confiance ! Tobias Richter Directeur général

Directeur de la publication Tobias Richter Responsable éditorial Albert Garnier Responsable graphique & artistique Aimery Chaigne Coordination Frédéric Leyat Ont collaboré à ce numéro Kathereen Abhervé, Daniel Dollé, Albert Garnier, Sandra Gonzalez, Frédéric Leyat, Wladislas Marian, Roland Meige, Sarah Mouquod, Benoît Payn, Christopher Park, Henri Luis Vásquez Dietiker. Impression SRO-kundig Parution 4 éditions par année Achevé d’imprimer en février 2013 6 000 exemplaires Il a été tiré 40 000 exemplaires de ce numéro et encarté dans le quotidien Le Temps

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Violetta au top

Avec à l’affiche La Traviata, l’année 2013 a débuté de la plus belle manière pour le Grand Théâtre de Genève

© GTG / Yunus Durukan

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puisque ce sont plus de 15 000 spectateurs qui ont assistés aux dix représentations données entre le 28 janvier et le 12 février. La production de ce célébrissime opéra de Verdi a également été saluée par la critique : « un spectacle visuellement réussi » (Le Temps) « qui joue la carte du raffinement classique » (Le Courrier), dont le couronnement musical se situe au troisième acte, véritable « moment de grâce » (ConcertoNet). BP

welkom Henk Swinnen Depuis le 4 février dernier, Henk Swinnen a pris les rênes de la direction générale de l’Orchestre de la Suisse Romande. D’origine belge, il arrive de Hollande où il occupait le poste de directeur artistique et directeur adjoint de l’Orchestre philharmonique de Rotterdam. Fort de son expérience de musicien – il fut hautbois solo de l’Orchestre de Chambre et du Philharmonique de la Radio néerlandaise   –, c’est plein d’entrain et confiant qu’il entame son nouveau mandat. Différents projets liés au rayonnement de l’OSR, notamment sa présence internationale et son assise au

sein de la région lémanique, animent déjà Henk Swinnen. Conscient de l’importance des partenariats entre les institutions, il souhaite renforcer les rapports entre l’OSR et le Grand Théâtre de Genève sur le plan artistique. La relation artistique avec le GTG a apporté à l’OSR une situation unique : l’orchestre assure à très haut niveau un répertoire étendu à la fois symphonique et lyrique. Une gestion artistique commune plus intense sur les productions lyriques devrait encore renforcer la qualité et le rayonnement – aussi bien local qu’international – de nos institutions. AG

Le Roi du réveillon Le 31 décembre dernier, plus de 130 personnes fêtaient le changement d’année dans les fastueux foyers du Grand Théâtre de Genève. La soirée avait débuté quelques heures plus tôt avec une coupe de champagne de bienvenue et s’est poursuivie avec Les Aventures du roi Pausole, l’opérette badine de Honegger. Deux heures avant les douze coups de minuit, un dîner de réveillon était servi aux convives installés autour de tables de dix personnes. C’est dans une ambiance conviviale et festive que les hôtes du Grand Théâtre sont entrés dans l’année 2013. Pour M. et Mme Cerf, la soirée fut d’autant plus magique qu’ils avaient eu la surprise d’apprendre le 22 décembre qu’ils étaient les gagnants du concours Balexpress et qu’ils seraient les invités du Grand Théâtre pour ce réveillon exceptionnel. AG 2 ACT-0_N°14.indd 2

Le 16 c'est ouvert !

Le mercredi 30 janvier 2013, à l’occasion du 50ème anniversaire de sa réouverture, le Grand Théâtre de Genève ouvrait les portes de ses ateliers permettant ainsi à plus de sept cent personnes de visiter ces lieux uniques où la plupart des décors, des costumes et des accessoires sont crées. Durant le parcours, les amateurs d’opéra, les passionnés d’art ou tout simplement les curieux ont pu rencontrer les artisans qui habillent les nouvelles productions. À la rue Michel Simon, ils ont notamment découvert la cordonnerie, la menuiserie, la salle des maquettes, la serrurerie, le hall de montage ou encore le dépôt des costumes et au 8 de l’avenue Ste-Clotilde, ils ont visité l’atelier des tapissiers-décorateurs, l’atelier costume et la salle de répétition. Un studio photo avait été installé pour la journée afin que les visiteurs qui le désiraient, puissent repartir avec une photo les immortalisant dans les costumes de Violetta Valéry et d’Alfredo Germont. Les visiteurs ont également pu échanger leurs impressions près d’une buvette éphémère. Le 16 mars prochain, c’est au tour des portes du Grand Théâtre de s’ouvrir pour dévoiler ses coulisses. Alors à vos agendas ! FL ACT.0 | 14

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Millepied

Le Chat accueille prend la scène van Beek L’OCG

Le chat le plus rusé du monde vient faire ses griffes sur la scène du GTG. Au mois de mai prochain, les enfants seront à la fête au Grand Théâtre de Genève grâce à l’opéra. Le Chat botté, que le compositeur russe César Cui composa en 1913 d’après l’un des fameux contes de Charles Perrault. Pas une ride pour cet opéra centenaire contant l’extraordinaire histoire d’un chat roublard qui, par le mensonge, la tromperie et les menaces, parviendra à faire la fortune de Jean, son jeune maître déshérité par ses deux frères à la mort de leur meunier de père. Le dynamique et fringant Philippe Béran à la tête de l’Orchestre du Collège, d’un sextuor de

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jeunes chanteurs et d’un chœur d’enfants costumés en chat aux longues moustaches, est attendu pour ressusciter ce conte rocambolesque. Dans un décor inspiré de l’univers des gravures de Gustave Doré, le pauvre Jean, grâce à la roublardise de son chat, deviendra l’improbable Marquis de Carabas, propriétaire du château de l’ogre et finira par épouser sa belle princesse. Dès lors notre maître chat ne quittera plus le coin du feu que pour aller se divertir en courant après les souris. KA Représentations publiques : les 11, 17 et 18 mai à 19 h 30 Représentations scolaires : 17 mai à 10 h 30 et 14 h 30

Millepied (Petrouchka, 2007 ; Les Sylphides/Le Spectre de la rose, 2011) qui l’ont également mené au monde du grand écran, en passant par le domaine de la communication d’entreprise, où son image a été celle du parfum « L’Homme » d’Yves Saint Laurent et libre  de la campagne « L’Envol » d’Air France. Cet « Homme libre » disposera-t-il encore dans ses nouvelles fonctions de la liberté de revenir au studio Balanchine imaginer de nouveaux rêves floraux et contes bariolés pour la compagnie genevoise ? En attendant qu’une réponse se précise, il reste au Ballet du Grand Théâtre quatre merveilleux fleurons de Millepied (son Amoveo créé pour le Ballet de l’Opéra est désormais passé au répertoire de notre compagnie) pour dire au monde entier la belle histoire de danse qui s’est passée entre Benjamin et Genève. ChP

Nicolas Joel, directeur de l’Opéra national de Paris, en étroite concertation avec Stéphane Lissner, directeur délégué et en accord avec Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, a nommé Benjamin Millepied pour succéder à Brigitte Lefèvre comme directeur de la Danse, à compter d’octobre 2014. Le public du Grand Théâtre de Genève peut se vanter d’avoir participé à l’ascension fulgurante de celui qui mène depuis 1993 une brillante carrière internationale de danseur soliste et principal au New York City Ballet, puis de chorégraphe indépendant dès 2001. En 2005, il répond à l’invitation de Philippe Cohen et présente au BFM son Casse-noisette, délicieusement habillé et décoré par Paul Cox. Dès lors, Genève fut une étape toujours bienvenue dans les pérégrinations de Benjamin

Le Conseil de Fondation a nommé Arie van Beek pour succéder à David Greilsammer à la tête de l’Orchestre de chambre de Genève dès septembre 2013. Chef invité privilégié ces trois dernières saisons, sa présence régulière appréciée par tous en ont fait le candidat idéal ; il pourra ainsi approfondir le travail engagé avec l’orchestre. Né à Rotterdam, percussionniste, il a dirigé avec succès de nombreux ensembles en France, en Allemagne ou encore aux Pays-Bas. Pour sa contribution au rayonnement artistique de Rotterdam, Arie van Beek a reçu le prestigieux Elly-Ameling-Prijs. En 2007, il a été élevé au grade de chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres et, en 2008, il a reçu la

© Ludovic Combe

© Opéra du Rhin / Alain Kaiser

© DR

au sommet

médaille de la Ville de ClermontFerrand. Depuis le mois de janvier 2011, il est le directeur musical de l’Orchestre de Picardie. Le Grand Théâtre et le chef néerlandais ont entamé des discussions à propos de collaborations à venir et l’occasion se présentera bientôt de faire plus ample connaissance avec le nouveau directeur musical et artistique de la phalange genevoise. BP 3 15/02/13 12:23


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La saga du Ring U

épisode 3 - Un moyen d’expression puissant... Le Leitmotiv

Avant d’aborder la fabuleuse épopée du Ring des Nibelungen, il convient de dire quelques mots sur ces « motifs conducteurs » que Richard Wagner a menés à leur apogée et qu’il a exploités avec un maximum d’efficacité. Les spécialistes dénombrent plus de 120 leitmotifs dans la Tétralogie, mais peutêtre sont-ils plus nombreux. Nous nous contenterons de nous familiariser avec cette notion en parcourant le prologue : Das Rheingold.

« Comme, au cours du drame, la plénitude cherchée d’une situation principale décisive n’était accessible que par un développement toujours présent au sentiment des impressions provoquées, il était nécessaire que l’expression musicale qui détermine immédiatement la sensation prit à ce développement une part décisive, jusqu’à la plénitude la plus haute ; et cela se fit tout à fait de soi-même au moyen d’une trame toujours caractéristique composée de thèmes principaux, qui s’étendit non pas sur une seule scène (comme jadis dans le morceau de chant isolé d’opéra), mais sur tout le drame, et cela en rapport très intime avec l’intention poétique. » Richard Wagner Une communication à mes amis

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par Daniel Dollé

n univers dont l’homme est absent et qui est aux mains des dieux, des géants, des nains et des naïades. Un monde qui pourrait faire l’objet des jeux électroniques les plus contemporains et qui ouvre les premières pages d’un conte extraordinaire qui trouve ses résonances dans chaque période de l’histoire de l’homme. Une histoire binaire au cours de laquelle les protagonistes sont placés devant un choix, l’amour ou l’or par exemple. Avec le mage de Bayreuth, nous abandonnons la forme traditionnelle de l’opéra et nous revenons vers les tentatives de Gluck dans ses tragédies musicales. La mélodie naît du discours, elle ne doit pas attirer l’attention, elle devenait l’expression d’une sensation. C’est la mélodie dramatique qui apparaît dès Lohengrin. Dans Das Rheingold, Richard Wagner a supprimé toute coupure, et ce malgré les quatre tableaux, afin de ne pas rompre le mouvement essentiel à la mélodie dramatique et continue. La musique devient semblable à un océan qui déferle et fascine sans jamais nous lasser. Avec le drame musical, Richard Wagner rejoint Feuerbach et Schopenhauer en étant « le conscient de l’inconscient » et en donnant une expression musicale à ce qui, à priori, ne semblait appartenir qu’à la métaphysique. Au commencement était l’accord parfait de Mi bémol majeur qui exprime l’indicible. Les 136 mesures qui précèdent le tableau 1 (« Dans les profondeurs du Rhin ») reposent sur cet accord. Comme dans bien des préludes, le compositeur établit la tonalité et c’est dans la Tétralogie que ce système s’affirme de façon incontournable. La tenue de cet accord peut déjà être considérée comme un leitmotif, un Grundmotiv, ou encore un Grundthema qu’il convient d’aborder lorsqu’on parle de cette œuvre colossale qu’est le Ring des Nibelungen. Dans les préludes, Richard Wagner s’adresse à l’âme par la musique. Il prépare l’esprit du spectateur afin qu’il subisse dans une sorte de plénitude les faits qui sont énoncés au cours de l’acte. Pour Wagner chaque idée objective ou subjective revêt un contour mélodique, une forme musicale qui lui reste attachée. C’est, peut-être, là la meilleure définition du Leitmotiv, une matérialisation musicale de l’idée. Déjà chez Mozart, Gluck ou Beethoven, notamment dans ses symphonies, apparaissent des traces de motifs fonACT.0 | 14 13

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damentaux. Ils deviennent plus fréquents chez Weber et se développent encore davantage chez Meyerbeer et Berlioz, contemporains de Wagner. C’est à partir de Lohengrin que Richard Wagner réalise l’extraordinaire puissance des motifs conducteurs, sortes de hiéroglyphes musicaux pour caractériser une idée, un personnage, un concept. Ils seront toujours simples et courts et présentés de façon à ne pas pouvoir se méprendre sur leur signification. Par la suite, ils évolueront et pourront se modifier à l’infini, mais ils demeureront toujours identifiables. Quelques notes suffisent pour évoquer une, ou plusieurs idées. Les Leitmotive qui ont un caractère imitatif restent rares, plus nombreux sont ceux qui font appel à l’esprit par l’idée de la chose qu’ils veulent évoquer. Quelles que soient leurs formes (rythmique, harmonique ou mélodique), Wagner les met en relief afin qu’ils ne puissent pas passer inaperçus. Ils viennent à vous tout simplement si vous vous êtes familiarisés avec l’action dramatique. Ce sont des guides qui empêchent de s’égarer et qui expliquent et commentent les situations. Ils seraient comparables à une légende qu’on place sous un dessin. Baudelaire a dit que les motifs thématiques blasonnent les personnages, ce qui permet au spectateur de suivre une histoire au cours de laquelle il pourrait facilement se perdre. Les thèmes frappent notre mémoire et deviennent des flèches indicatrices qui guident. Thomas Mann écrira : « La musique, dans une mesure encore inconnue, devient l’instrument d’une psychologie procédant par allusions, retours en profondeur, multiplication de rapports. » Un jour Balzac eut l’idée de faire réapparaître les différents personnages dans la célèbre Comédie Humaine, il voulait réunir littérature, politique, histoire, sociologie et sciences humaines. Il se rapproche en cela de Richard Wagner qui souhaitait réunir musique, poésie, mythe et religion afin de viser un art supérieur qui embrasserait tout. Ils ont atteint leur objectif en utilisant des motifs fondamentaux qui traversent leurs œuvres. Si la Walkyrie dort en Mi majeur, l’épée (Nothung) apparaît souvent en Ut, le Walhalla a une prédilection pour les bémols et le feu préfère de loin les dièses, ce qui montre que certains motifs ont un penchant pour une certaine tonalité. Sans conteste, les thèmes fondamentaux constituent le matériau essentiel et puissant de la symphonie wagnérienne. Ils deviennent systématiques à partir de

« Mes conclusions les plus hardies relativement au drame musical dont je concevais la possibilité, se sont imposées à moi parce que dès cette époque1,  je portais dans ma tête le plan de mon grand drame des Nibelungen et il avait revêtu dans ma pensée une forme telle que ma théorie n’était guère autre chose qu’une expression abstraite de ce qui s’était développé en moi comme production spontanée. » Richard Wagner Lettres sur la musique

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Tristan und Isolde. Le style symphonique qui résulte de l’emploi intensif des Leitmotive, et qui est proprement le style wagnérien, ressemble donc à un discours dont l’éloquence s’éclaire d’instant en instant du rappel de certaines sentences fondamentales, étroitement reliées entre elles par des propositions accessoires qui n’en sont pas le commentaire littéral mais qui leur servent de jonction et en préparent la répétition nécessaire. Il serait prétentieux et vain que de vouloir se lancer dans une étude exhaustive des 120 leitmotifs qui accompagnent le Ring des Nibelungen, surtout dans le cadre d’une familiarisation avec la Tétralogie. Nous allons simplement essayer, à travers Das Rheingold, d’approcher le langage musical et les motifs fondamentaux de Richard Wagner. Il s’agit d’un vaste sujet qui a déjà conduit à de nombreux écrits, qui en génèrera encore bien d’autres et qui, probablement, n’aura pas fini de nous révéler bien des secrets. La note grave qui retentit au début du prologue et qui se fait longuement entendre, c’est la nature qui sommeille. Lorsque s’adjoint sa quinte, puis l’octave ainsi que des notes de passage, c’est le commencement de l’organisation, on perçoit alors l’eau en mouvement. La sonorité se fait envahissante comme un torrent. La vie apparaît, le fleuve, le Rhin s’installe et nous n’avons toujours pas quitté l’accord de Mi bémol majeur. Ce premier motif de l’élément originel, l’eau, personnifie le Rhin. Il convient de remarquer que de nombreux autres motifs dérivent du Leitmotiv du Rhin, notamment celui des Filles du Rhin, de l’Or, des Pommes d’or, des Nornes ou encore celui de l’Arc-en-ciel, en résumé, tous les thèmes qui réfèrent à l’idée de l’élément originel. Ce sont les cors qui font resplendir l’or dans le prélude qui exalte la majesté du Rhin, berceau de la civilisation germanique, et la pureté de l’or, symbole d’harmonie tant qu’il reste au fond du fleuve.

Après 136 mesures, nous sommes dans les profondeurs du Rhin où on devine des récifs escarpés et où évoluent trois ondines qui ont pour mission de garder l’or. Une modulation en Sol mineur ainsi qu’un rythme saccadé annoncent l’arrivée de l’Albe noir, du gnome Alberich : Woglinde, qui cherchent à séduire les trois sœurs  Wellgunde et Flosshilde. Chacune à son tour l’attire, puis le repousse. Les trois naïades le narguent et le font écumer de fureur lorsqu’un motif lumineux énoncé par le cor annonce l’or qui éblouit Alberich. Dans leur babillage, et par imprudence les nymphes révèlent le secret des vertus de l’or du Rhin. Apparaît alors le motif de l’anneau et celui de la forge énoncé par les bois et qui caractérisent les Nibelungs comme forgerons. Wellgunde

DerWelt Erbe / gewänne zu eigen, / wer aus dem Rheingold / schüfe den Ring / der masslose Macht ihm verlieh’ (La richesse du monde / appartient à celui / qui transforme l’or / en un anneau / qui lui donne un pouvoir immense.) [...] Woglinde

Nur wer der Minne / Macht versagt,  / nur wer der Liebe / Lust 5 15/02/13 12:23


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verjagt, / nur der erzielt sich den Zauber, / Zum Reif zu zwingen das Gold.  (Seul celui qui renie / le pouvoir de l’amour, / seul celui qui bannit /le plaisir d’aimer, /lui seul pourra par magie /imposer à l’or la forme d’anneau.) […] Alberich

(Les yeux rivés sur l’or, il a écouté attentivement le bavardage des trois naïades.) Der Welt Erbe / gewänn’ich zu eigen durch dich ? / Erzwäng’ich nicht Liebe, / (d’une voix ?  / Spottet formidable) doch listig erzwäng’ich mir Lust  nur zu ! / Der Niblung naht eurem Spiel ! (La richesse du monde, / grâce à toi, je me l’approprierais ? / Faute d’avoir l’amour par force, / j’aurais le plaisir par ruse ? / Moquez vous donc ! / Le Nibelung approche votre jouet !) Pour forger un anneau avec l’or du Rhin, il faut commencer par renoncer à l’amour, apparaît alors le thème du renoncement à l’amour. Le sentiment pur et divin de l’amour n’habite pas le cœur d’Alberich qui préfère le pouvoir et la puissance. Ne parvenant pas à séduire les ondines, il se tourne vers l’or et se précipite vers lui, le motif de l’or se fait entendre en mineur, le même mode que celui utilisé par le Nibelung pour exprimer sa renonciation à l’amour. Alberich

[…]so verfluch ich die Liebe ! je maudis l’amour ! Alberich arrache l’or et disparaît dans les profondeurs de la terre alors qu’un vent de panique s’empare de l’orchestre. Les ondines se lamentent. Grâce à une savante combinaison de timbres et de mélodies, les vagues se métamorphosent en « brume légère et brillante » qui enveloppe le deuxième tableau : un paysage dégagé au sommet de la montagne. Les sombres tonalités mineures font place à des thèmes lumineux, tels que celui du Walhalla en Ré bémol majeur, la tonalité des dieux. Le motif du Burg, qui est également un des thèmes de Wotan, est joué par un ensemble de cuivres dont quatre « Tuben ». Il dérive de celui de l’Anneau, comme si Anneau et Walhalla étaient une même expression du pouvoir. Nous sommes à présent chez les dieux, Wotan et son épouse Fricka dorment. Les géants Fasolt et Fafner ont construit le château-forteresse, le Burg. Ils viennent pour réclamer leur salaire, la déesse Freia, divinité de la jeunesse et de l’amour. Fricka reproche à Wotan sa promesse inconsidérée aux géants et de ne pas l’avoir consultée. Une agitation dans l’orchestre, et sur un accord de neuvième en Mi mineur on voit accourir Freia poursuivie par les géants. Elle vient implorer le secours du dieu des dieux. L’arrivée des deux géants s’accompagne d’un motif pesant et scandé qui évoque leur allure de colosse. Ils exigent la déesse Freia, la seule capable de cultiver les pommes d’or, fruits de l’éternel jeunesse, de l’immortalité des dieux. Ce nouveau Leitmotiv est construit sur l’accord de Ré majeur. Le salut semble venir avec l’arrivée de Loge, demi-dieu du feu, conseiller de Wotan. Intelligent, rusé et fourbe, il est détesté des autres dieux, mais il est capable de trouver des solutions aux problèmes les plus difficiles. Il n’apparaît physiquement que dans Das Rheingold, mais il est présent sous la forme de feu et de flammes tout au long du Ring. Son thème est à l’image du feu, à la fois fuyant et insaisissable. Il est formé par cinq éléments dont des intervalles de quartes montant chromatique6 ACT-0_N°14.indd 6

ment, des trilles de deux accords ou encore des pizzicati pour les étincelles. Il vient au secours de Wotan qui refuse de laisser Freia aux géants. Loge suggère de voler l’or et l’anneau à Alberich afin de libérer la déesse, prise en otage par Fasolt et Fafner. Freia enlevée, les dieux vieillissent et dépérissent, c’est alors que retentit le motif des Pommes d’or en mineur. Avec le départ des géants emportant Freia, le monde des dieux semble se dissoudre comme la musique que nous entendons. Wotan et Loge vont commettre l’irréparable, ils vont voler l’or et l’anneau à Alberich. L’or a quitté son berceau primitif, il sera la cause de toutes les perversions et du malheur de l’humanité. Seul le retour à son berceau, loin des convoitises humaines, mettra un terme aux événements tragiques. Sur des gammes chromatiques montantes et descendantes, ils descendent au Nibelheim alors que nous entendons le bruit rythmé des marteaux qui frappent sur des enclumes. Nous arrivons dans le domaine souterrain, dans le pays du brouillard (Nebelheim), où Alberich règne en maître absolu. Pendant leur descente, on entend le thème de la Forge, celui de l’Or, de la Servitude et de l’Anneau. L’empire des Nibelungs s’ouvre à nous. Alberich se dispute avec son frère Mime, habile forgeron qui a fabriqué un heaume magique : le Tarnhelm, caractérisé par une harmonie confiée à des cors qui jouent d’étranges accords chromatiques. On remarquera qu’une section de ce motif est en rapport avec un autre thème « magique », celui du feu. Ce n’est pas un casque, mais plutôt une sorte de cotte de mailles, un objet de joaillerie qui rend invisible celui qui le porte et qui peut le métamorphoser. Mime ne voit plus son frère, mais il sent les coups de fouet également invisibles, mais non pas indolores. Mime explique à Loge et à Wotan l’origine de la puissance d’Alberich. Wotan compte sur la ruse de Loge pour capturer Alberich qui approche sur une série d’assonances expressives en H puis en Z. Alberich

Hierher ! Dorthin ! / Hehe ! Hoho ! / Träges Heer, / dort zu Hauf / schichtet den Hort ! / Du da, hinauf !  / […] Zögert ihr noch ? / Zaudert wohl gar ? / (Il retire l’anneau de son doigt, le baise et le brandit d’un geste menaçant) Zittre und zage, / gezähmtes Heer / rasch gehorcht / des Ringes Herrn ! (Ici ! Là-bas ! / Héhé ! Hoho ! / Fainéants, / là en pile, / entassez le trésor ! / Hé toi, là-dessus ! / […] Vous tardez encore ? / Et même vous traînez ? / Tremble et frémis / troupe asservie : / vite, obéissez / au maître de l’anneau !) Alberich chasse son frère Mime, et calmement Wotan interroge le gnome. Malicieux, Loge le félicite pour sa puissance et l’invite à faire des prouesses. Wagner s’inspire du stratagème du Chat botté (1697) de Charles Perrault. Alberich revêt le heaume et se transforme en dragon, en un ver géant. Cette apparition suscite une peur simulée de Wotan et de Loge. Alberich jubile car il triomphe et c’est l’orchestre qui parle à sa place. Grâce à des paroles flatteuses, Loge convainc Alberich de prendre la forme d’un crapaud. De petites notes à la clarinette figurent les sauts du crapaud. Alberich sera capturé par Wotan. Il ACT.0 | 14

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Elle conjure Wotan de céder : « Weiche, Wotan, weiche ! » (Cède, Wotan, cède !) et annonce la fin des dieux, le crépuscule des dieux. Il apparaît alors un nouveau thème, celui du Déclin des dieux, qui résulte de l’inversion des thèmes du Rhin et d’Erda. sera enchaîné et emmené dans le domaine des dieux. On entend des plaintes à l’orchestre et le cri de triomphe, ce n’est plus celui d’Alberich, c’est celui des dieux. On entend alors un véritable mini-poème symphonique qui récapitule un certains nombres de thèmes fondamentaux : Anneau, Résignation, Forge, Freia, les Géants, Loge et la Plainte. Cet interlude, qui déploie un arsenal de motifs très riche et qui possède un grand pouvoir suggestif, nous amène au tableau 4, analogue au tableau 2. Freie Gegend auf Bergeshöhen (Paysage dégagé au sommet de la montagne) Pour se libérer, Alberich devra se racheter et payer une rançon. Toujours maître de son peuple obscur, il fait livrer son or à Wotan. Il devra également se séparer du heaume magique. Croyant être enfin libre, il doit également abandonner l’anneau que Wotan réclame sur un accord de septième de dominante en Sol majeur. Alberich refuse, Wotan lui arrache l’anneau. Libéré, Alberich se redresse et exprime sa haine et sa vengeance avec véhémence. Il jette l’anathème sur l’anneau et sur celui qui le porte. On entend alors le Fluchmotiv, le thème de la Malédiction accompagné par un roulement de timbale. Il est énoncé par les cuivres comme le craquement de la foudre.

Alberich

[…] Wie durch Fluch er mir geriet, / verflucht sei dieser Ring !  / […] Wer ihn besitzt, / den sehre die Sorge, / und wer ihn nicht hat, / den nage der Neid ! / […] Behalt ihn nun, / hüte ihn wohl, / meinem Fluch fliehest du nicht ! (Comme j’ai maudit pour l’obtenir, /maudit soit cet anneau ! / […] Qui le possède / sera rongé par le souci, / et qui ne l’a pas / sera dévoré d’envie ! / […] Garde-le donc, / veille bien sur lui, / tu ne fuiras pas ma malédiction !) Avec le départ d’Alberich tout devient plus lumineux. L’orchestre s’apaise, le Burg apparaît sur une mélodie très douce aux cordes et aux bois. Loge annonce l’arrivée imminente des géants accompagnés par Freia. La tonalité de Do majeur s’installe, on entend le thème des Pommes d’or, Froh chante un lied d’une grande fraîcheur, malgré le thème de la Haine qui rôde encore aux altos, violoncelles et flûtes. Avec le motif des Géants et des Pommes d’or, Fafner et Fasolt viennent réclamer la rançon promise. Fasolt se résout difficilement à abandonner Freia. On remarquera le contraste entre le côté colossal des géants et la grâce de Freia qui s’exprime « dans un accord de septième naturelle en suspens dans la tonalité de Sol majeur ». Il faut entasser assez d’or pour cacher la déesse Freia. Wotan devra céder non seulement le heaume, mais également l’anneau. Onze thèmes vont se succéder jusqu’à l’arrivée d’Erda, comme une sorte de récapitulation. Les Leitmotive s’enchaînent et s’interpénètrent. Avant de donner l’anneau, apparaît Erda, mère de Brünnhilde et des trois Nornes. Elle symbolise la sagesse du monde et connaît le présent, le passé et prédit l’avenir. ACT.0 | 14

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Erda

[…] Ein düstrer Tag / dämmert den Göttern: / dir rat ich, meide den Ring ! (Le crépuscule / menace les dieux : / je te conseille d’éviter l’anneau !) Wotan donne l’anneau, Freia est libérée. Comme Alberich, les géants ont renoncé à l’amour et on entend le thème du Renoncement à l’amour. Une altercation éclate entre les deux frères. Fafner tue Fasolt, il s’empare du trésor et s’éloigne en laissant son frère sur place. Il est désormais le seul détenteur de l’or et de l’anneau. L’anathème lancé par Alberich est en marche.

Boulversé par le meurtre de Fasolt, Wotan souhaiterait interroger Erda, dont on entend le motif aux altos et aux violons, afin de mettre un terme à ses craintes. Apparaît alors le thème du Burg aux cuivres et un long accord de neuvième conduit à un épisode en Si bémol majeur. Donner déclenche l’orage et sur un doux rayonnement orchestral, un arc-en-ciel forme le chemin qui conduit au Walhalla qui resplendit dans le soleil couchant. Un trille étincelant des violons et des flûtes déroule le Leitmotiv de l’Arc-en-ciel qui montre un lien avec le thème du Rhin, de l’Ur-Melodie. Puis on entend dans la tonalité de Ré bémol le motif du Walhalla. L’orchestre dégage une suave harmonie qui reflète la scène grandiose du Burg vers lequel les dieux s’avancent. L’énoncé du thème des Nornes et de celui de l’Anneau fait référence aux sombres préoccupations de Wotan.

En s’enfuyant avec son butin, Fafner avait laissé derrière lui une épée. Sur un fort crescendo qui mène à un accord de Do majeur, Wotan la ramasse et songe à l’épée de la nécessité (Not), le moyen pour reconquérir le trésor, et surtout l’anneau. Le Leitmotiv de l’Épée est énoncé par les cuivres de façon éclatante. Cette épée reviendra à Siegmund dans Die Walküre et finira entre les mains de Siegfried : c’est Nothung. La marche du Walhalla s’élève crescendo, de plus en plus rythmée, elle se termine fortissimo en apothéose où resplendit le thème de l’Arc-enciel. Alors qu’on entend la complainte des filles du Rhin en La bémol majeur, les dieux gardent leur Ré bémol majeur, la tonalité finale de l’ouvrage. La marche des dieux vers le déclin continue. Erda avait raison. L’or a installé sa tyrannie. Il faut le rendre aux filles du Rhin. Wotan, pour ne pas renier le pacte conclu avec les géants, ne peut réaliser l’acte libérateur. C’est parmi les hommes qu’il ira chercher le héros capable d’affronter Fafner, métamorphosé en dragon, et de lui ravir le trésor. DD 7 15/02/13 12:23


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> Das Rheingold

de Richard Wagner Direction musicale Ingo Metzmacher Mise en scène Dieter Dorn décors & costumes Jürgen Rose Wotan Tom Fox Loge Corby Welch Alberich John Lundgren Mime Andreas Conrad Fasolt Alfred Reiter Fafner Steven Humes Fricka Elena Zhidkova

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Quelques-uns des responsables des équipes techniques du Grand Théâtre de Genève nous ont confié leurs impressions sur la préparation du prologue du Ring. Tour d’horizon des particularités du grand projet Wagner qui sera dévoilé au public genevois entre 2013 et 2014.

Les coulisses de R

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nterrogé sur la spécificité majeure du projet du Ring, Michel Chapatte, chef des ateliers décors, évoque d’emblée «  la grande interaction qui s’articule entre les différents spectacles et qui représente un challenge supplémentaire dans la conception des décors ». Ces derniers réapparaîtront avec de légères modifications tout au long des quatre épisodes de l’œuvre-clé de Wagner. Alexandre Forissier, ingénieur au bureau d’étude, insiste sur l’existence d’un degré de : «  la nécessité de pouvoir complexité supplémentaire  passer, en une seule nuit, d’un opéra à un autre lors de la représentation du Ring en un cycle complet ». Ce genre de fonctionnement constitue un véritable défi pour le Grand Théâtre qui, en tant que théâtre stagione, est habitué à monter des productions les unes après les autres. Contrairement aux théâtres de répertoire, les théâtres de saison ne prévoient pas la représentation de plusieurs productions dans un court laps de temps, comme ce sera le cas à la fin de la saison 2013-2014 durant laquelle les spectateurs pourront assister à l’intégrale de la Tétralogie. À propos de la collaboration avec Dieter Dorn et Jürgen Rose, Alexandre Forissier précise que les équipes du Grand Théâtre ont affaire « à deux personnages qui ont une façon de travailler plus proche de celle du théâtre dramatique que de l’opéra. » Il faut entendre par là qu’ils sont habitués à une plus grande implication de la mise en scène et un grand nombre d’effets de machineries, tels que des apparitions, des événements magiques ou spectaculaires. Michel Chapatte souligne également que « dans le cadre d’un projet à long terme, la méthode de travail de l’équipe artistique demande un certain temps d’adaptation ». La phase de préparation a notamment été rallongée par des Bauproben, des simulations en grandeur nature des éléments scénographiques, plus d’une année avant la première représentation, et les répétitions se déroulent dans des locaux spécifiques (voir encadré). Dominique Baumgartner, chef du service tapisserie et décoration, apprécie tout particulièrement le défi que représente cette nouvelle production : « L’équipe de production est arrivée avec certains concepts qu’il a fallu réaliser et qui demandèrent donc pas mal d’inventivité de la part de nos équipes. » Alexandre Forissier entrevoit quant à lui un défi supplémentaire dans le cadre de la mise au point du projet et de la recherche des tech-

© GTG / carole parodi

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par Benoît Payn

niques de réalisation, celui de « garder assez de liberté pour pouvoir, si besoin est, adapter les éléments scéniques aux souhaits de l’équipe de production ». Sans dévoiler trop du spectacle, on peut notamment signaler que l'or du Rhin, reproduit sous une forme particulière, consistera, selon les dires de Dominique Baumgartner, en « un petit bijou de machinerie de théâtre, mû par tout un système de tirages, de fils et de contrepoids. » Dans un tout autre registre, Matilde Fassò, assistante à la production artistique et responsable de la figuration, a du engager quelques quarante figurants, « des jeunes sportifs, hommes et femmes, qui soient disponibles sur un très long terme car le projet de la Tétralogie s’étale sur plus d’une année. » Pour cette production du Ring, les figurants ne se limiteront pas à de simples rôles de silhouettes conventionnels mais seront mis à contribution tout au long des quatre volets comme parties prenantes centrales de la mise en scène. Deux semaines de préparation préliminaire leur ont donc été réservées et un spécialiste en expression corporelle a développé avec eux un entraînement spécifique. Les ateliers costumes ont également été mis à contribution puisque plus de 170 costumes seront confectionnés pour le premier volet de la Tétralogie. Au moment de nous décrire la nature des costumes du Ring, Fabienne Duc, cheffe des ateliers costumes, se rappelle de la première visite de Jürgen Rose tenant entre ses mains « un classeur débordant de références et de photographies de costumes aux origines très variées, allant d’anciennes productions à des tenues traditionnelles en provenance des quatre coins de la planète. » Si les approches et méthodes de travail de l’équipe de production demandent flexibilité et capacité d’adaptation, leur démarche artistique suscite également de l’enthousiasme auprès des collaborateurs du Grand Théâtre de Genève, voire même de l’admiration, comme le laisse entendre Fabienne Duc lorsqu’elle nous confie être impressionnée par « la passion débordante que le décorateur laisse exprimer en composant les costumes, mélangeant matières et époques. » BP ACT.0 | 14

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Rheingold Un espace sur mesure pour le Ring La préparation du Ring est synonyme de démarches importantes : l’aménagement de nouveaux locaux dans la zone industrielle de Meyrin. Jean-Yves Barralon, directeur technique du Grand Théâtre, nous en dit plus sur cette nouvelle salle de répétition.

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our le Ring, l’intention de l’équipe de production était de partir d’un espace complètement vide et de le meubler progressivement grâce aux éléments de décors et à la machinerie scénique du Grand Théâtre de Genève. Les locaux de Sainte-Clotilde n’étant pas assez grands, il a fallu envisager la recherche d’un nouveau lieu de répétitions. » D’emblée, le directeur technique précise au sujet de l’élargissement des structures du Grand Théâtre de Genève qu’il s’agissait avant tout de répondre aux exigences du trio Dorn-Rose-Metzmacher. Les trois protagonistes de la Tétralogie genevoise souhaitaient pouvoir travailler dans des conditions similaires à celles la scène du Grand Théâtre. Ils pourront donc compter sur une surface de travail identique à celle du plateau de scène et travailler dès le début des répétitions avec les éléments scénographiques qui seront présents sur la scène de Neuve. « Malgré les nombreux locaux industriels ici à Genève, il n’a pas été évident de trouver l’espace qui correspondait à nos exigences. Finalement, notre choix s’est porté sur un local de pas moins de 1200 m2 qui demanda différents travaux de réaménagement. » La première intervention fut d’éliminer des poteaux de soutien répartis sur toute la surface de la halle, ces éléments étant remplacés par une nouvelle charpente métallique. Lors de la réalisation de ces premiers travaux, un problème au niveau des fondations de la halle a été relevé. Il fallut donc installer toute une série de micropieux pour assurer la stabilité du bâtiment. Suite à ces premiers travaux de gros œuvre, les questions d’alimentation en eau, d’évacuation des eaux ACT.0 | 14

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usées et des nouvelles installations électriques ont été réglées. Différents éléments de décors destinés à la destruction ont d’ailleurs été récupérés pour la redistribution des espaces : les décors de Die Entführung aus dem Serail servirent de cloisons et les planchers de Don Pasquale fournirent un revêtement de sol propice aux déambulations des chanteurs et figurants. Enfin, différents rideaux et frises furent installés sur les plafonds et parois de la halle pour optimiser l’acoustique et des chauffages d’appoint permirent d’obtenir une température propice aux répétitions. « Après une demi-année d'étude et de travaux, le nouvel espace de répétition de Meyrin était opérationnel et donne jusqu’à présent entière satisfaction aux équipes présentes sur place depuis deux semaines », nous déclarait Jean-Yves Barralon peu après le début des répétitions de Rheingold. En dehors de l’espace de répétition, la surface de la halle accueille encore un local pour les costumes et accessoires, un bureau pour la production artistique, un foyer dans lequel les solistes pourront se reposer et encore un espace de restauration. Un bungalow vitré apposé au corps du bâtiment servira encore de studio de chant dans lequel les chanteurs et pianistes pourront s’échauffer. Du point de vue logistique, un service de transport depuis le centreville a été mis sur pied et une équipe de restauration servira des plats chauds lors de la pause du soir. Le directeur technique précise encore que « l’aménagement de ces nouveaux locaux à Meyrin servira dans un premier temps aux répétitions de la Tétralogie. Ensuite, ils feront office de salle de répétitions lors de la saison “hors les murs”, durant les travaux au Grand Théâtre et enfin, de lieu de stockage pérenne de décors et accessoires, après le retour dans les locaux du centre-ville. » Au-delà de leur important rôle dans le cadre de la production du cycle entier du Ring, ces nouvelles infrastructures seront encore d’une grande utilité lors des prochaines saisons. BP

(ci-dessus)

Le domaine des Dieux prend place dans le nouvel espace de Meyrin ou Das Rheingold est en répétition. (page de gauche, à droite)

Dieter Dorn, le metteur en scène, dirige les solistes. (Page de gauche, à gauche)

La pelote du destin prête à se dérouler... (en-dessous)

Dans l'atelier des costumes « grotesques », l'un des géants prend forme... (plus bas)

Les esquisses de Jürgen Rose et les notes de la responsable des costumes. (en-bas)

La tapissière-décoratrice Fanny Caldari dans la gueule du dragon !

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> MadamA Butterfly

de Giacomo Puccini Direction musicale Alexander Joel Mise en scène Michael Grandage décors & costumes Christopher Oram

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Entre opéra et histoire : deux destinées japonaises en miroir

Madama F.B. P et la G

Jérusalem, 1896. L’hospice autrichien de la Sainte-Famille, inauguré trente années plus tôt par l’empereur FrançoisJoseph à l’occasion de l’ouverture du canal de Suez, a l’habitude d’accueillir des pèlerins plutôt chics. Le pèlerinage en Terre Sainte est l’affaire de gens nobles et nantis, qui empruntent la ligne de paquebots à vapeur de la Lloyd autrichienne entre Trieste et Jaffa. Les visiteurs les plus distingués, avant de partir, laissent qui un portrait, qui une photo dédicacée, certains posent même leurs armoiries dans les couloirs. Comme le comte et la comtesse CoudenhoveKalergi, jeunes mariés en voyage de noces prolongé... À New York, deux ans plus tard, un jeune avocat nommé John Luther Long publie dans Century Magazine une nouvelle basée sur les souvenirs de sa sœur, épouse d’un missionnaire méthodiste au Japon. La nouvelle s’intitule Madame Butterfly. Mais quel rapport peut-il bien y avoir entre ces deux événements, qui semblent n’avoir comme seul point commun que le fait d’avoir eu lieu entre 1896 et 1898 ? 10 ACT-0_N°14.indd 10

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a nouvelle de John Luther Long fut la première à nous raconter une intrigue devenue si familière grâce à l’opéra de Puccini qu’il n’est plus besoin de la présenter. Oh, certes, certains vous diront que l’histoire de Madama Butterfly a ses antécédents dans le roman de Pierre Loti, Madame Chrysanthème, publié en 1887, mais ce ne sont que cocoricos gallicans pour démontrer par tous les moyens que les Français sont toujours arrivés en premier... S’il est effectivement un domaine où le colonialisme français a excellé, c’est celui des amours ancillaires avec la gent féminine locale, mousmés, congaïs, sauvagesses et autres jolies gazelles. Mais revenons à nos papillons... La nouvelle de J.L. Long développe une intrigue et des personnages qui seront très exactement ceux de Madama Butterfly, à un détail près et non des moindres. De Broadway à Brescia Reprenons l’histoire au moment où l’héroïne éponyme, Cho-Cho-San1 après avoir veillé des jours et nuits entières en vain pour le retour de Pinkerton, se fait dire par Sharpless, le consul des Etats-Unis, qui veut lui épargner son chagrin, que Pinkerton était effectivement en route pour lui rendre visite mais qu’il avait reçu des ordres urgents de se rendre en Chine. Au moment même entre dans le bureau de Sharpless, une jeune femme blonde qui se présente comme l’épouse de Pinkerton et lui dicte un télégramme pour son mari : « Viens de voir le bébé et sa nourrice. Ne pourrait-on pas l’avoir tout de suite ? Il est si mignon. Irai voir la mère à ce sujet demain. N’était pas à la maison quand suis passée. Te rejoindrai mercredi en huit par le Kioto Maru. Puis-je l’emmener avec moi ? Adelaide. » Cho-Cho-San maintenant consciente de la réalité et au 1

Long écrit le nom de son héroïne en adoptant une transcription anglophone du mot japonais pour « papillon » チョウ (蝶, chō), redoublé en signe de diminutif affectueux. C’est aux librettistes de Puccini que nous devons l’orthographe italianisée sous laquelle le personnage a atteint sa renommée. ACT.0 | 14

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par Christopher Park

bord du désespoir, se rend précipitamment chez elle, fait ses adieux à Suzuki et à l’enfant, puis s’enferme dans sa chambre pour se suicider avec l’épée de son père. C’est ici que l’opéra s’achève dans le finale tragique que tout le monde connaît. Dans la nouvelle de Long, Cho-Cho-San se donne un premier coup d’épée mais son bras hésite. Le sang coule mais la blessure n’est pas fatale. Elle brandit à nouveau l’épée quand Suzuki entre dans la pièce avec le petit enfant dans les bras et le pince pour le faire pleurer. L’épée tombe alors de ses mains. Le bambin rampe jusqu’à sa mère et vient se blottir contre elle, pendant que Suzuki panse la blessure. La nouvelle se conclut avec la phrase suivante : « Lorsque Mrs. Pinkerton vint s’annoncer le demain à la petite maison sur la colline de Higashi, elle n’y trouva personne. » La nouvelle de Long eut un succès fou à une époque où l’Occident, en particulier les États-Unis, responsables en 1854 de l’ouverture forcée du Japon au commerce international et aux échanges diplomatiques, se fascinait pour l’empire insulaire, sa culture et ses biens de consommation. La sœur de Long se félicitait même que Madame Butterfly se vendait « comme des petits pains sortis du four ». L’un des auteurs dramatiques les plus célèbres de son temps aux États-Unis, David Belasco s’intéressa à Madame Butterfly. Né à San Francisco dans une famille d’immigrants britanniques d’origine sépharade, il suivit la tradition familiale des métiers du théâtre et devint rapidement l’auteur et producteur de nombreuses pièces à succès. Toujours à l’affût de nouveaux projets, Belasco se mit à adapter la nouvelle pour le théâtre longtemps avant de s’entendre avec son auteur sur les termes de leur collaboration. Il ne changea pas grand chose à l’intrigue, la résumant en un seul acte. Pinkerton n’y fait que de brèves apparitions pour parler de « that little Jap girl », le bébé devient une petite fille, Adelaide devient Kate et presse un Pinkerton récalcitrant de la suivre sur la colline de Higashi pour prendre possession du bébé. C’est ainsi que Butterfly peut adresser quelques paroles ACT.0 | 14

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de circonstance à Pinkerton et en faire le témoin de son suicide, qu’évidemment ce coup-ci elle ne rate pas ! Ce fut la plus importante modification du texte original. L’autre grand rajout fut la transformation des journées et nuits de veille sur la rade de Nagasaki en une seule nuit de veillée ultra-romantique, peuplée de fleurs et de sentiments, consistant en quinze minutes sur scène avec des effets de lumière et de son marquant la transition du crépuscule à l’aube. Belasco considérait que cette scène était la plus grande réussite d’une carrière entière passée à épater son public. La pièce fut créée à New York le 5 mars 1900. En juin de la même année, il la fit monter au Duke of York Theatre de Londres. En juillet, Giacomo Puccini, qui était à Londres pour assister aux représentations de sa Tosca vit la pièce. Quelques années plus tard, il confiait à son ami Dante del Fiorentino qu’il avait pu aisément suivre l’intrigue, même sans comprendre un mot d’anglais. Après la représentation, Puccini, en larmes, se rendit en coulisse, embrassa Belasco et lui demanda le droit de se servir de sa Madame Butterfly comme sujet d’un opéra. L’histoire d’amour de Puccini avec celle qui allait devenir Cio-CioSan avait commencé. La nôtre aussi. L’héroïne du romancier à succès étasunien, filtrée par l’imprésario de Broadway, est donc recyclée par Puccini en une « Madama F.B. Pinkerton » – nouvelle identité qu’elle revendique auprès de ses compagnes au premier acte et que nous savons, hélas, bien artificielle. Sa destinée est d’être un fragile produit de consommation matérielle, à l’instar de l’éventail en papier ou du bol de laque. Une japonaiserie faite de lettres, d’images de scène et de musique, prostituée sous les auspices du colonialisme, de la littérature d’évasion et du grand art lyrique. Le public, depuis la création à Brescia en 1904 jusqu’à notre reprise genevoise de 2013, sait qu’il est le touriste sexuel de Butterfly et il adore ça.

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. Pinkerton Gräfin Coudenhove (ci-dessus, de gauche à droite)

Maria Callas fut une Cio-Cio-San inoubliable. C’est Evelyn Milliard, que Puccini est venu applaudir à Londres en juillet 1900 pour la pièce de Belasco. Heinrich von CoudenhoveKalergi épouse Mitsu Aoyama le 16 mars 1892 à Tokyo. Mitsu devient donc la comtesse Coudenhove-Kalergi.

Le corps de Butterfly Toute forme de représentation scénique, que ce soit au théâtre, un concert rock, au cinéma, place le corps 11 15/02/13 12:24


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a été créée en octobre 2010 au Houston Grand Opera.

Le corps de Butterfly, comme tout corps mis en scène mais plus que tout autre à cause de son ethnicité japonaise, de son métier de geisha et de son contexte historique d’ouverture forcée du Japon à l’Occident, est propriété publique. 12 ACT-0_N°14.indd 12

© Houston Grand Opera/Felix Sanchez

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La production donnée sur la scène de Neuve en avril 2013

humain en scène ou à l’écran à des fins de consommation. Le risque que le corps soit consommé comme objet sexuel n’est, par conséquent, que rarement évitable. Mais ce désir avance, la plupart du temps, sous un masque plus ou moins épais de convenances sociales, comme, par exemple, à la télévision pendant les heures de grande écoute. À l’opéra, l’identité de ce désir est plus évidente. L’effet d’aliénation (Verfremdungseffekt) que Brecht décrit comme la manière dont le théâtre érige certaines limites pour encourager le public à rester hors du cadre narratif afin de pouvoir porter un jugement politique sur l’intrigue et ses implications sociales, est bien difficile à soutenir sur la scène lyrique. À l’opéra, la musique d’abord, et parfois aussi la mise en scène (malgré les efforts redoublés de metteurs en scène sérieux venus d’Outre-Rhin) font que le public n’a aucune peine à rester dans le cadre narratif. Bien au contraire, l’opéra fait tout ce qui est possible pour que j’entre dans son monde, que je m’identifie à ses personnages, que je sois englué d’émotion dans le magma de sa musique. Loin de tout désengagement brechtien, l’opéra me propose un engagement à l’excès en m’attirant dans son monde interlope, où ma propre identité se met à flotter dans le cadre flou de son univers dramatique. Le lieutenant de vaisseau Pinkerton, en permission de terre à Nagasaki vient de s’acheter une concubine qui va faire son entrée et que je désire déjà parce que j’ai acheté mon billet. J’ai beau ne pas approuver l’impérialisme étasunien de Pinkerton, je partage son excitation sexuelle de découvrir la jolie geisha que je me suis payée. Lorsqu’elle apparaît et qu’elle se met à chanter, j’approuve, non, j’applaudis les émotions qui vibrent dans sa voix, émotions auxquelles les vers italiens convenus et archaïsants du livret sont incapables de rendre justice. Je suis donc Pinkerton, le héros veule qui contrôle le récit et qui consomme Butterfly. Mais j’ai beau résister comme un demi de mê-

lée de 95 kilos, Puccini me force aussi à être Butterfly, à la fois innocente victime tragique et jolie potiche du Japon, dans les deux cas objet de consommation. Le corps de Butterfly, comme tout corps mis en scène mais plus que tout autre à cause de son ethnicité japonaise, de son métier de geisha et de son contexte historique d’ouverture forcée du Japon à l’Occident, est propriété publique. Dans son grand essai Surveiller et punir, Michel Foucault affirme avec conviction, en analysant les formes des exécutions et tortures publiques, que l’acte d’exhiber publiquement un corps humain transforme ce corps en un bien de consommation, sur lequel l’autorité inscrit son pouvoir politique, esthétique, religieux mais surtout économique et érotique. Le corps en représentation devient la propriété personnelle de chaque individu (j’allais dire membre...) du public. J’ai payé pour le droit de regarder ce corps, il m’appartient, pour les 120 minutes que durera le spectacle en tout cas. Je regarde la soprano et le contrat de mon billet me donne le droit de fantasmer que mon regard est une autorité visuelle sur son corps. Même si j’ai parfois l’impression qu’elle me regarde vraiment, je reste le maître car c’est moi qui l’ai regardée en premier. La scène devient un grand peep-show, où le désir ne se contrôle que par le regard. C’est pour cela que les places bon marché à l’opéra sont des places d’où l’on ne voit que mal ou pas du tout la scène, car même si l’on y entend souvent très bien (voire mieux) la musique, si on n’arrive pas à bien voir le corps du chanteur, le désir érotique est désamorcé et déprécié. Quelle destinée abjecte, donc, que celle de Cio-Cio-San, qui se prostitue ainsi pour nous depuis bientôt 110 ans. Heureusement d’ailleurs, que je suis assis trop haut pour la voir de près. Elle a si souvent été incarnée par des imposteurs, sortes de travelos féminins en dégaine de geisha dont la voix fut certes divine, mais dont l’ethnicité et la silhouette ne correspondaient en rien à celles d’une jolie Japonaise de quinze ans. Je suppose que j’en ai pour mon ACT.0 | 14

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Maria Thekla von Coudenhove-Kalergi Qui est déjà entré chez Mitsukoshi ou Matsuzakaya aura compris le dicton, non, la philosophie absolue du commerce au Japon : « お客さまは神様です Okyakusamawa kamisama desu », le client est dieu. Dans les grands magasins du Japon, on est toujours accueilli avec politesse et prévenance. Ce trait particulier qui nous permettra de faire le lien entre le sort lamentable de l’immortelle potiche lyrique aux coloris sublimes du grand artisan que fut Puccini-San, et le sort qui amena le couple CoudenhoveKalergi à franchir le seuil de l’Hospice autrichien en 1896. La destinée fantasmée de la petite japonaise de Long, Belasco et Puccini va se lire presqu’en image inversée d’une réalité historique qui nous apprend bien plus de choses, et probablement bien plus vraies, sur la femme, le Japon, le désir, l’amour et le destin des peuples. En 1891, Heinrich von Coudenhove-Kalergi a 32 ans. Il est l’hériter d’une ancienne lignée aristocratique de l’empire habsbourgeois, originaire du Brabant. Polyglotte, intelligent, curieux de tout et beau garçon, il embrasse la carrière diplomatique et représente l’Autriche-Hongrie à Athènes, Rio de Janeiro, Constantinople et Buenos Aires. Cette année-là il est nommé sous-ministre plénipotentiaire au Japon. La légation impériale et royale au Japon avait non seulement ses lettres de créance auprès du trône du Chrysanthème mais également auprès de l’empereur de Chine et des rois de Siam et de Corée et le légat étant souvent malade, c’est son jeune député qui va faire marcher la légation. Fasciné, à l’égal de bon nombre de ses contemporains, par les cultures de l’Extrême-Orient, le jeune homme apprend vite le japonais et devient un connaisseur de l’art du Japon. Il se rend fréquemment dans le magasin d’un marchand nommé Aoyama, ayant prospéré dans le commerce des huiles minérales et devenu collectionneur d’objets d’art et galeriste. L’anecdote, probablement légendaire, veut que Heinrich soit arrivé chez Aoyama un jour d’hiver et son cheval ayant glissé sur une plaque de glace, il fit une vilaine chute et la fille d’Aoyama, Mitsu (17 ans) soit sortie en courant pour le relever. Ce qui se passa vraiment fut bien plus prosaïque. Pendant que son père et le beau gaijin discutaient du prix de quelques jolies pièces, Mitsu, dite aussi Mitsuko, leur servait du thé. Heinrich, avec sa politesse de diplomate, se leva instinctivement de sa chaise pour la lui laisser. Mitsu écrivit plus tard dans son journal qu’elle avait cru qu’il s’était levé parce que ses chaussures trop étroites lui faisaient mal et qu’il voulait se dégourdir les jambes. L’anecdote nous prouve que les Aoyama étaient particulièrement modernes pour leur temps : le magasin Matsuzakaya sur la Ginza ne permit aux clients d’entrer en chaussures de ville qu’en 1924 ! Si modernes en fait que Mitsu devint très vite la maîtresse de Heinrich et lui fit deux enfants, en rapide succession, entre 1893 et 1894. Le diplomate annonça alors à ses frères et sœurs qu’il pensait ne plus rentrer au pays et qu’il renonçait à ses droits d’aînesse sur le domaine familial de Ronsperg en Bohême, par amour pour Mitsu et pour son pays. Le destin en décida autrement : le testament du père de Heinrich stipulait que le domaine ACT.0 | 14

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passerait au « fils aîné de mon fils aîné » : un enfant naturel et de surcroît, à moitié japonais ! On passa à la vitesse supérieure : Mitsu fut baptisée (sous le joli prénom de Maria Thekla) et confirmée illico par l’archevêque de Tokyo, et son union avec Heinrich fut bénie selon le rite catholique romain. Heinrich démissionna de son poste de diplomate et revint en Europe avec sa femme et ses enfants. Peu avant son départ, l’impératrice du Japon la reçut – honneur insigne pour une roturière – et dit à cette jeune femme qui allait être la première Japonaise à émigrer en Europe, qu’elle avait le devoir, quel que soit son destin, de faire honneur à sa patrie avec toute la dignité qui incombe à une femme japonaise. Sissi japonaise ou Yamato nadeshiko? Mitsu prit l’adjonction au sérieux. Elle apprit l’allemand, le français, voyagea avec son mari en Europe, lui fit cinq autres enfants qu’elle éleva en bons Autrichiens, refusant de leur parler en japonais. Elle eut surtout à faire face à la xénophobie et l’arrogance de la société aristocratique viennoise pour qui l’image de la Japonaise consistait plus en Madame Butterfly qu’en la Gräfin von Coudenhove. Son destin bascula une fois de plus en 1904 : Heinrich mourut d’un infarctus à 46 ans. Veuve à 27 ans, la jeune épouse docile et patiente qui jouait du biwa et faisait de l’ikebana, devint l’administratrice dure et despotique de sa famille et de son domaine. Les enfants furent mis en internat et vinrent à tant redouter leur mère que son plus jeune fils Karl, en permission pendant la Grande Guerre, aurait dit préférer un mois de tranchées à une seule engueulade de sa mère. Mitsu connut une solitude qui rappelle celle d’une autre jeune Japonaise, mais aggravée par la nostalgie pour son pays et sa famille qu’elle ne revit jamais. Son fils Richard, qui fut l’une des figures de proue du mouvement pan-européen de l’Entre-deux-guerres, prédécesseur de l’Union européenne, écrivait : « À ce moment, elle a dû se sentir vraiment comme une exilée. La richesse qui l’entourait était comme une chaîne dorée qui la reliait à cette terre froide et étrangère, à cet homme remarquable, qu’elle n’avait jamais compris, à ces enfants, auxquels elle n’avait jamais pu parler dans sa langue maternelle. » Ironie d’un processus de kitschification similaire à celui qu’à connu la Cho-Cho-San de J.L. Long, Mitsuko Aoyama est devenu au Japon, par l’opérette, le théâtre, le téléfilm, le manga et l’anime, une sorte de Sissi nippone, et nombreux sont les pèlerins japonais à sa rendre sur sa tombe au cimetière viennois de Hietzing et y laisser des petites bouteilles de sauce soja, en forme de poisson, en signe de respect. Elle fut même commodifiée en un parfum légendaire par Guerlain. Mais la réalité est que Mitsu, comtesse Coudenhove, née Aoyama, fut une figure remarquable de la modernité en Autriche, tout comme son mari, adversaire illustre de l’antisémitisme croissant en Europe. Elle fut peut-être une victime, comme Butterfly dont elle épousa si étrangement le destin dans les faits et l’époque. Mais elle fut surtout une pionnière qui osa vivre, longtemps avant que ces termes ne deviennent notre langue de bois actuelle, le multiculturalisme et l’intégration. À l’inverse de la jolie Japonaise(rie) de Puccini, elle fut, dans la langue élégante que l’impératrice du Japon utilisa pour lui adresser ses recommandations, une véritable 大和撫子 Yamato nadeshiko : la personnification de la femme japonaise idéale. ChP

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argent et que je reçois la mesure de désir érotique pour lequel j’ai payé. Je plains les dames et les messieurs du deuxième balcon pour qui la consolation se calcule seulement à l’aune du calibre vocal de la diva.

Mitsuko Coudenhove-Kalergi est devenue une figure très populaire au Japon. Son image se retrouve aussi bien dans les parfums que dans les mangas actuels.

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La beauté et projection du timbre, netteté et naturel de la diction, noblesse du phrasé avec ce mélange de d'arrogance et de moelleux dans l'émission qui

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le rend de bout en bout irrésistible. Un chant direct, simple et en même temps puissamment expressif, qui émeut sans avoir besoin de recourir à la surcharge et à l'effet. Jamais Ludovic Tézier ne nous avait à ce point évoqué ses plus illustres prédécesseurs français...

Richard Martet magazine opéra, 2008

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Baryton Piano Thuy Anh Vuong Schumann et Berlioz

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> Ludovic Tézier

Vendredi 8 mars 2013 à 19 h 30

Dans la lignée des grands barytons français...

Ludovic Tézier

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n ne peut rester insensible à la voix chaude et somptueuse de Ludovic Tézier. Sa diction est exemplaire et son phrasé est exceptionnel. Il s’inscrit dans la lignée des grands barytons français : Robert Massard, Ernest Blanc, Gabriel Bacquier, Camille Maurane, ou encore Michel Dens. La scène de la place de Neuve ne lui est pas inconnue, car il l’a déjà souvent embrasée en interprétant Pompeo dans Benvenuto Cellini de Berlioz, Lescaut dans Manon Lescaut de Massenet, ainsi que Marcello de La Bohème de Puccini, un rôle qui lui a permis d’électriser maintes scènes à travers le monde. Il a 22 ans quand il aborde le personnage de Marcello qu’il affectionne particulièrement, car il est profondément humain et évolue dans un monde vrai. Sans conteste, il appartient à la cour des plus grands, cependant il reste modeste, abordable et enthousiaste. Son souci premier est de rester à la hauteur de ce que le public attend de lui et projette sur lui. Il grandit, à Marseille, baigné par la musique dans une famille extrêmement mélomane. Vers le 4 ans, il se passe en boucle Faust avec Boris Christoff dans le rôle de Méphisto. À presque 10 ans, il découvre, grâce aux vinyles des ouvertures de Richard Wagner. À 13 ans, assis au premier balcon de l’Opéra municipal de Marseille, il voit Parsifal. Totalement hypnotisé, il n’arrive pas à croire que cinq heures se sont passées et que c’est la fin de l’ouvrage. C’est le commencement de ce qu’on pourrait qualifier de boulimie lyrique. C’est avec Claudine Duprat qu’il apprendra la technique du chant classique. Après avoir écouté un disque de Franco Corelli, il se met à pousser les premières notes, persuadé qu’il est un ténor. Son professeur lui fait perdre ses illusions : « Vous serez peut-être un bon baryton. » Il se met alors à travailler sa voix comme baryton. Il est gagné par le virus du chant qui devient sa passion et sa vie. Il entre au Centre de formation lyrique de Paris, où il travaille avec Michel Sénéchal qui lui rappelle Claudine Duprat par sa générosité et son honnêteté. Ce dernier l’encourage à quitter le Centre de formation et à rejoindre la troupe de

« Une fois de plus, on détachera du lot l'exceptionnel Ludovic Tézier, notre Posa idéal : tout dans son chant respire la noblesse, sa voix parfaitement égale est d'un métal chaud, noble et mâle qui appartient aux très grands. » le figaro

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par Daniel Dollé

du Luzerner Theater. La réalité est autre qu’au Centre de Formation, 80 représentations en une saison, si bien qu’il lui faut plus de deux mois pour retrouver le goût et le plaisir du chant. Après cette expérience de deux ans, il rejoint la troupe de l’opéra de Lyon pour une durée de trois ans, après quoi, il choisit la voie du freelance. Sa carrière est lancée, une vertigineuse ascension peut commencer. Les portes des plus grandes maisons d’opéra s’ouvrent les unes après les autres. L’artiste s’installe très rapidement au zénith parmi les plus grandes stars en chantant tous les répertoires dans toutes les langues, sans jamais privilégier l’opéra ou le récital. Il affectionne le répertoire du XIXème siècle, et s’il ne restait que trois opéras ce seraient pour lui : Otello, Parsifal et Rigoletto. Il aime les personnages qui font des voyages intérieurs, qui évoluent : Onéguine, Hamlet, Werther qu’il a chanté dans sa version pour baryton. Il sait faire vivre ses personnages qu’il laisse le traverser sans le consumer. Dans la vie, il est à la fois Posa et Hamlet, honnête et généreux. Ludovic Tézier n’est pas seulement un artiste extraordinaire, il est également un humaniste cultivé qui rayonne une passion contagieuse. Il avance prudemment dans sa carrière, et même si le rôle de Wotan le fascine, il saura attendre le bon moment si la voix le lui permet. Il est bien conscient qu’il n’a que deux cordes vocales, aussi étoffe-t-il son répertoire progressivement à raison de deux à trois personnages par an. Au « Ludovic Tézier show », il préfère donner une vérité aux personnages qu’il interprète grâce à la musique et aux mots. Avec lui, la noblesse du chant français est entre d’excellentes mains. Il perpétue l’art d’or de ce chant. L’enregistrement ne constitue pas une des ses priorités ; au micro, il préfère le public et le live. Il souhaite ardemment que l’opéra soit le plus médiatisé possible, afin de le faire partager au plus grand nombre. Le 8 mars, il faudra répondre présent et courir au Grand Théâtre de Genève pour l’écouter distiller avec intelligence et raffinement les notes de deux monuments de la littérature musicale et poétique du XIXème siècle. Dichterliebe et Les Nuits d’été datent de la même période. Robert Schumann compose Les amours du poète en 1840, l’année de son mariage, tant désiré, avec Clara Wieck. L’œuvre comprend 16 lieder écrits sur des poèmes de Heinrich Heine tirés d’un recueil d’une soixantaine de poèmes du Lyrisches Intermezzo. Les Nuits d’été, op. 7, furent composées par Hector Berlioz entre 1834 et 1838. Il s’agit d’un cycle de six mélodies sur des poèmes de Théophile Gautier, tirés d’un recueil : La Comédie de la mort. Composé en premier pour voix et piano et dédié à Louise Bertin, le cycle fut orchestré pour voix et orchestre par la suite. Le titre n’est qu’un clin d’œil au Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare. Avec cette œuvre, Berlioz crée le modèle de la mélodie française. DD

Son agenda du 10 au 21 avril 2013 Don Carlo de Verdi (Rodrigo) Teatro Regio di Torino du 20 au 30 mai 2013 Carmen de Bizet (Escamillo) Staatsoper de Vienne du 1er au 10 juillet 2013 Lucia di Lammermoor de Donizetti (Lord Enrico Ashton) Philharmonie du Gasteig (Munich)

Le dernier Blu- ray Le Nozze di Figaro Mozart Orchestre et Chœur de l'Opéra national de Paris DM : Philippe Jordan MS : Umberto Camerlo Ludovic Tézier (Almaviva) Bel Air Classique, 2012 B008HRK6YI

Le dernier CD Il Pirata Bellini London Philharmonic Orchestra DM : David Parry Ludovic Tézier (Ernesto) Opera Rara, 2012 B007KG5N54

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> Anne Sofie Von Otter

Mezzo-soprano Ensemble Cappella Mediterranea

avec Elin Rombo (soprano) Dm : Leonardo García Alarcón

Dimanche 12 mai 2013 à 19 h 30

La Regina di Son agenda 18-19 avril 2013 Récital Schubert

Odense Symfoniorkester DM : Simon Gaudenz Odense, Danemark

26-27 avril 2013 Wagner Wesendonck-Lieder Orchestre national du Capitole de Toulouse DM : Marc Minkowski Lourdes, France

14 mai 2013 Récital Sogno Barocco

Ensemble Cappella Mediterranea DM : Leonardo García-Alarcón Salle Gaveau, Paris

16 mai 2013 Récital Sogno Barocco

Ensemble Cappella Mediterranea DM : Leonardo García-Alarcón Festival international Händel Göttingen, Allemagne

5-6 juin 2013 Mahler Symphonie N° 2

Berliner Philharmoniker DM : Sir Simon Rattle Konzerthaus, Vienne, Autriche

9 juin 2013 Terezín/Theresienstadt avec B. Forsberg et D. Hope Cité de la Musique, Paris

14 juin 2013 Récital

avec B. Forsberg et P. Kuusisto Potsdam, Allemagne

29, 30 juin 2013 Wagner Wesendonck-Lieder

hr-Sinfonieorchester DM : Paavo Järvi Festival de musique de Rheingau Oestrich-Winkel, Allemagne

Le dernier CD Sogno BArocco Monteverdi, Cavalli, Rossi, Provenzale Ensemble Cappella Mediterranea Direction musicale : Leonardo García Alarcón Naïve, 2012 B0089N47KE

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par Christopher Park

a mezzo-soprano Anne Sofie von Otter, du haut de ses 57 ans, ne cesse de fasciner le public par la beauté du timbre lustré de sa voix, l’intensité et l’audace de sa présence scénique et son engagement sans faille dans l’exploration et la découverte de répertoires oubliés ou émergents. Pour la présence scénique, le souvenir est encore vif à Genève de sa Didon des Troyens de Hector Berlioz, mis en scène par Yannis Kokkos en 2007. Avant la première du spectacle, on entendait persifler que la blonde Suédoise était trop glaciale et technique pour habiter le personnage de la reine de Carthage. Von Otter s’est joué de ces mauvaises langues avec brio : sobre dans son costume noir, jouant sans perruque, coiffée au carré, elle misa tout sur la retenue et la dignité d’une vraie reine, jusqu’à ce que l’effet combiné de sa flamme amoureuse et du baril de poudre de la trahison d’Énée, fasse exploser une colère à côté de laquelle les razzias des Vikings sur les côtes de Northumbrie font figure de promenade de santé. Après avoir brillamment incarné en novembre dernier la matriarche d’une dynastie de propriétaires de grand magasin sur le déclin, dans Sale, le génial pastiche haendélien de Christoph Marthaler à l’Opernhaus de Zurich, Anne Sofie von Otter revient sur les bords helvètes et sera au Grand Théâtre de Genève en mai pour une étape d’un tour de concert qui fait beaucoup parler de lui. L’artiste, qui commença sa carrière en 1983 à l’opéra de Bâle, a près de trois décennies d’expérience dans le domaine de la musique ancienne, science qu’elle perfectionna à l’époque à la Schola Cantorum de la cité rhénane. Une rencontre récente, autour du festival d’Ambronnay, a permis a cette voix d’une incroyable fraîcheur juvénile, à la vocalité précisément et profondément belle, de s’associer à l’un des jeunes chefs les plus remarquables du domaine et à des musiciens dont les incursions savantes et sensibles dans le répertoire du premier et moyen baroque font fureur (qui n’a pas écouté leur enregistrement du Diluvio universale de Michelangelo Falvetti, maître de chapelle sicilien du XVIIème, se prive inutilement d’un rare et exquis frisson de plaisir), l’Argentin Leonardo García Alarcón et son Ensemble Cappella Mediterranea. De cette rencontre est né (encore) un album mettant savamment et avec imagination la voix de la Suédoise à l’honneur et c’est cet album qui inspire la tournée de récital de Von Otter avec l'Ensemble Cappella Mediterranea. Sogno barocco est paru en 2012, chez Naïve une maison connue pour ses prises de son impeccables mais néanmoins pleines de détails, de réalisme et de chaleur. Anne Sofie von Otter y invite la soprano française Sandrine Piau à lui donner la réplique dans trois extraits lyriques (tirés de L’Incoronazione di Poppea de Monteverdi et de La Calisto de

Cavalli). Il fallait bien insérer quelques tubes de la musique ancienne dans la liste des délices, mais avec Von Otter, on est en droit de s’attendre aussi à des incursions hors des sentiers battus du baroque et là, elle ne nous déçoit pas. Rossi et Provenzale, compositeurs moins connus de la première moitié du XVIIème italien, viennent fournir la matière pour le reste du songe baroque d’Anne Sofie. Un songe profondément mélancolique, malgré sa sensualité extrême et même une touche de satire musicale pleine d’humour. On attend avec impatience l’interprétation live de la parodie Squarciato appena havea par Provenzale, où la chanteuse et les musiciens feront miroiter leurs talents de comédiens pour finir en un chœur étonnant rappelant presque le finale de Hey Jude de Lennon et McCartney. Von Otter et García Alarcón proposeront aussi dans ce récital le monologue dramatique de Luigi Rossi, le Lamento de la Regina di Suezia, qui inspira la parodie de Provenzale. Une pièce étonnante d’abord parce qu’elle fut un commentaire sur l’actualité de l’époque  : la reine MarieÉléonore de Suède recevant la nouvelle de la mort de son époux le roi Gustave II Adolphe sur le champ de bataille de Lützen en Poméranie, en 1632 pendant la Guerre de Trente Ans. Étonnante ensuite parce que la voix de Von Otter nous y guide pendant dix minutes au travers des affetti les plus divers : la raison résignée, le désespoir fou, la revanche belliqueuse, la piété et le blasphème… Tout cela soutenu par l’accompagnement remarquable de sobriété de l’Ensemble Cappella Mediterranea. Leurs cordes produisent un nuage sombre et divin qui bourdonne baroquement et puis qui s’efface, pour mieux se faire désirer. Cordes pincées de guitares ibéro-napolitaines y vibrent avec vivacité, l’orgue positif y est une présence agile, éloquente et discrète. La mélancolie du tout est délicieusement insupportable. Ce sera la seule représentation baroque de la saison 2012-2013 au Grand Théâtre ; ce serait un tort terrible de ne pas y assister. ChP

Après avoir brillamment incarné en novembre dernier la matriarche d’une dynastie de propriétaires de grand magasin sur le déclin, dans Sale à l’Opernhaus de Zurich, Anne Sofie von Otter revient sur les bords helvètes et sera au Grand Théâtre de Genève en mai pour une étape d’un tour de concert qui fait beaucoup parler de lui. ACT.0 | 14

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© Ewa-Marie Rundquist

Suezia

Sogno Barocco Monteverdi Si dolce è ’l tormento L’incoronazione di Poppea Signor, hoggi rinasco Pur ti miro Il ritorno d’Ulisse in patria Di misera regina Cavalli Elena Instrumental Sinfonia Instrumental La Calisto Vivo per te Dolcissimi baci Doriclea Doriclea lamento Provenzale Squarciato appena havea Rossi

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Lamento de la regina di Suezia

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Fondé en 1986, le Cercle du Grand Théâtre s’est donné pour objectif de réunir toutes les personnes et entreprises qui tiennent à manifester leur intérêt aux arts lyrique, chorégraphique et dramatique. Son but est d’apporter son soutien financier aux activités du Grand Théâtre et ainsi, de participer à son rayonnement.

Rejoigneznous !

Nous serions heureux de vous compter parmi les passionnés d’ arts lyrique, chorégraphique et dramatique qui s’engagent pour que le Grand Théâtre de Genève conserve et renforce sa place parmi les plus grandes scènes européennes. Adhérer au Cercle du Grand Théâtre, c’est aussi l’assurance de bénéficier des avantages suivants : • Priorité de placement • Service de billetterie personnalisé • Echange de billets • Dîner de gala à l’issue de l’Assemblée Générale • Cocktails d’entractes réservés aux membres • Voyages lyriques • Conférences thématiques « Les Métiers de l’Opéra » • Visites des coulisses et des ateliers du Grand Théâtre • Rencontre avec les artistes • Possibilité d’assister aux répétitions générales • Abonnement au journal ACT-O • Envoi des programmes • Vestiaire privé Pour recevoir de plus amples informations sur les conditions d’adhésion au Cercle, veuillez contacter directement : Madame Gwénola Trutat (le matin, entre 8 h et 12 h) T + 41 22 321 85 77 F + 41 22 321 85 79 cercle@geneveopera.ch Cercle du Grand Théâtre de Genève Boulevard du Théâtre 11 1211 Genève 11

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Le carnet du Cercle B ureau M. Luc Argand, président M. David Lachat, vice-président M. Gabriel Safdié, trésorier Mme Véronique Walter, secrétaire

A utres membres du comité S. A. S. la Princesse Andrienne d’Arenberg Mme Muriel Chaponnière Rochat Mme Françoise de Mestral M. Gerson Waechter M. Pierre-Alain Wavre M embres bienfaiteurs M. et Mme Luc Argand Mme René Augereau M. et Mme Guy Demole Fondation de bienfaisance de la banque Pictet Fondation Hans Wilsdorf M. et Mme Pierre Keller MM. Lombard Odier Darier Hentsch et Cie M. et Mme Trifon Natsis M. et Mme Yves Oltramare Mrs Laurel Polleys-Camus Union Bancaire Privée – UBP SA M. Pierre-Alain Wavre M. et Mme Gérard Wertheimer M embres individuels S.A. Prince Amyn Aga Khan Mme Diane d’Arcis S.A.S. La Princesse Etienne d’Arenberg Mme Dominique Arpels Mme Véronique Barbey Mme Christine Batruch-Hawrylyshyn M. et Mme Gérard Bauer M. et Mme Pierre Benhamou Mme Maria Pilar de la Béraudière M. et Mme Philippe Bertherat Mme Antoine Best Mme Saskia van Beuningen Mme Françoise Bodmer M. Jean Bonna Prof. et Mme Julien Bogousslavsky Comtesse Brandolini d’Adda Mme Robert Briner M. Friedrich B. Busse Mme Caroline Caffin Mme Maria Livanos Cattaui Mme Muriel Chaponnière-Rochat Mme Anne Chevalley M. et Mme Neville Cook M. Jean-Pierre Cubizolle M. et Mme Claude Demole Mme Virginia Drabbe-Seemann M. et Mme Olivier Dunant Mme Denise Elfen-Laniado Mme Maria Embiricos Mme Diane Etter-Soutter Mme Catherine Fauchier-Magnan Mme Clarina Firmenich Mme Pierre Folliet Mme Pierre-Claude Fournet M. et Mme Eric Freymond Mme Elka Gouzer-Waechter M. et Mme Alexey Gribkov Mme Claudia Groothaert M. et Mme Philippe Gudin de La Sablonnière Mme Bernard Haccius M. et Mme Alex Hoffmann M. et Mme Philippe Jabre M. et Mme éric Jacquet M. et Mme Jean Kohler M. David Lachat M. Marko Lacin Me Jean-Flavien Lalive d’Épinay † M. et Mme Pierre Lardy Mme Michèle Laraki Mme Guy Lefort

Mme Eric Lescure Mme Eva Lundin M. Ian Lundin M. Bernard Mach Mme France Majoie Le Lous M. et Mme Colin Maltby M. Thierry de Marignac Mme Mark Mathysen-Gerst M. Bertrand Maus Mme Anne Maus M. Olivier Maus M. et Mme Charles de Mestral M. et Mme Francis Minkoff M. et Mme Bernard Momméja M. et Mme Christopher Mouravieff-Apostol Mme Pierre-Yves Mourgue d’Algue Mme Laurence Naville M. et Mme Philippe Nordmann M. et Mme Alan Parker M. et Mme Shelby du Pasquier Mme Sibylle Pastré M. Jacques Perrot M. et Mme Gilles Petitpierre M. et Mme Charles Pictet M. et Mme Guillaume Pictet M. et Mme Ivan Pictet M. et Mme Jean-François Pissettaz Mme Françoise Propper Mme Ruth Rappaport Mme Karin Reza M. et Mme Andreas Rötheli M. Jean-Louis du Roy de Blicquy M. et Mme Gabriel Safdié Comte et Comtesse de Saint-Pierre M. Vincenzo Salina Amorini M. et Mme René V. Sanchez M. et Mme Paul Saurel M. Julien Schoenlaub Baron et Baronne Seillière M. Thierry Servant Mme Hans-Rudi Spillmann Marquis et Marquise Enrico Spinola Mme Christiane Steck M. André-Pierre Tardy M. et Mme Riccardo Tattoni M. et Mme Kamen Troller M. Richard de Tscharner M. et Mme Gérard Turpin Mme Emily Turrettini M. et Mme Jean-Luc Vermeulen M. Pierre Vernes M. et Mme Olivier Vodoz M. Gerson Waechter Mme Véronique Walter M. et Mme Lionel de Weck Mme Paul-Annik Weiller

Membres institutionnels 1875 Finance SA Activgest SA Christie’s (International) SA Credit Suisse SA Fondation BNP Paribas Suisse Fondation Bru Fondation de la Haute Horlogerie Givaudan SA Gonet & Cie, Banquiers Privés H de P (Holding de Picciotto) SA JT International SA Lenz & Staehelin Mandarin Oriental, Genève MKB Conseil & Coaching La Réserve, Genève SGS SA Vacheron Constantin Organe de révision : Plafida

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e Cercle du Grand Théâtre a pris la bonne habitude de mobiliser ses membres pour permettre de présenter des moments uniques qui viennent compléter la riche saison lyrique et chorégraphique du Grand Théâtre de Genève. C’est ainsi que le 30 janvier 2013, Le cercle du Grand Théâtre et le Grand Théâtre de Genève ont présenté, avec le soutien de Sabine et Alan Howard et de Thespina et Trifon Natsis le magnifique concert d’Elīna Garanča, accompagnée par le Deutsche Radio Philharmonie Saarbrücken Kaiserslautern placé sous la baguette de Karel Mark Chichon. Absente de Genève depuis son incarnation de Marguerite dans La Damnation de Faust de Berlioz en 2008, la voix sensuelle et le charisme fougueux de la cantatrice lettonne ont depuis fait le tour du monde et se sont épanouis dans le bel canto, ont séduit avec Strauss et fait flamber les planches en Carmen. Le concert a été un enchantement pour tous les fans d’ Elīna Garanča tout au long de ses interprétations de Bizet, Gounod, Tchaïkovski et Saint-Saëns. La soirée a quant à elle été l’occasion pour les membres du cercle de se retrouver dans les foyers dans le cadre d’un réception, qui en ce début d’année a permis à chacun de se féliciter de cette belle soirée et d’aborder l’avenir et de futurs projets sous le signe de la convivialité. AG ACT.0 | 14

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© GTG / Nicola Cuti

Le Cercle et Elīna Garanča

(ci-dessus)

Elīna Garanča salue la foule enthousiaste à la fin du récital. Elle signera avec Karel Mark Chichon de nombreux programmes et CD.

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Tobias Richter, directeur du Grand Théâtre, Lorella Bertani, présidente du Conseil de Fondation et Luc Argand, président du Cercle.

(ci-contre)

M. et Mme Stefan Meister et Françoise de Mestral.

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Souvenirs de la réouverture

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ès l’été 1960, le conseil de fondation du Grand Théâtre de Genève, présidé par Henry Broillet, travaille d’arrache-pied pour reprendre la direction artistique de l’institution lyrique genevoise qui était en main de la Société romande des concerts depuis plus de 25 ans. Des commissions de travail sont créées pour plancher sur des questions telles que l’engagement d’un chœur professionnel, la création d’une troupe de ballet, la cohabitation entre spectacles lyriques et dramatiques, les collaborations avec d’autres théâtres ou les tournées.

(page de droite)

Le public du Grand Théâtre au gala de réouverture

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du 10 décembre 1962.

Jacques Wyss était abonné lors de la saison 1962-1963.

Simone Longchamp était responsable de la location à la réouverture.

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Une saison mise sur pied en un temps record Au courant du mois de janvier 1962, le conseil de fondation se met d’accord sur le spectacle d’ouverture, Don Carlos de Giuseppe Verdi, qui « présente un intérêt évident à un triple point de vue : le livret est français, il est inspiré de l’œuvre de Schiller, la musique est de Verdi, si bien qu’il réunit les trois cultures représentées en Suisse. » Lors de la même séance, la commission des programmes et spectacles et à sa tête Marcel Lamy, élu depuis peu au poste d’administrateur-directeur du Grand Théâtre de Genève, présente une première ébauche du programme de la saison 62-63. Compte tenu du peu de temps à disposition pour engager chanteurs et équipes de production et planifier les répétitions avec l’Orchestre de la Suisse Romande, cette première version ne sera que très peu modifiée. Ancien directeur de l’Opéra-Comique de Paris et homme de théâtre chevronné, Marcel Lamy prendra en charge la mise en scène de six ouvrages. Bien que l’on ait gardé en tête le large déficit que le directeur a laissé après trois ans passés à Genève, Marcel Lamy fut très apprécié des différents services de l’établissement, autant pour sa cordialité que pour son engagement artistique. André Dupuis, machiniste au Grand Théâtre en 1962, se rappelle, sourire en coin, de l’article premier de son règlement : « le théâtre est une religion : il faut le servir comme tel. » Une nouvelle salle pour une nouvelle mission culturelle Le titre de la Gazette de Lausanne, « Genève inaugure le théâtre de l’an 2000 », en dit long sur l’ampleur de l’événement. La réouverture du Grand Théâtre et l’inauguration d’une théâtre aux équipements ultramodernes – « l’un des plus modernes d’Europe » selon Georges Wakhévitch qui réalisa les décors du Don Carlos – comptaient beaucoup pour la vie culturelle de Suisse romande. « Comble de la technique dans le domaine scénique et comble

Lors de la journée de célébration du cinquantenaire de la réouverture du Grand Théâtre qui s’est tenue le 8 décembre 2012, certains d’entre vous ont pu revivre ce grand moment de la scène lyrique romande. Dans le cadre de ce cinquantenaire, quelquesuns des protagonistes de la saison de réouverture (1962-1963) nous ont confiés les souvenirs qu’ils ont gardés de cette folle aventure. de l’art dans la salle » résumait le reporter du quotidien lausannois. Jacques Wyss, alors abonné au Grand Théâtre, se rappelle l’émerveillement des spectateurs qui retrouvaient leur salle d’opéra métamorphosée de par le rideau de feu imaginé par Jacek Stryjenski : « tout le monde avait les yeux rivés au plafond. » Et quels objectifs s’est fixé le Grand Théâtre à l’heure de retrouver des conditions de création artistique plus adéquates ? Dans son discours d’inauguration, M. Broillet déclarait vouloir offrir aux genevois « un théâtre vivant et non pas un musée d’opéra présenté dans des cadres poussiéreux. » Plus concrètement, il prônait à la fois un rajeunissement des chefs-d’œuvre par une présentation nouvelle et la programmation d’œuvres contemporaines en pensant aux créateurs d’aujourd’hui pour le public de demain. Par ailleurs, il est bon de se rappeler que dans les années soixante, la demande des spectateurs était très forte. Simone Longchamp, responsable de la location dès la réouverture, se souvient : « on était tout le temps complet, avec des queues sur le trottoir. On aurait pu vendre toujours plus. Cette situation, fort gratifiante il faut le dire, a perduré jusque dans les années nonante. » Lors de la mise en vente des nouveaux abonnements, il n’était pas rare de faire appel à des étudiants qui étaient chargés de faire la queue tout la nuit… Le contre la montre avant la première de Don Carlos « Si l’on continue encore à travailler encore cinq fois vingt-quatre heures sans interruption, on arrivera certainement à une mise au point complète pour la déjà fameuse « première » de lundi prochain. Déjà, on en est à ne plus distinguer clairement les corps de métier qui parachèvent la construction des techniciens qui s’affairent

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par Benoît Payn

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(à droite)

La soprano Suzanne Sarocca est Elisabeth de Valois (à gauche) sur les planches de Neuve pour la réouverture du

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Grand Théâtre en 1962.

Marcel Thorens, menuisier aux ateliers décors en 1962

Le grand jour du 10 décembre 1962 La réouverture du Grand Théâtre débuta par une première cérémonie en fin de matinée, ponctuée de discours officiels et d’interventions musicales de l’Orchestre de la Suisse Romande. Violoncelliste à l’OSR de 1944 à 1970, Claude Viala nous a confié que cette première prestation lui avait en quelque sorte donné de l’élan dans sa carrière : « nous avons commencé la matinée par l’ouverture de Guillaume Tell de Rossini et la première note qui a résonné dans le nouveau théâtre fut le Mi grave de mon solo de violoncelle. » Une autre grande protagoniste de cette réouverture fut Suzanne Sarroca, l’interprète d’Élisabeth de Valois. Bien qu’elle ait interprété un grand nombre de rôles à Genève – Flora (Tosca en 1956), Octavian (Der Rosenkavalier en 1960), Aïda (en 1961), Eurydice (Orphée et Eurydice en 1966), Louise (en 1967), et Mère Marie de l’Incarnation (Dialogues des Carmélites en 1969) –, la cantatrice française garde un souvenir tout particulier de cette représentation : « J’étais ravie d’être de cette distribution qui était magnifique et également ravie de voir rouvrir ce théâtre que j’appréciais tout particulièrement puisque tout au long de ma carrière, j’y ai chanté presque tout mon répertoire. » Certainement subjugués par la distribution de la soirée, les spectateurs n’ont pas eu connaissance de l’autre prouesse de la soirée, qui elle, se déroulait dans les coulisses. Qui donc a eu connaissance de la panne de la dorsale ? Imaginezvous les techniciens, accompagnés par les choristes et le directeur – en personne ! – dans son smoking, déplaçant à bras ce plateau mobile jusqu’à l’avant de la scène, juste à temps pour que l’acte suivant puisse reprendre…

Claude Viala, violoncelliste à l'OSR de 1944 à 1970

Pierre Forni, menuisier aux ateliers décors en 1962

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La suite de la saison 62-63 Ce sont au total 21 productions qui furent présentées durant cette saison : onze opéras, trois opérettes, trois ballets, trois spectacles dramatiques et un spectacle folklorique. Depuis, aucun directeur n’a programmé autant de spectacles. Quels en ont été les moments forts ? Jacques Wyss a gardé un très bon souvenir du spectacle des Ballets du XXème siècle qui rassemblait les chorégraphies de Janine Charrat, célèbre danseuse et chorégraphe française qui dirigea le Ballet du Grand Théâtre durant deux années, et du jeune Maurice Béjart, pour qui il s’agissait des débuts à la tête de sa propre compagnie, basée au Théâtre de la

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pour les représentations de Don Carlos. » La description à quelques jours de la première représentation du reporter du Journal de Genève donne une idée des conditions de préparation de ce premier spectacle. Marcel Thorens, alors menuisier aux ateliers décors, se rappelle aux sujets des décors de Don Carlos qu’ils n’avaient pu réaliser « qu’une seule partie des éléments, l’autre partie étant venue de l’extérieur en raison du manque de temps et de moyens. » André Dupuis a quant à lui le souvenir d’avoir travaillé vingt-trois nuits de suite pour le montage des installations, sans aucun jour de congé. Durant ces longues périodes de travail nocturne apparaissait de temps à autre à l’amphithéâtre un musicien qui se mettait à jouer du cor pour distraire les machinistes. Les répétitions musicales se déroulèrent dans une atmosphère particulière. À la générale, le décor du dernier acte n’avait encore jamais été monté. Il fut mis en place lors du dernier entracte, à une heure du matin, alors que l’orchestre exténué quittait la fosse, obligeant les chanteurs à répéter avec le pianiste.

Monnaie à Bruxelles. Il y a eu ensuite un Tristan und Isolde mis en scène par Wieland Wagner, petit-fils du célèbre compositeur et metteur en scène révolutionnaire à l’esthétique symboliste et minimale, pour lequel les meilleures chanteurs de Bayreuth furent engagés. Ernest Ansermet et son orchestre se mesurèrent à Pélléas et Mélisande dont la lecture du chef d’orchestre suisse est souvent considérée comme l’une de ses plus grandes réussites. Que dire du Rigoletto et de la Tosca de Molinari-Pradelli, si ce n’est que ces deux productions rassemblaient les plus grands chanteurs de l’époque ? « Nous avons eu les grandes voix de l’époque. Non pas les exceptionnelles qui étaient Callas, Tebaldi et cie., mais toutes les premières voix », précise à juste titre Simone Longchamp. La saison fut également marquée par la création mondiale de Monsieur de Pourceaugnac du compositeur genevois Frank Martin. A noter encore les opérettes qui jouissaient à cette époque d’une plus grande popularité, et la venue de la Comédie Française. Les spectacles dramatiques furent abandonnés après le départ de Marcel Lamy. Quelle évolution en 50 ans ? Pour les ateliers, le retour des spectacles à la scène de Neuve a coïncidé avec une augmentation de la masse de travail, alors qu’auparavant, ses employés étaient sollicités par la Ville pour différents petits travaux au Victoria Hall ou au Parc des Bastions. Les ateliers se révélèrent rapidement trop petits puisque comme le signale Marcel Thorens, les ouvriers devaient parfois « travailler jusque sur les trottoirs tant la place manquait. » Les nouveaux ateliers de Sainte-Clotilde et les équipements modernes qui peu à peu furent installés offrirent de nouvelles perspectives aux décorateurs engagés sur certaines productions. Il faut également rappeler qu’à cette période, la scénographie est marquée par un grand changement que Pierre Forni résume de la manière suivante : « avant on faisait des châssis, des épaisseurs, mais avec le nouACT.0 | 14

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La saison 62-63 10-11-13-15-16-18 décembre 1962

22-23-24 mars 1963

Giuseppe Verdi Direction musicale Christian Vöchting Mise en scène Marcel Lamy Avec A. La Morena, R. Arié, G. Bacquier, E. Tappy, S. Sarocca

Maurice Thiriet Direction musicale Edmond Carrière Mise en scène Louis Erlo Avec G. Reich, C. Lanoé, L. Mengelle, F. Bordanne Coproduction avec l’Opéra de Lyon

Don Carlos

21-22-23 décembre 1962

Le Sacre du printemps / Jeux de cartes / Pulcinella Igor Stravinski Direction musicale André Franz Chorégraphies J. Charrat / M. Béjart Ballet du XXème siècle Production du Théâtre royal de la Monnaie

29-30-31 décembre 1962 et 1-2 janvier 1963

Le Corsaire noir

Maurice Yvain Direction musicale Jean Meylan Mise en scène Marcel Lamy Avec X. Depraz, G. Epierre, L. Berton, M. Murano 8-10-12 janvier 1963

Tristan und Isolde veau système – je pense à la télévision, à la lumière –, ça s’est fait sur trois dimensions, avec des perspectives ». Sur le plateau, « il a fallu des années, avec un ingénieur à disposition, pour que l’on mette au point certains problèmes », déclare André Dupuis, qui insiste avec raison sur la longue phase d’apprivoisement nécessaire pour maîtriser la complexe mécanique de scène. Par la suite, les périodes de montage se sont allongées compte tenu des nouveaux types de décors. Fort heureusement, une commission technique a été créée pour défendre de meilleures conditions de travail. Quant à l’orchestre, Claude Viala reconnaît en toute franchise que « le théâtre c’était l’à-côté. Ce qui comptait pour l’orchestre et son chef, c’était tout d’abord les concerts, et ensuite la radio. » D’ailleurs, les solistes de l’orchestre ne jouaient pas au théâtre ; ce n’est qu’à l’arrivée d’Herbert Graf en 1965 que, petit à petit, on exigea la présence des meilleurs éléments de l’orchestre dans la fosse du Grand Théâtre. Du côté de l’administration, le grand changement fut avant tout l’informatisation dès les années quatre-vingt d’un grand nombre des procédures. Simone Longchamp se rappelle de l’étudiant qui passait ses étés à préparer les billets de représentations à la main et qui mit au point un programme informatique sur mesure pour la vente des abonnements. Partageant le même sentiment que ses anciens collaborateurs, elle résume l’ambiance qui régnait à l’époque de la réouverture : « on était imbriqués les uns dans les autres parce qu’il y avait encore passablement de choses qui n’étaient pas encore terminées. Au vu du nombre de spectacles nous avons aussi commencé très fort. Ce fut l’occasion de plein d’expériences et de mises au point. » C’est dans cet esprit de solidarité, ce brin d’audace et cette passion que réside en effet tout le mérite de cette génération d’artistes et de collaborateurs qui parvint à faire rayonner le Grand Théâtre de Genève à travers le monde culturel suisse et européen. BP ACT.0 | 14

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Richard Wagner Direction musicale Alberto Erede Mise en scène Wieland Wagner Avec W. Windgassen, G. Neidlinger, H. Hotter, A. Silja 15-17 janvier 1963

Pelléas et Mélisande

Claude Debussy Direction musicale Ernest Ansermet Mise en scène Marcel Lamy Avec P. Mollet, H. Rehfuss, A. Vessières, N. Sautereau, A. Simon 28-29 janvier 1963

Le Bourgeois gentilhomme Jean-Baptiste Lully /Molière Direction musicale Marcel Landowski Avec L. Seigner, G. Descrières, J. Toja, M. Boudet, H. Perdrière Production de la Comédie Française 5-7-9 février 1963

Rigoletto

Giuseppe Verdi Direction musicale F. Molinari-Pradelli Mise en scène Marcel Lamy Avec A. Kraus, S. Bruscantini, C. Meliciani, P. Washington, G. D’Angelo 19-21-23-25 février 1963

Tosca

Giacomo Puccini Direction musicale F. Molinari-Pradelli Mise en scène J.-Jacques Etchevery Avec R. Crespin, G. Di Stefano, T. Gobbi 27-28 février 1963

Le Cardinal d’Espagne Henry de Montherlant Mise en scène Jean Mercure Avec H. Rollan, A. Falcon, B. Dhéran, L. Conte, S. Nivette Production de la Comédie Française 12-14 mars 1963

Ariane et Barbe-bleue

Paul Dukas Direction musicale Jean Fournet Mise en scène Michel Lamy Avec I. Borkh, H. Bouvier, H. T’Hézan, X. Depraz

Œdipe roi

2-4-5-6 avril 1963

Die Entführung aus dem Serail Wolfgang Amadeus Mozart Direction musicale Samuel Baud-Bovy Mise en scène J.-Jacques Etchevery Avec R.-M. Pütz, R. Holm, M. Langdon, D. Grobe, G. Unger 16-17-18 avril 1963

L’Aiglon

Arthur Honegger et Jacques Ibert Mise en scène Maurice Lehmann Avec P. Vaneck, J. Dusmenil, J. Yonnel, R. Saint-Cyr, L. Nat 23-25-27 avril 1963

Monsieur de Pourceaugnac

Frank Martin Direction musicale Ernest Ansermet Mise en scène Jacques Charon Avec A. Vessières, P. Mollet, E. Spoorenberg, C. Canne Meijer Création mondiale 1er mai 1963

Von Sonnenuntergang

Gerard Hauptmann Mise en scène Karl Heinz Stroux Avec H. Deutsch, H. Wyprächtiger, H. Blau, I. Weirich, I. Ernest Production du Düsseldorfer Schauspielhaus 3 mai 1963

Tu auras nom… Tristan / Les invités du soir

Jef Maes / Piotr Illitch Tchaikovsy Direction musicale Jean-Marie Auberson Chorégraphie J. Charrat / Jack Carter 9-10-11-12 mai 1963

Les Saltimbanques

Louis Ganne Direction musicale Jean Meylan Mise en scène J.-Jacques Etchevery Avec M. Cadiou, W. Clément, M. Murano 14-15 mai 1963

Phèdre

Jean Racine Mise en scène Raymond Gérome Avec M. Bell, H. Barreau, C. Versane, F. Ennery, H. Noel, P.-É. Deiber Compagnie Marie Bell 21-23-25-27 mai 1963

Faust

Charles Gounod Direction musicale Jean Fournet Mise en scène J.-Jacques Etchevery Avec N. Gedda, B. Christoff, G. Bacquier, R. Carteri, L. Delvaux, E. Tappy 5 juin 1963 Mazowsze Ensemble National Polonais de danse et de chant. 11-13-15 juin 1963 Gala chorégraphique

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Au firmament astrolyrique...

Des textes de Christopher Park et des illustrations de LUZ

(épisode 3)

Les signes d’air

Faisant fi des persiflages, dédaignant les commentaires désobligeants de « pseudoscience », les astrolyriciens émérites d’ACT-O poursuivent sans broncher leur interrogation des étoiles qui brillent dans le Zodiaque au-dessus de la place de Neuve. Sur l’horizon, nous avons identifié trois nouvelles constellations dans lesquelles nous reconnaissons trois types de voix présentes sur les scènes d’opéra et caractérisées par leurs qualités subtiles, mobiles et gracieuses. C’était à prévoir : les signes d’air peuplent aussi le firmament astrolyrique.

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Gémeaux Le contre-ténor « Je bouge dans ma tête. Je conceptualise et je transmets. »*

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e contre-ténor est un hôte peu fréquent des scènes d’opéra conventionnelles. Cette voix d’homme, poussée dans la tête alors que les autres voix masculines dites « naturelles » viennent de la poitrine, est souvent trop délicate pour être entendue dans les vastes volumes des grandes salles. Et puis, elle a été boudée pendant près de deux siècles par les compositeurs classiques et romantiques… Jusqu’à ce qu’un regain d’intérêt pour la musique ancienne fasse pousser les contre-ténors comme les champignons après la pluie (une production récente de l’Artaserse de Vinci en a distribué cinq sur scène). Désinvolture et brillance baroques, éclats rapides de pyrotechnie vocale, ambiguïté et ambivalence de ce falsetto qui s’attaque souvent au répertoire des castrats : les qualités mercuriales que l’on prête aux natifs du signe des Gémeaux se retrouvent dans le vif-argent des voix de contre-ténor. Mais l’ambiguïté de leur timbre contrenature se prête aussi à des ambiances d’un autre monde et leurs oscillations éthérées peuvent tout aussi bien flotter comme un rayon de lune. Parmi les compositeurs de notre temps qui ont célébré la dualité du contreténor, son éclat solaire autant que son insaisissabilité mystique, Benjamin Britten, dont nous fêtons en 2013 le centenaire de sa naissance, a imaginé le rôle à notre avis le plus conforme aux qualités du signe des Gémeaux en dotant le répertoire actuel des contre-ténors d’un de ses personnages les plus représentatifs, celui du roi des Fées du Songe d’une nuit d’été, Obéron. ACT.0 | 14

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Balance La soprano lyrique « Moi à deux, j’existe grâce à l’autre. »*

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a soprano lyrique appartient à l’écurie des « grandes voix », celles qui se font entendre par-dessus l’orchestre au complet. Mais à la différence de sa consœur dramatique, qui assume pleinement d’être dominatrice, la soprano lyrique mise sur la beauté de son timbre et non sur le poids et le volume de sa voix. D’ailleurs, toute vraie soprano lyrique est bonne calculatrice : elle sait qu’un rôle trop lourd, qu’un recours excessif à l’effort et au spinto ne peut que détériorer l’équilibre idéal entre musicalité et présence dramatique qu’elle incarne. Jeu constant de l’équilibre, dans le rapport avec soi-même et le rapport avec son environnement musical, charisme noble et aimable de la Comtesse Almaviva, Tatiana, Liù… C’est en tout cela que notre soprano lyrique s’incarne comme Balance de ce Zodiaque. Altruiste et accommodante, toute de droiture et de justice, les situations de conflit la font souffrir : « Quanto duolmi, Susanna,
 che questo giovinotto abbia del Conte le stravaganze udite! Ah tu non sai!... », encore la Comtesse. La Balance est représentée par une femme tenant à bout de bras les deux plateaux d’une balance. À la différence de la Justice, ses yeux ne sont pas bandés. C’est Vénus elle-même, qui fait éternellement jouer les poids de l’amour sacré et de la beauté sereine contre ceux de la séduction et de la luxure. Sous son extérieur composé et digne, la Balance cache de profondes tensions. Sérénité et déchirure : la plus Balance de toutes les sopranos lyriques, à la fois maîtresse et victime de ses savants calculs érotiques : c’est la Maréchale du Rosenkavalier de Richard Strauss.

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d ACTqu * Les épigraphes des signes du Firmament astrolyrique sont de l’astrologue Aline

Apostolska (Une vision inédite de votre signe astral, éditions Dangles, 1999).

Verseau Le tenorino et le haute-contre « Tous comme un. Je suis solidaire et identique à mes frères. »*

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ntre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe, le monde de l’opéra vint à manquer de castrats. Les compositeurs du temps demandèrent alors aux mezzo-sopranos de se mettre en culotte et de devenir les jeunes héros des opéras, mais il y eut vite un surpeuplement de mezzos sur scène, accaparant rôles masculins et féminins. La solution vint de France, le seul pays à interdire les castrats, où un type de voix de ténor très élevée, le haute-contre, s’était développé pour les rôles héroïques et amoureux, avec son apogée dans les opéras de Rameau. Légèreté et grande amplitude, aux aigus systématiquement produits en voix de tête (falsettone), caractérisaient le haute-contre que Gluck utilisa pour la deuxième incarnation d’Orphée à Paris. Entre les mains de Rossini, les ténors italiens furent mis à l’école des hautes-contre et commença une nouvelle ère de virtuosité dans l’aigu et de colorature brillante et juvénile, celle du tenore contraltino dit plus affectueusement tenorino. Et le Verseau dans tout ça ? On les dit spéculatifs et cérébraux, détachés de l’émotion et de l’affectif : c’est leur côté voix de tête. On les dit fidèles en amitié et instables en amour, ce sont ces héros pour qui rivalisent les belles. Ils ont besoin d’idéal et d’horizons ouverts, de briller par l’altruisme, de verser sur le monde l’eau de la connaissance et de l’esprit. Pour les hautes-contre, c’est le Zoroastre de Rameau qui se reconnait dans ce portrait idéal, mais de tous les tenorini que Rossini offrit au monde, c’est le prince charmant qui se donne comme devise « Domanderemo, 
ricercheremo, ritroveremo. » pour retrouver sa Cenerentola, Don Ramiro. ACT.0 | 14

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Wagner, architecte par Roland Meige

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ans sa quête de l’œuvre d’art totale, la Gesamtkunstwerk, Wagner allait évidemment aborder la problématique de l’espace de représentation : il allait devoir se confronter – aussi – à l’architecture.

Vers un nouveau théâtre Très tôt, Wagner rêve d’un théâtre bien à lui, idéal, taillé à la mesure de ses œuvres ; tout spécialement pour le Ring, le projet de sa vie. Wagner est à la recherche d’une esthétique globale, empreinte de grandeur, d’élévation, il lui faut un espace de représentation à la hauteur de cette aspiration : il s’agit de sauver la civilisation européenne, rien de moins ! Les théâtres lyriques traditionnels ne lui offrent pas les conditions à hauteur du projet. Louis II de Bavière lance un projet en 1864 pour Munich, mais la brouille s’installe entre le mécène, sa famille et l’artiste. Côté Wagner, on comprend que le bipolaire et fantasque souverain devient encombrant et on peut imaginer ses frustrations, confronté aux goûts douteux de son si généreux mécène : son kitschissime château de Neuschwanstein inspirera les décorateurs de Disneyland pour leurs châteaux de Cendrillon. Wagner est écarté du microcosme de la cour de Bavière en 1865. Il cherche un espace pour ses œuvres, découvre Bayreuth, où il y a un ancien théâtre ; bonne acoustique, l’une des plus grandes salles d’Allemagne de l’époque. Visite en avril 1871, mais ce n’est pas encore ce qu’il veut. Le bon accueil local le décide pour le choix du lieu, c’est ici qu’il fera son « Palais des festivals », le Festspielhaus .

Rupture et nouvelle approche Le théâtre type de l’époque est le théâtre à l’italienne, salle en demi-cercle, cernée de galerie sur plusieurs niveaux. Il y a aussi le type de la salle en U, avec ses galeries latérales qui imposent la « posture Pharaon » – torticolis assuré – pour voir, mal et partiellement. Le projet avorté de Munich a été esquissé par l’architecte Gottfried Semper (1803-1879) , Wagner rouvre le dossier. Semper, c’est l’architecte allemand de l’époque, une institution à lui tout seul ; on le connaît bien aussi en Suisse, c’est le Grand Mandarin de l’architecture officielle1. [fig. 1] Basé à Dresde, il y enseigne, y réalise son œuvre la plus célèbre, l’opéra2. [fig. 2] Stylistiquement, on est entre du néo-Renaissance et le néobaroque, donc de l’hybride, et du lourd ; Semper donne dans le « kolossal ». Wagner, a « ses idées », il veut modifier le projet de Semper, et celui-ci n’a pas pour habitude de se laisser dicter son travail. Wagner et Semper se connaissent de longue date, ils ont des affinités établies, mais ce sont deux egos qui s’affrontent tout aussi régulièrement. Semper est écarté du projet, ce n’est ni la première ni la dernière controverse entre un client et « son architecte ». Wagner retient tout de même une partie du projet – ce qui va envenimer les rapports avec Semper – tout en faisant appel à Brückwald 3 pour concrétiser. Brückwald 1

Immergé dans l’historicisme romantique allemand, il est aussi l’un des premiers fonctionnalistes. Arrivé à Zurich sur recommandation de Wagner, il inaugure l’enseignement de l’architecture à l’Ecole polytechnique, dont il est l’auteur du bâtiment principal. [fig. 3] Il réalisera aussi

Référence Wagner, dans son plaidoyer pour la sauvegarde des fondements de la civilisation européenne, se réfère évidemment à la Grèce. Le néoclassicisme domine, instillé par Winckelmann (1717-1798, considéré comme le père de l’histoire de l’art et de l’archéologie modernes). Le mouvement marque les arts, la pensée et la philosophie du moment. Winckelmann a influencé Nietzsche et on connaît les liens entre Nietzsche et Wagner. Le théâtre grec va donc constituer la référence pour Wagner, par la substance de la tragédie grecque, par le rôle des acteurs – chanteurs, et aussi par le dispositif spatial du lieu de représentation. 26 ACT-0_N°14.indd 26

l’hôtel de ville de Winterthur et marquera le secteur du bâtiment public par son style néoclassique qui va contribuer à la création du « style national ». 2

Bombardé en 1945, l’édifice sera reconstruit à l’identique. Il prend le nom de Semperoper pour sa réouverture en 1985.

3 Otto Brückwald (1841- 1917), né à Leipzig où il réalise le Neue Theater en 1864-68, étudie à la Königliche Akademie de Dresde. Il construit aussi le Hoftheater à Altenbourg en 1869-1871. ACT.0 | 14

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Une démarche architecturale Brückwald est aux ordres et Wagner entreprend une authentique démarche architecturale, cohérente. Son intention première est de réaliser rapidement un bâtiment provisoire : le Ring est quasi prêt, il veut le monter. La première pierre du Festspielhaus est posée le 22 mai 1872 et la première de son a lieu le 13 août 1876. Wagner n’a que faire du monumentalisme, il lui faut un outil fonctionnel pour servir son œuvre lyrique. En choisissant Bayreuth et un site bucolique sur les hauteurs – la « Colline magique » – il extrait l’opéra du centre-ville, de son rôle de monument structurant du paysage urbain. On y accède par une allée rectiligne bordée de frondaisons, la nature, sa représentation, est présente jusqu’au seuil de l’édifice ; c’est un premier geste de type urbanistique. En totale rupture avec l’image habituelle de l’opéra de l’époque, le Festspielhaus va offrir un aspect d’une grande simplicité, [fig. 4] avec sa structure largement en bois, ses façades de briques et de simple crépi. Seule l’entrée est quelque peu monumentale, marquée par un portique dans le genre de l’époque. La volumétrie générale résulte, de manière rationaliste, de la conception des espaces intérieurs, centre des réflexions de Wagner ; il va affronter l’équation du double rapport salle/scène et orchestre/plateau. Amphi revisité Pour la salle, c’est évidemment l’idée de l’amphithéâtre grec [fig. 5] qui guide le plan. Une gravure de la phase de projet montre une salle aux gradins vides [fig. 6] et sans sièges, sur lesquels on peut déambuler, comme à Epidaure. La fonction de l’orkhêstra où se tenait le chœur antique ayant disparu – l’appellation restera attachée à l’espace devant la scène – et la scène se développant en profondeur, Wagner taille un segment de cercle de l’amphithéâtre, défini par les angles de vue latéraux. La salle comprendra environ 1 800 places, sur trente gradins, sur lesquels sont disposés de légers strapontins décalés. Pas de galeries latérales, seuls deux niveaux de loges en fond de salle, en position frontale à la scène. Cette organisation spatiale a pour but d’assurer une visibilité parfaite pour tous les spectateurs. L’esthétique de la salle se veut sobre, Wagner s’occupe, aussi, de « la déco », en prenant des libertés avec les ordres classiques auxquels il se réfère. Là n’est pas l’essentiel. Spectacle audiovisuel Wagner, en précurseur génial, se préoccupe à égale importance de l’« audio » et du « visuel ». Pour ses mises en scène, il a besoin de perspectives, vraies ou simulées. S’il tend vers une immersion des spectateurs dans l’œuvre jouée – il impose l’obscurcissement de la salle pendant les représentations, ce qui deviendra la règle à l’opéra – simultanément, se posant en « conteur de légendes », il entend qu’une certaine distance soit établie avec les spectateurs. Pour ce faire il opte pour un double cadre de scène, marquant fortement cette zone spécifique de l’espace où l’image se forme, se synthétise. On retrouve là la notion du « tableau » dans la perspective dessinée, ACT.0 | 14

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l’interface virtuelle entre le point du vue du spectateur, et la scène au-delà. Cet espace de distanciation est réglé sur la largeur de la fosse d’orchestre – rien n’est laissé au hasard, tout est pensé –, qui devient pour Wagner « l’abîme mystique ». Ses acteurs-chanteurs vont rompre avec le chant projeté face à la salle, qui implique des postures statiques. Ils se font souvent face, ils dialoguent, et chantent « de profil » pour les spectateurs. Toutes choses devenues familières, les chanteurs d’aujourd’hui devant avoir également des compétences de cascadeurs contorsionnistes. Wagner veut que la musique, le son soit perçu comme émanant de la scène ; un soin particulier va être apporté à la configuration de la fosse d’orchestre. La fosse, audio box À Bayreuth, elle est vaste et profonde, organisée sur une pente en six gradins. [fig. 7, 8] Elle est recouverte aux troisquarts d’un dispositif complexe, ayant pour triple but de renvoyer le son vers la scène, de produire une dynamique sonore puissante, et de masquer les éclairages de la fosse aux spectateurs. L’auvent côté scène fait office de proscenium, il participe au dispositif visuel d’effet de perspective, lié au traitement du bas de rideau de scène ; on est dans la sophistication majeure. La fosse est conçue, dans ses moindres détails, pour atteindre le plus haut degré de dynamique sonore. Cette fosse est un peu un violon parfait, dont l’ouverture entre les parties couvertes serait les ouïes. Pour répondre à l’exigence de son spatial comme Wagner le veut, le son émis par l’orchestre est d’abord renvoyé vers la paroi de fond de scène, puis revient dans l’espace scénique se mêlant, « se mixant » dirions-nous aujourd’hui, aux voix, avant que le tout – si possible simultanément… – emplisse la salle. L’affaire tient de la prouesse, et c’est un défi pour les chefs qui ont l’honneur de diriger. Dans une vivante interview au Temps pendant l’été 2012 (La grâce de l’élu. Julian Sykes), Philippe Jordan explique les difficultés multiples qui se présentent au nouveau venu dans « l’abîme mystique ». Le chef n’entend pas le son de la salle, il y a risques de décalages entre orchestre et chanteurs, sécheresse du son dans la fosse, positionnements inhabituels des groupes d’instruments, etc. Philippe Jordan conclut : « On n’est pas là pour baigner dans les sons wagnériens comme dans d’autres maisons d’opéra; il faut rester très concentré et penser très techniquement […] ». [fig. 9, 10, 11] Ajustements et résultat Perfectionniste, Wagner, assisté régulièrement de Karl Brandt – réputé directeur technique du Théâtre de Darmstadt –, procédera encore à des modifications après la construction. Par exemple, en supprimant deux rangs de sièges de la salle au profit de plus de violons dans la fosse, l’augmentation de l’espace de la fosse pour permettre plus d’amplitude de mouvement aux seconds violons, ainsi que la suppression du parquet devant les clarinettes pour augmenter leur son. Tout cela pour le seul bénéfice de la qualité du spectacle, qui se veut total. De 1881 à 1931, divers corps de bâtiments sont ajoutés à la structure de base, puis des travaux de rénovation et de mise à niveau technique sont entrepris. Mais ni la salle, ni la scène n’ont subi de modifications importantes ; l’essence du projet initial est intact. Parti du projet d’un bâtiment temporaire « en attendant mieux », il en est résulté une organisation spécifique d’un théâtre lyrique, qui, de nos jours encore, offre des conditions idéales pour la représentation du puissant et synthétique répertoire wagnérien. RM

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n’a pas la stature de Semper, il est donc certainement plus malléable ; c’est aussi la nouvelle génération d’architectes, qui vont s’écarter progressivement du néoclassicisme, pour percevoir, au loin, l’horizon de la Modernité. Louis II de Bavière est toujours là, parmi les donateurs, il participe largement au financement de ce projet, novateur en tous points.

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> l n Depuis plus de 15 ans, la famille Timtchenko s’implique activement et personnellement dans des activités philanthropiques. C’est dans ce même esprit de soutien et de partage, et afin de professionnaliser le suivi des projets, que la Fondation Neva a été créée en 2008 à Genève. Entretien avec sa présidente, Elena Timtchenko.

Valoriser l’excellence (ci-contre)

Le Chat Botté de César Cui,

ACT-O Quels sont les buts poursuivis par la Fondation Neva ?

le prochain spectacle pour Genève, en mai 2013, est co-produit par la Fondation Neva.

Elena Timtchenko La Fondation Neva a pour vocation de renforcer les liens qui unissent la Suisse et la Russie, tant sur le plan culturel, scientifique que sportif. Je pense en effet que nos deux pays partagent certaines valeurs communes et une même culture classique. Les Russes ont toujours étudié la littérature française, et inversement, vous avez toujours été attachés à nos écrivains et à nos musiciens.

© Opéra du Rhin / Alain Kaiser

enfants du Grand Théâtre de

ACT-O Vous êtes une famille très discrète, pourquoi donc accorder une interview ? ET Il y a plusieurs raisons. La première est que je me sens plus crédible aujourd’hui pour m’exprimer car de nombreux projets ont abouti depuis 2008. Ensuite, je suis très attachée à Genève, ville dans laquelle nous sommes installés depuis onze ans. Il m’importe de m’y investir. Enfin, j’aimerais pouvoir corriger l’image réductrice du Russe flamboyant, qui à mon avis, représente une infime minorité de ce peuple. ACT-O Quels types de projets soutenez-vous ? ET Indiscutablement ceux qui valorisent l’excellence. Mais aussi ceux qui encouragent le talent chez les jeunes. C’est ainsi que la Fondation Neva soutient régulièrement le Grand Théâtre, le Théâtre de Carouge, l’Orchestre de la Suisse Romande, le Festival de Verbier ou la Fondation Bodmer entre autres. Ensuite, mon mari Guennadi étant un fan inconditionnel de hockey, nous soutenons le Genève Servette Hockey Club à travers un tournoi de jeunes espoirs internationaux. En Russie nous avons créé deux autres fondations qui viennent en aide quant à elles aux orphelins et aux personnes âgées. ACT-O Quel est le montant annuel alloué par la Fondation Neva ? ET Plus importants que les montants engagés sont les projets eux-mêmes et leur qualité. Nous les suivons de près et construisons des relations sur le long terme avec 28 ACT-0_N°14.indd 28

nos partenaires. Mais pour vous donner un ordre d’idée, cela représente un investissement annuel de l’ordre de deux millions de francs suisses pour cinq à six grands projets toujours en lien avec la Russie. Auquel s’ajoute un projet de recherche scientifique avec l’EPFL de Lausanne et l’Université de Perm en Sibérie, sur six ans. ACT-O Quels sont vos projets en 2013 ? ET Indépendamment des partenariats établis et en termes de nouveautés, nous allons co-produire Le Chat botté de César Cui au Grand-Théâtre de Genève, un spectacle destiné aux enfants. Nous sommes également impliqués dans un festival de cinéma post-soviétique qui se déroulera à Genève et Lausanne en septembre. Ce Festival « Kino » mettra à l’honneur les films d’auteur des pays de l’Est. La venue prochaine d’une troupe de pantomimes russes exceptionnels au Théâtre de Carouge et l’organisation d’un tournoi international d’échecs en mai sont deux autres projets de qualité pour ce 1er semestre. ACT-O Comment appréciez-vous Genève ? ET La Suisse est ma deuxième patrie. J’en partage beaucoup de valeurs. Genève est une ville magnifique où ma famille s’y sent bien. Nous y apprécions notamment sa culture de la discrétion. Nous y avons développé un cercle d’amis précieux, genevois et internationaux. À travers la Fondation Neva, je suis heureuse de contribuer à ouvrir des horizons culturels et artistiques. ACT.0 | 14

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CRÉÉE EN 2008 À GENÈVE PA R L A FA M I L L E T I M T C H E N K O , L A F O N D A T I O N N E VA A P O U R V O C A T I O N D E R E N F O R C E R LES LIENS QUI UNISSENT LA RUSSIE ET LA SUISSE. TA N T S U R L E P L A N C U LT U R E L , S C I E N T I F I Q U E Q U E S P O R T I F, L A F O N D AT I O N S O U T I E N T D E S P R O J E T S VA L O R I S A N T L ’ E X C E L L E N C E .

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L’art et la manière de

susciter des vocations par Kathereen Abhervé

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Dans le cadre de son atelier autour de La Traviata, La metteure en scène Michèle Heimendinger-Cart a proposé aux élèves de travailler sur les émotions, le visage dissimulé par un masque blanc. (en-dessous

Marie-Camille Vaquié au piano dans son atelier « découverte de la voix ».

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ourtant depuis que le Grand Théâtre propose aux élèves des établissements primaires et secondaires du canton de Genève, des activités ad hoc leur permettant de se familiariser avec les arts lyrique et chorégraphique, il est arrivé que certains d’entre eux réservent quelques belles surprises à l’équipe du service pédagogique. Tel le brusque engouement d’Andrea D. et Tatiana M. (CEC Nicolas-Bouvier), qui depuis leur participation à l’atelier pédagogique « découverte de la voix » proposé autour de La Traviata de Verdi, et animé par la soprano Marie-Camille Vaquié, ont décidé de prendre des cours de chant lyrique... Ces deux jeunes filles d’une vingtaine d’années, ont été littéralement subjuguées par le ramage de la cantatrice. Il faut dire qu’avec cette artiste française tout espoir est permis puisque après avoir découvert le monde de l’opéra à l’âge de 27 ans, elle interprétait une dizaine d’années plus tard sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées, le rôle de Donna Elvira du Don Giovanni de Mozart, et celui de Gilda du Rigoletto de Verdi, à l’opéra de Liège. De quoi susciter des vocations ! Depuis plusieurs années, Marie-Camille Vaquié transmet avec passion et simplicité son amour du chant lyrique aux élèves dont les classes ont été sélectionnées en début d’année scolaire par le service pédagogique du GTG, pour assister à l’un des opéras de la saison. La partie n’est pourtant pas gagnée lorsque les élèves s’asseyent, partition en mains, la mine un peu déconfite autour du piano pour leur première « leçon de chant. »

Les spectateurs du Grand Théâtre de Genève sont souvent surpris, voire intrigués de croiser durant les répétitions générales ou certaines représentations, des groupes d’élèves aussi à l’aise sous les ors et les stucs du foyer Second Empire de la noble institution, que dans leur cour de récréation. Que les jeunes aiment la danse passe encore, mais qu’ils s’intéressent à l’opéra ??? Leur étonnement est à son comble et atteint l’émerveillement, lorsque durant le spectacle, cinquante, cent, deux cents gosiers s’ouvrent soudain pour accompagner les choristes, le temps de quelques phrases musicales. L’opéra n’aurait-il donc plus de secrets pour eux ? Ce serait peut-être conclure de manière par trop hâtive.

Le chant lyrique subjugue les élèves Mais le miracle ne tarde pas à se produire et à la fin d’une séance de 90 minutes la plupart d’entre eux sont tombés sous le charme de la voix de Marie-Camille, comme Tatiana M. qui reconnaît avoir « été grandement inspirée par cette activité » et sa camarade Andrea D. qui, bien que le monde l’opéra lui soit assez familier – son père a travaillé au Grand Théâtre –, s’est étonnée que « l’émotion ressentie lors des démonstrations de chant de la chanteuse qui leur a donné le cours, soit réellement profonde et intense. J’en ai même ressenti des frissons, poursuitelle, et je me suis dit que c’était tellement beau que j’aimerais bien apprendre à chanter convenablement et de façon plus ciblée. » Son amie Tatiana quant à elle, plus attirée par Edith Piaf, Madonna, Lady Gaga et Michael Jackson, remarque qu’elle « a trouvé merveilleux les extraits de La Traviata écoutés en classe grâce à son enseignante, mais, ajoute-elle, en entendant la cantatrice qui nous a interprété un morceau, j’ai eu la larme à l’œil, car la beauté du son et de la voix m’ont énormément touchée. Ceci m’a donné envie de commencer des cours de chant. » Selon Stefania G. (École internationale de Genève), « l’atelier de chant a été un exemple de divertissement

auprès de notre classe, car tout le monde s’est prêté au jeu, toute la classe chantant librement sans avoir peur du moindre jugement des autres. Beaucoup d’entre nous, ajoute-telle, n’avaient aucune idée de la réelle importance de la puissance vocale que doit avoir un chanteur. » Sa camarade Leyla B, ajoute « C’était une expérience enrichissante qui nous a tous ouvert les yeux sur la difficulté et la beauté du chant lyrique. » Même son de cloche de la part des élèves du Cycle du Foron qui ont adoré cet atelier, particulièrement Karina qui « depuis qu’elle est toute petite adore tout ce qui touche au chant et à la musique. » Alexandre trouve que « cet atelier où l’on devait chanter et danser, l’a libéré et beaucoup amusé. » Quant à Axel, il se souvient d’avoir « bien rigolé lorsque ses camarades ont grimpé sur les chaises... » Les différentes étapes initiatiques Pour être tout à fait complets, les parcours pédagogiques que propose le Grand Théâtre de Genève doivent permettre aux élèves, quel que soit leur âge et leurs connaissances musicales, d’être capables d’assister à une représentation ou à une répétition générale de trois ou quatre heures. Pour ce faire, plusieurs activités leur ACT.0 | 14

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ouvrir l’esprit. » Leur camarade Chiara L. reconnaît que « ce fut une visite extrêmement intéressante, enrichissante et unique. »

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Quatre des six classes ayant suivi un parcours pédagogique autour de La

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Traviata, puis assisté à la

sont offertes qui leur donnent un aperçu de certaines professions liées au monde lyrique ou chorégraphique. Ainsi un parcours peut offrir des rencontres avec une danseuse, une scénographe ou, comme ce fut le cas pour la préparation de La Traviata, l’intervention d’une metteuse en scène, et des visites du Grand Théâtre ou de ses ateliers. Gilles (Cycle du Foron) trouve que « la visite du GTG, c’était cool. ». Dylan S. (École internationale de Genève) a quant à lui, été impressionné durant la visite du Grand Théâtre par « le rideau de la scène et le décor du plafond créés par l’artiste polonais Jacek Stryjenski, et richement composés de plaques de métal recouvertes d’or et d’argent ». Il se souvient que ce magnifique rideau pèse tout de même dix-sept tonnes et lorsqu’il se lève, « il monte si aisément qu’il ne donne pas l’impression de peser si lourd. » Il ajoute avec admiration que « la scène en elle-même peut s’abaisser de dix mètres, pour cacher des décors par exemple et que la hauteur du plafond au-dessus de la scène est de trente-mètres, ceci pouvant servir pour faire apparaître certains personnages durant le spectacle. » Les élèves semblent unanimes sur l’intérêt de cette visite qui leur a permis « d’apprendre de multiples choses sur le théâtre » et selon Yann H. « de nous ACT.0 | 14

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Un moment d’éblouissement Mais les élèves de cette classe n’étaient pas encore au bout de leur surprise lorsqu’ils s’installèrent dans la salle, au 1er balcon pour assister à un moment de répétition scène et piano. « Si l’on me demande quelle a été mon activité favorite, fait remarquer Stefania G., je répondrai sans hésitation, la répétition. Pouvoir assister à la répétition de La Traviata fut une chance énorme pour moi étant donné que depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours rêvé de devenir metteur en scène. Lors de cette répétition, j’ai pu voir à quel point le moindre détail, la moindre démarche est importance au yeux du metteur en scène et par la suite du spectateur. [...] le jeu du comédien est ici, comme dans toute pièce, calculé au moindre pas. »

répétition générale de ce tube lyrique, ont accepté avec beaucoup d’enthousiasme de raconter par écrit, sous forme de lettre ou d’article critique, leur expérience au cœur du Grand Théâtre de Genève. Il s’agit des élèves de la classe de 8ème primaire de Catherine Gilles, enseignante à l’école de Châtelaine, de la classe de 11ème A de Catherine Pesavento, professeur de français au Cycle du Foron, de la classe de 4ème de collège d’Olivier Revaz, professeur

Interpréter le désespoir avec des masques neutres Pour cette élève passionnée, « l’atelier de mise en scène a eu un impact sentimental auprès des élèves qui, pour certains, sous-estimaient le métier du metteur en scène ». Son camarade Giovanni B. estime que « ce métier, méconnu du public, est pourtant très intéressant. Nous avons donc essayé, dit-il, d’imaginer un décor pour la pièce La Traviata, pour refléter le jugement que la société portait sur Violetta. » D’après lui « l’activité qui l’a le plus profondément marqué ce fut quand la metteure en scène leur a fait découvrir son travail. » La metteure en scène Michèle Heimendinger-Cart qui anime cet atelier depuis plus d’une dizaine d’années, a plus d’une corde à son arc, car outre ses qualités de violoniste, de comédienne et de professeur de théâtre, elle a

de français à l’École internationale de Genève et de deux élèves préparant leur maturité professionnelle sous la houlette de leur professeur de français, Catherine Désirée Fernandez-Stoll, au Collège et école de commerce Nicolas-Bouvier. Nous les en remercions chaleureusement et espérons que leur propos n’auront pas été trahis.

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E i signé la mise en scène de nombreux ouvrages lyriques et une bonne demi-douzaine d’opéras pour enfants avec des enfants chanteurs. Alors les jeunes, elle connaît ! Dans le cadre de son atelier autour de La Traviata, elle a proposé aux élèves de travailler sur les émotions, le visage dissimulé par un masque blanc. La surprise passée, Alice R. (École internationale de Genève) s’exprime à ce sujet : « Dans un premier temps, on nous a fait mettre des masques neutres (ce sont des masques blancs sans expression), puis on nous a demandé de démontrer le désespoir. Il était intéressant, poursuit-elle, de voir comment les différentes personnalités géraient ce sentiment. Certains s’exprimaient par la rage : ils tapaient sur les murs et se jetaient violemment par terre. D’autres ajoute-t-elle se refermaient sur eux-mêmes, créant une bulle protectrice autour d’eux, et souffraient en silence dans leur coin. D’autres encore couraient dans tous les sens, et demandaient de l’aide aux spectateurs. Cette expérience conclut-elle, nous a dévoilé les différents moyens qu’utilisent les personnes pour démontrer leur désespoir. Ainsi nous pouvions nous identifier dans l’un des comportements et donc compatir et comprendre celui qui souffre. » Sa camarade Tanya R. n’a, quant à elle, pas beaucoup apprécié ce jeu de masques : « C’était vraiment dur. Nous avons ainsi pu comprendre que le métier d’acteur n’est pas si simple. Nous n’avons pas joué longtemps, mais je trouve, conclut-elle, que c’était quand même trop long, étant donné que je n’aime pas jouer devant les gens. » Pour finir Giovanni B. est ravi d’avoir ainsi « pu se mettre dans la peau du metteur en scène en nous faisant découvrir interactivement de quoi traite ce métier. » Il ajoute : « Finalement cette journée d’ateliers divers m’a réellement été d’une grande utilité pour comprendre ce qu’est le théâtre et l’opéra. Une combinaison parfaite entres les arts : le théâtre, le chant et la musique. » © DR

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(ci-dessus)

Les élèves de l'atelier mise en scène prennent leur rôle très au sérieux.

Dernière étape : la répétition générale « Vendredi 25 janvier, s’émerveille Alice R., ma classe et moi avons eu l’incroyable chance de pouvoir assister à la répétition générale de La Traviata de Verdi. Je n’aurais jamais pensé que l’opéra pouvait transmettre aussi bien les émotions qu’éprouvaient les acteurs. » Nous retrouvons Andrea D. (CEC Nicolas-Bouvier) qui dit avoir beaucoup apprécié le spectacle et reconnaît « avoir été aidée par la lecture recommandée par son professeur de français, de La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils qui a inspiré Verdi pour la composition de son opéra. Cela lui a permis, ajoute-t-elle, de pouvoir faire des liens et des comparaisons avec l’opéra. J’ai trouvé les musiques si belles et l’histoire si triste, que j’ai été profondément émue. Les costumes, m’ont surtout captivée par leur respect de l’époque et leur splendeur. C’est vrai, reconnaît-elle, les robes font toujours briller les yeux des filles. Même si j’ai pu remarquer quelques bémols par rapport à la mise en scène, cela n’a pas entaché pour autant la splendeur de l’opéra. » Son amie Tatiana 32 ACT-0_N°14.indd 32

M., elle aussi, a son avis : « J’ai trouvé très beau l’opéra La Traviata malgré l’exagération dans le jeu de Violetta, mais je pense qu’il s’agit d’une demande du metteur en scène. On a senti le stress de la jeune chanteuse Maria Alejandres. Les deux premiers actes étaient un peu faibles. Cependant elle s’est rattrapée dans le dernier acte. Pour cette prise de rôle, je trouve qu’elle s’est pas si mal débrouillée. Pour Alfredo, il n’y a rien à dire, je l’ai trouvé parfait. Par contre son père manquait un peu de compassion dans son interprétation. » Les élèves du Cycle du Foron s’expriment Leurs avis sur le spectacle étaient partagés : la plupart ont aimé les décors, les costumes, les lumières et les voix, mais certains comme Eduardo, Camille, Gilles et Kourosh ont trouvé la représentation trop triste et un peu trop longue pour leur premier spectacle d’opéra contrairement à Emina pour qui « la pièce n’a pas duré trop longtemps parce que le temps passe vite quand c’est quelque chose d’intéressant. » Mirza, elle, n’a pas été « emballée par la voix de Violetta qui aurait pu monter plus haut. » L’histoire n’a pas trop plu à Simon « car il n’aime pas les histoires d’amour. » Sarah par contre a relevé « le jeu avec le noir et le blanc » et a vraiment apprécié la dernière scène où Violetta meurt : « La lumière était sombre comme les décors. » Larissa qui a trouvé « les voix vraiment impressionnantes et le spectacle captivant et pas du tout ennuyeux » a envie de retourner à l’opéra, comme Sacha et Laurène qui « n’a pas vu le temps passer parce que le fait de lire les surtitres et de regarder la scène, (l’)occupait beaucoup. » Elle a d’ailleurs « encore quelques parties du spectacle qui résonnent dans (sa) tête. » Pour finir Jaïro « a bien aimé venir au Grand Théâtre pour la répétition générale parce que ça lui a donné l’occasion de bien s’habiller. » Enfin Dylan R. qui a eu « beaucoup de plaisir de pouvoir participer à la visite du GTG et à la générale », reviendrait, lui aussi avec grand plaisir. Sur 57 élèves interrogés à ce sujet, 34 d’entre eux souhaiteraient revenir voir un spectacle au Grand Théâtre de Genève, maintenant ou plus tard, soit près de 60%. Un chiffre assez encourageant ! Réflexions philosophiques « Selon moi, affirme Alice R. (École internationale), l’opéra a un rôle qui va plus loin que le divertissement. Il stimule la réflexion, nous fait mieux comprendre le monde qui nous entoure. Pour conclure, dit-elle, l’opéra est un art merveilleux qu’il faut à tout prix préserver. Il nous sert de professeur et d’éducateur pour nous montrer la réalité, et il peut aussi nous servir de distraction, pour se divertir et passer un bon moment. » Giovanni B. ajoute doctement : « D’une importance primordiale pour notre culture étant le pilier fondamental de nos ancêtres, l’opéra nous ouvre les portes d’un art oublié de notre jeune génération. Nous y côtoyons la haute société européenne. Entre élégance et finesse, les chanteurs d’opéra ont consacré leur vie au chant afin d’atteindre une maîtrise du chant considérable. » Nous laisserons le mot de la fin à Giovanni, Tanya et Thomas pour qui « l’opéra est un art qui nous fait redécouvrir un mode vie de nos ancêtres, de leur société mais aussi peut critiquer la nôtre dans sa folle nature. L’opéra ne doit pas disparaitre. Il doit continuer à vivre afin que les prochaines générations puissent profiter à leur tour de la richesse que ce dernier représente. » KA ACT.0 | 14 12

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Du maniérisme architectural

Une perspective Labo-M Essai visuel, commentaires et photos argentiques de Henri Luis Vázquez Dietiker

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’est l’histoire d’une multitude de rôles secondaires disputant leur importance aux rôles principaux. Dans la logique structurelle de la pièce, ceux-ci participent un à un au véritable montage de l’intrigue, et acquièrent ainsi une importance primaire. Si nous prêtions attention à ce qui fabrique une représentation théâtrale dans son entier, nous nous rendrions compte que les acteurs humains ne sont pas les seuls à jouer : le Grand Théâtre et son architecture aussi participent à la mise en scène, comme dans Samson et Dalila, vu par Labo-M en novembre dernier. La mise en scène quant à elle, avec ses éclairages, son rythme, ses spatialités, atteint une rationalité économe maximale, imposée par une approche narrative croissante. Les acteurs prennent place dans l’espace dans une esthétique industrielle  : obsession de l’orthogonalité, du gris et du silence. Cet ordre sera cependant bouleversé tout au long de la représentation par les agitations bruyantes et lumineuses – certes toutes contrôlées – des différents personnages principaux. Les relations d’interdépendances des éléments primaires

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et secondaires deviennent dès lors le sujet même de cette pièce, miroir d’une vérité constructive presque maniériste. Les profilés, la « découpe », le gousset et le toron ne sont qu’acteurs allégoriques parmi tant de la structure, expliquée dans cette pièce en constante représentation que constitue la cage de scène du Grand Théâtre. On pourrait même soutenir que dans le cadre de Samson et Dalila, la mise en scène de l’opéra et celle du théâtre pourraient dialoguer davantage puisqu’il parlent le même langage technique : les rails et chariots cohabiteraient en toute harmonie avec les poutres et les câbles de la structure de la scène. L’architecture étant un art total, elle confond la réalité des spectateurs avec la réalité du récit et permet de même, à nouveau en tant que décor, la mise en place du spectacle social de ses visiteurs. De part ses spatialités articulées selon un schéma presque linéaire, elle pousse à bout un rituel qui peut être expérimenté de manière simple. Les pièces du Grand Théâtre sont ainsi entièrement conçues pour ces activités et leur déroulement découpé. À tel point que même l’alcôve discrète du premier balcon cour, l’Espace Labo-M, mérite le titre de « scène ». HLVD

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Journée portes ouvertes

opéra

opéra

Conte lyrique en 3 actes de Antonín Dvořák

Conte lyrique de César Cui

rusalka

Au Grand Théâtre 16 mars 2013 de 10 h à 18 h

Au Grand Théâtre 13 | 19 | 21 | 24 | 27 juin 2013 à 19 h 30 16 juin 2013 à 15 h Direction musicale Dmitri Jurowski Mise en scène Jossi Wieler / Sergio Morabito Décors Barbara Ehnes Costumes Anja Rabes Lumières Olaf Freese Vidéo Chris Kondek Chœur Ching-Lien Wu Avec Alexei Tikhomirov, Camilla Nylund, Birgit Remmert, Ladislav Elgr, Nadia Krasteva, Elisa Cenni, Stephanie Lauricella, Isabelle Henriquez, Marc Scoffoni, Hubert Francis, Lamia Beuque Chœur du Grand Théâtre Orchestre de la Suisse Romande Production des Salzburger Festspiele

présentation de la saison 13-14 Au Grand Théâtre 25 avril 2013 à 18 h

Fête de la danse Au Grand Théâtre Samedi 4 mai 2013

Journées Européennes de l'Opéra Au Grand Théâtre Samedi 11 mai 2013

Fête de la musique

le chat botté Au Grand Théâtre 11 | 17 | 18 mai 2013 à 19 h 30 17 mai 2013 à 10 h 30 et 14 h 30 Direction musicale Philippe Béran Mise en scène Jean-Philippe Delavault Avec Stephanie Lauricella Fabrice Farina Marc Scoffoni Elisa Cenni Khachik Matevosyan Orchestre du Collège de Genève Production de l'Opéra du Rhin

Récitals

Anne sofie von otter

mezzo-soprano

Au Grand Théâtre 22 juin 2013 à 17 h

Conférence de présentation par Mathilde Reichler Mercredi 12 juin 2013 à 18 h 15

avec Elin Rombo (soprano) et l'Ensemble Cappella Mediterranea Direction musicale Leonardo García Alarcón Au Grand Théâtre 12 mai 2013 à 19 h 30

diana damrau soprano colorature

Concert

Harpe Xavier de Maistre Au Grand Théâtre 24 mai 2013 à 19 h 30

L'esprit slave Ensemble Contrechamps

Au foyer du Grand Théâtre Dimanche 2 juin 2013 à 11 h Robert Koller, baryton Solistes de l'Ensemble Contrechamps Thierry Debons, percussions

barbara Frittoli

soprano

Piano Mzia Bakhtouridze Au Grand Théâtre 9 juin 2013 à 19 h 30

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