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N° 38

| Février / Mars / Avril 2019

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Le journal du Cercle du Grand Théâtre et du Grand Théâtre de Genève

Le retour avec le Ring ÉVÈNEMENT

La Tétralogie de Wagner ouvre une fin de saison éblouissante

NEUVIÈME ART

Les jeunes créateurs osent le Ring ENTRE RÉEL & ILLUSION THÉÂTRALE

Trois ballets pour deux étoiles IL PIRATA

Des voix d'or pour une perle du bel canto GTG1819_ACTO38_couv_feuilles.indd 1

LIEBESLIEDER WALZER

Le romantisme à quatre voix SARAH CONNOLLY

Les chants de l'âme MESSA DA REQUIEM

Teodor Currentzis sublime Verdi 29.01.19 18:30


Clip ballerine Lina Or blanc et diamants.

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Der Ring des Nibelungen

La quadrature de l’Anneau

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Neuvième art

Le Ring, c'est quoi ?

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Sara Baras

Elle fait danser les ombres

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Sarah Connolly

Le chant de l'âme

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Cher public, L’heure du retour à la place de Neuve sonne, depuis des semaines les équipes du Grand Théâtre, les artistes et l’Orchestre de la Suisse Romande travaillent sans relâche, dans des conditions parfois difficiles, pour vous offrir un spectacle à la hauteur des travaux entrepris pour rénover votre théâtre. Mozart, Verdi et Wagner constituent la trame des programmations depuis bien des années. Les deux premiers compositeurs ont pu être représentés à l’Opéra des Nations, c’est alors que le choix de Wagner s’imposa, avec son œuvre monumentale, Der Ring des Nibelungen, qui avait connu un grand succès au moment de la création de la production au cours de la saison 2013-2014. Cet ouvrage représente un rêve pour tous les théâtres d’importance, c’est pourquoi nous sommes ravis et fiers de pouvoir vous présenter, grâce à nos équipes, cette œuvre vertigineuse une seconde fois au cours de notre mandat, notamment pour le retour à la place de Neuve, après trois ans de travaux. Les étudiants de l’École supérieure de bande dessinée et d’illustration se sont mobilisés, et sous la houlette de leurs professeurs, ils se sont penchés sur ce mythe signé Richard Wagner pour imaginer des bandes dessinées racontant wotan (das rheingold, scène 4) L’Anneau du Nibelung. Depuis le mois d’octobre, une activité intense se déploie dans les salles de répétition, sur scène à la place de Neuve, aux ateliers, au Centre de formation professionnelle Arts, créé l’année du premier Ring à Bayreuth (1876), pendant que les spectacles à l’Opéra des Nations se succédaient et obtenaient un vif succès. Nombreux, vous êtes venus applaudir nos représentations, apprécier l’excellence de notre Ballet, découvrir et vous divertir avec un ouvrage de Gaetano Donizetti. Après la venue de l’Opéra National de Pékin, le rideau est définitivement tombé sur les représentations de L’elisir d’amore, de l’Académie de la Scala de Milan. Une larme furtive a pu couler sur certaines joues, car vous avez été nombreux à aimer ce lieu éphémère qui a permis une vie lyrique et chorégraphique sans discontinuité pendant le déroulement des travaux de rénovation. Avec regret nous quittons la rive droite pour revenir à la rive gauche et nous vous invitons à nous rejoindre pour poursuivre une belle aventure. Le mois de février sera riche : 4 opéras, le retour de Sara Baras et un récital exceptionnel avec 4 chanteurs et deux pianistes. En février 2019, la place de Neuve sera un lieu incontournable pour tous, le moment où vous reprendrez possession de votre bâtiment, un des sièges de la vraie passion qui met en exergue les vraies valeurs et qui ouvre un monde de rêves. Nous vous invitons à monter à notre « Walhalla », ouvert à toutes et à tous, car point n’est besoin d’être un valeureux chevalier de l’art lyrique ou chorégraphique pour jouir des plaisirs que nous réserve ces Arts.

Le soleil couchant darde ses rayons ; sous ses feux superbes, le Burg resplendit. Scintillant fièrement dans la lumière du matin, il était sans maître, sa majesté m’attirait. Du matin jusqu’au soir, il fut conquis sans joie, dans la peine et la peur ! La nuit approche : contre ses maux, il nous offre abri. Ainsi, je salue le Burg, exempt d’angoisse et d’effroi. Suis-moi, femme : viens vivre avec moi au Walhalla !

O Tobias Richter Directeur général

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Il pirata

Le belcanto se plie au drame

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Entre réel & illusion théâtrale

La piste aux étoiles

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Liebeslieder Walzer

L’amour à quatre

CP 5126 - CH-1211 Genève 11 T +41 22 322 50 00 F +41 22 322 50 01

Messa da Requiem

Talent ardent

grandtheatre@geneveopera.ch Directeur de la publication Responsable éditorial Responsable graphique & artistique Ont collaboré à ce numéro Impression

geneveopera.ch

Tobias Richter Alain Duchêne Aimery Chaigne Daniel Dollé, Olivier Gurtner, Isabelle Jornod, Martin Rueff, Tania Rutigliani, FOT SA

Parution 4 éditions par saison ; achevé d’imprimer en février 2019. 3 000 exemplaires. Il a été tiré 42  000 exemplaires de ce numéro encartés dans le quotidien Le Temps.

La couverture Le visuel du Ring 2019 inspiré d'une peinture de Ian Fischer Direction artistique Aimery Chaigne

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Prochainement dans le n°39 Médée 30/04 > 11/05/2019 Christian Gerhaher 20/05/2019 Un ballo in maschera 04 > 22/06/2019 La Belle au bois dormant 27 > 30/06/2019

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Venez nous voir !

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our célébrer les 140 ans du bâtiment du Grand Théâtre construit en 1879, le Cercle du Grand Théâtre de Genève vous invite à deux soirées de projection exceptionnelle les samedi 23 et dimanche 24 mars 2019 sur la place de Neuve fermée pour l'occasion.

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© GUILLAUME PERRET

près ses trois années de rénovation, venez redécouvrir votre Grand Théâtre lors d’une grande journée portes ouvertes le samedi 23 mars 2019. Des foyers restaurés, nouvelles salles de répétition, bars et buvettes, ateliers pour enfants et visites vous attendent. Save the date! ■

Une nouvelle tête pour gérer notre maison

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e Grand Théâtre compte une nouvelle Secrétaire générale : Carole TrousseauBallif succède à Claus Hässig. Elle connaît bien le monde de l’opéra, pour avoir étudié le chant lyrique au Conservatoire de Musique de Lausanne en parallèle à ses études en sciences physiques à l’EPFL. Titulaire d’un MBA

en économie et finances, elle a travaillé comme consultante chez Price Waterhouse Coopers puis chez PostFinance et à l’Office fédéral de la statistique (OFS). Elle a récemment assuré la direction administrative du Théâtre Orchestre Bienne Soleure (TOBS). « J’ai toujours rêvé de travailler pour une grande maison d’opéra. Me voilà donc comblée et je me

réjouis de relever les nombreux défis qui m’attendent. Mon objectif sera d’apporter un soutien efficace au projet artistique et de maintenir une gestion fiable et solide du Grand Théâtre » déclare Mme Trousseau-Ballif. Le Grand Théâtre remercie M. Hässig pour son très important engagement et adresse tous ses vœux de succès à sa successeuse. ■

Devant vos yeux, la façade du Grand Théâtre prendra vie (on imagine même qu'elle pourrait prendre feu en référence au célèbre incendie de 1951 !). En effet, ce premier mapping vidéo inédit jouera avec l'histoire du Grand Théâtre de Genève dans un son et lumière qui saura éblouir toute la famille. Un événement à ne pas manquer. ■

© LE TRUC

Le Grand Théâtre reprend vie

Dessine-moi un élixir d’amour !

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essine-moi un mouton ? Non, dessine et compose plutôt ton élixir d’amour ! Voilà ce qui a été demandé aux enfants pour la venue du spectacle L’elisir d’amore pour les jeunes à l’Opéra des Nations créé il y a quelques mois par l’Académie de La Scala de Milan. Avec l’aide des écoles primaires du Canton de Genève, le concours a recueilli un franc succès et plus de 200 dessins ont été reçus. Le lauréat, Yannis Zacco, 8 ans, pourra ainsi visiter en privé avec ses proches le Grand Théâtre. ■

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ne eau du lac à 7 degrés? Pourquoi pas ! Bravo aux nageuses et nageurs émérites du Grand Théâtre de Genève et leurs amis « plouffeurs » qui ont non seulement bravé l'eau glacée (ou presque) du Léman lors de la fameuse Coupe

de Noël qui s'est déroulée le 16 décembre 2018, mais toujours avec cette touche artistique qui les caractérise. Pour la plus grande course du monde en eau froide, nos courageuses et courageux ont nagé le long de la promenade du Jardin Anglais sur une distance de 120 m. À l'année prochaine. ■

© DR

Les « plouffeurs » du Grand Théâtre n'ont pas eu froid

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Pour rouvrir le Grand Théâtre, la scène de Neuve accueille l’immense Tétralogie de L’Anneau du Nibelung. Philosophique, comique, spirituel… Le Ring des Nibelungen est « une parabole de l’humanité » selon les mots de son metteur en scène Dieter Dorn. Avec le scénographe Jürgen Rose, ils ont fait entrer le théâtre de tréteaux dans le drame musical de Wagner, offrant une lecture claire et forte aux publics, connaisseurs ou amateurs. Le 12 février sera l’occasion de redécouvrir ce monument musical en même temps que le monument architectural, un événement à n’en pas douter, une manière de boucler la boucle. Pour s’y préparer, ACT-O présente le Ring, avec Dieter Dorn, Jürgen Rose, le chef d’orchestre Georg Fritzsch et en introduction, le conseiller artistique Daniel Dollé nous explique le choix de cette production pour le retour au Grand Théâtre.

La quadrature de l’Anneau I par Olivier Gurtner

l a inspiré Tolkien, Fritz Lang, Peter Jackson, Visconti... Le Ring des Nibelungen revient au Grand Théâtre. Écrit puis composée par Wagner, le livret et la partition de Rheingold, Die Walküre, Siegfried et Götterdämmerung se déploient sur 14-16 heures. Le récit met aux prises Wotan, ses devoirs, son désir, son envie, ses mensonges face aux Dieux qui l’entourent mais aussi face aux autres – les Géants, les Nains – mais surtout face à l’Anneau et sa malédiction. S’il donne le pouvoir, le cercle d’or exige qu’on renonce à l’amour et porte malheur. Jusqu’au Crépuscule, prédit par Erda et ses filles, les Nornes, la prophétie sera vérifiée. Alberich et tous les autres paieront le prix et c’est l’amour et le pardon qui triomphent. Viennent ensuite la désobéissante Brünnhilde et le fougueux Siegfried, qui connaîtront un destin funeste mais réunis, malgré les complots et la jalousie des autres. Derrière les mythes, la complexité et le monument musical, Wagner revient au drame, le cœur de son œuvre, pour livrer un message simple et universel : l’amour triomphe du pouvoir. À Genève, une référence de la musique wagnérienne, Georg Fritzsch, dirigera l’Orchestre de la Suisse romande (OSR) et le Chœur du Grand Théâtre. Sur scène, la production signée Dieter Dorn et Jürgen Rose revient après avoir rencontré son public en 2013-2014. SUITE PAGES SUIVANTES

Pour le retour au Grand Théâtre de Genève, c'est Tómas Tómasson qui interprète Wotan et Le Voyageur (Siegfried) pour cette reprise de la production du Ring de la saison 13-14.

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› Der Ring des Nibelungen

Festival scénique en un prologue et trois journées de Richard Wagner

Das Rheingold Die Walküre Siegfried Götterdämmerung Direction musicale

Georg Fritzsch Mise en scène Dieter Dorn

Décors & costumes

Jürgen Rose Lumières Tobias Löffler Expression corporelle Heinz Wanitschek Vidéo

Jana Schatz

Avec

Tómas Tómasson, Tom Fox, Dan Karlström, Taras Shtonda, Ruxandra Donose, Will Hartmann, Michaela Kaune, Petra Lang, Michael Weinius, Jeremy Milner, Mark Stone, Lucie Roche, Michelle Breedt, Wiebke Lehmkuhl, Polina Pastirchak, Carine Séchaye, Ahlima Mhamdi, Stephan Genz, Christoph Strehl, Stephan Rügamer, Alexey Tikhomirov, Agneta Eichenholz, Katja Levin, Marion Ammann, Karen Foster, Héloïse Mas, Rena Harms, Roswitha Christina Müller, Alexandra Steiner

Chœur du Grand Théâtre de Genève Direction Alan Woodbridge

Orchestre de la Suisse Romande Au Grand Théâtre de Genève 3 cycles complets du 12 février au 17 mars 2019

Un retour éclairé...

un entretien avec le dramaturge et conseillere artistique du Grand Théâtre Daniel Dollé par Olivier Gurtner

© GTG / CAROLE PARODI

Olivier Gurtner Pourquoi rouvrir le Grand Théâtre avec cette production du Ring ? Daniel Dollé Lorsqu’on revient dans un théâtre qui vient d’être rénové avec des moyens aussi conséquents, il faut le rouvrir avec une production qui réponde à l’ampleur des travaux. Cela mérite d’avoir en face une grande production. Il n’aurait pas été normal de rouvrir avec une co-production ou un achat. Comment répondre au mieux à cette ampleur ? Notre production du Ring dans l’année 2013-2014 répond clairement présent, tant cette œuvre est incontestablement un monument. En plus, nous recevions de nombreuses demandes du public afin de le remonter. Enfin, un Ring constitue toujours un rêve – et un défi – pour une maison d’opéra.

[ci-dessus]

Daniel Dollé supervise les premiers essais scéniques (Bauprobe) du Ring sur la scène de Neuve lors de l'été 2012. [au-dessus]

Tómas Tómasson (Wotan) et Petra Lang (Brünnhilde) lors de la générale piano de Die Walküre en décembre 2018.

Jürgen Rose

Fidèle compagnon de Dieter Dorn, Jürgen Rose signe les costumes et les décors de leurs productions communes. Son regard est celui du théâtre, du sens, le principe avant l’esthétique. Il a travaillé pour les plus grandes maisons d’opéra, par exemple Eugène Onéguine au Royal Opera House, L’elisir d’amore au Staatsoper de Vienne, Die Zauberflöte à Tokyo ou encore Salomé à La Scala. Il a beaucoup collaboré avec Dieter Dorn, en présentant notamment Norma et Così fan tutte, Le Nozze di Figaro, Werther au Staatsoper de Munich. À Genève, ils ont réalisé une mise en scène basée sur les fondamentaux du théâtre, partant et terminant sur une scène vide, concentrant le regard sur les émotions et interactions.

nie, un certain sarcasme. On a l’impression que ce n’est pas Dieu qui a créé les humains, mais les humains qu’ils l’ont créé pour ce justifier. Leur mise en scène célèbre la vision cyclique du monde : on débute par une scène vide, on termine par une scène vide. À la toute fin, l’or retourne au fond du Rhin et retrouve sa place ; l’harmonie est assurée.

OG Quel est votre rapport au Ring de Wagner ? DD Le Ring correspond à mon parcours musical. Au moment de mes études, j’étais déjà fasciné par cette œuvre : Wagner occupait mon imaginaire, tout autant que Verdi. Mon premier Ring était celui de Wieland Wagner à Bayreuth, alors que j’avais à peine quinze ans. J’en ai toujours conservé une fascination. Ce qui me plaît particulièrement, c’est qu’elle s’adresse à tout le monde. Malgré les 15, 16 ou17 heures – selon les tempi du chef d’orchestre – cette œuvre continue d’interpeller les publics, les psychanalystes, etc.

OG Est-ce une production accessible pour les non-Wagnériens ? DD Le Ring est d’abord un conte, autant pour les adultes que pour les enfants. Au-delà de cette masse d’heures d’opéra, on peut résumer cette saga en quelques mots : pour accéder au pouvoir, certains sont prêts à renoncer à l’amour, tel Alberich. L’amour – qui a joué un rôle très fort dans la vie de Wagner – nous touche les uns les autres. Comme tous les contes, tout un chacun peut le comprendre à sa manière. Prenez les Filles du Rhin, on peut les considérer comme les gardiennes de l’harmonie, de la nature ou comme des aguicheuses peu recommandables. Les Dieux ont l’air puissants et forts alors qu’ils sont en réalité assez lâches, et ont peur de perdre le pouvoir et surtout de vieillir, raison pour laquelle ils font appel aux pommes de jeunesse de Freia. Ainsi, le Ring offre aussi un regard critique sur les rapports sociaux, ce qu’on retrouve bien dans la production signée Patrice Chéreau.

OG Le Ring a connu une création compliquée… DD En effet ! L’histoire du Ring a été écrite à l’envers. Siegfried est le point de départ de toute cette Tétralogie. Il rencontre Brünnhilde, puis s’allie avec les Gibichungen pour mieux la tromper, avant de se faire tuer par le jaloux Hagen. Comme il faut bien raconter toute une histoire, Wagner a ensuite composé le mythe en arrière, la conception de Siegfried, sa naissance issue d’un inceste, et au tout début la création du monde, avec l’or du Rhin. Il n’avait pas du tout prévu une telle construction.

OG Il s’adresse aussi aux jeunes ? DD Absolument ! Vous savez, lorsqu’on a créé ce Ring, une version pour les jeunes de Siegfried (Siegfried ou qui deviendra le seigneur de l'anneau, Ndlr) avait rencontré un grand succès. Plus récemment à l'occasion de ce retour au Grand Théâtre, nous avons organisé un concours avec l’École supérieure de Bande dessinée et d'illustration (ESBDi) : les élèves ont soumis des projets passionnants, inspirants et riches. Avec ses leitmotivs qui agissent comme des panneaux indicateurs, Wagner donne des clés, des clés pour tous.

OG Qu’aimez-vous dans la démarche de Dieter Dorn et Jürgen Rose ? DD J’aime d’abord le regard théâtral apporté par Dieter Dorn. D’ailleurs, si Wagner s’est inspiré des mythes et légendes nordiques, il a également puisé dans le théâtre grec. Dans l’Antiquité, on présentait 3 tragédies et 1 drame comique, à l’image de la Tétralogie – encore que, le Ring est plutôt une trilogie précédée d’un prologue. Au fond, on retrouve tout à fait cette approche chez Dieter Dorn et Jürgen Rose : la production recèle une certaine iro-

OG Le public est venu en masse voir cette production. Comment leur donner envie de revenir ? DD Je crois que tout simplement les gens ont vu ce Ring sous un regard différent. Ils ne l’ont pas vu comme étant réservé à une élite musicologique. Au contraire, la production de Dieter Dorn et Jürgen Rose tend la main au public. Elle évoque les pulsions fondamentales de l’âme et l’esprit humain. Il suffit juste d’être ouvert, dans le cœur et dans la tête. Pour résumer, je dirais que la force de cette version c’est sa grande complexité dans la simplicité. ■

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DER RING DES NIBELUNGEN OPÉRATION

Dieter Dorn, aux origines du Ring un entretien avec le metteur en scène du Ring Dieter Dorn par Olivier Gurtner

Olivier Gurtner Votre production du Ring fait entrer le théâtre dans l’opéra. Pourquoi ce choix ? Dieter Dorn L’opéra s’intéresse avant tout et finalement aux êtres humains. Même avec la musique, cette grande formation orchestrale, l’essentiel reste de comprendre les personnages. Avec Jürgen Rose, nous avons voulu entrer dans leur intimité et leur psychologie. Ensemble, nous pratiquons cette approche sur beaucoup d’opéras, comme Tristan und Isolde, Così fan tutte ou encore Der fliegende Holländer. Nous aimons faire appel à l’imagination, montrer ce qui n’est pas évident au premier abord, révéler ce qui ne veut pas l’être. OG D’où votre utilisation d’une scène vide ? DD Absolument. Une scène vide permet de travailler comme face à une page blanche. À cet égard, j’aimerais évoquer l’approche du metteur en scène Peter Brook, qui travaille à partir d’une œuvre, mais aussi du lieu où il répète et des artistes avec qui il répète. OG Justement, comment travaillez-vous avec les chanteurs ici à Genève ? DD C’est la deuxième fois que nous montons ce Ring, et le rôle de Wotan est chanté par un autre artiste : Tómas Tómasson. La première fois, Tom Fox incarnait très bien ce dieu des Dieux résigné, au pouvoir affaibli. Tómas évoque davantage une figure d’autorité, puissante, à l’esprit volontaire. Il faut savoir en jouer et s’en servir. En tant que metteur en scène, mon rôle est d’intégrer ces différences, et de les révéler. Petra Lang incarne à nouveau Brünnhilde, un rôle qu’elle maîtrise à merveille, tout en restant ouverte au changement, ce qui est un vrai plaisir. OG Quelles sont les difficultés au moment de monter une telle production ?

DD L’immensité de sa dimension, ses 15-16 heures de musique. Il est très important de garder une ligne continue, sensée et forte. Par exemple, les trois Nornes, qui connaissent le passé, le présent et le futur, n’apparaissent normalement que dans le dernier volet, Götterdämmerung. Avec Jürgen Rose, nous avons choisi de les montrer dans chaque opéra. Wotan, de son côté, voit son personnage évoluer, entre une figure puissante dans Das Rheingold avant de voir sa lance brisée dans Siegfried. OG Quel moment est le plus important selon vous ? Das Rheingold ou Götterdämmerung ? DD Das Rheingold est le plus important pour moi. Il montre mieux que les autres les dieux de la lumière et les êtres de l’ombre. On réalise que les Dieux rompent leurs promesses, trichent et qu’ils se mentent à eux-mêmes. Au moment de monter vers leur somptueux palais, le Walhalla, Loge dénonce leur attitude et prédit le destin funeste. Il s’agit de la pierre angulaire du cycle. OG Pour le public, le Ring des Nibelungen peut faire peur, impressionner. Comment rassurer les inquiets ? DD Plus qu’un mythe immense, le Ring est d’abord une parabole, celle de la vie et des êtres humains. La vie, la recherche de soi, le désir pour autrui, l’amour, le goût du pouvoir… on retrouve tout cela dans la Tétralogie de Wagner. C’est une expérience à partager ensemble, durant presque une semaine.

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Dieter Dorn règle les placements lors de la générale piano de Die Walküre en décembre 2018. [au-dessus]

La scène de la chevauchée des Walkyries lors de la générale piano de Die Walküre en décembre 2018.

OG Le Grand Théâtre est-il une bonne salle pour un Ring ? DD La salle n’est pas trop immense, le lien avec le public est donc plus fort. Par ailleurs, musiciens, chanteurs, figurants, techniciens travaillent près les uns des autres. C’est pour moi un atout majeur, car il ne faut jamais oublier qu’à l’opéra, un être humain joue toujours pour les êtres humains. ■

« Das Rheingold montre mieux que les autres les dieux de la lumière et les êtres de l’ombre. » Dieter Dorn

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© GTG / CAROLE PARODI

Dieter Dorn est d’abord un homme de théâtre, une figure européenne de la discipline. Après avoir dirigé le théâtre de chambre de Munich (Münchner Kammerspiel), il prend les rênes du Bayerische Staatsschauspiel. Il apporte son regard de la scène sur les plateaux d’opéra, notamment Die Entführung aus dem Serail au festival de Salzbourg en 1979 dirigé par Karl Böhm, Der fliegende Holländer en 1990 au Festival de Bayreuth ou encore Tristan und Isolde pour le Metropolitan Opera de New York. Pour le Ring, il part d’une salle vide, marquée par les liens du destin. Entretien avec un être qui aime partager avec les siens.

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OPÉRATION DER RING DES NIBELUNGEN

Dans la fosse, Georg Fritzsch un entretien avec le directeur musical du Ring Georg Fritzsch par Olivier Gurtner

© GERHARD KUEHNE

Il est entré dans la musique par le violoncelle, ayant été premier pupitre solo à l’orchestre philharmonique d’Altenbourg. Durant ses études, il est boursier de la Fondation Herbert von Karajan. En 2003, il devient Generalmusikdirektor à l’Opéra de Kiel, où il dirige dernièrement le Ring de Wagner. À Stuttgart, il conduit la fosse pour Richard Strauss, notamment Elektra et Salomé. En 2009-2011, il est directeur de l’opéra du Tyrol à Innsbruck, connu sous le nom Tiroler Landestheater. Familier du Ring, Georg Fritzsch fait ses débuts au Grand Théâtre et dirige pour la première fois l’Orchestre de la Suisse romande (OSR).

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Georg Fritzsch.

Olivier Gurtner Wagner a composé une œuvre monumentale, originale. Comment la résumer en quelques mots ? Georg Fritzsch Le Ring est un monde en soi, du point de vue de la taille bien sûr mais aussi du point de vue philosophique. Je ne connais aucune œuvre comme telle. Elle reflète la pensée et la parole de Wagner. OG Il a d’abord écrit le livret puis composé la musique. Pour quelle raison selon vous ? GF Cela s’inscrit dans la tradition de certains compositeurs germaniques, comme Mozart, à l’inverse des Italiens. L’idée est de commencer avec le récit, l’histoire et l’idée. On ne peut pas dire ici « prima la musica, dopo le parole ». On est plutôt dans Opéra et drame, ouvrage où Wagner explique sa vision du drame musical.

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Wiebke Lehmkuhl (1ère Norne) au début de la troisième journée du Ring, lorsque le fil du destin se rompt ; lors de la générale piano de Götterdämmerung en janvier 2019.

© GTG / MAGALI DOUGADOS

OG Le Ring est l’aboutissement d’un système de leitmotivs. Comment le décrire ? GF Wagner n’a pas inventé le leitmotiv, mais il l’a développé à un point extrêmement avancé et lui a donné toute son ampleur. La « Trauermarsch » par exemple, est très intense, musicale, mais aussi riche de sens. Certains leitmotivs évoluent au cours du Ring, comme celui du Walhalla dans Das Rheingold, très fort, éloquent, qui devient sombre et funeste dans Götterdämmerung. OG La partition compte également des parties symphoniques. Que nous disent-elles ? GF Wagner a apporté l’orchestre à niveau complètement nouveau, grâce au travail de Liszt et Berlioz, ce qu’on oublie parfois. Il a employé de nouveaux sons, notamment le tuba wagnérien. Plus largement, sa musique est là pour servir un propos dramatique, elle est là pour raconter une histoire. Au début de Das Rheingold

par exemple, les contrebasses et les bassons figurent la base du monde, avant de monter vers le ciel à l’aide des cors et des cordes. Dans Die Walküre et Götterdämmerung, la musique devient un flux, comme l’orage et les vagues du Rhin. OG Vous avez souvent dirigé le Ring, récemment dans une mise en scène signée Daniel Karasek à Kiel. Comment vit-on cette expérience ? GF J’ai une très longue expérience personnelle avec Wagner et le Ring. Lorsqu’on commence à diriger une telle œuvre, on doit savoir où l’on veut aller, vers quoi on veut tendre. Si je connais bien cette œuvre, sa complexité fait que j’en découvre toujours de nouveaux aspects. OG Comment y parvient-on ? GF Cela passe par la structure des sons et l’idée d’ensemble. Le son de l’orchestre est très important. À Dresde où j’ai très souvent travaillé, notamment comme jeune violoncelliste, j’ai appris à jouer les cordes de manière légère. Wagner, qui a vécu dans cette ville, aimait aussi ce son, pas forcément lourd. Un forte, c’est un forte (f), pas quatre (ffff) ! Pareil pour un son piano (p). Je crois être l’élève et l’héritier de cette tradition, celle d’un son clair. OG Cette approche s’insère bien au Grand Théâtre ? GF Absolument. L’acoustique de la fosse et de la scène est très bonne, très fine. Je dois vous dire : j’ai été surpris quand on m’a dit que cette salle avait autant de sièges, 1500. Quand on est sur scène, on n’a pas cette impression, et c’est très bien ainsi ! OG Comment se déroulent les répétitions à Genève ? GF On essaie de faire beaucoup à la fois [rires !], ce qui n’est pas grave, car les didascalies de Wagner aident énormément, notamment pour comprendre les émotions et les couleurs des personnages et de leur voix. Au final, on arrive à tout mettre ensemble et l’idée prend vraiment une belle forme. OG C’est votre première fois avec l’OSR ? GF En effet, c’est ma toute première fois avec l’OSR, un grand honneur pour moi de jouer durant leur centenaire. Un collègue m’avait dit qu’il aurait adoré diriger une telle formation. Il disait que cet orchestre, comme le Gewandhaus, le Berliner ou encore le Staatskappelle Dresden, recèle un véritable son, une identité. ■

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DER RING DES NIBELUNGEN OPÉRATION

Finalement, le Ring c’est quoi ? C

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Illustration (détail) de la couverture du projet de bande dessinée de Hugo Michalet de l'ESBDi pour Das Rheingold qui a obtenu un des deux 1er prix du Concours organisé avec le Grand Théâtre de Genève.

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Illustration (détail) de la couverture du projet de bande dessinée de Melchior Best de l'ESBDi pour Das Rheingold qui a obtenu un des deux 2ème prix du Concours organisé avec le Grand Théâtre de Genève.

par Tania Rutigliani

’est un réseau d’histoires et de thèmes musicaux soigneusement structurés pour narrer d’incroyables récits. Il y en a pour tous les gouts ! Vous êtes un fan d’heroic fantasy ? Le Ring vous emmène au cœur d’un monde plein de géants, de dragons, de nymphes et de nains qui n’a rien à envier à J.R.R. Tolkien. Vous aimez les histoires d’amour impossible ? Laissez-vous transporter par nos héroïnes Sieglinde et Brünnhilde dans leur chasse à l’amour – et pour ceux qui préfèrent la psychanalyse, sachez qu’il s’agit surtout d’amour incestueux. Vous aimez les combats, les faits d’armes ? Retrouvez Siegfried, qui, armé de son épée magique, abat un dragon ! Vous aimez les personnages torturés ? Découvrez Wotan, un dieu à l’âme tourmentée, dont l’ambition signera la fin d’une ère. Et pour tout ceux qui ne sont pas encore convaincus, il y a même un oiseau qui parle ! Dans cette immense saga il y a une part de mythe, de la tragédie à revendre, un peu de conte de fées et surtout… de l’opéra. La musique est à la fois le liant mais aussi un personnage à part. Elle est conçue de manière à vous transporter à travers l’œuvre de vous sussurer à l’oreille les éléments les plus complexes et les plus subtils de l’histoire dans un langage riche qui va droit au cœur. Les motifs créés par Wagner se sont implantés dans notre culture musicale, si bien que plus d’une fois vous risquez d’être surpris en pensant « Tiens, c’est du Wagner ? ». Alors osez le Ring ! ■

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Les étudiants de l’ESBDi ont osé le Ring

Le palmarès 1er prix « Classique » Hugo Michalet (Das Rheingold) Rebecca Traunig (Die Walküre) Lluis Casellas (Siegfried) Simon Jeandet (Götterdämmerung) 1er prix « Décalé » Robin Phildius (Das Rheingold) Lauren Thiel (Die Walküre) Douglas Büblitz (Siegfried) Hugo Baud (Götterdämmerung) 2ème prix Melchior Best (Das Rheingold) Melisa Ozkul (Die Walküre) Lola Jay (Siegfried) David Humberset (Götterdämmerung) 3ème prix Irvin Vaucher de la Croix (Das Rheingold) Flavie Ndam (Die Walküre) Muriel Sherwey (Siegfried) Maeva Schito (Götterdämmerung) Prix du public Simon Jeandet (Götterdämmerung) + d’info sur geneveopera.ch/ring-bd

D par Alain Duchêne

ans l’optique de rendre cette imposante Tétralogie de Wagner plus accessible, le directeur du Grand Théâtre de Genève Tobias Richter a lancé une idée simple et innovante : pourquoi ne pas proposer une vision du Ring en bande dessinée ? Les contacts ont alors été pris avec l’École supérieure de Bande dessinée et d’illustration de Genève (ESBDi) et son doyen Patrick Fuchs. Motivées par une énergie artistique commune, les deux institutions ont alors fait naître un projet ambitieux, dont voici les grandes lignes : une activité intégrée dans le cursus académique de tous les étudiants de l’école, des lauréats voyant leurs œuvres publiées dans le programme de salle du Ring, et un concours en ligne permettant au public de voter pour sa bande dessinée préférée. Ces jeunes étudiants se sont alors lancés dans cette aventure digne des divinités du Walhalla. À grands renforts de séances de scénario et de dramaturgie, le Ring n’avait bientôt plus de secret pour ces jeunes créateurs. Quelques semaines de dur labeur artistique plus tard, une présentation de tous les travaux a été faite et le jury, formé de membres du corps enseignant de l’ESBDi et de la direction du Grand Théâtre, a rendu son verdict. Une trentaine d’œuvres enthousiasmantes ! Des approches narratives et visuelles d’une diversité et d’une richesse magnifiques. Quelle créativité remarquable chez tous ces artistes en herbe – qu’il convient ici de féliciter et de remercier. Leur implication totale dans ce magnifique projet nous permet de découvrir le Ring sous une nouvelle lumière, des nouvelles couleurs, des points de vue décalés et des approches originales et inattendues.

[en-haut et au centre]

Toutes les couvertures des projets de bande dessinée des étudiants de première et deuxième année de l'ESBDi. [ci-contre]

Quelques cases (détail) du projet de bande dessinée de Douglas Büblitz de l'ESBDi pour Siegfried qui a obtenu un des deux 1er prix du Concours organisé avec le Grand Théâtre de Genève.

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[ci-contre]

Dernière case (détail) du projet de bande dessinée de Simon Jeandet de l'ESBDi pour Götterdämmerung qui a obtenu un des deux 1er prix et le Prix du public du Concours organisé avec le Grand Théâtre de Genève.

« La bande dessinée est un art polysémiotique, hybride où se rencontrent texte et image. La narration est au cœur de cet art séquentiel et l’écriture en a donc été la première étape…» Patrick Fuchs, doyen de l'ESBDi de Genève

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L'abominable beauté..

L

par T ania R utigliani

› Médée

Tragédie mise en musique en un

prologue et 5 actes de Marc-Antoine Charpentier

Direction musicale

Leonardo García Alarcón Mise en scène David McVicar Décors & costumes

Bunny Christie Lumières Paule Constable Chorégraphie Lynne Page Médée Anna Caterina Antonacci Jason Cyril Auvity Créon Willard White Créuse Keri Fuge Chœur du Grand Théâtre de Genève Direction Alan Woodbridge

Cappella Mediterranea

© ENO / CLIVE BARDA

Àu Grand Théâtre de Genève du 30 avril au 11 mai 2019

e mythe de Médée a connu de nombreuses adaptations et, depuis quelques saisons, le Grand Théâtre de Genève vous fait découvrir différentes facettes de cette magicienne – une pièce de choix pour toutes les grandes tragédiennes. Alors qu’Alexandra Deshorties l’incarnait dans la version de Luigi Cherubini (Medea), Kristina Hammarström dans celle de Francesco Cavalli (Il Giasone), Anna Caterina Antonacci – dont la chaleur et l’ampleur de la voix a impressionné le public genevois lorsqu’elle incarnait Iphigénie en 2014, présentera Médée dans la mise en musique de Marc-Antoine Charpentier. Dans cette coproduction avec l’English National Opera, l’action est déplacée en plein cœur de la Seconde Guerre mondiale, où un palais baroque – clin d’œil subtil à la période d’origine de l’œuvre, est transformé en quartier général. Intrigues politiques, triangle amoureux, vengeance, meurtre et infanticide prennent vie dans le décor de Bunny Christie et la mise en scène de David McVicar – dont la lecture de Wozzeck d’Alban Berg (saison 2016-17) a été salué par la critique. En parallèle, les chorégraphies de Lynne Page ajoutent une touche de couleur qui rappelle les comédies musicales américaines. Médée alterne entre rage et amour, vengeance et lamentation. Pour rendre hommage à ce personnage complexe, Charpentier explore toutes les formes musicales possibles, du ballet de cour jusqu’à l’air le plus dramatique. La partition est confiée à la baguette experte de Leonardo García Alarcón et aux musiciens de la Cappella Mediterranea – ceux-ci interprétaient déjà, avec brio, le second volet de ce tryptique autour de Médée (Il Giasone en 2017). Cela s’annonce haut en couleur. ■

« Ah! il faudrait que les mortels pussent avoir des enfants par quelque autre moyen, sans qu'existât la gent féminine ; alors il n'y aurait plus de maux chez les hommes. » Euripide, Médée

[ci-contre]

© DR

[ci-dessus]

C'était Sarah Connolly – qui vient en récital en mars 2019 au Grand Théâtre (voir p. 14) – qui interprétait Medée lors des premières représentations de cette coproduction avec l’English National Opera en 2018.

Après avoir interprété Medea dans l'œuvre de Cherubini en 2008 à Turin, Anna Caterina Antonacci s'attaque au même personnage mais dans l'œuvre de Charpentier pour le Grand Théâtre de Genève.

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› Il pirata

(version de concert)

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Un bateau dans la tempête Gustave Doré, 1876 Illustration du livre La complainte du vieux marin de Samuel Taylor Coleridge. Gravure sur bois.

Opera seria en 2 actes de Vincenzo Bellini Direction musicale

Daniele Callegari

Ernesto

Franco Vassallo Imogene Marina Rebeka Gualtiero Michael Spyres Goffredo Roberto Scandiuzzi Adele Alexandra Dobos-Rodriguez

Orchestra Filarmonica Marchigiana Chœur du Grand Théâtre de Genève Direction Alan Woodbridge

Au Grand Théâtre de Genève 22 & 24 février 2019

Le bel canto se plie au drame

L

par T ania R utigliani

© BRIDGEMAN IMAGES

’histoire est simple : un ténor aime une soprano qui est mariée de force à un baryton. Le cadre, que l’on croirait tiré d’une peinture de William Turner, emporte le spectateur sur une plage de la côte italienne. On constate que le choix de la pièce est également lié à la fascination qu’ont le compositeur et le librettiste pour l’atmosphère médiévale et aux références romantiques – en insérant, par exemple, le naufrage d’un navire ou encore un duel fatal. Après une Sinfonia où le talent de mélodiste de Bellini s’exprime librement, l’œuvre débute en pleine tempête et nous plonge dans un maelström d’évènements déjà mis en marche avant même la première note de l’opéra. Dans Il pirata, qui n’est que son troisième opéra, Bellini pose les jalons des différents éléments de son écriture qui marqueront le public par des œuvres telles que Norma, I Capuleti e i Montecchi ou I puritani. Il abandonne la fin heureuse pour se concentrer sur de nouvelles manières d’exprimer les sentiments les plus complexes – par exemple son Imogene rendue folle par la douleur de la perte de son amant. Il Pirata marque également la première collaboration entre le librettiste Felice Romani, l’un des plus prisés de sa génération (il a notamment travaillé avec Rossini, Verdi et Donizetti) et le compositeur. La richesse du livret fait écho à la volonté de Bellini de donner une importance nouvelle au texte. Romani s’inspire,

entre autres, d’un roman gothique de Charles Robert Maturin, dont il transformera les personnages en héros et héroïnes romantiques. Cette excursion dans le romantisme permet à l’œuvre de connaître un succès international. D’ailleurs, peu après la première à La Scala de Milan, Il pirata s’exporte à Paris, Vienne et Londres. Ce melodramma disparaît pourtant du répertoire à la fin du XIXème siècle – probablement à cause de sa complexité vocale, ce n’est que grâce au concours de Maria Callas que la pièce renait de ses cendres en 1958 dans le théâtre qui l’a créée. Ce sont trois artistes lyriques de renom qui incarneront les personnages de ce triangle amoureux. La douce Imogene, dont la grande scène de folie « Col sorriso d’innocenza » (avec le sourire de l’innocence) marque un tournant dans l’histoire de la musique, est interprêté par la soprano à la voix large au grain superbe : Marina Rebeka – dont les diverses interprétations de Violetta Valéry (La Traviata, Verdi) ont marqué le public et la critique. En Ernesto, le méchant duc de Caldora : Franco Vassallo, un habitué des rôles-titres verdiens – que l’on retrouvera d’ailleurs dans Un ballo in maschera qui clôt cette saison au Grand Théâtre de Genève, retourne à ses racines belcantistes. Finalement, les prouesses vocales et la versatilité de Michael Spyres le qualifient parfaitement pour le rôle du ténor amoureux : Gualtiero. En fosse, Daniele Callegari – qui a toujours porté au répertoire dit « désuet » un intérêt particulier, sera à la tête de l’Orchestra Filarmonica Marchigiana. Un cast qui présage deux soirées d’exception ! ■

L’histoire en quelques mots... Dans le Royaume de Sicile au XIIIème siècle, le comte de Montalto, Gualtiero est chassé de ses terres par le duc de Caldora, Ernesto. Il devient alors le chef d’une bande de pirates et vogue sur les océans alors que sa bien-aimée, Imogene, est mariée sous la contrainte à son ennemi Ernesto. Une tempête fait échouer le navire de Gualtiero proche du château d’Imogene. Les deux amants se retrouvent avec passion. Ernesto surprend le couple et provoque le pirate en duel. Ernesto meurt au cours du duel et Gualtiero est emmené par la garde et condamé à mort. Imogene sombre alors dans la folie.

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EN BALLET SARA BARAS / SOMBRAS

Sara Baras

Elle fait danser les ombres.. par D aniel D ollé

© SARA BARAS

L › Sombras

Ballet de flamenco de Sara Baras Direction artistique et chorégraphie

Sara Baras

Direction musicale & musique

Keko Baldomero Dessins des décors Andrés Mérida Textes Santana de Yepes Lumières Óscar Gómez de Los Reyes Costumes Luis F. Dos Santos Musiciens & danseurs du

Ballet Flamenco Sara Baras Au Grand Théâtre de Genève du 28 février au 3 mars 2019

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orsqu’elle s’est présentée pour la première fois avec sa compagnie la saison dernière, peu de gens la connaissaient, certaines et certains aficionados étaient certainement familiers de la star et de sa dance. Après quelques soirées à l’Opéra des Nations, sur le point de quitter les rives du Léman pour des destinations orientales, Sara Baras avait séduit des centaines de spectatrices et de spectateurs. Son enthousiasme, son énergie, sa passion n’ont laissé personne indifférent. À chaque spectacle les ovations allaient croissantes et encourageaient à reprendre et à se donner encore sans la moindre trace de fatigue et de lassitude. Une grande passion anime Sara Baras, elle a su l’insuffler à toute sa compagnie, aux techniciens, aux musiciens et aux danseurs. Avec le Flamenco Ballet Sara Baras, elle a présenté 13 spectacles et effectué plus de 4 000 représentations à travers le monde. N’êtes-vous pas impatients de la retrouver et de vibrer aux accents de Sombras, son nouveau spectacle ? Mais peut-être n’avez-vous pas eu l’occasion d’assister à Voces qui a fait trembler les gradins de l’Opéra des Nations, alors n’hésitez pas et rejoignez-nous dans le théâtre rénové de la place de Neuve. Soyez parmi les 6 000 privilégié(e)s qui salueront le retour de la reine du Flamenco. Sombras est un spectacle créé pour le vingtième anniversaire du Ballet Flamenco Sara Baras. Le fil conducteur du spectacle est la Farruca, une danse qui a accompagné Sara Baras au cours de ces 20 années de trajectoire, avec laquelle elle a récolté d’innombrables succès et à l’ombre de laquelle elle a vécu cette évolution constante qui l’a menée à être ce qu’elle est aujourd’hui. Dans Sombras, la virtuosité de sa danse se combine à des chorégraphies impressionnantes.  Danse traditionnelle, danse moderne et ressources techniques évoluent dans le paysage d'Andrés Mérida, un grand peintre malaguène. Ce décor joue un rôle important en fournissant des couleurs, des textures et une nouvelle répartition de l’espace scénique, complétés par des éclairages extraordinaires. Sombras (Ombres) est un voyage dans le temps, les couleurs, le silence, l’agitation de la foule et la solitude, la lumière et les ombres qui nous poursuivent ou nous accompagnent. Ils ne cessent jamais de nous étonner à cause de ce qu’ils dégagent. Laissez-vous entraîner dans une dimension où les émotions remontent à la surface… ■

« La farruca est la raison sans comprendre, et c’est la raison dans cette immense folie de laisser l’âme à chaque coup de talon. Enchaîne mes vers dans des rimes indéniables, dessine des gribouillis qui devinent, qui parlent de moi, qui parlent d’elle, comme une lumière, ma lumière, comme une ombre,mon ombre. » Sara Baras

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ENTRE RÉEL & ILLUSION THÉÂTRALE EN BALLET

« Je ne crois pas au style, c'est d'ailleurs pour moi un vrai problème. Je pense que bouger avec un certain style vous limite, vous entrave. Tout ce qu'un être humain peut faire avec son corps peut être utilisé pour exprimer ce qu'il a à dire... »

› Entre réel &

illusion théâtrale

Petite Mort

Musique de Mozart

Bella Figura

Musiques de Foss, Pergolesi, Marcello, Vivaldi & Torelli Chorégraphie

Jiří Kylián

Glory

Musique de Haendel Chorégraphie

Andonis Foniadakis

Ballet du Grand Théâtre de Genève Direction Philippe Cohen

Au Grand Théâtre de Genève du 27 au 31 mars 2019

ous la voûte céleste du Grand Théâtre dessinée par Stryjenski deux étoiles lèvent le voile : Jiří Kylián et Andonis Foniadakis. Le premier revient après un élégiaque Blackbird en 2010, le second a marqué le public avec un puissant Sacre du printemps. En mars, ils présentent une soirée Entre réel et illusion théâtrale, avec le Ballet du Grand Théâtre. Une rencontre à ne pas manquer. Trois ballets avec Jiří Kylián et Andonis Foniadakis qui présentent respectivement Petite Mort, et Bella Figura ainsi que Glory. Le directeur du Ballet du Grand Théâtre Philippe Cohen convoque une star mondiale et une étoile déjà confirmée pour un plateau de haut niveau. Grandes figures de la danse, Jiří Kylián et Andonis Foniadakis laissent une trace profonde dans l’esprit de la région. C’est en 1988 que le grand chorégraphe tchèque fréquenta pour la première fois le public genevois, avec Dream Dances. Il reviendra avec Piccolo Mondo, Forgotten Land, Stamping Ground, Stepping Stones, Sinfonietta, Tar and Feathers, Sechs Tänze et Danse en images. Son dernier spectacle à Genève fut Blackbird, un véritable « ensorcellement » selon Le Temps (octobre 2010). Sur la scène de Neuve, Jiří Kylián revient avec Bella Figura, une chorégraphie élégiaque sur des musiques de Lukas Foss, Giovanni Battista Pergolesi, Alessandro Marcello, Antonio Vivaldi et Giuseppe Torelli. À la manière du Tanztheater, dont Genève a reçu la grande dame Reinhild Hoffmann, les artifices du théâtre sont ici convoqués pour l’expression corporelle. Mouvements, sensualité(s), codes et gestes sont

interrogés par des artistes torse nu et en robe de feu. Avec Joke Visser (costumes) et Joop Caboort (lumières), le chorégraphe praguois donne sa lecture de Mozart, avec Petite Mort. Donné pour la première fois en 1991 au festival de Salzbourg, ce spectacle évoque l’extase – charnelle plus que spirituelle – en prenant appui sur les mouvements « Adagio » et « Andante » des concertos pour piano 21 et 23 de Mozart. Sur un plateau sombre, quelques danseurs font battre des fleurets d’escrimeurs. Le Ballet du Grand Théâtre suivra la battue de Jeffrey Tate gravée dans un enregistrement avec Mitsuko Uchida au piano. Créée pour le Netherlands Dance Theatre, Petite Mort permet aux vivants de se moquer de la mort. 2001 odyssée dans l’espace scénique Andonis Foniadakis commence à Genève en 2001, comme « animal musical » dans un Cendrillon chorégraphié par Maguy Marin. L’année centenaire du Sacre du Printemps, en 2013, il frappe les esprits avec une lecture tellurique, terrienne, païenne, sur la version de Pierre Boulez. Rappelons d’ailleurs qu’Ernest Ansermet aurait dû donner la première au Théâtre des Champs-Élysées, mais ce fut finalement Pierre Monteux. Sa création mondiale est saluée par la NZZ comme de « l’immense danse contemporaine ». En mars, il reprend Glory, succès présenté en février 2012 sur des musiques de Haendel, dans les costumes et lumières signés Tassos Sofroniou et Mikki Kuntu. The Pariser en parlera comme d’« un hymne à la danse ». En succédant à la Tétralogie de Wagner par trilogie de haute voltige, Entre réel et illusion théâtrale se veut d’abord la rencontre entre les corps et les cœurs. ■

[ci-dessous]

les chorégraphes Jiří Kylián & Andonis Foniadakis

© ANTON CORBIJN

par O livier G urtner

Bella Figura & Petite Mort de Jiří Kylián. Glory d'Andonis Foniadakis.

© DR

La piste aux étoiles S

[ci-dessus, de gauche à droite]

© JÖRG WIESNER / AMITAWA SARKAR / GTG / GREGORY BATARDON

Jiří Kylián

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SARAH CONNOLLY ON STAGE

« Sarah Connolly has deepened her fine characterisation of Fricka; no puritanical harridan but a flesh-andblood wife with emotions and ambitions of her own. »

Son dernier CD

A walk with Ivor Gurney

Aurora Orchestra Direction musicale Nigel Short Narrateur: Simon Callow Signum, 2018

Son agenda Janvier-Février 2019 Das Rheingold (Fricka) DM Pablo Heras-Casado MS Robert Carsen Teatro Real de Madrid Février 2019 Concert DM Andrew Davis BBC National Ochestra of Wales BBC Hoddinott Hall, Cardiff Avril 2019 Récital Robin Tritschler (ténor) Malcolm Martineau (piano) Wigmore Hall, Londres

› Sarah

Connolly

Récital sur des musiques de Brahms, Wolf, Roussel, Debussy & Zemlinsky Julius Drake (piano)

Au Grand Théâtre de Genève

Jeudi 7 mars 2019

Barry Millington, Evening Standard, 25 septembre 2018

Sarah Connolly

Le chant de l’âme L par D aniel D ollé

BRAHMS Ständchen Op. 106 N°1 Da unten im Tale Op. 33 N°6 Feldeinsamkeit Op. 86 N°2 Die Mainacht Op. 43 N°2 Von ewiger Liebe Op. 43 N°1 WOLF Italienisches Liederbuch Auch kleine Dinge Mörike Lieder Gesang Weylas Goethe Lieder Mignon IV: Kennst du das Land Mörike Lieder Nachtzauber Die Zigeunerin entracte ROUSSEL Le bachelier de Salamanque Le jardin mouillé Invocation Nuit d’Automne DEBUSSY Trois Chansons de Bilitis La flûte de Pan La Chevelure Le Tombeau des naïades ZEMLINSKY Six Maeterlinck songs

© JAN CAPINSKI

Le programme

a mezzo-soprano, née dans le Yorkshire, fait ses débuts au Royal Opera House en 2009 en tant que Didon (Didon et Enée). Depuis, elle a chanté Fricka dans Der Ring des Nibelungen, rôle qu’elle reprend au cours de la saison 2018-2019 dans la prestigieuse institution londonienne. Ses nombreux engagements la conduisent à travers le monde, parmi les rôles qu’elle interprète : Didon de Purcell pour La Scala de Milan, Brangäne (Tristan und Isolde), Phèdre (Hippolyte et Aricie), Giulio Cesare et Gertrude (Hamlet, première mondiale) pour le Festival de Glyndebourne, Phèdre pour l’Opéra de Paris, Le Compositeur (Ariadne auf Naxos) et Clairon (Capriccio) pour le Metropolitan Opera, New York, Sesto (La Clemenza di Tito) et Ariodante pour le Festival d’Aix-en-Provence, Lucretia (The Rape Of Lucretia) et Orfeo (Orfeo ed Euridice) pour le Bayerische Staatsoper, Brangäne pour le Festspielhaus BadenBaden, Fricka pour le Bayreuth Festival. À l’English National Opera, en 2013, elle impose sa Médée dans la production que nous vous présenterons en avril et mai 2019. Elle enregistre la première version française de Fantasio sous la baguette de Mark Elder. En compagnie de Julius Drake, son accompagnateur, elle nous propose un programme qui regroupe des lieds et des mélodies de Brahms, Wolf, Roussel, Debussy et Zemlinsky. Elle interprètera ce même programme au Teatro de la Zarzuela et à la Philadelphia Chamber Music Society. N’hésitez pas à venir écouter et à vous laissez séduire par la voix de Dame Connolly, une voix puissante et homogène sur l’ensemble du registre, une voix de velours, mais avec un grain doux et subtil qui donne du poids et de la présence à chaque note. Sa diction est claire et précise et son phrasé est naturel. Elle chante et jamais son chant ne paraît artificiel, sophistiqué ou sans âme. Lorsque dans The Independent, on peut lire : « Sarah Connolly is unrivaled: simply the best, most exciting, most galvanizing performer we have today », il ne nous reste plus qu’à répondre présent le 7 mars pour découvrir le talent et la voix d’une mezzo exceptionnelle qui vient enrichir la galerie des grands récitalistes que le Grand Théâtre accueille depuis quelques années. ■

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LIEBESLIEDER WALZER ON STAGE

L’amour à quatre

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Les amoureux (détail) John Atkinson Grimshaw, XIXème Collection privée. Huile sur toile.

par D aniel D ollé

› Liebeslieder Walzer

Récital sur des musiques de Haydn, Brahms, Schubert Marlis Petersen (soprano) Werner Güra (ténor) Anke Vondung (mezzo-soprano) Paul-Armin Edelmann (baryton) Camillo Radicke (piano) Christoph Berner (piano) Au Grand Théâtre de Genève

© YIORGOS MAVROPOULOS © MONIKA RITTERHAUS © DR

la 3ème fille de Clara et de Robert, Julie, est bien charmante. Il espère l’éventualité d’un mariage que Clara Schumann voit d’un mauvais œil. C’est dans ce contexte qu’il compose les dix-huit Liebeslieder Walzer de l’Opus 52 lors d’un séjour à Baden-Baden durant l’été́ 1869. Quelques jours après avoir composé le dernier lied de l’opus 65, Clara Schumann annonce le mariage de Julie. Bouleversé et profondément blessé et déçu, Brahms sombre dans la solitude et la mélancolie. Il va tout de même composer, avec rage, en 1874, les quinze Liebeslieder de l’opus 65, également connus sous le titre de Neue Liebeslieder Walzer. La soprano allemande Marlis Petersen nous avait déjà offert un récital sur la scène de la place de Neuve. Sur scène, elle brûle les planches, la star internationale excelle dans le répertoire de la mélodie, elle est une Liedersängerin parmi les plus recherchées. Anke Vondung interprète les grands rôles de mezzo-soprano sur les plus grandes scènes du monde, Octavian au Staatsoper de Berlin, Cherubino, ou encore Sesto au Met de New York. Le lied est également un domaine de prédilection de l’artiste. Elle propose une interprétation remarquée de l’Italienische Liederbuch en compagnie du ténor Werner Güra qui sera également présent à Genève. Sur scène, il interprète les grands rôles qui correspondent à sa tessiture, mais rapidement il s’est imposé dans le répertoire du lied, très souvent avec son complice Christoph Berner que nous pourrons également apprécier au cours de ce récital. Pour compléter le quatuor, Paul Armin Edelmann, le fils du célèbre Otto Edelmann – il ne faut pas le confondre avec son frère, le baryton Peter Edelmann qui a chanté Gabriel von Eisenstein (Die Fledermaus) au cours de la saison 2008-2009. Paul Armin Edelmann a donné des concerts et des récitals dans de nombreux lieux célèbres, notamment au Wiener Konzerthaus, au Wiener Musikverein, au Festival Hall de Salzbourg, au Bronfman Auditorium Tel Aviv, Philhamonic Hall Varsovie, Brucknerhaus Linz, Salzburg Mozarteum, Berliner Philharmoniker, Kölner Philharmoniker, Philharmonie am Gasteig München, Konzerthaus Dortmund, Victoria Hall Genève, … Il a donné des récitals en Autriche, en Allemagne, en Italie, en Espagne, en France, en Belgique, au Danemark, aux États-Unis, au Canada, en Chine et au Japon. Il ne vous reste plus qu’à réserver vos places, si vous ne l’avez pas déjà fait…. Laissez-vous séduire par ces lieds et le charme de leurs interprètes. ■

© FELECITAS MATTERN

© BRIDGEMAN IMAGES

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urant les dix saisons de Tobias Richter à la tête du Grand Théâtre les récitals se sont enchaînés, toujours avec des artistes prestigieux qui occupent les grandes scènes internationales. Si les programmes étaient très diversifiés, allant des grands classiques aux lieds plus rarement présentés, la structure de récital restait toujours la même : une ou un soliste accompagné par un pianiste, les plus grands noms du lied se sont donnés rendez-vous sur la scène genevoise pour nous faire partager la quintessence du chant, l’émotion dans sa pureté. Pour le premier récital dans le théâtre rénové, nous vous présentons un quatuor vocal accompagné par deux pianistes. Des mélodies de Schubert et de Haydn constitueront la première partie. Après l’entracte, nous écouterons les Liebeslieder Walzer, Opus 52 de Johannes Brahms, des chants d’amour sous forme de valse. Dix-huit lieds auxquels s’ajoutera un dernier lied de l’Opus 65, « Zum Schluss: Nun, ihr Musen, genug » extrait de Goethe, Alexis und Dora  : « Et maintenant, Muses, assez ! / En vain tentez-vous de décrire comment joie et tourment se succèdent en un cœur aimant. / Vous ne pouvez certes guérir les blessures qu’Amour a infligées, / Mais c’est de vous seules, ô clémentes, que vient toute consolation. » Il s’agit d’un grand classique de la littérature romantique servi par un quatuor vocal de haut vol, de jeunes pianistes talentueux. De la gaîté des amourettes au désespoir des cœurs blessés, ces lieds très colorés sont inspirés de la tradition des campagnes viennoises. Composés en 1869, ils expriment la joyeuse attente de l’amour sur les rythmes de valse que la Vienne impériale du XIXème siècle affectionnait tant. Ce sont d’exquises miniatures, tour à tour ironiques, badines, pleines d’humour ou sincères, qui empruntent leurs textes à un recueil de poèmes populaires. Les Liebeslieder Walzer connurent un immense succès à leur création. Schumann a régulièrement vanté le talent de Brahms, ils sont devenus très proches. Ce dernier tomba amoureux de Clara Schumann, mère de six enfants. Elle est de quatorze ans plus âgée que Brahms et elle est la femme de son mentor. À la mort de Schumann, en 1856, Clara s’éloigne de Brahms, c’est la fin de leur romance. Un peu plus tard, Brahms se rend compte que

Mercredi 27 février 2019

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LE CARNET DU CERCLE

« Venez comme vous êtes !» un entretien avec la secrétaire du Cercle du Grand Théâtre B rigitte V ielle par A lain D uchêne

© DR

Alain Duchêne Quel est pour vous le rôle le plus important du Cercle du Grand Théâtre de Genève aujourd’hui ? Brigitte Vielle Le principal rôle du Cercle aujourd’hui est de soutenir financièrement 2 ou 3 spectacles par an, choisis parmi les propositions du directeur, un gala donné par un artiste renommé et un spectacle à destination des familles grâce à l’engagement personnel de certains mécènes. Ses membres, personnes physiques ou entreprises se rejoignent dans une conviction commune : leur attachement à une institution genevoise de renom, phare pour le canton, reconnue parmi les scènes européennes. Dès la création du Cercle ses membres vivent des moments privilégiés, entretiens avec le directeur, entractes festifs pendant les spectacles, conférences, visites dans les coulisses de l’Opéra, rencontre avec les artistes lors d’accueils privés de chaque production. Ils ont également la possibilité de participer à des voyages organisés autour d’un opéra d’Europe. Cela a créé un esprit du Cercle dont on peut se réjouir aujourd’hui. AD Mais est ce suffisant pour l’avenir ? BV Chaque mécène s’engage financièrement pour des raisons qui lui appartiennent ! Mais il est vrai que des projets spécifiques nourrissent l’envie de l’engagement : prenons par exemple la vente de fauteuils pour l’Opéra des Nations comme aujourd’hui pour l’Opéra de Paris. Aux trois propositions faites actuellement aux membres du Cercle on pourrait en ajouter d’autres : le soutien au Ballet du Grand Théâtre de Genève, à des créations musicales, à l’introduction de nouveaux modes scéniques, à la communication sur la vie de la maison, au mécénat permettant l’accès de nouveaux publics, etc. Le mécénat bien compris devient alors une vraie aventure. Et c’est au Cercle qu’il appartient de convaincre de nouveaux mécènes ! AD Les mécènes sont-ils encore plus importants aujourd’hui qu’hier ?

[en-haut]

Le plafond d'étoiles du Grand Théâtre de Genève imaginé et créé par Jacek Stryjenski en 1962 va enfin s'animer pour la réouverture.

BV Toutes les grandes scènes s’appuient aujourd’hui sur un mécénat important et structuré ; bien-sûr, à Genève comme ailleurs, le nombre de mécènes peut et doit grandir : souvenons-nous qu’il y a une corrélation claire entre ce nombre et le rayonnement de l’institution ! Autre raison : le Grand Théâtre représente une lourde charge pour le budget culturel de la ville comme du canton qui ne

peut pas croître indéfiniment. C’est un défi pour le directeur de toujours et encore faire la preuve que cette institution n’est pas réservée à une élite mais que chaque citoyen devrait avoir envie d’en franchir la porte. Pour le relever, il lui faut un appui et des moyens donc plus de mécènes. Le Cercle remplit un rôle privilégié auprès de la direction et de son équipe par le soutien éclairé et l’engagement de certains de ses membres ; sa contribution financière permet la réalisation d’objectifs hors budget. C’est une bonne manière de participer au rayonnement du Grand Théâtre donc de Genève. AD Vous êtes une des instigatrices du projet de mapping vidéo de la façade du Grand Théâtre, parlez-nous un peu de la genèse de ce projet. BV Nous avons une fille qui vit avec sa famille à Lyon ce qui nous a donné l’occasion de participer à la traditionnelle Fête des lumières qui s’y tient chaque année début décembre. Ce n’est pas un hasard si près de 2 millions de spectateurs de tous âges arpentent la ville pendant ces soirées magiques. Tout ce qui compte d’agences spécialisées dans ce nouveau type d’animation musicale et scénique rivalise d’imagination pour faire revivre les grands bâtiments de la ville, leur passé, montrer leur spécificité, inciter le public à y rentrer, les déconstruire, puis les reconstruire, pour les projeter dans un futur interpellant. Réfléchissant à un évènement qui marquerait le retour du Grand Théâtre dans ses murs, place de Neuve, il m’a semblé qu’un mapping vidéo – ou fresque lumineuse – offrirait à la population de Genève un regard renouvelé sur sa longue histoire et dévoilerait la grande fourmilière que cache cette façade. La déconstruire devrait l’inciter à y entrer sans complexes ! Oui, l’opéra n’est pas seulement une affaire d’initiés ou de privilégiés : il doit s’ouvrir aujourd’hui à tous. Et le soutien financier du Cercle à ce projet sera une preuve visible d’un mécénat dédié à la passion d’un opéra pour tous. AD Que diriez-vous à de jeunes entrepreneurs, de jeunes mélomanes pour les inciter à rejoindre le Cercle du Grand Théâtre ? BV Parallèlement au souci d’attirer à l’opéra un large public comme à l’époque de la création des scènes d’Europe, le Cercle doit s’ouvrir à toutes les générations en cercles concentriques autour de projets moins coûteux et innovants leur permettant de découvrir un monde dont ils se sentent souvent très éloignés.

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e n t cl A C e

LE CARNET DU CERCLE

Fondé en 1986, le Cercle du Grand Théâtre s’est donné pour objectif de réunir toutes les personnes et entreprises qui tiennent à manifester leur intérêt aux arts lyrique, chorégraphique et dramatique. Son but est d’apporter son soutien financier aux activités du Grand

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rayonnement.

Rejoignez-nous !

© GTG / MARIO DEL CURTO

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Théâtre et ainsi, de participer à son

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«Venez comme vous êtes», vous trouverez dans la diversité de ce que propose l’institution de la création, de l’excellence, un monde performant moins lointain que vous ne l’imaginez. En dernier ressort, c’est bien au directeur avec la programmation de sa saison de vous inviter à la fête lyrique, mais c’est grâce aux mécènes que vous serez rejoints. Il ne tiendra qu’à vous de le devenir avec vos moyens lorsque vous aurez apprivoisé ce monde magique. Débarrassez-vous de cette vision poussiéreuse que vous avez de l’opéra de vos parents, ce n’est pas un sanctuaire endormi. Il répondra encore mieux à vos attentes le jour où vous mettrez le pied dans la porte de l’institution.

Nous serions heureux de vous compter parmi les passionnés d’ arts lyrique, chorégraphique et dramatique qui s’engagent pour que le Grand Théâtre de Genève conserve et renforce sa place parmi les plus grandes scènes européennes. Adhérer au Cercle du Grand Théâtre, c’est aussi l’assurance de bénéficier d'une priorité de placement, d'un vestiaire privé, d'un service de billetterie personnalisé et de pouvoir changer de billets sans frais. Vous participerez chaque année au dîner de gala à l’issue de l’Assemblée générale et profiterez des cocktails d’entracte réservés aux membres. De nombreux voyages lyriques, des conférences thématiques « Les Métiers de l’Opéra », des visites des coulisses et des ateliers du Grand Théâtre et des rencontres avec les artistes vous seront proposés tout au long de la saison. Vous pourrez assister aux répétitions générales et bénéficierez d'un abonnement gratuit à ce magazine. Vous recevrez également tous les programmes de salle chez vous.

BV Je lisais récemment un article sur la polémique créée par l’introduction dans l’Opéra Garnier à Paris pour son 350ème anniversaire de pneus géants dorés par un artiste contemporain. Qu’ont-ils à y faire ? Se moque-t’on du public ? La vraie question à mon avis n’est pas celle-là, mais plutôt quel impact cela peut-il avoir sur l’élargissement du public d’une maison d’opéra de grand renom ? Est-ce un gadget ou un moyen d’attirer sans déchoir à sa réputation un nouveau public qui franchisse la porte par curiosité et découvre un monde qu’il ne soupçonnait pas. Abandonnons cette vision élitiste et surannée d’un opéra réservé aux connaisseurs, intimidante donc qui exclu, en cassant peut-être certains codes mais sans concéder quoi que ce soit à la médiocrité. Notre passage par l’Opéra des Nations et l’excellente programmation de notre directeur à l’aube de son départ nous en a fait une première démonstration. Et je suis certaine que son successeur relèvera ce défi dans les prochaines années !

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AD Un souvenir au Grand Théâtre ?

BV La découverte en 1962 de la voûte étoilée de l’artiste Jacek Stryjenski dans la nouvelle salle : 1200 étoiles de verre lumineuses qui vont de nouveau clignoter pour la réouverture de la salle en 2019. Elles sont emblématiques d’un lieu magnifique où nous souhaitons des étoiles dans les yeux des 1500 heureux qui y prendront place pour chaque spectacle. Pour cela nous faisons confiance aux 350 collaboratrices et collaborateurs de ce beau vaisseau. ■

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(du lundi au vendredi de 8 h à 12 h) T + 41 22 321 85 77 F + 41 22 321 85 79 cercle@geneveopera.ch Cercle du Grand Théâtre de Genève CP 5126 1211 Genève 11

Nos membres Bureau M. Jean Bonna, président M. Rémy Best, vice-président* Mme Brigitte Vielle, secrétaire Mme Françoise de Mestral

Mme Denise Elfen-Laniado Mme Diane Etter-Soutter Mme Catherine Fauchier-Magnan Mme Clarina Firmenich M. et Mme Eric Freymond * également trésorier Mme Elka Gouzer-Waechter Mme Claudia Groothaert Autres membres du Comité M. et Mme Philippe Gudin Mme Christine Batruch de La Sablonnière Mme Claudia Groothaert Mme Bernard Haccius Mme Coraline Mouravieff-Apostol M. et Mme Philippe Jabre Mme Beatrice Rötheli M. et Mme Éric Jacquet M. Rolin Wavre M. Romain Jordan Mme Madeleine Kogevinas Membres bienfaiteurs M. et Mme Jean Kohler Mme René Augereau M. Marko Lacin M. Jean Bonna Mme Brigitte Lacroix Fondation de bienfaisance M. et Mme Pierre Lardy du groupe Pictet M. Christoph La Roche M. et Mme Pierre Keller Mme Éric Lescure Banque Lombard Odier & Cie SA Mme Eva Lundin M. et Mme Yves Oltramare M. Bernard Mach Union Bancaire Privée – UBP SA Mme France Majoie Le Lous M. et Mme Gérard Wertheimer M. et Mme Colin Maltby M. et Mme Thierry de Marignac Membres individuels Mme Mark Mathysen-Gerst S. A. Prince Amyn Aga Khan M. Bertrand Maus Mme Diane d’Arcis M. et Mme Olivier Maus M. et Mme Luc Argand Mme Béatrice Mermod M. Ronald Asmar M. et Mme Charles de Mestral Mme Christine Batruch-Hawrylyshyn Mme Jacqueline Missoffe Mme Maria Pilar de la Béraudière M. et Mme Christopher M. et Mme Philippe Bertherat Mouravieff-Apostol Mme Antoine Best Mme Philippe Nordmann M. et Mme Rémy Best M. et Mme Alan Parker Mme Saskia van Beuningen M. Shelby du Pasquier Prof. Julien Bogousslavsky Mme Sibylle Pastré Mme Clotilde de Bourqueney Harari M. Jacques Perrot Comtesse Brandolini d’Adda M. et Mme Wolfgang Peter Valaizon M. et Mme Yves Burrus M. et Mme Gilles Petitpierre Mme Caroline Caffin M. et Mme Charles Pictet Mme Maria Livanos Cattaui M. et Mme Guillaume Pictet M. et Mme Jacques Chammas M. et Mme Ivan Pictet Mme Muriel Chaponnière-Rochat M. et Mme Jean-François Pissettaz M. et Mme Claude Demole Mme Françoise Propper M. et Mme Guy Demole Comte de Proyart M. et Mme Olivier Dunant M. et Mme Christopher Quast

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AD Pour vous, quelle doit être l’institution lyrique ou l’opéra de demain ?

Pour recevoir de plus amples informations sur les conditions d’adhésion au Cercle, veuillez contacter directement : Madame Gwénola Trutat

M. et Mme François Reyl M. et Mme Andreas Rötheli M. et Mme Gabriel Safdié Marquis et Marquise de Saint Pierre M. Vincenzo Salina Amorini M. Julien Schoenlaub Baron et Baronne Seillière Mme Charlotte de Senarclens Mme Christiane Steck M. et Mme Riccardo Tattoni M. et Mme Kamen Troller M. et Mme Gérard Turpin M. et Mme Jean-Luc Vermeulen M. et Mme Julien Vielle M. et Mme Olivier Vodoz Mme Bérénice Waechter M. Gerson Waechter M. et Mme Stanley Walter M. et Mme Rolin Wavre Membres institutionnels 1875 Finance SA Banque Pâris Bertrand Sturdza SA FBT Avocats SA Fondation Bru International Maritime Services Co. Ltd. JT International SA Lenz & Staehelin Schroder & Co banque SA SGS SA

Organe de révision : Plafida SA Compte bancaire N° 530 290 MM. Pictet & Cie

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› Messa da Requiem

De Giuseppe Verdi

Direction musicale Teodor Currentzis Chœur & orchestre de Perm MusicAeterna Au Grand Théâtre de Genève Lundi 8 avril 2019

Talent ardent

par O livier G urtner

Sa direction est électrique, son répertoire éclectique, son regard perçant et son rythme puissant : Teodor Currentzis ne laisse personne indifférent. On le présente comme l’enfant terrible de la musique classique, lui se revendique de René Jacobs. Le chef basé à Perm viendra avec son orchestre diriger la Messa da requiem de Verdi, le 8 avril.

Teodor Currentzis

OLYAPRODUCTION RUNYOVA © WU

© ALEKSEY GUSHCHIN

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’était en septembre 2016, souvenez-vous : il a électrisé l’Opéra des Nations avec The Indian Queen. Le public genevois découvrait cet homme cent mille volts. On ne parle pas de Gilbert Bécaud, mais bien de Teodor Currentzis. Son orchestre et Chœur MusicAeterna sont à Perm, ville moyenne perdue au centre de l’immense Russie. Tous viendront au Grand Théâtre le 8 avril donner la messe de Giuseppe Verdi. L’œuvre est donnée dans le cadre d’une tournée européenne : le 26 mars à la Philharmonie de Paris dessinée par Jean Nouvel, deux jours plus tard à Bruxelles, le 2 avril à la magnifique Elbephilharmonie – la soirée affiche complet – ou encore le 9 au prestigieux KKL de Lucerne. À Genève, la scène sera occupée par l’orchestre, le chœur et le maestro, ainsi que les artistes solistes Zarina Abaeva (soprano), Hermine May (mezzo-soprano) et la basse Tareq Nazmi. La Messa da Requiem a été composée à une période particulière de Verdi, en 1874, au milieu d’un vide de seize années durant lesquelles il n’écrivit aucun opéra. Sa messe est un hommage à Alessandro Manzoni, figure du Risorgimento, mouvement ayant contribué à l’unité italienne et auquel participa largement le

compositeur. Donnée pour la première fois en 1874 à l’Église San Marco de Milan, la messe connut un grand succès et rapidement en Europe, notamment Londres et Munich. À Genève, il faut se réjouir que Teodor Currentzis y apporte son regard, celui d’un chef énergique, à l’origine d’enregistrements ayant fait date – son Don Giovanni et son Così fan tutte chez Sony – et très respectueux des instruments anciens. Rendez-vous donc le 8 avril pour cette soirée qui affiche déjà… complet ! ■

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GROS PLAN

Gérer l’intime un entretien avec S onia F erreira G omez sous-cheffe du service habillage du Gra nd Théâtre de Genève par T ania R utigliani

© GTG / CAROLE PARODI

le squat du Goulet (Haut-lieu genevois de la culture hip-hop dans les années 90, Ndlr). Il s’agissait de maquiller le corps d’un artiste et le cadre, l’ambiance m’ont fait découvrir ma nouvelle vocation pour le monde du spectacle. Peu à peu, je me suis intéressée au monde de la couture et du stylisme et entrepris une formation. Pendant des années, j’ai travaillé sur des tournages de film et au fur et à mesure des courts métrages, j’ai pu apprendre à connaître toutes les facettes du métier. Puis j’ai découvert l’opéra et j’y suis toujours ! TR Y a-t-il une production qui vous a particulièrement marqué au Grand Théâtre ? SFG Le Ring de Wagner (saison 2013/14) m’a particulièrement marqué, certaines scènes resteront gravées de manière indélébile dans ma mémoire. C’était à mes débuts à l’opéra et ma première rencontre avec Wagner. En studio de répétition, la pièce m’a paru austère et incompréhensible. J’ai alors commencé à lire, à m’informer, à essayer de comprendre cette œuvre monumentale. Une fois arrivée sur scène, l’œuvre a pris une dimension différente et quand finalement l’orchestre nous a rejoint, j’étais complètement sous le charme. Je me souviens encore des enclumes dans Das Rheingold, en coulisse le bruit était assourdissant et c’était difficile d’imaginer qu’un tel vacarme puisse être perçu de manière musicale par le public. Un jour j’ai décidé d’aller écouter cette scène dans la salle et les fracas de ces monstrueuses enclumes se sont transformés en doux son de clochettes. Ma rencontre avec ce compositeur et, en particulier, cette production est à l’image de ces enclumes, ce qui m’a paru difficile d’accès au début s’est transformé en musique sensuelle et romantique au fur et à mesure.

[ci-dessus & en-haut]

Sonia Ferreira Gomez dans les coulisses de l'Opéra des Nations.

TR Pour vous, travailler au Grand Théâtre de Genève c’est... ? SFG La possibilité de travailler avec des artistes et des artisans de tous les horizons et, tous les deux mois, de raconter une nouvelle histoire à notre public. ■ © GTG / CAROLE PARODI

Tania Rutigliani Vous êtes sous-cheffe au service habillage du Grand Théâtre de Genève. En quoi consiste votre métier ? Sonia Ferreira Gomez Comme le nom l’indique, un habilleur ou une habilleuse aide les artistes avec les costumes qu’ils portent sur scène. Il ne s’agit pas de simplement les aider à enfiler un costume, mais de créer un confort autour des chanteurs, acteurs et figurants qui leur permet d’être focalisés sur ce qu’ils doivent accomplir sur scène. C’est un métier où il faut savoir gérer des notions d’intimité et de pudeur, on s’aventure dans la sphère privée de ces artistes et le but de notre métier est qu’ils soient à l’aise en toutes circonstances. En général, chaque artiste a une habilleuse ou un habilleur attitré ce qui permet de créer des petits rituels autour des changements de costumes – souvent cela leur permet de se détendre. Il faut de l’empathie, de la sensibilité pour jongler avec le bien-être de la personne tout en respectant les contraintes et les timings serrés de l’opéra. Le reste du travail est surtout de la gestion de temps et d’espace, il faut comprendre la pièce et la production et déterminer tous les besoins en amont – c’est-à-dire connaître chaque personnage, savoir où et combien de fois il change de costume dans l’œuvre, combien de temps il a pour chaque changement et créer des loges de changements en fonction. En tant que sous-cheffe, je suis également responsable de la gestion de l’équipe d’habilleurs et d’habilleuses qui travaillent sur une production. Je choisis les équipes, prépare les plannings et toute la logistique nécessaire autour des costumes. Comme la plupart des métiers à l’opéra, il y a aussi une partie importante d’interactions et de coordination avec les autres services et corps de métiers. Il y a également toute la question de l’entretien des costumes. Ceux-ci sont nettoyés entre chaque utilisation et chacun d’eux a un mode d’emploi bien défini. La manière dont un costume est traité, par exemple s’il est décoré, patiné ou vieilli, va beaucoup influencer le temps et le matériel nécessaire à l’entretien. Il ne faut pas oublier que quand on parle de costume, il s’agit de tous les vêtements portés sur scène, ce qui fait un nombre considérable de pièces à nettoyer à la fin de chaque représentation. Certains costumes sont presque des œuvres d’art et il faut apprendre à les manipuler, par exemple, sur une production de Faust la saison dernière, Marguerite portait une robe en miroirs – celle-ci devaient être nettoyée facette par facette puis stockée de manière à ne pas être abîmée. Chaque spectacle a ses spécificités, il faut savoir s’adapter et rester pleins de ressources.

[ci-contre]

Les profondeurs du Nibelheim dans Das Rheingold avec le fracas des enclumes ont marqué la première rencontre de travail de Sonia avec l'opéra en 2013.

TR Et quel est votre parcours ? SFG J’ai débuté dans la coiffure, puis, à 18 ans, j’ai assisté une amie pour un maquillage lors d’un tournage d’un clip vidéo dans ACT­­- O | 38 . 19

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L'art et le savoir se regardent..

S © DR

par Martin Rueff

[en-haut]

Melpomène, La muse de la tragédie sur la façade du Grand Théâtre semble regarder au loin l'Université en face dans le Parc des Bastions.

© GTG / FABIEN BERGERAT

Professeur à l’Université de Genève depuis 2010, Martin Rueff est normalien et enseigne au département de langue et de littérature françaises modernes. Parmi ses domaines de recherche, il travaille sur la littérature et la pensée française du XVIIIème siècle, l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau ou encore la théorie littéraire et la poésie italienne. Fin amateur de musique, il tisse un lien entre alma mater et scène de Neuve.

i, comme l’écrit Mallarmé dans ses Notes sur le théâtre rédigées en 1887, le « Théâtre est d’essence supérieure », il doit ses prérogatives à la scène : « la scène est le foyer évident des plaisirs pris en commun, aussi, et tout bien réfléchi, la majestueuse ouverture sur le mystère dont on est au monde pour envisager la grandeur, cela même que le citoyen, qui en aura idée, fonde le droit de réclamer à un État, comme compensation de l’amoindrissement social ». Pouvoir public dès lors que confrontation en commun des corps parlants, chantants, dansants pour agir ensemble, tel est le théâtre qui défie, réclame, exige à sa place, la place du politique. Aller au théâtre, entendons bien, s’y rendre, pour s’émouvoir des puissances mêlées des arts, qu’est-ce sinon prendre à rebours, côte à côte, les exigences abrutissantes des formes spectaculaires de l’anomie d’aujourd’hui ? Branchés, câblés, obnubilés d’écrans et d’obsessions digitales factices, les spectateurs décident en commun de s’asseoir à leur place pour s’émouvoir ensemble et se taire de concert jusqu’à l’applaudissement final, cette volée crépitante au bout de l’excitation nerveuse et de l’attente. Nul écran, nulle interface, nulle médiation, sinon, bruissante, illuminée des regards échangés et parfois brillants de larmes, la salle dans l’obscurité plongée qui vibre à l’unisson de l’accord prolongé, de la forme élevée, du mot et de la note. Aussi le retour du Grand Théâtre au centre de la ville est-il bonne nouvelle et symbole et augure. Bien connue, l’histoire en ses dates : l’arrêt de 1606 qui défend qu’on joue la comédie sans l’autorisation du Conseil, l’arrêt de 1732 qui interdit le théâtre. En 1758, Rousseau croise le fer avec d’Alembert dans une lettre célèbre dont un des enjeux de pratique concerne « le projet » du second « d’établir un théâtre de comédie à Genève ». D’Alembert croit possible l’union de la sévérité et de la douceur – il veut marier Sparte à Athènes sur la scène de Genève. Rousseau s’insurge pour sauver la première contre les alanguissements de la seconde. Le théâtre devient dès lors un casus belli dans les luttes civiles qui opposent les représentants de bourgeoisie et les familles patriciennes. Le premier véritable théâtre de Genève, à l’entrée du Bastion, est construit en avril 1766 à la demande expresse du médiateur de Versailles, sollicité par le patriciat. Cette « Grange aux étrangers », en bois, due au Lyonnais Argus Rosimond brûle le 30 janvier 1768. On accusera Rousseau d’avoir allumé par avance une mèche. Quinze ans plus tard, pour répondre à la demande des troupes d’occupation françaises, appelées à la rescousse par le patriarcat pour mettre fin à la révolution de 1782, Matthey édifie un théâtre en dur que dirige Collot d’Herbois avant de devenir le « tigre » qui vote la mort de Capet et celle de Robespierre. Pendant la révolution genevoise, de 1793 à 1798, la salle du théâtre se mue en Grand Club, lieu quotidien du débat genevois. Cette salle retourne aux arts et le théâtre rouvre ses portes à la Restauration en 1817. Pourtant, à en juger par les manifestants qui s’en prennent à lui comme symbole du pouvoir, on ne dira pas que le théâtre s’est libéré de la politique. Quoi qu’il en soit, au 19ème siècle, le théâtre de Matthey est jugé trop petit pour la ville. On envisage de le remplacer. En 1874, le

La boucle est bouclée, le Grand Théâtre de Genève retrouve sa place de Neuve, face à l’Université. Un monde familier à Martin Rueff, professeur de langue et littérature françaises modernes à l’Université de Genève. Spécialiste de Jean-Jacques Rousseau, il met en exergue cet important changement dans une cité qui a connu un rapport au théâtre agité.

projet de l’architecte genevois Jacques-Élysée Goss est adopté, et en janvier 1875 les travaux commencent à l’emplacement des anciens fossés de Neuve. On les appelait la « Grande Mer ». Goss s’inspire du Palais Garnier. Le Grand Théâtre est inauguré le 2 octobre 1879 – opéras comiques, vaudevilles, concerts symphoniques alternent. Des compositeurs célèbres viennent diriger leur création au Grand Théâtre. Des sociétés se succèdent à la tête de la scène de Neuve – Société de musique symphonique (1915-1925), Société romande de spectacles (1934-1939). Le 1er mai 1951, à midi, lors de la préparation du troisième tableau de La Walkyrie juste avant la générale, des essais de flammes avec une bombonne d’oxygène comprimé déclenchent un violent incendie qui détruit la scène et toutes ses machineries. Le rideau de fer s’effondre. Le sinistre gagne la salle – seuls le foyer et l’avantfoyer sont épargnés par l’incendie. D’émouvantes photos attestent le désastre : l’une fait voir une nuée sombre qui s’élève sur la ville comme un mauvais génie qui s’échappe d’un toit, sur une autre le jour traverse la salle comme une mine à ciel ouvert sous l’œil de statues noircies. On dirait quelque bombardement. Ce second désastre a détruit des peintures, des bustes, des médaillons. Pendant les dix ans que durent les travaux, les saisons lyriques sont organisées au Kursaal (Grand Casino). Cet exil permet la modernisation du Grand Théâtre – et le ciel de Stryjenski apparaît lors de la réouverture en décembre 1962. S’excepte une constellation. Depuis, de rénovations en modernisations, le théâtre était resté à sa place, fermé un an seulement entre 1997 et 1998 pour des travaux d’envergure. Le voici, après trois ans de vie hors les murs, rénové, rutilant, ouvert au centre de la ville. Entre le Conservatoire et le Musée Rath, aux pieds du bastion et face au parc, il est à sa place, revenu parmi les siens. Un ajout : que le Grand Théâtre prenne place à deux pas de l’Université, que l’art et le savoir se regardent, qu’ils se toisent pour que la nuit venue, les élèves et leurs professeurs viennent admirer les arts de la musique et du ballet, n’est pas une mince leçon. Inventer une nouvelle entente des sensibilités devant le mystère de la scène, et au-delà, dans l’espace public, n’est-ce pas ce qu’il faut réclamer, n’est-ce pas ce à quoi il faut œuvrer, de concert ? ■

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