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| Novembre / Décembre 2018 / Janvier 2019 N° 37

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Le journal du Cercle du Grand Théâtre et du Grand Théâtre de Genève

LE CONVENIENZE ED INCONVENIENZE TEATRALI

La mamma s'invite pour les fêtes

L'ELISIR D'AMORE PER I BAMBINI

Choisissez la couleur de votre élixir d'amour

OPÉRA DE PÉKIN

Un Roi singe s'empare de l'Opéra des Nations

RIVE GAUCHE

L’Opéra retrouve ses foyers

CRÉATION MONDIALE

La Promesse du désir

Wahada, un ballet qui tient ses promesses

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Le convenienze ed inconvenienze teatrali

La Mamma nous révèle tout !

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L'elisir d'amore

De quelle couleur est votre élixir ? Cher public,

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Le retour

Le Grand Théâtre retrouve ses foyers

C’est probablement le dernier numéro de notre magazine que nous vous proposerons depuis la Place des Nations où nous avons vécu de belles aventures ensemble et où nous vivrons d’autres projets encore jusqu’à la fin janvier 2019. Ce sont pour nous et pour vous les ultimes occasions de partager quelques moments festifs dans ce lieu qui fait rêver et qu’on nous envie toujours. Après Paris, Genève, le Théâtre éphémère, l’Opéra des Nations s’en va à Pékin, emportant avec lui les riches heures que nous avons pu partager avec vous et grâce à vous. Le Ballet du Grand Théâtre, de retour de plusieurs tournées, notamment à Cuba où il présentait Carmina Burana créé à l’Opéra des Nations, vous invite à découvrir son nouveau programme, Wahada (La Promesse en arabe), la promesse d’un moment de poésie et de qualité, auquel ce fleuron genevois de la danse nous a habitués. Pour célébrer la fin de l’année, nous vous invitons à quitter la grisaille et la morosité en venant rire grâce à Laurent Pelly. Immiscez-vous dans une répétition d’opéra et partagez les caprices des divas lorsque un(e) ? castafiore, Mamma Agata vient semer le trouble. Le titre de l’œuvre de Donizetti n’est certes pas très connu, Le convenienze ed inconvenienze teatrali. Viva la Mamma!, une satire de l’opéra, mais ce qui est certain c’est que vous passerez un délicieux moment avec Patrizia Ciofi, Melody Louledjian et Laurent Naouri, entre autres. Et Donizetti continuera à nous séduire avec L’Elisir d’amore per i bambini que nous présente l’Académie du Théâtre de La Scala. Un spectacle pour tous les enfants de 4 à 99 ans. Le spectacle connaît un immense succès à Milan avec plus de 25 représentations programmées, avec les solistes et l’Orchestre de l'Académie de La Scala. Pour clore le livre de l’Opéra des Nations, la troupe de l’Opéra de Pékin nous invite à un voyage vers l'Empire du Milieu. Ensemble, découvrons un pan de la culture chinoise, les aventures de Sun Wukong, le roi des singes, enragé parce qu’il ne figure pas parmi les invités, les plus grands immortels de l’empereur de Jade. Le crépuscule étend progressivement ses ailes sur l’Opéra des Nations, une aube nouvelle s’annonce sur l’autre rive. Fêtons ensemble ces moments et acceptez que l’ensemble du personnel du Grand Théâtre vous souhaite de joyeuses fêtes de fin d’année et une nouvelle année remplie de surprises heureuses.

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Wahada

La promesse d’un corps à corps

Tobias Richter Directeur général

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Opéra de Pékin

Un voyage vers l'Orient

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Le thème du retour

3 ans sur la rive droite

CP 5126 - CH-1211 Genève 11 T +41 22 322 50 00 F +41 22 322 50 01 grandtheatre@geneveopera.ch Directeur de la publication Responsable éditorial Responsable graphique & artistique Ont collaboré à ce numéro Impression

geneveopera.ch

Tobias Richter Alain Duchêne Aimery Chaigne Jean Bonna, Daniel Dollé, Aurélie Elisa Gfeller, Olivier Gurtner, Isabelle Jornod, Tania Rutigliani, Patrick Vallon FOT SA

Parution 4 éditions par saison ; achevé d’imprimer en novembre 2018. 3 000 exemplaires. Il a été tiré 42  000 exemplaires de ce numéro encartés dans le quotidien Le Temps.

La couverture Le baiser entre la danseuse Tiffany Pacheco et le danseur Armando Gonzalez Besa : symbole de la chorégraphie d'Abou Lagraa pour le ballet Wahada

Photo Grégory Batardon Direction artistique Aimery Chaigne

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Prochainement dans le n°38 Le Ring 12/02 > 17/03/2019 Il Pirata 22-24/02/2019 Liebeslieder Walzer 27/02/2019

Sara Baras - Sombras 28/02 > 03/03/2019 Sarah Connolly 07/03/2019 Entre Réel & Illusion théâtrale 27 > 31/03/2019 Messa da Requiem 08/04/2019

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(Hors tarif jeune et hors spectacles invités) Pour bénéficier de cette offre, envoyer un courriel à privileges@letemps.ch ACT­­- O | 37

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Les danseurs Cécile Robin-Prévallée et Damiano Artale lors de la création de Roméo et Juliette en 2009

Et de 100...

© GTG / MAGALI DOUGADOS

Ascanio Carmen en CD à la télé

© ÉRIC BOUVET

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e 23 décembre, si vous êtes libres, profitez de regarder l’intégrale de la Carmen signée Reinhild Hoffmann. La production qui a fait un carton sera diffusée à 23h15 sur RTS 2, grâce au précieux soutien de REYL & Cie. Une occasion toute trouvée pour revoir Ekaterina Sergeeva dans le rôle-titre, Sébastien Guèze en charmant Don José et Ildebrando D’Arcangelo en ténébreux Escamillo ! Les plus pressés – et matinaux – se lèveront tôt pour regarder la retransmission des extraits sur RTS 1, le même jour à 8 h. ■

© GTG / CAROLE PARODI

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in novembre 2017, événement à l’Opéra des Nations : Ascanio de Saint-Saëns est joué pour la toute première fois en intégrale. Cette première exécution absolue de la version conforme au manuscrit autographe de 1888 (vous suivez ?) a été dirigée par Guillaume Tourniaire. L’opéra relate la vie du célèbre sculpteur Benvenuto Cellini, dans ses moments parfois difficiles à la Cour de France où son jeune protégé Ascanio était la cible des convoitises courtisanes. Ceux qui ont manqué ces soirées en partenariat avec la HEM pourront l’apprécier en disque, disponible notamment à la billetterie du Grand Théâtre. ■

Le Chœur du Grand Théâtre lors de la Générale de Boris Godounov en octobre 2018 à l'Opéra des Nations

On aime nos chanteur(euse)s

Samantha Hankey chantait Siebel dans le Faust de Gounod à l'Opéra des Nations en 2018.

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ondée par Plácido Domingo, la compétition internationale de chant Operalia a récemment célébré trois habitués du Grand Théâtre : Migran Agadzhanyan, Samantha Hankey et Marina Viotti. Migran et Marina ont été solistes en résidence au Grand Théâtre, Samantha a chanté dernièrement Siebel dans le Faust dirigé par Michel Plasson. Migran Agadzhanyan et Samantha Hankey ont remporté le 2ème Prix tandis que Marina Viotti est parvenue jusqu’en finale. Félicitations aux trois ! ■

© GTG / MAGALI DOUGADOS

© GTG / GRÉGORY BATARDON

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vant la France et une tournée inédite à Cuba cette saison, la compagnie du Ballet du Grand Théâtre de Genève est passée par la Chine où elle a célébré la 100ème représentation de Roméo et Juliette créé en 2009 par Joëlle Bouvier. Magnifique ambassadeur pour l’institution mais également pour la Ville de Genève, la troupe de Philippe Cohen continue d’inspirer des milliers de spectateurs de par le monde. Prochaine étape... Genève ! avec la création mondiale d’Abou Lagraa, Wahada (La Promesse). Lisez notre article en page 8. ■

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ON EN PARLE

La «Superba» quitte la scène

© GEOFF WILKINSON / SHUTTERSTOCK

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e 6 octobre 2018, on apprenait que Montserrat Caballé était décédée dans un hôpital de Barcelone, sa ville natale, à l’âge de 85 ans. Pendant plus de 50 ans, elle a subjugué les publics du monde entier grâce à son art du pianissimo et à sa puissance vocale. Son répertoire était extrêmement vaste : Bellini, Rossini, Puccini, Donizetti, Mozart, sans oublier Strauss ou Wagner. Celles et ceux qui étaient au Théâtre antique d’Orange, en 1974, se souviennent d’une Casta Diva inégalée. Cette représentation restera parmi les plus grands triomphes de la superbe cantatrice catalane. La chanson traditionnelle espagnole n’avait pas de secret pour elle et elle interprétait volontiers des zarzuelas. La passion du chant l’habitait. En 1988, elle apparaît en duo avec Freddie Mercury pour interpréter « Barcelona » qui deviendra l’hymne des jeux Olympiques de Barcelone en 1992. Née dans une

famille modeste, elle étudie au conservatoire du Liceu. Elle fait ses débuts en 1956 à l’Opéra de Bâle dans La Bohème. Avec environ 80 rôles à son répertoire, elle ne s’est jamais laissée griser par ses immenses succès planétaires. Elle n’oublie pas qu’un jour elle a dû arrêter ses études pour gagner de l’argent en tant qu’ouvrière dans une fabrique de mouchoirs. Grâce à des mécènes qui ont apporté un soutien à sa famille, la « Caballé » a pu développer sa passion. Cette générosité, elle ne l’a jamais oubliée en créant deux fondations, l’une pour les enfants atteints de mongolisme, l’autre pour les enfants défavorisés de Barcelone. Donner du bonheur à l'être humain constituait son plus cher désir. Le Grand Théâtre où elle avait notamment chanté La Gioconda de Ponchielli en 1979, dans une mise en scène d’Andreas Miko sous la direction du regretté Jesús López Cobos, rend hommage à son grand talent, à sa modestie et à sa générosité. ■

Am Stram Gram en deuil

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la création à Genève d’Am Stram Gram transforma le paysage culturel local en offrant un lieu de choix pour le théâtre destiné au jeune public. Il mit en scène de nombreuses créations, notamment Les Bijoux de la Castafiore qui remporta un véritable triomphe et reçut le grand prix suisse de théâtre, l’Anneau Hans-Reinhart. « Enfants et adultes, nous

partageons le même monde, mais nous ne le voyons pas à la même hauteur. Les artistes qui dédient leur travail de scène à la jeunesse trouvent les mots justes, les émotions profondes, les espaces et les sons stimulants, les images parlantes. Leur leitmotiv : toujours du sens, du sensible et une bonne dose d’humour. » Dominique Catton. ■

© DR

e théâtre genevois perd l’une de ses grandes figures. Dominique Catton s’en est allé en septembre dernier. Le comédien, metteur en scène et dramaturge a transmis sa passion du théâtre à des générations. Il débuta sa carrière au théâtre de l’Atelier avec François Rochaix (1964-1974). Dix ans plus tard,

Le Chœur en tête

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e chœur du Grand Théâtre de Genève a été plébiscité dans la revue Opernwelt dans son classement annuel. Dans le Opernwelt Jahrbuch 2018, le critique Peter Krause (Die Welt, Concerti) nomme la troupe d’Alan Woodbridge comme le meilleur chœur de l’année 2018. Une belle reconnaissance pour cet ensemble d’une qualité rare. Bravi! ■

Son dernier rideau

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ar un jour de septembre, à l’approche de l’automne, avec sa discrétion habituelle, Olivier Mathey nous a quittés. Nous n’entendrons plus sa voix dans les retours du Grand Théâtre. Il était depuis de nombreuses années un des fidèles régisseurs régulièrement invités par la scène lyrique genevoise. Il était connu et apprécié par le personnel de l’institution, mais également par les équipes de production qui venaient monter des spectacles à la place de Neuve ou à l’Opéra des Nations. Il agissait comme le capitaine de vaisseau, toujours sur le pont, depuis la

première répétition jusqu’au jour où tombait le dernier rideau. À chaque spectacle, il prenait place, côté jardin, après avoir vérifié que tous les artistes étaient présents et que tous étaient à leur poste, afin de lancer le spectacle, à l’heure précise, avec le noir salle et l’entrée du chef. Ses commandements aux équipes techniques, ses appels en loge étaient d’une grande rigueur et tous appréciaient sa précision et son professionnalisme. L’annonce de sa maladie provoqua une grande tristesse parmi le personnel du Théâtre, car il était devenu un habitué, un ami. Lorsque avec beaucoup de regrets il a dû renoncer à participer à

des productions que la cheffe de la régie, Chantal Graf, lui avait confiées, l’inquiétude s’installa, car il n’était pas personne à abandonner pour un mal bénin. Avec détermination, il s’est battu jusqu’à la dernière heure contre ce mal qu’on préfère ne pas nommer. Nous n’entendrons plus ses appels en loge, nous ne croiserons plus son regard jovial, le dernier rideau est tombé sur sa vie, alors qu’il lui restait tant de choses à faire et à dire. Une chose est sûre, la vie continue, mais Olivier restera longtemps gravé dans nos mémoires, car il est impossible d’oublier des hommes de l’ombre comme lui. ■

La générosité au cœur

Migran Agadzhanyan était Demo dans Il Gisasone à l'Opéra des Nations en 2017.

© LE TEMPS

© GTG / MAGALI DOUGADOS

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igure marquante de la vie culturelle genevoise, Françoise Demole a reçu le Prix de la Fondation pour Genève le 1er octobre dernier, une manière de remercier cette personne à l’énergie inépuisable et à l’infatigable générosité. À l’issue d’une soirée marquée par l’hommage signé Costin van Berchem, l’intéressée a finalement accepté l’honneur, mais à une condition : en faire un Prix pour l’engagement des plus jeunes en faveur de la Genève internationale ! À Françoise mais aussi à Guy, un immense merci ! ■

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OPÉRATION VIVA LA MAMMA!

Mamma nous révèle tout I par Daniel Dollé

maginez une troupe en pleine répétition de l’opéra Romulus et Ersilia dans un théâtre de « province », lorsque l’ego des artistes se met en travers du bon déroulement des choses. La prima donna refuse de suivre les indications du metteur en scène qui désespère et s’arrache les cheveux. Comme si cela ne suffisait pas, un(e) Castafiore manqué(e) déboule en pleine répétition afin de promouvoir sa fille. C’est Mamma Agata, Laurent Naouri, en travesti masculin, la mère de la seconda donna qui exige un grand solo et un duo avec la prima donna pour sa fille. On en vient aux mains (gentiment). Certains artistes fuient la production, le projet semble tourner au fiasco. Mais c’est sans compter sur Mamma Agata qui devient le deus ex machina du spectacle. Lorsque Mamma Agata interprétera « Assisa a’ piè d'un sacco… », cela vous rappellera probablement quelque chose. ■

« Ce dramma giocoso est une métaphore de la vanité humaine. » Laurent Pelly

[ci-contre]

Patrizia Ciofi (Daria, prima donna) exprimant toute l’étendue de son talent devant Pietro Di Bianco (Biscroma Strappaviscere, chef d'orchestre), Enric Martinez-Castignani (Cesare Salsapariglia, poète) et Dominique Beneforti (Le Directeur du théâtre) lors de la générale à l’Opéra de Lyon en 2017.

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OPÉRATION VIVA LA MAMMA!

N’avez-vous jamais rêvé de vous immiscer dans une répétition, de jeter un œil dans cette cuisine où grouillent les marmitons du lyrique, en train de préparer un festin pour vos oreilles et pour vos yeux ? Gaetano Donizetti vous en donne l’occasion, comme Mozart l’a fait dans le Schauspieldirektor, ou Strauss dans Ariadne auf Naxos. Le convenienze ed inconvenienze teatrali. Viva la Mamma! est un cadeau idéal et constitue une sortie familiale de rêve et divertissante pour les fêtes de fin d’année. À coups de catastrophes en chaîne, Donizetti se moque avec tendresse du théâtre lyrique et de sa folie, cette folie qui trop souvent manque au monde actuel. Les convenances volent en éclats et les egos, ainsi que les frustrations s’exacerbent. Venez découvrir un surprenant décor unique et double à la fois de Chantal Thomas où prend place la mise en scène millimétrée et inventive de Laurent Pelly. Ce dernier, le baryton Laurent Naouri et la soprano Patrizia Ciofi nous racontent leur expérience de cette production. un entretien avec le metteur en scène Laurent Pelly par Tania Rutigliani

Tania Rutigliani Votre mise en scène et les décors de Chantal Thomas que racontent-ils ? Pour vous Viva la mamma! c’est...? Laurent Pelly … une comédie, une œuvre burlesque qui plonge le spectateur dans les coulisses d’un opéra avec beaucoup d’humour. Mais c’est aussi une comédie mélancolique qui apporte un regard à la fois satirique et tendre sur un monde désuet. C’est une farce, mais une farce triste, un fenêtre sur un monde qui disparaît. La vision de Donizetti sur le théâtre lyrique a quelque chose d’amer voire de pathétique. On navigue dans un univers de divas capricieuses et d’artistes ratés. Dans cette production, Chantal Thomas (décors) et moi avons créé un cadre qui nous permet d’aborder la question de l’art qui disparaît dans ce monde où l’économie de marché prend le dessus. Nous nous sommes inspirés des images de théâtres et cinémas américains reconvertis en parking ou en boutiques. Dans la première partie, les spectateurs pourront voir un parking – anciennement un théâtre de province dont on devine encore les contours, peuplé

de fantômes : les personnages de Viva la mamma! Dans la seconde partie, comme dans un flashback, on retrouve un demi-théâtre à l’italienne, rouge et or, où les fantômes reprennent corps. C’est un changement de décor imposant et brutal qui permet de mettre en parallèle ces deux mondes. Dans notre lecture de l’œuvre la scénographie est très importante, nous avons voulu agencer l’espace avec soin et poésie. La comédie est un genre délicat où il faut savoir rester sur le fil entre la farce et le drame sinon on prend le risque de devenir lourd, vulgaire ou gras. J’affectionne les œuvres de Donizetti car, avec beaucoup d’humour, elles offrent un regard mélancolique sur les éléments de société qu’elles décrivent. Ces aspects pathétiques, très inspirés de la commedia dell’arte, sont particulièrement émouvants.

› Le convenienze ed inconvenienze teatrali (Viva la mamma!) Dramma giocoso en 2 actes de Gaetano Donizetti

Direction musicale

Gergely Madaras Mise en scène & costumes Laurent Pelly Décors

Chantal Thomas Lumières Joël Adam Mamma Agata

Laurent Naouri

Daria, prima donna

TR À quel point la satire du monde lyrique est-elle encore d’actualité ?

Patrizia Ciofi

Procolo, son mari

David Bizic

Luigia, seconda donna

Melody Louledjian

LP L’égocentricité est d’actualité, un aspect qui n’est pas uniquement l’apanage du monde lyrique ! Ce dramma giocoso est une métaphore de la vanité humaine. Les personnages sont excessifs et insupportables, comme tout un chacun. Dans Donizetti, on retrouve souvent cet aspect féroce rappelant l’âge d’or de la comédie italienne, notamment chez Carlo Goldoni.

Guglielmo, primo tenore

Luciano Botelho

Biscroma Strappaviscere, chef d'orchestre

Pietro Di Bianco

Cesare Salsapariglia, poète

Enric Martinez-Castignani

Pippetto

Katherine Aitken

L’Impresario

Daniel Djambazian

Le Directeur du théâtre

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L’Orchestre de Chambre de Genève Chœur du Grand Théâtre de Genève Direction Alan Woodbridge

À l’Opéra des Nations du 21 décembre 2018 au 3 janvier 2019

© GTG / MAGALI DOUGADOS

© BERTRAND STOFLETH

Rodrigo Garcia

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OPÉRATION V CA I VRAM EL A N MAMMA!

En fosse, L’Orchestre de Chambre de Genève

un entretien avec le baryton Laurent Naouri par Tania Rutigliani

Tania Rutigliani Décrivez-nous cette production. TR Est-ce difficile de travailler avec des chanteurs lyriques et de réussir à les faire rire de leurs propres défauts ? LP Cela dépend des chanteurs. Laurent Naouri et Patrizia Ciofi ont du vécu, du coup, cela les amuse beaucoup. On a surtout joué ensemble à explorer leurs personnages. Il ne faut pas oublier que l’œuvre est complexe, c’est un collage de différents éléments. Pour maintenir une tension dramatique, il faut adopter l’attitude d’un explorateur. L’œuvre ne prend forme que si on lui donne une réalité et une cohérence. Dans la comédie, cela signifie surtout travailler avec beaucoup de précision, comme un horloger. Il faut trouver le bon équilibre entre amusement et rigueur absolue. TR Quels éléments de la musique de Donizetti vous ont particulièrement marqués ? LP Certains numéros d’ensemble, en particulier l’octuor qui suit le premier air de la Prima Donna, m’ont fascinés. Donizetti, dans sa folie créatrice et avec son génie, réussit à apporter du burlesque et un regard critique, distant sur son époque. C’est cette vitalité méditerranéenne et le génie comique qui m’ont marqué – dans toutes ses œuvres, pas uniquement Viva la mamma! TR Conseilleriez-vous cette œuvre à des spectateurs qui découvrent l’opéra pour la première fois ?

© BERTRAND STOFLETH

Ces dernières saisons, le Grand Théâtre de Genève accueillait L’Orchestre de Chambre de Genève (L’OCG) pour accompagner des voix d’envergure internationale telles Joyce DiDonato et Sonya Yoncheva ; ou encore pour animer la soirée jeune public aux côtés de Joan Mompart ( Figaro-ci, Figaro-là ! ). En cette fin d’année, L’OCG occupera la fosse pour Le convenienze ed incovenienze teatrali ! Depuis sa création en 1992, L’OCG propose des saisons de concerts dont les programmes s’articulent chacun autour d’une thématique et privilégient les périodes classiques et préromantiques, sans oublier quelques incursions dans la musique de la fin du XIXème siècle et du XXème siècle. L’orchestre prend à cœur sa mission pédagogique et la diffusion culturelle de proximité. Signe d’une implantation locale forte, l’orchestre collabore étroitement et présente de nombreux programmes et de fructueuses collaborations artistiques avec diverses institutions culturelles et pédagogiques de Genève, notamment les formations chorales.

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LP C’est toujours extraordinaire de découvrir l’opéra. Viva la mamma! est particulièrement accessible par son langage et les situations burlesques. Le personnage de Mamma Agata (un rôle de femme chanté par un homme à la tessiture de basse) est un genre d’humour qui n’a pas de barrières. ■

Laurent Naouri Laurent Pelly part du principe que l’opéra est un genre moribond en Italie et cette désaffection se retrouve dans les décors signés Chantal Thomas. Dans la première partie du spectacle, les personnages sont comme des fantômes évoluant dans un monde laissé à l’abandon. Dans la seconde partie du spectacle, l’histoire se déplace dans le temps et les fantômes reprennent vie dans leur temporalité. Laurent Pelly, étant un grand fan des films de Fellini, s’en inspire pour leur côté peintures d’époques nostalgiques. TR Le monde lyrique que présente Donizetti dans son œuvre estil toujours d’actualité ? LN La description des personnages est vraiment très caractéristique de ce qu’on pouvait rencontrer à l’époque de Donizetti, et que l’on rencontre encore aujourd’hui : des chanteurs, des compositeurs, des librettistes, des directeurs bouffis d’ego. Ce monde n’a pas tellement changé en 200 ans. TR Pouvez-vous décrire votre personnage, Mamma Agata, à un public qui découvre ce dramma giocoso ? LN Mamma Agata est l’archétype de la mamma italienne, férocement prête à tout pour que sa fille, la seconda donna, réussisse dans la vie – quitte à utiliser la corruption et des moyens de pression divers sur le compositeurs et le librettiste. Mamma Agata crée un tel désordre dans la petite compagnie lyrique qu’un chanteur déserte la production. Au pied levé, elle reprend alors son rôle de façon assez destructrice et effrayante – vu qu’elle n’a évidemment aucun talent. Tous ses efforts sont finalement vains, car les producteurs sont partis avec l’argent.

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O P É R A T I OONP ÉVRI AV TA I OL AN M C A RMMMEAN!

La troupe d’artistes se transforme alors en joyeuse bande d’escrocs qui prend la poudre d’escampette. TR Le travestissement est-ce un défi ? LN Pas vraiment, une fois le costume enfilé, on devient le personnage, même s’il faut s’épiler les avant-bras et porter des talons. Je pense avant tout à l’histoire que mon personnage raconte, le reste vient naturellement. J’ai mentalement pris l’exemple de mes tantes, le résultat a beaucoup fait rire. TR C’est un rôle particulièrement « sportif » physiquement et vocalement ? LN Il s’agit d’un opéra court… mais intense, on en sort lessivé. D’un côté, mon personnage doit chanter dans tous les registres, du grave au falsetto ; de l’autre la mise en scène de Laurent Pelly est très construite, précise et chorégraphiée : un sacré défi ! TR Comment se sont déroulées vos retrouvailles avec Laurent Pelly ? LN C’est, à mon sens, l’une de nos plus belles collaborations. Vu que nous nous connaissons, cela nous permet de beaucoup échanger autour d’un personnage. De plus, se retrouver à Genève où nous nous étions rencontrés il y a 21 ans (Orphée aux Enfers, Offenbach) est assez nostalgique. TR Conseilleriez-vous cette œuvre à des spectateurs qui découvrent l’opéra pour la première fois ? LN Oh oui ! C’est un show absurdo-dingue dont tout l’intérêt est l’humour – le genre de comique qui parle à un très large public. ■

« Mamma Agata est l’archétype de la mamma italienne, férocement prête à tout pour que sa fille, la seconda donna, réussisse dans la vie – quitte à utiliser la corruption et des moyens de pression divers sur le compositeur et le librettiste. » Laurent Naouri

[page de gauche, en haut]

Laurent Naouri (Mamma Agata) reprend le rôle de Pipetto devant Pietro Di Bianco (Biscroma Strappaviscere, chef d'orchestre)

[en dessous]

Clara Meloni (Luigia, seconda donna) et Enea Scala (Guglielmo, primo tenore). [page de droite, en haut]

Laurent Naouri (Mamma Agata), Pietro Di Bianco (Biscroma Strappaviscere, chef d'orchestre) et Enric Martinez-Castignani (Cesare Salsapariglia, poète) lors de la générale à l’Opéra de Lyon en 2017.

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OPÉRATION VIVA LA MAMMA!

[ci-dessus et en bas]

Patrizia Ciofi (Daria, prima donna) et le Chœur de l'Opéra de Lyon lors de la générale en 2017

un entretien avec la soprano Patrizia Ciofi par Tania Rutigliani

Tania Rutigliani Viva la mamma!, de quoi s’agit-il ? Patrizia Ciofi J’ai l’habitude de chanter dans des opéras où je meurs sur scène, là c’est l’humour qui est l’acteur principal de la pièce : au lieu de mourir, je fais rire. C’est un opéra qui parle de nous, artistes lyriques et autres personnages évoluant dans cet univers, qui raconte nos tics, nos manies, nos phobies. Le spectateur assiste aux péripéties d’une petite troupe d’opéra essayant de monter un spectacle. Évidemment, tout se passe mal et le spectacle n’est jamais monté.

TR C’est un rôle particulièrement « sportif » physiquement et vocalement ? PC Il s’agit d’un rôle très théâtral, qui demande beaucoup d’engagement. Il faut assurer le chant alors qu’on traverse le plateau en courant, qu’on fait semblant de se battre. En parallèle, certaines parties vocales ne sont pas anodines, les airs presque rossiniens avec beaucoup de coloratura sont très exigeants même s’ils sont destinés à faire rire. Et, finalement, il faut que le tout ait l’air simple et naturel – ce sont les heures de répétitions qui permettent de prendre le rythme et donnent une fluidité à l’ensemble.

TR Comment s’est déroulée votre collaboration avec Laurent Pelly ? PC C’est une personne exeptionnelle et nous avons navigué dans un monde dont il est le maître : l’humour. Lors de la création à Lyon, il nous observait et puisait dans nos manies des éléments pour sa mise en scène. Par exemple, j’arrivais chaque matin mangeant ma banane – ce qui l’amusait beaucoup et il a intégré cet élément à mon jeu. Il aime se moquer gentiment de nos habitudes et les incorpore à la pièce, ça a beaucoup faire rire le public.

PC Le cadre est assez fidèle, mais je pense qu’il correspond plutôt aux théâtres plus petits, de province. Il y règne une compétition féroce et il faut savoir taper du poing sur la table pour acquérir de la notoriété et se faire respecter. Le portrait de la mère poule est très actuel et pas uniquement dans le monde lyrique.

PC Absolument ! Dans la même soirée, on ne découvre pas seulement l’opéra mais aussi ses coulisses – ses personnages, ses rites, ses facettes, ses manies. Pour entrer dans un nouvel univers, rien de tel que de le découvrir avec un sourire ! ■ © BERTRAND STOFLETH

TR Vous évoluez dans le monde lyrique depuis longtemps. Pensez-vous que la satire de Donizetti soit encore d’actualité ?

TR Conseilleriez-vous cette œuvre à des spectateurs qui découvrent l’opéra pour la première fois ?

TR Décrivez-nous votre personnage. PC C’est une prima donna qui a atteint déjà une certaine maturité. Elle est capricieuse, jalouse et sent que sa carrière touche à sa fin. Elle n’apprécie pas de devoir chanter avec une troupe aussi provinciale. Elle essaie alors de s’imposer, de rappeler sa gloire passée aux autres membres de sa troupe. Pour ce faire, elle vogue de caprice en caprice. Dès la première répétition, il faut être très sûre de soi et équilibrée pour pouvoir se prendre au jeu. Il est important de trouver du plaisir et être fière du personnage que l’on incarne sans souffrir.

« Le portrait de la mère poule est très actuel et pas uniquement dans le monde lyrique. » Patrizia Ciofi

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› L'elisir d’amore per i bambini

D'après le melodramma giocoso en 2 actes de Gaetano Donizetti Direction musicale

Pietro Mianiti Mise en scène Grischa Asagaroff Décors & costumes

Luigi Perego Arrangement musical Alexander Krampe Orchestre & solistes

de l’Académie de La Scala de Milan

À l’Opéra des Nations du 18 au 20 janvier 2019

De quelle couleur est votre élixir d’Amour ? par D aniel D ollé

Dernier spectacle sur la scène de l'Opéra des Nations, L’elisir d'amore per i bambini propose aux petits et aux grands l'occasion de découvrir une œuvre incontournable de l'opéra bouffe

© ACADÉMIE DU THÉÂTRE DE LA SCALA

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e rideau viendra juste de tomber sur Le convenienze ed inconvenienze teatrali. Viva la Mamma! que déjà s’annoncera une nouvelle comédie de Gaetano Donizetti, un chef-d’œuvre surtout connu pour sa mélodie brillante et mélancolique, « Una furtiva lagrima ». Trop souvent, on associe Donizetti aux ténébreuses péripéties de la trilogie Tudor, mais il s’est également illustré dans le genre comique. Parmi ses 73 ouvrages, on compte une vingtaine de comédies légères, dans la filiation de Rossini auquel il vouait une grande admiration. L’elisir d’amore, qui célèbre le triomphe de l’amour et de la bonté dans une atmosphère bucolique idéale, reste un des fleurons du répertoire lyrique. Le compositeur atteint un équilibre qu’on pourrait qualifier de parfait, entre la farce et la peinture romantique du sentiment amoureux. En un peu plus d’une heure, vous partagerez l’histoire d’Adina et de Nemorino, un jeune villageois naïf et touchant, qui aime l’inaccessible Adina. Le fanfaron bellâtre Belcore semble s’interposer, mais le charlatan Dulcamara veille. Est-ce le bordeaux qu’il fait passer pour un philtre d’amour qui permettra une fin heureuse ? Que faut-il préférer un simplet dévoué ou un arrogant présomptueux ? Cette version raccourcie, avec la narration d’un comédien, en langue française, conserve l’héritage de mélodies accrocheuses, chantées en italien, comme « Una furtiva lagrima » pour lesquelles le chef-d’œuvre de Donizetti est connu. Des répétitions ont été supprimées, pour permettre un accès plus facile à celles et ceux qui viennent pour la première fois goûter les joies du

lyrique. Tous les récitatifs n’ont pas été supprimés, de sorte que vous puissiez également vous initier à cette forme de chant. Vous écouterez le mélodrame giocoso dans sa variété, dans le respect de la structure narrative originale, et non dans une simple sélection d’airs. Certains chœurs ont été coupés alors que d’autres sont interprétés par le groupe de solistes, de nombreuses étapes, avec des duos et des scènes d’ensemble, habitueront le public au langage polyphonique vivant de l’opéra-comique. Cette production de L’elisir d’amore fait appel à tous les étudiants du département musical de l’Académie de La Scala. Les élèves en scénographie ont été impliqués dans la construction des décors. Ainsi ce nouveau projet reste fidèle aux principes de l’Académie de La Scala. Une nouvelle fois, cette expérience permet aux artistes de demain de grandir, d’acquérir une pratique grâce aux enseignants qui transmettent les compétences indispensables pour affronter une bonne carrière professionnelle. Un projet conçu pour le jeune public qui n’a pas toujours la concentration nécessaire pour écouter et rester attentif à toute la durée d’une représentation normale, mais pas seulement. Il s’adresse également à toutes celles et à tous ceux que l’opéra, ou sa longueur effraye, et constitue une excellente occasion de sortie familiale pour découvrir ce joyau de l’opéra bouffe. Un ouvrage idéal pour écouter et s’initier à l’opéra. Et si la grâce féminine était supérieure à n’importe quel élixir ? Cher public, n’hésitez pas et choisissez le bon élixir en venant partager le dernier spectacle qui se déroulera à l’Opéra des Nations, une manière de prolonger les fêtes en compagnie de l’Académie de La Scala. ■

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dans cette version remaniée par l'Académie du Théâtre de La Scala.

« Una furtiva lagrima Negli occhi suoi spunto. Quelle festose giovani Invidiar sembro. Che più cercando io vo’? M’ama, lo vedo. » « Une larme furtive A perlé dans ses yeux. Elle semblait envier La jeunesse en fête. Que désirer de plus ? Elle m’aime, je le vois. »

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› Wahada

(La Promesse)

Ballet sur la Messe en Ut mineur de Wolfgang Amadeus Mozart

[ci-contre]

Les danseuses Lysandra Van Heesewijk et Céline Allain lors des répétitions de Wahada au studio Stravinski.

Chorégraphie

Abou Lagraa

Décors

Quentin Lugnier Costumes Paola Lo Sciuto Lumières Marco Giusti

Ballet du Grand Théâtre de Genève Direction Philippe Cohen

À l’Opéra des Nations du 27 novembre au 2 décembre 2018

La promesse d’un corps à corps W © GTG / GREGORY BATARDON

par D aniel D ollé

ahada c’est la promesse d’un corps à corps, entre la danse et une partition où la brillance alterne avec l’humilité, entre des solos, des duos ou de grands ensembles, ou encore, avec les corps des danseuses et des danseurs du Ballet du Grand Théâtre. Mais c’est également la promesse d’un spectacle de haut rang, car depuis bien des saisons la compagnie nous a habitués à des soirées et à des matinées qui ne laissent pas indifférent. Le chorégraphe, Abou Lagraa, franco-algérien, né en Ardèche, a rapidement saisi que la musique était le médium idéal du désir, de la sensualité et de l’amour, il construit sa chorégraphie sur une œuvre culte du patrimoine musical, La Grande Messe en ut mineur, K427. Il s’agit d’un des points culminants de la création mozartienne qui donne un avant-goût d’Éternité. Il s’agit d’une preuve d’amour, car Mozart considérait sa Grande messe en ut mineur, inachevée, écrite en 1783, comme la réalisation d’une promesse, celle d’écrire une grande œuvre sacrée pour remercier Dieu de lui avoir permis d’épouser Constanze Weber après sa maladie, le 4 août 1782. À la création de cette œuvre inachevée, le 26 octobre 1783, son épouse chanta la partie de soprano solo, à l’église SaintPierre de Salzbourg. Son père, Léopold Mozart, pensait que le mariage pouvait éloigner son fils de la musique et c’est cependant son épouse qui lui inspira un ouvrage qui exprime la profondeur de son génie. Mozart, le fils prodige, ne se sera éloigné que de son père qui désapprouvait ce choix. Auparavant, Mozart avait écrit 11 messes destinées à l’office ordinaire, c’était des commandes. Lorsqu’il écrit La Grande Messe, il est enfin libre, il ne connaît plus les contraintes fixées par son employeur, l’archevêque Colloredo. Il compose une œuvre incomplète fortement influencée par l’art contrapuntique de Johann Sebastian Bach dont Mozart s’occupait énormément en 1782. Il manque toute la partie du Credo qui suit l’air « Et incarnatus est » et l’« Agnus Dei » est absent. Malgré cela l’ouvrage dégage une infinie tendresse et un charme particulier qui inspire une poésie et un langage chorégraphique qui puise aux sources du classique et qui s’inscrit dans le monde contemporain.

Avec son épouse Nawal, Abou Lagraa offre une vision universelle de la danse qui interroge toutes les cultures. Sa danse sait parler d’amour, de sensualité et de souffrance. Aux confluences de l’Orient et de l’Occident, il écrit, avec une certaine obstination, un hymne à la liberté des corps et de l’esprit. Avec lui le charnel rencontre la spiritualité et la fusion du corps et de l’esprit ne reste pas un vain concept. Abou Lagraa ne cherche jamais à imposer, il suggère et nous met à contribution. N’attendez pas à ce qu’il vous raconte une histoire, c’est à vous d’imaginer l’histoire construite sur une musique qui dépasse largement la dimension du sacré et sur une recherche permanente d’émotions. Wahada sera la promesse d’une poésie écrite sur le corps des danseuses et des danseurs placés dans un espace de liberté et de rencontres. Son credo, c’est la liberté. Comme Mozart, il a fait une promesse (Wahada, en arabe) aux artistes, c’est d’inscrire la beauté de la musique de Mozart dans leurs corps. Au-delà de leur remarquable technique, ils deviendront de vrais interprètes et talent, poésie, musicalité, personnalité seront au rendez-vous. Il serait dommage que vous n’y fussiez pas ! ■

« J’ai véritablement fait cette promesse dans mon cœur, et j’espère bien la tenir. […] Comme preuve de la réalité de mon vœu, j’ai la partition de la moitié d’une messe et qui donne les meilleures espérances. » Wolgang Amadeus Mozart, le 4 janvier 1783

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Abou Lagraa, le souffle au cœur un entretien avec le chorégraphe Abou Lagraa par Olivier Gurtner

I

OG À quel courant vous identifiez-vous ?

l est né en Ardèche, de parents algériens. Comme Billy Elliot, il commença tôt à danser. Comme Billy Elliot, son père n’était pas au courant. Abou Lagraa bénéficiera du soutien de sa mère – dans la confidence – pour l’accompagner auprès d’AnneMarie Picot et Cécile Périol, ses premières enseignantes. La suite est une évidence : CNSMD de Lyon, fondation de sa compagnie La Baraka en 1997, 2ème prix de danse contemporaine au Concours International de la Ville de Paris l’année d’après, présentation de son Cantique des cantiques à la Maison de la danse à Lyon en 2015… « Depuis mes parents sont fiers de moi » explique le chorégraphe. À Genève, Abou Lagraa vient présenter Wahada, une création mondiale comme une « promesse » autour d’une œuvre monumentale, la Messe en Ut mineur de Mozart. L’occasion est toute trouvée pour faire souffler les cœurs, entre hommes et femmes, femmes et femmes, hommes et hommes, dans sa volonté d’associer sensuellement le féminin et masculin en chacun de nous. En résidence à Annonay dans une chapelle Sainte-Marie désacralisée, dénoncé par le FN local comme un « troubadour », Abou Lagraa défend une danse entre contemporain, classique, hip-hop et oriental. À l’invitation de Philippe Cohen, assisté de Nawal Lagraa, il fera évoluer les danseuses et danseurs du Grand Théâtre, du 27 novembre au 2 décembre à l’Opéra des Nations. Entretien avec un passeur passionné.

AL Mon idée consiste à créer des codes, pas à en casser d’autres. Je cherche une danse sensuelle, contemporaine, classique et hiphop. J’aime également puiser dans mes origines algériennes, cet art de vivre sensuel, entre le hammam, les rondes dansées et la séduction dans le dialogue. OG Vous vous reconnaissez donc, lorsque Philippe Cohen décrit votre démarche comme « un subtil mélange de classicisme, d’énergie urbaine et d’expressivité contemporaine » ? AL Oui, le classicisme c’est la technique et la précision. L’énergie urbaine reflète mon enfance, mon parcours et ma façon de puiser dans le hip-hop, en l’occurrence les wave, plutôt que le breakdance. Enfin, l’expressivité et j’ajouterais une touche orientaliste, célébrant le mouvement du bassin, des épaules et des mains. OG C’est votre première fois avec le Ballet du Grand Théâtre. Comment se passe la collaboration ? AL Merveilleusement bien. On est dans un vrai souffle de créativité. Je réalise que les danseurs ont un très beau niveau classique et ont très souvent travaillé avec des chorégraphes invités. Ils sont pour moi 22 personnalités, 22 individus, ce qui donne à ce Ballet l’identité d’une compagnie. Son directeur Philippe Cohen a vraiment beaucoup de talent pour gérer un tel groupe. Il assure une présence bienveillante pour nous familiariser avec les danseurs – qu’il aime beaucoup – tout en laissant la liberté artistique au chorégraphe.

Olivier Gurtner Votre compagnie La Baraka célébrait son 20ème anniversaire, l’année dernière. Quel regard portez-vous sur ce parcours ?

[ci-dessous]

Les danseuses Léa Mercurol et Diana Dias Duarte [à côté]

Le couple du « baiser » Tiffany Pacheco/Armando Gonzalez Besa lors des répétitions de Wahada au studio Stravinski.

Abou Lagraa C’est une compagnie qui a fait ses preuves, qui sillonne la planète avec plus de 25 créations. Je m’inscris dans une démarche mouvementiste, qui crée des émotions en partant des danseurs eux-mêmes et de leur sensualité. Cette approche se veut chorégraphique mais aussi intellectuelle : elle pose la question de l’être humain seul face à la société. Comment vivre avec la différence ? Comment créer une harmonie à partir de la diversité ? En somme, je veux nourrir l’utopie sur le plateau, grâce aux différences de chacun, en tant qu’artiste et en tant qu’être humain.

OG Wahada (La Promesse). Pourquoi ce titre ? AL En 1782, Mozart était malade. Il promit à Dieu qu’en cas de guérison, il lui consacrerait une messe. Il se rétablit, épousa Constanze et composa cette Messe en Ut mineur. Plus largement, Wahada, c’est la promesse d’une rencontre, entre identités qui se respectent, nourrissant un souffle commun, une harmonie entre tous.

© GTG / GREGORY BATARDON

OG La chorégraphie sera jouée sur un enregistrement. Quelle version retenez-vous ?

« Pour moi, le féminin signifie le recevoir, le masculin la direction, l’action. On retrouvera ces deux facettes dans Wahada. » Abou Lagraa

AL Celle de Nikolaus Harnoncourt (1985), qui est magnifique, très sensible, pleine d’émotions et si poétique. On sent que les solistes vont chercher profondément leurs sentiments pour offrir quelque chose de très touchant et humain, à fleur de peau. Par exemple, rien que le Sanctus est un cri d’espoir. OG Dans votre Cantique des cantiques, deux femmes incarnent un homme et une femme. Retrouvera-t-on cette manière de questionner le genre dans La Promesse ? AL Oui. Depuis le Cantique des cantiques, j’ai développé une conviction, celle de distinguer homme/femme du féminin/ masculin. Chacun recèle ces deux facettes, ce qui en fait un être équilibré. Pour moi, le féminin signifie le recevoir, le masculin la direction, l’action. On les retrouvera dans Wahada. OG En 2010, vous avez présenté Nya (Faire confiance à la vie) au théâtre national d’Alger. En 2018 au Grand Théâtre, Wahada, autrement dit La Promesse. Êtes-vous un optimiste ? AL Oui, parce que je sais que le mouvement parle à tout le monde. Il agit comme un miroir de notre société : un corps en mouvement, c’est un corps qui exprime, qui a une histoire et des émotions. Comme chacun de nous. ■

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WAHADA EN BALLET

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Le chorégraphe Abou Lagraa lors des répétitions de Wahada au studio Stravinski.

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Venez visiter le Grand Théâtre

Les 23 mars, le Grand Théâtre de Genève ouvre ses portes pour une journée publique et entièrement gratuite ! Cet événement exceptionnel sera l’occasion pour tout un chacun de visiter les foyers, de découvrir le backstage, d’assister à une répétition du Ballet du Grand Théâtre, d’apprécier le travail d’orfèvre, d’admirer l’élégante « Voie lactée » de l’artiste Jacek Stryjenski, qui tournera sur elle-même pour la première fois ! Evénement de taille et véritable clou de ce weekend festif, un immense spectacle video-mapping qui se tiendra sur la place de Neuve, durant trois soirs de suite !

Le Grand T retrouve ses

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par Olivier Gurtner

mai 1951, le Grand Théâtre prend feu, détruisant tout le bâtiment, excepté la façade et les foyers. Ces espaces sont les derniers témoins du bâtiment ouvert en 1879. 1962 : après une rénovation à la va-vite, ils ont été recouverts de gris, de peinture dorée, de faux plafonds et de jaune coquille d’œuf. Aujourd’hui, après un long travail d’enquête, les espaces ont retrouvé leur éclat d’origine, élégant, mais aussi chargé, typique du style Beaux-Arts. Typique aussi d’un usage dépassé du théâtre, celui du monde, où l’on venait voir et se faire voir. Trop beau, trop cher, trop clinquant ? Relisons la réponse de Rolf Libermann « Il me semble que, dans un esprit de justice sociale, la seule solution soit la démocratisation » (1979). er

+1000 m2 © GTG / FABIEN BERGERAT

d’espaces de travail supplémentaires (813m2 en soussol et 198 m2 sous toiture).

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Durée des travaux en mois.

58 679 900.-

Budget en francs, voté par la Ville de Genève en 2014. Budgets additionnels : Fr. 5 232 150.- (Ville de Genève) Fr. 3 911 700.- (fondation privée)

Du sondage à la dorure

Les ouvriers et artisans ont commencé par des sondages, c’està-dire qu’ils ont gratté les aplats en surface pour aller en profondeur, afin de retrouver les motifs d’origine. Deux exemples pour montrer ce travail d’archéologues du beau : le plafond de l’atrium et la fresque coiffant le foyer lyrique. Après le hall d’entrée, le public accède à l’atrium (appelé aussi « Le Contrôle »), baptisé ainsi car à l’époque une verrière en couvrait le plafond. Avant les travaux, celui-ci était gris et au décor simple. En creusant dans le plâtre, on a découvert la structure avec un plafond à caissons, décharné. Heureusement, un unique caisson a été retrouvé, comme un dernier témoignage : rouge, vert, beige, et faux marbre. Une belle manière de contraster avec le monochrome gris d’entrée. Les équipes ont ainsi pris ce fameux rectangle pour le dupliquer sur tout le plafond. Autre manière de voyager dans le temps, cette fois depuis 1879, avec un des escaliers monumentaux placé à gauche en pénétrant le bâtiment. De chaque côté de la fresque signée Léon Gaud, on a retrouvé les faux marbres en vert perlé et en dessous, les cadres gris et beige retrouvent les motifs de granit, marbre et faux marbre colorés. Un grand travail de précision et de peinture, à la main. Enfin, dans le foyer Rath (Carré d’Or), les recherches ont permis de trouver la teinte marron d’origine, remplaçant le jaune coquille d’œuf de la pièce. Les différentes images permettent de bien observer les différences.

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Nombre d’ouvriers sur le chantier.

-10%

La réduction des besoins globaux de chaleur, malgré la création des nouveaux locaux.

85%

Taux d’énergie renouvelable (chauffage et eau chaude sanitaire) grâce à une pompe à chaleur à air.

2004

Vote du premier crédit d’étude.

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LE GRAND THÉÂTRE PLEIN FEUX

Théâtre foyers

Des foyers sublimés, des couleurs retrouvées, des métiers d’art sur le métier… le Grand Théâtre voit sa partie patrimoniale

totalement restaurée et rafraîchie.

La dorure à la feuille, les faux marbres

peints à la main, les tentures cousues à

même le mur répondent aux interventions

Un regard contemporain

La rénovation est aussi l’occasion d’apporter une touche contemporaine, avec dans le hall des luminaires en laiton d’inspiration art déco et de grandes portes dépouillées en bois sombre et poignées de laiton. De chaque côté (à gauche la billetterie, à droite le café), un grand comptoir circulaire en métal doré imaginé par les architectes François Dulon (bureau March) et Danilo Ceccarini (Linea), chargés de tous les travaux, notamment l’agrandissement par le sous-sol. À l’avant-foyer, les portes qui marquent l’accès aux loges sont en bronzille, dans un motif repris des tapisseries du foyer lyrique.

Des peintures restaurées

Les allégories peintes connaissent également une nouvelle jeunesse. Dans le foyer côté boulevard du théâtre, la fresque signée Léon Gaud, le sondage est visible sur l’image, révélant la couleur rouge du cadre. Une fois la restauration réalisée, on remarque le vert des lauriers, le bleu du ciel et les couleurs des vêtements entourant l’allégorie de l’art lyrique. À l’autre extrémité du bâtiment, près du

contemporaines imaginées par les bureaux Linea et March. Partie intégrante des travaux débutés en 2016, la rénovation des espaces publics est aujourd’hui terminée. Une occasion toute trouvée pour les montrer, avant la journée portes ouvertes du 23 mars 2019.

Retour sur l’histoire

Dessiné par Jacques-Élisée Goss, le Grand Théâtre de Genève a été construit de 1875 à 1879 pour remplacer le Théâtre des Bastions, grâce à la fortune du duc de Brunswick. Durant une répétition de La Walkyrie de Wagner le 1er mai 1951, l’essai d’un effet pyrotechnique propagea un incendie dans tout le théâtre : cage de scène, salle, coulisses. Seuls les foyers sont relativement épargnés. Après plusieurs années de travaux, le bâtiment est rouvert au public le 10 décembre 1962, avec une salle en palissandre coiffée de « La Voie lactée », un plafond de lumières, argent, or et verre de Murano imaginé par Jacek Stryjenski. En 1997, les dessus de la cage de scène (la machinerie) sont rénovés, avec l’appui de la Fondation Hans Wilsdorf. En 2006, c’est au tour des dessous : les ponts de scène. Pour l’importante rénovation partielle des dernières années, la démarche remonte à 2004, avec un premier crédit d’étude voté par le Conseil municipal. En 2012, il est proposé de repousser de deux ans le début des travaux, mais le délibératif demande de s’en tenir à la planification initiale, en 2015.

musée Rath, le plafond du Carré d’Or, réalisé par François Furet, est aussi embelli, avec un bleu intense, des ferronneries affinées, des balustres blanchies et des fleurs et plantes bien plus précises. À noter également le trumeau redoré, le marron d’origine et les médaillons discrets montrant le chiffre de la Ville de Genève, propriétaire de cet édifice classé « bien culturel suisse d’importance nationale ». ■ ACT­­- O | 37 . 15

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Une expérience du spectacle exigeante LE CARNET DU CERCLE

Aurélie Élisa Gfeller Quels sont vos premiers souvenirs du Grand Théâtre de Genève ?

[en-haut]

Fallen, le ballet du chorégraphe américain Andrew Skeels avec le Ballet du Grand Théâtre de Genève en juin 2018 à l'Opéra des Nations

© PICTET

Rémy Best Mes premiers souvenirs remontent à l’époque où j’étais avocat stagiaire dans l’étude de Jean-Flavien Lalive. Ce dernier était alors président du Conseil de Fondation du Grand Théâtre de Genève. Il assistait à plusieurs représentations de chaque spectacle et prenait des notes sur ses perceptions, qu’il classait ensuite dans sa cartothèque. J’ai été impressionné par sa passion, qui allait au-delà du simple soutien. Je me souviens également de l’époque où l’on dormait sur les marches du Grand Théâtre de Genève à la veille de l’ouverture des abonnements pour s’assurer d’en obtenir un.

© GTG / GREGORY BATARDON

Rémy Best est avocat, membre du barreau de Genève. Après un MBA obtenu à l’INSEAD, la prestigieuse école de management de Fontainebleau, il rentre au cabinet de conseil McKinsey & Company, puis rejoint le Groupe Pictet en 1997, dont il est actuellement directeur associé. Il est également membre du directoire de l'INSEAD depuis 2010.

AÉG Vous appréciez tout particulièrement la danse, le ballet. Qu’est-ce qui vous séduit dans cet art ? RB Le ballet est à la fois musical, scénique et chorégraphique. L’opéra est tenu par la partition et la mise en scène complète la musique. Dans un ballet, la musique est un moyen pour relever une chorégraphie, qu’elle soit classique ou contemporaine. Le ballet est aussi un moyen de représentation de la société d’aujourd’hui. Le ballet raconte et illustre nos passions, nos défis, nos paradoxes, sans avoir recours à la voix, juste avec des corps. Ce sont toujours les mêmes histoires que l’on raconte. Quand elles sont bien racontées, elles demeurent d’actualité. C’est ainsi que l’on peut voir avec intérêt aujourd’hui encore des chorégraphies de George Balanchine ou de Rudolf Noureev. Le ballet est tout aussi important que l’art contemporain pour comprendre le monde d’aujourd’hui. Il est ainsi essentiel pour Genève de continuer à disposer à la fois d’un opéra et d’une compagnie de ballet. L’opéra et la danse sont des façons complémentaires d’apporter un regard sur notre époque.

AÉG Avec Philippe Cohen, le directeur du Ballet du Grand Théâtre de Genève depuis 2003, vous vous êtes engagé dans un projet de documentaire sur la compagnie. Comment ce projet est-il né ? RB Nous avons la chance à Genève d’avoir Philippe Cohen, qui a réussi à imposer un style créatif assez unique pour une troupe de cette taille en Europe puisqu’elle ne compte que vingt-deux danseurs. À titre de comparaison, le Ballet de l’Opéra de Paris comprend cent-cinquante-cinq danseurs. En faisant intervenir des chorégraphes proposant le plus souvent des créations mondiales, Philippe Cohen a développé un certain genre de représentations chorégraphiques. Nous étions ainsi plusieurs à penser qu’il valait la peine de réaliser un documentaire qui présente la formule qu’il a construite au fil des années pour mettre en œuvre un projet admirable, avec une grande économie de moyens et le soutien irréprochable de Tobias Richter. AÉG Quelles sont, selon vous, les qualités qui distinguent le Ballet du Grand Théâtre de Genève ? RB Le Ballet du Grand Théâtre de Genève se démarque par son excellence, sa sobriété et sa générosité. L’excellence parle d’ellemême. Sobriété car il n’y a ni tapage ni tape-à-l’œil. Générosité parce que ce ne sont pas des spectacles contrits et contraints. Au contraire, ils donnent envie au spectateur de les voir et les revoir. Il m’est arrivé à plusieurs reprises d’aller revoir, en famille, un spectacle du Ballet du Grand Théâtre de Genève qui m’avait tout particulièrement plu. AÉG En Suisse, comme dans d’autres pays européens qui ont une longue tradition de financement public des arts, les instances gouvernementales mettent désormais l’accent sur

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e n t cl A C e

LE CARNET DU CERCLE

Le vice-président et trésorier du Cercle du

Fondé en 1986, le Cercle du Grand

Grand Théâtre de Genève, Rémy Best, nous

Théâtre s’est donné pour objectif de

fait ici l'éloge du Ballet du Grand Théâtre de

réunir toutes les personnes et entreprises

Genève et de son directeur Philippe Cohen qui

qui tiennent à manifester leur intérêt

a su développer et construire une compagnie

aux arts lyrique, chorégraphique et

reconnue internationalement. Il apporte aussi son soutien personnel aux prochains projets

R

tournés vers le jeune public, futurs amateurs de

productions exigeantes.

dramatique. Son but est d’apporter son soutien financier aux activités du Grand Théâtre et ainsi, de participer à son rayonnement.

d u

un entretien avec R émy B est par A urélie É lisa G feller

Nous serions heureux de vous compter parmi les passionnés d’ arts lyrique, chorégraphique et dramatique qui s’engagent pour que le Grand Théâtre de Genève conserve et renforce sa place parmi les plus grandes scènes européennes. Adhérer au Cercle du Grand Théâtre, c’est aussi l’assurance de bénéficier d'une priorité de placement, d'un vestiaire privé, d'un service de billetterie personnalisé et de pouvoir changer de billets sans frais. Vous participerez chaque année au dîner de gala à l’issue de l’Assemblée générale et profiterez des cocktails d’entracte réservés aux membres. De nombreux voyages lyriques, des conférences thématiques « Les Métiers de l’Opéra », des visites des coulisses et des ateliers du Grand Théâtre et des rencontres avec les artistes vous seront proposés tout au long de la saison. Vous pourrez assister aux répétitions générales et bénéficierez d'un abonnement gratuit à ce magazine. Vous recevrez également tous les programmes de salle chez vous.

RB Je suis convaincu que les particuliers ont un devoir de soutien et qu’il leur appartient de contribuer au mécénat culturel tout autant qu’aux autorités. Le Grand Théâtre de Genève a un aspect structurant pour la ville et le canton de Genève. C’est aussi le plus grand opéra de Suisse par sa capacité – une chance pour nous. Le mécénat culturel est essentiel pour se donner les moyens de son ambition. On ne peut le faire à demi. Le Cercle du Grand Théâtre de Genève a précisément pour rôle d’apporter un financement au Grand Théâtre de Genève pour lui permettre de réaliser ses ambitions lyriques et chorégraphiques. Il pourrait être intégré plus étroitement dans l’institution tout en conservant son indépendance.

R

AÉG Et comment mobiliser davantage les jeunes générations en faveur des productions lyriques et chorégraphiques ?

RB C’est au Grand Théâtre de Genève d’aller vers les jeunes pour leur donner ensuite envie d’assister régulièrement aux spectacles et d’apporter leur soutien. C’est un défi. L’art contemporain séduit notamment parce qu’il y a une dimension de possession. On ne possède pas un spectacle. C’est une expérience et dans le monde d’aujourd’hui cette expérience est exigeante. Le spectateur doit en effet se concentrer, sans accès à son téléphone portable, pendant plusieurs heures. Il est donc d’autant plus important de proposer aux jeunes des spectacles qui s’adressent à eux. Le Ballet jouit justement d’une audience jeune qui vient en nombre voir ces spectacles. Il faut provoquer sans indisposer. Si on n’étonne pas, on n’excite pas la curiosité. ■

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Pour recevoir de plus amples informations sur les conditions d’adhésion au Cercle, veuillez contacter directement : Madame Gwénola Trutat (du lundi au vendredi de 8 h à 12 h) T + 41 22 321 85 77 F + 41 22 321 85 79 cercle@geneveopera.ch Cercle du Grand Théâtre de Genève CP 5126 1211 Genève 11

Nos membres Bureau M. Jean Bonna, président M. Rémy Best, vice-président* Mme Brigitte Vielle, secrétaire Mme Françoise de Mestral

Mme Denise Elfen-Laniado Mme Diane Etter-Soutter Mme Catherine Fauchier-Magnan Mme Clarina Firmenich M. et Mme Eric Freymond * également trésorier Mme Elka Gouzer-Waechter Mme Claudia Groothaert Autres membres du Comité M. et Mme Philippe Gudin Mme Christine Batruch de La Sablonnière Mme Claudia Groothaert Mme Bernard Haccius Mme Coraline Mouravieff-Apostol M. et Mme Philippe Jabre Mme Beatrice Rötheli M. et Mme Éric Jacquet M. Rolin Wavre M. Romain Jordan Mme Madeleine Kogevinas Membres bienfaiteurs M. et Mme Jean Kohler Mme René Augereau M. Marko Lacin M. Jean Bonna Mme Brigitte Lacroix Fondation de bienfaisance M. et Mme Pierre Lardy du groupe Pictet M. Christoph La Roche M. et Mme Pierre Keller Mme Éric Lescure Banque Lombard Odier & Cie SA Mme Eva Lundin M. et Mme Yves Oltramare M. Bernard Mach Union Bancaire Privée – UBP SA Mme France Majoie Le Lous M. et Mme Gérard Wertheimer M. et Mme Colin Maltby M. et Mme Thierry de Marignac Membres individuels Mme Mark Mathysen-Gerst S. A. Prince Amyn Aga Khan M. Bertrand Maus Mme Diane d’Arcis M. et Mme Olivier Maus M. et Mme Luc Argand Mme Béatrice Mermod M. Ronald Asmar M. et Mme Charles de Mestral Mme Christine Batruch-Hawrylyshyn Mme Jacqueline Missoffe Mme Maria Pilar de la Béraudière M. et Mme Christopher M. et Mme Philippe Bertherat Mouravieff-Apostol Mme Antoine Best Mme Philippe Nordmann M. et Mme Rémy Best M. et Mme Alan Parker Mme Saskia van Beuningen M. Shelby du Pasquier Prof. Julien Bogousslavsky Mme Sibylle Pastré Mme Clotilde de Bourqueney Harari M. Jacques Perrot Comtesse Brandolini d’Adda M. et Mme Wolfgang Peter Valaizon M. et Mme Yves Burrus M. et Mme Gilles Petitpierre Mme Caroline Caffin M. et Mme Charles Pictet Mme Maria Livanos Cattaui M. et Mme Guillaume Pictet M. et Mme Jacques Chammas M. et Mme Ivan Pictet Mme Muriel Chaponnière-Rochat M. et Mme Jean-François Pissettaz M. et Mme Claude Demole Mme Françoise Propper M. et Mme Guy Demole Comte de Proyart M. et Mme Olivier Dunant M. et Mme Christopher Quast

Ə

l’importance des partenariats public-privé. Comment voyezvous l’avenir du mécénat culturel à Genève, notamment dans le contexte du Grand Théâtre de Genève ?

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M. et Mme François Reyl M. et Mme Andreas Rötheli M. et Mme Gabriel Safdié Marquis et Marquise de Saint Pierre M. Vincenzo Salina Amorini M. Julien Schoenlaub Baron et Baronne Seillière Mme Charlotte de Senarclens Mme Christiane Steck M. et Mme Riccardo Tattoni M. et Mme Kamen Troller M. et Mme Gérard Turpin M. et Mme Jean-Luc Vermeulen M. et Mme Julien Vielle M. et Mme Olivier Vodoz Mme Bérénice Waechter M. Gerson Waechter M. et Mme Stanley Walter M. et Mme Rolin Wavre Membres institutionnels 1875 Finance SA Banque Pâris Bertrand Sturdza SA FBT Avocats SA Fondation Bru International Maritime Services Co. Ltd. JT International SA Lenz & Staehelin Schroder & Co banque SA SGS SA

Organe de révision : Plafida SA Compte bancaire N° 530 290 MM. Pictet & Cie

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› Le Voyage

Fantastique de Sun Wukong

China National Peking Opera

Company

À l’Opéra des Nations 12 & 13 janvier 2019

Un voyage vers l’Orient par O livier G urtner

Il est né à Paris, il repart à Pékin. L’Opéra des Nations prendra son envol vers la Chine, les 300 pieux de bois rejoindront l’Empire du Milieu. Pour rendre hommage à ce passage, le Grand Théâtre de Genève offre l’hospitalité à « l’opéra de Pékin ». En hôte d’honneur, la China National Peking Opera Company présente Le Voyage fantastique de Sun Wukong, une épopée populaire contre le pouvoir dominateur et impérial, à l’image du récit biblique de Massada. Inspiré du Voyage vers l’Ouest, l’œuvre évoque le destin du Roi des singes comme un Robin des Bois, qui libère le Mont des fleurs et des fruits du règne de l’Empereur de Jade.

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Sun Wukong, le Roi singe défie l'Empereur de Jade

N

e pas s’y méprendre : l’opéra de Pékin n’est pas une maison lyrique – il existe le Centre national des arts de la scène, qui occupe le magnifique vaisseau flottant signé Paul Andreu – mais est un genre artistique à part entière. Cette discipline subtile convoque le chant, la musique, la danse, le théâtre et les arts martiaux, à l’aide de personnages caractéristiques donnant vie aux récits du passé ou du folklore chinois.

© WU PRODUCTION

Un Robin des Chinois

Créé pour la première fois en 1956, ce spectacle d’environ deux heures évoque l’épopée du Roi des singes, Sun Wukong. Véritable héros contestataire, il met ses pouvoirs pour lutter contre la domination du Ciel sur la Montagne, comme une image de la quête des Chinois pour la démocratie. Il convoque ses singes afin de lancer la révolte. Son butin acquis dans le palais du Dragon devient sa grande arme. Pour cette raison, le roi des Dragons Ao  Guang intente un procès par-devant la Cour céleste et demande à l’Empereur de Jade de le venger... Ce dernier envoie ses troupes réprimer le Roi singe, sans succès, le forçant à négocier.

La couronne impériale accorde audit roi un titre fantoche et organise un banquet pour le piéger. Par chance, le leader contestataire entre par inadvertance dans le Palais Doushuai où il ingère une potion d’immortalité avant de se présenter à la porte du Ciel. Furieux, l’Empereur de Jade envoie son armée sous les ordres du Marchal Li Jing. Avec ses semblables, le Roi singe va à la bataille pour en ressortir victorieux. Le chef d’armes est porté en héros vers le Mont des fleurs et des fruits.

Dernier lever avant le grand départ

La pièce inspirée de La Pérégrination vers l’Ouest signée Wu  Cheng’en est montée par la China National Peking Opera Company présentée par Wu Promotion. Créée en 1955, la compagnie compte 500 créations à son actif et a voyagé dans 50 pays sur les cinq continents du Globe. Le Voyage fantastique de Sun Wukong sera donc symboliquement le lever de rideau du « aurevoir » à l’Opéra des Nations de Genève, après trois années d’émotions partagées, 300 soirées réunissant presque 300  000 spectateurs. Venu de Paris, le théâtre de bois gardera son nom genevois avant de partir en Chine, pour séduire certainement le public comme il l’a fait si bien ici. Rendez-vous donc les 12 et 13 janvier pour une dernière occasion d’apprécier l’Opéra des Nations ! ■

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GROS PLAN

Le plaisir de la précision un entretien avec Y annick S icilia par T ania R utigliani [ci-contre]

Tania Rutigliani Vous êtes sous-chef machiniste du Grand Théâtre de Genève. En quoi consiste votre métier ?

© GTG / CAROLE PARODI

TR Et quel a été votre parcours ? YS Je suis ébéniste de formation, j’ai travaillé à mon compte, puis pour un service de découpe de bois pour une grande chaîne de vente. Le lien avec les matières premières – le bois mais aussi le métal – est important pour moi. Cependant j’étais à la recherche de nouvelles opportunités. Je connaissais une personne qui travaillait pour le Grand Théâtre de Genève qui m’a informé qu’ils recrutaient du personnel dans le service de machinerie. En quelques jours j’ai passé un entretien d’embauche et reçu mon premier contrat – j’y suis encore, depuis 19 ans. Je ne connaissais rien à ce métier, au départ je pensais qu’il s’agissait de manipuler de grandes machines de chantier. Ce sont surtout les tournées avec le Ballet du Grand Théâtre qui m’ont fait progresser. Découvrir des salles, qu’elles soient grandes ou petites, à travers le monde entier

© GTG ARCHIVES / NICOLAS LIEBER

Yannick Sicilia La machinerie est le service qui s’occupe de l’ensemble des appareils qui permettent d’effectuer, sur un plateau, le déplacement des décors et les changements de scène. En amont, il s’agit de préparer l’arrivée du décor sur scène, en coordination avec les ingénieurs du bureau d’études et les différents ateliers, puis de monter ce même décor sur le plateau. Durant les spectacles, en coordination avec les accessoiristes, les électromécaniciens, les électriciens, le chef de plateau et la régie, la machinerie met en mouvement les éléments de décors lourds, ainsi que les trappes, les ponts, etc. Finalement, après la dernière représentation, nous démontons, stockons et rangeons le décor. Dans ce service, comme dans beaucoup d’autres au théâtre, une hiérarchie précise permet de coordonner les responsabilités et les informations au sein d’une équipe importante – nous sommes 28 personnes en machinerie. En tant que sous-chef machiniste, je suis responsable de l’équipe des machinistes dans le cadre d’un spectacle donné. Ce que j’apprécie particulièrement est le rôle de point de liaison entre les différents métiers techniques. On côtoie ainsi des personnes de tous les horizons et c’est très enrichissant, même si cela demande un peu de diplomatie.

Beatrix Cenci, l'opéra de Alberto Ginastera a marqué Yannick Sicilia par la précision et la subtilité de la scénographie et mise en scène de Francisco Negrin en septembre 2000.

est une expérience particulièrement enrichissante – une sorte de « super école de machinerie ». On dormait peu et on essayait d’anticiper un maximum l’arrivée des spectacles dans ces nouvelles salles. Au final, on improvisait beaucoup. De nos jours il existe des formations de techniscéniste, diplôme qui n’existait pas quand j’ai débuté, qui prépare les jeunes à ce métier. TR Quelle production vous a particulièrement marqué ? YS Beatrix  Cenci, en septembre 2000. C’était la première européenne de cet opéra d’Alberto Ginastera dont le décor était vraiment très subtil et complexe. Techniquement, tout était millimétré et j’ai été fasciné par le travail de précision du metteur en scène en coordination avec la machinerie. Ce qui me marque également encore aujourd'hui, c’est la proximité qu’il peut y avoir entre les artistes et les machinistes sur scène. Parfois, cachés dans un élément de décor, nous ne sommes qu’à quelques centimètres des artistes en pleine performance – c’est très impressionnant. TR Pour vous, travailler au Grand Théâtre de Genève c’est...? … travailler pour une très grande institution qui propose des spectacles de qualité, une chance incroyable d’avoir un métier qui permet de vendre du rêve et de l’évasion aux spectateurs. Ce n’est pas donné à tout le monde de travailler pour transmettre du plaisir aux autres. ■

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Yannick Sicilia dans les tours grillagées du décor de Boris Godounov à l'Opéra des Nations en novembre 2018.

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3 ans sur la rive droite L

Trois spectacles qui ont marqué l’Opéra des Nations pour Jean Bonna : Wozzeck, La Trilogie de Figaro (ici, Figaro Gets a Divorce) et King Arthur.

© LES ECHOS

par Jean Bonna

© GTG / CAROLE PARODI / MAGALI DOUGADOS

Ancien associé de la Banque d'affaires Lombard Odier, Le Genevois Jean Bonna est un mécène esthète, bibliophile et collectionneur de dessins anciens. Président du Cercle du Grand Théâtre de Genève, il est aussi honorary trustee du Metropolitan Museum of Art, membre du Conseil d’administration du Fonds de dotation du Louvre et membre fondateur de l’association Le Cabinet des amateurs de dessins de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris.

es travaux du bâtiment du Grand Théâtre approchant de leur échéance, les membres du Cercle et moi-même allons bientôt retrouver nos habitudes à la place de Neuve et nous nous réjouissons bien sûr tous de fréquenter à nouveau cet édifice magnifiquement rénové. Il serait néanmoins injuste de ne pas dire combien nous avons été heureux de profiter de ces trois années à l’Opéra des Nations. Pour certains d’entre nous, se rendre à la place des Nations a été un dépaysement total, pour d’autres cela a été une vraie simplification et l’institution y a, j'en suis certain, acquis un public nouveau qui demeurera très certainement fidèle. En effet, contrairement à Paris, où la Seine est un trait d’union, Genève est vraiment coupée en deux par le Rhône. Il faut rendre hommage ici à ceux qui ont eu la brillante idée de reprendre cette structure à la Comédie-Française ; une opération qui ne s’est pas conclue sans difficulté. Il a fallu la financer pour commencer, puis adapter la scène, l’élargir, pour lui permettre d’accueillir des spectacles plus complexes que des représentations théâtrales. La réussite est totale : à Paris, cachée dans la colonnade du Palais-Royal, personne ne la remarquait ; à Genève on ne voit qu’elle. Bâtie en bois, son acoustique est absolument remarquable, comparable à celle de Glyndebourne, et toutes les places bénéficient d’une belle vue sur la scène. Pour tous les habitants de la rive gauche, cela a aussi été l’occasion de découvrir ce quartier de Sécheron qui se développe de façon harmonieuse et audacieuse, notamment la magnifique réalisation que sont les six pétales de la Maison de la Paix. Dès le premier jour, le directeur général du Grand Théâtre Tobias Richter a réussi à insuffler à cette scène une âme lyrique, ce qui n’était pas évident, la structure ayant été conçue pour le théâtre et non pour l’opéra. Quand on assiste à un spectacle réussi, tout semble aller de soi, mais l’on ignore bien souvent les nombreuses difficultés auxquelles ont à faire face les équipes pour arriver au succès, et cette scène n’a connu que des succès. Notre directeur a dû adapter son programme à cette nouvelle salle, il y est totalement parvenu. Évitons une longue énumération, et retenons trois spectacles particulièrement réussis : un Wozzeck remarquable avec Mark Stone et Jennifer Larmore, l’idée si originale de la Trilogie de Figaro pour ouvrir la saison

C’est au tour de Jean Bonna, en sa qualité de président du Cercle du Grand Théâtre, de prolonger à sa manière notre chronique sur le retour à la Place de Neuve – thème de notre saison 18-19. Il rend hommage ici à Tobias Richter et à sa magnifique programmation ainsi qu'aux équipes qui l'ont accompagné et qui ont su faire vibrer l'âme du Grand Théâtre de ce côté-ci du Rhône avec ce bâtiment exceptionnel de l'Opéra des Nations. 2017-18 et l’excellent King Arthur de Purcell que nous voyions tous pour la première fois, car il n’avait jamais été donné à Genève. Trouver une solution pour accueillir les spectacles pendant la durée de ces travaux a constitué un immense défi, y compris les problèmes posés par l’allongement non prévu des travaux, contraignant à reprogrammer la saison actuelle, mais aussi à déménager deux fois en cours de saison. Ces défis ont été relevés avec brio par Tobias Richter et tout le personnel du Grand Théâtre : qu’ils soient tous chaleureusement remerciés, de la part du Cercle et de tout le public. Tobias Richter prend sa retraite après dix ans à la tête de ce grand vaisseau qu’est notre institution du Grand Théâtre : ces années ont été une réussite totale et l’Opéra des Nations n’est pas le moindre des succès, même si cela a dû être l’un des plus grands obstacles à surmonter. Nous allons retrouver notre scène traditionnelle de Neuve et nous allons la retrouver avec le Ring de Wagner, ce qui pour tous les wagnériens – dont l’est le signataire – est une grande joie, généralement possible qu’à Bayreuth. Ce retour sera un couronnement pour la carrière de notre directeur général, mais il faut terminer ces lignes en rappelant que, pour nombre d’entre nous, nous conserverons un souvenir ému de l’Opéra des Nations. ■

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Le Temps de s’engager. letemps.ch GTG1819_ACTO37_couv_Roto.indd 3

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Clip ballerine Lina Or blanc et diamants.

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