ACT-O n°22

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N° 22

| Février - Avril 2015

22 Le journal du Cercle du Grand Théâtre et du Grand Théâtre de Genève

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MICHAEL VOLLE

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Le bûcher des vanités imaginé par Christof Loy

Le baryton allemand plonge au cœur du sublime PORGY AND BESS

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N° 22

| Février - Avril 2015

22 Le journal du Cercle du Grand Théâtre et du Grand Théâtre de Genève

PORGY AND BESS

La tragédie de Catfish Row sur la scène de Neuve MEDEA

Le bûcher des vanités imaginé par Christof Loy MICHAEL VOLLE

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Le baryton allemand plonge au cœur du sublime

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Abonnés au Grand Théâtre ? Les transports publics vous sont offerts deux heures avant et deux heures après votre spectacle. Arrêt Théâtre : 2,19 Arrêt Place de Neuve :

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Crédits photos : cherezoff, DutchScenery, ilbusca/iStock — Malgorzata Kistryn/Shutterstock

EN QUELQUES SECONDES…


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Des amours convenues au désir vrai Une déclinaison de notre devise de saison par Mathieu Menghini

6 Porgy and Bess

« George was a composer... » Chères et chers fidèles lecteurs, Au moment où vous tiendrez entre vos mains ce numéro d’ACT-O, le début de la nouvelle année vous aura proposé une création contemporaine portée par le compositeur Michaël Levinas ; création construite sur l’esthétique contenue dans Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry. D‘autre part, fin janvier, l’œuvre de Christoph Willibald Gluck Iphigénie en Tauride vous permettra de retrouver, grâce à l’entremise des archétypes qu’elle contient, la modernité de la tragédie grecque. Il est temps maintenant de découvrir l’American folk opera de George Gershwin Porgy and Bess. Ce chef-d’œuvre du répertoire lyrique du XXème siècle, s’approprie avec force la musique noire américaine. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le compositeur a exigé que cet opéra ne soit interprété que par des artistes afro-américains. Rarement la chance de voir cette troupe du New York Harlem Theatre, qui fait autorité, ne se sera présentée à Genève et ce sera un pur plaisir de la partager avec vous. Tout comme le modernisme de Michaël Levinas peut être associé à celui de George Gershwin, la tragédie revisitée par C.-W. Gluck pourrait être mise en parallèle avec celle portée par la Medea de Luigi Cherubini, opus que nous souhaiterions explorer en votre compagnie. Cette mise en abyme sera également soulignée lors de deux uniques soirées théâtrales où Marc Bonnant et Bernard-Henri Levy, accompagnés et mis en scène par Alain Carré et Isabelle Caillat, évoqueront ces deux destins tragiques. Par delà ces ouvrages lyriques de qualité que nous sommes impatients de vous dévoiler, le dossier majeur que nous allons côtoyer avec vous ces prochains mois concerne naturellement l’installation de l’Opéra des Nations, lieu d’accueil de nos activités durant les deux années de travaux nécessaires à notre bâtiment de la place de Neuve. C’est avec une grande joie que nous avons récemment reçu l’autorisation de construction de cet édifice, ceci correspondant avec la fin de la période de recours relative à l’implantation sur le site du parc Rigot. Ce bel endroit, situé à proximité de l’ONU, nous permettra de nous lier à de nouveaux publics de la place de Genève en un projet porté par un partenariat public et privé. Dans nos pages consacrées au Cercle des amis du Grand Théâtre de Genève, vous pourrez par conséquent découvrir le lancement de notre campagne de parrainage des fauteuils du futur Opéra des Nations, souscription essentielle pour que vous puissiez apprécier dans les meilleures conditions la qualité de nos productions. Le deuxième volet de ce sujet vous sera ensuite proposé dans notre numéro 23. Il s’agira d’un dossier complet relatif à la genèse et à la réalisation de cet Opéra des Nations, où les principaux acteurs de cette saga feront partager leur aventure au plus grand nombre. Et puisque nous parlons de partage, il nous faut ajouter qu’à l’occasion de la parution de ce futur numéro, nous aurons le plaisir de voir ACT-O diffusé à 57 000 exemplaires sur l’entier du territoire helvétique – et avec de nombreux textes traduits en anglais – ce qui sera une belle manière de présenter cette migration de notre institution. And to increase its potential in making our activities known to Geneva’s sizeable international population, our magazine now features original articles in English as well as many English-language summaries. À l’aube de 2015, l’entier de nos équipes, passionné par les missions que porte notre institution, se réjouit de vous offrir nos quatre prochaines productions et mettra tout en œuvre afin qu’elles soient à la hauteur de vos attentes. Et puisqu’il en est encore temps, laissez-moi vous souhaiter, chères et chers fidèles lecteurs, tous mes vœux de bonheur, de santé et de plaisirs artistiques. Tobias Richter

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Parrainage

L’Opéra des Nations, c’est parti !

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Medea

La pitié et l’horreur

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Michael Volle

Plongée au cœur du sublime

O Directeur général

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11, bd du Théâtre - CP 5126 - CH-1211 Genève 11 T +41 22 322 50 00 F +41 22 322 50 01 grandtheatre@geneveopera.ch www.geneveopera.ch

Water Stains on the Wall

Directeur de la publication Tobias Richter Responsable éditorial Mathieu Poncet Responsable graphique & artistique Aimery Chaigne Ont collaboré à ce numéro Bienassis, Marc Bonnant, Sandra Gonzalez, Agnès Izrine, Wladislas Marian, Mathieu Menghini, Gisèle de Neuve, Benoît Payn, Christopher Park, Mathieu Poncet, Jonas Pulver. Impression SRO-Kundig Genève

Les gestes du calligraphe NEW With English Content

Il a été tiré 40  000 exemplaires de ce numéro encartés dans le quotidien Le Temps. Un feuillet additionnel de promotion est inséré entre les pages 8 et 9.

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Prochainement

22 | Février - Avril 2015

| Février - Avril 2015

22 Le journal du Cercle du Grand Théâtre et du Grand Théâtre de Genève

N° 22

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Deux couvertures

Parution 4 éditions par année ; Achevé d’imprimer en janvier 2015. 6 000 exemplaires

Photos librement réalisées autour des spectacles de Medea et de Porgy and Bess

Photo : Nicolas Schopfer Direction artistique : Aimery Chaigne Mannequins: Jean-Philippe Kalonji (Porgy), Annick Mokoi (Bess), Madeleine Farhoumand (Medea) Maquillage : Anaïs Vigliano

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Le baryton allemand plonge au cœur du sublime MEDEA

Le bûcher des vanités imaginé par Christof Loy

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Dans le n°23

Le journal du Cercle du Grand Théâtre et du Grand Théâtre de Genève

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LUNDI MARDI MERCREDI JEUDI VENDREDI


Des amours convenues au désir vrai par M athieu M enghini *

Second achat : Don Giovanni. De la légèreté la plus frivole jusqu’aux abysses de la gravité, ce Mozart m’enchanta d’un bout à l’autre. Retenons ici la geste cocasse de Leporello pensant consoler Donna Elvira en agitant sous ses yeux le catalogue des conquêtes du séducteur sévillan. Me fait glousser encore cette fierté du valet, greffier minutieux des amours de son maître, pensant saisir le grand homme en le ramenant à une comptabilité statistique, en rapportant la qualité à une quantité. Or, le nombre, semble dire Mozart, ne témoigne que pour le ravissement des commencements : le sensuel balancement, par exemple, du « vorrei e non vorrei » de Zerlina dans le tableau suivant. Je me souviens aussi l’été 1990 et le voyage de baccalauréat qui nous mena, mes condisciples et moi, à Budapest. Dans le train, j’écoutai sans cesse – un Walkman sur le chef – l’« Ella giammai m’amo » de l’Acte III de ma troisième acquisition : le Don Carlo de Verdi dans la version de Solti et de la formidable basse bulgare Nicolaï Ghiaurov. La dignité triste du violoncelle annonçant l’entrée pleine de mélancolie de Philippe II me ravissait ; comme le dépit du roi d’une tonalité sépulcrale doublé, à cet endroit-là, par quelque chose d’inexorable dans l’orchestration. Malgré leur conflit (le roi épousant la femme aimée de Carlo), Verdi traite ses protagonistes – père et fils – avec la même subtile empathie. Loin du XVIème siècle, de l’Espagne et des Flandres, ce discord entre l’Ancien et le Nouveau trouvait une nouvelle résonnance dans l’effondrement du bloc soviétique. Les statues des dignitaires honnis quittaient furtivement les rues grises de la capitale hongroise : ces potentats aussi, faute d’avoir su « lire au fond des cœurs »,

Dans la série d’invitations lancées à des personnages de la vie culturelle genevoise, c’est au tour du directeur de théâtre, pédagogue et grand amoureux de musique Mathieu Menghini* de décliner notre devise de saison « Mon opéra, mon amour ». allaient être soldés par le peuple en marche. Le Nouveau, en l’occurence, allait cependant répéter les recettes libéralesconservatrices éculées de l’Ouest sans mémoire pour l’inspiration conseilliste des insurgés de 1956. Mais Verdi me transportait aussi par ses chœurs dont le fameux cantilène « Va, pensiero » des prisonniers hébreux de Nabucco. J’apprenais à son écoute qu’un dessein ailé (« sull’ali dorate ») pouvait être porté collectivement et que flûtes et clarinettes étaient habiles à esquisser la terre promise.

© DR

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es multiples assaisonnements de l’opéra sont propices à chanter l’Amour, son acmé comme ses désillusions âpres. Pas étonnant ainsi que les premiers trente-trois tours lyriques que je me sois offerts aient, tous, mêlé drame et expression des sentiments : Didon et Enée d’abord, et le poignant lamento de la reine de Carthage à l’adresse de Belinda, sa confidente : « When I am laid in earth, may my wrongs create no trouble, no trouble in thy breast ; remember me, but ah! forget my fate. » Me transcendaient l’infinie douceur de la descente du « laid in » chez Janet Baker, la magnanimité du premier « no trouble », l’émotion du second tels qu’interprétés bien des années plus tard par Jessye Norman. La répétition, enfin, des « remember me » aux sonorités cadencées m’ont laissé à l’oreille et à l’âme une impérissable empreinte.

* Anciennement directeur du Centre culturel neuchâtelois, du Théâtre du Crochetan et du Théâtre Forum Meyrin, conseiller de la Fondation Pro Helvetia, Mathieu Menghini est professeur de la Haute École Spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO) chargé d’enseignements en histoire et pratiques de l’action culturelle et collabore avec d’autres institutions d’enseignement supérieur en Suisse et en France.

L’opéra ainsi tenait tout entier, dans ma jeunesse, dans les sillons des vinyles ou les bandes de modestes cassettes ; dans le pays de mon père – celui du suave ténor Beniamino Gigli –, il infusait les rues, émanait des échoppes, traversait les persiennes, participait – en somme – de la culture de tous. Ni cérémonie privative, ni culture populaire, je découvris ensuite, sous notre helvétique latitude, que l’opéra était un rite institutionnalisé, que sa fréquentation exigeait de ses prétendants certaines habiletés sociales, la maîtrise de codes ésotériques. Il en allait, semblait-il, de cette pratique d’amateur opératique comme des péripéties de certaines intrigues : les conventions s’ingéniaient à harceler les amoureux authentiques. Aujourd’hui plus qu’hier, on mesure les obstacles cognitifs, symboliques et psycho-sociaux dans l’accès aux institutions lyriques et l’on s’en émeut. Il est temps que la volonté succède au constat pour que l’opéra ne soit plus synonyme de distinction, mais d’une communauté désirante célébrant les cimes de la sensibilité humaine. ■ ACT­­- O | 22 . 5


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George Gershwin (1898-1937), confia peu avant sa mort à sa compagne et assistante Kay Swift

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qu’il avait réalisé l’esquisse d’une grande partition orchestrale et chorale ayant pour sujet la vie d’Abraham Lincoln, le président libérateur des Noirs étasuniens. Cette œuvre aurait été la suite logique de l’impressionnant travail artistique qu’il réalisa dans Porgy and Bess, unissant son propre génie de compositeur, chansonnier et jazzman à la tradition musicale folklorique afroaméricaine qui lui avait tant donné. Pour marquer l’arrivée au Grand Théâtre de Genève en février 2015 de la production de Porgy and Bess du New York Harlem Theatre, ACT-O vous

© NEW YORK HARLEM THEATRE / LUCIANO ROMANO

propose un voyage dans ce chef-d’œuvre dont on connait si bien les tubes et si peu l’histoire.

› Porgy and Bess American folk opera en 3 actes George Gershwin

Direction artistique & musicale

William Barkhymer

Mise en scène

Baayork Lee

Assistant mise en scène

Larry Marshall Décors Michael Scott Costumes Christina Giannini Lumières Reinhard Traub Porgy

Alvy Powell / Terry Cook

Bess

Morenike Fadayomi / Indira Mahajan

Crown

Michael Redding

Sportin’ Life

Jermaine Smith

Serena

Mari-Yan Pringle Jake John Fulton Clara Heather Hill Maria

Marjorie Wharton

E

n 1926, George Gershwin a vingt-huit ans. Il est riche de plusieurs succès commerciaux dont le rag « Rialto Ripples », composé en 1917 et la chanson « Swanee » qu’Al Jolson, le futur « Chanteur de jazz » des débuts du cinéma parlant, allait inclure dans l’un de ses spectacles de Broadway, propulsant le jeune Gershwin au devant de la scène musicale étasunienne. Mais Gershwin a d’autres ambitions que d’être un chansonnier populaire pour les éditeurs de Tin Pan Alley. En 1924, il signe sa première œuvre dans une veine classique, un concerto pour piano orchestré par une figure importante de la scène musicale new-yorkaise, le pianiste d’origine allemande Ferde Grofé. Rhapsody in Blue restera jusqu’à nos jours l’œuvre classique de Gershwin la plus connue et la plus appréciée des mélomanes. C’est avec cette œuvre comme carte de visite que George Gershwin se rend à Paris pour un court séjour en 1926. Son intention était d’y poursuivre des études de composition, non seulement avec l’incontournable Nadia Boulanger (qui compta également Aaron Copland et Philip Glass parmi ses élèves d’outre-Atlantique) mais aussi d’autres géants du monde musical français de l’entre-deux-guerres, comme Maurice Ravel. Ravel, cependant, refusa de prendre Gershwin comme élève, répondant à sa demande avec cette phrase étonnante : « Pourquoi vouloir devenir un Ravel de deuxième ordre alors que vous êtes déjà un Gershwin de premier ordre ? » Son séjour parisien inspira à Gershwin l’une de

© GTG / NICOLAS SCHOPFER

Chœur et orchestre du New York Harlem Theatre SM Au Grand Théâtre de Genève du 13 au 24 février 2015

Porgy and Bess, un nouvel art musical pour les États-Unis

par C hristopher P ark

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« George was a composer... » ses comédies musicales les plus aimées, An American in Paris, qui fut créée en décembre 1928 à Carnegie Hall, sans susciter initialement beaucoup d’enthousiasme, mais qui avec le temps, et grâce à la version cinématographique de Vincente Minnelli en 1951, est entrée au répertoire des plus grandes œuvres du théâtre musical. Déçu par ses aspirations au prestige musical français, George Gershwin revint sur le terrain qui avait nourri son talent depuis son enfance: les faubourgs populaires de Manhattan. Deuxième fils de Moshe Gershowitz, immigrant juif venu de Saint-Pétersbourg, Gershwin avait grandi dans Harlem, un quartier où les Afroaméricains s’étaient installés en nombre croissant depuis les années 1900, beaucoup d’eux fuyant la misère et la ségrégation raciale des états du Sud. Gershwin avait grandi parmi les Noirs de Harlem et la lecture en 1926 d’un roman écrit par un auteur de Caroline du Sud, Edwin DuBose Heyward, commença à hanter son imagination. Heyward avait puisé l’idée de Porgy (1925) dans un journal relatant l’histoire d’un infirme noir qui avait agressé une femme, puis tenté d’échapper à la police sur son chariot tiré par une chèvre. Heyward était lui-même blanc, mais gardait un souvenir vivace de la communauté de pêcheurs noirs qui vivait à Charleston, ainsi que de l’ouragan de 1911 dont le son de la cloche d’alarme allait inspirer l’une des grandes scènes dramatiques de l’opéra de Gershwin, « Hurricane bell! ». Gershwin avait déjà tenté l’exercice lyrique en 1922 avec Blue Monday, un drame musical situé dans un café en sous-sol de Harlem, dont tous les personnages étaient Afro-américains. Les premières représentations furent cependant réalisées, comme cela se faisait à l’époque sans intention raciste explicite, par des chanteurs blancs grimés. L’œuvre fut un flop sur Broadway, notamment parce que l’émergence de chanteurs noirs à la formation lyrique comme Paul Robeson et Ethel Waters rendait l’exercice du blackface particulièrement suranné et embarrassant. Mais certains cri-

tiques virent dans Blue Monday « une œuvre qui serait imitée dans une centaine d’années », « une intrigue authentiquement humaine de la vie américaine, composée dans une veine musicale américaine, n’utilisant le jazz et le blues qu’aux moments justes et créant avant tout une nouvelle forme libre de récitatif ragtime : les premières lueurs d’un nouvel art musical pour les États-Unis ». suite page suivante

IN SHORT

“A New American Musical Art”

In 1926, George Gershwin had “Swanee” and several hit songs under his belt. But the young composer of Rhapsody In Blue (1924) aimed to be more than just a show tune writer. He applied to study composition in Paris with Nadia Boulanger and Maurice Ravel. Both rejected him, with Ravel asking “Why would you want to be a secondrate Ravel when you are already a first-rate Gershwin?” His first stay in Paris inspired him to write a moderately successful musical in 1928, that later became one of his best-loved works, An American in Paris. Back on his Manhattan home turf, where he had grown up as Jacob Gershowitz, the son of a Russian Jewish immigrant, George found new inspiration in his own neighbourhood of Harlem, with its growing Afro-American population, many of whom came to New York to escape the poverty and segregation of the Southern states, described in DuBose Heyward’s 1925 best-selling novel, Porgy. Gershwin’s imagination was haunted by this story of a crippled black beggar in Charleston. Heyward himself was white, but wrote sympathetically about the poor black fisherfolk of South Carolina and their difficult existence. Gershwin had already tried his hand at an Afro-American operetta in 1922, Blue Monday, set in a basement café in Harlem. Performed – somewhat embarrassingly – by white artists in blackface, the work was a flop but one critic saluted in it “the first gleam of a new American musical art”. Gershwin wanted to use Heyward’s Porgy as material for an opera, but all rights were reserved for the stage. When the work finally became free of rights in 1932, Jerome Kern and Oscar Hammerstein made the first move for a musical starring Al Jolson. Gershwin insisted that Jolson’s project might not “hurt a later version done by an all-colored cast”. Jolson’s Porgy fell through one year later and the New York Theater Guild announced that an opera was to be composed by George Gershwin with a book and lyrics by DuBose Heyward and the composer’s elder brother Ira. George spent the summer of 1934 on the coast of South Carolina. Although he was researching his musical material with the local Gullah Negro community, Heyward remarked: “To George it was more like a homecoming than an exploration.” ACT­­- O | 22 . 7


OPÉRATION «GEORGE WAS A COMPOSER...»

suite de la page précédente

Gershwin avait envie de faire de Porgy un opéra, mais Heyward et sa femme étaient déjà en train de travailler à une adaptation scénique qui allait se révéler un immense succès. Lorsque les droits finirent par devenir disponibles en 1932, on parla d’une version musicale confiée à Jerome Kern et Oscar Hammerstein, avec Al Jolson en vedette. Fort de l’expérience de Blue Monday, Gershwin écrivit à Heyward : « Je ne vois pas pourquoi [une version avec Jolson] s’opposerait à une version ultérieure mettant en scène une distribution entièrement de personnes de couleur. » Gershwin imaginait déjà une œuvre aussi « juste » sur le plan ethnique que sur le plan musical.

Quand Broadway rencontra l’opéra

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ans le bouillon culturel et musical new-yorkais des années folles, George Gershwin se distinguait à bien des égards. Il avait le goût pour l’expérimentation de rythmes non conventionnels, les textures musicales percussives et fragmentées et les orchestrations rutilantes qui trahissent, malgré toute leur apparente aisance et leur liberté d’invention, l’obsession du travail bien fait. C’est au grand Irving Berlin (le compositeur de White Christmas et tant d’autres classiques de la chanson étasunienne) que nous devons l’éloge cité en titre. S’il y avait beaucoup de chansonniers à New York, Gershwin, lui était un compo-

La Grande Dépression

siteur. Il connaissait son Bizet et son Wagner, tout comme il connaissait les musiques de scène, de piano et de chambre de Debussy, Stravinski, Schoenberg et Berg. Il avait d’ailleurs assisté en 1931 à une représentation de Wozzeck à Philadelphie, dirigée par Stokowski. De Puccini, Gershwin avait appris le moyen d’éviter le sentimentalisme kitsch par à peine un cheveu, pour réaliser un impact dramatique d’autant plus puissant qu’on a frôlé le précipice. Pendant l’enfance et la jeunesse de Gershwin, son quartier de Harlem était le point de convergence de plusieurs migrations noires, du Sud ségrégationniste certes, mais aussi celles de migrants économiques venus de villes industrielles du Nord, du Midwest ou des Antilles, cette dernière venant d’une société moins racialement stratifiée et bénéficiant d’une meilleure éducation. Une anthologie littéraire publiée par Alain Locke en 1925 donna son nom au New Negro Movement que la postérité allait mieux connaître sous le nom de « Harlem Renaissance ». De 1924 jusqu’au krach boursier de 1929, les arts connurent une exceptionnelle floraison à Harlem. Le poème de Langston Hughes, « The Negro Speaks Of Rivers » (1920) annonce la figure d’un chantre à Cinéma la mesure d’un Walt Whitman pour les lettres Pendant les années 1920, les grands studios de Hollywood afro-américaines. L’introduction du piano, insdeviennent les principaux producteurs de films du monde trument bourgeois, dans le jazz band composé et règnent sur le cinéma étasunien jusque dans les années 1960. Le cinéma muet remplit des salles conçues comme traditionnellement de cuivres, reflète l’émerdes opéras, somptueusement décorées, souvent dotées gence d’une classe moyenne afro-américaine d’une fosse d’orchestre, pouvant accueillir plus d’un à cette époque et d’un jazz « respectable » qui millier de spectateurs. C’est l’ère de Charlie Chaplin et Buster Keaton, de Rudolph Valentino, Douglas Fairbanks, verrait surgir des géants comme Duke EllingLilian Gish et Mary Pickford. Le public demande certes de ton, Fats Waller et Jelly Roll Morton et auquel l’entertainment, mais l’influence de l’expressionnisme les mélomanes blancs pouvaient s’intéresser de allemand et des techniques de montage soviétiques se fait sentir : le cinéma développe une esthétique, où la manière sérieuse. composition visuelle prend plus d’importance que l’acte Les écrivains blancs aussi. Le roman de DuBose de filmer le monde tel quel. Bien que l’accompagnement Heyward est un bon exemple de ce qu’on musical fasse partie de cette esthétique, elle reste muette. Dès la fin des années 1910, les studios Fox et Warner appellera beaucoup plus tard la Blaxploitation. travaillaient à unir le son et le film, mais la transition vers La contrepartie heureuse de l’arrivée de tant les talkies n’a eu véritablement lieu qu’en 1927, avec The d’éléments de culture noire étasunienne dans Jazz Singer d’Al Jolson. Le premier film « parlant » est un film « chantant » : « That’s entertainment! ». le mainstream culturel de la nation fut que les 8 . ACT­­- O | 22

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Blues

Savez-vous d’où viennent le terme blues et la fameuse expression blue note ? Tous deux dérivent des blue devils, ces « pensées noires » qui nous plongent dans la mélancolie. Le blues est à l’origine d’une grande partie de la musique afroaméricaine, du jazz au rock’n’roll en passant par le rhythm’n’blues. Il est né dans les juke joints, ces lieux où dès les dernières décennies du XIXème siècle, les esclaves afro-américains se réunissaient pour se divertir après le dur labeur quotidien. À l’origine une simple mélodie vocale, le blues s’est entouré d’instruments tels que la guitare, l’harmonica ou le washboard (planche à laver devenue percussion) pour peu à peu se diviser en différents sous-genres. Autant dans la musique et que dans l’esprit même de l’œuvre, le blues est omniprésent dans Porgy and Bess.

Broadway

Taux de chômage record, déflation et vague de pessimisme : la Grande Dépression fait partie des tragédies du XXème siècle. En 1933, le gouvernement fédéral étasunien constatait avec consternation que plus de 60% de la population était touché par la pauvreté. La radio devint une source de divertissement abordable pour le plus démuni et l’industrie du cinéma tenta tant bien que mal de s’adapter à cette nouvelle donne économique. Des mesures politiques furent également prises pour soutenir les artistes. Durant cette difficile décennie, le musical connaîtra d’importantes évolutions en vue d’attirer un public beaucoup moins enclin à dépenser (un pas vers la satire politique pour certains, vers l’opéra pour d’autres – notamment Porgy and Bess – et une nouvelle approche de mise en scène) ; ce boom de créativité débouchera sur l’âge d’or de la comédie musicale, des années quarante à soixante.

artistes afro-américains commencèrent à intégrer les conservatoires et milieux musicaux, jusque-là fréquentés exclusivement par les blancs. Le premier talent musical classique à émerger fut le ténor Roland Hayes, qui lors d’une tournée européenne en 1923 supporta pendant dix minutes les lazzi d’un public berlinois de récital, venus se moquer du chanteur nègre. Ils les fit taire dès qu’il ouvrit la bouche pour interpréter le « Du bist die Ruh’ » de Schubert. Mais revenons à Gershwin. Une fois la décision prise de ne confier l’exécution de son opéra qu’à des artistes « de couleur », la difficulté de trouver une distribution entièrement noire se posa immédiatement. Todd Duncan, qui créa le rôle de Porgy, avait été recommandé à Gershwin par Olin Downes, critique musical au New York Times. Lorsque Gershwin apprit que Duncan, en plus d’être chanteur lyrique, enseignait sa discipline au niveau universitaire, il faillit changer d’idée, craignant une voix trop parfaite pour son Porgy. Duncan eut lui aussi ses réserves quand Gershwin lui joua l’ouverture de l’opéra avec son fond de piano de bastringue, mais les choses allèrent mieux ensuite. « George et Ira, avec leurs affreuses et épouvantables voix cassées, me chantèrent toute la partition et plus j’en entendais, plus je trouvais la musique belle. » Gershwin put compter sur un chanteur plus « de caractère » pour Dès les années 1880, les théâtres se multiplient sur l’artère centrale de Manhattan. En 1926, en plein dans les années folles, on dénombre jusqu’à 11 premières lors d’un lendemain de Noël. Après la Seconde Guerre mondiale, les théâtres se modernisent, Broadway devient The Great White Way, l’un des symboles les plus forts de la culture américaine. En janvier 1942, le Majestic Theatre, établissement de plus de 1 600 places situé sur la 44ème rue, présentait Porgy and Bess dans une version remaniée pour correspondre aux attentes d’un public habitué aux revues, extravaganzas et autres spectacles populaires mêlant chant, danse et théâtre. L’œuvre des Gershwin allait alors faire l’expérience fort lucrative d’être à l’affiche d’une des usines à divertissement de Broadway. Situé en plein cœur de Manhattan, ce théâtre – où fut créé notamment Carousel de Rodgers et Hammerstein – est l’un des principaux établissements du berceau du musical et désormais l’un des deux centres névralgiques de la comédie musicale aux côtés du West End londonien.

© NEW YORK HARLEM THEATRE / LUCIANO ROMANO

Le Porgy de Jolson ne se fit pas et en 1933, la Guilde des théâtres de New York annonça qu’une version en forme d’opéra avait été commandée à Gershwin, le livret serait fourni par Heyward et les lyrics par Ira Gershwin, le frère aîné de George. Gershwin passa l’été 1934 sur la côte de la Caroline du Sud, non loin de l’île de James Island, où vivait une importante communauté de gens Gullah, descendants directs d’esclaves venus d’Angola. Heyward lui-même remarqua à quel point Gershwin, le natif de Harlem, lui semblait être « revenu au pays » ■


«GEORGE WAS A COMPOSER...» OPÉRATION

Prohibition

« That damn whiskey jus’ as weak as water ! », vitupère Crown, le mac de Bess à son entrée en scène. Porgy and Bess a lieu dans « The Recent Past » : un passé récent qui, pour le public de la première de 1935, a des relents inoubliables d’alcool dilué, frelaté, trafiqué et surtout illégal. En 1920, le Congrès des États-Unis d’Amérique passe outre au veto du président Wilson et ratifie le 18ème amendement de la constitution, promulguant la loi Volstead qui rend illégales la production, le transport et la vente d’alcool (mais pas sa consommation ou sa possession). Le commerce de l’alcool devient clandestin, affaire du crime organisé et de gangs qui se battent violemment pour le contrôle du marché. Tom Dennison, dans l’Omaha, Al Capone à Chicago sont parmi les boss qui font fortune et qui se payent les meilleurs avocats et les pots-de-vin les plus généreux pour déjouer les poursuites policières. Le citoyen ordinaire est plutôt bien disposé envers les bootleggers qui lui fournissent l’alcool dans les bistrots clandestins ou speakeasies : les années 1920 sont celles d’un relâchement des mœurs sociales, où l’on voit notamment les femmes commencer à être consommatrices d’alcool et de tabac. La corruption et le crime induits par l’absurde loi Volstead deviennent intenables : en 1933, le 21ème amendement annule intégralement le 18ème. Commence alors l’ère du cocktail party, Dry Martinis et Manhattans, mais aussi l’ère où la consommation de stupéfiants tels le cannabis et la cocaïne (le « happy dust » que propose Sportin’ Life, dans Porgy and Bess), jusque-là exclusifs à la population des Noirs pauvres du Sud, tombe sous l’effet d’une autre forme de prohibition, celle-là plus durable.

Dès sa création, Porgy & Bess a été considéré comme une œuvre problématique du point de vue de la question raciale. Effectivement, même si ses auteurs ont fait preuve du plus grand respect, ils ont représentés leurs personnages avec des traits qui créèrent le malaise. Si certains interprètes ne supportèrent pas d’incarner des personnages baignant dans la pauvreté, la drogue et la violence, d’autres y virent le moyen de lutter contre la ségrégation, comme Todd Duncan, le créateur du rôle de Porgy, qui obtint en 1936 que les représentations du Washington National Theatre ne soient plus touchées par les normes ségrégationnistes. Avec le recul, Porgy & Bess est parvenu à panser les plaies de ce passé raciste, demeurant avant tout un fabuleux témoignage de l’héritage musical et de l’histoire des États-Unis.

Spiritual

Expression religieuse musicale des esclaves afro-américains convertis au christianisme, le spiritual est né de la rencontre des hymnes chrétiens de la Nouvelle-Angleterre et des pratiques musicales africaines telles que la technique de l’appel et réponse ou les rythmes syncopés. Chantés initialement à l’unisson, assis en rond ou en une danse circulaire, ces chants communautaires ont peu à peu glissés vers des arrangements choraux similaires à certains des chœurs de Porgy and Bess (« Gone, Gone, Gone » ou « It Take a Long Pull To Get There »). George Gershwin se rendit à de nombreuses reprises aux célébrations religieuses d’une église afro-américaine de Charleston en Caroline du Sud où il aura certainement puisé une grande partie de son inspiration pour certains airs de son American folk opera.

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le personnage de Sportin’ Life, le dealer, en la personne de John W. Bubbles, grand artiste de vaudeville et danseur de claquettes. Crée à Boston le 30 septembre 1935, Porgy and Bess débuta à New York dix jours plus tard et y connut pas moins de 124 représentations : extraordinaire pour un opéra mais de la petite bière pour Broadway. Gershwin affichait clairement son ambition d’y reproduire « le drame de Carmen et la beauté de Die Meistersinger » mais à cause de cela l’œuvre n’allait cesser d’être difficile à situer, tant pour le public que pour la critique. On reprocha à Gershwin d’avoir écrit un opéra plein de tubes, qui brisaient la continuité du spectacle. Pas si différent de Verdi ou Puccini, répliquait le compositeur. Gershwin céda à des pressions incroyables pour rendre son œuvre moins « wagnérienne » et écourta copieusement la partition peu avant sa création. Mais inévitablement, les tubes eurent raison de la portée émotionnelle et de l’intégrité structurelle d’une œuvre pleine de leitmotivs et magistralement agencée (la fin du premier acte est un superbe enchaînement de scènes chorales, de récitatifs expressifs et de dialogues, pivotant autour de l’air

Harlem Renaissance

Racisme

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Nés à Brooklyn, Jacob Gershowitz, ainsi que son frère aîné Israel, devinrent très tôt George et Ira Gershwin, sans escamoter leur identité juive, mais en l’américanisant. Aucun talent musical dans la famille, pas même de chazzan. Papa Moshe, dont les échecs répétés n’émoussaient pas un infatigable esprit d’entreprise, légua à ses fils son sens de l’humour. Mama Rose, pour ne pas se faire damer le pion par sa belle-sœur, acheta un piano pour Ira. Et c’est George qui, sous l’influence d’un camarade violoniste, s’y intéressa et, quittant l’école à 15 ans, devint un song plugger, payé par un éditeur musical pour pianoter ses chansons dans les arrière-salles de cafés à quinze dollars par semaine. Les Gershowitz avait habité le Yiddish Theater District pendant quelques années ; George et Ira se faisaient de l’argent de poche comme garçons coursiers ou figurants dans les nombreux théâtres en yiddish qui rivalisaient à l’époque avec Broadway. En 1921, un an après sa première à Varsovie, Le Dibbouk de Shalom Anski est monté au Yiddish Art Theatre. George Gershwin avait très sérieusement envisagé s’emparer de cette œuvre maîtresse de la littérature yiddish et du théâtre juif pour en faire « son » opéra, jusqu’à ce que le projet soit supplanté par Porgy. Au niveau spirituel, George avait finalement plus en commun avec le « Oh Lord, I’m On My Way! »  de Porgy and Bess qu’avec la musique du shtetl.

IN SHORT

de Serena « My man’s gone now »). Pendant des années, l’œuvre fut souvent démembrée et exploitée pour ses tubes, devenus standards du jazz. On faisait même souvent abstraction de la magnifique ouverture pour commencer le spectacle avec « Summertime ». George Gershwin mourut à 38 ans pendant qu’on lui ôtait une tumeur au cerveau et ne vécut pas pour voir représentée intégralement l’œuvre dans laquelle il avait mis le plus beau de ses talents de compositeur. Il fallut attendre 1976, l’année du bicentenaire américain, pour qu’aient lieu la première représentation et le premier enregistrement de la partition originale laissée par ce Mozart de Harlem et qu’on entendra ce mois de février 2015 sur la scène du Grand Théâtre. ■

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Juif

Gershwin stood out in the New York music scene, with his taste for unconventional rhythms, percussive and fragmented textures and well-crafted orchestrations. Irving Berlin summed it up: “The rest of us were songwriters, George was a composer.” Gershwin knew his classics; Bizet, Wagner and Puccini, from whom he learned the art of skirting sentimentality by a hair’s breadth, with an impact all the more powerful for its nearness to the cliff’s edge. During Gershwin’s youth in Harlem, the borough was the focus of several black migrations. Thus began a flourishing of the arts in Harlem known as the New Negro Movement. With Langston Hughes as its bard, and the new respectability of jazz music thanks to the introduction of the piano in middle-class black households, the Harlem Renaissance was of considerable interest to white music and literature lovers. As Afro-American culture entered the mainstream, black artists increasingly integrated elite cultural schools and institutions. Black opera singers, such as the tenor Roland Hayes, were emerging and touring as far as Europe, silencing racist audiences with their unexpected talent. When Gershwin decided “coloured people” should only sing Porgy and Bess, the task of finding an all-black cast proved difficult. Gershwin thought Todd Duncan, the first Porgy, too classically trained, just as Duncan bridled when Gershwin played him the opera’s honky-tonk overture. For Sportin’ Life, the “happy dust” dealer, Gershwin was lucky to count on John W. Bubbles, a great vaudeville artist and tap dancer. Porgy and Bess’ first performance was a tryout in Boston with an official opening in New York’s Alvin Theatre ten days later. With only 124 performances, it was a relative success as operas go, but disappointing by Broadway standards. Gershwin’s work was always going to be hard to “place” with audiences and critics. When accused of having written an opera full of showstoppers, Gershwin pointed out that Verdi’s operas were no different but still gave in to huge pressure from his producers to shorten the work. Long after Gershwin’s untimely death at the age of 38, after unsuccessful brain tumour surgery, this superbly wrought music drama would be stripped for its hits (“Summertime” would often begin the show instead of the overture) and was not performed until 1976 in Gershwin’s original 1935 score, the one we will be hearing at the Grand Théâtre this February. ACT­­- O | 22 . 9


© GTG /  CAROLE PARODI

OPÉRATION «GEORGE WAS A COMPOSER...»

Tobias Richter : « l’œuvre-clé de la musique classique nord-américaine » un entretien avec B enoît P ayn

Depuis sa création en 1981, la troupe du New York Harlem Theatre sm a présenté deux productions différentes de Porgy and Bess. Invitée par les plus prestigieuses maisons d’opéra d’Europe, elle rassemble des chanteurs afro-américains qui sont les invités réguliers des grandes institutions lyriques américaines telles que le Metropolitan Opera, le Houston Grand Opera ou le San Francisco Opera. Since their beginnings in 1981, the players of the New York Harlem Theatre sm have been presenting two different productions of Porgy and Bess. With frequent performances in the greatest European opera houses, the New York Harlem Theatre sm features Afro-American singers who are also regular guest performers at the Metropolitan Opera, Houston Grand Opera and the San Francisco Opera.

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sm

Benoît Payn Porgy and Bess n’a plus été entendu sur la scène de Neuve depuis… 1978 ! Comment expliquer une aussi longue absence ? Tobias Richter Il faut tout d’abord préciser qu’on ne monte pas facilement cette œuvre compte tenu du décret des Gershwin qui exige que les interprètes soient tous d’origine afro-américaine. Voilà donc une première raison de la présence exceptionnelle de cette œuvre à l’affiche à Genève. Porgy & Bess est – il faut tout de même le rappeler – l’un des grands titres du XXème siècle et l’œuvre-clé de la musique classique nord-américaine. Une tradition musicale qui est d’ailleurs relativement jeune, puisqu’elle s’est développée au moment où le jazz est né. Gershwin a créé, sur des bases classiques, un nouveau style de musique qui est désormais entré dans les répertoires de concert et de théâtre. Il s’agit là d’une deuxième raison qui m’a poussé à faire ce choix de programmation. Et il existe toute une génération de compositeurs américains à cette époque, qui ne sont malheureusement pas assez joués ici à Genève. En 1972, j’étais assistant mise en scène au Grand Théâtre pour la comédie musicale Showboat de Jerome Kern, un œuvre que l’on pourrait aussi considérer comme un opéra comique ou une opérette et qui a remporté un succès énorme à l’époque ! Ces œuvres plaisent au public et il serait dommage de les priver de tels plaisirs.

BP Et pourquoi avoir fait appel à la troupe du New Harlem Theatre ? TR Stylistiquement, c’est forcément un plus de compter sur une équipe qui est un peu née dans cette tradition musicale, c’est pourquoi nous avons décidé d’accueillir cette production qui nous vient de New York et que je connais bien. Pour la petite histoire, William Barkhymer était d’ailleurs l’assistant musical pour Showboat ! Je connais son travail, il parle très bien le français, il connaît la mentalité du public genevois. Et la troupe qu’il a mise en place est admirable. On retrouve les meilleurs interprètes qu’ils soient pour les rôles principaux, notamment Morenike Fadayomi que l’on avait pu apprécier dans La Wally la saison précédente. C’est une production qui tourne évidemment depuis quelques années mais il faut préciser qu’à chaque fois elle est retravaillée avec l’équipe de production originale. On a donc affaire au meilleur de la tradition du théâtre musical étasunien. Il s’agit là d’un spectacle qui tourne et se joue beaucoup, il dispose donc déjà de son propre rythme, un élément incontournable pour ce genre de spectacle. ■

© NEW YORK HARLEM THEATRE / LUCIANO ROMANO / ROBERTO RICCI

New York Harlem Theatre


OPÉRATION

Medea

La pitié et l’horreur Déjà réunis à l’occasion de Die lustige Witwe et Macbeth,

Christof Loy et Jennifer Larmore ne cachent pas leur plaisir de travailler à nouveau ensemble. Ils se retrouvent pour Medea, la version italienne de l’opéra-comique composé par Cherubini en 1797, une œuvre qui a tout pour leur plaire : un drame puissant pour le metteur en scène et un personnage d’anthologie pour la cantatrice. suite page suivante

› Medea Tragedia en 3 actes Luigi Cherubini Direction musicale

Marko Letonja

Mise en scène

Christof Loy

Décors & costumes

Herbert Murauer Expression corporelle Thomas Wilhelm Lumières Reinhard Traub Dramaturgie Yvonne Gebauer Creonte

Daniel Okulitch

Glauce

Grazia Doronzio

Giasone

Andrea Carè

Medea

Jennifer Larmore

Neris

Sara Mingardo Un capitaine de la garde royale Alexander Milev Première servante Magdalena Risberg Deuxième servante Ahlima Mhamdi Chœur du Grand Théâtre de Genève Direction Alan Woodbridge

Orchestre de la Suisse Romande Nouvelle production Au Grand Théâtre de Genève du 9 au 24 avril 2015

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© BILDARCHIV STEFFENS / BRIDGEMAN IMAGES

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Le chef d’orchestre slovène Marko Letonja et le metteur en scène allemand Christof Loy signent cette nouvelle production de Medea pour le Grand Théâtre.

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OPÉRATION MEDEA LA PITIÉ ET L’HORREUR

« Médée, avec toutes ses capacités de réflexion, tremble toujours face à elle-même, face à sa propre nature et celle de l’être humain en soi. » IN SHORT German director Christof Loy’s Medea grew from his work on Macbeth in Geneva as the logical pursuit of Jennifer Larmore’s interest in female tragic figures. Medea, famously performed by Maria Callas, is more than just a bloodthirsty Jezabel; her first aria is actually quite tender. Her suffering calls for pity; pity and horror being the two pivotal emotions of ancient theatre. After her first crisis with Jason, Medea gradually loses her self-control, but not her complex ability to think and manipulate, as the meaning of her name (“she who has good sense”) would suggest. The city of Corinth looms over her like a Brave New World in all its polished, polite superficiality. Cherubini’s stiff and pompous music for the wedding marches underlines this. Medea cannot stand the Corinthians’ conceit in imagining they are above human passions: “Do not think you can tame human nature in this way!” In spite of her keen intellect, Medea is also afraid, of human nature and of herself; by the unspeakable act of killing her own children, she is symbolically killing all creation and herself with it. Inspired by a performance at the ancient theatre of Epidauros, Loy’s designer Herbert Murauer provides a set with many Classical references, that acts as a podium, both for the performers and the orchestra, creating a spatial synergy between music and drama. Cherubini was a young man when he composed Médée in Paris and not perfectly at ease with the language and culture; the long spoken verse parts of his original opera are difficult for international casts. Loy admits that the pragmatic choice to make is the 1909 Italian version, the one with which Medea really achieved its reputation as an opera.

un entretien avec C hristof L oy par Y vonne G ebauer , traduit par B enoît P ayn

Yvonne Gebauer Qu’est-ce qui vous a amené à mettre en scène Medea à Genève ? Christof Loy Le projet de Medea est apparu lorsque j’ai travaillé avec Jennifer Larmore ici à Genève, pour Macbeth. Ces dernières années, Jennifer Larmore s’est de plus en plus plongée dans des personnages de grandes tragédiennes. Il nous a donc semblé logique de poursuivre avec Medea. La plupart des gens connaissent l’interprétation de la Callas qui est parvenue à communiquer une partie de

cette figure féminine absolument unique. Souvent, ce personnage est injustement réduit à une sauvage carnassière. Mon souhait est d’explorer cela davantage. Il est par exemple intéressant de voir que ce personnage est tout d’abord introduit par un air relativement doux. Elle apparaît comme une femme et une mère aimante blessée, qui souffre au plus haut point et qui appelle ainsi à la pitié – la pitié et l’horreur, deux concepts qui sont bien sûr centraux lorsque l’on étudie l’Antiquité et qui m’ont aussi toujours intéressés en tant qu’homme de théâtre. Ce n’est seulement qu’après la première grande confrontation avec Jason que se met en marche quelque chose en elle, puis elle devient de moins en moins capable de contrôler ses sentiments. Parallèlement à ses explosions tout à fait incontrôlées, il y a également chez elle une réflexion. C’est aussi important de souligner l’extrême intelligence de cette femme ; en grec ancien, Médée signifie quelque chose comme « celle qui est intelligente et sage», ce qui comprend évidemment aussi sa capacité à manipuler et à mentir. Rien que cette courte description démontre combien Médée déploie une personnalité complexe. YG Et comment se présente pour vous l’univers de Corinthe ? CL Face au personnage de Médée, l’univers de Corinthe apparaît chez Cherubini singulièrement figé comme une statue. Avec ces allures de contre-utopie, il semble presque inquiétant. La mariée est la seule personne qui ait toujours de temps à autre des moments de sensibilité qui ressortent de cette superficialité lisse et polie de Corinthe. Médée fait son entrée en pleine préparation des noces. Le mariage, cette forme bourgeoise de relation conjugale, se manifeste comme un élément nécessaire à une société fonctionnelle. Ceci est décliné dans la musique de Cherubini notamment dans ses marches qui possèdent une dimension très mécanique et un faste dénué de sens, par quelque chose qui ne peut être qu’une protection fragile et insuffisante face aux passions humaines que l’on ne peut contrôler. Médée ne peut supporter ceux qui prennent place en s’accommodant aveuglement avec le monde contre leur propre nature. Elle exprime cela avec tout son charisme: « Ne croyez pas pouvoir dompter ainsi la nature humaine et y échapper ! » YG Quelle dimension a cet acte ? CL Médée, avec toutes ses capacités de réflexion, tremble toujours face à elle-même, face à sa propre nature et celle de l’être humain en soi. Ainsi le meurtre de ses propres enfants, de sa chair et son sang propres est une tentative d’éliminer toute la création et de se détruire elle-même. Et je pense que c’est l’acte barbare par excellence, lorsque l’on commet un forfait pour lequel on n’a vraiment plus les mots. YG À quoi va ressembler l’espace dans lequel Medea sera joué ? CL Lors de la préparation de la production, j’ai été passablement inspiré par la façon dont était représentée la tragédie grecque dans l’Antiquité et par une représentation contemporaine à laquelle j’ai assisté au théâtre d’Épidaure. J’ai été fasciné par l’équilibre entre la magie du lieu, la narration d’un mythe et les habitudes visuelles de notre époque. Et je suis donc arrivé avec Herbert Murauer à une solution scénique inspirée de l’Antiquité grecque, qui cite également la période classique dans les détails architectoniques. Dans le théâtre antique, la relation à la nature a toujours été très importante. Sur notre scène, la nature n’est qu’une représentation artificielle, ce qui a beaucoup à voir avec le monde superficiel de Corinthe qui n’est plus en rapport immédiat avec elle. Tout comme dans le théâtre antique, l’espace scénique n’est qu’une sorte de podium sur lequel a lieu la représentation. L’orchestre est inclus dans cet espace, comme pour tenter d’établir un effet synergique entre son et espace, et les événements scéniques.

CL Étonnamment, nous nous sommes décidés pour la version italienne avec récitatifs. Il faut d’une part reconnaître que la véritable marche victorieuse de l’œuvre a eu lieu dans la version italienne avec récitatifs. Et je suis assez pragmatique pour reconnaître que c’est à ce moment-là que le feu a pris. Il me semble que l’expression musicale de Cherubini, bien qu’il était encore relativement jeune à son arrivée à Paris, est celle d’un italien et que sa musique provient essentiellement d’une sensibilité italienne. Le français a toujours été une langue étrangère pour lui. D’autre part, la version française originale avec ses alexandrins déclamés, tout aussi attrayante qu’elle soit, pose un défi quasi insurmontable pour un cast de chanteurs international. ■

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© GTG / NICOLAS SCHOPFER /  DA : AIMERY CHAIGNE

YG Quelle version va être jouée à Genève ?


MEDEA LA PITIÉ ET L’HORREUR OPÉRATION

Letting Her Wild Streak Out Jennifer Larmore on her performance of Medea in Geneva this April Interviewed by C hristopher P ark

Christopher Park We haven’t had the pleasure of hearing and seeing you on the Geneva opera stage since your Lady Macbeth in July 2012, what have you been up to? Jennifer Larmore Life is a whirlwind of non-stop travel, preparation and performances! Since I was in Geneva I added two new roles to my repertoire: Eboli in Verdi’s Don Carlos which I sang at the Caramoor Festival in New York and Hélène in Offenbach’s La Belle Hélène for the Hamburg State Opera. Since Christof Loy talked me into broadening my horizons I’ve tried not to limit myself and have been looking for more interesting opportunities! The Macbeth was an eye opener for me so I decided to try the Eboli and I’m so glad I did! La Belle Hélène is an operetta with dialogue, which made it quite a challenge, but I found that I loved it and was good at it! My life has always happily been filled with symphonic concerts. I recently sang Shéhérazade of Ravel and the Berg Sieben frühe Lieder with the Brazilian Symphony orchestra in Rio amongst other concerts as well as finishing the book I’ve been writing dealing with the psychological aspects of our business and how it affects us. ChP It’s obvious that you and Christof Loy form quite a team: every one of your appearances in Geneva since Die lustige Witwe in 2010 has been in a Loy production. What is it that keeps your artistic relationship going, in so many different forms of musical theatre? JL Sometimes you meet a person and immediately “click” with them. There is something that draws you to them and for us it happened when we were just about to start rehearsals of Lulu for Covent Garden. He came to my apartment in Paris for a “first meeting’ and we couldn’t stop talking for 2 hours. Our views, perception, and energy – everything was in sync. That doesn’t happen very often. Our work relationship is pure collaboration rooted in respect. We have since become very good friends as well. ChP You will be tackling the larger-than-life role of Medea for the first time in your career. How does it feel to be stepping in the shoes of a character so strongly associated with such iconic singers as Maria Callas, Montse Caballé, Leonie Rysanek, Shirley Verrett?

JL I would insert my views into the debate if I felt they were relevant but in this case, and with the time constraints that we have in Geneva and that I have in my life, I’m happy to do the Italian version. I find the recitatives still interesting and informative as they should be even if they aren’t Cherubini’s. As far as merit is concerned, this version has stood the test of time, has been chosen, performed and been successful in the past so I feel confident in it. ChP Medea, in Christof Loy’s production appears to be a non-conformist in world of bourgeois conformism. Will this bring out Jennifer Larmore’s wild streak or should we expect something completely different? JL My wild streak will most definitely be in effect here! I am naturally a “Rock and Roll” girl who enjoys Led Zeppelin and Jimi Hendrix – well, almost anything with electric guitar – so I’ve always had that wild streak lurking underneath the surface. How can I play Medea and not let my crazy flag fly?! Seriously, this is a woman in unbearable pain. You would have to be driven mad to do what she does in the end. It is a current theme and emphasizes how people have been throughout time immemorial – we want to love and be loved back. We don’t want to be disregarded for who we are. For some people, it is simply too painful to be loved and then cast aside and it can bring them to the breaking point. Christof and I will discover who she is together and then I will sing this in Geneva, a house that has supported me my entire career. I can’t think of a better place to do it. I feel like a racehorse at the gate – excited, waiting, ready. I want this Medea to be something special! ■ en français au verso

ChP There has been a certain amount of debate amongst critics, artists and musiclogists about the merits of the various versions of Cherubini’s work: essentially the French-language opéra comique original vs. the Italian version elaborated in the early 20th century from a German translation with recitatives not by Cherubini. How does the artist that you are situate herself in this debate, if at all?

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JL Every role I’ve ever done has been associated with someone wonderful! I feel honored to try my hand at it now. You never know! Maybe one day someone will include me in the list!! When I sing/ act a role, I always do it with the voice that I have at that moment and in the spirit of who I am at that moment. I think a performer runs into trouble when they try to be anyone they aren’t. It simply doesn’t work. With Christof Loy, this mammoth role of “Medea” will grow organically from me and from him and I suspect we’ll end up with a character who is solely mine and his. The music is tremendous! I love the way the music enhances the text and vice versa! It’s filled with a special type of power that needs a woman around my age and with my experience to make it come alive. I’m looking very forward to this new experience!

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OPÉRATION MEDEA LA PITIÉ ET L’HORREUR

« Mon côté sauvage va faire surface »

Un entretien avec Jennifer Larmore, rôle-titre de Medea en avril 2015 au Grand Théâtre. Propos recueillis et traduits par C hristopher P ark

Christopher Park Nous n’avons pas eu le plaisir de vous voir ou de vous entendre au Grand Théâtre depuis votre interprétation de Lady Macbeth en juin 2012, que s’est-il passé dans l’intervalle ? Jennifer Larmore Ma vie ne cesse de tourbillonner entre voyages, préparatifs et représentations! Depuis mon dernier passage à Genève, j’ai ajouté deux nouveaux rôles à mon répertoire: Eboli, du Don Carlos de Verdi, que j’ai chantée au Caramoor Festival de New York et le rôletitre de La Belle Hélène d’Offenbach pour l’Opéra d’état de Hambourg. Depuis que Christof Loy m’a persuadée d’élargir mes horizons, j’essaie de ne pas restreindre mes intérêts et suis toujours à la recherche d’opportunités dans ce sens. Mon rôle dans Macbeth m’a vraiment ouvert les yeux et je me suis donc lancée dans Eboli et je ne le regrette pas du tout ! La Belle Hélène est une opérette avec dialogues parlés, ce qui n’était pas évident pour moi mais j’ai pris du plaisir à l’effort et il semble que j’y étais plutôt bonne ! Il y a toujours eu une place heureuse pour les concerts symphoniques dans ma vie. Récemment, j’ai chanté le Shéhérazade de Ravel et les Sieben frühe Lieder de Berg avec l’Orchestre symphonique du Brésil à Rio, tout en mettant les dernières touches à un livre que je suis en train d’écrire sur les aspects psychologiques de notre métier et comment il nous affecte. ChP Il est évident que Christof Loy et vous formez une sacrée équipe : depuis sa Die lustige Witwe en 2010, chacune de vos prestations sur la scène de Neuve a été dans l’une de ses mises en scène. Qu’est-ce qui nourrit votre relation artistique, à travers ces diverses formes de théâtre musical ? JL Parfois, on fait la connaissance d’une personne pour laquelle on sent immédiatement des atomes crochus. Pour nous, ce moment a eu lieu lorsque nous allions commencer les répétitions de Lulu à Covent Garden. Il est venu chez moi, à Paris, pour une « première rencontre » de deux heures de conversation à tout rompre. Nos visions, nos sentiments, notre énergie, tout coïncidait. Cela n’arrive pas très souvent. Notre travail commun est une relation de pure collaboration, ancrée dans le respect. Nous sommes également devenus de bons amis par la suite. ChP Vous allez aborder le rôle plus grand que nature de Médée pour la première fois de votre carrière. Quels sont vos impressions au moment d’endosser un personnage qu’on associe à de icônes de la scène telles que Maria Callas, Montserrat Caballé, Leonie Rysanek, Shirley Verrett ? JL Chacun des rôles que j’interprète a été tenu auparavant par une chanteuse exceptionnelle! Je me sens privilégiée de pouvoir m’y essayer aussi. On ne sait jamais, quelqu’un un jour ajoutera peutêtre mon nom à cette liste ! Lorsque je joue/chante un rôle, c’est toujours avec ma voix du moment et l’esprit de la personne que je 14 . ACT­­- O | 22

suis à ce moment. Il me semble que les artistes commencent à avoir des problèmes lorsqu’ils essaient d’être ce qu’ils ne sont pas. Ça ne marche tout simplement pas. Avec Christof Loy, ce rôle monstre de Médée pourra émerger de manière organique à partir de notre travail commun et nous finirons avec un personnage qui nous appartiendra exclusivement, à lui et à moi. La musique est phénoménale ! J’adore la manière dont elle embellit le texte, et vice versa. Elle est pleine d’une force toute particulière qui a besoin d’une femme de mon âge et de mon expérience pour l’animer. Je me réjouis beaucoup de cette nouvelle expérience ! ChP Entre critiques, artistes et musicologues, on discute fréquemment des mérites des différentes versions de l’œuvre de Cherubini, plus précisément de l’opéra comique français original par opposition à la version italienne élaborée au début du siècle dernier à partir d’une version allemande avec des récitatifs d’un autre compositeur. L’artiste que vous êtes a-t-elle un mot à dire dans ce débat, ou pas du tout ? JL Si je pensais mon avis pertinent à ce débat, je n’hésiterais pas à le faire connaître mais dans ce cas, et avec les contraintes de temps auxquelles nous sommes soumis à Genève et mes circonstances actuelles, je suis tout à fait à l’aise avec la version italienne. Je trouve les récitatifs tout aussi intéressants et informatifs qu’ils auraient dû l’être si Cherubini lui-même les avait composés. Quant aux mérites respectifs, cette version a su passer l’épreuve des années, a été sélectionnée, interprétée et couronnée de succès si souvent de par le passé, qu’elle m’inspire une pleine confiance. ChP Dans la mise en scène de Christof Loy, Médée semble faire figure de non-conformiste dans un monde bourgeois ultra-conformiste. Cela fera-t-il ressortir le côté sauvage de Jennifer Larmore ou devons-nous nous préparer à tout autre chose ? JL Mon côté sauvage va très certainement faire surface ! J’ai toujours été une rockeuse dans l’âme, j’adore Led Zeppelin et Jimi Hendrix, presque tout ce qui a de la guitare électrique en fait, et ce côté sauvage rôde toujours sous la surface. Comment jouer Médée sans battre mon pavillon de cinglée ? Plus sérieusement, il s’agit d’une femme qui souffre d’une douleur indicible. Il faut être poussée à la folie pour finir par faire ce qu’elle fait. Le thème est d’actualité et met l’accent sur un état primordial de l’humanité: notre désir d’aimer et d’être aimés en retour. Nous ne voulons pas être rejetés pour qui nous sommes. Pour certains, il est simplement trop difficile d’avoir été aimés et délaissés ; cela peut tout faire basculer. Christof et moi irons à la découverte de ce personnage et je l’incarnerai à Genève, une maison qui m’a soutenue tout au long de ma carrière. Je me sens comme un cheval de course sur la ligne de départ : enthousiaste, impatiente, prête. Je veux faire quelque chose de spécial avec cette Médée !  ■

©GTG / MONIKA RITTERSHAUS

Jennifer Larmore en Lady Macbeth lors de sa dernière apparition au Grand Théâtre en 2012, dans une mise en scène de Christof Loy.


©DR

Plongée au cœur du sublime

› Michael Volle Récital Schubert Piano

Helmut Deutsch

Au Grand Théâtre de Genève 4 mars 2015 à 19 h 30

par B enoît P ayn

La saison passée, Jonas Kaufmann interprétait à l’occasion d’un récital exceptionnel Le Voyage d’hiver,

IN SHORT

Diving Into The Sublime

le plus connu des cycles de Schubert. Cette année, c’est au tour de Michael Volle de nous emmener, en compagnie du pianiste Helmut Deutsch, à la découverte de nouvelles pages du maître incontesté du lied.

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ichael Volle n’est pas de ces chanteurs blingbling. Plutôt que de se plier aux logiques du star system lyrique, le baryton allemand a su construire une carrière en se concentrant sur l’essentiel du métier de chanteur et en prenant les bonnes décisions aux bons moments. Il déclarait dans une entrevue réalisée pour la sortie de son CD « Michael Volle – a portrait » (BR Klassik 2013) à quel point il avait été précieux pour lui de bénéficier des conseils de Josef Metternich qui fut un mentor aussi bien humainement que musicalement. Désormais à l’apogée de sa carrière, Michael Volle fait le bonheur des plus grandes scènes lyriques – en ce début de saison, il était Guillaume Tell au Bayerische Staatsoper de Munich, Mandryka au Gran Teatre del Liceu de Barcelone et Hans Sachs au Metropolitan Opera de New York. C’est notamment grâce aux nombreuses saisons passées parmi les troupes de grandes maisons d’opéra qu’il a peu à peu acquis la solide expérience qui fait de lui aujourd’hui l’un des chanteurs les plus recherchés de son Fach. Après avoir évolué plusieurs années à Francfort, il a été membre de l’ensemble de l’Opernhaus de Zurich de 1999 à 2007, avant de rejoindre la troupe de la première maison lyrique de Bavière où il incarnait récemment Amfortas, Amonasro et Don Alfonso. S’il a longtemps été attaché à des institutions, le chanteur originaire de la Forêt-Noire a su éviter le piège de la routine en gardant toujours la curiosité et l’audace nécessaires pour aborder de nouveaux rôles, à chaque fois en adéquation avec la voix du moment. De quoi mener la brillante carrière qu’on lui connaît. Il suffit d’avoir assisté à l’une de ses prestations pour être profondément marqué par l’envergure de son talent. La voix autant que l’imposante stature du chanteur ont tout d’abord quelque chose de rassurant. Puis, c’est l’instrument large et homogène, sa chaleur hypnotisante, qui interpellent. On est alors frappé par le naturel et la maîtrise déroutante de ce baryton forgé dans la plus pure tradition de l’école allemande. Enfin, à mesure que le chanteur aborde les différentes facettes des personnages qu’il incarne, on découvre encore cette capacité à faire miroiter cette saisissante palette de timbres. Cette diversité se manifeste également dans la polyvalence de l’artiste, capable de véritables grands écarts entre répertoire italien et Fächer allemands, Musikdramen et opérette, concert avec orchestre symphonique et récital. C’est avant tout pour ses interprétations du répertoire germanique que le chanteur est le plus prisé. Et si Michael Volle a effectivement le coffre nécessaire pour les grands rôles wagnériens, il est aussi capable de retrouver la finesse et la délicatesse propre à l’intimité des Liederabende. Pour le programme de cette soirée, le baryton allemand s’est tourné vers des lieds que l’on a moins souvent l’occasion d’entendre en récital, Der Schwanengesang (Le Chant du cygne) ou Der Taucher (Le Plongeur) notamment. Le premier est considéré comme le

testament musical du compositeur viennois puisqu’il s’agit des lieds que Schubert a écrits lors des quatre mois qui précèdèrent sa disparition et que son éditeur Haslinger a rassemblés en espérant que cette publication posthume remporte autant de succès que les cycles précédents. Contrairement à Die Winterreise ou Die schöne Müllerin, point de fil rouge thématique au travers de ces treize compositions pour voix et piano – ou quatorze si l’on retient « Die Taubenpost », unique lied du recueil composé sur un poème de Seidl –, c’est plutôt la richesse de la dernière phase créatrice de Schubert qui s’offre à nos oreilles. Le second mettra davantage le talent de narrateur de Michael Volle en avant. Inspiré d’une ballade de Schiller, Der Taucher consiste en un long récit détaillé – avec plus d’une vingtaine de minutes, il s’agit d’un des plus longs lieds composés par Schubert – qui rapporte comment un roi met à l’épreuve les vaillants chevaliers de sa cour. Il les met au défi de ramener une coupe d’or qu’il a lancée dans les eaux tumultueuses où vit Charybde, l’horrible créature marine que Homère décrit dans l’Odyssée. Si dans le lied de Schubert, le jeune page est trahi par sa témérité et ne revient pas de son second saut qui lui aurait permis de remporter la main de la fille du roi, Michael Volle saura nous faire entendre lors de ce récital les mille et une merveilles de son grisant plongeon au cœur du sublime. ■

Michael Volle is not into bling. Resolved not to follow the usual operatic star system in the course of his career and mentored by the great Joseph Metternich, the German baritone is at the apex of his career and delighting opera audiences everywhere with his solid experience of the great roles of his Fach: William Tell in Munich, Mandryka in Barcelona, Hans Sachs at the Met. After eight years in troupe at the Zurich Opernhaus, he became a member of the Bavarian State Opera in 2007 and since has been conducting a brilliant career. One need only attend a performance by this physically imposing figure, to feel the reassuring, almost hypnotic, qualities of the smooth, impeccably controlled voice of this classic German-school baritone. Volle’s great versatility of timbre suits a variety of roles, stretching from Italian repertoire, to German Musikdramen, with operetta, recital and symphony concerts in between. It is however in the German repertoire that Michael Volle shines; his powerful instrument is perfect for it, even if it is also ideally suited to the more intimate setting of the Liederabend. In his programme for Geneva, the Black Forest baritone has chosen the seldom-performed Schwanengesang song cycle (“The Swansong”) and the 20-minute long Der Taucher (“The Diver”), both by Franz Schubert. Schwanengesang, written 4 months before his death, is considered Schubert’s musical testament but unlike other later cycles like Winterreise, does not have a theme linking its numbers. It is rather a tribute to the amazing musical diversity of Schubert’s last creative phase. As for Der Taucher, it uses a Schiller ballad to tell the story of a brave young page who dives into stormy waters to retrieve a golden cup for his king.

Son dernier CD

Michael Volle – a portrait

Ralf Weikert Münchner Rundfunkorchester Händel / Mozart / Schubert / Wagner / Verdi / Millöcker / Lehár BR Klassik, 2013 B00CXRWHVI

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« Le théâtre est la passion de la pensée dans l’espace »

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Un parrainage présenté par M athieu P oncet

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Afin de réaliser à la hauteur de nos exigences notre futur Opéra des Nations, la Fondation du Grand Théâtre de Genève propose les parrainages suivants :

Personne privée Fr. 2 000.Institution ou entreprise Fr. 5 000.Ces montants sont fiscalement déductibles.

Contact

Aurélie Gfeller Chargée du mécénat et des partenariats a.gfeller@geneveopera.ch

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hères amies et chers amis mélomanes, C’est avec plaisir que nous vous présentons notre campagne de parrainage des fauteuils du futur Opéra des Nations, souscription essentielle faite conjointement avec le Cercle du Grand Théâtre pour que nos publics apprécient dans les meilleures conditions la qualité de nos productions au Parc Rigot.

depuis 1962, le Grand Théâtre doit maintenant subir de grandes rénovations. Les coûts de ces dernieres, validées par le Conseil municipal de la Ville de Genève, sont devisées à quelques 66 millions de francs et permettront de mettre notre bâtiment aux normes de sécurité, d’assurer la conformité des conditions de travail et de créer une ventilation adéquate pour notre salle.

En effet, notre maison d’opéra de la Place de Neuve vous accueille saison après saison et 100  000 spectateurs se retrouvent chaque année afin de découvrir de nouvelles productions lyriques, des ballets, des récitals et des spectacles originaux. Cette activité nécessite un entretien de notre institution qui nous oblige à réaliser nos deux prochaines saisons hors de nos murs. Projet ambitieux qui nous permettra de continuer à vous proposer l’excellence musicale et chorégraphique, l’Opéra des Nations sera prêt à vous recevoir dès le mois de février 2016.

À l’origine, le Théâtre Éphémère dont nous avons acquis des éléments démontables, fut conçu pour accueillir les représentations de la Comédie-Française pendant ses travaux. La qualité de sa construction en modules de bois préfabriqués, prévus pour être rapidement assemblés et démontés, nous a séduit. La configuration genevoise du bâtiment devant accueillir 1 064 spectateurs, ce projet sera alors totalement repensé en termes scéniques et acoustiques, les éléments existants seront réutilisés mais complétés pour être élargis et allongés. Afin de répondre au mieux à nos représentations, la scène et les gradins seront transformés et une nouvelle fosse d’orchestre sera intégrée.

Le besoin de ces travaux est motivé par le fait que le Grand Théâtre, plus grande structure de production de Suisse romande, fait se regrouper des corps de métiers multiples et ce ne sont pas moins de trois cents collaborateurs qui y œuvrent. Cette diversité de tâches a naturellement usé nos infrastructures. N’ayant pas été modernisé

Ce projet qui consiste à déménager « hors les murs » une institution comme la nôtre en offrant à nos publics les mêmes prestations est une aventure unique pour toute maison d’opéra. Les coûts qui y sont associés sont importants mais c’est bien la totalité des mélomanes genevois, suisses et internationaux qui en bénéficieront.


Fondé en 1986, le Cercle du Grand Théâtre s’est donné pour objectif de réunir toutes les personnes et entreprises qui tiennent à manifester leur intérêt aux arts lyrique, chorégraphique et dramatique. Son but est d’apporter Av en ue d

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son soutien financier aux activités du Grand Théâtre et ainsi, de participer à son rayonnement.

Rejoignez-nous ! A

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La maquette de l’Opéra des Nations exposée dans le hall du Grand Théâtre ; une vue de la salle depuis la scène ; le plan de situation et la coupe longitudinale de la structure temporaire qui sera implantée dans le Parc Rigot.

L’argent public et les fonds mis à disposition par le Grand Théâtre ne suffiront néanmoins pas à équilibrer ce budget et c’est vers vous, compagnons de route, mélomanes et passionnés d’art que nous nous tournons. En vous associant à notre proposition d’« acquisition » de l’un des fauteuils de l’Opéra des Nations, vous permettrez à notre Cité de défendre sa politique culturelle, véritable ciment social. Chaque parrain – personne privée, institution ou entreprise – ayant souscrit à ce mécénat aura la possibilité que l’un de ces sièges porte sur son dossier une plaquette indiquant son nom ou celui de l’institution ou de l’entreprise l’ayant financé. Le Grand Théâtre met par contre en garde les donateurs sur le fait que lors de leurs venues – pour des raisons logistiques de billetterie bien compréhensibles – ce siège ne leur soit pas attribué. En échange de votre soutien, vous pourrez, si vous le souhaitez, apparaître sur le « mur des donateurs » qui sera érigé dans l’un des espaces publics du Grand Théâtre à l’occasion de sa réouverture. Persuadés que vous aurez à cœur de nous rejoindre dans cette aventure si particulière, et que vous vous associerez à cette communauté d’esprit qui défend les institutions culturelles de notre Cité, nous nous réjouissons de vous accueillir dans ce nouveau lieu de productions artistiques. ■

© BLAISE SCHAFFTER / CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE / BRODBECK ROULET ARCHITECTES ASSOCIÉS SA

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Avenue B

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Nous serions heureux de vous compter parmi les passionnés d’ arts lyrique, chorégraphique et dramatique qui s’engagent pour que le Grand Théâtre de Genève conserve et renforce sa place parmi les plus grandes scènes européennes. Adhérer au Cercle du Grand Théâtre, c’est aussi l’assurance de bénéficier d'une priorité de placement, d'un vestiaire privé, d'un service de billetterie personnalisé et de pouvoir changer de billets sans frais. Vous participerez chaque année au dîner de gala à l’issue de l’Assemblée Générale et profiterez des cocktails d’entracte réservés aux membres. De nombreux voyages lyriques, des conférences thématiques « Les Métiers de l’Opéra », des visites des coulisses et des ateliers du Grand Théâtre et des rencontres avec les artistes vous seront proposées tout au long de la saison. Vous pourrez assister aux répétitions générales et bénéficierez d'un abonnement gratuit à ce magazine. Vous recevrez également tous les programmes de salle chez vous.

Pour recevoir de plus amples informations sur les conditions d’adhésion au Cercle, veuillez contacter directement : Madame Gwénola Trutat (du lundi au vendredi de 8 h et 12 h) T + 41 22 321 85 77 F + 41 22 321 85 79 cercle@geneveopera.ch Cercle du Grand Théâtre de Genève Boulevard du Théâtre 11 1211 Genève 11

Nos membres B ureau M. Luc Argand, président M. Pierre-Alain Wavre, vice-président M. Jean Kohler, trésorier Mme Véronique Walter, secrétaire Mme Françoise de Mestral

M. et Mme Claude Demole M. et Mme Olivier Dunant Mme Denise Elfen-Laniado Mme Maria Embiricos Mme Diane Etter-Soutter Mme Clarina Firmenich M. et Mme Eric Freymond A utres membres du comité Mme Manja Gidéon Mme Claudia Groothaert Mme Elka Gouzer-Waechter Mme Vanessa Mathysen-Gerst Mme Claudia Groothaert Mme Coraline Mouravieff-Apostol M. et Mme Philippe Gudin de La Sablonnière Mme Brigitte Vielle Mme Bernard Haccius M. Gerson Waechter Mme Théréza Hoffmann M. et Mme Philippe Jabre M embres bienfaiteurs M. et Mme Eric Jacquet M. et Mme Luc Argand M. Romain Jordan M. et Mme Guy Demole Mme Madeleine Kogevinas Fondation de bienfaisance de la banque Pictet M. et Mme Jean Kohler Fondation Hans Wilsdorf M. David Lachat M. et Mme Pierre Keller M. Marko Lacin Banque Lombard Odier & Cie SA Mme Michèle Laraki M. et Mme Yves Oltramare M. et Mme Pierre Lardy Mrs Laurel Polleys-Camus Mme Eric Lescure Union Bancaire Privée – UBP SA Mme Eva Lundin M. Pierre-Alain Wavre M. Bernard Mach M. et Mme Gérard Wertheimer Mme France Majoie Le Lous M. et Mme Colin Maltby M embres individuels M. et Mme Thierry de Marignac S. A. Prince Amyn Aga Khan Mme Mark Mathysen-Gerst Mme Diane d’Arcis M. Bertrand Maus S. A. S. La Princesse Etienne d’Arenberg Mme Anne Maus Mme Dominique Arpels M. Olivier Maus M. Ronald Asmar Mme Béatrice Mermod Mme Véronique Barbey M. et Mme Charles de Mestral Mme Christine Batruch-Hawrylyshyn Mme Vera Michalski Mme Maria Pilar de la Béraudière M. et Mme Francis Minkoff M. et Mme Philippe Bertherat M. et Mme Bernard Momméja Mme Antoine Best M. et Mme Christopher Mouravieff-Apostol Mme Saskia van Beuningen Mme Pierre-Yves Mourgue d’Algue Mme Françoise Bodmer M. et Mme Trifon Natsis M. Jean Bonna Mme Laurence Naville Prof. et Mme Julien Bogousslavsky M. et Mme Philippe Nordmann Mme Clotilde de Bourqueney Harari M. et Mme Alan Parker Comtesse Brandolini d’Adda M. et Mme Shelby du Pasquier Mme Robert Briner Mme Sibylle Pastré Mme Caroline Caffin M. Jacques Perrot M. et Mme Alexandre Catsiapis M. et Mme Gilles Petitpierre Mme Maria Livanos Cattaui M. et Mme Charles Pictet Mme Muriel Chaponnière-Rochat M. et Mme Guillaume Pictet M. et Mme Julien Chatard M. et Mme Ivan Pictet M. et Mme Neville Cook M. et Mme Jean-François Pissettaz M. Jean-Pierre Cubizolle Mme Françoise Propper

Comte de Proyart Mme Ruth Rappaport M. et Mme François Reyl M. et Mme Andreas Rötheli M. Jean-Louis du Roy de Blicquy M. et Mme Gabriel Safdié Comte et Comtesse de Saint-Pierre M. Vincenzo Salina Amorini M. et Mme Paul Saurel M. Julien Schoenlaub Mme Claudio Segré Baron et Baronne Seillière M. Thierry Servant Marquis et Marquise Enrico Spinola Mme Christiane Steck M. André-Pierre Tardy M. et Mme Riccardo Tattoni M. et Mme Kamen Troller M. et Mme Richard de Tscharner M. et Mme Gérard Turpin M. et Mme Jean-Luc Vermeulen M. et Mme Julien Vielle M. et Mme Olivier Vodoz Mme Bérénice Waechter M. Gerson Waechter Mme Stanley Walter M. et Mme Lionel de Weck Mme Paul-Annik Weiller M embres institutionnels 1875 Finance SA Banque Pâris Bertrand Sturdza SA Bucherer SA Christie’s (International) SA Credit Suisse SA Fondation Bru Givaudan SA Gonet & Cie, Banquiers Privés H de P (Holding de Picciotto) SA JT International SA Lenz & Staehelin La Réserve, Genève SGS SA Vacheron Constantin

Organe de révision : Plafida SA Compte bancaire N° 530 290 MM. Pictet & Cie

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par A gnès I zrine *

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Lin Hwai-Min, chorégraphe et directeur de la compagnie Cloud Gate Dance Theatre.

› Water Stains on the Wall

Ballet sur des musiques de Toshio Hosokawa

Chorégraphie & scénographie

Lin Hwai-Min

Costumes

Lin Ching-Ju Lumières Lulu W. L. Lee Vidéo Ethan Wang Cloud Gate Dance Theatre de Taiwan Au Grand Théâtre de Genève du 11 au 14 mars 2015

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nspirée par la calligraphie, Water Stains on the Wall (Taches d’eau sur le mur) du chorégraphe taïwanais Lin Hwai-min nous entraîne dans une expérience esthétique aussi étrange que radicale. Sur un plateau qui s’incline jusqu’au vertige, aussi immaculé qu’une page blanche, les danseurs apparaissent, juchés sur les bords de l’air, se mouvant lentement comme une espèce de mirage lumineux et inaltérable absorbé par le néant. Leurs gestes racontent l’alliance de la ligne droite et de la courbe avec toute la science des directions et des courants. Vêtus de pantalons d’un tissu diaphane, ils dessinent les jalons de l’invisible, les limites gracieuses et souples entre l’attraction et la pression. Leur danse s’envole et se rétracte, en élans brusques, en frissons, puis revient à la lenteur en extensions alanguies. La musique éparse et délicate ou parfois menaçante de Toshio Hosokawa s’accorde bientôt aux nuages qui, lentement, assombrissent l’atmosphère de leur mystérieux passages, ou évoquent les volutes de l’encre ou d’étranges vapeurs, grâce aux projections vidéo d’Ethan Wang ; tandis que les lumières de Lulu W. L. Lee creusent l’espace d’ombres et de clartés comme autant de pleins et de déliés, ou de territoires obscurs et énigmatiques. Les danseurs évoluent dans ce paysage changeant, soulignant la justesse exquise

des intervalles, devenant sinuosité et détours, troublant notre regard, nous immergeant dans une sorte de monde parallèle et rêvé où ciel et terre se confondent. La chorégraphie fluctue alors en larges houles, se compose et se décompose, comme la danse se déploie fluide et méditative, perturbée soudain par quelques bourrasques d’énergie inouïe, qui rappellent la dynamique des arts martiaux ou les gestes du calligraphe. Car Water Stains on the Wall est une métaphore populaire inspirée par les répliques d’un dialogue entre deux célèbres calligraphes de la


ttu calligraphe

IN SHORT

Movement As Calligraphy

The Taiwanese dance company Cloud Gate Dance Theater is performing as guest ballet at the Grand Théâtre this season with four performances of Water Stains On the Wall, a mesmerizing and radical choreography by Lin Hwai-min dating from 2010. On a vertiginously raked stage, as white as a blank page, the Cloud Gate dancers draw organic curves and invisible lines in space, dressed in sheer trousers that shimmer and retract with every move. Toshio Hosokawa’s music, Ethan Wang’s video projections and lights by Lulu Lee accentuate the enigma of this territory of passing clouds, where dance takes place between heaven and earth, somewhere between meteorological phenomena and the calligrapher or the martial artist’s gestures. Water Stains On the Wall is inspired by a story from China’s great tradition of calligraphy and uses the technical and poetic skills of the dancers to suggest the long, inevitable, organic and evolutionary process that determines the aesthetics of this most ancient art form. Cloud Gate gets its name from the oldest known dance performance in Chinese history but Lin Hwai-min’s unique style is also influenced by more recent Western dance traditions (Martha Graham, Merce Cunningham). With dancers trained in Qigong and Taiji, as well as in calligraphy and meditation, Cloud Gate displays amazing mastery of movement and technique in Water Stains On the Wall that lead to an indescribably blissful sense of inner harmony.

Compagnie invitée de cette saison,

le Cloud Gate Dance Theatre compte parmi les plus influentes troupes de danse mondial. La compagnie taïwanaise présente en exclusivité suisse Water Stains on the Wall, un spectacle créé à Taipei en 2010 qui traduit les gestes du calligraphe en une chorégraphie envoûtante.

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Toshio Hosokawa, célèbre compositeur japonais et auteur de la musique de ce ballet.

dynastie Tang (618-907). Alors que l’un raconte trouver son inspiration dans « les nuages d’été qui ressemblent aux sommets des montagnes » l’autre lui demande « et que diriez-vous des taches d’eau sur le mur ? » lui renvoyant ainsi l’essence même de l’esthétique chinoise, à savoir, le résultat d’un long processus naturel, organique, inéluctable et évolutif. Cette légende a profondément marqué Lin Hwai-min qui a également intitulé sa compagnie, créée en 1973, Cloud Gate (La porte des nuages) d’après le nom de la plus ancienne danse traditionnelle chinoise.

À ses débuts, Cloud Gate Dance Theatre puise à la source des récits fabuleux de la Chine des dynasties Han, Ming ou Qing, son chorégraphe, Lin Hwai-min se tourne ensuite vers des thèmes beaucoup plus abstraits et proches des arts visuels. Il forge alors son vocabulaire en mélangeant les influences occidentales (comme Martha Graham ou Merce Cunningham mais également d’autres sources – y compris la danse classique) avec l’héritage de la culture asiatique pour créer un style unique. Ses danseurs sont entraînés à cette technique singulière, aux arts martiaux tels que Qigong ou le Taiji, mais aussi à la méditation et à la calligraphie. C’est certainement ce qui leur donne cette flexibilité prodigieuse, cette maîtrise du mouvement dans ses moindres détails, et ces accélérations aussi saisissantes que bondissantes. Ils déploient dans Water Stains on the Wall leur technique miraculeuse, leurs ondulations explosives, qui, par degrés successifs se simplifient et se spiritualisent, se dévoilant à nous animés d’une lumière intérieure, qui nous communique une sensation d’harmonie ineffable. ■

* Agnès Izrine, écrivaine et journaliste française, spécialiste du monde de la danse et ancienne rédactrice en chef de la revue Danser. Auteure de monographies et d’articles sur la danse contemporaine.

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Un songe japonais dans les ombres de la lune par J onas P ulver *

› Contes de la lune

vague après la pluie Opéra de chambre Xavier Dayer Direction musicale

Jean-Philippe Wurtz

Mise en espace

Vincent Huguet

Décors Richard Peduzzi Genjurō

Taeill Kim

Miyagi

Madjouline Zerari

Tobe

Carlos Natale

Ohama

Judith Fa

Princesse Wakasa

Luanda Siqueira

Ensemble Linea

Au Victoria Hall Dimanche 29 mars 2015 à 17 h

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a lune plutôt que les étoiles. Depuis des siècles, la culture japonaise dit cette préférence. Veilleuse de la nuit aux infinis visages, révérence à la danse des saisons, manifeste d’impermanence, la lune traverse la littérature japonaise en symbole de l’éternel et de l’insaisissable. Comme les astres habitent le ciel, les hommes de l’Archipel travaillent la terre. Genjurō l’apprivoise et la dresse sur le tour de l’artisan-potier. De ce sol que l’on foule, dardé par l’ambition, Genjurō tire la matière à laquelle il s’efforce de donner forme. Il croit à la noblesse de son geste. Il veut s’enrichir et s’élever. Son voyage à la ville et son retour au village, au gré des brumes, du grand marché et d’une princesse oubliée, offrira-t-il l’accomplissement rêvé ?

Le compositeur Xavier Dayer et le

Cette trame cyclique en forme d’aller-détour, c’est celle du film Les Contes de la lune vague après la pluie de Kenzo Mizoguchi, récompensé en 1953 à la Mostra de Venise tout juste deux ans après que le cinglant et brutal Rashomon d’Akira Kurosawa eût porté le cinéma japonais sur le devant de la scène internationale. De ces Contes fantastiques et moraux, dont les maillages racontent l’ascension sociale, le désir et le destin, le compositeur Xavier Dayer et le dramaturge Alain Perroux ont tissé un opéra à la temporalité « cinématographique », dans une alternance de scènes fleuves, longues, développées, et d’épisodes plus agiles et ramassés, égrainés par cascades.

plié les moyens dramatiques pour mieux articuler le récit. « Le chant est lié au désir. La plupart des personnages sont habités par euxmêmes, par leurs ambitions, avec tout ce que cela peut avoir d’aliénant. Lorsqu’ils parviennent à s’en extraire, ils parlent. »

Après avoir exploré la déconstruction du récit dans son théâtre musical, le compositeur suisse Xavier Dayer a souhaité « renouer avec les contraintes de la narration linéaire et de la trajectoire claire », pour en éprouver à nouveau « la force ». À son librettiste, il a demandé des « plages de lyrisme », places faites à l’expression des affects, dans la tradition élargie de l’air d’opéra. « Dans cette perspective, j’ai intégré quelques haïkus authentiques au sein de certaines répliques », confie Alain Perroux, en échos « aux formes très directes et concises de la littérature japonaise » et aux dialogues « simples et réalistes », préservés de tout exotisme.

Co-accueil des Concerts du dimanche de la Ville de Genève et du Festival Archipel. Une co-production Opéra de Rouen Haute-Normandie, Fondation Royaumont et Opéra Comique.

dramaturge Alain Perroux s’aventurent

par Les Contes de la lune vague après

la pluie, un opéra qu’ils ont conçu d’après le film éponyme de Kenzo Mizoguchi.

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Distance, épure, dignité dans le lien au drame : certains codes de l’Archipel ont circulé subtilement dans l’écriture de Xavier Dayer. « J’aime la corde pincée du koto, ici figurée par un cymbalum. Cette réserve, cette résonance à partir de l’attaque, typique de la dramaturgie japonaise. Toujours identique, toujours différente. » ■

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Au-delà des mirages de l’ailleurs et des atours de l’altérité, c’est la portée universelle des Contes qui interpelle Xavier Dayer et Alain Perroux. Tobe, le beau-frère paysan et aspirant samuraï, dilapide le pécule du ménage dans ses rêves d’armure, tant et si bien que sa femme Ohama en tombe dans la prostitution. Quant à Genjurō, il délaisse sa compagne Miyagi dans les bras de la mystérieuse princesse Wakasa, qui lui fera perdre la notion des jours, des mois, des ans. « Un personnage mélusinien, note Alain Perroux, comme peuvent l’être Rusalka ou l’Impératrice de La Femme sans ombre, ces êtres surnaturels qui aspirent à s’incarner.» Une enchanteresse dont les sortilèges prennent possession de l’orchestre dans la scène centrale : Genjurō oublie sa vie antérieure, et  l’ensemble en parait « plus grand qu’il ne l’est en réalité, moment suprême d’illusion », indique Xavier Dayer. « L’aspect émotionnel des instruments, parfois le chaos, les sforzandos, réagissent aux voix. J’ai voulu que les personnages déteignent sur la musique. » Sprechgesang, prosodie, chant mélismatique : Xavier Dayer a multi-

Xavier Dayer et Alain Perroux, deux personnalités qui comptent dans le panorama lyrique actuel.

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* Basé au Japon, Jonas Pulver est chroniqueur et correspondant, entre autres pour Le Temps et Espace 2. Il poursuit également ses activités académiques au département de littérature et culture comparées de l’université de Tokyo, où il s’intéresse aux questions de représentation et de traduction liés à la musique classique occidentale au Japon.

Projection du film de Kenzi Mizoguchi les mercredi 25, jeudi 26, lundi 30 et mardi 31 mars à 20h, ainsi que le dimanche 29 mars à 14h aux Cinémas du Grütli, dans le cadre du Festival Archipel.


celui d’Iphigénie. Sa figure traverse les âges, des chants cypriens à Euripide, de Racine à Goethe et à Gluck. Incarnation tour à tour classique et romantique de la femme révoltée, à tout le moins insoumise, qui se soustrait à la loi de la Cité au titre d’une norme supérieure.

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Iphigénie une héroïne humaine, trop humaine

Alain Carré et Isabelle Caillat joueront quelques scènes de l’Iphigénie en Tauride de Goethe. Bernard-Henri Lévy et Marc Bonnant plaideront.

par M arc B onnant

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ntigone, contre la volonté de Créon, veille à la sépulture de Polynice. Par piété. C’est par pitié qu’Iphigénie, elle, déroge aux règles de Thoas et permet à son frère Oreste, dramatiquement reconnu, et à Pylade d’échapper au sort que les Scythes réservaient à l’étranger qui abordait leurs funestes rives. Cette pitié a une histoire qu’ici le dramaturge tait : Iphigénie, fille d’Agamemnon, par la volonté des Achéens et de son père, devait être sacrifiée à Artémis – la Diane italique et romaine – pour conjurer des vents contraires. Mais Artémis en décide autrement. Par compassion, la déesse arrache Iphigénie à sa mort promise, lui substitue une biche au moment du sacrifice propitiatoire. Et Iphigénie deviendra la prêtresse du culte d’Artémis en Tauride. Mais son âme est en exil qui reste grecque. Au pouvoir, Iphigénie préfère la liberté. Elle refuse le roi des Taures qui la veut reine et, sacrilège, s’affranchit de son sacerdoce. La pitié de la divinité, Iphigénie, à son tour, l’éprouvera. Humainement. Par amour, elle sauvera Oreste que

› Le procès

poursuivent les Érinyes. Ailleurs, l’idéal d’Antigone l’a conduit à la rupture ; ici, celui d’Iphigénie à la... rhétorique. Elle persuade et convainc. L’éloquence est l’art du retournement. Par ses paroles ailées, Iphigénie arrache à Thoas son consentement. Sa violence est suave. Une grande figure, nécessairement féminine, qui croit à la primauté de l’amour. Elle subvertit l’ordre temporel. À elle la tâche d’incarner «la pure humanité qui expie toutes les infirmités humaines», pour citer Goethe. Au nom de l’Homme, elle résiste aux caprices des rois et met en échec la volonté des dieux. Son amour fait naître, nouvelle, une morale qui déroute le destin et qui altère l’ordre archaïque du monde. L’amour des hommes est la promesse d’un chaos. Qu’Iphigénie en réponde ... le temps d’un procès. Acquittée par les Modernes – le public du Grand Théâtre de Genève – pour qui, hélas, la compassion est vertu, elle retrouvera les fils de son histoire: elle épousera Achille ou mourra à Mégare, si elle ne devient Hécate, la magicienne, par la grâce renouvelée d’Artémis. ■

d’Iphigénie Un procès autour de la pièce de Goethe Plaidoiries

Marc Bonnant Bernard-Henri Lévy

Comédiens

Isabelle Caillat Alain Carré

Au Grand Théâtre de Genève 3 février 2015 à 19 h 30

Une sorcière à l’opéra

C par B enoît P ayn

onfortablement installée dans son salon, la sorcière Hillary apprend qu’elle a remporté deux invitations pour une soirée à l’opéra. Quelle chance ! Mais au fait… qu’est-ce donc que l’opéra ? Pour éclaircir l’affaire, Hillary va faire appel à sa souris domestique puis à la sorcière et cantatrice Maria Bellacanta qui va lui dévoiler tout ce qu’il faut savoir sur l’incroyable univers du théâtre et de l’opéra. En sa compagnie elle apprendra qu’à l’opéra on chante sur scène non pas à cause d’une malédiction mais car le chant est une des plus belles manières d’exprimer des sentiments, ou que les tâches noires sur la partition ne sont pas des cacas de mouche mais des signes astucieux qui permettent de transcrire les sons de la musique. Destiné à un public âgé entre 4 à 10 ans, La Sorcière Hillary va à l’opéra est une pièce de théâtre musicale qui constitue une initiation pleine d’humour au monde du théâtre, du chant et de la musique lyrique. Durant environ une heure, deux chanteurs, un mime et un pianiste intéragiront avec les enfants à travers des extraits d’opéra, des explications et des acrobaties. Les spectateurs en herbe seront installés sur le parterre de coussins qui aura été spécialement mis en place dans les Foyers du Grand Théâtre de Genève. De quoi découvrir la magie de l’opéra de façon amusante et dans la bonne humeur ! Et les parents n’auront pas à être jaloux de leur progéniture puisque des places leur seront réservées aux abords du tapis de coussins et leur permettront d’également profiter du spectacle. ■

› La Sorcière

Hillary va à l’opéra

Pièce de théâtre en musique Peter Lund Mise en scène

Paola Viano

Décors & costumes

Antonella Conte Piano Francesco Sergio Fundarò Au foyer du Grand Théâtre de Genève du 5 au 8 mars 2015

© DR

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Le mythe est, par nature, intemporel. Ainsi de

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E E D D i i

D ACT

Q u Qu C A T D Prochains rendez-vous culturels

Soirée Porgy & Bess Speakeasy au foyer Rath, moment littéraire, musical et gastronomique (Manhattans and hot dogs!) en compagnie de George Gershwin, Irving Berlin, Jelly Roll Morton, Bessie Smith et Langston Hughes! Mardi 10 février 2015*

Liederabend Labo-M II 2ème édition du récital de la troupe des jeunes solistes en résidence au Grand Théâtre pour les jeunes adultes abonnés de l’institution. Soirée musicale au bar de l’amphithéâtre, buffet dînatoire et piano ouvert. Jeudi 5 mars 2015**

La grande visite Labo-M

Le public de demain... aujourd’hui !

D

Par C hristopher P ark

* Date sous réserve de confirmation. ** Places limitées, inscriptions par courriel uniquement.

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Du fond de la cage de scène au toit du Grand Théâtre, en passant par l’impressionnant gril suspendu à 30 mètres au-dessus de la scène, la grande visite Labo-M frise l’exhaustivité.

© GTG /  SAMUEL RUBIO

ans le cadre des avantages proposés aux adhérentes et adhérents de Labo-M, la grande visite du Grand Théâtre est une occasion très spéciale pour les jeunes adultes abonné-e-s du Grand Théâtre de découvrir l’envers du décor (en l’occurrence, celui de La Grande-Duchesse de Gérolstein) et les lieux insolites du vaisseau trônant sur la place de Neuve. En compagnie de Gabriel Lanfranchi, chef de plateau pour la production de La Grande-Duchesse de Gérolstein, et de notre chef électromécanicien Jean-Christophe Pégatoquet, cette visite permet exceptionnellement l’accès aux cintres et aux balcons de la cage de scène, afin d’apprécier le plateau depuis 30 mètres de hauteur. Si le temps le permet, les participants à la visite peuvent, avec toute la prudence requise, tester un peu plus leur résistance au vertige sur le toit au-dessus de la façade, au pied du grand mât, et apprécier le panorama nocturne sur la place de Neuve et les lumières de la ville. L’accès à la fosse de scène permet par la suite de comprendre comment sa machinerie hydraulique sert nos mises en scène. Une quarantaine de participants, adhérentes et adhérents de Labo-M et (une première !) dix invités d’Intermezzo, le club jeunes adultes de l’OSR, ont suivi la visite d’une durée de deux heures, après quoi quelques rafraîchissements et hors d’œuvres ont été offerts par le Grand Théâtre, permettant un moment de détente et d’échange dans l’esprit festif de la saison ! ■


T

T

DIDACTIQUE

Chère Gisèle Savoir-vivre au Grand Théâtre

G Une chronique de G isèle

de

N euve illustrée par B ienassis

isèle de Neuve a eu une jeunesse très protégée. Alors que ses meilleures copines avaient pris le train-bateau pour aller à Londres assister au concert des Beatles du 1er mai 1966, Maman et Papa lui avaient acheté un aller-retour CointrinGatwick en compagnie de sa grande cousine Gertrude-Bénédicte, secrètement chargée de la chaperonner tout au long du voyage même si

elle avait 24 ans ! Arrivées à l’Empire Pool, elle a semé GB, rejoint ses copines, qui avaient soudoyé le service d’ordre pour aller au pied de la scène et elles se sont secoué les choucroutes en se faisant postillonner dessus par George et Paul. Depuis, Gisèle a appris à toujours garder une apparence impeccable même s’il y a longtemps qu’elle a enlevé sa gaine… C’est pourquoi le Cher Public du Grand Théâtre sait qu’il peut se confier à elle sans crainte aucune de jugement. Chère Gisèle, que nous dit votre courrier ? ■

« Fra la densa caligin laggiù la terra appar » Chère Gisèle,

Chère Walburga,

Quelle joie, ce début de saison au Grand Théâtre, Rigoletto, Eugène Onéguine, Casse-Noisette, I Capuleti e i Montecchi, un quasi sans-faute à ce jour ! Seule ombre au tableau, cette version concert de Bellini qui, malgré la présence de la sublimissime Elīna Garanča, m’a désolée. J’étais, chère Gisèle, assise dans le tiers supérieur de l’amphithéâtre d’où je ne voyais ni les solistes, ni les surtitres. Il était impossible de lire le prompteur, caché par une structure métallique et impossible de voir les solistes placés bien trop en avant sur la scène. Avec de fréquentes – et gênantes pour les voisins – contorsions, on arrivait à  apercevoir un visage à la fois. C’est d’ailleurs souvent le même problème lors des spectacles ; certains metteurs en scène qui ne doivent pas aller souvent à l’amphithéâtre pour voir l’effet parfois regrettable de leurs décors. Quel dommage, et quels manques d’attention désolants pour les spectateurs du poulailler. Pourtant, c’est à l’amphithéâtre, me semble-t-il, que se trouvent la plupart des spectateurs de demain. Si la relève du public est un problème pour la musique classique, il me semble qu’ils mériteraient un peu plus d’égards.

Ou puis-je vous appeler Wally, puisqu’il semble que vous êtes une habituée des nids d’aigles de notre cher Grand Théâtre ? D’ordinaire, ma tâche ici est d’émettre mon opinion au sujet du comportement des spectateurs et non de commenter sur les productions de l’institution, ou la manière dont se déroule leur représentation. Votre confiance m’honore mais je dois me tourner vers le personnel de la maison pour vous fournir une réponse. Mathieu Poncet, en charge de la communication et du marketing au Grand Théâtre, m’a donc aimablement fourni quelques explications. Organiser un récital avec orchestre n’est pas une pratique usuelle : cela fait beaucoup de monde sur scène et le proscenium où d’ordinaire nous n’accueillons qu’un piano et un soliste, avec le rideau de feu comme toile de fond, est insuffisant. Il est vrai que cette grande scène est avant tout faite pour recevoir des spectacles lyriques et ce type de version de concert est à chaque fois une aventure. Pour le système de surtitrage, le Grand Théâtre, même en temps ordinaire, essaie de faire au mieux, mais la salle a été configurée à une époque où l’on ne s’imaginait même pas que ces pratiques allaient devenir courantes. Les spectateurs anglophones qui sont assis aux derniers rangs du parterre ne peuvent pas lire les surtitres anglais projetés sur le prompteur central. Entre le besoin d’éclairer les solistes de la version concert de I Capuleti e i Montecchi, et la visibilité du prompteur, il a fallu faire des choix. Le livret complet de l’œuvre et sa traduction française étaient cependant publiés dans le programme de salle, vendu à un prix très raisonnable et par ailleurs fort informatif. M. Poncet m’assure également que le Grand Théâtre est toujours très attentif à la qualité visuelle de ses spectacles afin que les sièges de toutes catégories profitent au mieux des œuvres proposées. C’est un aspect que la direction du théâtre évoque avec les metteurs en scène invités, bien que leur liberté artistique soit aussi une priorité. Vous ne voyez pas très bien des hauts sommets où vous siégez, chère Wally ? Je compatis tout en vous rappelant que c’est là-haut que l’acoustique de la salle permet d’entendre le mélange idéal de la musique  produite 30 mètres plus bas.

Walburga Stromminger

Votre dévouée, Gisèle de Neuve

Solidaire

Toute l’équipe d’ACT-O a été bouleversée par les évènements tragiques de début janvier à Paris ; d’autant plus pour avoir eu le plaisir de collaborer entre 2011 et 2013 avec Luz, l’un des principaux dessinateurs de Charlie Hebdo, qui a heureusement survécu à cet attentat. Nous nous associons à l’ensemble de la communauté internationale pour rendre hommage à l’équipe de Charlie Hebdo décimée, ainsi qu’aux autres victimes de cet acte terroriste.

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Le Grand Théâtre sur les ondes

Le mercredi 17 décembre, France Musique s’est installée et a diffusé l’entier de ses émissions en direct du Grand Théâtre de Genève. C’est plus de 15 heures de musique classique, lyrique, de jazz et d’interviews qui ont rendu compte de la richesse de la vie musicale et culturelle de notre canton.

Les pianistes Michel Dalberto et Marc Perrenoud.

Le violoniste Tedi Papavrami.

par M athieu P oncet

Dinkel invitèrent à se produire la classe de violoncelle d’Ophélie Gaillard accompagnant notamment Camille Allérat (soprano), puis le trio sur instruments d’époque de Florence Malgoire, Ophélie Gaillard et Hadrien Jourdan. En deuxième partie de ce Carrefour, la remarquable et sensible pianiste Sylvianne Deferne interpréta deux sonates du Padre Soler puis Isaac Albéniz avant de céder la place au magistral Tedi Papavrami qui proposa le 24ème Caprice de Paganini puis la Sarabande de la 2ème Partita de Johann Sebastian Bach. C’est ensuite qu’Open Jazz, animé par Alex Dutilh recevait l’AMR. Association historique qui se bat depuis les années soixante-dix pour la défense de la musique improvisée, elle fait autorité sur la scène européenne. Entouré de Béatrice Graf, Manu Gesseney, Ninn Langel, Martin Wisard et Gabriel Zufferey, le présentateur faisait alors un brillant résumé des multiples tendances actuelles de la musique improvisée. Enfin dès 19 h 30, revenant au centre des activités du Grand Théâtre, la productrice Judith Chaine invitait tous les mélomanes présents sur les ondes à la rejoindre pour une diffusion intégrale de la production de La Grande-Duchesse de Gérolstein de Jacques Offenbach, et ainsi terminer de façon festive cette journée consacrée à notre Cité. ■

Vous avez moins de 30 ans révolus ?

3 ’ 0.30 30 s

an

30 minutes avant le début de la représentation, bénéficiez* des meilleures places encore disponibles au tarif unique de 30 francs ! Offre valable dans la limite des places disponibles. * Sur présentation d’un justificatif

Frédéric Lodéon.

Marc Perrenoud et Zep.

© FRANCE MUSIQUE

E

n public et en direct depuis notre foyer Lyrique ou depuis la grande salle de la Place de Neuve, les artistes, les acteurs culturels et les hommes politiques de notre Cité se sont mis à nu. Coup d’envoi de ce marathon, La Matinale Culturelle de Vincent Josse a permis à notre directeur général Tobias Richter, à Sami Kanaan maire de Genève, aux pianistes Marc Perrenoud et Michel Dalberto, ainsi qu’au dessinateur Zep de nous faire partager leurs démarches et leurs histoires. Deuxième rendez-vous de la journée, Le Magazine de Lionel Esparza dressa un portrait passionnant de l’Orchestre de la Suisse Romande. De l’époque d’Ernest Ansermet évoquée par d’anciens et d’actuels instrumentistes à la gestion de l’orchestre présentée par son directeur général Henk Swinnen, c’est ce premier siècle de l’institution romande (fondée en 1918) qui était à l’honneur. Une heure qui nous permit également d’entendre les propos avisés des journalistes Julian Sykes et Philippe Zibung. De 16 à 18 heures ce fut l’émission culte Carrefour de Lodéon et son animateur vedette Frédéric Lodéon qui firent la joie du nombreux public. À cette occasion la HEM de Genève et son directeur Philippe

Stella Ruzu, Jean-Claude Cristin, Julian Sykes, Lionel Esparza, Philippe Zibung et Henk Swinnen.

Ninn Langel et Alex Dutilh.

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