L’éternel retour des dieux
Lea Desandre, une prise de rôle excitante Adel Abdessemed, un oiseau rebelle face à saint François d’Assise
L’éternel retour des dieux
Lea Desandre, une prise de rôle excitante Adel Abdessemed, un oiseau rebelle face à saint François d’Assise
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L’histoire des dieux se confond avec celle des hommes. Elle en marque les grandes évolutions anthropologiques, en reflète les structures sociales et économiques, les rapports de l’homme à la nature, aux forces de l’esprit et au mystère de la mort. Et partout où la vie se manifeste, le pouvoir et ses jeux se font jour. Jeux de pouvoirs entre le sacré et le profane, entre l’Église et l’État, entre religions bien sûr. Mais tension intime, aussi, dans le cœur de chaque individu, entre les contraintes du dogme et les pulsions qui l’en détournent, entre la discipline spirituelle et les jouissances terrestres.
Voltaire l’avait dit : « Ce n’est pas Dieu qui a créé l’homme, mais l’homme qui a créé Dieu. »
L’histoire des religions le confirme, ce qui ne retire rien au caractère transcendant de la foi, mais en relativise les absolutismes, sources d’éternelles violences. Et puis, une autre histoire nous raconte ce lien des hommes à Dieu, à leurs dieux, à travers les arts. Et puisque nous sommes ici à l’opéra, comment ne pas être fasciné par la juxtaposition des deux ouvrages qui sont à l’affiche ces prochaines semaines au Grand Théâtre, Idoménée de Mozart et Saint François d’Assise de Messiaen ? Le premier est un enfant tardif de la Renaissance, qui remonte aux sources antiques pour interroger les rapports entre les dieux et les humains. Humains toujours tentés de désobéir à l’arbitraire de dieux qui leur ressemblent, mais capables finalement d’attendrir leur rigueur. Ainsi, le roi Idoménée obtiendra auprès de Neptune qu’il a défié la grâce de son fils, en offrant de se sacrifier à sa place. Mais il devra céder son trône à son héritier pour prix de ce marchandage.
Que peut l’individu face aux pouvoirs des dieux ? Quelles marges de libre arbitre lui sont-elles consenties par les commandements supérieurs, pour peu qu’elles soient payées d’obéissance et de vertu ? Telle semble être la leçon de l’opéra de Mozart, l’un des derniers du genre « seria » avant l’explosion de ses opéras qui mettront en scène l’émancipation des individus au siècle des Lumières, de Don Giovanni aux Noces de Figaro. Ce n’est plus alors à Dieu que les hommes auront des comptes à rendre, mais à leur conscience.
Il y a là une bascule qui fait écho à la Révolution française. Pendant deux siècles, l’opéra n’avait cessé de mettre en tension les volontés humaines et les lois divines. Après Mozart, il s’en affranchit. Ce sont les hommes, entre eux, qui s’affrontent, que ce soit au nom de la morale, de l’amour ou du pouvoir. Le XXe siècle lyrique ignorera Dieu : le pouvoir n’est alors plus qu’aux machines sociales, vecteurs des pires misères – celles du soldat Wozzeck, de la prostituée Lulu chez Alban Berg, celle des héroïnes de Janáček ou de Chostakovitch broyées par l’hypocrisie de collectivités sans âme. Bien sûr, Schoenberg compose Moïse et Aaron, mais c’est un atome solitaire.
Puis vient Olivier Messiaen. Créé en 1983, son unique opéra choisit la figure la plus pure du christianisme, saint François d’Assise, qui aimait les oiseaux comme le compositeur, lequel offrit à leurs chants le plus bel écrin musical. Il y a 40 ans, cette œuvre monumentale apparut comme un ovni dans une époque enivrée d’hédonisme libéral. Aujourd’hui, elle entre en résonance avec notre conscience écologique qui conteste la supériorité prédatrice des hommes sur les non-humains, instituant la Nature comme une nouvelle instance sacrée. Aussi catholique que soit l’inspiration de cet exigeant chef-d’œuvre, on ne fait pas plus contemporain que sa leçon d’humilité.
Bonne lecture !
Jean-Jacques Roth
Rédacteur en chef de ce magazine, Jean-Jacques Roth a travaillé dans de nombreux médias romands. Il a notamment été rédacteur en chef et directeur du Temps puis directeur de l’actualité à la RTS avant de rejoindre Le Matin Dimanche, où il a dirigé le magazine Cultura. Il a entre autres consacré deux ouvrages au Grand Théâtre.
Les Tudors àépisodel'opéra,3
à son destin
Roberto Devereux_3
Roberto Devereux_2
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Exceptionnel festival de Belcanto
Une semaine royalement lyrique
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Scénographie de Marina Abramović
L'eau, la terre, le feu
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Triple immersion Tudors
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Errance initiatiqueavec Damien Jalet
Deux cycles de trois opéras de Gaetano Donizetti
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18 au 30 juin 2024
DÈS CHF 17.—
Le Ballet rencontre La Plage
à discuter avec Clara
Leçon de métaphysique avec Cherkaoui
Éléments_3
Dérives et chutes des corps
Conte d'amour entre humain et planète à av
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Portrait de couverture
Les couvertures de cette saison du Grand Théâtre Magazine sont tirées des reportages du photographe belge Carl De Keyzer, qui a voyagé sur tous les continents pour montrer comment les croyances façonnent le monde. Photo prise au sommet du Matterhorn Express, Zermatt, 2015.
© Carl De Keyzer/Magnum Photos, Book « Higher Ground »
Édito 1
Portrait 12
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Mon rapport à l’opéra 4
Une soirée, trois ballets es chutescorps à discuter avec Clara
Par Jean-Jacques Roth
Éléments_3
Philippe Cramer, « Je suis curieux des accidents que l’IA pourrait apporter au répertoire »
Ailleurs 6
Leonardo García Alarcón, Retour à Buenos Aires
Lea Desandre, « J’essaie de voir la beauté partout »
La Plage 15
Sleepover, petite musique de nuit au Grand Théâtre
Rétroviseur
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Opera Cook
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Parmentier de poisson de Simon Keenlyside
Mouvement culturel
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Soleure, la baroque cinéphile
Femmes qui dansent à l’état pur
Agenda 48
POUVOIR DES DIEUX, POUVOIR DES HOMMES
L’histoire des relations des hommes à leurs dieux s’écrit aussi à travers l’opéra. La preuve par deux au Grand Théâtre avec Idoménée de Mozart et Saint François d’Assise de Messiaen, au carrefour d’époques où le rôle du divin a complètement changé. © Collage, John Bingley Garland (1850-1860), Getty Museum
Dossier, Pouvoir des dieux, pouvoir des hommes
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L’éternel retour des dieux
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Entre profane et sacré 28
Adel Abdessemed, oiseau rebelle 32
Robin Adams, « Je voudrais rendre saint François le plus humain possible »
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Forces_5
Éditeur Grand Théâtre de Genève, Partenariat Le Temps, Collaboration éditoriale Le Temps Directeur de la publication Aviel Cahn Rédacteur en chef Jean-Jacques Roth Édition Florence Perret Comité de rédaction Aviel Cahn, Karin Kotsoglou, Jean-Jacques Roth, Clara Pons Direction artistique Jérôme Bontron, Sarah Muehlheim Maquette et mise en page Simone Kaspar de Pont Images Anastasia Mityukova (Le Temps ) Relecture Patrick Vallon Impression Moléson Impressions, imprimé sur papiers certifiés FSC issus de sources responsables avec des encres bio végétales sans colbalt Promotion GTG Diffusion 2000 exemplaires + diffusion numérique sur www.letemps.ch Parution 4 fois par saison
Genres
Il n’aime pas le mot designer, et sa modestie l’empêche de se présenter comme un artiste. À l’interstice de ces deux mondes, Philippe Cramer est avant tout le metteur en scène des opéras intimes qu’il permet à ses clients de s’inventer au travers des objets et des meubles qu’il crée, traversés par le goût de l’expérimentation qu’il aime retrouver sur scène.
Né à Genève en 1970, Philippe Cramer fonde son studio de création en 2000 après un Bachelor in Fine Arts de la Parsons School of Design. C’est dans sa galerie showroom de la rue des Bains qu’il dessine des pièces uniques et des éditions limitées qui attirent l’œil des collectionneurs avertis. En 2010, il crée « L’ornement jamais » pour les 100 ans du Musée d’art et d’histoire de Genève et se voit distingué, en 2020, par la Fondation UBS pour la culture pour l’ensemble de son parcours. Il participe dès 2018 au salon artgenève et crée le Cramerverse en 2022, sa galerie virtuelle dans le métavers.
Philippe Cramer dans sa galerie de la rue des Bains, à Genève : « J’aime les mises en scène qui s’emparent de l’œuvre en la confrontant aux défis de Sociétés Contemporaines. » © Rebecca Bowring pour le Grand Théâtre Magazine, 2023
« Venez, on fera un truc rigolo », dit Philippe Cramer lorsqu’on lui annonce la venue d’un photographe dans son showroom temporairement en plein chambardement. Ce goût de l’accident, de la création à partir d’un élément disruptif et inattendu est exactement ce qui le guide aujourd’hui dans son travail. Reconnu dès ses débuts sur la scène internationale comme l’un des fleurons du design suisse, il cultivait alors une rigueur minimaliste qui lui a permis de se construire une légitimité intérieure libératrice et un rayonnement transatlantique. Au fil des années, les couleurs, les formes, les vibrations ondulantes et les textures chamallow se sont alors invitées dans son atelier, les veinures des bancs ont été coloriées aux crayons Caran d’Ache, la voix et la fantaisie débordante de l’enfance ont trouvé leur place dans son travail. Il orchestre aujourd’hui la rencontre fertile entre les gestes ancestraux de l’artisanat d’art et une expérimentation intrépide autour des nouvelles technologies : NFT, métavers, ou encore les intelligences artificielles appliquées au traitement d’image. Et c’est exactement ce qu’il brûle d’envie de voir sur les scènes d’opéra : un répertoire aux codes bousculés par différentes disciplines, des hybridations pop afin de le garder vivant, pertinent et surtout, aussi bouleversant que les voix de contre-ténor qui le transportent.
Votre part d’enfance est très présente dans votre travail. Quelle place tenait la musique et l’opéra à ce moment-là de votre vie ?
Je n’ai pas le souvenir d’avoir beaucoup été à l’opéra mais mon père était très mélomane. Il jouait très bien au piano et nous écoutions du classique à la maison, mais plutôt des concertos ou de la musique sacrée… Ce n’est que jeune adulte, avec ma première colocataire, Sophie de Lint, que j’ai vraiment plongé dans l’opéra. Elle travaillait alors au Grand Théâtre, sous la direction de Renée Auphan, et c’est grâce à son évolution dans ce monde que j’ai pu construire la mienne. Elle m’emmenait dans les coulisses, elle m’a tout appris de cet écosystème, au-delà des œuvres elles-mêmes. Les essayages, les agents, les spectacles qui se créent plusieurs années à l’avance… Tout ce monde off qui fascinait le créatif que je suis, et m’a permis de prendre conscience du travail qui doit se faire oublier pour ne laisser apparaître sur scène que la magie. Dans notre appartement,
on mettait à fond Maria Callas ou Natalie Dessay en chantant à tue-tête. Et on pouvait partir sur un coup de tête, rouler pendant des heures pour assister à un concert de musique baroque à l’autre bout de la France.
Est-ce que l’opéra a infusé et guidé votre processus créatif ?
Il m’a surtout permis de prendre conscience qu’un art pouvait être composé de disciplines artistiques multiples. Et cela m’a permis de me rendre compte que moi aussi, j’aimais travailler avec différents corps de métiers, de nombreux artisans et un éventail de matériaux. J’aime chacune de ces relations et de ces techniques, mais lorsqu’elles sont prises dans un ensemble, c’est là qu’une véritable dimension orchestrale et théâtrale se fait jour. De la même manière que lorsqu’on visite l’atelier de Brancusi – qui ne créait pas que des sculptures mais aussi leurs socles – c’est la mise en scène de chacun ces éléments dans l’espace, leur position les uns par rapport aux autres et le dialogue qui s’instaure entre eux qui démultiplie les degrés de lecture possibles sur chacune de ses œuvres.
Cette rencontre entre différentes disciplines artistiques dans l’opéra ouvre-t-elle un répertoire d’émotions inédit chez vous ?
J’ai une sensibilité si aiguë que ce big bang représente parfois beaucoup d’informations à métaboliser. Ce qui crée de l’émotion en moi le plus spontanément, ce sont certaines voix masculines, et notamment celle du contre-ténor Jakub Józef Orliński. Il chante le plus beau Vedrò con mio diletto de Vivaldi, mais c’est aussi un maître du breakdance. C’est précisément son positionnement iconoclaste qui m’a amené vers Purcell et Vivaldi. Et si j’aime tant ces voix d’hommes à l’opéra, c’est peut-être parce qu’ils chantent une forme de douleur, et cela me touche particulièrement car en tant qu’homme, la société nous décourage à exprimer nos émotions et à montrer notre vulnérabilité.
Votre travail fait souvent intervenir des hybridations et vous êtes toujours curieux de voir ce que les nouvelles technologies peuvent apporter au geste artisanal ancestral. Comment cela se traduit dans vos goûts scéniques ?
J’aime les mises en scène qui s’emparent de l’œuvre en la confrontant aux défis de société contemporains. Pour que le répertoire continue à être vivant, ce point de vue critique et cet effort de transposition sont nécessaires. Et j’aime la dimension expérimentale dans la création ; je serais donc très curieux de voir ce que toute la panoplie des nouvelles technologies aurait à apporter dans le renouveau du répertoire le plus classique et iconique. L’intelligence artificielle crée des accidents, des hallucinations : c’est fascinant d’intégrer cette dimension disruptive et poétique.
Si vous pouviez créer un univers ou une maison entièrement à votre image, pourraitelle exister sans musique ?
Créer une œuvre visuelle, c’est créer des rythmes et des proportions. Ma lecture de la musique se fait également selon ces paramètres. On peut très bien vivre la musique sans nécessairement l’écouter. La musicalité d’une mise en espace ne s’exprime pas nécessairement de manière littérale, sonore, mais elle est régie par les mêmes principes. Ce qui compte surtout, dans le rapport à l’œuvre comme à l’objet, c’est la manière dont chacun se l’approprie et crée son propre théâtre, son propre opéra autour de lui. Que l’inattendu s’engouffre de partout : c’est la condition la plus importante pour qu’un répertoire comme un espace puissent respirer et être bien vivants.
Le monumental Teatro Colón, le Café Tortoni, la taverne de la Biela, la librairie El Ateneo : la capitale argentine marque la mémoire de Leonardo García Alarcón, qui dirigera Idoménée au Grand Théâtre. C’est dans la capitale argentine que s’est décidé le destin musical du chef, avant son départ pour Genève où il s’est installé. Retour aux origines.
Par Sylvie BonierPhotographies : Anita Pouchard Serra pour le Grand Théâtre Magazine
Impossible de déambuler dans Buenos Aires en compagnie de Leonardo García Alarcón, parti quelques jours pour un concert avec son orchestre, la Cappella Mediterranea. Son agenda déborde de toutes parts et son temps est compté à la minute. On rêvera donc la visite portègne avec lui, dans son havre campagnard aux portes de Genève. De retour d’un concert mémorable dans son Teatro Colón adoré, le chef, aussi claveciniste et compositeur, palpite. Le Colón est son point d’ancrage dans la capitale argentine. Son temple et son refuge. « C’est le plus bel opéra du monde. Il possède une acoustique unique. Tellement parfaite qu’on se demande d’où elle vient, si elle n’est pas
Française et Genevoise, journaliste et diplômée de piano au Conservatoire de Neuchâtel, Sylvie Bonier a enseigné l’instrument à Genève et collaboré à différentes parutions et radios en France, ainsi qu’à Espace 2 Elle a assuré pendant 40 ans la chronique musicale de la Tribune de Genève puis du Temps, auquel elle continue de collaborer occasionnellement.
une erreur à force d’être magique. Et puis, il y a l’âme des lieux, bouleversante avec toutes ses petites lumières qui scintillent comme des étoiles, et ne s’éteignent jamais. Le public se baigne dans une lumière douce, en état de communion. Et les musiciens peuvent être en contact avec les spectateurs. Une telle proximité n’existe à mon avis nulle part ailleurs. Quant à la précision sonore, elle est exceptionnelle. On entend de chaque endroit le son le plus infime. En plus, malgré ses trois mille places, les larges sièges sont très confortables. » Pour Leonardo García Alarcón, le Colón est un centre paisible dans le tourbillon portègne. « Buenos Aires est une ville tumultueuse et bruyante qui ne dort jamais. Elle est animée d’une trépidation incessante qui me fascine et m’épuise. Mais dès que j’entre dans l’enceinte du Colón, tout s’arrête. Le silence, la douceur, l’harmonie : tout m’apaise et stimule mon imaginaire. C’est un lieu qui vous prend dans ses bras comme une mère, et vous console de l’agression extérieure. » En concert, le miracle est humain. « Pendant les deux heures de musique de notre dernier concert sans entracte, il n’y avait aucun bruit, aucune toux ou raclement de gorge. Un tel silence, où la concentration est palpable, je ne connais ça qu’au Colón. Ici, la musique n’est pas un bijou qu’on exhibe, mais une nécessité première. Vitale. Les amateurs de musique les moins aisés connaissent tout de ce qu’ils viennent écouter, aux derniers rangs des sept étages du bâtiment. Les places les moins chères du Paradis (le 7e ciel !...), et non du Poulailler comme on le dit dans les pays francophones, sont bondées. La passion, l’admiration et le respect de la culture sont inscrits dans les gènes des Argentins. »
Leonardo García Alarcón en répétition au Teatro Colón en novembre 2023 : « C’est le plus bel opéra du monde. Il possède une acoustique tellement parfaite qu’on se demande d’où elle vient. »
Le Teatro Colón est l’un des plus grands du monde, avec près de 3000 places. Il a vu défiler les plus grands artistes lyriques et les plus grands chefs. Ernest Ansermet y a beaucoup dirigé, passant pendant dix ans ses étés à Buenos Aires.
Leonardo García Alarcón est aujourd’hui l’un des chefs les plus réputés dans le répertoire baroque. Il donne des concerts dans le monde entier avec l’ensemble qu’il a fondé, Cappella Mediterranea, et le Chœur de chambre de Namur dont il a pris la direction en 2010. Établi près de Genève, il enseigne au Conservatoire de cette ville où il est également directeur musical de La Cité Bleue. Au Grand Théâtre, il a dirigé Médée de Charpentier et Atys de Lully. Il a également composé un oratorio, Passione di Gesù, créé l’été dernier à Ambronay.
La librairie El Ateneo Grand Splendid a été créée dans un ancien théâtre. Le National Geographic l’a désignée comme la plus belle du monde en 2018. Elle abrite 250 000 ouvrages : une mine pour le chercheur de partitions oubliées qu’est Leonardo García Alarcón. © Noralí Nayla / Unsplash
La basilique de Nuestra Señora del Pilar, adossée au parc et au cimetière de la Recoleta : Leonardo García Alarcón aime venir y méditer.
« J’ai la nostalgie des tempêtes argentines. Le déchaînement des vents et le bruit assourdissant des vagues imprègnent peut-être quelque part la musique à laquelle j’aime donner vie. »
L’adoration demeure intacte malgré le temps qui passe. Alors qu’il n’y était plus revenu depuis 2017, l’émotion a saisi le chef, comme toujours, à l’occasion de son programme Monteverdi.
« Les larmes ne sont jamais loin… » D’autant que les esprits des plus grands chefs et musiciens planent sur l’histoire tourmentée de l’édifice, déplacé, reconstruit, empêché d’inauguration par la grande crise économique de 1890, bombardé par les anarchistes en 1910, et fermé trois ans pour rénovation entre 2007 et 2010.
À proximité de l’Opéra, les palmiers du Parque Lavalle rythment la place attenante. La verdure y rafraîchit les corps et les âmes. Buenos Aires compte de nombreux parcs, où le jeune Leonardo allait travailler ses partitions, qu’il étendait dans l’herbe.
« Ce sont des haltes bienfaisantes et inspirantes, grâce au contact des arbres. Mes préférés sont les grands ombus, les arbres de la pampa. Leur couronne majestueuse protège de l’extrême chaleur. Et on peut s’installer confortablement contre leurs larges troncs, ou entre leurs racines incroyables, pour lire ou faire la sieste. »
Ces énormes arbres, souvent comparés à des éléphants, contrastent avec la beauté délicate et spectaculaire des jacarandas, à la couleur violette intense et au parfum puissant lorsqu’ils sont en fleurs.
« En novembre, époque du printemps en Argentine, l’odeur et les teintes de ces arbres sont enivrants. Certains instruments construits dans ce bois sont reconnaissables à leur parfum. C’est une madeleine de Proust pour moi. Cette fragrance envahit les rues à la floraison. Et la ville s’illumine des couleurs de ces arbres en fleurs, qui sont une sorte de signature végétale de Buenos Aires. »
en Argentine. « Sans Bach, je ne serais pas musicien », a-t-il déclaré au magazine Télérama. Après avoir entendu sa musique à l’âge de 8 ans, il était si bouleversé qu’il n’en a pas parlé à son père pendant deux mois.
L’eau en est une autre, avec son « fleuve-mer », le Rio de la Plata, où se jettent les affluents Uruguay et Parana. Le gigantesque estuaire donne à la capitale des airs de bord d’océan. « La présence de cette sorte de mer intérieure est très forte. Et surprenante pour ceux qui ne la connaissent pas. Quand ils s’y baignent, s’étonnent qu’elle ne soit pas salée, ils ne réalisent pas toujours qu’elle est faite de l’eau douce des fleuves. »
Depuis qu’il a quitté l’Argentine en 1997 pour rejoindre la claveciniste Christiane Jaccottet à Genève, ébloui par l’intégrale Bach que lui avait offert sa grand-mère Beatriz, Leonardo García Alarcón s’est familiarisé avec le lac et les montagnes suisses. Mais il avoue une véritable nostalgie : les tempêtes. « Là-bas, elles sont phénoménales. Leur fulgurance et leur puissance me manquent. On est en lien avec une force naturelle qui nous dépasse. Le déchaînement des vents et le bruit assourdissant des vagues imprègnent peut-être quelque part la musique à laquelle j’aime donner vie. » De retour dans la capitale de son adolescence, le chef repasse régulièrement par l’avenue Santa Fe où trône la plus incroyable des bibliothèques : El Ateneo Grand Splendid. Consacrée plus belle du monde par le National Geographic en 2018, la librairie a été créée à l’aube du millénaire dans un ancien théâtre de 1919. Elle abrite aujourd’hui environ deux cent cinquante mille ouvrages. Pour le chercheur impénitent qui déniche et fait renaître les partitions inconnues, El Ateneo est un bijou inestimable.
« La réunion de l’histoire, des lettres, des arts et de la musique, dans ce lieu si fabuleux, fait rêver. Ici, je pense aussi à la relation très forte de 45 ans entre le chef romand Ernest Ansermet et Victoria Ocampo, écrivaine, mécène et intellectuelle argentine qui a tant fait pour les artistes de son époque. Pendant une dizaine d’années, Ansermet passait l’été à Buenos Aires où il dirigeait l’orchestre symphonique et vivait chez son amie avant de retourner diriger l’OSR lors de la saison artistique. »
Non loin de là, la spiritualité prend le relais. La Basílica de Nuestra Señora del Pilar date de 1732. Sa blancheur et ses ors s’adossent au fameux cimetière de la Recoleta. « J’adore cette architecture foisonnante. Mon amour du baroque y trouve un écrin de choix. Je viens y méditer. Je ne me définis pas comme quelqu’un de religieux, mais plutôt à la recherche constante de l’insondable mystère. Le message original de Jésus, et celui d’autres chefs spirituels à travers l’histoire, est si révolutionnaire et si fort qu’on ne peut toujours pas l’appliquer.
Pourquoi est-on là, sur cette terre ? N’est-ce pas une erreur ? L’existence humaine est-elle prévue ?... Pour moi, c’est la musique qui rend la vie transcendante et répond à ces questionnements. Elle connecte à l’univers, et l’univers, c’est Dieu, dans toutes ses formes. C’est ma façon de m’y relier, à travers les sons. »
La Recoleta est aussi le quartier des restaurants, bars et autres lieux de convivialité. Deux enseignes ont marqué l’artiste : La Biela et le Café Tortoni. La première adresse était prétexte à réfléchir, lire ou travailler. « Aujourd’hui, malheureusement, le tourisme a envahi le quartier. Borges et Bioy Casares se retrouvaient souvent à la Biela. Il y a d’ailleurs deux statues de ces écrivains mythiques, attablés avec un livre. Jeune, je me rendais ici dans mes moments de crise, pour mettre à l’épreuve mes grandes incertitudes. Maintenant, j’y viens régulièrement avec les musiciens que j’invite à jouer. C’est un lieu chaleureux et habité. »
Au Café Tortoni, une autre histoire se jouait alors. « Pour moi, cela représentait d’abord l’Italie de mes ancêtres, venus de Turin. Et puis, c’était le lieu transgressif, très politisé pendant la période du péronisme. Les artistes et les anarchistes se retrouvaient dans cette taverne-café-théâtre. C’est ici que j’ai pris contact avec le XIXe siècle argentin, et que j’ai pu baigner dans le tango qui habite ma vie depuis tout petit. Mon père jouait en effet de la guitare et chantait merveilleusement, et mon grand-père était un aficionado qui ne jurait que par le tango populaire. Il refusait catégoriquement Astor Piazzolla et son tango nuevo. Quand j’ai pu l’écouter ici, j’ai été renversé. C’est d’ailleurs au Café Tortoni que je situe l’introduction de La Passione di Gesù, mon premier grand oratorio personnel, créé l’an passé à Ambronay puis Genève. Avant le début de l’œuvre proprement dite, Bach et un bandonéoniste
y communiquent comme dans un rêve à la Borges. Au Tortoni, on pouvait aussi entendre du jazz, de la chanson et des genres variés. Cela a ouvert mon horizon musical. »
On saisit à quel point Leonardo García Alarcón est pétri de la multiculturalité de Buenos Aires. De Bach qui a « transformé sa vie », à sa première composition d’envergure qui puise aux sources de tous les styles, le chef suit un chemin semé d’influences très diverses.
Un parcours fervent, qui l’a mené à Genève à l’âge de 21 ans dans la classe de Christiane Jaccottet, puis aux côtés du chef baroque Gabriel Garrido. Son destin international s’est construit là. Il y est resté, y a travaillé, s’y est produit, installé avec femme et enfants, est devenu suisse et a rayonné dans le monde. Récemment, il a créé, sur l’ancien site de la salle Patiño du plateau de Champel, un formidable projet de production, création, enseignement et échanges musicaux : la Cité Bleue. En revenant diriger au Grand Théâtre une nouvelle production d’Idoménée de Mozart, mise en scène par le directeur du Ballet du Grand Théâtre Sidi Larbi Cherkaoui, Leonardo García Alarcón s’inscrit en outre comme un interlocuteur privilégié de la danse. Ses célèbres Indes galantes de Rameau parisiennes, et le magnifique Atys de Lully avec Angelin Preljocaj à Genève, ou aussi la Passion selon saint-Jean de Bach avec Sasha Waltz à Dijon ont encore élargi sa palette artistique vers le ballet contemporain. Quelles seront les prochaines expériences fertiles et surprenantes que Leonardo García Alarcón nous réserve ? Mystère.
« Le Cafe Tortoni représentait pour moi l’Italie de mes ancêtres, venus de Turin. C’est ici que j’ai pris contact avec le XIXe siècle argentin, et que j’ai pu me baigner dans le tango qui habite ma vie depuis tout petit. »
rdv.
Au Grand Théâtre de Genève Idoménée
Du 21 février au 2 mars 2024 gtg.ch/idomenee
Atelier public 17 février
Taverne et café-théâtre, le Café Tortoni, dans le quartier de la Recoleta, était pendant le péronisme un lieu très politisé, très transgressif. C’était le rendez-vous des anarchistes et des artistes.
« Je ne me définis pas comme religieux, mais plutôt à la recherche constante de l’insondable mystère. Pourquoi est-on là, sur cette terre ? N’est-ce pas une erreur ? »
Leonardo García Alarcón répétant au Teatro Colón avec son ensemble Cappella Mediterranea le concert Monteverdi qu’ils y ont donné le 27 novembre de l’année dernière.
« J’essaie de voir la beauté partout »Par Jean-Jacques Roth
Lea Desandre aime s’ouvrir à tous les répertoires, du baroque à Françoise Hardy. « Arrêtons de mettre les choses en boîte. La tradition, c’est beau, mais elle ne doit pas être un frein à la création ». © Joel Saget / AFP
Lea Desandre a étudié à Venise auprès de Sarah Mingardo avant d’intégter le Jardin des Voix de William Christie en 2015. Révélation lyrique des Victoires de la musique en 2017, elle rencontre en 2021 un énorme succès dans le rôle de Cherubino des Noces de Figaro de Mozart, qu’on lui demande partout. Elle continue de consacrer beaucup d’attention au répertoire baroque qui l’a fait éclore, en récital ou sur les scènes. Elle excelle aussi dans la chanson française et maintenant dans la comédie musicale avec un spectacle sur Julie Andrews.
Son plaisir de chanter des rôles masculins, sa discipline de danseuse, son amour du baroque, son rêve de chanter
Mozart, ses pas de côté chez Barbara ou Julie Andrews, sa philosophie de l’amour : Lea Desandre qui s’apprête à chanter pour la première fois le rôle d’Idamante dans Idoménée,
Et sa carrière s’envole.
fait feu de tout bois.
Ne dites pas Desandre à la française. Ne dites pas Desandre à l’italienne. Dites Dézandré, hybridation entre ses deux origines. Italienne de la région du Piémont et du Val d’Aoste, Lea Desandre est née à Paris où elle a grandi et où elle vit. Et quand on lui demande quelle est la part respective de ses deux cultures, « c’est du 50-50 », répond-elle du tac au tac, sans doute pour avoir été soumise cent fois à la question.
50-50, c’est la loi de l’équilibre. C’est le besoin pour cette chanteuse de n’être jamais assignée à une case. Sa carrière en témoigne. D’abord formée comme danseuse classique, elle a commencé dans le chant baroque auprès de William Christie, qui l’a intégrée jeune dans son équipe des Arts Florissants. Révélation artiste lyrique des Victoires de la musique en 2017, aujourd’hui demandée sur les plus grandes scènes, Lea Desandre ne manque jamais une occasion de surprendre.
Elle s’est ainsi émancipée du répertoire baroque pour gagner les rivages mozartiens. Mais aussi pour aller cueillir le meilleur de styles moins académiques, comme la comédie musicale ou la chanson. Son dernier disque, accompagnée de son compagnon à la vie comme sur les scènes, le luthiste et chef de l’ensemble Jupiter Thomas Dunford, elle l’a consacré à des chansons d’amour françaises allant du XVIIe siècle jusqu’à nos jours, incluant Françoise Hardy et Barbara. C’est Idylle, et l’amour n’est pas qu’un choix musical : il inonde la philosophie de vie de cette mezzo-soprano à la voix claire, qui chantera pour la première fois le rôle virtuose d’Idamante, dans Idoménée de Mozart, sur la scène du Grand Théâtre.
Le rôle d’Idamante avait été écrit pour un castrat. Vous avez voulu l’aborder par désir, ou parce qu’il vous a été proposé ?
La demande est venue du Grand Théâtre. Les planètes sont souvent alignées lorsqu’il s’agit de nouveaux rôles. Il arrive souvent que les théâtres me fassent des propositions pour le même personnage, comme s’il y avait une forme d’évidence. Le meilleur exemple, c’est Cherubino dans Les Noces de Figaro de Mozart. Je l’ai chanté dans sept productions en deux saisons. Même chose avec Ariodante de Haendel. Le Grand Théâtre est le premier à m’avoir proposé Idamante, mais plusieurs autres propositions sont venues dans les semaines et les mois suivants. Et ça arrive pile au bon moment.
Idamante est tout à fait adapté à mon instrument tel qu’il se trouve aujourd’hui. Ma voix est assez hybride : un peu claire pour une mezzo-soprano mais un peu basse pour une soprano. Du coup, je me suis retrouvée dans une zone où beaucoup de chanteuses l’ont été avant moi, avec des questionnements. J’ai eu la chance de discuter avec elles et je me suis rendu compte que ces questions de définition de tessiture ont en réalité peu d’importance. L’essentiel, c’est que mon instrument est propre. Idamante est de ces rôles un peu graves pour les sopranos et un peu aigus pour les mezzos. L’an dernier, j’ai chanté Annio, dans La Clémence de Titus de Mozart, qui présente le même type d’entre-deux, et je m’y suis sentie à l’aise.
Vous donnez une place toujours plus importante à Mozart. Que représente-t-il dans votre constellation ?
Il m’a accompagné pendant toutes mes études. J’ai débuté avec la musique ancienne, qui suffirait à me nourrir jusqu’à la fin de mes jours. Mais j’ai toujours eu peur de rester cantonnée à un seul style. J’ai besoin de m’aérer, de grandir, de m’ouvrir. Quand les premiers rôles mozartiens sont arrivés, c’était comme un rêve que je pouvais toucher du doigt. Mais je n’osais pas concevoir qu’il prenne une telle place dans ma vie. Et aujourd’hui c’est un socle. Je n’imagine pas une saison sans chanter Mozart. Tout simplement parce qu’il me ramène à l’essence de mon instrument. En termes d’exigence et de rigueur, il n’y pas de comparaison. Chez Mozart, on ne peut pas se cacher. Il vous oblige à remettre en question les mauvaises habitudes venues d’autres répertoires :
les sons droits un peu gratuits dans le baroque, le vibrato dans le romantisme. Mozart guérit. C’est le compositeur qui a le mieux écrit pour la voix : les voyelles, la tessiture, tout est toujours bien amené.
Cherubino, Annio et maintenant Idamante : comment entrez-vous dans ces personnages masculins ?
J’adore ça. Je pense qu’on est tous à la fois homme et femme, c’est juste une question de dosage. Pour ces rôles, il faut simplement modifier le pourcentage. J’ai toujours été, même adolescente, un petit garçon manqué. Je faisais du tennis, du handball, du volleyball, du golf. J’ai ce côté-là en moi, il me suffit donc d’épanouir cette facette un peu plus que dans la vie quotidienne. C’est un travail fascinant, qui aiguise le regard sur le monde. Ça invite à l’ouverture, à l’attention aux détails du quotidien sur les personnes qu’on côtoie. C’est aussi là que je trouve l’inspiration de mes personnages. En deux ans, j’ai chanté Cherubino dans plusieurs productions des Noces de Figaro : un Cherubino Justin Bieber, un Cherubino XVIIIe siècle, un Cherubino 2023, un Cherubino versaillais… C’est l’occasion d’aller chercher des types d’hommes chaque fois différents. D’une certaine manière, c’est plus intéressant que d’incarner des femmes, forcément plus proches de ce que je vis. Encore que ! Après Idamante, je vais chanter Médée (de Charpentier à l’Opéra de Paris, ndlr). Il me faudra puiser dans des régions plus qu’inconnues…
Comment votre corps vit-il cette transidentité ?
Le centre de gravité corporel est plus bas chez l’homme que chez la femme. Pensons simplement aux chaussures : sans talons, vous avez un autre contact avec le sol. Or, être plus bas dans son corps aide à chanter. Si on prend le stéréotype d’un jeune homme de cette époque, il est assez ancré : il y a une forme de stature, de noblesse dans la posture qui aide à aller chercher une noblesse dans le chant. Il n’y a pas de minauderies. Ce que je dis là est très réducteur, bien sûr, car la femme est très loin de n’être que ça, même du temps de Mozart, mais il y a quelque chose de plus droit lorsque je dois interpréter un rôle masculin. Même en termes d’accessoires, c’est souvent plus pur. Comme une mise à nu, qui m’est plus facile.
Vous aimez que les metteurs en scène aillent vous chercher là où vous ne pensiez pas du tout aller ? Qu’ils vous surprennent ?
Ah oui, pourvu qu’ils suivent une forme de logique de l’œuvre. Une des beautés de ce métier, c’est que les personnes avec qui on travaille vous fassent sortir de vos retranchements, qu’ils vous poussent à aller plus loin. C’est la rencontre de mondes différents qui fait la magie de ce métier.
Lea Desandre s’est produite au Grand Théâtre dans Les Huguenots de Giacomo Meyerbeer, en 2020. Elle y chantait Urbain, page de la reine Marguerite de Valois. Elle est revenue à Genève l’automne dernier pour y chanter le rôle-titre d’Ariodante de Haendel. © Magali Dougados, Grand Théâtre de Genève.
Idoménée sera mis en scène par Sidi Larbi Cherkaoui, qui est chorégraphe. Pour vous qui êtes danseuse à l’origine, comment envisagez-vous le travail ?
J’ai déjà travaillé sur trois ou quatre projets avec des chorégraphes, dans des styles tous très différents. Dans le dernier en date, j’ai été plus statique que dans aucun des spectacles auxquels j’ai participé ! Pour Idoménée, j’espère qu’on va me faire bouger sur scène.
La danse vous a-t-elle apporté une écoute différente de la musique ?
La danse classique, très structurée et contraignante, m’a surtout apporté l’exigence de la rigueur quotidienne dans le travail et le sens de la répétition, jusqu’à ce que le mouvement soit juste. C’est une belle clé pour le chant, où il s’agit d’inscrire une empreinte physique du travail technique pour oublier la difficulté. On s’offre alors un espace de liberté déconnecté du mental. Dans la danse, on parle du fil qui nous relie du haut de la tête jusqu’au ciel, mais aussi de l’enracinement parce que sinon on s’envole, on perd l’équilibre. En chant c’est la même chose, même s’il y est moins question d’élévation que d’ancrage.
Vous aimez faire des pas de côté : la chanson française, et maintenant Julie Andrews, à laquelle vous venez de consacrer un spectacle. Le classique ne vous suffit pas ?
Le spectacle sur Julie Andrews vient d’une envie commune avec Thomas Dunford. La comédie musicale a toujours été présente dans ma vie. Mes parents étaient dans le cinéma, le week-end on regardait des films. J’adorais Mary Poppins et La Mélodie du bonheur. J’ai ensuite découvert tout ce que Julie Andrews a fait sur scène et que je n’ai pas vu, My Fair Lady, Cinderella. C’est une fée, une de mes muses. Thomas Dunford qui est franconew-yorkais, a pour sa part grandi dans le musical, Fred Astaire, West Side Story… C’est un projet qui nous enflamme. Ce qui vient de l’enfance réveille des rêves. Julie Andrews a touché toutes les générations. Elle représente une figure un peu magique pour nous tous. Nous avons ainsi construit un spectacle d’une heure et demie avec des costumes sublimes de Hubert Barrère, le directeur artistique de la maison
Lesage. C’était aussi pour montrer aussi une autre facette de nous. Nous sommes de cette génération qui a grandi en écoutant tout autant Couperin que Madonna, Adele ou Billie Holiday. Pour moi, il n’y a pas de frontières entre les répertoires. Il n’y a que des différences de styles, comme en cuisine.
Vous avez d’autres projets de ce type ? Nous venons, avec Thomas Dunford, de publier l’album Idylle. Des chansons d’amour françaises, du XVIIIe à aujourd’hui. On passe de Charpentier à la Belle Époque, jusqu’à Barbara et Françoise Hardy. Nous avions pris l’habitude de donner des chansons après des concerts de musique ancienne et le retour du public nous a confirmé que ces croisements faisaient sens. Je crois que le covid a aussi réveillé les rêves de chacun : on veut profiter de la vie, on veut de la joie, du plaisir. Arrêtons de mettre les choses en boîte. La tradition, c’est beau, mais elle ne doit pas être un frein à la création.
Revenons à Idoménée, à ce thème du pouvoir des dieux et des hommes… Quelle est votre relation au spirituel ?
J’ai beaucoup développé la méditation et ma connexion avec la nature. Mon chemin de vie a fait qu’aujourd’hui j’essaie de voir la beauté partout. Dans les petites et dans les grandes choses, je trouve essentiel de voir l’amour qui est autour de nous. C’est un résumé de la vie. Nous sommes tous amour. Nous faisons partie d’un grand tout. Sentir cela nous ramène au vivant : il n’y a plus de frontières, plus de cases. C’est doux quand on arrive à le voir. Je tâche de faire de mon mieux chaque jour… Ce n’est pas toujours évident mais c’est bon de se le rappeler tous les matins. Nous avons tellement de chance, comme musiciens : en voyageant, en rencontrant beaucoup de gens, nous pouvons être des distributeurs d’amour. Ma religion serait qu’on essaie tous de se connecter les uns aux autres. Nous avons tous envie d’avoir un sac à dos rempli de cœurs et de faire du bien autour de nous. De sourire à un inconnu. Dire à quelqu’un qu’on n’a plus vu depuis longtemps qu’on pense à lui. Vivre dans l’amour du prochain apporte une joie, une sérénité. Une sorte d’évidence.
rdv.
Au Grand Théâtre de Genève Idoménée
Du 21 février au 2 mars 2024 gtg.ch/idomenee
Passée par des études en relations internationales puis l’Académie du journalisme et des médias de Neuchâtel, Virginie Nussbaum officie comme journaliste au sein de la rubrique Culture du Temps depuis 2017. Lorsqu’elle ne co-produit pas le podcast BriseGlace, elle écrit volontiers sur les musiques actuelles, les séries TV et tout ce qui l’enthousiasme sur les scènes de Suisse romande et d’ailleurs.
Venir au concert puis rester dormir là, sur son matelas, entre les grands murs de marbre : c’est l’expérience improbable que propose, une fois par an, l’institution genevoise. Ou quand le lyrique devient un doux rêve…
L’espace d’une nuit, de labyrinthe en labyrinthe, au fil des mélodies d’antan et des douces polyphonies, les visiteurs s’offrent un lit temporaire dans l’un des deux foyers latéraux du théâtre.
© Grand Théâtre de Genève
Imaginez : il est minuit passé, un samedi soir d’avril et vous sentez la fatigue vous engourdir. Vous fermez les yeux, non sans avoir jeté un dernier coup d’œil aux centaines d’étoiles qui, au-dessus de votre tête, parsèment un ciel de métal doré tandis que les mélopées d’un pianiste au loin vous bercent jusqu’au sommeil... le songe d’une nuit de printemps ? Un scène bien réelle, au contraire, depuis que le Grand Théâtre de Genève (GTG) invite, une fois par an, le public à dormir entre ses murs.
C’est le concept de Sleepover, qui aura droit à sa troisième édition le 13 avril prochain : l’occasion, pour une centaine de personnes, de passer une nuit plus ou moins blanche, mais tissée de musique, dans le noble bâtiment de la place de Neuve. Une pyjama party en mode lyrique : on doit cette idée à Clara Pons. Depuis 2018, la dramaturge et metteuse en scène est gardienne de La Plage, pan de la programmation du GTG qui veut désacraliser l’institution genevoise et l’art lyrique en proposant des activités étonnantes et décalées – brunch-concerts, « apéroperas », soirées électro sous les lustres…
Un joyeux laboratoire qui permet de se renouveler et d’atteindre de nouveaux publics, estime-t-elle. « Ça nous sort de nos habitudes, que ce soit les nôtres ou celles de nos spectateurs ! » Et le Sleepover de pousser le challenge à son paroxysme : « Il y a vraiment un truc un peu punk de prendre la plus grande et plus “noble” bâtisse de la ville pour y faire la plus quotidienne des tâches : dormir ! »
Une pyjama party en mode lyrique: un joyeux laboratoire qui permet d’atteindre de nouveaux publics. © Grand Théâtre de Genève
On vient donc comme on part au camping (version légère et de luxe), équipé de son pyjama, d’un sac de couchage et d’un petit matelas, d’une couverture ainsi que d’une lampe de poche. « Il y en qui ont l’air de partir une semaine à la montagne, et des dames plutôt chic qui arrivent juste avec leur sac de week-end et leur trousse de toilette », s’amuse Clara Pons. Mais avant d’établir son camp, il y a de quoi s’en mettre plein les oreilles. Les concerts débutent à 21h30 et s’enchaînent, dans différents espaces du Grand Théâtre. Des chanteurs et musiciens, en petite formation, qui valsent entre les œuvres et traversent
les époques. « On part du plus énergique pour aller au plus calme, précise Clara Pons. On en profite pour proposer des choses différentes, tout en essayant de garder un lien avec la programmation actuelle. » L’occasion aussi d’une ronde nocturne inédite. « On se rend dans certaines salles auxquelles le public n’a normalement pas accès. Et on essaie de transformer le lieu en décor pour l’occasion. » Si certains recoins sont interdits, c’est moins par peur d’éventuelles dégradations (« on n’a jamais eu ce problème », précise l’organisatrice) que pour des raisons de sécurité. « Et on ne sait jamais, les visiteurs pourraient se perdre... et nous, ne pas les retrouver avant six mois ! »
Intimité partagée
L’expérience est radicalement différente de celle d’un concert classique, et pas seulement pour le dress code, plus training que veston-chemise : en venant sans attentes ni a priori, les participants font davantage appel à leurs ressentis, se réjouit Clara Pons. « D’autant qu’ils sont libres de faire ce qu’ils veulent, d’aller dormir où bon leur chante, dans un endroit habituellement bourré de codes. Tout le monde s’oublie un peu là, couché par terre. On est vraiment dans la musique, dans le moment. » Les dernières notes s’évanouissent entre 1h ou 2h du matin et si la plupart choisissent de se lover ensuite dans l’aile feutrée des loges, on peut aussi s’endormir là, sur la moquette du grand foyer (plus chaud que le marbre !). Dans ce cas, nous prévient Clara Pons, on sera les premiers réveillés, un peu avant 8h, pour les croissants – servis avec café, un chocolat chaud et un récital lyrique bien sûr. « Ce qui est amusant, c’est de se retrouver tous au petit déjeuner, avec des têtes plus ou moins embroussaillées et le sentiment d’avoir partagé quelque chose ensemble. » Une certaine intimité, un rêve suspendu et improbable, pour lequel ces rois et reines de la nuit n’auront à débourser que 40 francs. Pas étonnant que les billets s’arrachent. « Je dis toujours : si vous voulez dormir à Genève, c’est ce soir-là qu’il faut venir, rigole Clara Pons. Ce prix est imbattable ! » Jamais dortoir n’aura été aussi mélodieux…
Au Grand Théâtre de Genève Sleepover
13 avril 2024
gtg.ch/sleepover
Entre les pouvoirs religieux et séculier, entre la liberté individuelle et les commandements divins, la tension a toujours été vive. L’histoire de l’opéra raconte cette confontation de multiples manières, comme l’illustrent les prochains ouvrages à l’affiche du Grand Théâtre, Idoménée de Mozart et Saint François d’Assise de Messiaen.
Détail de La Chute des anges rebelles de Pieter Bruegel l’Ancien. Les anges rebelles symbolisent les vices transformés en créatures hybrides, dans un bestiaire hérité de l’imaginaire médiéval. © La Chute Des Anges Rebelles peinture de Pieter Brueghel l’Ancien, 1562, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique
Philippe Portier est depuis
2007 directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études à Paris, titulaire de la chaire Histoire et sociologie des laïcités. Il a publié de nombreux ouvrages et articles sur les laïcités, la sociologie du religieux, la relation religion/ politique, la théorie politique. Il travaille actuellement sur l’analyse comparée des régimes de laïcité et, après avoir dirigé l’enquête archivistique de la Commission Sauvé (sur les abus sexuels dans l’Église), sur les violences sexuelles dans les mondes religieux.
Bien que les Églises perdent leurs fidèles, la croyance ne faiblit pas dans nos sociétés européennes. Les dieux, qu’on croyait disparus, sont aujourd’hui de nouveau sur le devant de la scène, investis de la mission de répondre, selon des propositions novatrices, aux incertitudes de la deuxième modernité.Par Philippe Portier
Dans la Respublica christiana du Moyen Âge, le politique et le religieux s’entremêlaient. À la suite du Christ qui avait dissocié le règne de César et le règne de Dieu, la société européenne admettait certes l’existence de deux puissances : le pape et le prince ne pouvaient être confondus. Au premier revenait la charge des affaires spirituelles ; au second celle des choses temporelles. Distingués donc, nullement séparés cependant : ils devaient ensemble, l’Église dotée de l’auctoritas, l’État de la potestas, conduire les êtres sur le chemin du salut éternel, en les soumettant ici-bas au régime normatif de la loi divine. Dans cet univers-là de pensée, reçu par un peuple unanimement rassemblé autour de la foi romaine, les droits de l’homme ne font l’objet d’aucune reconnaissance politique : adossée à une transcendance qui lui donne ses règles, la société s’agence autour des droits de Dieu et des devoirs humains qui les accompagnent. Ce modèle se défait avec l’entrée dans la modernité, quelque part autour de 1700, alors que se déchire le tissu religieux issu de Moyen Âge. S’inaugure alors le temps de la « grande séparation1 », dont des penseurs comme Hobbes, Spinoza et Locke fondent la théorie. Deux mouvements, qui trouvent leur expression pratique dans la Révolution française, viennent recomposer l’ordre social. D’un côté, on surélève le politique : l’État était hier souvent défini comme un département de l’Église ; il se trouve dorénavant établi en puissance souveraine, attaché simplement, dans le cadre d’une histoire pensée dans
Le pouvoir religieux et le pouvoir séculier n’ont cessé de s’affronter dans toutes les religions monothéistes. Dans l’Occident chrétien, il faudra attendre le XVIIIe siècle pour que se déchire le tissu religieux issu du Moyen Âge. © Collage, John Bingley Garland (1850-1860), Getty Museum
son immanence, à la conservation de l’ordre et de la liberté. De l’autre, on privatise le religieux. Dans l’ordre ancien, l’Église certifiait les normes morales et juridiques du Royaume ; dépossédée de sa puissance, elle est pensée, dans le droit moderne, sous le concept d’une association purement humaine dont la parole, quand l’État l’autorise à s’exprimer, ne peut se prévaloir, dans l’espace public, d’aucun privilège de véridiction.
1 Mark Lilla, Le Dieu mort-né, La religion, la politique et l’Occident moderne, Paris, Seuil, 2010.
2 Philippe Portier, Jean-Paul Willaime, La religion dans la France contemporaine. Entre sécularisation et recomposition, Paris, Armand Colin, 2021.
3 Charles Taylor, L’âge séculier, Paris, Seuil, 2008.
4 François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Le Seuil, 2003.
Cette architecture décrit le premier moment de la modernité. Son deuxième temps, qui se construit à partir des années 19602, a conduit le monde à changer de base. Il a conduit le politique et le religieux à s’inscrire, en Europe de l’Ouest même, dans un processus renouvelé de ré-intrication : ils se retrouvent pour coopérer, sans que l’on puisse parler pour autant d’une résurgence de l’ancienne hétéronomie.
Les sociétés anciennes étaient « saturées de religion ». On a pu dire même qu’elles ne disposaient pas des catégories mentales susceptibles de leur permettre de penser l’incroyance3. Avec les Lumières, dont certains discours chrétiens (protestantisme, érastianisme, jansénisme, gallicanisme) ont favorisé l’émergence, se construit un « humanisme exclusif », fondé, on le suggérait à l’instant, sur la double consécration de l’histoire séculière et de la raison étatique. Or, ce modèle s’est trouvé mis en crise au cours de ces dernières décennies.
Pouvoir des dieux, pouvoir des hommes
L’État semble frappé d’une double impotence, matérielle et symbolique. C’est de là sans doute que procèdent les phénomènes contemporains autour du religieux.
Les pèlerins accueillent le pape François à Fatima à l’occasion des Journées mondiales de la jeunesse en 2023. Toutes les familles religieuses connaissent une polarisation entre tendances libérale et conservatrice, cette dernière allant en se renforçant.
© Joao Relvas, KeystoneBaruch Spinoza (en haut) et Thomas Hobbes : deux des penseurs qui fondent au XVIIIe siècle « la grande séparation » entre pouvoir religieux et séculier. © Wikimedia Commons
La crise a touché, d’une part, la compréhension de l’histoire. La première modernité s’était édifiée sur le fondement d’un régime futuriste d’historicité. Condorcet en est l’un des premiers théoriciens à la fin du XVIIIe siècle dans son Tableau historique des progrès de l’esprit humain. Il pose le cadre dans lequel toute la pensée moderne, libérale et socialiste, va désormais s’inscrire : demain, où se concentreront les avancées techniques, politiques et morales de l’humanité, sera meilleur qu’aujourd’hui. La seconde modernité introduit un autre régime d’historicité, « présentiste » selon l’expression de François Hartog4 . En son sein, l’idée de progrès se trouve contestée. Rien ne demeure de l’association d’hier entre le mouvement et la certitude. La mobilité du monde, dont la sociologie souligne souvent l’accélération, est associée maintenant à l’incertitude : les contemporains partagent l’idée que, loin d’engendrer un univers de prospérité et de réconciliation, elle produit une déstabilisation de leurs modes d’existence. Les promesses de la terre, portées par les utopies issues du siècle des Lumières, se trouvent désenchantées, comme l’avaient été hier celles du ciel. Les existences sont tendues simplement, aujourd’hui, vers l’assomption du moment, sans projection vers l’avenir.
La crise a concerné, d’autre part, l’intelligence du politique. La première modernité s’était agencée autour de la croyance dans la puissance de l’État. La tradition hégélienne le concevait même comme le « véhicule de l’esprit ». On lui imputait d’autant plus de force configuratrice qu’il régissait son monde à l’abri de frontières nationales étroitement circonscrites. Voilà qui n’est plus. Depuis les années 1960-1970, il perd sa capacité d’emprise sur la société. Dans un univers soumis à la mondialisation des flux économiques et des normes juridiques, affecté aussi par l’amplification des circulations humaines et des inventions techniques qui « modifient l’image que l’homme peut avoir de lui-même », l’État semble frappé désormais d’une double impotence, matérielle et symbolique : il n’est plus qu’un acteur parmi d’autres, contraint, pour répondre à sa fonction gestionnaire, de négocier avec d’autres pôles de pouvoir, infra-étatiques ou supranationaux. C’est de là, sans doute, de cette double crise, que procèdent les phénomènes contemporains de retour du religieux. Michel de
Certeau le notait déjà dans L’Absent de l’histoire : « La religion fournit une symbolisation globale de leur malaise à des hommes dispersés, d’autant plus séparés entre eux que leurs références communes sont brisées5 . »
La résilience de la croyance religieuse
La première modernité a souvent été pensée à partir du paradigme, développé par les pères fondateurs de la sociologie, de la sécularisation. On attendait alors la mort de Dieu. Le pronostic était fondé sur l’idée d’une antinomie de la raison et de la foi, de la science et de la croyance : la modernité s’étendait, la religion est vouée à reculer. La seconde modernité confronte l’observateur à une autre réalité. L’Europe de l’Ouest n’a nullement fait disparaître son attachement à la métaphysique. Elle l’exprime simplement de manière nouvelle, en articulant, sur fond d’accentuation de la pluralité des conduites, des phénomènes de désaffiliation et de réinvestissement.
Désaffiliation donc. C’est là sans doute le trait dominant de la situation contemporaine. On en mesure l’ampleur en s’arrêtant sur l’indicateur de l’appartenance religieuse. Celui-ci a connu partout, depuis les années 1960-1970, selon un processus sans cesse plus affirmé, une baisse significative. La catégorie qui progresse le plus est celle des « sans religion ». Cela vaut dans la société helvétique : de 1% de non-appartenants dans l’après-Seconde Guerre mondiale, on est passé, note l’Office fédéral de la statistique, à 25% en 2020. Le cas français est plus net encore : 4% des Français s’avouaient sans religion dans les années 1950, 58% sont dans ce cas en 2018, selon l’Enquête sur les valeurs des Européens. En Suisse, la perte touche au premier chef les évangéliques réformés et, à un moindre titre, les catholiques, passés pour les premiers de 40% de la population en 1970 à 20% aujourd’hui, pour les seconds de 45% à 35% sur la même période. En France, historiquement marquée par l’homogénéité confessionnelle, la chute de l’Église romaine est plus affirmée : ses membres déclarés représentaient plus de 90% de la population dans les années cinquante ; ils ne sont plus que 32%. Ce bouleversement explique (ou reflète) la
5 Michel de Certeau, L’Absent de l’histoire, Paris, Repères-Mame, 1973, p. 140.
Pouvoir des dieux, pouvoir des hommes
sécularisation des mœurs, elle-même au principe de la sécularisation des lois dans les sociétés d’Europe de l’Ouest. Il n’empêche nullement que se maintiennent, dans les populations détachées, y compris dans les jeunes générations, qui le plus souvent n’ont pas été socialisées dans le christianisme, des adhérences de type spiritualiste, dissociées de toute régulation ecclésiale et souvent ouvertes à l’expression des singularités religieuses. Réinvestissement aussi. Il importe de rappeler que l’appartenance n’a pas disparu. La plupart des Européens, même à l’Ouest, se reconnaissent dans une confession historique. En Suisse, c’est encore 75% ; en France, 42%. Ces appartenances s’inscrivent dans un champ pluraliste. Le pluralisme est externe. Du fait des processus de migration et, à moindre titre, de conversion, l’espace confessionnel s’est ouvert à des dénominations qui n’existaient pas ou fort peu dans les années 1960. C’est le cas des musulmans. En soixante ans, leur poids dans la population globale est passé de 1% à 5% en Suisse, de 1% à 10% en France. La part du protestantisme évangélique a connu, au sein de la famille protestante, une croissance également significative, au point en France d’y devenir majoritaire.
Mais le pluralisme est aussi interne. Jusqu’à ces dernières décennies, les mondes religieux se distinguaient d’abord les uns des autres, en se constituant en enclos théologiques singuliers. Les frontières passent désormais à l’intérieur d’euxmêmes. Toutes les familles révèlent en leur sein une polarisation agencée autour d’une composante libérale, qui s’affaiblit, et d’une composante conservatrice, qui se renforce au contraire. Toutes deux se défient des injonctions venues des appareils ecclésiastiques ; elles se distinguent en revanche par leur mode de compréhension du pluralisme axiologique à l’œuvre dans la société contemporaine : la première l’accompagne en
y voyant le signe de la liberté donnée par Dieu à ses créatures ; comme on le voit avec les ultraorthodoxes juifs, les protestants évangéliques, les catholiques identitaires ou les musulmans salafistes, la seconde la récuse en militant en faveur d’une affirmation explicite de l’identité religieuse et d’un retour des comportements et des législations aux règles de la morale substantielle6 .
La spiritualisation de la sphère politique
Déplausibilisation des significations séculières, amplification des demandes religieuses : comment les États ont-ils réagi devant cette modification de leur environnement ? Ils ne sont pas demeurés dans la reconduction des formules antérieures de gestion des sociétés. La « grande séparation » s’est trouvée remisée pour laisser place à une réarticulation des deux espaces jusqu’alors différenciés. Cette ré-intrication ne s’est pas imposée cependant, en Europe, sur le mode d’une désécularisation normative du politique : s’il déprivatise le religieux, l’État apparaît bien, en dépit de son affaiblissement, comme l’organisateur du nouveau système d’action. Ce dispositif repose, d’une part, sur une politique recognitive. Celle-ci concerne les individus. On en devine la raison : dans la démocratie libérale, l’État ne peut pas ne pas accorder à ses citoyens les
Nulle part les divisions confessionnelles et politiques ne sont plus âpres qu’à Jérusalem, et nul lieu ne l’illustre davantage que le mur des Lamentations surplombé par la mosquée al-Aqsa. © Georgi Licovski, Keystone
Les autorités étatiques appréhendent le religieux à la fois comme principe de stabilisation et possible facteur de perturbation, voire de fractures ou de violences extrêmes
Le prêtre Michael Owokade prie pour un membre de l’Église du christianisme céleste au cours d’une cérémonie dans le district de Sango Ota, près de Lagos, au Nigeria (décembre 2022). Comme les catholiques identitaires, les musulmans salafistes ou les orthodoxes juifs, les mouvements évangéliques ont aujourd’hui le vent en poupe. © Akintunde Akinleye, Keystone
immunités et les latitudes qu’ils réclament, dès lors certes qu’elles ne sont pas contraires à l’ordre public : c’est là une application du principe de liberté de conscience, à laquelle s’associe la liberté de religion, sur lequel fait fond, avec le soutien désormais de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, la constitution politique des États d’Europe de l’Ouest.
Les déclinaisons de cette reconnaissance sont multiples. Dans la société civile, les individus se voient accorder le droit de s’organiser en congrégation religieuse, de disposer d’espaces spécifiques d’éducation, d’afficher leurs croyances sur la voie publique et même sur leurs lieux de travail. La règle vaut même dans l’espace étatique, où les usagers peuvent exhiber leurs appartenances, comme d’ailleurs, dans certains pays comme la Grande-Bretagne, la plus grande partie des fonctionnaires dès lors qu’ils ne transgressent pas, dans leurs actes, l’obligation de neutralité à laquelle ils sont astreints.
Mais la reconnaissance vaut également pour les institutions. Partout en Europe, au-delà même des États confessionnels, des systèmes de relations ont été mis en place entre les Églises et l’État, même en France où la séparation a pris une forme plus radicale qu’ailleurs. Il s’agit là, pour les pouvoirs publics, de pouvoir appuyer leur travail de régulation de la coexistence collective sur les ressources de sens et de lien portées par les organisations religieuses. À cette politique recognitive s’est adjointe une politique transformative. Les autorités étatiques appréhendent le religieux en effet dans son « ambivalence »7 : principe de stabilisation, il doit être saisi aussi, comme un facteur de perturbation, capable, quand il se donne au « fondamentalisme », de produire des fractures et même, comme on l’a vu avec les attentats, d’engendrer des violences extrêmes. C’est de cette « sociologie du risque »
6 Sur tous ces points, voir Philippe Portier, Jean-Paul Willaime, op. cit.
7 Philippe Portier, « La crise de la laïcité française », Critique, 2024, à paraître.
Face aux « questions embrouillées » qu’ils ont à traiter, les gouvernements européens se tournent volontiers aujourd’hui vers les mondes religieux.
que sont issus les dispositifs de « sécuritisation » mis en place dans la plupart des pays européens. Les mouvements sectaires en ont parfois été la cible. Mais c’est l’islam surtout qui est visé. Il s’est agi, d’une part, de contrôler les communautés confessionnelles. Les États européens ont réformé leur droit pénal : des normes nouvelles ont été établies visant à faciliter les investigations policières, à multiplier les procédures de contrôle, à renforcer les peines en cas d’atteinte à la sécurité. Parfois, également, ils ont recomposé leur droit des religions. On l’a vu en France où, par une succession de lois, les gouvernements ont modifié des conditions de fonctionnement des associations cultuelles, proscrit, dans certains espaces (comme l’école publique pour les élèves mêmes), l’exhibition des signes religieux, ou contrôlé recrutement et la formation des imams étrangers. Il s’est agi, d’autre part, d’unifier les imaginaires sociaux. Dans tous les pays de l’Ouest européen, les autorités ont développé des programmes d’éducation civique centrés sur la transmission des « valeurs partagées » en rappelant volontiers, du reste, leur enracinement dans le socle de la culture chrétienne7 .
Le sociologue allemand Hans Joas concluait l’un de ses ouvrages récents en notant, contre les théories conventionnelles de la sécularisation, qu’en matière de religion, « rien n’est jamais écrit ». La situation contemporaine donne crédit à cette idée d’une contingence de l’histoire : les dieux, qu’on croyait disparus, sont aujourd’hui de nouveau sur le devant de la scène, investis de la mission de répondre, selon des propositions novatrices, aux incertitudes de la deuxième modernité. La croyance habite l’univers mental de nos contemporains. Cette réaffirmation religieuse prend des formes multiples, depuis la réassurance fondamentaliste jusqu’au libéralisme théologique en passant par l’agnosticisme spiritualiste. Les contenus sont pluriels ; ils n’empêchent pas cependant la convergence des approches : les citoyens croyants se retrouvent très majoritairement aujourd’hui pour cultiver l’idée selon
laquelle l’adhésion religieuse ou spirituelle relève d’abord d’un investissement subjectif dont l’authenticité trouve son critère de validité, non point tant dans sa conformité à la vérité portée par les autorités confessionnelles que dans les bénéfices existentiels qu’elle peut leur apporter. Mais le religieux inspire également la production juridique de nos sociétés. Il ne s’agit pas certes de revenir sur le principe d’autonomie du droit. On le relève pour ce qui touche aux politiques de la vie, du genre et de la sexualité : elles se sont construites dans la dissociation d’avec les idéaux confessionnels. Il reste que, face aux « questions embrouillées » qu’ils ont à traiter, les gouvernements européens se tournent volontiers aujourd’hui vers les dispositifs sémantiques, symboliques et matériels que leur offrent les mondes religieux. C’est là un basculement dans le mode de gestion de l’Occident : la modernité, dans son premier moment, s’était édifiée sur le principe de la privatisation de la foi ; les gouvernants l’établissent dorénavant dans l’espace public, en lui imposant cependant, parfois autoritairement8 , de faire droit aux règles de la démocratie constitutionnelle et, tout autant, aux « valeurs » qu’ils associent à leur culture nationale.
Hindouistes pendant le « Karkidaka Vavu », le rituel des âmes disparues, sur les rives du Periyar à Kochi, dans l’État indien du Kerala (juillet 2022).
Pèlerins en marche autour de la Kaaba, à la grande mosquée de La Mecque, en Arabie saoudite, lieu le plus sacré de l’islam. Les pèlerins effectuent sept tours pendant leur circambulation (rite du tawaf). Le grand pèlerinage (hadj) est l’un des cinq « piliers de l’islam » (La Mecque, 2023) . © Amr Nabil / AP
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Au Grand Théâtre de Genève Idoménée
Du 21 février au 2 mars 2024 gtg.ch/idomenee
Saint François d’Assise
Du 11 au 18 avril 2024 gtg.ch/saint-francois-dassise
Pouvoir des dieux, pouvoir des hommes
Bernard Marcadé est historien, critique d’art et organisateur d’expositions indépendant. Il est l’auteur de nombreux livres sur l’art moderne et contemporain, notamment les biographies de Marcel Duchamp Marcel Duchamp, une vie à crédit (Flammarion, 2007 ; réédition 2023) et Francis Picabia (Francis Picabia, rastaquouère, Flammarion, 2021), ainsi que la monographie de René Magritte (Citadelles & Mazenod, 2017).
Le sacré au Japon est partout, en particulier dans les arts de la scène. C’est à cette porosité avec le monde profane que se relie le travail de l’artiste Chiharu Shiota, invitée à dessiner le décor de la nouvelle production d’Idoménée de Mozart.
Beyond Memory (2019) de l’artiste japonaise
Chiharu Shiota lors de l’avant-première de l’exposition And Berlin Will Always Need You au musée Martin
Gropius Bau à Berlin, le 21 mars 2019.
© Clemens Bilam / EPA / Keystone
La notion de sacré n’est pas une notion spécifiquement japonaise. On a beaucoup glosé à cet égard sur la laïcité de la société japonaise, opposée à la religiosité des sociétés européennes. En dépit de la prégnance de la religion historique japonaise du shintoïsme, une laïcité a fini par s’imposer, favorisant du même coup les religions importées que sont le christianisme et le bouddhisme. La culture japonaise se caractérise par un fort syncrétisme, faisant jouer les traditions religieuses les unes avec les autres.
Les frontières entre le sacré et le profane sont par ailleurs extrêmement poreuses dans la pensée et la culture japonaises. Le sacré n’est pas au Japon un territoire séparé et autonome, il irradie tous les aspects, les plus domestiques et les plus triviaux de la vie quotidienne. Comme l’a pensé et développé Roland Barthes dans son Empire des signes, le sacré s’insinue dans le moindre des détails de la vie courante japonaise : dans son écriture, son théâtre, ses jardins, mais aussi dans la manière de faire un bouquet ou un paquet, dans sa cuisine… Et, bien sûr, plus encore, dans son rapport au corps et dans sa
Les masques d’Okamé, dragon japonais légendaire et divinité shintoïste de la glace, de la pluie, de la neige et de l’hiver (à gauche) et d’un démon au visage rouge. ©Unai no tomo (Livre des jouets) : [volume 3] par Nishizawa Tekihō et Shimizu Seifū, 1911. Metropolitan Museum of Art.
relation à l’autre. Pour Barthes, cela est flagrant dans ce qui est considéré comme un marqueur du mode de vie nippon, à savoir la politesse : « Si je dis là-bas que la politesse est une religion, je fais entendre qu’il y a en elle quelque chose de sacré ; l’expression doit être dévoyée de façon à suggérer que la religion n’est là-bas qu’une politesse, ou mieux encore : que la religion a été remplacée par la politesse. »
Le sacré est tellement intégré dans les pratiques sociales et esthétiques japonaises, qu’il est difficile de l’isoler en tant que tel comme on peut le faire dans notre univers occidental. Le shintoïsme comme le bouddhisme sont des religions de l’immanence.
Le kami qui est l’intensité opérant au cœur de l’univers shintoïste (Shinto signifie « la voie des kami ») est une qualité qui se trouve dans tous les aspects de la nature et de l’univers existant ; de même la nature même du Bouddha est de se trouver impliqué en toute chose.
Le théâtre japonais est, peut-être plus que tout autre art, traversé dès ses origines par les rituels shinto et bouddhiques qui sont le plus souvent reliés à des chorégraphies sacrées (issues de la transe et des rites chamaniques). Mais au fil du temps toutes ces pratiques liturgiques se sont trouvées laïcisées et intégrées aux rituels profanes. Roland Barthes a longuement analysé le Bunraku, le théâtre de marionnettes, qui avec le Nô, le Kyögen et le Kabuki, est une des formes théâtrales les plus traditionnelles du Japon. Il a montré comment cette forme, qui met sur le devant de la scène les éléments techniques qui rendent possible le spectacle (en l’occurrence les personnes qui manipulent les marionnettes), s’oppose à la grande tradition du théâtre occidental dont la « fonction est essentiellement de manifester ce qui est réputé secret (les « sentiments », les « situations », les « conflits »), tout en cachant l’artifice même de la manifestation (la machinerie, la peinture, le fard, les sources de lumière) ». Pour Barthes « avec le Bunraku, les sources du théâtre sont exposées dans leur vide. Ce qui est expulsé de la scène, c’est l’hystérie, c’est-à-dire le théâtre lui-même ; et ce qui est mis à la place, c’est l’action nécessaire à la production du spectacle : le travail se substitue à l’intériorité ».
Deux marionnettistes. Une gravure sur bois en couleur de Kitagawa Utamaro (1753-1806).
© Bibliothèque Nationale de France
Il est tentant à cet égard de mettre en relation cet univers théâtral traditionnel avec ce qu’une artiste contemporaine japonaise comme Chiharu Shiota met en jeu dans ses dispositifs visuels. Sa série de 2023, State of Being (Mask) met en tension des masques pris dans un réseau inextricable de fils de couleur. Ces œuvres expriment, selon l’artiste, l’expérience de la scission entre l’âme et le corps. « L’esprit et le corps se sont détachés l’un de l’autre et je ne suis plus en mesure de mettre un terme à ces émotions incontrôlables. […] D’une manière ou d’une autre, je comprends que c’est à cela que sert le fait de connecter mon corps à ces fils rouges. Le fait d’exprimer ces émotions et de leur donner une forme implique toujours aussi la destruction de l’âme. » Chiharu Shiota dit que ces pensées lui sont venues lors d’une visite dans l’atelier de fabricants de marionnettes sur l’île d’Awaji. « Quand j’ai fabriqué mon premier masque de marionette, j’étais tellement excitée que j’en tremblais pratiquement. » L’univers visuel de Chiharu Shiota est imprégné de ces traditions et de ces rituels, même si on ne peut pas le réduire à cette seule influence. En 2013, dans le musée d’art de Mochi, la ville natale de ses parents, l’artiste réalise une pièce (Letters of Thanks) à partir de plus de 2000 lettres collectées dans la région de personnes de tous les âges. Cette œuvre peut être mise directement en relation avec la tradition du Shimenawa japonais, ces cordes sacrées utilisées pour la purification rituelle dans le shintoïsme, comme avec celle des Omikuji, les lettres de vœux attachées aux arbres.
Si les performances et les installations de l’artiste japonaise (née à Osaka mais vivant à Berlin) peuvent être comprises dans l’esprit de ces traditions ancestrales, elles revendiquent aussi leur filiation avec la tradition européenne d’une Marina Abramović ou d’une Rebecca Horn (dont Chiharu a été l’élève). Cette double influence est évidemment à mettre en résonance avec la dimension éminemment syncrétique de la culture japonaise. Ses environnements de fils rouges qui se déploient partout dans le monde (du Smithsonian Museum de Washington (2014) au Mori Art Museum de Tokyo (2019), de la Biennale de Venise (2015) à l’église Saint-Joseph du Havre, 2017), enserrant corps et objets, renvoient bien sûr à la toile d’araignée, à la fois étouffante et protectrice (dans l’esprit de Louise Bourgeois), mais aussi au réseau sanguin ou à la figure mythologique de Pénélope.
Un fermier, vêtu d’un masque et d’un kimono, se produisant sur l’île de Sado qui compte 34 scènes de Nô en plein air, soit près de la moitié de toutes les scènes de Nô au Japon. Avec le vieillissement de la population et l’exode des jeunes, l’inquiétude grandit quant à la pérennité des traditions sur l’île. © Everett Kennedy Brown/ EPA
L’installation éphémère spectaculaire que Chiharu Shiota a réalisée en 2017 au Havre dans l’église Saint-Joseph construite dans les années 50 du XXe siècle par Auguste Perret, Accumulation of Power, qui se déploie en suspension entre l’autel et le sommet du clocher, est emblématique de cette relation très spécifiquement japonaise au syncrétisme religieux et aux interactions entre sacré et profane.
« Une église est un lieu où les gens prient et se confessent. C’est également un lieu rempli d’énergie spirituelle, perceptible même pour les personnes qui ne sont pas croyantes. Dans mon esprit, chacun conserve cette énergie au plus profond de soi.
L’église, elle, symbolise un lieu de puissance collective, où se concentrent pensées, vœux, idées et prières. Le tourbillon en laine rouge incarne ce pouvoir spirituel des personnes passées par l’église, accumulé comme dans une tempête. Sa position au-dessus du prêtre symbolise la puissance intérieure de ces personnes, chaque énergie individuelle venant renforcer l’ensemble. »
Le sacré n’est pas pour l’artiste de l’ordre d’une transcendance qui surplomberait de son autorité les visiteurs de ses installations. Le sacré est ce qui s’immisce très naturellement entre les objets, les personnes et les situations. Cette position, si elle est le fait d’une artiste dont les œuvres restent traversées par le syncrétisme japonais, rejoint néanmoins celle de sainte Thérèse d’Avila considérant que « Dieu marchait entre les marmites et les casseroles ». Il est donc parfaitement logique que Chiharu Shiota ait été choisie pour réaliser les décors d’Idoménée de Mozart pour le Grand Théâtre de Genève. Car le musicien autrichien réussit ce tour de force inouï d’aborder musicalement un mythe grec mettant en jeu la violence du sacré en évitant le pathos et le tragique le plus souvent de mise.
L’artiste Chiharu Shiota pose à l’intérieur du pavillon du Japon pour présenter son installation The Key in the Hand (La clé dans la main), lors de la 56e Biennale des arts de Venise, le mardi 5 mai 2015. L’installation présente des clés fournies par le grand public qui, selon Shiota, sont imprégnées de divers souvenirs et mémoires accumulés au cours d’une longue période d’utilisation quotidienne. © Domenico Stinellis / AP Photo
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Au Grand Théâtre de Genève Idoménée
Du 21 février au 2 mars 2024 gtg.ch/idomenee
Adel Abdessemed est né en 1971 à Alger et a gagné la France dans les années 90. Il a fait du monde son terrain. Description d’un combat. © Adel Abdessemed, Paris ADAGP
Avec Saint François d’Assise d’Olivier Messiaen, l’artiste franco-algérien signe sa première scénographie. Celui dont l’œuvre exprime la violence physique du monde, s’attelle au combat métaphysique du saint qui prêchait aux oiseaux.
Il s’appelle Giovanni di Pietro Bernardone. Il est né dans une famille riche de l’Ombrie qui a fait fortune dans le commerce du drap. Mais lui rêve de conquête et de chevalerie, de noblesse et de guerre. Il est persuadé qu’une grande destinée l’attend. « Apprenez que je serai un jour vénéré dans tout l’univers », affirme-t-il à qui veut l’entendre. Son destin, justement, croise bientôt celui d’une église en ruine que Dieu lui ordonne de reconstruire. Giovanni abandonne peu à peu son existence opulente et bravache pour la pauvreté et le dénuement. Son père le déshérite. C’est ainsi qu’en 1208 Giovanni di Pietro Bernardone devient François d’Assise.
Mélodies parfaites
Emmanuel Grandjean est critique d’art et de design. Il a dirigé les rubriques Culture de la Tribune de Genève et du Temps. Correspondant en Suisse pour The Artnewspaper, il est responsable des publications du groupe SPG à Genève.
À Piandarca, près d’Assise, se trouve une pierre. C’est là, dit-on, que le créateur de l’ordre des franciscains aurait prêché aux oiseaux « qui tendaient le cou, étendaient les ailes, ouvraient le bec et touchaient sa tunique », raconte la légende. On le sait proche des animaux qu’il considère comme des créatures de Dieu, à l’égal des hommes. Pour Olivier Messiaen, cet épisode populaire de la vie du saint conjugue ses deux préoccupations majeures : sa foi catholique et sa passion ornithologique. En 1983, il crée Saint François d’Assise à l’Opéra de Paris. Il a 77 ans. Ce sera son unique ouvrage lyrique.
Œuvre fleuve de quatre heures, soutenue par un dispositif orchestral gigantesque, chaque personnage de l’histoire y est associé à un chant d’oiseau. L’Ange est ainsi accompagné par la gérygone, petite fauvette de Nouvelle-Calédonie, tandis que la capinera, fauvette à tête noire typique des Carceri, cet ermitage franciscain niché dans les collines d’Assise, escorte
saint François. En tout, Olivier Messiaen intégrera dans sa partition les ramages de plus de trentequatre espèces volatiles. « Écouter les oiseaux, c’est ça, peut-être, qu’il nous enseigne, explique Adel Abdessemed qui signe la scénographie de l’œuvre pour le Grand Théâtre de Genève, et dont c’est la première expérience scénique. Il est allé jusqu’à dire que c’est la langue de Dieu, celle que Dieu aime écouter. Car il n’y a rien de plus parfait que ces mélodies, que ces rythmes et que ces couleurs. »
Les oiseaux tiennent aussi une place importante dans l’œuvre de l’artiste né à Alger en 1971 et arrivé à Paris au début des années 90. Une place moins tranquille que chez le compositeur qui traduisit au piano l’évocation du chant du traquet stapazin, du merle bleu, de la rousserolle
Avec Die Taubenpost (le pigeon voyageur), Adel Abdessemed illustre le danger terroriste qui peut frapper à tout moment, et la fragilité de la paix. © Adel Abdessemed, Paris ADAGP
effarvate et de dix autres bêtes à plumes. Il a fait du monde son terrain. Mais un territoire où la violence est partout. Son œuvre parle des attentats du 11 septembre 2001 et des émeutes des banlieues de 2005, de la prison de Guantanamo et du coup de tête de Zinédine Zidane à Marco Materazzi pendant la coupe du monde de football de 2006. Chez lui, même les pigeons n’ont rien d’inoffensif : à force de ne plus les remarquer, ne forment-ils pas la pire des menaces ? Adel Abdessemed les représente en aluminium, et en format géant de deux mètres de haut, chargés d’explosifs sur leur dos. Die Taubenpost (« les pigeons voyageurs » en allemand, qui est aussi le titre de l’ultime lied de Schubert) nous rappelle que ces volatiles servaient de messagers et de photographes pendant la Première Guerre mondiale. Mais aussi que leur présence dans nos villes est devenue aussi banale que celle de la police et de l’armée. Le pigeon exprime ainsi ce danger terroriste qui peut frapper à tout moment.
En 2012, Adel Abdessemed a installé quatre Christ en croix à côté du Retable d’Issenheim peint par Grünewald, dans la chapelle du musée Unterlinden, à Colmar. L’installation, baptisée Décor, faisait partie des célébrations du 500e anniversaire du chef-d’œuvre. © Adel Abdessemed, Paris ADAGP, Patrick Hertzog /AFP
© Adel Abdessemed, Salvatore Di Nolfi / Keystone
d’Assise,
Les poulets appartiennent aussi à son vocabulaire. Le coq, notamment, que l’artiste dessine au fusain et sculpte en fil barbelé. Il symbolise la vie domestique, l’agriculture mais aussi une certaine masculinité. Dans sa vidéo Printemps, des gallinacés suspendus par les pattes contre un mur semblent brûler vifs. Un trucage de cinéma à travers lequel l’artiste dénonce « une mise en scène de la violence du monde ». Internet s’enflamme. Des associations écologistes et de défense des animaux font pression. L’artiste s’autocensure en retirant son film de certaines expositions. « Les réseaux sociaux, ce sont les satans de notre époque, méfions-nous en ! Je préciserais d’ailleurs que ce ne sont même pas des diables, car il existe de beaux diables, expliquait l’artiste au magazine Numéro. En définitive, cette polémique n’a rien changé à ma pratique. Je ne lis même pas les critiques ni la presse sur mon travail, je me fiche de ce qu’on dit sur moi. Je ne vais pas m’empêcher de poursuivre ma mission, qui est de créer et montrer des œuvres d’art, seulement parce que certains n’ont rien compris à ce que je voulais dire. »
L’artiste le dit lui-même : « Je suis d’une génération de crimes » en référence aux assassinats perpétrés en Algérie par le Groupe islamiste armé. Et qui plonge le pays dans l’horreur lorsqu’Adel Abdessemed décide de le quitter en 1994, juste après le meurtre du directeur de son école d’art.
Cette cruauté, l’artiste la revendique et la provoque pour mieux exprimer l’état chaotique de nos sociétés bestiales. En 2008, il filmait les abattages de six animaux (un cochon, une chèvre, une brebis, un faon, une vache et un cheval) à coups de masse dans une ferme du Mexique. L’opinion publique s’en était émue. Là encore, des expositions avaient été annulées : on ne montre pas ce qu’on ne veut pas voir. Cette violence existe aussi dans le Saint François, mais elle est autre : moins physique que métaphysique. « C’est un combat intérieur entre la grâce et l’homme », résumait Olivier Messiaen au sujet de son opéra qu’il voulait différent des productions lyriques traditionnelles.
« D’abord parce qu’il n’y pas d’histoire passionnelle, et surtout parce qu’il n’y a ni crime, ni meurtre. » Pour Adel Abdessemed, ce déchirement existentiel est au cœur du message du compositeur. « Il n’est pas seulement musical. Il nous dit aussi que nous devons changer notre vie. De là vient mon admiration et ma découverte d’Olivier Messiaen. » Changer le monde par le pouvoir de l’art et le chant des oiseaux.
Au Grand Théâtre de Genève
Saint François d’Assise
Du 11 au 18 avril 2024
gtg.ch/saint-francois-dassise
Apéropéra
21 mars 2024
Atelier public
23 mars 2024
Cinéopéra
6 avril 2024
Le
baryton Robin Adams chantera Saint François
d’Assise. Un rôle colossal qu’il prépare comme un marathon. Et auquel il veut apporter une énergie terrienne et une humilité visionnaire. Il la puisera dans ses racines ouvrières du nord de l’Angleterre.
Connu pour ses interprétations de musique contemporaine, Robin Adams arpente les plus grandes scènes lyriques. Il y a également chanté des rôles majeurs du répertoire classique, comme Don Giovanni de Mozart, Wozzeck d’Alban Berg ou Eugène Onéguine de Tchaïkovsky. Il a été nommé meilleur chanteur 2021 par les magazines allemands Opus Klassik et Opernwelt pour son incarnation du Prince de Hombourg de Hans Werner Henze à Stuttgart. Il vit à Berne, où il a abordé plusieurs de ses grands rôles. Il chante aussi du pop, de la comédie musicale, et c’est un excellent pianiste de jazz.
«Pour le rôle, éprouvant, de saintFrançois d’Assise, Robin Adams va régulièrement au fitness, multiplie les courses à pied puis l’étudie au piano, dans le silence, note des portions de texte... Un marathon physique et intellectuel.
© DR
Je suis dans le tunnel ! », tonne le baryton anglais Robin Adams. Un long tunnel pour apprivoiser le rôle de Saint François d’Assise dans l’opéra éponyme d’Olivier Messiaen. Quatre heures de musique, une quasi-omniprésence de la figure du saint, appelé à dépasser ses doutes pour accéder à la grâce divine. Le compositeur français a livré ici un opus magnum qui mobilise des forces exceptionnelles : un orchestre de 119 musiciens, 150 choristes divisés en dix groupes, neuf rôles chantés, trois ondes martenot solo, des percussions aux effets amples et carillonnants.
Pour Das Rheingold, à l’Opéra de Berne, Adams a empoigné son rôle « avec une intensité vocale et scénique remarquable », dira la critique. © Rob Lewis, Das Rheingold (mise en scène : Ewelina Marciniak), Bühnen Berne
Si Messiaen a choisi saint François, c’est parce que « de tous les saints, c’est lui qui ressemble le plus au Christ, moralement – de par sa pauvreté, sa chasteté, son humilité – et corporellement – de par les stigmates qu’il a reçus aux pieds, aux mains et au côté droit ». Rythmes irréguliers, harmonies complexes, chants d’oiseaux associés à des couleurs d’accords, leitmotivs inondent cette fresque qui dépeint « le cheminement de la grâce divine dans l’âme de l’un des plus grands saints ». Créé en novembre 1983 à l’Opéra Garnier de Paris sous la direction de Seiji Ozawa, donné à Salzbourg dans les années 1990, repris à de rares occasions depuis, l’ouvrage est écrasant, intimidant.
Comment qualifier Saint François d’Assise ?
Le musicologue belge Harry Halbreich l’a décrit comme « une sorte de grand mystère médiéval »…
Je dirais que c’est un « anti-opéra » où l’on assiste à des états d’être et à une révélation intérieure. On voit ce gars, cet homme, qui demande à connaître et éprouver la souffrance humaine, qui veut embrasser un lépreux afin de transcender la maladie et le dégoût, jusqu’à l’épisode des stigmates, où saint François se déclare prêt à mourir. Chaque expérience tient d’une initiation qui ouvre sa conscience. Or, cette ouverture de conscience, chaque spectateur ou chaque spectatrice dans la salle peut l’expérimenter à sa petite échelle, qu’il soit croyant ou non.
Le rôle de saint François est lui-même éprouvant à apprendre. Comment faites-vous ?
Je vais régulièrement au fitness et je fais de la course à pied, car ce rôle exige beaucoup de concentration et de présence physique. J’ai différentes techniques pour assimiler la partition : je l’étudie au piano, dans le silence, je note des portions de texte… Saint François est présent dans sept tableaux sur les huit de l’ouvrage entier : c’est un marathon physique et intellectuel !
Quelle est votre tessiture ? Quel type de voix avez-vous ?
Je ne suis pas un baryton-basse : je suis un baryton de type « dramatique ». J’ai chanté Alberich dans L’Or du Rhin, Wozzeck, Billy Budd, Macbeth de Verdi, et beaucoup de musique contemporaine, comme celle de John Adams, Hans Werner Henze, György Ligeti (Le Grand Macabre), George Benjamin (Written on Skin), Quartett de Luca Francesconi à la Scala de Milan... Or, la voix du créateur du rôle, José Van Dam, était centrée plus bas dans la tessiture que la mienne. Forcément, ma voix sera comparée à celle-ci, mais je dois vous prévenir que je suis différent. Pour le rôle d’Alberich, par exemple, j’utilise un certain métal qui correspond à ma personnalité vocale. Je dois trouver mon chemin et ma façon d’aborder ce rôle. C’est passionnant d’accomplir ce processus.
Qu’avez-vous envie que le public découvre de saint François ?
Je crois que c’est important de rendre saint François humain ; de montrer qu’il est en train de traverser un processus intérieur, et qu’il n’est pas simplement un « super héros » capable de transcender les vicissitudes du monde terrestre. Le spectre émotionnel est très large et coloré, mais l’ambitus vocal ne s’étend pas dans les extrêmes. Messiaen cherchait de toute évidence à véhiculer l’humilité de saint François en privilégiant le registre central de la voix.
Le Prêche aux oiseaux, attribué à Giotto di Bondone, aurait eu lieu sur l’ancienne route qui reliait le château de Cannara à celui de Bevagna, au cœur de l’Ombrie.
© Fresque de Giotto dans l’église de SaintFrançois d’Assise à Assise, Italie, 1295. Wikimedia Commons
On imagine que c’est un effort colossal pour mémoriser ce rôle…
J’y travaille depuis des mois, et je n’ai pris aucun autre engagement depuis décembre 2023. Il y a parfois des gros blocs où l’orchestre est incroyablement massif et où je ne chante pas du tout, puis quand saint François reprend sa partie de chant, l’écriture devient délibérément simple. On trouve des éléments de jazz dans l’écriture harmonique et rythmique de Messiaen, des intervalles de tritons¹ descendants qui n’arrêtent pas de revenir, comme dans la scène du Prêche aux oiseaux. Et pourtant, la musique n’est pas vraiment dissonante.
© Saint François recevant les stigmates (1450-1460), estampe par Maître du Mont des Oliviers de Dutuit, Bibliothèque Nationale de France.
À propos de cette scène du Prêche aux oiseaux, la musique a un caractère naïf par moments…
C’est très difficile à réaliser parce que ce tableau d’une trentaine de minutes pourrait presque être pris pour un documentaire de la BBC sur l’ornithologie (rires) ! J’ai rendu visite au metteur en scène Adel Abdesselem dans son atelier à Paris, et les vidéos promettent d’être spectaculaires !
Est-ce que vous vous identifiez à saint François d’Assise ?
Je ne suis pas religieux – mais je me considère spirituel au sens large du terme. Je viens de la « working class » au nord de l’Angleterre, pas loin de Manchester. Il y a de l’humilité dans mon milieu d’origine, car celui-ci n’est pas lié à l’argent. Cela apporte un contraste, une sorte d’énergie granuleuse et terrienne à l’humilité visionnaire de saint François. C’est ça que je voudrais transmettre.
Saint François détient-il un pouvoir spirituel ?
Il se comporte plutôt en serviteur du pouvoir spirituel. Il se met au service de Dieu et de l’amour inconditionnel pour autrui. Il ne le fait pas de manière égocentrique. C’est un pouvoir spirituel très calme, très posé, que je voudrais transmettre si possible dans mon interprétation sur scène.
Comment Messiaen crée-il l’effet d’étirement et de dilatation du temps musical ?
Le processus compositionnel me rappelle celui d’une croix : le rythme est l’horizontalité – un rythme composé d’innombrables strates et d’éléments non réguliers –, et les clusters
harmoniques forment les piliers verticaux. Toute la musique de Messiaen vise vers le haut. On trouve la même chose chez Beethoven, cette aspiration et cet effort vers le haut, la différence étant qu’avec Messiaen, on le ressent pleinement, alors que chez Beethoven, la musique demeure plus terrestre.
Il n’y a pas d’amour charnel ni de crime dans le livret écrit par Messiaen – ce qui le différencie des ingrédients habituels d’un livret d’opéra. Saint François n’est-il que spirituel ?
Il y a ce moment – au cinquième tableau – où l’Ange musicien apparaît à Saint François et lui révèle la musique des sphères. Le saint s’évanouit car il a subi une sorte d’initiation aux mystères célestes... Je crois que ce passage est une sublimation de l’érotisme.
Si vous n’êtes pas religieux, avez-vous été mêlé à l’Église anglicane ?
J’étais organiste dans ma jeunesse. J’ai accompagné des messes et des événements religieux à l’église, mais ce n’est plus le cas. Plus je mûris en âge, plus je cherche à être inclusif, à exercer la tolérance envers autrui – ce serait ma religion à moi. Quant à la notion de Dieu, c’est un mot très chargé ; je préfère croire en l’âme, et je pense que c’est le meilleur point de départ pour aborder une telle pièce. J’estime que l’artiste a une responsabilité à assumer sur scène. J’ai une clarté d’intention à transmettre si je veux rencontrer le public.
Pensez-vous que cette nouvelle expérience scénique vous amènera une autre vision du monde ?
Je vous le dirai après les représentations du mois d’avril ! J’ai eu quelques épiphanies dans ma carrière de chanteur. Je chantais un soir Billy Budd de Britten lorsque j’ai eu une expérience de « hors-corps ». Je pouvais voir chaque atome dans l’air, la respiration est devenue une avec la pièce ambiante. L’espace et le temps semblaient réunis ensemble.
Vous avez des tatouages sur le corps, notamment sur les bras… Quel est en le sens ?
Voulez-vous les voir ? Regardez, j’ai inscrit un mot ici à l’intérieur de mon bras : « surrender ». C’est mon mot favori qui représente la vérité. Et puis il y a un autre dessin qui fait comme une ouverture vers le haut… Comme vous le voyez, saint François exerce déjà une certaine influence sur moi !
¹ Un triton est un intervalle de trois tons entiers.
Robin Adams en Alberich dans L’Or du Rhin de Wagner à l’Opéra de Berne. Déjà une histoire de dieux, dont il était ici l’agent destructeur. © Rob Lewis. Das Rheingold (mise en scène : Ewelina Marciniak), Bühnen Berne
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Au Grand Théâtre de Genève Saint François d’Assise Du 11 au 18 avril 2024 gtg.ch/saint-francois-dassise
Le tourbillon orchestral, la beauté sublime des voix : Christoph Waltz a consacré une célébration subtile au Chevalier à la rose de Richard Strauss à l’orée des fêtes de fin d’année. En contraste avec la modernité des Eléments, tryptique de chorégraphies signées par le directeur du Ballet du Grand Théâtre Sidi Larbi Cherkaoui, avec, pour un Bolero envoûtant, Damien Jalet. Contraste encore avec la création mondiale de Justice, l’opéra « congolais » de Hèctor Parra sur un scénario et dans une mise en scène de Milo Rau.
La Maréchale (Maria Bengtsson) vient conclure la comédie douce-amère du Chevalier à la rose de Richard Strauss, au troisième acte, en abandonnant son amant tombé amoureux d’une femme plus jeune qu’elle. © Magali Dougados
Pour le concert de Nouvel An, le baryton Simon Keenlyside, en compagnie du Geneva Camerata et de son chef David Greilsammer, a transporté Genève à New York sur des airs de George Gershwin, Cole Porter ou encore Richard Rodgers & Oscar Hammerstein. © Yannik Perrin
Boléro, troisième des pièces à l’affiche du triptyque Elements, a permis au Ballet du Grand Théâtre d’ajouter à son répertoire l’envoûtante chorégraphie cosignée par son directeur Sidi Larbi Cherkaoui et par Damien Jalet, qui avait été créée sur le célèbre morceau de Ravel par le Ballet de l’Opéra de Paris dix ans plus tôt. © Filip Van Roe
Apprendre à chanter pour enchanter les jours moroses, et à peindre avec les notes un monde en couleur…, telle est l’invitation de Colorama, l’atelier-spectacle pour les enfants de 3 à 7 ans avec un certain « Monsieur Tout Gris »… © Alice Riondel
La création mondiale de Justice a pour la première fois intégré à l’histoire lyrique une tragédie congolaise, inspirée au metteur en scène Milo Rau par un fait divers dévastateur pour la population d’un village du Katanga. Sur une musique de Hèctor Parra et un livret de l’auteur congolais Fiston Mwanza Mujila, la mise en scène a mélangé musiciens et chanteurs européens, américains et congolais. © Carole Parodi pour le Grand Théâtre de Genève
Ingrédients
Persil frais
Sel/poivre, noix de muscade, herbes aromatiques
1 cuillère à soupe de jus de citron
3 petits oignons
25 g de cheddar mature
Épinards / roquette
2 feuilles de laurier
800 g de poisson blanc
1 litre de lait demi-écrémé
110 g de beurre
50 g de farine
400 g de crevettes
3 œufs durs
1 cuillère à soupe de câpres
2 kg de pommes de terre
The Opera Cooks (en allemand
Die Oper kocht, Opera Rifko Verlag) www.dieoperkocht.com
1 Préchauffer le four à 200 °C. Graisser le moule de cuisson et ajouter les filets de poisson et 1/3 de litre de lait (sel, poivre et quelques morceaux de beurre, selon vos préférences). Cuire au four pendant 20 minutes, puis retirer du four et séparer le poisson du bouillon. Couper grossièrement le poisson cuit en plus petits morceaux et ajouter les câpres, les feuilles de laurier, les crevettes, la roquette, les 3 œufs durs grossièrement hachés et le persil frais.
2 Chauffer 50 g de beurre et ajouter la farine pour former une pâte. Ajouter lentement cette pâte au bouillon de poisson réservé et, lorsque cela est totalement mélangé, ajouter… replacer le poisson dans le moule à cuire. Ajouter 1/3 de litre de lait sur le tout.
3 Entre-temps, faire cuire les pommes de terre, les passer en purée crémeuse en ajoutant du sel, du poivre et du lait.
4 Pour que les oignons ne soient pas trop croquants, les faire revenir pendant 2-3 minutes avec de l’ail et des herbes aromatiques et ajouter ensuite au mélange.
5 Placer les pommes de terre sur l’ensemble du mélange et les répartir uniformément, en saupoudrant de noix de muscade et en ajoutant le fromage râpé sur le dessus. Mettre au four pendant 40 minutes ou jusqu’à ce que le dessus soit bien doré.
Des pommes de terre, du poisson, des crevettes, des œufs durs, par mal de crème, de beurre et de fromage râpé : la recette de Simon Keenlyside est de celles qui tiennent au corps et permettent de chanter des rôles endurants sur scène…
Le baryton britannique Simon Keenlyside, qui a assuré le concert du Nouvel An (voir pages précédentes), a étudié le chant à Cambridge (où il a également suivi des études en zoologie) et à Manchester. Il a poursuivi sa formation à Salzbourg grâce à un bourse décrochée après avoir reçu le prix Richard Tauber, et a commencé sa brillante carrière en chantant le Comte Almaviva dans Les Noces de Figaro de Mozart à Hambourg, en 1988. Après cinq ans au Scottish Opera, il se produira sur les plus grandes scènes, avec à son actif plus d’une trentaine de rôles. Au Grand Théâtre, il a notamment incarné Papageno dans La Flûte enchantée de Mozart (1993), Hamlet dans l’opéra éponyme d’Ambroise Thomas (1996) et Pelléas dans Pelléas et Mélisande de Debussy (2000).
La vieille ville de Soleure, avec la cathédrale Saint-Ourset-Saint-Victor (1773) et l’Hôtel La Couronne (1418) qui a accueilli – entre autres –Casanova, Bonaparte et Sofia Loren.
Photographies : Office du tourisme de Soleure
Eileen Hofer est une cinéaste, journaliste et auteure suisse, née à Zurich et établie à Genève.
Elle vient de signer son deuxième roman graphique Audrey Hepburn illustré par Christopher.
Poumon du cinéma suisse depuis cinquanteneuf ans, Soleure a d’abord été un centre de la diplomatie, du mercenariat et des arts. La splendeur des demeures patriciennes rappelle la présence de 1530 à 1792 des ambassadeurs de France auprès de ses alliés de la Confédération.
En découle un goût prononcé du baroque et un raffinement de l’art de vivre français. De quoi attirer un certain Casanova.
Par Eileen HoferLe chiffre 11 traverse l’histoire de Salodurum. La colonie romaine dotée de temples et bains accueillait la 11e légion thébaine vers l’an 300 avec les futurs saints patrons de la ville : Ours et Victor. Pas de « happy end » pour ces deux chrétiens romains qui finissent leur tête sous le bras. Soleure devient ensuite le onzième canton à rejoindre la Suisse. Côté décor, ce chiffre se décline dans les recoins les plus cachés de la cathédrale baroque avec onze autels, onze cloches. En ville, on ne compte pas moins de onze fontaines. Même la brasserie locale est fière de sa Öufi Bier, qui veut dire 11 en patois local.
LES JOURNÉES DE SOLEURE
Un calendrier précis. Fin janvier et ce depuis 1966, les cinéphiles se serrent dans les salles de cinéma pour découvrir le cru du septième art helvète. 65 000 spectateurs répondent chaque année à ce rendez-vous. Courts ou longs métrages, fictions ou documentaires, les rues de la ville s’animent après chaque projection avec des débats qui se poursuivent autour d’un énième verre. Les 46e journées littéraires se tiendront quant à elles du 10 au 12 mai avec un concours d’écriture, des expositions et rencontres.
CUNO AMIET ET SES ACOLYTES
Dans les salles de l’exposition permanente du Musée des Beaux-Arts, les autoportraits de Ferdinand Hodler résonnent avec les visages immortalisés par Giovanni Giacometti et Cuno Amiet. Vers 1900, ce fils du chancelier d’État et historien soleurois a le vent en poupe auprès des collectionneurs. Parmi eux, une photographe et mécène, seule femme membre du club alpin. Gertrud Dübi-Müller posera souvent pour lui. Werkhofstrasse 30
CONFISERIE HOFER
La confiserie Hofer dégage la même odeur de pralines depuis 1919. Dans sa partie restaurant, le baroque soleurois est pimpé avec des tableaux dorés en
Le In 2 Design est l’adresse pop-up de Soleure avec showroom, boutique et chambres à louer. © DigitaleMassarbeit
Prepletanja ? Une caverne d’Ali Baba qui met en avant un travail éthique et équitable. © Office du tourisme de Soleure
Le Dock Bar et son intarissable carte des boissons sis dans une maison bourgeoise du 15e siècle. © Office du tourisme de Soleure
Le cinéma Palace est l’un des lieux de projection des Journées du cinéma suisse qui se tiennent à Soleure chaque début d’année. © Anthony Anex / Keystone
trompe-l’œil sur fond rouge. Lové dans une banquette en velours, on savoure le chocolat chaud aphrodisiaque de Casanova agrémenté de cannelle, vanille et d’une touche de muscade avant de mordre dans la tourte de Soleure. La recette familiale met la noisette à l’honneur.
Trois : Stalden 17 et Gurzelngasse 14 et Wengistrasse 17
Ras le bol ! Il y a dix ans, Sabina Novak Berkopec quitte son emploi dans une firme. La Slovène donne depuis des workshops de macramé, broderie ou crochet dans une ambiance conviviale. Son concept store Prepletanja, caverne d’Ali Baba du cadeau artisanal, regorge d’objets, porcelaines, jouets en bois, verres soufflés, nounours tricotés et bijoux glanés dans les quatre coins du monde. Du Rwanda au Népal, elle met en avant un travail éthique, équitable et manuel.
Barfüssergasse 1
Jadis, cette épicerie vendait en vrac ses produits. La farine, le sucre se disposaient dans de grands tiroirs en bois. La quantité souhaitée était pesée sur une grande balance. Urs Jeger a transformé le magasin familial pour l’adapter il y a 40 ans tout en préservant l’ADN des lieux. Aujourd’hui, la balance historique sert de déco dans une ambiance feutrée. Le thé et les épices côtoient une sélection de bocaux gourmets présentés sur les meubles en bois d’époque. Des textiles, savons et bougies complètent l’offre.
Hauptgasse 36
L’adresse pop-up des férus de design. Rencontrés chez Teo Jakob, Beat Leuenberger et Raya Fankhauser, deux architectes d’intérieur, remodèlent l’intérieur d’une bâtisse vétuste du 17e siècle, au bord de l’Aar. Le résultat ?
Un showroom sur trois étages. Au rez, l’ancienne brocante est devenue « Le Magazine », un laboratoire créatif et lieu de rencontres pour les artistes et fabricants locaux qui exposent meubles, accessoires, sculptures. Aux étages, le couple fait Bed & Breakfast avec trois chambres et une cuisine ultra design qui donne sur une terrasse privée.
Ritterquai 6
MUSÉE BLUMENSTEIN
« Savon, sexe et chocolat » L’exposition annuelle habite les pièces décorées dans un baroque tardif du château Blumenstein achevé en 1728. Transformée en musée historique, cette demeure patricienne en lisière des anciens remparts retrace l’histoire du canton et décrit l’art de vivre de ces familles seigneuriales. Entre le secrétaire Boulle en bois d’ébène, le clavecin de la salle d’apparat ou les lits des domestiques cachés dans des armoires, le voile se lève sur les secrets d’hygiène : du préservatif en cæcum de mouton pour se protéger des maladies vénériennes aux poudres de maquillage. Blumensteinweg 12
THE DOCK BAR
36 pages ! L’intarissable carte des boissons attire depuis 2018 les noctambules. Poutres en acier et bois brut restituent l’esprit de l’ancien entrepôt avec une rampe qui permettait de déplacer les fûts transportés par voie fluviale. Le tout sans toucher à l’ossature d’origine de cette maison bourgeoise datant du 15e siècle. Autour d’un Amaretto Sour ou d’un cocktail inventé selon l’humeur du chef barman, des planches d’antipasti se partagent entre amis. Des produits gourmets ramenés d’Italie qui attirent les expats du coin. En été, l’ambiance prend des airs de plage méditerranéenne avec la terrasse et le banc de sable naturel qui permet de se rafraîchir dans l’Aar. Unterer Winkel 1
Les murs laissés à nu de l’ancien entrepôt de sel sur le quai Landhaus sont restés intacts avec l’ouverture du restaurant en 2009. Fasciné par la gastronomie asiatique, Christian Härtge, originaire d’Allemagne, entremêle ces saveurs à ses plats. Le jeudi soir, la gastronomie japonaise est à l’honneur. Et l’or blanc se marie à du matcha, la poudre de thé vert. Cette cuisine fusion est repérée par le bip gourmand du guide Michelin, ce label décerné par les inspecteurs qui vise à récompenser une cuisine soignée à prix modéré. Landhausquai 15a
Les murs lumineux de ce boutique hôtel chuchotent. Depuis 1418, l’auberge accueillait les commerçants et voyageurs dans de douillettes chambres. En 1760, les pérégrinations de Casanova le mènent auprès de Ludovica von Roll, une baronne soleuroise. De quoi séjourner ici dans l’espoir d’une union charnelle. Vingt-sept ans plus tard, Napoléon Bonaparte crée l’impatience. L’hôtelier a mis les petits plats dans les grands mais l’empereur ne daigne pas faire halte. Il recevra une note salée qu’il refuse de payer prétextant n’avoir bu qu’un verre d’eau depuis sa calèche. Au 20e siècle, Thomas Mann, Sofia Loren et Henry Kissinger séjournent aussi dans ce quatre étoiles situé face à la cathédrale. Hauptgasse 64
STEPHAN
Une pépite gourmande à ne pas rater dans le plus ancien restaurant de la ville. Repéré par le Guide Michelin, Stefan et Tamara Bader font partie des JRE-Jeunes Restaurateurs. Le menu se décline midi et soir avec trois, quatre ou cinq plats. Nappe blanche, gants blancs, le service est digne d’un restaurant étoilé. Les produits sont savamment choisis par le chef. On découvre une
Dans ce bâtiment du 17e siècle, on jouait autrefois les représentations scolaires des jésuites en latin. Récemment rénové, le Stadttheater s’espère un avenir lumineux. © TOBS, Théâtre municipal Soleure, Johannes Iff
cuisine française et des spécialités soleuroises revisitées avec raffinement comme la Wy-Süppli, une soupe à base de vin blanc avec du poulet fumé.
Friedhofpl. 10
ATTISHOLZ AREAL
Laissée à l’abandon après 130 ans de production de cellulose, la plus grande friche industrielle de Suisse s’habille d’immenses graffitis muraux. Un street art coloré qui redonne vie à ce site désaffecté que l’on reconnaît au loin grâce à sa cheminée en brique. L’espace accueille déjà des concerts donnés en plein air durant l’été et des food trucks. Sur le long terme, la volonté de la commune, du canton et de Halter AG permettra de développer l’offre culturelle et l’art urbain. Une aubaine, car le site est idéalement situé au bord de l’Aar. Attisholzstrasse 10
« Si vous croisez l’ermite, ne le photographiez pas ! » Depuis l’arrêt St. Niklaus, la balade qui mène à
l’ermitage de Sainte-Vérène traverse la forêt en longeant un ruisseau. En vingt minutes, on découvre entre grottes et gorges l’ermitage et la chapelle Saint-Martin dont seule une petite fenêtre permet de guigner à l’intérieur. Ne manque à ce lieu mystique dédiée à la fiancée de saint Victor que Gandalf du Seigneur des anneaux.
Unterer Winkel 1
STADTTHEATER
Considéré comme le plus ancien théâtre suisse de style baroque, ce petit bijou a subi un lifting en 2013 qui redonne de l’éclat à sa salle historique avec ses fresques et balustrades et modernise son écrin, à savoir le foyer. Dans ce bâtiment du 17e siècle, on jouait autrefois les représentations scolaires des jésuites en latin. Une fois réaménagé le siècle suivant, sa renommée le hausse au rang de plus beau théâtre helvète. La riche programmation mêle aujourd’hui opéra théâtre classique, concerts symphoniques et danse. Un précieux témoin de l’histoire soleuroise. Theatergasse 16-18
L’opéra, c’est toujours mieux quand on connaît la musique. Autour d’Idoménée et de Saint François d’Assise, le Grand Théâtre propose ainsi toutes sortes de présentations, visites, ateliers permettant de se familiariser avec les ouvrages et les coulisses de leur production.
Nul besoin de préparation, en revanche, pour le récital de la soprano Sandrine Piau, moment de partage intime et de suspension musicale, de Schubert à Duparc.
Par Karin KotsoglouLe Grand Théâtre et la Cappella Mediterranea ont le plaisir de s’associer pour un atelier public autour d’Idomenée. Au fil de plusieurs airs interprétés par la soprano Mariana Silva, le chef d’orchestre et claveciniste Adrià Gracià Gàlvez, et le violoniste Pablo Manuel Agudo López, inviteront le public à entrer dans l’esthétique mozartienne et à découvrir l’œuvre d’Idoménée. Les musiciens dévoileront également les secrets des instruments baroques et de la voix lyrique. À la fin de l’atelier, au public de chanter ! Foyers du Grand Théâtre, samedi 17 février à 11h
COLORAMA, SPECTACLE JEUNE PUBLIC
Colorama, c’est l’endroit du Grand Théâtre où l’on fabrique les couleurs. Mais horreur : les couleurs ont disparu ! Se sont-elles échappées ? Envolées ? Peut-être avaientelles peur ? De quoi ? De qui ? Serait-ce encore un mauvais coup de Monsieur Tout Gris ? Pour retrouver la trace des couleurs perdues, il faut suivre la musique ! Un peu de blanc, de rose, une petite vocalise et tu pourras peut-être aider Colorama à retrouver ses couleurs ! Dès 3 ans.
Foyers du Grand Théâtre, les 6 et 9 mars, 17 et 20 avril, 15 et 18 mai 2024 à 10h et 15h
L’une des voix de sopranos françaises les plus élégantes et radieuses, l’une des plus aimées certainement, vient nous raconter son Voyage intime, parcours d’une longue et brillante carrière et d’un apprentissage sans cesse renouvelé de l’art et de la vie. Trop rarement présente à Genève, c’est
son premier retour au Grand Théâtre depuis un Mitridate, re di Ponto en 1997. Avec son complice David Kadouch, elle trace un itinéraire incarné par Kennst du das Land de Schubert, L’Invitation au voyage de Duparc, Lorelei de Clara Schumann et l’envoi mélancolique du Comment, disaient-ils de Liszt. Grand Théâtre, le 1er mars à 20h
DE SAINT FRANÇOIS D’ASSISE
Une tranche de vie, une tranche de rire, une tranche de musique : voici le canapé qui accompagne notre apéro urbain. Venez siroter votre vermouth ou spritz en compagnie de drôles de personnages. L’occasion ici de redécouvrir Saint François d’Assise. Un format riche en anecdotes d’hier et surtout d’aujourd’hui. L’occasion en plus d’entendre un(e) soliste ou l’autre, dans un répertoire cousin de la production !
Foyers du Grand Théâtre, le 21 mars à 18h30
DE SAINT FRANÇOIS D’ASSISE
Une fois par production, le samedi matin, rejoignez-nous pour un atelier de pratique artistique en lien avec la thématique de l’opéra ou du ballet à venir. Chant, danse, théâtre, écriture, arts plastiques, laissezvous surprendre et venez mettre en voix, en scène, en mots ou en images, avec des professionnels qui vous guideront à travers l’une des facettes de cet art total qu’est l’opéra.
Foyers du Grand Théâtre, samedi 23 mars à 11h
MÉDECINE