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Michel Mayor

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«La découverte des exoplanètes pose la question d’autres mondes habités»

Récompensé en 2019 par un Prix Nobel de physique avec son ancien doctorant le professeur Didier Queloz, le professeur honoraire d’astrophysique Michel Mayor garde les pieds sur terre. Mais c’est la tête dans les étoiles que l’on se prête à rêver avec lui de ces ailleurs très très lointains.

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– Propos recueillis par Elodie Maître-Arnaud

Au milieu des années 90, Michel Mayor et Didier Queloz découvrent la première planète située en dehors du système solaire. C’est notamment grâce au spectrographe Elodie, et à la précision de ses mesures, que les deux chercheurs repèrent cet objet stellaire. Un an plus tard, après avoir confirmé leurs observations, ils révèlent à la communauté scientifique l’existence de l’exoplanète 51 Pegasi b, située à 51 années-lumière de la Terre. Depuis lors, plus de 4000 exoplanètes ont été identifiées. Et, en 2019, Michel Mayor reçoit, avec Didier Queloz, un Prix Nobel de physique pour la découverte de 51 Pegasi b. Une reconnaissance de plus pour le scientifique, douze ans après avoir pris sa retraite. Selon lui, la prochaine étape sera celle de la découverte de la vie ailleurs que sur la Terre.

Difficile de ne pas évoquer le contexte actuel... Quel regard le scientifique que vous êtes porte-t-il sur la crise sanitaire que nous traversons?

Une telle possibilité était, hélas, annoncée depuis des années. En tant que scientifique, j’avais lu avec attention plusieurs études en ce sens. Maintenant, je suis comme tout le monde, au milieu de ce tsunami. L’intérêt scientifique s’est transformé en intérêt pratique. Je suis bloqué ici, ce qui me permet d’être totalement disponible pour répondre à vos questions!

Vous avez reçu, avec Didier Queloz, un Prix Nobel de physique en décembre 2019. Comment avez-vous accueilli cette récompense?

J’ai évidemment reçu ce prix avec beaucoup de plaisir, mais aussi avec le sentiment très fort que des milliers d’autres physiciens le méritaient tout autant que nous. La reconnaissance de nos travaux repose surtout sur l’impact gigantesque de notre découverte.

Est-ce aussi un gage de reconnaissance pour la communauté scientifique suisse?

Cette récompense atteste que les conditions-cadres de la recherche en Suisse sont bonnes. Si l’on regarde le nombre de Prix Nobel attribués en Suisse, rapportés à la population, notre pays est en tête! On doit cela non seulement à la qualité de la formation, mais aussi au soutien financier à la recherche – notamment via le Fonds national de la recherche scientifique. Je tiens à souligner que l’on accorde, dans notre pays, une grande liberté à la recherche fondamentale, sans nécessairement exiger une rentabilité immédiate; les applications pratiques viennent souvent très longtemps après.

Vingt-cinq ans se sont écoulés entre votre découverte de 51 Pegasi b et l’obtention d’un Prix Nobel de physique. Pourquoi un tel décalage?

En moyenne, trente ans s’écoulent entre une découverte et l’obtention d’un Prix Nobel. On est donc plutôt en avance! Le comité Nobel doit évaluer la solidité d’une découverte et surtout son impact réel, sur l’astrophysique en l’occurrence.

Justement, quel est cet «impact gigantesque» que vous évoquiez au début de notre entretien?

Nous avons ouvert une porte. Il suffit de voir le nombre de personnes qui travaillent aujourd’hui dans ce domaine de l’astrophysique. Nous n’étions qu’une

poignée d’astronomes il y a 25 ans! Pour les chercheurs de la discipline, nos travaux participent à la connaissance des mécanismes de formation des systèmes planétaires. Mais le sujet concerne aussi le grand public. Car la découverte des exoplanètes pose la question d’autres mondes habités; pour l’immense majorité des gens, y compris les scientifiques, ce qui importe derrière tout ça est de savoir si l’on est seul dans l’Univers. Par «on», il faut entendre la vie, même sous la forme d’organismes extrêmement simples comme les bactéries.

Et «découvrir» une exoplanète peut permettre d’élaborer des hypothèses sur la présence de la vie ailleurs dans l’Univers?

Oui, et c’est finalement assez simple! Parmi les exoplanètes que nous détectons, certaines sont à la bonne distance de leur

«Cette récompense atteste que les conditions-cadres de la recherche en Suisse sont bonnes.»

étoile (ou soleil, ndlr). C’est-à-dire qu’elles ne sont ni trop chaudes, ni trop froides. Or, l’ADN caractérisant toute espèce vivante est une molécule très fragile qui a besoin d’une température intermédiaire, correspondant au domaine de l’eau liquide. Cette condition n’est pas anthropomorphique, elle nous est dictée par les lois de la chimie et de la physique. Evidemment, la question qui se pose ensuite est de savoir si, compte tenu de cette condition favorable, la vie va émerger spontanément.

Est-ce le cas?

On n’en sait rien! Mais on suppose que les lois de la chimie et de la physique sont les mêmes partout dans l’Univers. Et donc que le phénomène de la vie se produirait partout de la même manière, dès lors que les conditions sont bonnes. Afin d’y détecter une éventuelle présence de vie, les astronomes cherchent à identifier des biomarqueurs dans l’atmosphère des planètes qu’ils découvrent, c’est-à-dire des ano-

malies indiquant que la vie est en train de s’y développer.

Mais, si j’ai bien compris, ces exoplanètes, vous ne les «voyez» pas...

Dans l’immense majorité des cas, et vous avez raison de le souligner, nous ne détectons en effet que de façon indirecte les

Michel Mayor en 6 dates

1942 1971

1984

1994

2007 2019

Naissance à Lausanne Soutient sa thèse de doctorat sur la structure spirale des galaxies Nommé professeur d’astrophysique à l’Université de Genève Découverte, avec Didier Queloz, de la première exoplanète (51 Pegasi b) Prend sa retraite Prix Nobel de physique, avec Didier Queloz, pour la découverte de 51 Pegasi b exoplanètes. L’une des méthodes est celle que nous avons utilisée avec Didier Queloz: on observe l’étoile et ses changements de vitesse, ce qui nous permet d’en déduire des informations sur la planète qui gravite autour d’elle. Des techniques plus récentes permettent d’observer le passage d’une planète devant son étoile. En réalité, ce que l’on «voit» est une baisse de la luminosité de l’étoile (comme pendant une éclipse), ce qui, pour faire simple, nous donne le rayon de la planète, dans une longueur d’onde donnée. En observant ce phénomène sur plusieurs longueurs d’onde, on en déduit le spectre de la planète et, partant, sa composition chimique. On cherche alors des molécules qui trahissent la présence de la vie, notamment l’oxygène, le méthane ou des oxydes d’azote. Bref, un faisceau d’indices.

A supposer que certaines de ces exoplanètes soient viables, l’homme pourra-t-il y poser le pied un jour?

Non, ça, c’est de la science-fiction pure! De nombreuses exoplanètes se situent

Didier Queloz discovered the first planet outside the solar system. It is thanks to the ELODIE spectrograph, and the precision of its measurements, that the two researchers were able to identify this stellar object. A year later, after confirming their observations, they revealed to the scientific community the existence of the exoplanet 51

Pegasi b, located 51 light years from Earth. Since then, more than 4,000 exoplanets have been identified. And in 2019, Michel Mayor and Didier Queloz jointly won the Nobel Prize in Physics for the discovery of 51 Pegasi b. Another recognition for Mayor, twelve years after having retired. The next step, in his view, will be the discovery of life beyond Earth.

It’s difficult not to mention the current global situation. What do you as a scientist think about the health crisis we are going through?

entre quelques dizaines et quelques centaines d’années-lumière de la Terre. Pour vous donner une idée, la Lune est à 1 seconde-lumière et il a fallu trois jours aux hommes pour s’y rendre. Imaginons une planète habitable à 30 annéeslumière (soit 1 milliard de secondeslumière): le voyage prendrait plusieurs millions d’années. Accélérer notre vaisseau à une vitesse proche de celle de la lumière? Impossible! Nous ne disposerons jamais de l’énergie suffisante pour propulser un tel engin spatial. Donc, qu’on le veuille ou non, l’homme est lié à la Terre, il n’y a pas de plan B. Nous n’avons pas d’autre choix que de prendre soin de notre planète.

C’est quand même un peu frustrant, non?

Evidemment, mais cela ne doit pas empêcher les astronomes de continuer à explorer l’Univers! Ni à nous tous de rêver. L’homme est un animal curieux. Ces recherches apporteront peut-être un jour une réponse à la grande question philo-

“The discovery of exoplanets raises the question of other inhabited worlds” MICHEL MAYOR

Joint winner in 2019 of the Nobel Prize in Physics with his former doctoral student professor Didier Queloz, the honorary professor of astrophysics Michel Mayor keeps his feet firmly planted on Earth. But with our heads in the stars, we can all dream about these other worlds so very, very far away.

– Interview by Elodie Maître-Arnaud In the mid-nineties, Michel Mayor and

sophique de notre place dans l’Univers.

Sadly, such a possibility had been foreshadowed for years. As a scientist, I have carefully read several studies to this effect. Now, like everyone else, I’m in the midst of this tsunami. Scientific interest has turned into practical interest. I’m stuck here, which means I’m totally available to answer your questions!

You and Didier Queloz jointly won the Nobel Prize in Physics in December 2019. How did you feel about winning it?

I obviously felt great pleasure, but I also feel very strongly that thousands of other physicists deserved it as much as we do. The recognition of our work rests above all on the gigantic impact of our discovery.

Is this also a token of recognition for the Swiss scientific community?

This award confirms that the framework conditions for research in Switzerland are good. If we look at the number of Nobel prizes awarded in Switzerland compared to

the population, our country is in the top spot! This is due not only to the quality of the training, but also to the financial support for research – notably through the National Fund for Scientific Research. I would like to emphasize that we are granted great freedom in our country to conduct basic research without necessarily achieving profitability. Practical applications often come very long after.

Twenty-five years have elapsed between your discovery of 51 Pegasi b and winning the Nobel Prize in Physics. Why such a long interval?

On average, it takes 30 years between a discovery and winning a Nobel Prize. We are therefore rather ahead of time! The Nobel Committee must assess the validity of a discovery and especially its real impact – on astrophysics, in this case.

What is this “gigantic impact” that you mentioned at the start of our interview?

We opened a door. It is enough to see the number of people working today in this field of astrophysics. We were just a handful of astronomers 25 years ago! For researchers in the discipline, our work contributes to the knowledge of how planetary systems were formed. But the subject also concerns the general public because the discovery of exoplanets raises the question of other inhabited worlds. The vast majority of people, including scientists, want to know whether we are alone in the universe. By “we”, I mean all life, even in the form of extremely simple organisms like bacteria.

Can “discovering” an exoplanet make it possible to hypothesize about the presence of life elsewhere in the universe?

Yes, and it’s actually quite simple! Among the exoplanets that we detect, some are at the right distance from their star (or sun, editor’s note). What I mean is that they are neither too hot nor too cold. However, the characteristic DNA of any living species is a very fragile molecule which needs an inter-

Michel Mayor in six dates:

1942 1971

1984

1994

2007 2019 Born in Lausanne Defends his doctoral thesis on the spiral structure of galaxies Appointed professor of astrophysics at the University of Geneva Discovery, with Didier Queloz, of the first exoplanet (51 Pegasi b) Retires Nobel Prize in Physics, with Didier Queloz, for the discovery of 51 Pegasi b mediate temperature, corresponding to the domain of liquid water. These conditions are not anthropomorphic – they are laid down by the laws of chemistry and physics. Obviously, the next question is whether, given these favourable conditions, life will emerge spontaneously.

Is that the case?

We do not know anything! But it is assumed that the laws of chemistry and physics are the same everywhere in the universe and, therefore, that the phenomenon of life would occur everywhere in the same way, as long as the conditions are good. In order to detect a possible presence of life there, astronomers look for biomarkers in the atmosphere of the planets which they discover; that is, anomalies that indicate that life is developing there.

But if I understood correctly, you actually “see” these exoplanets...

In the vast majority of cases – and you are right to point it out – we only detect exoplanets indirectly. One of the methods is the one we used with Didier Queloz: we observe the star and its speed changes, which allows us to deduce information about the planet which revolves around it. More recent techniques make it possible to observe the passage of a planet in front of its star. In reality, what we “see” is a decrease in the brightness of the star (like during an eclipse), which, to put it simply, gives us the radius of the planet in a given wavelength. By observing this phenomenon over several wavelengths, we can deduce the spectrum of the planet and, therefore, its chemical composition. We are looking for molecules that reveal the presence of life, in particular oxygen, methane or nitrogen oxide. In other words, a set of clues.

Assuming that some of these exoplanets are viable, will humans ever be able to set foot there?

No, this is pure science fiction! Many exoplanets are between a few dozen and a few hundred light years from Earth. To give you an idea, the Moon is one light second away and it took men three days to get there. Imagine a habitable planet 30 light years away (or one billion light seconds). The journey would take several million years. It would be utterly impossible to accelerate our spacecraft to a speed close to that of light! We will never have enough energy to power it. So, whether we like it or not, humanity is bound to Earth – there is no plan B. We have no choice but to take care of our planet.

It’s still a little frustrating, isn’t it?

Obviously, but that should not prevent astronomers from continuing to explore the universe! We don’t just dream. Humans are curious animals. This research may one day provide an answer to the great philosophical question of our place in the universe.

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