ITAA-Zine | Numéro 6 - août 2021

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-ZIN E Numéro 6 | Août 2021

Édition mensuelle – Bureau de dépôt Gent X – P409030

Cessation du système « ­permanent » de ­régularisation fiscale et ­sociale La possibilité de régularisation fiscale et sociale prendra fin à partir du 31 décembre 2023. Cette annonce figurait déjà dans l’accord de gouvernement. Elle est devenue réalité avec la loi du 16 mars 2021. Qu’adviendra-t-il des capitaux « noirs » ou « gris » après cette date ?

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Colophon Cessation du système « permanent » de régularisation fiscale et sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

ITAA-zine Magazine mensuel de l’ITAA (ne paraît pas en janvier et en juillet) N° 6/2021

Fin du régime transitoire de la déduction pour brevets : quelles conséquences pratiques ?. . . . . . . . 9

ADMINISTRATION ET RÉDACTION ITAA, Boulevard Emile Jacqmain 135/2, B-1000 Bruxelles Tél. : +32 2 240 00 00 E-mail : info@itaa.be

La donation d’actions et de créances après la fin de la ‘kaasroute’. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

COORDINATION DE LA RÉDACTION Stéphane De Bremaeker (NL) – stephane.debremaeker@itaa.be Gaëtan Hanot (FR) – gaetan.hanot@itaa.be

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TRADUCTIONS IGTV et House of Words ÉDITEUR RESPONSABLE B. Van Coile, Boulevard Emile Jacqmain 135/2, B-1000 Bruxelles AVIS AUX LECTEURS Les auteurs, le comité de rédaction et l’éditeur veillent à la fiabilité des informations publiées, lesquelles ne pourraient toutefois engager leur responsabilité. Les articles représentent les points de vue et les opinions des auteurs et donc pas nécessairement ceux de l’Institut ou du comité de rédaction. L’Institut des conseillers fiscaux et des experts-comptables (ICE) a été créé par la loi du 17 mars 2019. L’ICE se présente en tant qu’ITAA, et est le résultat d’une fusion entre l’IEC et l’IPCF. L’ITAA est géré par un Conseil et un Comité exécutif. Plus d’informations via : www.itaa.be.

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COMITÉ DE RÉDACTION Stéphane De Bremaeker, Gaëtan Hanot, Johan De Coster, Chantal Demoor, Sophie Bosschaerts, François Lezaack, Bart Van Coile (Président), Frédéric Delrue (Vice-Président), Geert Lenaerts, Eric Steghers

ÉDITEUR Wolters Kluwer Belgium Motstraat 30, B-2800 Mechelen


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La responsabilité des cabinets étant de plus en plus importante, mon envie, en tant que rapporteur, est d’aider mes confrères : 1. à mieux se structurer 2. à accroître leur productivité 3. à améliorer la qualité de leur service Denis Higny, Expert-comptable certifié et rapporteur depuis 2016


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Cessation du système « permanent » de régularisation fiscale et sociale La possibilité de régularisation fiscale et sociale prendra fin à partir du 31 décembre 2023. Cette annonce figurait déjà dans l’accord de gouvernement. Elle est devenue réalité avec la loi du 16 mars 2021. Qu’adviendra-t-il des capitaux « noirs » ou « gris » après cette date ?

1. Bref résumé de la DLUquater Les contribuables peuvent régulariser des revenus, voire des capitaux prescrits, qui n’ont pas été soumis au régime fiscal ordinaire par le passé auprès du Point de contact-régularisations. Après trois opérations de régularisation temporaires, la procédure de régularisation actuelle (également appelée DLUquater) est entrée en vigueur le 1er août 2016 1 , comme système de régularisation « permanent ». Tant les personnes physiques que les personnes morales peuvent introduire une déclaration-régularisation que ce soit pour l’impôt sur les revenus, les opérations TVA ou les cotisations de sécurité sociale. Pour la régularisation dans le cadre de la DLUquater d’impôts régionaux (droits de succession en Région wallone, en Flandre et dans la Région de Bruxelles-Capitale), des accords de coopération ont été conclus entre autorités fédérales et régionales, et les régions ont élaboré leurs propres réglementations. Ces règlements régionaux ne prévoyaient toutefois que des régularisations temporaires, jusqu’au 31 décembre 2020.

Pour ceux qui n’avaient pas encore saisi l’occasion de rectifier (pleinement) leur situation fiscale lors des précédentes opérations de régularisation, la DLUquater prévoit des conditions plus strictes pour pouvoir encore procéder à une régularisation. Les amendes sont considérablement plus élevées que lors des précédentes opérations de régularisation. À titre d’exemple, pour les revenus non prescrits, le contribuable est désormais redevable de l’impôt qui aurait normalement été dû, majoré de 25 %. Les capitaux fiscalement prescrits sont soumis à un taux de 40 % 2 . La DLUquater prévoit également une obligation de régularisation des capitaux fiscalement prescrits lorsqu’ils n’ont pas encore été soumis au régime fiscal ordinaire. Lors des précédentes opérations de régularisation, la régularisation du capital prescrit n’était pas prévue (DLUbis) ou relevait d’un choix volontaire du déclarant (DLUter). Dans le cadre de la DLUquater, la charge de la preuve de l’origine légale du capital incombe au contribuable. Seuls les documents écrits sont pris en compte. Ceux-ci sont, qui plus est, évalués de manière très stricte par le Point de contact-régularisations, ce qui a conduit à des litiges devant

les tribunaux 3 . Une telle preuve est souvent difficile, voire impossible, à apporter pour les capitaux anciens. Rien d’étonnant à ce que le système actuel de régularisation ne connaisse que peu de succès. Il ressort d’un rapport récent de la Cour des comptes 4 que les recettes attendues de la régularisation DLUquater ont été systématiquement surestimées, par rapport aux recettes réelles. De 2016 à 2019, les recettes générées sur les quatre années ne représentent environ que la moitié de ce qui avait été budgété, soit un montant total de 408 844 000 euros de recettes en moins5 . L’une des raisons invoquées par la Cour des comptes pour expliquer cette situation est le grand succès des précédentes opérations de régularisation. Il convient de noter que, lors de ces précédentes régularisations, ce sont principalement les revenus mobiliers non prescrits qui ont été régularisés, et non pas les capitaux fiscalement prescrits sous-jacents, rapatriés par la suite dans des banques belges. La Cour des comptes observe également que l’objectif de la présente DLUquater, qui était de finaliser les régularisations antérieures incomplètes, n’a pas été atteint. Les

1 Loi du 21 juillet 2016 visant à instaurer un système permanent de régularisation fiscale et sociale, MB, 29 juillet 2016. 2 En 2017, les taux étaient respectivement de 20 % et 36 %, et ils ont été augmentés de 1 % chaque année jusqu’en 2020. 3 V. DE BRABANTER et D. VAN DEN BLOCK, « Fiscale regularisatie : de rechtbank spreekt zich uit over discussie omtrent vaststelling te regulariseren fiscaal verjaard kapitaal », Acc.& Fisc. 2020, nº 34, 3, www.taxwin.be. 4 Rapport de la Cour des comptes à la Chambre des représentants, adopté le 24 février 2021, Bruxelles, https://www.ccrek.be/FR/ Publications/Fiche.html?id=3fc02aaa-f4d2-4893-88ae-e94216bcdf4a. 5 Ibid., p. 49.

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5 contribuables seraient peu enclins à régulariser les avoirs entre-temps rapatriés sur des comptes belges. Cela s’explique implicitement par la politique de poursuite du parquet, qui diffère également selon les juridictions (et plus précisément selon qu’elles soient néerlandophones ou francophones). Lorsque le nouveau gouvernement est entré en fonction, il a été annoncé dans l’accord de gouvernement que la DLUquater serait supprimée à partir du 31 décembre 2023. L’intention du gouvernement a finalement été confirmée et précisée dans la loi du 16 mars 2021 portant des dispositions sur la fiscalité familiale et la suppression du système permanent de régularisation fiscale et sociale 6 .

2. Qu’est-ce qui justifie la cessation de la DLUquater? 2.1. Motifs budgétaires La première et la plus évidente des justifications est budgétaire. Le gouvernement espère que le fait d’annoncer qu’il ne reste que trois ans pour régulariser conduira à des recettes plus élevées que celles actuellement perçues chaque année. Il a même déjà fait une estimation des recettes qu’il espère percevoir pendant cette période de « préavis » de trois ans : 40 millions d’euros en 2021, 80 millions en 2022 et 120 millions en 2023.7 Pour générer ces recettes, des mesures d’accompagnement seront requises pour atteindre le potentiel national de capitaux provenant de régularisations incomplètes, estimé par la Cour des comptes à environ 42 milliards

respect de la vie privée et des droits de la défense.

La Déclaration Libératoire Unique (DLU) est une forme d’amnistie. Les personnes physiques et les personnes morales qui utilisent la DLU pour régulariser des capitaux noirs ou gris bénéficient d’une amnistie fiscale et sociale moyennant le paiement d’une amende. ­d’euros8 , d’ici la cessation de la DLUquater9. Cette opportunité a été immédiatement saisie dans la loi-programme du 20 décembre 2020 en étendant les obligations de déclaration des institutions financières au Point de contact central (PCC) de la Banque nationale. Outre les informations déjà obtenues sur les comptes et les assurances à l’étranger, le PCC pourra désormais connaître les soldes de comptes bancaires nationaux. L’Autorité de protection des données a émis des doutes légitimes sur la proportionnalité de cette extension du PCC10 . Aux conditions prévues à l’art. 322, § 2, CIR 92, l’administration fiscale peut consulter ces données du PCC, entre autres s’il existe des indices d’évasion fiscale. L’accord de gouvernement et l’exposé d’orientation politique du ministre des Finances laissent entendre qu’il est prévu d’appliquer également l’exploration de données (data mining) aux données du PCC11 . Une telle mesure semble excessive, compte tenu du

Outre l’administration fiscale, le ministère public et la cellule de traitement des informations financières (CTIF) ont également accès au PCC. La CTIF dispose en outre d’informations sur toutes les régularisations effectuées, en raison de la communication d’attestations-régularisation par le Point de contact-régularisations. En combinant ces données, il n’est pas difficile pour ces autorités d’identifier d’éventuels capitaux incomplètement régularisés. Le gouvernement espère que ces nouvelles données pousseront les contribuables ayant rapatrié dans le passé des capitaux non régularisés sur un compte belge – après une DLUbis ou ter – à encore régulariser ces capitaux.

2.2. Le contexte international de transparence fiscale La cessation de la régularisation fiscale est aussi étroitement liée à l’accroissement de la transparence fiscale au niveau international, fruit de l’échange automatique d’informations financières et de la coopération administrative entre les administrations fiscales de différents pays. L’échange automatique d’informations financières s’inscrit principalement dans le cadre des Common Reporting Standards (CRS) et du Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA) américain, qui ont également été transposés en droit belge.12 L’administration fiscale belge reçoit actuellement des informations de 109 juridictions par le biais des

6 Loi du 16 mars 2021 portant des dispositions sur la fiscalité familiale et la suppression du système permanent de régularisation fiscale et sociale, MB 23 mars 2021, 23.751. 7 Projet de loi du 11 février 2021 portant des dispositions sur la fiscalité familiale et la suppression du système permanent de régularisation fiscale et sociale, Doc.parl. Chambre, 2020-21, nº 1736/3, p. 12. 8 Un total de 44,7 milliards de capitaux, dont 2,51 ont été régularisés. 9 Rapport de la Cour des comptes à la Chambre des représentants, adopté le 24 février 2021, Bruxelles, https://www.ccrek.be/FR/ Publications/Fiche.html?id=3fc02aaa-f4d2-4893-88ae-e94216bcdf4a, p. 57. 10 Avis du 26 novembre 2020 de l’Autorité de protection des données, nº 122/2020. 11 Accord de gouvernement, 30 septembre 2020, p. 54 ; Exposé d’orientation politique, 3 novembre 2020, Finances et coordination de la lutte contre la fraude, Doc.parl. Chambre, 2020-21, nº 1610/9, p. 31. 12 V. DE BRABANTER, « FATCA en CRS geïmplementeerd in Belgisch recht », Acc. & Fisc. 2016, nº 9, 4-6; V. DE BRABANTER et L. CASSIMON, « Gegevensuitwisseling in de praktijk : een blik van de practicus », Acc.& Fisc. 2018, nº 22, www.taxwin.be.

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6 revenus mobiliers provenant de ce compte étranger, pour tenter d’échapper à ces actions de contrôle, tout en maintenant ces capitaux « noirs » hors d’atteinte pour le moment. Il ressort en outre des travaux préparatoires de la loi du 16 mars 2021 que le législateur belge ne perd pas de vue les recommandations de l’OCDE et du FMI, qui ont stipulé que, pour être utiles, les régularisations fiscales doivent se concentrer sur un groupe cible limité et être limitées dans le temps14 .

3. Et maintenant ?

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CRS. La liste croissante des pays participants, reprise dans l’arrêté royal du 14 juin 2017, comprend également des paradis fiscaux traditionnels tels que Curaçao, les îles Vierges britanniques et les îles Caïmans13 . Cet échange automatique d’informations a donné lieu à de nombreuses actions de contrôle de l’AGFisc et de l’AGISI sur des comptes étrangers, des produits d’assurance et d’autres revenus étrangers tels que des options d’achat d’actions ou des Restricted Stock Units accordées principalement

par des multinationales américaines. Cela s’est principalement traduit par la rectification des revenus mobiliers de ces comptes étrangers non déclarés et, en ce qui concerne les plans d’incitation étrangers, des revenus professionnels perçus sur ces comptes étrangers, avec application de sanctions administratives (souvent jusqu’à 50 % de majoration d’impôt). Il ressort toutefois du rapport susmentionné de la Cour des comptes que cela concernait surtout de petits épargnants. Les contribuables possédant des capitaux étrangers « noirs » déclareraient leurs

La possibilité d’introduire une régularisation fiscale prendra fin le 31 décembre 2023. Les déclarations-régularisation peuvent encore être introduites jusqu’au tout dernier jour. Il ressort de l’article 5 de la loi du 16 mars 2021 que les attestations-régularisation peuvent encore être délivrées après la suppression des chapitres 2 et 3 de la DLUquater, à condition que la déclaration ait été introduite avant leur suppression. Mais qu’adviendra-t-il, après le 31 décembre 2023, des capitaux non encore régularisés sur des comptes nationaux et étrangers ?

3.1. Le retour des régularisations officieuses ? Au cours des débats parlementaires, il a été envisagé que le système officiel de régularisation cède à nouveau la place à la rectification par le contrôle local ou l’Inspection spéciale des impôts. Certaines pratiques du passé, où non seulement les revenus non prescrits sur le plan fiscal mais aussi les capitaux fiscalement prescrits

13 Arrêté royal du 14 juin 2017 établissant la liste des autres juridictions soumises à déclaration et la liste des juridictions partenaires, aux fins d’application de la loi du 16 décembre 2015 réglant la communication des renseignements relatifs aux comptes financiers, par les institutions financières belges et le SPF Finances, dans le cadre d’un échange automatique de renseignements au niveau international et à des fins fiscales, MB 19 juin 2017, 65 897 (modifié en dernier lieu par l’AR du 2 juin 2020). 14 Projet de loi du 11 février 2021 portant des dispositions sur la fiscalité familiale et la suppression du système permanent de régularisation fiscale et sociale, Doc.parl. Chambre, 2020-21, nº 1736/3, p. 4.

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7 étaient régularisés par ces voies, ont été évoquées15 . Bien que ces rectifications ne confèrent pas d’immunité pénale, la possibilité a été avancée que le parquet ne poursuivrait plus si l’impôt avait déjà été payé. Le ministre des Finances rappelle que la précédente instruction de l’ISI a été annulée par le Conseil d’État16 mais reconnaît qu’il est toujours possible de rectifier une déclaration (de n’importe quel impôt) dans les délais légaux. Cela ne vaut donc pas pour les capitaux prescrits.

3.2. Qu’en est-il des capitaux prescrits ? Selon le ministre des Finances, le parquet sera compétent pour les capitaux prescrits qui font encore surface après la suppression de la régularisation. Comme mentionné précédemment, le parquet pourra s’appuyer sur les données du PCC, récemment étendues aux soldes bancaires (tant pour les comptes nationaux qu’étrangers), et sur les attestations-régularisation que

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Dans la pratique, nous constatons que certains fonctionnaires fiscaux renvoient systématiquement les demandes de rectification spontanée, même pour de banales erreurs matérielles, au Point de contact-régularisations. Ces renvois sont toutefois dépourvus du moindre fondement juridique. La régularisation fiscale demeure en effet une procédure volontaire. Les fonctionnaires de l’administration fiscale qui sont informés spontanément de l’existence de revenus imposables non déclarés sont tenus, conformément au caractère d’ordre public de la loi fiscale, d’établir l’impôt sur ces revenus. Ils peuvent également imposer une sanction sous la forme d’une majoration d’impôt. Pour pouvoir appliquer un taux de 50 %, il convient toutefois d’apporter la preuve que les revenus n’ont pas été déclarés dans le but d’échapper à l’impôt.

la CTIF transmet au parquet, en cas de présomptions que les fonds régularisés proviennent d’autres infractions que la fraude fiscale ou le blanchiment d’argent (par exemple, en cas de régularisations incomplètes). Mais les autorités mettront sans doute de l’eau dans leur vin. Le débat manque souvent de nuance étant donné le large éventail de situations possibles entre le cas du petit épargnant et celui du grand capital accumulé par des pratiques illégales. Certains dossiers judiciaires sont parfois médiatisés. Citons, par exemple, cette récente enquête pour fraude à l’encontre de la famille propriétaire d’une chaîne de magasins

de Flandre-Occidentale. Il ressort cependant du rapport de la Cour des comptes que la CTIF n’a encore reçu aucune décision concernant les dossiers de régularisation qu’elle a soumis au parquet. Le parquet ne transmet pas systématiquement de retour d’informations et certains dossiers ont même été classés sans suite. Le fait que la fraude fiscale ne soit pas une question essentielle pour le parquet, en raison d’autres priorités et d’un manque de personnel spécialisé, a également été souligné lors des commissions d’enquête parlementaires. Comme il l’avait déjà annoncé dans sa note de politique générale, le ministre des Finances a une nouvelle fois souligné, lors des débats parlementaires

15 Cf. instruction interne du 29 janvier 2015 de l’ISI. Cette instruction interne a toutefois été annulée par le Conseil d’État dans son arrêt du 17 mars 2016. 16 Conseil d’État 17 mars 2016, non publié.

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8 de la loi supprimant la régularisation, son intention d’améliorer la coopération entre l’administration fiscale et le SPF Justice, par exemple en renforçant les équipes d’enquête multidisciplinaire (MOTEM). Contrairement à la procédure de régularisation où le déclarant doit prouver que les capitaux ont été soumis à leur régime fiscal, il faut, dans le cadre d’une poursuite pénale pour blanchiment d’argent, apporter la preuve que toute origine légale des capitaux est exclue 17. En pratique, l’inculpé tentera de prouver de manière plausible l’origine licite des fonds, raison pour laquelle – suite à un récent arrêt de la Cour de cassation – certains médias ont évoqué à tort un « renversement de la charge de la preuve » qui a été considéré comme une « bombe fiscale » 18 . Dans un arrêt du 19 novembre 2019, la Cour de cassation a d’ailleurs encore jugé que l’introduction d’une déclaration-régularisation incomplète ne pouvait être considérée comme un faux en écriture, et que le simple fait de ne pas divulguer un compte à l’étranger à l’administration fiscale ne signifiait pas que le solde de ce compte constituait un bénéfice patrimonial résultant de cette dissimulation19 . Impossible toutefois de déduire de cet arrêt que les personnes possédant des capitaux partiellement régularisés seront toujours acquittées20 . En outre, même en cas d’acquittement, il ne faut pas sous-estimer l’atteinte à la réputation que représente une enquête judiciaire, ni toutes les émotions qu’elle suscite. Dans la plupart des cas de poursuites pénales pour blanchiment d’argent en raison d’une régularisation partielle,

un règlement à l’amiable est conclu lorsque les conditions légales pour ce faire sont réunies21 . Cela signifie que les poursuites pénales peuvent être abandonnées, en échange du paiement d’une somme d’argent. Pour les infractions fiscales, cela n’est possible qu’après le paiement de l’impôt dû et l’accord de l’administration fiscale22 .

3.3. Autres instigateurs de la régularisation Les propriétaires de capitaux « noirs » devraient tenir compte d’autres éléments que la pression accrue qui résulte de la cessation de la régularisation. La Cour des comptes souligne ainsi, dans son rapport, la politique de compliance des banques. En raison d’une législation antiblanchiment de plus en plus stricte, les banques sont très vigilantes lorsque des sommes sont rapatriées de l’étranger23 . Les clients sont invités à déclarer l’origine des capitaux et, si l’origine légale n’est pas suffisamment attestée, elles demanderont une régularisation ou refuseront les fonds. La même attitude est également observée chez les banques étrangères (par exemple au Luxembourg, en Suisse, ...) où les clients belges sont invités à présenter des attestations DLUter ou quater relatives au capital. Dans certains cas, il est même mis fin à la relation avec le client et, conformément aux obligations légales de l’institution financière, la CTIF ou l’autorité de surveillance étrangère concernée en sont également informées. Ces clients n’ont souvent pas d’autre choix que de régulariser le capital car ils rencontreront les mêmes objections

lorsqu’ils voudront le confier à une autre institution financière.

4. Conclusion : maintenant ou jamais ? Il semble qu’une toute dernière chance soit donnée aux détenteurs de capitaux non ou incomplètement régularisés, dont l’origine légale ne peut être attestée, de se mettre en ordre fiscalement. Spéculer sur de futures opérations de régularisation est un pari hasardeux, compte tenu du contexte de transparence fiscale internationale. Il est conseillé aux contribuables ayant effectué des DLU dans le passé, sans régularisation du capital, de faire analyser leur situation spécifique de manière approfondie afin de prendre une décision éclairée avant la date limite du 31 décembre 2023. Enfin, il convient de garder à l’esprit que l’origine des capitaux devra être justifiée non seulement vis-à-vis des autorités fiscales et, éventuellement, du parquet, mais aussi vis-à-vis des institutions financières et des autres acteurs qui sont tenus à des obligations de déclaration dans le cadre de la législation antiblanchiment. David Van Den Block Avocat

Véronique De Brabanter Avocat

17 Notez à cet égard qu’il ne faut pas forcément que des capitaux soient rapatriés. Le simple fait de posséder le compte suffit pour que l’on parle de blanchiment d’argent. 18 P. DENDOOVEN, « Hof van Cassatie werpt fiscale bom naar zondaars », De Standaard, 12 avril 2021, www.standaard.be. 19 Pour une analyse approfondie : P. WAETERINCKX et G.D.GOYVAERTS, « Over de beweerdelijke fiscale valsheid in geschriften ter zake fiscale regularisatie »,TFR 2021/7, nº 599, p. 315-329. 20 Cf. P. WAETERINCKX et G.D. GOYVAERTS, « Over de beweerdelijke fiscale valsheid in geschriften ter zake fiscale regularisatie »,TFR 2021/7, nº 599, p. 315-329. 21 Article 216bis du Code de procédure pénale. 22 Article 216bis, § 6, alinéa 2, du Code de procédure pénale. 23 A la suite d’une récente circulaire de la Banque nationale (BNB_21_12), la surveillance des banques sera encore plus rigoureuse.

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Fin du régime transitoire de la déduction pour brevets : quelles conséquences pratiques ? La Belgique a introduit la déduction pour revenus de brevets (« déduction pour brevets ») en 2007. À la suite de l’initiative BEPS prise par l’OCDE (« Base Erosion and Profit Shifting »), la déduction pour brevets a été remplacée à partir du 1er juillet 2016 par la déduction pour revenus d’innovation (« déduction pour innovation »). Un régime transitoire a toutefois été prévu, régime en vertu duquel la déduction pour brevets pouvait encore être appliquée aux revenus reçus jusqu’au 30 juin 2021 et provenant de brevets dont la demande avait été introduite avant le 1er juillet 2016 ou qui avaient été acquis avant le 1er juillet 20161 . Cette date est à présent passée et nous souhaitons nous attarder quelque peu sur les conséquences concrètes de l’expiration de ce régime transitoire.

1. Remplacement de la déduction pour brevets par la déduction pour innovation La déduction pour brevets a été instaurée à partir de l’exercice d’imposition 20082 . À compter de cet exercice, les bénéfices de la période imposable pouvaient être réduits de 80 % des revenus de brevets (bruts) relatifs aux brevets qui n’étaient pas utilisés par la société, un preneur de licence ou une entreprise liée pour la vente de biens ou de services à des tiers indépendants avant le 1er janvier 20073 . Étaient pris en considération pour l’application de la déduction pour brevets, les brevets développés totalement ou partiellement par la société dans un centre de recherche indépendant ainsi que les brevets acquis par la société à la condition que les produits ou procédés brevetés aient fait l’objet totalement ou partiellement d’amélioration par la société dans un centre de recherche indépendant4 . Les revenus de brevets qualifiants englobent les rémunérations pour licences qui sont concédées par la société sur les brevets et les rémunérations qui seraient dues à la société si les biens/services qui sont produits/prestés par ou pour 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

le compte de la société étaient produits/prestés par un tiers en vertu d’une licence (ce que l’on appelle les « redevances de licences incluses ») 5 . Les revenus de brevets relatifs à des brevets acquis doivent être diminués des rémunérations imputées qui sont dues à des tiers pour ces brevets et des amortissements actés sur leur valeur d’acquisition ou d’investissement6 . La déduction pour brevets a été soumise à un contrôle durant le premier semestre de l’année 2016 dans le cadre de l’initiative BEPS de l’OCDE. La conclusion était que la déduction pour brevets ne répondait pas aux conditions en la matière, en particulier à l’exigence d’une activité économique substantielle7. La déduction pour brevets a dès lors été abrogée à partir du 1er juillet 2016 8 et la déduction pour innovation a été introduite en remplacement, avec prise d’effet au 1er juillet 2016 9. En application de la déduction pour innovation, ce ne sont plus les revenus bruts qui sont pris en considération, mais uniquement la partie qui subsiste de la déduction des frais de R&D10 . Ces revenus d’innovation nets doivent ensuite être multipliés par une fraction qui reflète la quotité des dépenses faites pour des activités de R&D menées par la société

Art. 543, alinéa 1er CIR 92. Art. 86-93 Loi programme du 27 avril 2007, MB 8 mai 2007. Art. 93 Loi programme du 27 avril 2007, MB 8 mai 2007 ; Art. 2051 CIR 92 (ancien). Art. 2052, §1 CIR 92 (ancien). L’exigence d’un centre de recherche a été supprimé à partir de l’exercice d’imposition 2014 pour les petites sociétés (Loi du 17 juin 2013, MB 28 juin 2013). Art. 2052, §2 CIR 92 (ancien). Art. 2053, §1 CIR 92 (ancien). Exposé des motifs, DOC 54, 1920/001, p. 5. Art. 4-8 et 11 Loi du 3 août 2016 portant des dispositions fiscales urgentes, MB 11 août 2016. Loi du 9 février 2017 portant introduction d’une déduction pour revenus d’innovation, MB 20 février 2017. Art. 205/2 CIR 92.

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10 elle-même ou pour des activités de R&D sous-traitées à une société non liée, dans les dépenses globales faites ou supportées par une société pour développer un brevet, en ce compris les dépenses afférentes à l’achat d’un brevet et les dépenses afférentes aux activités de R&D sous-traitées à une société liée11 . Dans le souci de préserver la compétitivité du cadre fiscal, la déduction pour innovation est sensiblement plus étendue que la déduction pour brevets, et ce à divers égards : • La déduction pour innovation s’applique non seulement aux brevets, mais aussi à d’autres droits de propriété intellectuelle, notamment les programmes d’ordinateur protégés par le droit d’auteur. • Une partie des bénéfices peut déjà être exonérée au moment où le droit de propriété intellectuelle est demandé. • Le pourcentage de la déduction pour innovation est de 85 %. • Les redevances de licences et les redevances de licences incluses peuvent bénéficier de la déduction pour innovation, mais aussi les indemnités dues et les sommes obtenues à l’occasion de l’aliénation d’un droit de propriété intellectuelle. Les revenus tirés du processus d’innovation sont expressément mentionnés aussi parmi les revenus d’innovation pris en considération. • Une neutralité est prévue en cas de restructurations fiscalement neutres (tant en ce qui concerne la déduction pour brevets que la déduction pour innovation).

2. Maintien de la déduction pour brevets en vertu d’un régime transitoire La déduction pour brevets n’a pas été directement et définitivement remplacée par la déduction pour innovation à partir du 1er juillet 2016. Une société pouvait encore demander l’application de la déduction pour brevets aux revenus de brevets reçus jusqu’au 30 juin 2021 et provenant de brevets éligibles dont les demandes avaient été introduites avant le 1er juillet 2016 ou, dans le cas de brevets ou de droits de licences acquis, qui avaient été acquis avant le 1er juillet 201612 . En ce qui concerne les revenus issus de brevets à partir du 1er juillet 2016, une société pouvait donc encore appliquer la

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déduction pour brevets si les brevets avaient été demandés ou obtenus avant le 1er juillet 2016. On peut faire valoir ici que le régime transitoire permettait non seulement de maintenir l’application de la déduction pour brevets, mais aussi d’appliquer pour la première fois la déduction pour brevets dans une période imposable ultérieure à l’introduction de la déduction pour innovation au cours du délai transitoire de cinq ans13 . Si la société appliquait la déduction pour brevets conformément au régime transitoire, les dispositions en matière de déduction pour innovation portant sur le brevet concerné n’étaient pas d’application pour la période imposable visée ni pour les périodes imposables suivantes se clôturant avant le 1er juillet 202114 . Le choix du régime transitoire était irrévocable15 . Des directives administratives précisent que le choix de la déduction pour innovation doit être opéré pour l’exercice d’imposition afférent à la période imposable au cours de laquelle le brevet génère pour la première fois des revenus bruts d’innovation16 . Pour éviter que des brevets soient transférés au sein d’un groupe de sociétés dans le but de bénéficier du régime transitoire, ce régime n’était pas applicable aux brevets directement ou indirectement obtenus d’une société associée à partir du 1er janvier 2016 qui ne sont pas pris en considération pour la déduction pour brevets ou pour un régime analogue de droit étranger dans le chef de la société transférante17.

3. Expiration du régime transitoire La disposition transitoire est restée d’application jusqu’au 30 juin 2021. Dans la période imposable où tombe cette date, seuls les revenus de brevets reçus jusqu’au 30 juin 2021 peuvent continuer à donner lieu à la déduction pour revenus de brevets18 . Pour l’application de la déduction pour innovation au cours de cette même période imposable, les revenus d’innovation relatifs à la partie de la période imposable au cours de laquelle la déduction pour brevets était appliquée pour ce brevet ne sont pas éligibles à la déduction pour innovation. Seuls les revenus d’innovation reçus après le 30 juin 2021 et relatifs à la partie de la période imposable au cours de laquelle la déduction pour brevets n’était plus appliquée pour ce brevet sont donc pris en considération pour la déduction pour innovation. L’application simultanée de la

Art 205/3 CIR 92. Art. 10 Loi du 3 août 2016 portant des dispositions fiscales urgentes, MB 11 août 2016 ; art. 543, alinéa 1er CIR 92. B. SPRINGAEL, Aftrek voor innovatie-inkomsten, Gand, Larcier, 2019, p. 202. Art. 205/4, § 4 CIR 92. FAQ du 26 juillet 2018 relatives à la déduction pour revenus d’innovation, n° 116. FAQ du 26 juillet 2018 relatives à la déduction pour revenus d’innovation, n° 118. Art. 543, alinéa 2 CIR 92. Exposé des motifs, DOC 54, 1920/001, p. 6

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11 suivants sont importants dans ce cadre : (i) l’établissement des revenus d’innovation bruts qualifiants, (ii) l’établissement des dépenses globales reprises en frais qui doivent en être déduites, (iii) le calcul de la fraction Nexus et (iv) les obligations légales de documentation. iStockphoto.com/demaerre.

déduction pour brevets et de la déduction pour innovation relative à un même brevet est en tout cas exclue19. En ce qui concerne l’application de la déduction pour innovation après le régime transitoire, les frais faits ou supportés au cours d’une période imposable durant laquelle la société a appliqué la déduction pour brevets conformément au régime transitoire ne doivent pas être déduits des revenus d’innovation bruts. Pour la période imposable durant laquelle le régime transitoire expire, seuls les frais faits ou supportés en proportion de la partie de la période imposable pour laquelle la déduction pour brevets a été appliquée ne doivent pas être déduits des revenus d’innovation bruts20 . Le Service des Décisions Anticipées a confirmé à plusieurs reprises que les frais encourus avant le 30 juin 2021 et relatifs à un brevet pour lequel la déduction pour brevets est appliquée jusqu’à cette date ne doivent pas être déduits des revenus d’innovation pour l’application de la déduction pour innovation21 . En réponse à une question parlementaire, le Ministre des Finances a précisé que si une société optait pour le régime transitoire, tous les frais encourus avant et durant cette période transitoire tombaient sous l’application de la déduction pour brevets et ne comptaient pas dans la déduction pour innovation. Ces frais doivent par contre être comptabilisés pour déterminer ce que l’on appelle la fraction Nexus (voir ci-après).

4. Mise en œuvre pratique de la déduction pour innovation Nous allons enfin nous pencher sur l’application de la déduction pour innovation dans la pratique. Les éléments

(i) Établissement des revenus d’innovation bruts qualifiants Pour déterminer le montant des revenus bruts qualifiants, il convient de déterminer sur la base de méthodes de prix de transfert quelle redevance un tiers paierait à une entreprise dans des conditions normales de marché pour vendre des biens ou des services ou pour suivre un processus lié à un droit de propriété intellectuelle qualifiant. Différentes méthodes peuvent être appliquées ici : • Approche fondée sur les coûts (méthode du « coût majoré ») : les revenus d’innovation sont calculés en majorant les frais de recherche et de développement d’un rendement sur ces coûts. Les directives OCDE déconseillent généralement le recours à des méthodes de prix de transfert qui évaluent la valeur des actifs incorporels sur la base des frais de développement. Selon l’OCDE, il est rare d’avoir une corrélation entre les frais de développement et la valeur des actifs incorporels. • Approche axée sur les revenus : la méthode transactionnelle de la marge nette (MTMN) consiste à comparer le bénéfice net réalisé sur des produits ou services qui sont protégés ou font usage d’un processus protégé avec la marge bénéficiaire nette de routine. Les bénéfices résiduels par rapport à la rentabilité de routine sont attribués au droit de propriété intellectuelle et considérés comme des revenus d’innovation. Ces bénéfices résiduels peuvent ressortir d’une comparaison des bénéfices ou d’une économie de frais. Une comparaison des bénéfices peut s’appuyer sur des points de comparaison externes (p. ex. une comparaison de l’EBIT (earnings before interest and tax) de concurrents dans le même secteur avec les bénéfices du contribuable) ou sur des points de comparaison internes (p. ex. une comparaison avec la rentabilité historique de produits ou services avant l’utilisation du droit de propriété intellectuelle, une comparaison de l’EBIT sur des produits ou services avec et sans utilisation du droit de propriété intellectuelle, une comparaison du prix de vente de produits ou services avec et sans utilisation du droit de propriété intellectuelle, etc.). • Approche axée sur le marché : la méthode du prix comparable sur le marché libre ou Comparable Uncontrolled Price (CUP) recherche des références de marché comparables. La recherche peut viser des points de comparaison

19 Art. 205/2, §1, alinéa 1er CIR 92 ; Exposés des motifs, DOC 54, 2764/001, p. 9; FAQ du 26 juillet 2018 relatives à la déduction pour revenus d’innovation, n° 119. 20 Art. 205/2, §2, alinéa 1er CIR 92 ; Exposé des motifs, DOC 54, 2764/001, p. 9. 21 Décisions anticipées 2020.1905, 2020.0995 et 2020.0215.

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12 internes (contrats de licence que la société a conclus avec des tiers (CUP interne)) ou des points de comparaison externes (contrats de licence conclus entre parties indépendantes (CUP externe)). Le CUP interne ou externe est utilisé comme référence pour déterminer la redevance de licence incluse ou les revenus issus de l’innovation d’un procédé. Pour le CUP externe, il est possible de recourir à différentes banques de données (RoyaltyStat, LexisNexis, RoyaltyRange, RoyaltySource, ktMINE, TP CUT, TP Catalyst, etc.). L’examen de plusieurs contrats portant sur des droits de propriété intellectuelle comparables permet de déterminer un intervalle dans lequel une redevance de licence devrait normalement se situer. En l’absence de CUP utilisable, les directives OCDE se réfèrent à la méthode du bénéfice résiduel. • Méthode du bénéfice résiduel : la méthode du bénéfice résiduel part du chiffre d’affaires des produits ou services liés au droit de propriété intellectuelle. Tous les frais directs et indirects qui s’y rapportent en sont déduits, à l’exception des frais de R&D (ces frais sont en effet déduits des revenus d’innovation bruts pour obtenir les revenus d’innovation nets). Une majoration conforme au marché est portée en déduction des frais et du chiffre d’affaires afin d’éliminer une marge liée à certaines fonctions de routine (telles que production, conditionnement, vente, distribution, marketing, contrôle de qualité, etc.), à moins que ces fonctions ne soient sous-traitées à une partie indépendante (le cas échéant, les frais seront considérés comme conformes au marché). Enfin, les revenus d’autres immobilisations incorporelles (droits de propriété intellectuelle non qualifiants, tels que brevets expirés, marque, savoirfaire non lié, etc.) sont filtrés. La valeur résiduelle peut être prise en considération en tant que redevance pour le droit de propriété intellectuelle. Selon une certaine pratique du ruling, un tiers du bénéfice résiduel doit encore être déduit (en partant du principe qu’un preneur de licence indépendant ne céderait pas l’intégralité de la marge additionnelle à un donneur de licence).

(ii) Établissement des dépenses globales reprises en frais pour calculer les revenus nets qualifiants Dans un deuxième temps, les revenus bruts doivent être diminués des frais de recherche et de développement pertinents pour obtenir les revenus nets. Cela signifie concrètement que le montant brut des revenus d’innovation

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d’une période imposable doit être diminué (i) des frais faits ou supportés au cours de cette période imposable (netting) et (ii) des frais faits ou supportés au cours de périodes imposables antérieures se terminant après le 30 juin 2016 (ce que l’on appelle la recapture) 22 . Dans le cas d’une immobilisation incorporelle, seules les charges d’amortissement grevant le résultat de la période imposable seront à déduire des revenus bruts de cette année et non le prix d’acquisition dans sa globalité23 . Si la détermination des revenus d’innovation engendre un résultat négatif, ce résultat négatif sera déduit successivement des revenus nets d’innovation concernant le même droit de propriété intellectuelle de chacune des périodes imposables suivantes24 . Les frais à déduire des revenus bruts sont les « dépenses globales » reprises en frais. La notion de « dépenses globales » est également utilisée dans le cadre de la modified nexus approach (les dépenses dans leur globalité donc et non les frais par année). Les explications qui suivent sont dès lors pertinentes aussi dans le cadre de cette approche. Les dépenses globales reprises en frais comprennent 25 : • les dépenses de recherche et développement qui se rattachent directement au droit de propriété intellectuelle et qui sont faites par la société pour des activités de recherche et développement effectuées par la société elle-même ; • les dépenses de recherche et développement qui se rattachent directement au droit de propriété intellectuelle et qui sont payées par la société (i) à une entreprise non liée ou (ii) à une entreprise liée pour autant que cette entreprise verse les rétributions obtenues sans marge à une entreprise non liée ; • les dépenses pour l’acquisition du droit de propriété intellectuelle ; • les dépenses de recherche et développement qui se rattachent directement au droit de propriété intellectuelle et qui sont faites à une entreprise liée. Seules les dépenses qui se rattachent directement au droit de propriété intellectuelle sont prises en considération, à l’exclusion donc des intérêts, des dépenses afférentes aux terrains et bâtiments et de toute autre dépense qui ne peut être attribuée aux activités de R&D26 . Au cours de la période imposable pour laquelle les revenus d’innovation sont déterminés pour la première fois, la société peut opter irrévocablement pour l’étalement linéaire des dépenses historiques durant une période de maximum sept périodes imposables consécutives27.

Art. 205/2, §1, alinéas 1 et 2 CIR 92. FAQ du 26 juillet 2018 relatives à la déduction pour revenus d’innovation, n° 60. Art. 205/2, §1, alinéa 3 CIR 92. Art. 205/2, §2, 5° CIR 92. Art. 205/2, §2, 5° CIR 92 ; Exposé des motifs, DOC 54, 2235/001, p. 13 ; FAQ du 26 juillet 2018 relatives à la déduction pour revenus d’innovation, n° 58. 27 Art. 205/2, §2, alinéa 3 CIR 92.

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13 (iii) Modified nexus approach Dans une phase suivante, les revenus d’innovation nets concernant un droit de propriété intellectuelle sont multipliés par la fraction Nexus. Cette fraction reflète la part des dépenses qualifiantes dans les dépenses globales, telles que définies ci-avant. Les dépenses globales qualifiantes sont : • les dépenses de R&D qui se rattachent directement au droit de propriété intellectuelle et qui sont faites par la société pour des activités de recherche et développement effectuées par la société elle-même ; et • les dépenses de R&D qui se rattachent directement au droit de propriété intellectuelle et qui sont payées par la société (i) à une entreprise non liée ou (ii) à une entreprise liée pour autant que cette entreprise verse les rétributions obtenues sans marge à une entreprise non liée. Les autres dépenses globales, par contre, ne sont pas qualifiantes, à savoir : • les dépenses pour l’acquisition du droit de propriété intellectuelle ; • les dépenses de R&D qui se rattachent directement au droit de propriété intellectuelle et qui sont faites à une entreprise liée. Les dépenses qualifiantes sont majorées de 30 %, sans toutefois dépasser le montant des dépenses globales. La fraction Nexus se présente donc comme suit : Dépenses qualifiantes majorées de 30 % Dépenses globales Rappelons que, contrairement à l’établissement des revenus d’innovation nets, ce sont les dépenses globales (à savoir le prix d’acquisition et non les charges d’amortissement annuelles en cas d’activation) qui sont prises en considération pour l’application de la modified nexus approach. Pour obtenir à tout moment une représentation correcte du rapport entre dépenses qualifiantes et dépenses globales, celles-ci sont cumulées au fil des ans28 . Le calcul des revenus d’innovation nets remonte en outre aux périodes imposables se terminant après le 30 juin 2016, mais la loi ne prévoit pas de telle limite temporelle pour la détermination de la fraction Nexus. En principe, le calcul de la fraction Nexus nécessite donc le cumul des dépenses de la période imposable au cours de laquelle la déduction pour innovation est appliquée et de toutes les périodes imposables antérieures au cours desquelles le droit de propriété intellectuelle concerné a été développé.

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Si la société démontre qu’en raison de circonstances exceptionnelles, la fraction Nexus ne correspond pas à la valeur ajoutée des activités de R&D effectuées par elle-même en proportion de l’ensemble des activités de R&D, elle peut déroger à la formule de calcul normale et déterminer la fraction sur la base de la valeur ajoutée des activités de R&D effectuées par elle-même. Il faut pour cela que le calcul normal de la fraction Nexus s’élève au minimum à 25 % avant application de la majoration des dépenses qualifiantes de 30 % 29. Cette dérogation doit faire l’objet d’un ruling fiscal30 .

(iv) Documentation Enfin, nous examinerons les obligations légales de documentation en la matière. Le contribuable doit notamment tenir à la disposition de l’administration les documents probants qui permettent d’établir par droit de propriété intellectuelle (ou par produit ou service ou type de produit ou service si l’établissement des revenus d’innovation par droit de propriété intellectuelle n’est pas réalisable d’un point de vue pratique) 31 : • la valeur réelle des droits de propriété intellectuelle acquis d’une entreprise liée de laquelle provient le droit de propriété intellectuelle ; • les revenus d’innovation qui se rattachent exclusivement au droit de propriété intellectuelle ; • les frais qui sont déduits des revenus d’innovation pour arriver aux revenus nets ; • les dépenses qualifiantes qui se rattachent directement au droit de propriété intellectuelle ; • les dépenses globales qui se rattachent directement au droit de propriété intellectuelle. Le contribuable doit ensuite joindre à sa déclaration aux impôts sur les revenus un relevé (formulaire 275INNO) pour chaque exercice d’imposition pour lequel, soit la déduction pour innovation est appliquée, soit le délai de l’étalement linéaire des dépenses historiques n’est pas encore échu (sauf si la déduction pour innovation n’est plus appliquée), soit le délai du remploi suite à l’aliénation d’un droit de propriété intellectuelle n’est pas encore échu32 . Tom Wallyn Conseiller fiscal certifié

Inge Rys Stagiaire conseiller fiscal certifié

Exposé des motifs, DOC 54, 2235/001, p. 19. Art. 205/3, §2, alinéa 1er CIR 92. Art. 205/3, §2, alinéa 3 CIR 92. Art. 205/4, §1 CIR 92. Art. 205/4, §3 CIR 92.

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La donation d’actions et de créances après la fin de la ‘kaasroute’ Depuis le 15 décembre 2020, la fin de ce que l’on appelle la ‘kaasroute’ est une réalité. Les actes notariés étrangers de donation doivent désormais être enregistrés en Belgique. Cette modification de loi vise à mettre fin à une pratique qui permettait de passer des actes de donation devant un notaire étranger (en Suisse, par exemple, ou aux Pays-Bas). Ces actes ne devaient pas obligatoirement être enregistrés en Belgique et n’étaient donc pas soumis au paiement des droits de donation. Si le donateur ne décédait pas pendant la période à risque de trois ans suivant la donation (sept ans pour les sociétés et entreprises familiales), l’acquisition était exonérée de droits de donation ou de droits de succession. Dans la circulaire 2021/C/27 du 16 mars 2021, le SPF Finances clarifie la mise en œuvre pratique de cette nouvelle obligation d’enregistrement.1 Nous vous la résumons brièvement ci-après, pour nous attarder ensuite sur les alternatives possibles à l’acte notarié étranger de donation. Nous nous centrerons en particulier sur la donation de créances/prêts consentis à une société et sur la donation d’actions nominatives.

1. Mise en œuvre pratique de l’obligation d’enregistrement

savoir la personne qui a sa résidence réelle, effective et continue en Belgique). L’appréciation doit être faite au moment de la passation de l’acte étranger de donation.

Champ d’application. L’obligation d’enregistrement concerne les actes notariés passés devant un notaire étranger qui font titre de donation entre vifs de biens meubles par un habitant du Royaume de Belgique. Sont donc exclues du champ d’application : la donation par un habitant du Royaume d’un bien immeuble (étranger) et la donation par un non-habitant du Royaume, même si le donataire est un habitant du Royaume ou si la donation porte sur des biens situés en Belgique.

Le lieu d’inscription dans le registre de la population ou dans un registre étranger similaire sert généralement de point de départ de l’appréciation, mais ce lieu n’est pas prépondérant si l’on ne dispose pas d’autres éléments qui le confirment, tels que : comptes bancaires, affiliations à des associations locales, abonnements à des équipements d’utilité publique, retraits d’argent, etc.

La notion d’habitant du Royaume doit se comprendre telle que reconnue en doctrine et appréciée par les cours et tribunaux en Belgique (à

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Quel document doit être enregistré ? La personne concernée peut présenter au choix à l’enregistrement : des expéditions, des copies ou des extraits de l’acte notarié étranger. La possibilité d’enregistrer un extrait est notamment

intéressante lorsque l’acte étranger de donation contient une autre convention qui n’est pas soumise à l’obligation d’enregistrement. Il suffit dans ce cas de présenter à l’enregistrement un bref extrait, certifié par les intéressés, qui fait uniquement mention de la donation. Sur qui repose l’obligation d’enregistrement ? L’obligation repose de manière indivisible sur les parties contractantes, à savoir le(s) donateur(s) et le(s) donataire(s). Ils s’adressent pour cela à un Bureau Sécurité juridique (de l’Administration générale de la Documentation patrimoniale) de leur choix. Le notaire étranger n’est pas tenu à l’enregistrement (contrairement au notaire belge qui passe un acte de donation en son étude). Délai L’acte étranger de donation doit être enregistré dans les quatre

Circulaire 2021/C/27 relative à la loi spéciale du 3 décembre 2020 et la loi spéciale du 13 décembre 2020 en matière de droits d’enregistrement.

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mois de sa passation. Ce délai s’applique également lorsque la donation est faite sous condition suspensive. Dans ce cas, l’enregistrement ne donne lieu qu’à un droit fixe général, qui est actuellement de 50 euros. Dès que la condition se réalise, une déclaration doit être déposée à l’enregistrement, ce qui rend les droits de donation exigibles. Celui-ci est alors calculé au tarif en vigueur au moment de l’enregistrement de l’acte de donation. Le tarif est appliqué sur la base imposable (selon la nature

des biens et selon leur valeur) au moment de la réalisation de la condition suspensive. Région compétente Le Bureau Sécurité juridique dans lequel l’acte étranger de donation est présenté transmettra de sa propre initiative le document enregistré à la région compétente, à savoir la région dans laquelle le donateur a son domicile fiscal. Si le donateur a établi son domicile dans plusieurs régions au cours des cinq années qui précèdent

la donation, la région dans laquelle le donateur a eu son domicile fiscal le plus longtemps est compétente.

2. Alternatives à l’acte notarié étranger de donation L’obligation d’enregistrement a pour conséquence de soumettre la donation qui est reprise dans l’acte étranger aux droits de donation 2 .

2 Le tarif varie d’une région à l’autre et dépend ici du lien de parenté entre le donateur et le donataire et de la nature des biens mobiliers (société/entreprise familiale ou pas).

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16 Mais parce que bon sang ne saurait mentir, les conseillers fiscaux ont beaucoup réfléchi à des alternatives permettant de faire valablement donation de biens mobiliers sans l’intervention d’un notaire. C’est en effet la seule manière d’éviter l’imposition, à moins qu’il soit possible d’invoquer l’exonération réservée aux sociétés et entreprises familiales. Malgré la formulation légale explicite selon laquelle une donation est un contrat solennel passé devant notaire, la doctrine et la jurisprudence acceptent unanimement qu’une donation puisse se faire, dans certains cas, sans passer un acte notarié et sans accomplir les formalités y afférentes. Les dons manuels et les donations indirectes en sont des exemples types.

2.1. La donation indirecte Pour expliquer la différence entre une donation directe et une donation indirecte, il convient d’examiner d’abord ce qui caractérise la donation directe 3 . Il peut en être question lorsque les éléments suivants sont réunis : • la donation provoque un appauvrissement direct du donateur et un enrichissement corrélatif du donataire ; • il y a une intention de donner (« animus donandi ») ; • le donataire accepte la donation ; • toute l’opération se déroule du vivant du donateur ; • le bien qui disparaît du patrimoine du donateur et le bien que reçoit le donataire se correspondent totalement. Une donation directe requiert un acte notarié ou un don manuel. Dans le cas d’une donation notariée, la donation a lieu par la passation de l’acte. Le transfert effectif ou la

livraison effective du bien donné n’en est qu’un effet. Dans le cas d’un don manuel, la donation s’opère par le transfert du bien donné. Le transfert constitue donc ici un élément essentiel, sans lequel la donation ne peut valablement s’effectuer (cf. infra).

l’instrument neutre par lequel le donataire reçoit l’avantage.

La donation indirecte se différencie de la donation directe sur les points suivants : • l’acceptation ne doit pas nécessairement intervenir du vivant du donateur. Citons, par exemple, le versement d’une assurance vie après le décès du preneur d’assurance/de l’assuré ; • le bien qui disparaît du patrimoine du donateur et le bien que reçoit le donataire ne doivent pas être identiques ; • le donataire acquiert cet avantage (indirect) par le biais d’un instrument ou d’un véhicule neutre, comme une assurance vie ou un virement 4 .

2.1.1. Donation indirecte d’une créance/d’un prêt consenti à une société

Bien entendu, la donation indirecte doit également reposer sur une intention de donner. La donation bancaire est un exemple connu de donation indirecte. À première vue, on pourrait penser qu’un bien identique passe du donateur au donataire (une même somme d’argent). C’est n’est pourtant pas le cas. Du point de vue juridique, le donateur renonce à la créance qu’il a sur la banque dans laquelle il a un compte, à concurrence du montant qu’il souhaite donner (indirectement). Le donataire acquiert une créance correspondante sur la banque dans laquelle il est titulaire du compte bénéficiaire. La créance du donataire n’est pas la même que l’ancienne créance du donateur, le donateur et le donataire ayant chacun une propre relation contractuelle avec leur banque. L’ordre de transfert d’un compte à l’autre constitue

Appliquons à présent la possibilité d’une donation indirecte à des créances/prêts consentis à une société et à des actions nominatives.

Selon nous, il est possible de transférer par donation indirecte une créance sur une société ou un prêt qui lui a été consenti. Le créancier informe la société débitrice qu’elle ne doit plus lui rembourser le solde impayé, mais le rembourser à un tiers que le créancier désigne (le donataire). Le donataire acquiert donc une propre créance sur la société débitrice et la créance initiale du créancier disparaît. Pour que la qualification en donation indirecte tienne la route, le traitement comptable doit être cohérent. La créance/le prêt initial(e) doit être annulé(e) dans la comptabilité et une nouvelle créance doit être ouverte au nom du donataire. De nouveaux accords peuvent ensuite être passés entre la société débitrice et le nouveau créancier (donataire) concernant le remboursement (délai, intérêts, etc.). Juridiquement, cette méthode donne lieu à une stipulation au profit d’un tiers 5 .

2.1.2. Donation indirecte d’actions nominatives La question est de savoir si les actions nominatives peuvent faire l’objet d’une donation par la simple inscription dans le registre des actions. Cette pratique a été

3 H. CASMAN, A. VERBEKE, N. NIJBOER & B. VERDIKT, “Nieuw leven voor alternatieve schenkingstechnieken?”, Notariaat 2021, n° 4, 1-7. 4 Par neutre, il y a lieu d’entendre que l’instrument peut également être utilisé à des fins autres qu’une donation, telles que la couverture d’un crédit, le remboursement d’une dette… 5 Pour de plus amples explications et des fondements juridiques, nous vous renvoyons à l’article suivant : H. CASMAN, A. VERBEKE, N. NIJBOER & B. VERDIKT, “Nieuw leven voor alternatieve schenkingstechnieken?”, Notariaat 2021, n° 4, 1-7.

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17 régulièrement appliquée par le passé, mais la popularité de la kaasroute l’avait fait passer au second plan. La technique est très simple. Les actions sont rayées de la page du donateur dans le registre des actions pour être ensuite inscrites sur la page du donataire. Cette technique est-elle juridiquement valable ? Elle ne l’est pas selon nous. Mais dans ce contexte, la doctrine et la jurisprudence se partagent entre deux grandes tendances. La discussion remonte à la formulation ambiguë de l’ancien Code des sociétés, selon lequel « La cession des titres nominatifs s’opère par une déclaration de transfert inscrite dans le registre relatif à ces titres, datée et signée par le cédant et le cessionnaire ou par leurs fondés de pouvoir. » 6 Selon une première tendance (majoritaire), l’article visé ne règle que l’opposabilité et la technique n’est donc pas valable 7. Cette tendance défend la position selon laquelle des actions nominatives ne peuvent être valablement données qu’au moyen d’un acte notarié 8 . Le registre des actions est ensuite modifié en exécution de la donation notariée. Selon une deuxième tendance, l’inscription peut constituer en elle-même une donation (indirecte) et une donation notariée préalable n’est pas nécessaire 9 . Depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code des sociétés et des associations, le 1 er mai 2019, la disposition concernée a toutefois été modifiée. « Le transfert de titres s’opère selon les règles du droit commun.

Un transfert de titres nominatifs n’est opposable à la société et aux tiers que par une déclaration de transfert inscrite dans le registre relatif à ces titres, datée et signée par le cédant et le cessionnaire ou par leurs mandataires en cas de cession entre vifs, et par un membre de l’organe d’administration et les bénéficiaires ou par leurs mandataires en cas de transmission à cause de mort. […] »10 En vertu de la nouvelle disposition univoque du droit des sociétés, il s’impose de se référer au droit civil, et en particulier au droit en matière de donation, pour répondre à la question de savoir si et comment les actions nominatives peuvent faire l’objet d’une donation indirecte. Et une seule conclusion s’impose ici : la donation d’actions nominatives est une donation directe et ne peut pas constituer une donation indirecte, puisque le bien cédé est identique. Les actions reçues par le donataire sont les mêmes que les actions qui disparaissent du patrimoine du donateur. Il en résulte qu’une donation d’actions ne peut se faire valablement que par acte notarié ou par don manuel. Le nouveau Code des sociétés et des associations confirme donc clairement la tendance majoritaire.

2.2. Le don manuel Le don manuel est sans aucun doute la plus ancienne forme alternative de donation. Il peut se définir simplement comme la transmission de la chose donnée au donataire en vue de le favoriser.

Traditionnellement, un don manuel valable exige le respect de quatre conditions : • une remise matérielle doit intervenir ; • il y a une intention de donner ; • le donataire accepte la donation ; • le tout se déroule du vivant de donateur. Un don manuel s’effectue donc sans aucun écrit (même s’il est généralement conseillé d’établir un document de preuve, ne fût-ce que pour éviter des discussions familiales, car une donation ne se présume pas). La remise matérielle étant requise, un don manuel n’est possible que pour des biens qui peuvent être transmis physiquement (œuvres d’art, collections, voitures anciennes…), ou pour des biens meubles incorporels matérialisés par un titre, tels qu’actions au porteur abrogées ou billets de banque. La condition d’une remise matérielle a toutefois évolué et est plus largement interprétée par une partie de la jurisprudence et de la doctrine, dans la mesure où il suffit désormais de transmettre le contrôle de fait exercé sur un bien et non le bien lui-même. Citons à titre d’exemple la remise des clés et des documents de bord d’un véhicule ou encore la remise des clés ou du code d’un coffre-fort ou d’une cave à vin. Dans notre société, toutefois, les possibilités d’application du don manuel restent limitées. La réforme du droit des biens, qui entre en vigueur le 1 er septembre 2021, permettra peut-être de nouvelles applications de la donation bancaire. Les biens qui peuvent

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Ancien article 504 C. soc. en ce qui concerne la SA et anciens articles 249-250 C. soc. en ce qui concerne la SPRL. L. LEMMENS & M. DELBOO, “Onrechtstreekse schenking van aandelen: de derde weg”, TFR 2021, n° 597, 193-200. E. SPRUYT, “Naar meer rechtszekerheid bij overdracht van aandelen op naam: voorstellen van oplossing”, RW 2009-10, n° 37, 1546-1551. Quelques auteurs défendent une troisième tendance fondée sur un arrêt de la Cour d’appel d’Anvers du 12 juin 2019. Cette tendance rejoint la tendance majoritaire selon laquelle la simple inscription dans le registre des actions assure l’opposabilité à la société. Ils estiment toutefois, à l’instar de la Cour d’appel d’Anvers, qu’une donation directe peut également voir le jour par le seul consentement des parties. Dans ce raisonnement, il suffit que le donateur et le donataire soient d’accord de procéder à la donation. Un acte notarié ou un transfert matériel (don manuel) n’est pas requis. Cette position est fortement critiquée, de même que l’arrêt de la Cour d’appel d’Anvers. Nous partageons cette critique et nous n’entrerons donc pas dans les détails. Des considérations d’équité dans le dossier concret ont probablement contribué à la décision prise par la Cour d’appel d’Anvers. 10 Articles 5:61 et 7:73-7:74 CSA.

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être transmis par le biais d’un don manuel sont évoqués à l’article 2279 de l’ancien C. civ. Comme esquissé ci-avant, il s’agit des biens meubles corporels et des biens meubles incorporels qui sont incorporés à un titre. L’article 2279 de l’ancien C. civ. sera remplacé par les articles 3.24, j°, 3.18 et 3.28 du C. civ. Ces nouvelles dispositions s’appliquent explicitement à tous les biens meubles, ce qui signifie qu’elles régissent désormais aussi les biens incorporels qui

ne sont pas incorporés à un titre. Conformément aux nouvelles dispositions de loi, il y a présomption de titre lorsque le pouvoir de fait sur un bien est exercé de manière paisible, publique, non équivoque et continue. La possession étant couplée au pouvoir de fait sur le bien, la transmission ou la remise matérielle, en tant qu’exigence pour un don manuel, pourrait être étendue à l’octroi du pouvoir de fait sur le bien cédé. Si ce raisonnement peut être suivi, l’inscription dans le registre

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des actions au nom du donataire pourrait éventuellement constituer une donation juridiquement valable dans le cas des actions. Pas comme donation indirecte, mais comme don manuel et donc comme donation directe. Car par l’inscription dans le registre des actions, le donataire acquiert le pouvoir de fait sur les actions, ce qui constitue un don manuel. Nous insistons sur le fait que cette piste n’a pas encore été suffisamment clarifiée et qu’elle mérite des


19 recherches plus approfondies avant d’être mise en pratique.

2.3. Limites de la donation indirecte et du don manuel Selon nous, si l’avantage de procéder à une donation par une voie alternative est évident sur le plan fiscal (à moins de pouvoir bénéficier de l’exonération des droits de donation pour la donation de sociétés ou entreprises familiales), il convient néanmoins de bien peser le pour et le contre. D’importantes modalités peuvent être définies dans le cas d’une donation notariée, mais sont impossibles dans le cas d’une donation indirecte ou d’un don manuel. Nous pensons par exemple à la donation résiduelle ou donation avec « fidéi-commis de residuo ». Il s’agit d’un mécanisme permettant au donateur de disposer deux fois par donation du même patrimoine. La première donation sort immédiatement ses effets. Le patrimoine donné passe directement au donataire. La deuxième donation, en revanche, ne sort ses effets qu’au décès du premier donataire. Le donateur détermine ainsi à qui reviendra le patrimoine donné après le décès du premier donataire. Il est important que le premier donataire soit libre de dépenser le patrimoine donné, tout en sachant que les possibilités d’en disposer par donation ou par testament peuvent être limitées. Ce n’est que ce qui reste de la donation (le résidu) au moment du décès du premier donataire qui revient au second donataire. Le transfert du résidu du premier au second donataire est considéré fiscalement comme une donation du donateur initial au second donataire, et donc pas comme une transmission successorale du premier donataire au second donataire. Au moment du décès du premier donataire, le patrimoine donné échappe dès lors aux droits de succession, mais pas aux droits de donation. Et généralement, les droits de donation sont beaucoup moins élevés que les droits de

succession. De plus, toutes prétentions successorales de l’éventuel conjoint ou des éventuels enfants du premier donataire sont juridiquement exclues. Mais une telle donation résiduelle n’est possible ni par donation indirecte ni par don manuel. Il est souvent problématique aussi de prévoir une réserve d’usufruit. En ce qui concerne les dons manuels, une réserve d’usufruit est impossible, car ce ne serait pas conciliable avec l’exigence d’une remise matérielle. Il est en effet impossible de remettre matériellement un bien à un donataire, tout en se réservant simultanément le droit de continuer à en faire usage. C’est l’un ou c’est l’autre. Dans le cas d’une donation indirecte, une réserve d’usufruit est juridiquement possible, mais c’est déconseillé fiscalement et comporte à tout le moins des risques importants, au vu des dispositions de fiction qui existent concernant les droits de succession. Nous attirons spécifiquement l’attention sur la disposition de fiction concernant l’inscription scindée usufruit/nue-propriété. En vertu de cette disposition de fiction, les placements de trésorerie et les titres (par exemple les actions) qui sont immatriculés au nom du défunt pour l’usufruit et au nom d’un tiers pour la nue-propriété au moment du décès du de cujus sont présumés toujours faire partie du patrimoine du défunt pour la pleine propriété et revenir au tiers/nu-propriétaire au titre de legs. Ce tiers/nu-propriétaire est soumis à des droits de succession. Sont visées ici l’inscription dans un registre des actions, l’inscription de titres ou de fonds en compte, etc.

risque. En présence d’une inscription scindée au moment du décès, il y a présomption d’application, quel que soit le moment auquel cette inscription scindée a eu lieu. Nous attirons enfin l’attention sur une autre disposition de fiction plus connue. Le patrimoine qui a été transmis par le défunt dans les trois ans précédant son décès au moyen d’une donation non enregistrée est fictivement ajouté à sa succession, de sorte que des droits de succession sont encore dus. Cette période de risque s’applique tant aux dons manuels et aux donations indirectes qu’aux stipulations au profit d’un tiers. La période est portée à sept ans lorsque la donation non enregistrée concerne une société ou une entreprise familiale.

3. Conclusion La suppression de la kaasroute change immanquablement la donne dans la pratique belge de la planification successorale. La recherche d’alternatives est en marche. Le conseiller fiscal est obligé de changer sa façon de penser et devra plus souvent mettre en balance le coût fiscal, d’une part, et les objectifs de droit civil à atteindre, d’autre part. Thomas Storme Juriste

Thomas Verlinden Juriste

La preuve contraire de cette présomption peut être apportée en démontrant que le rapport usufruit/ nue-propriété ne résulte pas de l’inscription dans le registre des actions ou de l’inscription de titres ou de fonds en compte. Cela signifie en pratique qu’il faut pouvoir prouver qu’une donation préalable et directe (et donc notariée) a eu lieu. Cette disposition de fiction n’est en outre pas rattachée à une période de Magazine mensuel de l’ITAA | N° 6 | Août 2021


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