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Violence contre les forces d’intervention
from Blaulicht 3/2024
by IV Group
La spirale de la violence s’accélère, avec des conséquences imprévisibles
Les insultes, les menaces et la violence à l’encontre des forces d’intervention ont toujours existé mais leur fréquence et leur intensité augmentent d’année en année. La société hausse les épaules, les politiques détournent le regard, la justice caresse les agresseurs dans le sens du poil. Nous payons tous les conséquences de cette ignorance des réalités, et elles s’aggraveront au fil du temps.
Il y a cinq ans déjà, dans l’édition 4/2019, nous avons consacré beaucoup de temps à la question de la violence à l’encontre des forces d’intervention, en effectuant des recherches approfondies, en posant des questions aux principales parties prenantes, en rassemblant des chiffres fiables et en analysant les dix principaux faits relatifs au problème de l’augmentation de la violence à l’encontre des forces d’intervention.
Nous avons démontré que les beaux discours devaient cesser. Nous avons souligné le taux élevé de cas non déclarés. Nous avons nommé les principales causes. Nous avons montré dans quelles villes et quels cantons les problèmes sont les plus importants. Nous avons expliqué qui sont les auteurs de ces actes dans la plupart des cas. Nous avons montré comment les pays voisins agissaient, et avons demandé au Conseil fédéral, aux politiques et à la justice de se réveiller enfin et d’agir.
Aujourd’hui, cinq ans plus tard, le problème s’est encore aggravé.
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La violence et les menaces à l’encontre des fonctionnaires ne cessent d’augmenter, depuis des années !
Vous, chers lecteurs, le savez, et les décideurs et les politiques le savent également. Ceux qui ne l’ont pas encore remarqué et tous ceux qui, jusqu’à aujourd’hui, nient même l’existence du problème, peuvent toujours le lire dans la Statistique policière de la criminalité (SPC) publiée par l’Office fédéral de la statistique (OFS). C’est écrit noir sur blanc !
Alors qu’en 2009, il y a 15 ans, on comptait encore 7 490 délits de violence à l’encontre de membres de l’autorité publique, on en comptait 13 410 l’année dernière (2023). Cela correspond à une augmentation de près de 80 pour cent ! Rien qu’entre notre premier rapport sur le sujet et aujourd’hui, le nombre de cas a augmenté de plus de 25 pour cent. La tendance ? Une augmentation constante.
Entre 2009 et 2023, le nombre de cas de violence et de menaces contre des fonctionnaires est passé de 2 350 à 3 055 par an. Une augmentation peu glorieuse de 30 pour cent. Et 2023 n’est même pas une année record. Les niveaux les plus élevés jusqu’à présent, et donc le plus bas absolu en termes de valeurs humaines et de comportement respectable, ont été enregistrés au moment de la crise du coronavirus (2020 et 2021), avec respectivement 3 514 et 3 557 cas.
Les causes sont connues, les seuils d’inhibition diminuent
Les causes de l’agression verbale ou physique des forces d’intervention sont très diverses, du moins dans le contexte juridique. Mais les sources fondamentales du mal sont toujours les mêmes : la disparition des bons usages, l’égoïsme croissant et le manque de respect qui en découle, la consommation d’alcool ou de drogues, la force supposée du groupe (effet de groupe), les opinions et objectifs politiques radicaux (mot-clé : groupe d’extrême gauche en réseau), la haine et l’aversion, la déception et la frustration vis-à-vis de l’État et de sa politique (intérieure) et donc de la police qui, en tant qu’exécutrice des décisions politiques, devient alors un paratonnerre (plus facile d’accès que les politiciens qui ont pris ces décisions).
Ce qui est fatal ici : le seuil d’inhibition des délinquants diminue, tout comme leur âge ! De plus en plus souvent, ce ne sont plus seulement la voix, les mains ou les poings qui sont utilisés, mais des objets dangereux comme des pierres (ou pavés), des barres de fer, des chaises, des matraques et même des couteaux, voire des armes à feu. Tandis que les agresseurs étaient autrefois des hommes (les femmes sont encore minoritaires), les jeunes adultes et même les mineurs sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à provoquer et à frapper. Par exemple, tous les membres de la bande d’une vingtaine de personnes qui s’est déchaînée dans un bus à la gare de Stäfa (ZH) dans la nuit du 4 février 2024, avant d’agresser verbalement et à coups de pierres les policiers appelés sur place, avaient entre 15 et 17 ans.
Les émeutes de Pâques 2021 à Saint-Gall ont montré à quel point la violence contre les forces d’intervention peut être brutale. À l’époque, la colère et la frustration suscitées par les mesures de lutte contre le coronavirus s’étaient transformées en haine pure et simple exprimée avec violence contre la police, contrainte de faire appliquer les règles de lutte contre le coronavirus, souvent impopulaires. L’ampleur des attaques contre la police à l’époque dépassait tout ce que la Suisse avait connu jusqu’alors.
Depuis lors, des actes de violence comparables ont été déplorés à plusieurs reprises et à des intervalles de plus en plus rapprochés. Il convient de rappeler ici, à titre d’exemple, les excès de violence lors de la « manifestation révolutionnaire pour le climat » de février 2023 à Bâle ainsi que les attaques de casseurs d’extrême gauche dans le cadre de la « manifestation contre la pénurie de logements » d’avril 2023 à Zurich.
Le goût pour le métier de policier est en chute libre
Les conséquences pour les forces de police concernées sont lourdes, elles sont encore trop timidement dénoncées publiquement par les politiques, la justice ou les associations. Il est probable que ces messieurs à Berne et sur les bancs de la justice de notre pays ne savent pas ce qui se
passe dans la tête et dans l’âme d’une personne victime de haine et de violence impitoyable dans l’exercice quotidien de son métier. Qu’ils le sachent : une personne qui a déjà eu à craindre pour son intégrité physique, voire pour sa vie, et qui ne sait jamais si et quand elle subira à nouveau le même sort, est profondément marquée.
Les agressions violentes sont une expérience traumatisante. Elles laissent un sentiment d’insécurité, provoquent de la frustration et une agressivité personnelle. Elles ont en outre un impact négatif fort et durable sur la motivation. Il est logique que les victimes se demandent s’il ne serait pas préférable pour leur santé (et la sécurité financière à long terme de leur famille) de quitter leur emploi avant que quelque chose de grave, voire d’irréparable, ne se produise.
Pénurie de personnel et problèmes de relève en conséquence
Il n’est donc pas surprenant que les corps de police du pays entier se retrouvent à court de personnel et qu’il soit de plus en plus difficile de trouver une relève adéquate.
Certes, d’autres raisons expliquent la pénurie de personnel qualifié dans les corps de police suisses, notamment l’augmentation générale de la charge de travail due aux activités supplémentaires ordonnées par la Confédération et les cantons sans que les effectifs ne soient parallèlement augmentés. À cela s’ajoutent le travail posté, les interventions spéciales, les horaires de travail non réglementés et une rémunération plutôt inférieure à la moyenne.
Si l’on ajoute à ces problèmes le manque d’estime et de soutien de la part de l’employeur, les tribunaux qui statuent en faveur des délinquants, l’hostilité et le risque de subir des blessures physiques ou psychiques dans le cadre du service, il est normal de se demander si l’argent nécessaire pour vivre ne pourrait pas être gagné dans un autre métier, avec moins de stress et un équilibre entre vie professionnelle et vie privée nettement meilleur.
Pour savoir si cette thèse est fondée, il suffit de regarder où le manque de personnel qualifié dans les corps de police est le plus important et dans quelles villes ou quels cantons le nombre de cas de violence et de menaces à l’encontre des fonctionnaires est remarquablement élevé depuis des années. Le meilleur exemple est le canton de Bâle-Ville. Depuis des années, la ville rencontre le plus grand problème de violence envers les policiers de tout le pays et les politiques ne doivent pas s’étonner si c’est justement à Bâle-Ville que le manque de personnel qualifié est le plus important.
La situation est similaire à Lucerne, où le nombre de cas est également élevé depuis des années. Bien que le « couperet de l’âge » y ait déjà été revu à la hausse, l’intérêt pour le métier de policier ne cesse de diminuer. À Berne, à Zurich, à Saint-Gall et dans d’autres métropoles, la problématique est également omniprésente.
Baisse du sentiment de sécurité au sein de la population
Le manque provoqué de personnel qualifié se répercute inévitablement sur la qualité et la présence de la police dans l’espace public. Il y a deux ans, Lucerne a temporairement fermé 22 postes de police en été, en raison du trop grand nombre de réunions et d’événements, en partie hors du canton, qu’il fallait gérer. En août 2023, tous les postes du canton ont même été fermés pendant trois jours en raison de matchs de football du FC Lucerne.
Ailleurs en Suisse, la présence policière diminue également. Des postes de garde sont fermés, fusionnés ou leurs horaires d’ouverture réduits. Les patrouilles sont réduites au minimum et de nombreux corps de police délèguent des activités à bas seuil à des entreprises de sécurité privées, car ils ne peuvent plus les assumer eux-mêmes.
La population en prend note avec mécontentement, mais ne peut généralement rien faire d’autre que de faire part de ses inquiétudes et de serrer le poing dans sa poche.
Selon les sondages, le sentiment de sécurité des Suisses diminue parallèlement à la baisse de la présence policière dans la vie quotidienne. Certes, la plupart des Suisses se sentent encore globalement en sécurité. Mais pas autour des points chauds urbains comme les gares, les parcs ou les zones de festivités. En particulier, comme le montrent les enquêtes représentatives, lorsque la police doit négliger son travail de prévention éminemment important et ne fait pas preuve de la présence nécessaire.
En revanche, dans les zones rurales, où la police est en contact direct avec la population et jouit d’une meilleure réputation, le sentiment de sécurité est nettement meilleur et le nombre de cas de menaces, d’insultes, de grossièretés et même d’agressions physiques est nettement plus faible.
Les dommages sont estimés à 30 millions de francs par an !
Outre la souffrance personnelle des forces de police victimes d’actes de violence, l’impact négatif sur les effectifs et le recrutement de la relève, ainsi que la capacité des corps de police à faire face aux défis quotidiens parfois complexes d’aujourd’hui avec des effectifs de plus en plus réduits, la violence à l’encontre des AOSS (autorités et organisations chargées du sauvetage et de la sécurité) entraîne des dommages importants pour la société dans son ensemble. En 2019, l’Institut brandebourgeois pour la société et la sécurité (BIGS) a étudié les montants en jeu pour le compte d’Axon Public Safety Germany. Pour cette étude, l’accent a été mis uniquement sur la quantification monétaire des nombreuses conséquences de l’exercice de la violence, sans tenir compte de l’opportunité ou de la légitimité des actions violentes. Outre la perte de vies humaines, l’étude a pris en compte l’augmentation des coûts du personnel (absences, congés maladie, remplacements, restrictions temporaires ou permanentes, pertes de productivité), les coûts de guérison et les coûts éventuels des victimes pour les dommages permanents, ainsi que les coûts des enquêtes policières, de l’assistance juridique, de l’exécution de la loi et de la prévention.
Il a été constaté que : les cas enregistrés en Allemagne en 2018 ont généré des coûts d’environ 760 millions d’euros. Si l’on reporte le nombre de cas et les coûts avec la même proportionnalité pour la Suisse, la violence à l’encontre des fonctionnaires cause dans ce pays des dommages estimés à 30 millions de francs pour l’ensemble de la société, et ce chaque année.
La Confédération, les cantons et la justice « observent avec inquiétude ». Il serait temps d’agir !
Une chose est claire depuis des années : les choses ne peuvent pas continuer comme par le passé. Certes, on ne cesse de répéter que l’on « observe l’évolution avec inquiétude ». Mais les actions sont insuffisantes.
Il est temps de développer et de mettre en place des instruments efficaces et proportionnés pour maîtriser la situation.
Les conditions générales du métier de policier (rémunération, charge de travail, équilibre entre vie professionnelle et vie familiale, etc.) doivent être améliorées. Sinon, de plus en plus de professionnels qualifiés partiront vers le secteur privé.
Les effectifs des corps de police doivent être augmentés. Si l’on doit exercer toujours plus d’activités, il faut aussi disposer du personnel nécessaire.
L’image de la police auprès du public doit être renforcée. Cela implique également que les maisons de presse qui négligent leur devoir de diligence journalistique (voir encadré) soient obligées de publier des rectifications, et ce de manière bien visible.
L’État et la justice doivent se montrer fermes à l’égard des auteurs de violences. En cas de menaces ou de violences à l’encontre des forces d’intervention, les jugements doivent être rendus rapidement et être sévères afin d’avoir le meilleur effet dissuasif possible. Les peines doivent être appliquées de manière optimale.
Le travail des forces d’intervention doit être mieux apprécié. Elles ont également besoin d’un soutien adéquat et de l’appui des responsables.