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Le Pérou à la dérive
L’espoir d’un renouveau au Pérou martyrisé par des années de dictature et de pouvoirs autoritaires allait-il poindre avec l’installation de Pedro Castillo à la présidence de la République, le 28 juillet 2021 ? Un syndicaliste, fils d’une famille pauvre, instituteur, combattu par la droite et les puissances économiques du pays, victime de campagnes racistes arrivant au pouvoir à Lima ? De quoi s’étrangler du côté des riches et… de Washington.
Pedro Castillo aura tenu 16 mois avant que sa vice-présidente, la traitresse Dina Boluarte, le fasse emprisonner pour mieux le remplacer et déclenche une répression féroce contre les manifestants réclamant son départ et la libération du président élu.
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Depuis le premier jour de sa prise de fonction, Pedro Castillo a été empêché de gouverner. Pour le déstabiliser, les députés de la droite fujimoriste étaient à la manœuvre. Pas seulement. Les forces de gauche qui l’avaient accompagnées pendant la campagne électorale ont rivalisé dans l’art de la division, les oppositions personnelles faisant le reste. Pedro Castillo a cru qu’en passant des compromis, en lâchant amis et excellents collaborateurs (70 ministres remplacés en 16 mois), il pourrait s’en sortir. Isolé, la manœuvre de destitution de Pedro Castillo pouvait s’enclencher au Congrès. Sa famille a pu être accueillie au Mexique et lui croupit toujours en prison.
Loin d’être conjoncturelle, la crise est révélatrice de profonds dysfonctionnements de la société péruvienne. La quasi-totalité des présidents péruviens, ces trente dernières années, ont été mis en examen, emprisonnés ou ont pris la fuite, le social-démocrate Alan Garcia préférant se suicider. Une société inégalitaire, raciste, violente. Un divorce toujours renforcé entre une « élite » sociale et politique, riche et blanche, et une majorité autochtone et afro-descendante entraînant une instabilité institutionnelle structurelle.
Israël : Le gouvernement de tous les dangers
Par Dominique Vidal, journaliste et historien, auteur de Israël : naissance d’un État (Bibliothèque de l’Iremmo)
L’ancien Premier ministre Ehoud Barak l’a qualifié de « fasciste » : le nouveau gouvernement n’a en tout cas pas de précédent dans l’histoire de l’État d’Israël.
Jamais ce dernier, depuis sa création en 1948, n’avait été dirigé par une coalition aussi extrémiste.
Dirigée à nouveau par Benyamin Netanyahou, elle s’appuie sur une majorité à la Knesset (64 sièges sur 120) et comprend :
- un parti de droite populiste très radicalisé, le Likoud (32 députés) ;
- deux partis religieux ultra-orthodoxes, le Judaïsme unifié de la Tora ashkénaze et le Shas séfarade (18 députés) ;
- et trois partis suprémacistes juifs, racistes et homophobes (14 députés), la Force juive d’Itamar Ben Gvir, le Parti sioniste religieux de Bezalel Smotrich et Noam d’Avi Maoz.
Ces trois derniers ont obtenu des ministères-clés, notamment la Sécurité nationale pour Ben Gvir, les Finances mais aussi la Cisjordanie pour Smotrich, et l’Identité juive nationale pour Maoz.
Quant aux « hommes en noir », ils trustent des portefeuilles importants et rémunérateurs comme l’Intérieur, la Santé, la Construction et le Logement, le Travail et les Affaires sociales, Jérusalem et la Tradition juive…
Bref, l’extrême droite laïque comme religieuse constitue désormais un État dans l’État, plébiscitée par les colons. Que Benyamin Netanyahou ait livré Israël à cette mafia ne surprendra pas ceux qui le savent : il a été élevé dans le sérail révisionniste, cette aile du mouvement sioniste que dirigeait Zeev Jabotinsky avec notamment le soutien politique et matériel de Benito Mussolini…
En Israël comme presque partout où les populistes ont percé, voire triomphé, ils le doivent d’abord à l’absence d’alternative de gauche. « L’électorat préfère l’original à la copie. », dit-on : au lieu du « gouvernement du changement » annoncé, Naftali Bennett, puis Yaïr Lapid ont notamment battu tous les records d’assassinats de Palestiniens depuis 20051, interdit pour « terrorisme » sept ONG de défense des droits humains et décidé de déporter des milliers d’habitants de Masafer Yatta au sud d’Hébron…
La gauche juive a d’ailleurs payé cher la caution qu’elle apporté à cette politique : il ne lui reste que 4 députés (travaillistes), le Meretz ayant disparu de l’Assemblée.
Quant aux partis arabes, leurs divisions leur ont fait perdre les deux tiers des 15 sièges obtenus en 2019… Le discrédit et la désunion de ces forces a accentué la radicalisation à droite de l’électorat populaire sensible depuis l’assassinat d’Itzhak Rabin. Autre facteur de poids : la peur et le racisme2 suscités par le Printemps palestinien de 2021 – moins la guerre de missiles avec le Hamas que la révolte de la jeunesse arabe à Jérusalem et surtout dans les villes dites « mixtes ».
L’avenir s’annonce sombre. Car, malgré l’opposition qui se manifeste, ce nouveau gouvernement constitue un quadruple et grave danger :
- Pour les Palestiniens, car il entend accélérer la colonisation de la Cisjordanie avec l’objectif avoué d’annexer toute la Cisjordanie, dont certains rêvent même de « transférer » la population palestinienne. Les plus extrémistes suggèrent de démanteler l’Autorité palestinienne. En outre, comme le prouve la visite provocatrice de Ben Gvir sur l’Esplanade des Mosquées, c’est le statu quo de 1967 que la coalition entend abroger. Quel meilleur symbole de cette escalade que l’interdiction du drapeau palestinien !
- Pour les Israéliens, car la nouvelle coalition prépare la marginalisation du dernier garde-fou de la démocratie – la Cour suprême. S’y ajoute une surenchère de propositions d’atteintes aux libertés : Ben Gvir et Smotrich prônent l’interdiction des partis arabes israéliens et le retrait de la citoyenneté aux Israéliens « déloyaux » - et de citer deux députés communistes, l’Arabe Ayman Odeh mais aussi le Juif Ofer Cassif.
- Pour les uns et les autres, le nouveau gouvernement représente un autre péril : l’instauration d’une véritable théocratie, à rebours de l’aspirations des deux tiers des Israéliens3 à une certaine forme de laïcité. Les partis religieux comme suprémacistes entendent renforcer le monopole du judaïsme orthodoxe contre les judaïsmes réformé et conservateur, appliquer strictement le shabbat, rejeter le mariage et le divorce civils, refuser que les écoles religieuses respectent un cursus commun avec les écoles publiques, maintenir l’exemption du service militaire de leurs étudiants, etc. Ils veulent même restreindre la loi du retour des juifs, quitte à réduire l’immigration juive.
- Enfin pour la région et le monde, ces aventuriers menacent de provoquer non seulement une Troisième Intifada, mais un conflit généralisé que pourrait déclencher l’opération militaire qu’ils annoncent contre l’Iran…
C’est dire que l’arrivée au pouvoir de ce gouvernement ne concerne pas que les Israéliens et les Palestiniens : la communauté internationale doit se réveiller. Certes, à l’ONU, seuls quelques rares États défendent encore la politique israélienne. Mais l’heure n’est plus aux belles résolutions et aux discours ronflants. L’impunité alimente l’escalade prévisible. De véritables sanctions pourraient, seules, la bloquer. La France doit en prendre l’initiative.
1. 319 Palestiniens ont été tués en 2021 et 230 en 2022.
2. Lire Nitzan Perelman, « Discours anti-arabe et hypocrisie de la coexistence », Confluences Méditerranée 2021/4, n° 119, « Israël : contradictions d’une société coloniale ».
3. Dominique Vidal, « Une aspiration croissante à la réalité », Confluences Méditerranée, op. cit