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Nouvelle tactique patronale

par Georges Séguy

Je pense que le patronat, et même l’État-patron, ont également essayé, de leur côté, de tirer les enseignements de Mai 68, et se sont efforcés de prendre des mesures pour prévenir, à l’avenir, des phénomènes de ce genre, des explosions de ce type. Du côté du gouvernement et du ministère de l’Intérieur, on a adapté un peu mieux les forces de police à l’aptitude au combat de rue, à cause des manifestations qui ont eu lieu, à savoir non seulement les affrontements avec les étudiants, mais aussi les grandes manifestations de rue. Quand on a 900 000 personnes dans la rue, comme c’était le cas le 13 mai, ou 700 000 comme le 29 mai, ça pose des problèmes auxquels il faut s’adapter.

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Donc, on crée des forces spéciales de police pour faire face à des situations

Marx et Coca Cola

Par-delà la contestation de la société émise notamment par les étudiants, le mouvement reflète de nouvelles aspirations de la jeunesse, y compris dans le monde du travail. La contestation vise notamment la censure qui existe à la télévision et sur la radio nationale, d’où l’émergence des radios privées, notamment les périphériques qui, à l’époque ne peuvent émettre depuis la France et émettent donc depuis le Luxembourg, Monaco et la Sarre. Les travailleurs de l’ORTF mènent en 1968 une lutte déterminée mais qui ne réussira pas à ébranler complètement la mainmise du pouvoir de l’époque sur les principaux moyens d’information. Le philosophe et jésuite Michel de Certeau écrira « En mai dernier, on a pris la parole comme on a pris la Bastille en 1789 (…) La place forte qui a été occupée, c’est un savoir détenu par les dispensateurs de la culture et destiné à maintenir l’intégration ou l’enfermement des travailleurs, de ce genre. Mais il faut aussi évoquer ce qu’il s’est passé dans les entreprises, où venait d’être conquis, après Mai 68, le droit du fonctionnement légal du syndicat et la reconnaissance légale de la section syndicale d’entreprise. On connaissait déjà les polices intérieures (…), comme c’était le cas chez Simca (…), où le patronat utilisait des nervis organisés pour le compte des besoins de la direction en matière de répression, y compris par l’intimidation violente et physique.

Tout cela a quand même reculé. Mais à ces méthodes de répression et de police intérieure s’est substitué le système de la fiche individuelle cataloguant la plupart de ceux qui étaient suspects d’activités syndicales, et essayant de convaincre les cadres et la maîtrise de les tenir en respect, et en suspicion, pour éviter que leur aptitude de meneur ne puisse aboutir à des résultats aux conséquences regrettables ou négatives pour la direction de l’entreprise. étudiants et ouvriers dans un système qui leur fixe un fonctionnement. » Le mouvement de mai-juin 68 a libéré la parole et fait sauter bien des digues. Des films, dont ceux du groupe Medvedkine montreront ces prises de paroles sur les lieux de culture, souvent occupés, comme le théâtre de l’Odéon, ou dans les usines. Dans les entreprises on conteste aussi la forme du travail et son sens, et non plus seulement les conditions de sa réalisation. On réfléchit à de nouvelles formes de consommation et de rapport à la culture et à la nature. Comme le note Jean-Pierre Burdin, qui fut responsable de la commission culture de la CGT : « L’industrie est reconnue comme lieu de culture, non seulement technique et sociologique, mais de construction sociale à libérer. »

Georges Séguy, Ce que la vie m’a appris, co-édition L’Atelier-IHS-CGT, 2017.

Les contradictions restent fortes à l’image de cette formule prémonitoire de 1966 de Jean-Luc Godard : « Nous sommes les enfants de Marx et de Coca-Cola, comprenne qui voudra. »

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