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Les peuples en mouvement
Les évènements de mai-juin surviennent dans un monde en évolution. Celui de 1968 est marqué par la politique dite des “blocs”, l’Ouest, dominé par les États-Unis et l’Europe occidentale, l’Est, qui regroupe l’Union soviétique et les États socialistes d’Europe centrale et orientale et d’Asie. A cela s’ajoute Cuba depuis 1959. Un certain nombre de pays du Tiers-Monde se sont organisés dans le Mouvement des non alignés, dont la préfiguration a été la conférence de Bandung (Indonésie) en 1955. (Dix ans plus tard en 1965 un coup d’État perpétré avec l’aide de la CIA se débarrasse du neutraliste Soe- brayages depuis le 1er mars dans les ateliers de l’usine Renault Billancourt.
24 avril : 15 000 métallurgistes observent une grève de 24 heures à l’appel de la CGT.
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Fin avril : début de la grève perlée chez Sud-Aviation (Cannes-La Bocca)(7) la contestation, qui culminera le 22 mars avec l’occupation par 150 étudiants de la Tour centrale administrative. Les étudiants demandent également la libération d’un militant du Comité Vietnam national arrêté lors d’une manifestation. D’autres facs avaient, les années précédentes, initié le mouvement comme à Strasbourg où les revendications portaient sur la fin des examens et l’établissement d’un contrôle continu. karno et massacre un demi-million de communistes ou supposés tel). De nombreux pays, notamment en Afrique, restent sous le joug colonialiste. Les racistes maintiennent leur État totalitaire en Afrique du Sud, Rhodésie, Namibie. Le fascisme est au pouvoir en Espagne, au Portugal et en Grèce. Partout, les peuples s’éveillent. Au Vietnam l’offensive du Têt bouscule l’agenda US et fait prendre conscience à des millions d’Américains qu’il faut cesser cette guerre. Le mouvement étudiant pour la paix gagne en influence. L e pouvoir fait donner à de multiples reprises la garde nationale qui n’hésite
A cela s’ajoute le développement de la solidarité avec le peuple vietnamien et les mouvements étudiants de par le monde.
L’étincelle de 1968 est venue de Nanterre, mais le tonneau de poudre avait bien été entassé depuis des années.
Double assassinat aux États-Unis
Dans ce monde qui sentait la poudre (guerre du Vietnam, peuples maintenus sous dominations coloniales) mai-juin
68 a aussi été une parenthèse de liberté (les travailleurs de Berliet, à Vénissieux, avaient rebaptisé leur usine par un ana- gramme : Liberté). Les luttes soudent les travailleurs et la population et c’est le meilleur moyen d’intégration sur la base de l’émancipation humaine et du triptyque Liberté Égalité Fraternité. (1) pas à tirer sur les campus. Au Mexique la grande insurrection étudiante se solde par un massacre épouvantable. En Allemagne, c’est la tentative d’assassinat par un militant d’extrême-droite du leader étudiant Rudi Dutschke qui met le feu aux poudres. Des mouvements étudiants ont également lieu dans les pays socialistes, notamment en Pologne et en Hongrie. En Tchécoslovaquie, c’est le Printemps de Prague où Alexander D ubcek et les communistes essaient de concilier émancipation sociale et démocratie.
Partout la conscience qu’il faut faire bouger ce monde ankylosé progresse.
D’autres peuples, d’autres nations se sont également mis en mouvement cette année-là.
Cependant la poudre a parlé plusieurs fois. Les États-Unis d’Amérique ont connu alors deux assassinats politiques spectaculaires. En avril, Martin Luther King Jr, auteur du célèbre discours J’ai fait un rêve, en 1963, au cours de la gigantesque manifestation pour l’emploi et la liberté (contre la ségrégation raciale), Prix Nobel de la Paix en 1964, est assassiné à Memphis. Depuis 1964, King s’était engagé dans la lutte contre la guerre du Vietnam et dans le soutien aux plus pauvres, qu’ils soient Noirs, Latinos ou Blancs pour la justice sociale. La presse nationale commençait à écrire qu’il préparait une insurrection. Il avait également commencé à dialoguer avec les Black Panthers. Son assassinat déclencha une vague d’émeutes, durement réprimées : la police et la garde nationale tuèrent 46 personnes. (2) (3)
Le deuxième meurtre fut en juin celui de Robert Kennedy, le frère du président John Kennedy, assassiné luimême en 1963 à Dallas. Robert
Kennedy qui avait été le ministre de la Justice sous la présidence de John était plus à gauche que son frère et a notamment lutté avec force contre la ségrégation raciale. Il est assassiné le soir même de sa victoire à la primaire de Californie qui lui ouvrait le chemin de la Maison-Blanche. D’après certains témoignages l’extrême-droite anticastriste n’aurait pas été étrangère à cet assassinat, bien que Bobby ait été l’un des organisateurs du débarquement raté de la Baie des cochons en 1961.
Les ouvriers s’invitent dans le mouvement
Après la marée humaine qui a envahit les rues le 13 mai 1968 (900 000 manifestants à Paris), criant « Dix ans ça
Paroles
suffit », en référence au pouvoir gaulliste, le mouvement s’amplifie. Comme une trainée de poudre les entreprises, dans tous les secteurs industriels et commerciaux se mettent en grève, le plus souvent avec occupation des lieux de travail. La société s’auto-organise. Les grévistes sont ravitaillés par des collectes populaires. Tout s’arrête, plus de train, ni métro, ni bus, plus de production industrielle. Et tout cela entraine une effervescence politique et culturelle. On débat dans les entreprises. Des troupes de théâtres, des comédiens, des chanteurs viennent dans les usines occupées. Tout le monde mais tout sur la table. A partir du 13 mai, le relais est pris. La classe ouvrière s’empare de la contestation et la mène. On réclame, en plus des revendications sociales, un gouvernement populaire et d’union démocratique.
C’est la force de la classe ouvrière qui oblige le pouvoir gaulliste à ouvrir les négociations qui déboucheront sur le constat de Grenelle. (Constat et non accords parce que la CGT remet aux assemblées générales le soin de décider de la suite des évènements).
Deux réflexions de Jacques Duclos et Benoît Frachon, extraites du film collectif Réflexions sur mai (réalisé en 1969). Ciné Archives
Jacques Duclos
« En 1968, on peut dire qu'il y avait d'une part un grand mécontentement dans la classe ouvrière. Il y avait des aspirations à un changement politique.
Mais on peut dire aussi qu'avant tout le mouvement de grève qui s'est produit et qui a été énorme puisqu'il a entraîné, on a dit, plus de neuf millions de travailleurs, ce mouvement de grève était avant tout revendicatif. En 1936, le processus de déclenchement des grèves avait été dif- féremment engagé après la victoire du Front populaire. C'est lorsqu'une majorité politique nouvelle fut sortie des urnes en 1936 que les mouvements de grève se débloquèrent partout.
Par conséquent ici il y avait une issue politique, l'issue politique avait en quelque sorte précédé les mouvements de grève tandis que l'issue politique était à chercher dans le mouvement de grève de 1968. Et là c'est une différence extrêmement importante. »
Benoît Frachon
« Ce n'est pas du réformisme (…) que de lutter pour les revendications. Au contraire, Marx a bien précisé que la classe ouvrière, si elle reculait de son combat quotidien pour la défense de ses revendications, elle ne serait jamais apte à faire la révolution. C'est justement dans ces luttes partielles, diverses, y compris notamment pour les revendications qui concernent les syndicats, que nous créons les conditions pour la révolution. »