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2. Une réponse au mal logement
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Une réponse au « mal logement »
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Un moyen plus facile d’accéder au logement
L’habitat participatif trouve ses origines en France au XIXe siècle. Il s’est fortement développé durant cette période. C’est en 1971 qu’il connaîtra un arrêt brutal suite à la loi Chalandon 22 . Celle-ci invoque pour motif, la protection des coopérateurs suite à l’échec de plusieurs coopératives pour cause de mauvaise gestion. Suite à cet arrêt brutal, l’habitat participatif connaît une lente renaissance, avec une augmentation du nombre de projet au milieu des années 2000 23 . Pratique marginale, il est une alternative d’accès au logement classique. Son évolution reste douce; principalement en région parisienne. L’exposition « Habiter plus, habiter mieux » au pavillon de l’Arsenal 24 met en avant l’évolution du logement vers ces pratiques. « Les futurs voisins et colocataires aspirent à de nouveaux espaces collectifs et liens avec leur quartier et la ville. Ainsi, ils interrogent ensemble tant les notions d’accession, d’habitat, d’usages partagés, que l’architecture même de l’immeuble ».
La mise en place de l’habitat participatif s’effectue majoritairement par des professionnels (promoteurs, bailleurs sociaux). Dans le meilleur cas, le soutien des communes peut porter l’acquisition du foncier et/ou l’accompagnement dans le montage de l’opération, mais va rarement jusqu’à la promotion de l’habitat participatif par la ville elle-même.
En France, l’habitat participatif se manifeste sous 2 formes 25 . Il peut prendre la forme d’une coopérative d’habitants qui vise à devenir collectivement propriétaire. Celle-ci remet en question l’accessibilité économique et sociale des logements et sa finalité. Elle se dit être un outil de lutte contre l’exclusion et la spéculation financière. Étant très politisé, ce modèle s’adresse à une très faible partie de la population, et ne peut donc répondre à ses objectifs. D’autre part, l’habitat participatif peut s’apparenter à l’auto-promotion. Un groupe assume le rôle de maître d’ouvrage pour un groupe de logements qu’il programme, finance, gère et habite. Ce modèle s’apparente à l’habitat groupé
22 Loi adoptée sous le gouvernement de Jacques Chirac. 23 On en comptait 400 en cours, en 2015 contre 200 en 2012 (dont seulement 10 à 20% sont menés à terme). JOUANNAIS ÈVE, L’habitat participatif, pratique marginale ou modèle social ?, Archiscop.
24 «
Habiter plus, habiter mieux », exposition au Pavillon de l’Arsenal, avril 2018. Celle-ci expose différents projets de logements en région parisienne. Certains d’entre eux traite de l’économie du partage; cela engendre une architecture tout à fait nouvelle. 25 D’ORAZIO ANNE, « La nébuleuse de l’habitat participatif : radiographie d’une mobilisation », Métropolitiques, 16 janvier 2012. <http://www.metropolitiques.eu/La-nebuleuse-de-l-habitat.html>
autogéré. Il permet aux habitant d’être plus impliqués dans leur projet de logement et de devenir propriétaire selon leurs moyens 26 . Cela donne accès au logement à des familles qui dans un projet classique n’auraient pas les moyens. Il s’agit ici d’un modèle de copropriété plutôt que de coopérative. L’habitat participatif en France peut être généré par une logique top down et une logique bottom up. Ces deux formes sont prévues dans la loi ALUR 27 . Malgré cela, l’autopromotion en France semble être un projet dangereux comme Xavier Point peut en témoigner.
La Loi ALUR a permis qu’un tiers puisse intervenir pour d’autre dans les projets d’autopromotion; projet à risque. L’État pour aider les habitants à mis en place une garantie d’achèvement comme pour les promoteurs. Elle ne peut fonctionner car on ne peut se garantir soi-même; elle est faite pour protéger les futurs habitants de la défaillance du maître d’ouvrage or ici, ce sont les habitants le maître d’ouvrage. Comment protéger un groupe d’habitants de lui-même ? La loi ALUR a donc rendu obligatoire la garantie d’achèvement. L’autopromotion devient alors impossible puisqu’aucune structure ne fournit cette garantie.
8. Les habitants du projet CUB.
9. Chantier du projet Diwan.
10. Foyer Rue du Centenaire, une des 16 chambres avec lits fixes.
11. Bar du foyer rue du Centenaire.
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26 Art. L. 202-4. Les associés sont tenus de répondre aux appels de fonds nécessités par la construction de l’immeuble, en proportion de leurs droits dans le capital. Loi ALUR. 27 Art. L. 200-2. Sans préjudice des autres formes juridiques prévues par la loi, les sociétés d'habitat participatif peuvent se constituer sous la forme de coopératives d'habitants ou de sociétés d'attribution et d'autopromotion, définies aux chapitres Ier et II du présent titre. » Décret n° 2015-1725 du 21 décembre 2015 relatif aux sociétés d'habitat participatif. <https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?>
« On veut que les gens soient autonomes mais on ne veut pas qu’ils prennent de risques. La seule solution qui était viable c’était de vous laisser monter un projet en autopromotion et prendre des risques. Mais ça se serait retourné vers l’État qui aurait donné la possibilité de se suicider. On n’a pas réussi à dénouer ce noeud là, pour avoir des habitants en sécurité, bien encadrés. C’est la différence entre les pays, en France on est resté sur quelque chose de très dogmatique, on n’a pas réussi à trouver les outils qui permettent une liberté d’entreprise. Quelque chose pour le bien commun mais qui fonctionne pour les personnes qui y vivent, il y a un truc qui ne marche pas. Ca ne risque pas d’avancer très vite sauf pour les professionnels, les promoteurs ou les bailleurs sociaux. Au fond ce sont les professionnels qui tirent les marrons du feu de la loi ALUR et pas les habitants. »
Xavier Point
Le modèle suisse Kraftwerk est ancré dans un contexte politique et économique spécifique. Il est une réponse directe au mal logement 28 . Le remplacement de l’industrie par le secteur tertiaire laisse de nombreuses friches à la ville. Kraftwerk va s’installer sur ces friches industrielles sur le quartier de Sulzer Escher Wyss. Ce foncier, facile d’accès, va permettre l’extension du projet à grande échelle.
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12. L’emplacement du 5e arrondissement 13. Les quartiers est et ouest du 5e arrondissement
Kraftwerk a pour volonté d’agir localement dans une perspective planétaire.
28 Dès le début des années 80 et jusqu’en dans les années 90, Zürich fait face à une pénurie de logements. Des familles ouvrières, avec peu de moyens, se retrouve dans le besoin de trouver un logement. Une société paysanne s’est trouvée précipitée dans un mode de vie industrielle. La petite ville de Zurich marquée par l’esprit de Zwingli se transforme en région industrielle. Celle-ci est divisée en deux, avec un quartier marqué par les usines et un quartier d’habitations. Zurich s’est développée grâce à l’industrie. Les fabriques s’édifièrent de manière décentralisée, le long des rivières. Ce qui a permis à la Suisse de garder des paysages proche de la nature. BLUM, HOFER&P.M., Kraftwerk 1 construire une vie coopérative durable, édition du Linteau, 2014, p.11
Il veut réunir à nouveau travail et habitat et diminuer les transports. Les fondateurs de Kraftwerk 1 ont écrit un manifeste 29 ; bien plus qu’un habitat participatif, il est une manière de construire sa vie, un mode de pensée. Kraftwerk par son contexte économique, politique, son rapport à la ville a permis d’offrir un logement a des familles ouvrières avec peu de moyens.
L’habitat participatif est aujourd’hui majoritairement porté par des promoteurs et des bailleurs sociaux. La dimension participative est souvent effacée au cours du temps dans les projets menés par des promoteurs et reste très superficielle. Il existe aujourd’hui très peu de promoteurs coopératifs ayant un réel intérêt pour les projets des habitants. Les promoteurs coopératifs tentent d’articuler cet équilibre entre projet et sécurisation, financement de personnes qui n’ont pas les moyens, et mixité sociale. Le grand problème auquel est confronté l’habitat participatif est l’accès à du foncier raisonnable. La lutte contre les promoteurs semblent insurmontable.
« Les politiques n’arrivent pas à voir l’enjeux qu’on est en train de faire et on n’arrive pas à lutter contre le marché privé. » Xavier Point
Si l’accès au foncier n’évolue pas d’ici quelques années, cela pourrait causer la disparition de l’habitat participatif.
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14. Un Bolo dessiné par Hans Widmer.
Régulation des prix du marché
En 1980, l’industrie laisse place au secteur tertiaire dans la ville de Zurich. Les usines se vident et deviennent des terrains désaffectés. Une spéculation financière est mise en place afin de chasser les anciens habitants. Hardstrasser n’est plus une frontière entre habitat et travail mais devient un axe de circulation d’importance nationale. Le phénomène de gentrification apparait. Toutefois, la qualité de vie régresse à cause de la circulation croissante.
15. Escher Wyss, 1581.
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16. Escher Wyss, 1930.
Le financement du projet fut possible grâce à différents acteurs. Travailler en partenariat avec des institutions publiques, des entreprises, des particuliers et des fondations pour s’ouvrir sur la ville et enrichir la diversité de la vie au sein de Kraftwerk, telle était l’ambition du manifeste de 1993 30 . Le système de financement de la coopérative est le suivant. Chaque habitant doit payer des frais d’adhésion afin de devenir coopérateur et de pouvoir bénéficier d’un logement. Ils doivent ensuite fournir un capital qui varie selon la surface du logement. Enfin, chaque habitant doit payer un loyer par mois afin de rembourser ses intérêts et emprunts ainsi que les charges de l’immeuble. En 2015, il fallait compter environ 1500 FS de loyer pour un quatre pièce de 95m2. À Zurich, la même année, les prix pour un appartement de cette taille variaient entre 2000 et 4500 FS et la moyenne s’élevait à 2850 FS 31 . On peut donc constater un écart de prix très important entre Kraftwerk et le marché classique. Qui plus est, le loyer diminue au fur et à mesure des années.
Si l’on suit la philosophie de Kraftwerk, l’habitat participatif est bien plus qu’un mode d’habiter, c’est un mode de vie; des valeurs entrent en jeu. On pourrait se demander s’il est possible de transposer le modèle de Kraftwerk (coopérative d’habitants) ailleurs et si l’habitat participatif, en France comme en Suisse, peut s’étendre à l’échelle d’un quartier et à l’échelle de la ville ? Les contextes politiques et économiques suisses et français sont si différents qu’ils serait impossible de transposer le modèle suisse en France. Kraftwerk est en
30 POULLAIN ADRIEN, Choisir l’habitat partagé, l’aventure de Kraftwerk, éditions Parenthèses, 2018, p.75 31 Ibid, p.75.
quelque sorte un promoteur participatif. Les habitants ne participent pas à la conception de l’ouvrage. Leur visée est l’usage, le dispositif participatif se met en place au moment de l’emménagement.
« On est très loin de ce qu’on propose ici où les gens sont sollicités pour piloter des ateliers avec les architectes, réfléchir sur leur manière de vivre. On est sur quelque chose de très directif en Suisse. »
Xavier Point
Le modèle coopératif en France est tout autre. Très politisé, il s’oppose à la propriété privé. La difficulté est de mixer tous ces modèles différents, le but étant de les utiliser pour des besoins particuliers et de ne pas uniformiser leurs utilisations. La mise en place de ces différents modèles d’habitat dans les centres villes permettrait de lutter contre la spéculation immobilière, un des problèmes urbains les plus préoccupants. Les projets demandent un apport financier important afin de pouvoir se réaliser, toutefois, les économies dues à l’absence de promoteurs se répercutent sur le budget des opérations et donc, sur le montant des loyers. Par ailleurs, la non-indexation des loyers et le remboursement progressif de l’emprunt bancaire entraînent, eux aussi, une diminution des loyers au cours du temps 32 .
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« Que ce soit les municipalités ou les habitants, ils ont un modèles qu’ils veulent mettre à tel ou tel endroit et ça ne marche pas pour autant. Il faut prendre les choses dans l’autre sens. Il ne faut pas partir du modèle mais du lieu pour trouver le modèle. » X.Point
17. Les enfants de Diwan.