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4. Aménagement
À l’échelle de l’immeuble
La mixité est un enjeu très grand. Elle a du mal à se mettre en place au sein du projet. On peut donc se demander, quels sont les aménagements spatiaux qui permettent de développer ces mélanges sociaux et culturels. De nombreuses parties communes existent à Kraftwerk; le bar Pantoffel, la laverie collective, la salle commune et la cuisine collective, la chambre d’amis, l’épicerie, l’atelier de bricolage, la garderie pour enfants. Ces différents équipements rendent service à chacun des habitants et crée une solidarité au sein de l’immeuble. Le plan fonctionne tel une grande colocation. Chacun possède son espace privé composé d’une chambre, d’un bureau et d’une salle d’eau. Ces espaces sont reliés entre eux par des parties communes composées d’une cuisine, d’une salle à manger et d’un salon. Une porosité entre les espaces publics, privé et semi-privés crée la complexité du plan et favorise la rencontre, le dialogue.
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20. Kraftwerk 1; axonométrie éclatée du triplextype destiné aux colocations. Pour répondre aux évolutions de vie, il existe différentes typologies de logements qui peuvent correspondre à des familles, des personnes seules, des colocations, etc. Kraftwerk 1 n’a pas pu mettre en place des logements modulables comme le manifeste le souhaitait. C’est pourquoi, les habitants peuvent changer de logements au sein de l’immeuble si leur situation de vie change. Le roulement entre logements est une manière de partager et de s’emparer de l’espace. Ils ne figent pas les logements dans le temps. Cela permet une plus grande liberté et modularité dans le temps. Dans les versions suivantes, de nouvelles typologie de logements vont se mettre en place. Le Cluster est un ensemble d’unités composées d’une chambre ou deux et d’un sas d’entrée avec une cuisine et salle d’eau. Ces unités sont reliées entre elles par des espaces communs (salon, cuisine, salle à manger). Ainsi, l’isolement comme le partage sont rendus possibles.
Au Lavoir du Buisson Saint-Louis, plusieurs espaces prévus dès la phase de conception sont mis en commun : une salle collective, des terrasses, une laverie, des caves et parkings, des coursives, des escaliers, etc. Les appartements sont modulables dans le temps et permettent de se diviser en deux parties ; pour un logement étudiant si la famille s’agrandit, pour une location lors du départ d’un enfant.
« Bizarrement, ça ne sert à rien l’espace commun quand on a d’autres types d’espaces; des espaces un peu intermédiaires. Il n’y a pas besoin d’espace commun pour être un projet collectif. Les parties communes ne sont pas tellement classiques dans leur architecture, tout le monde se croise. Ce n’est pas un ascenseur avec un couloir. Tout le monde est assez proche, ça génère une attitude au quotidien. Ce qui était privatif et qui est devenu collectif c’est le jardin juste en bas, on l’a laissé très ouvert sur l’ensemble du collectif plutôt que de le séparer avec du mobilier entre chaque maison. On voulait cloisonner mais on s’est rendu compte que ce n’était pas une bonne idée. D’emblée, on a laissé cet espace ouvert pour que les enfants fassent du vélos, etc. C’est intéressant de voir comment les usages évoluent.
Le problème, c’est que souvent l’habitat participatif, on le résume à des clichés; la buanderie, la salle commune, et qu’au fond, c’est tout sauf ça, l’habitat participatif. C’est vraiment comment on appréhende des choses différentes dans un contexte différent; une autre façon de faire au quotidien plutôt que de répéter un modèle uniforme et recréer une sorte de systématisme, ça reste artificiel. » Xavier Point
21. Les différentes parties communes au sein de Kraftwerk.
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À l’échelle du territoire
Le projet de Zurich s’empare de différentes questions concernant l’aménagement du territoire. Avec l’arrivée du chemin de fer, le développement des transports (voiture, trains), la proximité entre l’habitat et le lieu de travail devient superflue 46 . Durant la deuxième partie du 20e siècle, la population à Zurich n’a cessé d’augmenter 47 . La ville connait une forte industrialisation qui entraine une expansion phénoménale. Tous les services sont alors transférés dans la périphérie, au-delà de la ceinture des quartiers ouvriers. Cet étalement urbain a provoqué une coupure entre l’habitat et le lieu de travail. Kraftwerk avait pour volonté de réunir à nouveau ces deux lieux de vie dans un seul et même endroit afin de supprimer l’utilisation de la voiture. Cette conception de l’espace, implique la conception d’unités de vie nommées UPA (Unités de vie, Production, Agriculture). Cela s’inspire du fonctionnement d’un Bolo 48 . Cette unité comprend 700 personnes, sa petite taille permet la mise en place de services communs. Les deux tiers des espaces seraient dédiés au logement et le tiers restant aux activités. Ces dernières prendraient place au rez-de-chaussée ou dans un bâtiment qui ferait écrans aux bruits de la rue . Les espaces de travail se trouvent 49 à proximité des logements; ils sont inclus dans le bâtiment ou un peu plus loin. Les UPA veulent tendre vers l’autosuffisance notamment sur le plan alimentaire.
Les bâtiments industriels sont reconvertis pour accueillir les commerces, restaurants, café, etc. Tandis que les UPA sont pensées comme des bâtiments neufs. Cette envie d’autonomie ne veut cependant pas dire tendre vers l’autarcie. Kraftwerk ne veut pas rompre son lien avec la ville. Elle veut employer des habitants ou des riverains pour faire fonctionner le système. L’unité de vie n’est pas seulement dédiée aux habitants. Elle souhaite s’ouvrir aux personnes extérieures que ce soit pour travailler ou utiliser les services collectifs. Le projet souhaite créer un centre de quartier qui accueillerait des entreprises appartenant à Kraftwerk, des coopératives fondées par des membres de l’UPA, des services collectifs destinés à la communauté et à la ville mais également des entreprises privées extérieures 50 .
46 BLUM, HOFER&P.M., Kraftwerk 1 construire une vie coopérative durable, édition du Linteau, 2014, p.19 47 En 1962 350 000 hab, 1980 420 000 hab.
48 «
Bolo’bolo » est un manifeste, publié par un des fondateurs de Kraftwerk en 1983.Il souhaite construire une vie coopérative et durable. C’est un manifeste anticapitaliste et anarchiste. Cet ouvrage posent les prémisses de Kratwerk. Il propose un nouveau modèle de société constitué de Bolos. Un Bolo est une communauté composé de 500 membres. Cette micro société est elle-même divisée en KANA. POULLAIN ADRIEN, Kratwerk, éditions Parenthèses, 2018, p.37 49 Ibid, p.52. 50 Ibid, p.56 Choisir l’habitat partagé, l’aventure de
Kraftwerk, souhaite s’ouvrir à la ville afin de ne pas se replier sur elle-même. Elle invite donc les riverains à s’emparer des différents bâtiments. Dans la réalité, cette porosité entre la ville et les UPAs s’est peu réalisée. Les entreprises restent à part dans le projet. Les habitants apprécient le nombre restreint d’habitants, les liens sont plus forts. C’est pourquoi, si l’on souhaite étendre le projet, il faudrait créer des entités plus petites afin de favoriser la proximité de voisinage tout en créant des liens entre les différentes entités. Pour le moment, les projets participatifs restent ponctuels dans la ville. L’un des enjeux seraient de penser un plan d’urbanisme qui intègre ce nouveau type d’habitat de sorte qu’il ne soit plus une intervention ponctuelle mais qu’il contribue à la fabrication de la ville. Si son échelle devient plus importante dans le futur, c’est toute l’organisation de la ville qui sera remise en question; la proximité avec le lieu de travail, les commerces, les axes de circulation, etc. La version suivante, Kraftwerk 4 va s’emparer de cette question en interdisant la possession d’une voiture privée aux locataires. Deux voitures collectives seront mises à disposition; le prix étant compris dans le loyer. En outre, la conception d’espaces de travail au sein des logements a été expérimenté. La complexité du logement et sa faible modularité, a provoqué l’échec de ce type de logement. Des espaces de travail indépendants, proches de l’habitat semblent être une solution plus envisageable.
Si l’habitat participatif tend à se développer dans nos sociétés futures, l’architecte a un rôle immense à y jouer. À cette heure-ci, où le rôle de l’architecte est mis au second plan par le projet de loi ELAN, la législation n’est pas du côté de l’habitat participatif. « La loi n’est pas un outil financier c’est un enjeu citoyen » 51 . La gentrification des quartiers va faire disparaître les classes populaires. La spéculation immobilière va homogénéiser les espaces en favorisant un type unique de commerces, de services et d’activités qui répondent à des besoins uniformes. En France, deux obstacles refrènent un peu ce phénomène : l’encadrement des loyers 52 et la création de logements sociaux en ville.
Les projets d’habitats participatifs répondent à des besoins qui évoluent dans le temps. Ils ne figent pas les usages. Ils sont bien plus adaptés aux nouveaux besoins que ceux du marché conventionnel.
51 DESSUS DENIS, Faisons du logement la grande cause permanente, mai 2018, Ordre des architectes. 52 L'encadrement des loyers consiste à limiter l'évolution du loyer d'un logement (constituant la résidence principale du locataire) lors de sa mise ou remise en location (nouveau locataire), ou lors du renouvellement du bail (même locataire). Cette réglementation concerne uniquement les communes situées en zone tendue. Parmi celles-ci, Paris et Lille font l'objet de règles spécifiques. <https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1314>