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s’ORieNTeR veRs La vOie

PROFessiONNeLLe : eNTRe vOcaTiON, cONTiNUiTé eT RUPTURe

S’orienter, c’est déterminer la « meilleure » voie scolaire ou professionnelle en fin de cycle, en fonction de ses aptitudes et ses motivations. Dans le processus de choix de leur future filière, les élèves ne se débrouillent pas seuls pour arbitrer entre plusieurs voies possibles et sont l’objet de diverses incitations ou prescriptions. L’orientation peut ainsi s’inscrire dans une logique « vocationnelle » ; se déployer dans la « continuité » d’un parcours scolaire difficile ; ou à l’inverse pour les plus « performant·es » scolairement, elle peut s’inscrire en « rupture » avec le parcours scolaire engagé, avec les projets parentaux ou ceux de l’institution scolaire.

« Moi faut savoir que j’ai choisi la cuisine pas par obligation, mais parce que je voulais le faire. Parce que je n’avais pas forcément de mauvaises notes à l’école, j’aurais pu aller en général, mais c’était pas du tout mon objectif. (…) Quand j’étais petit, j’aimais bien cuisiner avec mes sœurs, ma mère. Ma mère, elle faisait pas mal de cuisine française, de pot-au-feu, des plats régionaux, elle achetait des demicochons et on faisait de la charcuterie. J’ai toujours aimé cuisiner, passer des heures à cuisiner. (…) Et puis quand j’étais petit, je voulais être inventeur, on peut toujours inventer plein de choses, réinterpréter. Ça, j’aimais bien. Et la cuisine pour ça c’est pas mal ! »

MAXIME | MAF PÂTISSERIE

De nombreuses représentations négatives existent sur la voie professionnelle courte : espace de « relégation scolaire », accueillant majoritairement des élèves « en difficultés » d’apprentissage, peu attirés par les études, à la scolarité chaotique, « orientés » et socialement triés33. Les MAF, eux-mêmes, décrivent leur orientation en se référant à ces images de la voie professionnelle courte, qu’ils présentent, pour reprendre leurs expressions, comme « dévalorisée », « facile d’accès », « voie de garage », « filière poubelle », « fréquentée par des personnes qui ne savaient pas quoi faire d’autre » ou « qui n’ont pas la possibilité de faire de grandes études, d’aller en milieu général ».

Emprunts de ces images, certains MAF se considèrent comme partie prenante d’un modèle de jeunes « orientés », car leur niveau de formation, jugé insuffisant, ne les habilitait pas à se diriger vers la voie générale. Ou à l’inverse ils font état de la réprobation sociale, familiale, professorale à laquelle ils ont dû se confronter ou s’opposer, car on ne les trouvait justement « pas assez mauvais » ou « trop bons » pour s’y orienter. En ce sens, les stéréotypes qui marquent la voie professionnelle et les jeunes qui y transitent fonctionnent comme des prophéties auto-réalisatrices34 : les jeunes y sont, le plus souvent, poussés ou empêchés selon leur niveau scolaire à l’issue de la troisième.

Les MAF apparaissent pourtant a priori comme des contre-modèles, parce qu’ils « s’investissent » et « réussissent » dans leurs études, parfois au prix de re-

33 Sur ce point voir l’ouvrage Palheta U., 2012, La domination scolaire, Sociologie de l’enseignement professionnel et de son public, Paris, PUF.

34 Situation dans laquelle une prédiction ou un événement auquel on s’attend, souvent négatif, conduit à une modification des comportements en fonction de cette croyance, ce qui a pour conséquence de faire advenir la prophétie. En l’occurrence, l’image négative de la voie professionnelle limiterait dans les faits les orientations d’élèves de tous niveaux de formation dans cette voie (indépendamment de leur projet ou aspiration) et en conséquence, renforcerait ces phénomènes de relégation scolaire, en accueillant de façon quasi exclusive (ou très majoritaire) des publics en difficultés d’apprentissage. conversions (d’une filière générale, technologique, de l’enseignement supérieur vers la voie professionnelle), parfois en transposant des dispositions acquises dans l’enfance dans un choix de formation professionnelle adaptée, qui se présente sous la forme de l’évidence. L’orientation peut alors s’inscrire dans une logique vocationnelle qui conduit « naturellement » vers la voie professionnelle, de façon indépendante du niveau scolaire. Elle peut aussi se déployer dans la continuité d’un parcours scolaire jugé chaotique, de recommandations ou d’injonction des enseignant·es. Pour les plus « performant·es » scolairement, elle s’inscrit en « rupture » avec le parcours scolaire engagé, avec les projets parentaux ou ceux de l’institution scolaire.

POUR Des JeUNes QUi « Ne se vOYaieNT Pas FaiRe aUTRe cHOse »

Un premier type de parcours, d’orientation et de rapport à l’école se dessine. Il concerne des élèves qui inscrivent leur choix d’orientation dans une démarche de projet (professionnel et de vie), s’apparentant à une logique « vocationnelle ». Ce qui caractérise ces jeunes, c’est l’existence d’un projet affirmé et précoce, souvent en lien avec un goût décrit comme « naturel » pour une activité, apprise et pratiquée dès l’enfance, et souvent transmise dans un cadre familial (parents, grands-parents, ami de la famille…).

« J’ai toujours baigné dedans. En fait depuis tout p'tit je fabrique des cabanes, j’ai été scout pendant 4 ou 5 ans et justement j’ai toujours eu du bois entre les mains, donc c’est quelque chose que j’aimais faire. Je ne me voyais pas faire autre chose en fait. Et puis vu que j’étais plutôt bon dedans ben voilà. Disons que la question est venue assez naturellement en tout cas. Donc je pense que c’est une chance que j’ai, d’avoir su tout de suite ce que je voulais faire. »

CHRISTOPHE | MAF MENUISERIE

Les choix scolaires s’affirment alors comme relevant de l’évidence, car guidés par une passion née précocement : « depuis le début », « depuis tout petit », « naturellement je me suis tourné vers ça », « j’ai toujours baigné là-dedans », « c’est vraiment un choix par envie », « je ne me voyais pas faire autre chose ». Le choix de la voie professionnelle ou d’un métier manuel, qui « s’est sûrement fait inconsciemment », s’affirme avec certitude. Sa pertinence ou sa légitimité n’est jamais remise en question ni par le jeune ni par son entourage.

Quand les préférences s’affirment avec autant d’évidence et de force, il est rarement besoin d’engager un quelconque travail de persuasion ou de conviction auprès des référents (famille, école). Au final, ce qui est évident, normal, naturel pour le jeune l’est ou le devient pour ses proches. Cette conformité du projet scolaire au projet professionnel est, en outre, souvent facilitée par le fait d’avoir baigné, depuis la prime enfance, dans un univers familial, professionnel, ou d’avoir eu une pratique de loisir en lien direct avec l’orientation visée. Dans ce cas, le soutien et les encouragements parentaux s’expriment sans retenue.

« Mon père était carrossier peintre. Dès que j’ai eu 10 ans j’allais dans la carrosserie, parce qu’ils m’ont connu tout bébé les patrons qui étaient avec lui, ils étaient toujours à côté. J’adore les voitures, donc c’est venu comme ça, de fil en aiguille et puis du coup j’ai repris derrière. Je me voyais pas faire autre chose. Moi l’école, on va dire que j’étais pas très très bon non plus, tout ce qui est grandes études et tout ça j’aime pas, j’aimais bien sortir et puis être manuel, c’était le seul truc que je voulais. »

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