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Arêtes de poisson (les
joie : de L’ABBÉ PIERRE à GABY CAILLET et tant d’autres «passeurs d’hommes». C’est cette culture de l’alliance qu’enjambe l’arc-en-ciel de la Croix-Rousse, celle qui fait surmonter les crises et qui donne le viatique pour un nouveau départ dans la vie. Cette alliance ajoute l’accomplissement à l’enracinement.
Et puis l’arc-en-ciel figure une anse de panier dont la base est formée par le quartier. Un panier chargé de son histoire maraîchère avec aujourd’hui des fleurs qui poussent dans les mille jardins et parterres, créant une mosaïque de couleurs en écho à celles qu’il projette dans le ciel. Ce ciel est toujours un peu plus lumineux que dans le reste de la ville et c’est pourquoi cet arc-en-ciel s’y trouve tant à son aise. Et puis, il peut aussi dialoguer avec les petits arcs de quelques portes cochères qui sont un peu ses «petits cousins» terrestres. Ce ciel bleu de la Croix-Rousse prête à la rêverie pour inventer de nouveaux horizons et pour inspirer ceux qui triment sous son toit profond. Il a sans doute apporté son concours à de nombreuses idées nouvelles qui ont germé dans l’esprit de plusieurs croix-roussien(ne)s. Si le ciel nébuleux peut créer un arc-en-ciel, alors pourquoi une rêverie diurne ne donnerait-elle pas l’idée d’un motif chez Philippe de La Salle (1723-1804) ou le chemin des lumières cézanniennes chez GEORGES-ALBERT TRESCH ?
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Élever son regard, c’est forcément élever sa conscience et cette verticalité impressionne, mais motive également. C’est ainsi que l’arc-en-ciel qui coiffe la Croix-Rousse nous décoiffe autant!
LES ARÊTES DE POISSON
La colline de la Croix-Rousse est réputée pour sa lumière que l’on aime voir miroiter au printemps. Mais il faut également savoir prendre le chemin de ses ombres et de ses profondeurs voire, comme souvent en pareil cas, convoquer notre affectivité. En effet, un ouvrage tel que celui-ci s’intéresse moins à l’archéologie historique – des spécialistes s’en chargent avec perspicacité – qu’à l’archéologie psychologique.
Pour l’archéologie historique, les recherches et le débat se poursuivent avec méthode autant qu’avec passion sur ces galeries souterraines «en arêtes de poisson» d’une facture exceptionnelle et d’une architecture sans équivalent dans le monde. Pour les uns et grâce aux datations au carbone 14 des poutres de soutènement en bois, il s’agirait d’une construction antique réalisée entre le ive siècle av. J.-C. et le règne de l’empereur Claude (ier
siècle), avec une fonction liée à l’amphithéâtre-sanctuaire des Trois Gaules ou/et de stockage. Pour d’autres en revanche, ces galeries représentent un des dispositifs de défense associés à la citadelle royale construite en 1564 sur le plateau de la Croix-Rousse, sur l’ordre de Charles IX, à l’image de ce que l’on rencontre dans certaines villes (Limoges, Auxerre) ou villages du Sud-Ouest. Une dernière hypothèse interprète l’ouvrage comme ayant servi d’entrepôt temporaire, au XIIIe siècle, pour abriter le trésor des Templiers. Aucune de ces trois versions n’avance cependant de preuves décisives et la fonction précise de ces galeries reste une énigme.
C’est ici que l’archéologie psychologique des images entre en scène. Descendre par ses escaliers ou par un de ses 16 puits, c’est pénétrer en quelque sorte dans le subconscient du quartier. Arpenter ces 34 couloirs, c’est comme entrer dans un autre univers ou une autre dimension. La boue glissante qui recouvre le sol, telle la peau d’un animal amphibien fantastique, la posture courbée et les bruits étranges qui parcourent les galeries font apparaître des sentiments troublants. La peur le dispute à la curiosité, la vue cède les commandes à l’oreille. L’expérience de la profondeur obscure fait percevoir le risque de se perdre ou de se voir enseveli, comme englouti par ce «Jonas souterrain». Le désir de découvrir quelques mystères ou un grand secret affronte discrètement cette angoisse. La polyvalence des usages possibles fait écho à l’ambivalence des images d’une grotte paisible et d’un gouffre inquiétant. En avançant le long des 156 mètres de la galerie principale, on pense à la ruse de Dédale et à la magie du fil d’Ariane. C’est ce fil qui a poursuivi son déroulement dans d’autres boyaux plus contemporains avec les réseaux d’électricité et de fibres optiques.
Une expérience des profondeurs s’accompagne souvent du sentiment d’enracinement, comme si on était venu chercher là les origines obscures du quartier de la Croix-Rousse. Revenu à la lumière du jour, on s’aperçoit, avec un sourire intérieur, que c’est moins cette quête qui nous habite, que la satisfaction d’avoir réussi cette mise à l’épreuve de notre volonté de savoir avancer dans l’inconnu, en étant capable d’affronter nos propres peurs enfantines.