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Post-Brexit

Le Brexit a-t-il touché le fonds ? Place forte de la distribution de fonds en Europe, le Royaume-Uni s’est vu privé de son « passeport européen » avec le Brexit. S’il a exigé une adaptation des pratiques, cet événement ne devrait pas bouleverser la distribution des fonds en Europe.

Le 23 juin 2016, l’Europe, le monde, mais aussi une partie du Royaume-Uni tombaient dans une forme de sidération : les Britanniques, à travers un référendum remporté à 51,89 % par les pro-Brexit, venaient de sceller leur départ de l’Union européenne. Cet événement, qui semblait encore hautement improbable quelques semaines plus tôt, marquait le coup d’envoi d’une longue série de négociations visant à démêler l’écheveau de réglementations liant l’île et le continent. Signe de la complexité de l’opération, le départ du Royaume-Uni de l’Union ne fut officiel que le 31 janvier 2020, assorti d’une période transitoire supplémentaire de 11 mois. Mais alors que le Brexit est aujourd’hui totalement effectif, certains secteurs n’ont toujours pas fait l’objet d’un accord. C’est notamment le cas de l’industrie financière, un « gros morceau », considérant l’importance de la City au sein de l’écosystème financier global ainsi que le poids de cette industrie dans l’économie britannique (7 % du PIB). En l’absence de deal, le Royaume-Uni perd ainsi purement et simplement son « passeport européen » lui permettant de commercialiser des fonds en Europe. Certes, un protocole d’accord en matière de réglementation a été signé entre les deux parties à la fin du mois de mars dernier, mais il n’engage à rien sur le sujet des fameuses équivalences permettant aux entreprises financières britanniques d’opérer sur le territoire européen.

que le Brexit a pu causer sur l’activité économique outre-Manche, on peut sans doute déjà relativiser certains chiffres. Ainsi, la Bourse de Londres a certes cédé sa première place européenne à Amsterdam, mais seuls 7.000 postes ont été perdus et l’industrie financière a engrangé un excédent global de 47 milliards d’euros en 2020. Cela ressemble tout de même peu à la marécageuse Bérézina qui avait coupé la retraite de la Grande Armée dans la Russie de 1812… Si la casse a pu être limitée à ce point, c’est avant tout grâce à l’anticipation des forces vives de l’industrie financière britannique. Au sein de la filiale luxembourgeoise de Hogan Lovells, cabinet anglo-américain qui s’est installé à Luxembourg (en 2013), on est bien placé pour en juger. « Les Anglais sont pragmatiques et particulièrement doués lorsqu’il s’agit de réaliser, en urgence, une réorganisation opérationnelle, estime Pierre Reuter, office managing partner chez Hogan Lovells Luxembourg. Ce travail a été effectué, à grands frais, à la fin de l’année 2020. Au final, je ne crois pas que les acteurs britanniques aient perdu en compétitivité, car ils proposent toujours des produits intéressants et peuvent utiliser des structures dans d’autres pays de l’Union pour continuer à commercialiser leurs fonds en Europe. »

Un changement bien anticipé Cette perspective d’un no deal en ce qui concerne l’industrie financière n’est pas une surprise. Dès les premiers mois qui ont suivi le Brexit, de nombreuses études et analyses l’avaient présupposé et établi des projections catastrophistes concernant l’avenir de la City : des milliards de capitaux déplacés de Londres vers d’autres Places européennes, 50.000 emplois perdus et, in fine, un coup dur porté à l’économie britannique. S’il est sans doute encore trop tôt pour faire un bilan des dégâts 56

FONDS D’INVESTISSEMENT JUIN 2021

SEPT CABINETS ANGLAIS DEPUIS 2016 Si l’on évoque beaucoup l’exode des cabinets britanniques vers le Luxembourg depuis le Brexit, peut-on quantifier ce mouvement ? L’une des manières de procéder est de vérifier quelles sont les « sociétés d’avocats » britanniques enregistrées au Barreau luxembourgeois. En consultant ce registre, on s’aperçoit que, depuis le référendum en faveur du Brexit, voté en 2016, sept cabinets dont le siège social est situé à Londres ont créé une filiale au Luxembourg. Parmi les derniers arrivés, on peut citer Debevoise & Plimpton (2020), Fieldfisher (2018), Ashurst (2018) ou encore Linklaters (2018). Suffisant pour parler de déferlante britannique au Luxembourg ?

Au-delà de la grande diversité de clients et de marchés que sert la City, dans bien d’autres régions que l’Europe, les acteurs financiers britanniques peuvent surtout profiter d’une certaine flexibilité offerte par le système pour continuer à opérer sur le continent. Il est en effet possible pour une société britannique de poursuivre la distribution de fonds en Europe moyennant le transfert sur le continent de sa filiale consacrée à la gestion. « Créer un AIFM (alternative investment fund manager, ndlr) en Europe permet de bénéficier du passeport européen. Il est aussi possible de faire appel à un partenaire déjà installé sur le continent. En ce sens, les freins ne sont pas suffisants pour impacter réellement l’équilibre des forces en matière de distribution de fonds en Europe », ajoute Pierre Reuter. Un Brexit sans gagnant ? Par des voies détournées, les Britanniques peuvent donc toujours distribuer leurs fonds en Europe. Mais alors, le Brexit n’a-t-il finalement causé de tort ni profité à personne ? « Clairement, le Brexit et la perte du passeport européen ont eu des implications sur cette industrie, explique Bertrand Moupfouma, partner au sein du cabinet d’avocats luxembourgeois Themis Lex. Pour beaucoup d’acteurs britanniques, il est désormais bien plus confortable de travailler depuis un pays de l’Union, comme le Luxembourg ou l’Irlande. Ces deux pays ont d’ailleurs accueilli un nombre important de sociétés de gestion ou de cabinets d’avocats venus de Londres. Là où Dublin offre une proximité culturelle et géographique aux acteurs britanniques, le Luxembourg bénéficie de sa position centrale en Europe et d’une expertise inégalée en matière de fonds d’investissement. Psycho­ logiquement, le pays a aussi le don de rassurer les investisseurs. » D’autres avantages traditionnellement mentionnés quand on évoque la place financière luxembourgeoise ont également joué dans l’installation au Grand-Duché de plus de 70 sociétés de gestion et d’une poignée de


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