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GESTION
External asset management : la croissance se poursuit
Depuis 20 ans, l’activité bancaire dédiée aux gestionnaires de fortune indépendants se développe au Luxembourg comme sur d’autres places financières. Après une année 2021 marquée par une nouvelle croissance des actifs gérés par ces structures (19 %), rien ne semble arrêter cet essor.
UNE ÉVOLUTION EXPONENTIELLE En milliards d’euros. Les résultats de la cinquième étude ABBL/CSSF sur les external asset managers montrent bien comment la gestion indépendante d’actifs se développe au Luxembourg.
Source ABBL/CSSF
+ 19 %
+ 12 %
53
39,8 44,7 Confier la gestion de ses actifs à une société de gestion et ouvrir un compte dans une banque luxembourgeoise ? Voilà une démarche de plus en plus courante, et le nombre d’acteurs bancaires pour servir ces external asset managers, au sein même de grandes banques privées, confirme la vigueur de l’activité. Les chiffres de la dernière étude de l’ABBL (Association des banques et banquiers, Luxembourg) et de la CSSF (Commission de surveillance du secteur financier) – la cinquième du genre – portant sur le sujet sont en tous cas limpides. Au 30 juin 2021, le volume d’actifs déposés au Luxembourg dont la gestion a été confiée à un acteur tiers atteignait en effet les 53 milliards d’euros, soit une hausse de 19 % par rapport à 2020, et de 35 % par rapport à 2017. Aujourd’hui, les actifs gérés par des gérants indépendants représentent 10 % de tous les actifs détenus par des banques privées au Luxembourg. Et 188 personnes sont employées dans ce secteur. « S’il faut sans doute relier cette hausse à la bonne performance globale des marchés, la croissance de ce secteur d’activité au cours des dernières années n’en est pas moins remarquable », commente Frédéric Driant, head of the external asset managers working group de l’ABBL et head of IFA (Independent Financial Advisors), le département de la BIL dédié aux gérants indépendants.
L’attrait de l’assurance-vie Un autre enseignement de cette nouvelle étude menée conjointement par l’ABBL et la CSSF est le caractère fortement international de cette activité. La clientèle faisant appel aux services des gestionnaires indépendants est en effet issue à 37 % d’Europe, à 13 % du Luxembourg et à 11 % du reste du monde. Quant aux external asset managers eux-mêmes, ils sont à 39 % basés au Luxembourg (on en dénombre 100 dans le pays), 16 % en France, 15 % au Royaume-Uni, 10 % en Suisse et 20 % ailleurs dans le monde.
Si les clients étrangers comme locaux font appel à des gestionnaires indépendants et des banques privées luxembourgeoises, c’est pour plusieurs raisons. « Tout d’abord, ils sont souvent séduits par les produits proposés au Luxembourg, dont l’assurance-vie : elle représente 38 % de nos dépôts. Nous avons vu, à partir de la crise de 2008, combien ce produit pouvait rassurer les investisseurs grâce à son fameux triangle de sécurité, d’une part, et associer une large gamme de sous-jacents d’autre part, explique Frédéric Driant. Toutefois, le choix d’un gestionnaire d’actifs se fait aussi, et peut-être en premier lieu, au regard du niveau de performance et de proximité offert. Là où les sociétés de gestion se démarquent aux yeux des clients, c’est par leur indépendance dans les choix de gestion, le sentiment d’avoir une gestion sur mesure, et la proximité. Pour une clientèle souvent internationale, ce contact de long terme
ABBL Photo avec un interlocuteur de confiance qui s’allie les compétences de banques privées luxembourgeoises est un aspect qui séduit beaucoup. »
Par ailleurs, un vrai changement de modèle s’est opéré au cours des dernières années et, à une relation classique client / banque, s’est substituée une plus forte intermédiation : un (multi) family office, lui aussi indépendant, s’intègre ainsi souvent dans le processus, et il aura parfois naturellement tendance à recommander un (ou plusieurs) gestionnaire(s) indépendant(s), et une banque dépositaire qui répond aux besoins de son client.
Une porte d’entrée en Europe On peut donc comprendre pourquoi des clients, souvent étrangers, recourent à des gestionnaires indépendants et des banques privées luxembourgeoises. Mais quel est l’intérêt pour des gestionnaires indépendants d’effectuer ce travail depuis l’étranger ? « C’est l’offre luxembourgeoise en matière de gestion de fortune qui attire l’attention d’acteurs situés en Europe ou en Suisse et au Royaume-Uni. Les gérants originaires de ces deux pays peuvent ainsi avoir un pied en Europe, ce qui est devenu particulièrement urgent pour les structures britanniques depuis le Brexit, précise Frédéric Driant. Au-delà de ces marchés, qui restent parmi les plus porteurs, on voit aussi des acteurs du sud de l’Europe s’intéresser de plus en plus aux solutions luxembourgeoises. » Un autre phénomène constaté dernièrement, notamment suite au Brexit, est l’arrivée au Luxembourg de grands acteurs bancaires étrangers, mais qui choisissent de n’établir dans le pays qu’une société de gestion. « C’est le cas de Bank of Singapore, qui a installé un PSF de support dans le pays, illustre Fabio Mandorino, senior adviser – Member Relations
« C’est l’approche globale luxembourgeoise en matière de gestion de fortune qui attire l’attention des acteurs indépendants et de leurs clients. »
au sein de l’ABBL. Ces structures plus légères offrent plus d’agilité à ces grands acteurs, tout en limitant les frais. »
Un futur sans nuages Pour les responsables de l’ABBL, l’augmentation des parts de marché des gestionnaires d’actifs indépendants ne devrait pas être freinée au cours des prochaines années. « On pouvait s’interroger après l’entrée en vigueur de Mifid II. Mais on voit que les différents acteurs se sont très bien adaptés. Cela n’a pas impacté la vigueur de ce secteur, indique Frédéric Driant. Nous sommes confiants quant à la croissance, car le modèle intermédié s’amplifie et la Place luxembourgeoise a de nombreux atouts pour séduire les parties prenantes. Nous restons attentifs au cadre réglementaire et à la concurrence étrangère, mais l’avenir s’annonce plutôt serein. »
Alors qu’un phénomène de consolidation touche, depuis plusieurs années, les banques privées luxembourgeoises, il semble que les sociétés de gestion y échappent. « Des investissements importants ont été réalisés en matière de compliance et de gestion des risques au cours des dernières années, et les coûts liés à ce poste ne devraient donc plus beaucoup évoluer. Une consolidation est toujours possible, mais n’affecte pas fondamentalement nos offres de services bancaires », ajoute Frédéric Driant.
Parler d’une seule voix De son côté, l’ABBL continuera à représenter pleinement le secteur des gestionnaires d’actifs indépendants, ce qui était plus difficile avant la création d’un groupe de travail dédié. « Il était nécessaire d’institutionnaliser ce business, de faire en sorte que nous puissions parler d’une seule voix par rapport aux problématiques qui touchent le secteur. C’est particulièrement nécessaire quand il s’agit de discuter avec la CSSF, affirme Fabio Mandorino. Nos membres apprécient réellement les efforts que nous avons faits dans ce sens au cours des dernières années. »
Le responsable de l’ABBL rappelle en outre qu’un nouveau groupe de travail a été créé au sein de la structure à la fin de l’année 2021. Il sera consacré aux sociétés d’investissement, qui n’étaient pas encore représentées en tant que telles au sein de l’ABBL. C’est désormais chose faite.
FRÉDÉRIC DRIANT Head of the external asset managers working group de l’ABBL et head of IFA de la BIL L’IMPACT DE MIFID II SUR L’EAM Entrée en vigueur en janvier 2018, la réglementation Mifid II évoquée ci-contre par Frédéric Driant, qui vise à protéger les investisseurs et à renforcer la transparence des marchés et des transactions, a eu un impact, à trois niveaux principaux, sur l’external asset management (EAM).
1 La rémunération Selon une étude menée par Deloitte Luxembourg en 2018, les revenus des external asset managers auraient connu une érosion allant jusqu’à 40 ou 50 % suite à Mifid II. En cause, la diminution des trailer fees (rétrocessions de commissions) qui n’a pas été contrebalancée par une hausse des frais de gestion. La renégociation des tarifs avec les banques dépositaires a toutefois souvent permis de mitiger cette baisse de revenus.
2 Le modèle opérationnel Mifid II a entraîné une augmentation du reporting. Ces efforts fournis en matière de compliance ont eu tendance à freiner le développement du business des EAM. Mais ils ont aussi conduit à une rationalisation du réseau des banques dépositaires et de courtage avec lesquelles travaillent les EAM. Selon la même étude de Deloitte, la « taille » des clients a aussi augmenté, passant d’un volume de 0,5 million d’euros à 1 million d’euros.
3 Les services et produits d’investissement La hausse des exigences réglementaires induite par Mifid II a, par ailleurs, impacté les types de services et de produits proposés par les EAM. Petit à petit, la gestion discrétionnaire s’est généralisée. Par ailleurs, les produits packagés ont aussi connu plus de succès, avec une utilisation toujours très populaire des produits d’assurance-vie et le développement de fonds d’investissement.