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GENEVIÈVE KROL
Geneviève Krol, directrice de Fairtrade Lëtzebuerg depuis 2010, fait le point sur les enjeux du commerce équitable, alors que l’ONG fête ses 30 ans cette année.
Fairtrade Lëtzebuerg a célébré ses 30 ans le 20 octobre dernier. Quel regard portez-vous sur l’engagement de votre ONG ? Le mouvement Fairtrade est un mouvement international, qui a émergé après la Seconde Guerre mondiale. L’objectif est, depuis sa création, d’apporter plus de solidarité et de rémunérer correctement les producteurs et les artisans des pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie. En 1997, le mouvement Fairtrade a créé une organisation faîtière pour réunir toutes les initiatives nationales, dont TransFair-Minka, fondée en 1992, ici au Grand-Duché, qui est donc devenue Fairtrade Lëtzebuerg. Le mouvement compte 2 millions de producteurs et de travailleurs dans 70 pays.
Et au Luxembourg ? Nous avons 30 preneurs de licence, qui sont contrôlés par un organisme de certification indépendant, et qui travaillent de la matière première fair-trade. Il s’agit de torréfacteurs, de chocolatiers, ou encore de pâtissiers. Aujourd’hui, nous avons environ 3.000 références de produits Fairtrade sur le marché luxembourgeois. Les preneurs de licence au niveau national comptent pour plus ou moins 300 références au total. Nos partenaires sont par exemple Cactus, Grosbusch, ou encore Fischer.
Les produits fair-trade y ont-ils du succès ? Oui, le pays est un des meilleurs consommateurs au monde, puisqu’il arrive en sixième position, avec une dépense de 40 euros par an en produits fair-trade par résident luxembourgeois. Quand j’ai intégré l’ONG en 2006, on était à 8-10 euros, donc il y a eu une très belle progression, mais, par exemple, la Suisse est à 90 euros par habitant par an, l’Irlande, à 60 euros, etc. Il y a donc une énorme marge de progression.
Quel est le fonctionnement de Fairtrade Lëtzebuerg ? Nous sommes une ONG de développement, financée à 80 % par le ministère de la Coopération. Nous avons quatre grands axes de travail : le premier, c’est la sensibilisation du grand public au commerce équitable. Le deuxième axe, c’est l’éducation à la citoyenneté mondiale avec des projets aussi bien pour les plus jeunes que pour les adultes. Dans le cadre de nos 30 ans, nous avons développé un conte qui s’appelle La Plume magique, Ernster le distribue, et il a été écrit en français et en luxembourgeois.
Vous jouez aussi un rôle de lobbying ? Notre troisième axe de travail est en effet du plaidoyer politique, nous sommes membres fondateurs de l’initiative pour un devoir de vigilance au Luxembourg. On fait de la veille politique, par exemple sur l’alimentation dans la restauration scolaire. Et notre quatrième axe, c’est le développement du marché. Si nous repérons des nouveautés, on va les proposer à nos acteurs luxembourgeois.
Vous militez aussi pour le devoir de vigilance ? Oui, nous sommes membres de l’Initiative pour un devoir de vigilance au Luxembourg, soutenue par 17 organisations de la société civile luxembourgeoise.
Nous appelons à la mise en place d’une législation contraignante pour les entreprises domiciliées au Luxembourg. La proposition vise à intégrer le respect des droits humains, des normes de travail, ainsi que des dispositions et des accords environnementaux internationaux dans l’ensemble de la chaîne de valeur des entreprises. Une proposition de directive européenne a été publiée sur le sujet également, mais il y a des failles dans le texte et on appelle le gouvernement luxembourgeois à agir avant la fin du processus législatif européen.
Êtes-vous optimiste pour l’avenir, vu le contexte actuel de crise énergétique ? Aujourd’hui, nous sommes inquiets. Le consommateur va-t-il rester solidaire vis-à-vis de nos producteurs, notamment lorsqu’il aura des soucis pour payer ses factures d’énergie ou autre ? Les coûts de la vie augmentent partout, ceux de production aussi, les producteurs sont également en difficulté... tout le monde est concerné. Ce qui est révoltant, c’est qu’ils ne sont pas responsables de ce changement climatique, mais aujourd’hui, ils sont les premiers impactés. Si vous n’avez pas de justice climatique, vous n’aurez pas de justice sociale, et vice versa.
Comment trouver une issue ? Jusqu’à maintenant, on disait que le commerce équitable était une alternative au commerce conventionnel, mais aujourd’hui, on veut sortir de ce schéma, parce qu’en fin de compte, ce n’est plus une alternative, c’est une illustration du bon sens citoyen, et on veut tous être des citoyens responsables. C’est évident d’être rémunéré justement, de ne pas exploiter des enfants dans une plantation de cacao, etc. Et c’est révoltant de se dire qu’en 2022, il faut encore se battre pour ces évidences.