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SUSTAINABILITY AWARDS
Quatre pratiques durables à prendre en exemple
La cérémonie des Sustainability Awards a récompensé, mardi 25 octobre, quatre entreprises pour leurs pratiques exemplaires en faveur du développement durable : Digital Inclusion, SES, les Moulins de Kleinbettingen et Ferber Group. Des pratiques mises en lumière pour que d’autres s’en emparent.
Auteur PIERRE PAILLER
Une gamme de pâtes à base de blé 100 % luxembourgeois, une stratégie ESG audacieuse, un service de fourniture de matériel informatique aux plus démunis, ou encore une panoplie de solutions en faveur du développement durable mises en place dans des salons de coiffure... La cérémonie de la première édition des Sustainability Awards, qui a eu lieu mardi 25 octobre, a récompensé quatre pratiques exemplaires en faveur du développement durable mises en place par des entreprises.
À l’origine, une soixantaine d’entreprises avaient soumis leurs pratiques dans le cadre de ces Sustainability Awards organisés par IMS (Inspiring More Sustainability) et Maison Moderne. Parmi celles-ci, un pré-jury d’experts indépendants en avait sélectionné 12, classées à parts égales dans quatre catégories : People, Planet, Prosperity et Sustainability team. Enfin, un jury (à découvrir dans l’encart ci-contre) s’est réuni pour sélectionner la pratique, par catégorie, qu’il jugeait la plus aboutie.
Les critères de sélection étaient les suivants : le degré de la mise en œuvre, l’impact, le caractère innovant et réplicable de la démarche, le mode de pilotage et l’intégration de la pratique dans une démarche de long terme. « Les lauréats sont vraiment ceux qui ont une pratique en place, aboutie, qui ont mesuré un très bon impact et qui ont une bonne communication », expliquait la directrice d’IMS, Nancy Thomas, dans le magazine Paperjam d’octobre. Les pratiques de quatre entreprises se sont donc démarquées aux yeux du jury : celles de Digital Inclusion, des Moulins de Kleinbettingen, de SES et de Ferber Group. Avec une mention spéciale du jury pour Food4All (voir encadré). Inclusion numérique de crise Dans la catégorie People, l’association Digital Inclusion s’est démarquée pour son travail sur l’inclusion numérique. L’idée est née il y a sept ans déjà, suite à la guerre en Syrie et à l’afflux de migrants en Europe et au Luxembourg – des migrants confrontés à des procédures d’attente sans fin, du fait de la saturation des services.
Une manière de leur donner de l’autonomie est alors de leur fournir du matériel informatique. « Le principe consiste à récupérer des ordinateurs et des smartphones et à les remettre en état, à leur donner une seconde vie, afin de les donner à des gens au Luxembourg qui n’ont pas les moyens de s’en acheter », explique le fonda-
JURY MULTIDISCIPLINAIRE
Pour ces premiers Sustainability Awards organisés par IMS (Inspiring More Sustainability) et Maison Moderne, le jury était composé du Premier ministre, Xavier Bettel (non présent sur la photo) ; du président d’IMS, Christian Scharff ; du CEO de Maison Moderne, Mike Koedinger ; de la directrice générale de Cocottes, Clémentine Venck ; du directeur de la Chambre de commerce, Carlo Thelen ; de la managing partner du cabinet d’avocats Elvinger Hoss Prussen, Manou Hoss ; du directeur de l’INDR, Jean-Paul Olinger, et de la CEO du Luxembourg Stock Exchange, Julie Becker. teur du projet, Patrick de la Hamette. Sur Facebook, en 2015, il lance un appel aux dons d’ordinateurs et en reçoit 24. Suite à cette preuve de solidarité, l’ingénieur de formation crée, un an plus tard, avec une sociologue, l’asbl Digital Inclusion, avec l’ambition de mettre en place un programme pluridisciplinaire, comprenant fourniture de matériel informatique, entretiens individualisés avec les requérants et modules de formation au numérique.
L’association sera d’autant plus utile que deux crises imprévisibles vont survenir par la suite : la pandémie de Covid-19 en 2020 et, surtout, la guerre en Ukraine en 2022. Lors du confinement mis en place par le gouvernement pour lutter contre la transmission du virus, de nombreux élèves en home schooling sont marginalisés, faute d’avoir leur propre ordinateur. Il s’agit alors de leur en fournir un, mais aussi de le leur livrer dans les conditions sanitaires requises, puisque le confinement est de rigueur. 300 seront ainsi mis à leur disposition.
Mais c’est surtout l’arrivée massive, en quelques semaines, de migrants fuyant la guerre en Ukraine qui met l’asbl au défi. Devant l’explosion de la demande d’ordinateurs, Digital Inclusion lance un appel urgent aux dons, notamment aux entreprises. « Nous avons reçu plus de laptops que jamais », se souvient Patrick de la Hamette. Au début de la guerre, l’association fournit ainsi quatre à cinq fois plus d’ordinateurs qu’en temps normal. Sur l’ensemble de l’année, la production sera au moins trois fois plus élevée : alors que 600 ordinateurs sont produits sur une année normale, Digital Inclusion en avait déjà fourni 1.500 au mois d’août 2022.
Pour s’adapter, la structure a dû faire appel à davantage de bénévoles. Mais aussi revoir ses priorités : alors que la distribution se faisait de manière individuelle, elle s’opère désormais en groupe, avec certaines tâches reportées, comme les entretiens personnalisés ou les modules de formation. « Atteindre tout le monde est prioritaire », explique Patrick de la Hamette.
Le prix est une « reconnaissance pour ce travail professionnel » et « les efforts additionnels produits par l’équipe », selon le directeur de Digital Inclusion, qui ajoute : « Avant la pandémie, nous savions que notre travail avait une utilité. Mais les deux dernières crises ont montré que notre projet peut s’adapter à un contexte différent et apporter des solutions au Luxembourg. »
Des pâtes 100 % luxembourgeoises Dans la catégorie Prosperity, les Moulins de Kleinbettingen ont choisi de valoriser les circuits courts et la durabilité en proposant une gamme de pâtes et de farine de qualité faite à partir de blé 100 % luxembourgeois. Le challenge n’était pas aisé à réaliser : de fait, il n’existait pas de culture de blé dur au Luxembourg, ingrédient principal nécessaire à la fabrication des pâtes. Pour une raison simple : la céréale résiste très mal à l’hiver. Pendant cinq ans, l’entreprise a donc testé, avec des agriculteurs luxembourgeois, différentes variétés de blé dur afin de trouver celle qui convient aux sols luxembourgeois et qui passe l’hiver – tout en ayant un bon rendement, une bonne qualité semoulière, ainsi qu’une bonne résistance aux maladies afin de limiter le recours aux produits sanitaires.
Lancée en 2020, la marque Le Moulin s’est démarquée par son caractère innovant, et ce à tous les niveaux de la chaîne de valeur : au UNE MENTION SPÉCIALE DU JURY POUR F4A
Le jury avait récompensé ses quatre lauréats, mais ne pouvait pas oublier Food4All et sa solution technologique de lutte contre le gaspillage alimentaire. Il a donc tenu, par une « mention spéciale du jury », à récompenser un « modèle économique intégrant tous les aspects de durabilité ». Lancée en 2017, Food4All collecte les denrées en passe d’être retirées de la vente, car trop proches de leur date de péremption, et les dispose dans un rayon spécifique des supermarchés partenaires, où elles sont vendues à prix réduit. 157 supermarchés sont désormais partenaires du programme au Luxembourg, en Estonie et en France. La CEO de Food4All, Ilana Devillers, se réjouit d’une « belle reconnaissance pour toute l’équipe ».
niveau de la matière première, donc, mais aussi au niveau du packaging – en proposant un emballage 100 % recyclable – ou de la campagne de lancement, lors de laquelle 260.000 paquets de pâtes ont été distribués dans les boîtes aux lettres luxembourgeoises. Deux ans tout juste après le lancement, plus de 2 millions de paquets de pâtes Le Moulin ont déjà été vendus sur le marché luxembourgeois, et ce dans un segment des pâtes qui est déjà très compétitif. « Cela dépasse nos attentes, commente le CEO des Moulins de Kleinbettingen, Jean Muller (voir la conversation avec Jean Muller, en cover story du magazine). Nous sommes devenus une des marques principales de pâtes au Luxembourg. » Pour les entrepreneurs qui voudraient s’engager dans une perspective de durabilité, Jean Muller rappelle que cela repose sur « la volonté des actionnaires et des dirigeants ». « Nous nous fixons six objectifs à moyen terme, sur trois ans, et deux de ces objectifs doivent toujours être liés à la durabilité », détaille-t-il. Mais pour être efficace en termes de durabilité, « il faut mettre l’objectif en priorité – et pas en dixième priorité », conseille-t-il.
Pour un espace durable SES, qui fournit des services de télécommunication par satellite dans le monde entier depuis sa création en 1985, a été récompensée dans la catégorie Sustainability team pour la mise en place d’une nouvelle stratégie ESG. « En 2020, nous avons réévalué nos priorités stratégiques afin d’aligner notre activité sur les objectifs de développement durable (ODD) (établis par les Nations unies, ndlr) », explique Amber Ledgerwood, chargée de l’impact social et environnemental au sein de SES. L’entreprise s’est alors lancée dans une intense campagne de sensibilisation des différentes parties prenantes afin de développer une stratégie ESG complète, la stratégie SES Horizon. Celle-ci a déterminé quatre piliers sur lesquels les efforts doivent se concentrer : espace durable, action climatique, diversité, ainsi qu’équité et inclusion.
Ceci constitue « une vision audacieuse de la manière dont notre entreprise s’aligne sur le monde qui l’entoure et l’influence », explique Amber Ledgerwood, avec l’idée d’« utiliser la puissance de l’espace pour relever les défis du développement durable sur Terre. C’est la rencontre entre l’espace durable et la Terre durable », ajoute-t-elle. Pour élaborer une telle stratégie, Amber Ledgerwood garde deux conseils à l’esprit : « commencer tout développement de stratégie ESG par la sensibilisation des parties prenantes internes et externes » et « utiliser les ODD de l’Onu comme base de la stratégie ».
Ceci n’est que le « début du voyage » pour SES. « Après l’élaboration et l’adoption de la stratégie, nous avons continué à travailler à l’établissement d’objectifs », explique Amber
JEAN MULLER CEO Moulins de Kleinbettingen
Guy Wolff Photos
LIONEL FERBER Junior partner Ferber Group
Ledgerwood. De fait, celle-ci « a influencé tous les aspects de notre activité et a suscité de nouvelles initiatives, de nouveaux objectifs, de nouvelles actions, et un changement de mentalité dans toute l’organisation, continue-telle. La sensibilisation et la stratégie servent de base à toutes les autres initiatives durables et ont donné à l’organisation les principes directeurs de notre impact. »
Des coupes de cheveux écolos Ferber Group a quant à lui été récompensé dans la catégorie Planet, non pas pour une pratique en particulier, mais pour une panoplie de différentes solutions en faveur du développement durable. « Each small choice matters! » est le nouveau credo de l’entreprise, qui possède 13 salons de coiffure dans le pays.
L’enseigne luxembourgeoise revendique une « approche globale ». Avec, en premier lieu, une action pour contrecarrer le réchauffement climatique : après avoir calculé son empreinte carbone, l’entreprise a décidé de compenser complètement ses émissions de gaz à effet de serre en plantant l’équivalent d’un arbre par coloration réalisée. Cette action est menée en collaboration avec l’ONG luxembourgeoise Graine de Vie, qui s’est donné,
« Le principe consiste à récupérer des ordinateurs et des smartphones et à leur donner une seconde vie. »
PATRICK DE LA HAMETTE Directeur Digital Inclusion depuis 2009, la mission de replanter des arbres à Madagascar. Pour limiter les émissions de CO2, l’entreprise tient aussi à limiter celles liées au transport, en favorisant, lors de l’allocation du lieu de travail des collaborateurs, le salon le plus proche de leur domicile. Elle tâche également d’espacer au maximum les livraisons des produits en effectuant les commandes le plus tôt possible. Les salons de coiffure Ferber ont décidé d’utiliser des produits naturels dans leur pratique, en recourant à des marques soucieuses de l’environnement. Coloration 100 % végétale, lissage au tanin 100 % organique, bio et végétal, coulage aux pigments naturels… l’enseigne a même créé son propre shampoing en poudre, produit au Luxembourg avec des ingrédients bio et naturels, qui, au contact de l’eau, se transforme en mousse.
Une politique de gestion des déchets a aussi été mise en place : utilisation minimale des produits (comme un dosage minimal pour la coloration), plaque tournante entre les salons pour les produits (ce qui n’est pas utilisé dans un salon est transféré vers un autre), tri des déchets, recyclage des tubes de coloration… L’enseigne envoie même les cheveux coupés à une association qui fabrique des boudins naturels pour absorber l’huile dans l’eau. Pour ce management des déchets, l’entreprise est d’ailleurs en voie d’obtention du label SuperDrecksKëscht (SDK).
Un ensemble de pratiques qui a permis à l’enseigne de salons de coiffure de remporter les Sustainability Awards. « C’est que nos mesures portent leurs fruits, se réjouit Lionel Ferber, qui, avec sa sœur Laura, incarne la quatrième génération de l’entreprise. C’est une reconnaissance pour notre engagement envers notre planète, la seule que nous avons et qui chaque jour nous alimente et nous fait vivre. » Il revendique une approche pragmatique et progressive. « Avec de petits changements au quotidien, avec un peu d’efforts, il est possible d’obtenir de grands résultats et de faire la différence », explique-t-il, avant d’ajouter : « Les collaborateurs et collaboratrices sont le moteur du changement, écoutez leurs idées et mettez-les en pratique. »
Si ces quatre lauréats se sont donc démarqués pour le caractère abouti de leurs pratiques, cela ne signifie toutefois pas que les entreprises présélectionnées, mais qui n’ont pas eu les faveurs du jury, ont échoué. Les Sustainability Awards visent à « recenser des pratiques » et à « les diffuser ». Ainsi, les sept autres pratiques non récompensées ont, elles aussi, valeur d’exemple (voir encadré), rappelle Nancy Thomas. Et l’idée est bien que « d’autres s’en emparent ».
Les autres pratiques sélectionnées aux Awards
AXA WEEK FOR GOOD – AXA ASSURANCES LUXEMBOURG Depuis 2010, AXA organise, chaque année, l’AXA Week for Good (AWFG). Une semaine entièrement consacrée à la RSE, lors de laquelle les collaborateurs d’AXA sont invités, sur base du volontariat, à se réunir pour aider leurs associations caritatives locales. En 2021, l’AWFG a réuni 148 collaborateurs sur 285.
WELLBEING – ING LUXEMBOURG ING a développé il y a 10 ans un programme de prévention du burn-out, en complément de son offre de formations liées à la santé et au bien-être de manière générale. Son nom : WellbeING. La démarche s’étoffe constamment, avec check-up, formations santé, clubs de sport et de bien-être, prévention burnout, managers formés au leadership sain…
FONDS SOCIAL LUXTRUST – LUXTRUST En 2021, LuxTrust crée son « fonds social », un compte bancaire spécialement dédié aux actions en faveur de l’économie circulaire et du soutien aux associations locales. Celui-ci est alimenté par deux actions : la revente de matériel informatique et de téléphonie de l’entreprise – qui bénéficie ainsi d’une seconde vie – et une tombola, organisée en interne.
EMERALD – ANDANDO L’Emerald Building est, sur la zone Benelux, le premier projet de construction certifié « zéro carbone », selon les critères de l’Ilfi. Aucune émission n’est donc produite, ni lors de la construction, ni par le bâtiment lui-même par la suite. Les bureaux seront alimentés par une énergie 100 % verte et de l’eau de pluie pour les « eaux grises ».
GT FLEET TOOLS MANAGEMENT – GENERAL TECHNIC BUILDING SOLUTIONS Depuis 2018, General Technic propose à ses clients et prospects du milieu de la construction et de l’artisanat un service de leasing opérationnel spécialement conçu pour la gestion de parcs machines. À la fin du contrat, General Technic reprend, reconditionne, reloue, voire recycle, les machines.
JARDIN COMMUNAUTAIRE MATGESFELD – COMMUNE DE SANEM Avec l’idée de sensibiliser les habitants de la ville au changement climatique et à la nécessité de changer nos habitudes de consommation (notamment manger local, saisonnier et bio), la commune de Sanem a développé un projet de jardin communautaire, avec 24 parcelles cultivables, dont 6 réservées pour les écoles.
EIS SCHOUL, ENG NOHALTEG SCHOUL – ÉCOLE PRIVÉE FIELDGEN Le projet « Notre école, une école durable » organise des cours pédagogiques sur le développement durable, et, au niveau de la cantine, une meilleure gestion des déchets et un changement des menus et de la vaisselle, qui ont permis une réduction du gaspillage alimentaire, de l’utilisation du plastique et de l’empreinte CO2.
Guy Wolff Photo