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GILLES ET FABIENNE WEIDIG
Gilles et Fabienne Weidig sont férus d’art depuis qu’ils sont étudiants. Aujourd’hui, ils ont composé une collection construite à deux, évoluant au fil des ans, mais toujours caractérisée par la même passion pour l’art.
Interview CÉLINE COUBRAY Photo ROMAIN GAMBA
Comment avez-vous commencé à vous intéresser à l’art ? GILLES WEIDIG (G. W.) Je suis originaire d’Esch. Quand j’étais jeune, j’allais souvent dans l’atelier du sculpteur Jeannot Bewing. J’ai passé beaucoup de temps avec lui, à discuter d’art, à observer son travail. C’était un personnage fascinant : un ouvrier, qui était artiste, mais aussi collectionneur. Un grand amateur d’art africain. C’est comme cela que mon initiation à l’art a commencé. Par la suite, j’ai visité des expositions, fréquenté des galeries. J’allais souvent à la galerie BC2 à Bettembourg. FABIENNE WEIDIG (F. W.) J’ai aussi fréquenté l’atelier de Bewing. Nous aimions y discuter d’art. Il montrait ses œuvres en acier. C’est lui qui m’a indiqué le chemin vers l’art. Pourquoi avoir commencé à collectionner ? G. W. Une chose est sûre, c’est que nous ne sommes pas devenus collectionneurs par intérêt statutaire. Plutôt pour le plaisir d’être entourés de belles choses. Pour pouvoir vivre cette relation émotionnelle qu’on peut avoir avec des œuvres d’art au quotidien.
Quel type d’œuvres avez-vous commencé à collectionner ? F. W. En prenant du recul, je m’aperçois que nos premières œuvres ont surtout été des œuvres figuratives, des œuvres très expressives. Et nous avions la chance de partager les mêmes goûts avec Gilles. Donc nous étions toujours d’accord sur les œuvres que nous souhaitions acheter.
Quand avez-vous commencé à collectionner, et quelles œuvres avez-vous achetées ? G. W. Je pense que cela remonte à mes études à Düsseldorf. Nous sommes allés sur un marché d’art, et j’ai acheté un dessin. Rien d’exceptionnel, une œuvre tout à fait modeste, mais que j’ai encore. Par la suite, quand je suis revenu au Luxembourg, j’ai continué à acheter. Plutôt des artistes du cercle eschois, des gens qu’on connaissait : Maurice Ney, Jeannot Bewing, Sergio Sardelli, Nico Thurm, Fernand Bertemes… C’était un cercle d’artistes plutôt régional, proche de nous. F. W. En ce qui me concerne, j’ai économisé pour parvenir à acheter une sculpture en bois peint de Michel Geimer. C’est une œuvre qui m’accompagne encore aujourd’hui au quotidien, puisqu’elle est dans notre salon, et je ne m’imagine pas m’en séparer un jour. Mais je dois dire qu’au début, on a vraiment acheté au coup de cœur, dans une pure approche émotionnelle. LUXEMBOURG ART WEEK
Du 11 au 13 novembre se déroule la huitième édition de la foire d’art contemporain au Luxembourg. Plus de 80 galeries, collectifs et institutions locales et internationales sélectionnés par un jury présenteront une sélection d’œuvres d’artistes contemporains.
Le parcours est organisé selon trois sections : Main Section, la section principale ; Take Off, la section prospective ; et Solo, la section découverte mettant à l’honneur la production d’un artiste à travers un projet dédié.
En plus de la foire, un vaste programme culturel est organisé et met à l’honneur la création contemporaine à travers toute la ville et au-delà. G. W. Avec le temps, ça a un peu changé. On a aussi eu un peu plus de moyens, ce qui nous a permis d’acquérir d’autres types d’œuvres. Nous avons fréquenté les foires internationales, comme Art Cologne, ou les galeries à Berlin et Paris. Nous étions aussi curieux de découvrir les présentations de fin d’études des élèves de l’académie de Düsseldorf. Par ailleurs, dès que nous partions en voyage, nous fréquentions les musées locaux. Notre œil s’est formé au fur et à mesure, et notre regard a aussi évolué. F. W. Nous fréquentons aussi les galeries au Luxembourg. Nous sommes proches, par exemple, de la galerie Ceysson & Bénétière ou de celle d’Alex Reding. Nous nous sommes progressivement ouverts à d’autres formes d’art et avons acheté d’autres œuvres : Claude Viallat, Louis Cane, Orlan, Damien Deroubaix, Stephan Balkenhol… G. W. De manière générale, nous aimons toujours bien la peinture, mais cela peut prendre différentes formes, jusqu’à être un objet peint à mettre sur un mur. Aujourd’hui, je demande plus à une œuvre d’art que de simplement me plaire à l’œil. Il faut que le propos de l’artiste m’interpelle, me stimule. J’ai besoin d’aller plus loin qu’un simple rapport émotionnel. C’est pour cela, par exemple, que j’aime les œuvres de Supports / Surfaces, car ces artistes questionnent le support même de la peinture et le remettent en question. Ou encore les œuvres de Gregor Hildebrandt, qui associe la peinture et l’utilisation de cassettes audio et de vinyles.
Achetez-vous de manière très spontanée ou murement réfléchie ? G. W. Depuis quelques années, avant d’acheter une œuvre, je me renseigne toujours beaucoup. Sur l’artiste, sur sa carrière, sur sa cote.
Quelle est la place de l’œuvre que je pense acheter dans la carrière de l’artiste ? Ce sont des questions que je ne me posais pas avant, répondant plus à mon instinct, mon envie. Aujourd’hui, je dirais que nous achetons en meilleure connaissance de cause. F. W. Mais nous achetons encore aussi au coup de cœur, de manière spontanée ! Nous avons les deux approches, en fait.
Quel budget allouez-vous à cette passion ? G. W. C’est très simple : on dépense l’argent qu’on a ! Bien qu’il me soit déjà arrivé une fois d’acheter une œuvre pour laquelle je n’avais pas du tout l’argent… De manière générale, nous n’avons pas de budget fixe prévu pour la collection. Ce budget fluctue en fonction des moments de notre vie, des besoins qu’a notre famille. Mais il nous arrive parfois de repousser les limites ! F. W. Nous ne collectionnons pas pour investir, mais nous restons bien conscients de ce que nous faisons et de l’argent que nous y investissons. C’est pour cela que nous nous renseignons au préalable sur l’artiste, sa carrière, sa cote. G. W. Par ailleurs, nous n’achetons pratiquement qu’en galerie. Du coup, cela se fait plus sereinement, car nous établissons aussi une relation de confiance avec les galeristes chez qui nous achetons. Nous pouvons aussi compter sur leur professionnalisme et leur connaissance du marché.
Avez-vous déjà revendu certaines de vos œuvres ? G. W. Oui, cela nous est effectivement arrivé, pour des œuvres que nous avions achetées quand nous étions jeunes. Mais nous n’avons pas revendu pour faire une plus-value. Plutôt par besoin de faire un peu de place pour de nouvelles œuvres qui nous plaisent davantage maintenant. Et nous avons toujours été attentifs à qui nous revendions les œuvres. Il nous importe que les nouveaux acquéreurs apprécient à sa juste valeur l’œuvre dont nous nous séparons. Nous préférons finalement que ces œuvres soient accrochées chez quelqu’un qui les apprécie que stockées dans notre grenier. Mais je dois aussi avouer que je me suis parfois posé la question de savoir si je ne devrais pas revendre une œuvre pour pouvoir en acheART2CURE
Cette association organise des expositions pour collecter des fonds pour la recherche biomédicale menée par des chercheurs luxembourgeois, souvent en collaboration avec des partenaires internationaux. Gilles Weidig et Philippe Lamesch ont développé ce concept en 2014 et ont organisé le premier événement en 2015. Depuis, Art2Cure connaît une croissance substantielle et est désormais accueillie à la Banque internationale à Luxembourg (BIL), dans la Galerie Indépendance. Plus de 150.000 euros ont pu être levés pour soutenir la recherche biomédicale à l’Université du Luxembourg, ainsi que pour des associations caritatives locales. En 2020, le produit d’Art2Cure était consacré à la recherche liée au Covid-19.
ter cinq autres, car je suis quand même l’évolution du marché et des prix.
Avez-vous déjà acheté à l’occasion de Luxembourg Art Week ? G. W. Oui, pas plus tard que l’année dernière. C’est une initiative que nous soutenons et que nous apprécions beaucoup. Cet événement permet à la fois de soutenir les galeries, en leur donnant une belle visibilité, et de professionnaliser et de confronter les plus jeunes galeries sélectionnées pour Take Off au marché international. C’est aussi une belle opportunité pour le Salon du CAL, qui se tient au même moment. L’un et l’autre s’enrichissent mutuellement. Pour nous qui avons peut-être trop tendance à acheter à l’international, c’est l’occasion de nous recentrer sur le marché local. F. W. Il faut aussi saluer tout le travail réalisé par l’équipe d’Alex Reding et Leslie De Canchy. L’installation dans la tente a donné un ton encore plus professionnel à la foire, tout en conservant une ambiance très conviviale.
Changez-vous régulièrement l’accrochage chez vous ? G. W. Non, on fait juste de la place pour les nouvelles œuvres qui arrivent. Alors, effectivement, cela demande parfois quelques ajustements, mais nous n’organisons pas de
roulement d’œuvres, par exemple. Notre collection n’est pas encore suffisamment grande pour cela !
Partagez-vous votre passion pour l’art avec vos amis ? F. W. Il est évident que, quand nous recevons à la maison, les œuvres font parler. C’est alors l’occasion de présenter et d’expliquer le travail des artistes. G. W. Souvent, les gens s’arrêtent à ce qu’ils voient. Mais il est intéressant de connaître plus en détail le propos de l’artiste pour apprécier l’œuvre à sa juste valeur. Et la plupart du temps, une fois qu’on a expliqué l’œuvre, les gens la regardent différemment. Ils peuvent même changer d’avis sur celle-ci.
Fréquentez-vous d’autres collectionneurs ? G. W. Oui, nous avons d’autres amis collectionneurs avec qui nous discutons beaucoup d’art. Mais nous achetons les uns et les autres tout à fait autre chose, nos collections n’ont rien à voir entre elles !
Comment la collection se répartit-elle au sein de votre couple ? F. W. Nous achetons nos œuvres ensemble. C’est une seule et même collection, et elle tient une place importante entre nous. Notre collection, c’est une construction commune, un chemin de vie que l’on parcourt ensemble. G. W. Avec un peu de chance, nos enfants apprécieront aussi les achats que nous avons faits et auront envie de les conserver, voire même peut-être de les poursuivre.
En plus d’être collectionneurs, vous êtes également à l’initiative d’Art2Cure. Pouvez-vous nous en dire plus ? G. W. Il s’agit d’une initiative que nous avons lancée avec Philippe Lamesch. Je connais Philippe depuis le lycée et j’ai également acheté quelques œuvres qu’il a réalisées. Nous avons eu cette idée de lancer Art2Cure en 2014. Il s’agit d’une vente d’œuvres d’art dont une partie du prix de vente est donné à la recherche scientifique. Après avoir exposé la première année à la Kulturfabrik, nous avons reçu un grand soutien de la BIL et de la Fondation Indépendance, où nous exposons depuis lors. Art2Cure permet d’offrir une plateforme aux artistes en leur donnant la possibilité de vendre des œuvres, mais aussi de récolter de l’argent pour soutenir la recherche luxembourgeoise, puisque 50 % de la vente y est consacrée. Contrairement aux autres ventes de charité, où les artistes sont souvent contraints d’offrir leur part de la vente, nous leur proposons ici de toucher quand même 50 % de celle-ci. Ainsi, nous soutenons à la fois la recherche et les artistes.
Art2Cure Photo