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Sabrina Royer
L’analyse des interactions entre langue et tâches professionnelles pour l’élaboration de formations linguistiques adaptées aux travailleurs migrants dans le secteur de l’hygiène et propreté
Sabrina royer
Doctorante en Didactique des Langues Grammatica, université d’Artois
résumé
Cet article présente les différentes interactions entre la tâche langagière et la tâche professionnelle au sein d’un corpus de situations de travail dans le secteur de l’hygiène et propreté. Il présente également la compétence du savoir-agir dans ce secteur professionnel et la nécessité d’analyser ensemble la tâche langagière et professionnelle. Ce travail, qui s’inscrit dans le cadre de ma thèse de doctorat en sciences du langage et didactique du FLE, vise à participer à l’amélioration des formations linguistiques pour les travailleurs migrants. Mots clés : référentiel de compétences / FOS / tâche langagière / didactique professionnelle / ergonomie /
1. contexte de La recherche : LeS travaiLLeurS miGrantS danS Le Secteur de L’hyGiène et propreté
Le secteur de l’hygiène et propreté est le secteur professionnel qui emploie le plus de travailleurs d’origine étrangère (30 %, tandis que dans la plupart des secteurs, le pourcentage de travailleurs étrangers s’établit autour de 10 %). Le nettoyage encadre en effet toute une série d’autres activités : un espace de travail, qu’il s’agisse d’un bureau ou d’un chantier terminé, ne peut être utilisé par d’autres travailleurs ou usagers s’il n’a pas été au préalable nettoyé selon des protocoles spécifiques. Des normes d’hygiène obligatoires sont également appliquées dans tous les secteurs en vue de la mise en service de ces espaces. Un employé de restauration comme un ouvrier du BTP est confronté à la complexité des normes en hygiène et propreté (contrôle qualité plusieurs fois par jour, normes d’hygiène à respecter pour conserver les aliments, protocoles d’hygiène à respecter pour ouvrir un lieu au public). Par conséquent, le secteur d’hygiène et propreté occupe une place considérable dans le monde du travail.
La compréhension et l’application de ces normes nécessitent l’acquisition de compétences langagières, nécessaires à la bonne intégration professionnelle et à la réduction des erreurs qui ont un impact négatif sur la productivité des entreprises. Comme
l’expliquent Filliettaz et Bronckart (2005, p. 27) : « lettrés comme peu lettrés sont confrontés au travail à des exigences en matière de littéracie ». Les études en analyse du discours professionnel comme celles de Jean-Paul Bronckart répertorient un certain nombre de discours imbriqués dans l’action (prescription de l’action, correction de l’action, retour sur l’action, déclenchement ou arrêt de l’action). Si la langue a un impact et une influence sur l’action (par exemple la langue déclenche l’action, arrête le processus de travail, le remet en route), l’action a elle-même un impact sur la langue et crée de nouveaux besoins langagiers et de nouvelles normes. Parce que les conditions de travail ont changé, la langue se modifie et la « part langagière » dont parle Josiane Boutet (2001) prend une autre place. Le lexique (nouvelles expressions figées et collocations) et les matrices discursives s’adaptent aux exigences de l’action.
La recherche en didactique du français langue professionnelle s’est de plus en plus intéressée aux besoins des travailleurs étrangers afin de créer des outils adaptés aux demandes professionnelles et de faciliter le travail des enseignants qui forment ces travailleurs : travaux de Florence Mourlon-Dallies, démarche de français sur objectif spécifique de Jean-Marc Mangiante et Chantal Parpette, carte des compétences langagières grâce au travail de Mariela de Ferrari, référentiels de compétences langagières de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris et de certaines universités (Lyon 2, université d’Artois, Paris 3, Paris 5). La recherche en didactique prend aussi en compte les besoins socio-économiques des entreprises pour développer entre l’entreprise et les apprenants un dialogue qui favorise l’intégration des travailleurs migrants. Sur le terrain nous constatons la mise en place de formations en langue axées sur des contenus professionnels, ainsi que de formations professionnelles à proprement parler. Cependant, elles souvent encore divisées dans des modules selon les programmes de formations. Les institutions et les enseignants ont conscience qu’il y a un besoin langagier spécifique au travail puisque l’on prend en compte le contexte professionnel de l’apprenant dans les formations linguistiques. Mais on constate d’ordinaire que formation professionnelle et formation linguistique restent des domaines non seulement distincts mais, dans une certaine mesure, séparés. Bien que le Cadre européen commun de référence pour les langues préconise l’apprentissage des contenus langagiers par tâches, ce qui correspond aux principes d’apprentissage en milieu professionnel, dans la démarche actionnelle telle qu’elle est le plus généralement appliquée, la tâche « pratique » en situation de communication n’est qu’un point final du parcours. De ce fait, comment analyser la correspondance entre la tâche langagière et la tâche professionnelle afin d’intégrer pleinement la composante linguistique dans les formations professionnelles sans dissocier les deux formations ?
Dans cet article, nous proposons de présenter le référentiel et le corpus en hygiène et propreté, illustré de quelques exemples d’analyses qui permettent de comprendre comment est structuré le discours de l’enseignant-formateur.
2. préSentation du référentieL et du corpuS en hyGiène et propreté
Selon la démarche du français sur objectif spécifique proposée par Jean-Marc Mangiante et Chantal Parpette (2004), nous avons collecté des données de locuteurs francophones en situation de travail afin de constituer le référentiel. D’autres référentiels ont été créés par le laboratoire Grammatica comme le référentiel en hôtellerie-restauration et celui du bâtiment et des travaux publics (Mangiante, 2006). Ces référentiels ont permis de répertorier les compétences langagières des différents métiers du domaine professionnel concerné, illustrées de vidéos et de tableaux d’analyse. Ces référentiels sont des outils pour la formation des travailleurs migrants au sein des entreprises mais aussi pour la formation des enseignants de français sur objectif spécifique au sein du master FLE/FOS.
Figure 1 : Capture d’écran illustrant la démarche du référentiel
Le référentiel en hygiène et propreté est composé de vidéos qui ont été tournées dans le lycée professionnel d’Oignies, dans la région des Hauts-de-France, partenaire de l’université d’Artois. La construction du référentiel en hygiène et propreté a nécessité une méthodologie spécifique et diffère quelque peu de celle appliquée pour les autres référentiels, cela étant lié à la conception du métier1. Le secteur de l’hygiène et propreté ne contenant pas autant de métiers que les domaines des autres référen-
1. Pour le travail sur le référentiel BTP, la démarche a été de filmer les travailleurs dans le milieu du bâtiment en situation professionnelle. Tandis que la démarche du référentiel des métiers d’hôtellerie-restauration et en hygiène et propreté a été de filmer des contenus en formation professionnelle pour analyser la différence entre les consignes en situation professionnelle et dans la formation professionnelle.
tiels, nous avons décidé de répertorier les discours et les situations en fonction des compétences professionnelles de l’agent en hygiène et propreté et des techniques de nettoyage qu’il doit maîtriser, par exemple « la technique du lustrage » ou bien « le balayage humide ». Chaque section comprend plusieurs vidéos qui découpent la technique. Chaque vidéo est assortie ensuite d’une transcription et d’un tableau d’analyses linguistiques et culturelles qui permettent de didactiser plus rapidement la vidéo.
Le corpus de notre thèse, principalement extrait du référentiel (une autre partie est filmée en entreprise), présente les élèves en situation de travaux pratiques professionnels. Il est constitué de discours explicatifs et théoriques de l’enseignant, de l’ensemble de ses consignes pour les travaux pratiques, de discours où elle corrige l’action, et de séquences où les élèves réalisent la tâche professionnelle corrigée. De manière générale, le schéma de la correction de la tâche en situation d’apprentissage se présente sous la forme suivante :

Figure 2 : Schéma de la correction de la tâche en apprentissage professionnel.
- Arrêt de l’action : L’enseignante arrête l’action professionnelle qui est en cours lorsqu’elle voit une erreur. - Observations de l’enseignante : Elle fait des remarques et localise l’erreur qui vient d’être produite. - Rappel de la procédure à suivre : Elle rappelle le protocole qui a été donné pour effectuer la tâche professionnelle. - Appel au savoir-agir de l’élève : L’enseignante fait appel aux socles de connaissances professionnelles de l’élève. - Correction de l’erreur : L’enseignante donne les éléments pour corriger l’erreur.
- Répétition de la tâche : L’élève reproduit la tâche professionnelle en corrigeant son erreur. Il peut également refaire la tâche avec d’autres erreurs.
Il est important de noter que ce schéma peut présenter des variables. Certaines étapes du schéma ne sont pas toujours présentes, par exemple les explications de la procédure à suivre dépendent de l’intention de l’enseignant.
Dans le cas où il souhaite que l’élève trouve la réponse par lui-même, il ne fera peut-être pas appel au savoir-agir et laissera l’élève se débrouiller ou s’il est en situation d’évaluation, la tâche ne sera pas répétée.
3. Le diScourS de L’enSeiGnant-formateur : un diScourS de cadraGe pour La preScription de La tâche profeSSionneLLe
Leplat et Cuny définissent la tâche comme « la tâche définie par celui qui l’a conçue et qui est souvent en commande de l’exécution. Elle indique ce qui est attendu de l’opérateur et dans quelles conditions il doit l’accomplir. » (Leplat & Cuny, 1970, p. 85). Avec les allophones, il est d’usage de travailler en priorité les éléments linguistiques qui composent les consignes de travail car ils sont essentiels à la compréhension des tâches à effectuer. Une consigne mal comprise peut coûter cher à l’entreprise et rendre inefficace le travail de l’employé : une erreur de protocole dans le nettoyage d’une cuisine peut intoxiquer les aliments ou une chambre d’hôpital mal nettoyée peut provoquer une infection. Dans notre corpus, tiré de la formation en lycée professionnel, le discours de l’enseignant-formateur contient le cadre de la tâche professionnelle, les consignes à suivre et les conseils à donner : son analyse est primordiale dans le cadre d’une démarche de FOS pour la formation à l’hygiène et à la sécurité.
Dans cette première vidéo, l’enseignante décrit étape par étape le déroulement de la tâche professionnelle en expliquant le protocole d’usage du nettoyeur vapeur. C’est dans cette partie de la technique de nettoyage que l’on retrouve la « tâche prescrite » décrite par Leplat et Cuny (1970).
transcription de la vidéo 1 : L’usage du nettoyeur vapeur
Prof: Alors, donc là je viens de le remettre à chauffer celui-là ça va aller: euh assez vite et là-bas il continue de chauffer donc c’est bon
Elève: Madame on appuie pas sur le plus ?
P: Alors j’ai expliqué.
E: Ah ouais c’est après
P: C’est après c’est la puissance d’aspiration donc je vais la choisir après là ça sert à rien que je mette mon système d’aspiration en fonctionnement le temps que ça chauffe, d’accord ?
E: …
P: Alors, ici, je vais vous faire voir, donc là, euh, donc… faire voir quand même ici vous voyez là c’est bloqué ma sécurité euh tout à l’heure vous allez le manipuler tout seul hein donc si vous restez derrière moi ça m’étonnerait que vous voyiez quelque chose, avancez, donc ici, j’ai mis ma sécurité/ donc c’est bloqué, d’accord ? Alors tant que vous n’utilisez pas vous devez bloquer la sécurité, pour éviter qu’il y ait quelqu’un qui passe derrière vous.
E: Qui fait mumuse ?
P: qui fait ? voilà, J’enlève ma sécurité, vous voyez, ça arrive, d’accord ? ça arrive, de l’eau, donc bientôt de la vapeur d’accord ? Donc vous avez vu ? Ca a chauffé très vite, quand même, y a pas longtemps que je l’ai allumé et ici je vais avoir mon contrôle d’aspiration d’accord ?A partir du moment où j’ai mis l’aspiration je vais pouvoir ici vous entendez jouer avec … d’aspiration là je diminue et là je coupe, je coupe mon système d’aspiration, d’accord ? Euh là, donc, vous avez vu, il est monté en pression. Je suis sur le vert donc c’est bien de la vapeur d’accord ? Donc qui dit vapeur, je suis à une température, je vous ai dit, supérieure, à cent degrés.
E: Par contre il pue un peu là.
P: Alors c’est parce que l’eau est restée dans le réservoir.
E: Ah d’accord…
P: Donc en fait euh c’est de l’eau stagnante, euh. Par contre l’inconvénient de celui-là c’est que je peux pas le vider mon réservoir donc si j’utilise pas tout l’eau, elle reste dans le réservoir jusqu’à la fois précédente d’accord ? Donc ça/ mais là-bas c’est pareil je peux aller le vider si j’ai pas tout utilisé ou alors il faut retourner la machine c’est pas euh
E: Il y a un agent madame qui est passé, un monsieur qui est passé.
P: Je vais aller voir à la récréation euh J’ai dit tout à l’heure … température supérieure à cent degrés dans mon système je n’ai bien que de l’eau. J’ai pas produit, d’accord, normalement, au niveau des EPI. Qu’est-ce que je dois mettre quand je fais mes bionettoyages d’une chambre de malade ?
E: Un masque, nan ? Des gants
P: Que le masque ? Des gants, d’accord ? Des gants à usage unique et quand je sors de ma chambre, j’enlève mes gants…
E: Je les enlève, je les jette…
P: Sauf, chut. Sauf que quand on va nettoyer à la vapeur, on ne va pas mettre de gants d’accord ? Parce que les gants, voilà, c’est euh donc une matière, euh, plastique donc en fait avec la vapeur ça va fondre et ça peut vous provoquer des brûlures, d’accord ? Donc on ne met pas de gants quand on utilise le nettoyeur vapeur, première règle de sécurité. Manon enlève tes mains de tes poches s’il te plaît autrement je vais les coudre. Deuxième règle de sécur deuxième règle de sécurité, je ne vaporise jamais,
en direction d’une personne, ou de moi-même, d’accord ? C’est extrêmement dan-
gereux, vous pouvez avoir des brûlures, deuxième voire troisième degré. On verra
quand on fera le risque de brûlure, donc jamais vous ne vaporisez vers une personne, avant de commencer sur votre surface, J’ai fait quoi ? J’ai testé dans un seau, d’accord ? Parce que si c’était pas arrivé à température, j’aurais pas eu de la vapeur. J’aurais eu de l’eau très chaude et qui aurait coulé d’accord ? donc pareil risque de brûlure, est-ce que ça va au niveau des règles de sécurité ?
Le discours de l’enseignant-formateur en lycée professionnel comprend quelques matrices récurrentes qu’il semble pertinent de souligner. Si nous nous intéressons aux systèmes d’annonce, nous pouvons voir qu’ils sont structurés par des formulations telles que « je vais vous faire voir ». La locutrice ancre son discours par des formulations au présent de l’énonciation « j’enlève ma sécurité », « je coupe mon système d’aspiration » qui sont presque systématiquement suivies par une anticipation de ce qui va se passer « je vais avoir mon contrôle d’aspiration ». Elle interpelle les élèves pour souligner leur attention sur un point « vous avez vu il est monté en pression » attirant presque systématiquement une construction syntaxique de conséquence « donc c’est bien de la vapeur ». De la même manière que dans la première vidéo, l’enseignante évoque tout de suite la conséquence de l’erreur « je ne vaporise jamais/ en fond/ en direction d’une personne/ ou de moi-même/ d’accord ?/ c’est extrêmement dangereux/ vous pouvez avoir des brûlures deuxième voire troisième degré ». La conséquence de l’erreur est soulignée par l’adverbe « extrêmement ».
4. une compétence néceSSaire à L’intéGration profeSSionneLLe : La compétence du Savoir-aGir
Une des principales spécificités du secteur hygiène et propreté réside dans la nécessité pour l’agent de devenir autonome assez rapidement pour être opérationnel sur le terrain. Contrairement à d’autres secteurs professionnels comme la restauration ou le BTP, l’agent doit être en mesure d’effectuer toutes les tâches professionnelles de lui-même sans aucun retour d’un supérieur pendant leur déroulement. Plusieurs raisons expliquent cette autonomie. Premièrement, la nature même du cadre professionnel : en effet, le travail ne peut pas être corrigé car l’agent est seul sur le terrain. Seuls les instructions préalables et le contrôle qualité lui donneront des indications sur son travail. Secondement, la tâche doit être réalisée dans un temps limité, la marge d’erreur est par conséquent très réduite. L’agent hygiène et propreté doit donc rapidement acquérir une compétence du savoir-agir, afin d’être considéré comme « compétent » au sens où l’entend Guy LeBoterf (2000).
Les échanges au travail, langagiers ou non-langagiers, nécessitent la connaissance de nombreux codes qui impliquent une maîtrise de la langue (les consignes de travail formulées au début de la tâche mais aussi les consignes de travail permanentes que l’employé est censé connaître). Néanmoins, il est tout à fait possible de comprendre une consigne de travail et de l’appliquer à la lettre et pour autant ne pas
réussir correctement cette tâche professionnelle et par conséquent, être considéré comme incompétent dans son domaine de travail. Leplat et Cuny évoquent cette notion de l’implicite au travail : « toute description contient une part d’implicite en ce sens qu’elle suppose toujours un certain nombre de connaissances utilisables par l’opérateur. » (1970, p. 85). Guy Le Boterf définit le savoir-agir au travail comme la capacité d’« aller au-delà du prescrit » (2000, p. 44). Or, un travailleur, allophone ou francophone, ne peut aller au-delà du prescrit que s’il a pris conscience et connaissance des codes et des règles bien souvent implicites qui s’apprennent au fur et à mesure de la pratique professionnelle. La seule maîtrise de la langue française ne suffit pas à la rendre évidente. Comme l’explique Galisson (2002), la langue est plus souvent désignée comme langue que comme langue-culture. De ce fait, la langue et le contexte professionnel ne peuvent s’enseigner de manière dissociée.
L’extrait suivant montre que cette compétence du savoir-agir s’acquiert grâce à l’enseignant dans la formation professionnelle. Les élèves du lycée professionnel sont en train de préparer le matériel nécessaire au nettoyage d’un bureau. Elles disposent de deux documents : le cahier des charges qui leur a été distribué, sur lequel sont listées les tâches à accomplir, ainsi que le protocole de nettoyage. Ces documents doivent leur servir à préparer leur matériel. Avant le nettoyage du bureau, l’enseignante-formatrice vérifie que leur matériel est bien préparé pour qu’elles puissent effectuer la tâche professionnelle. L’étape de la préparation du matériel évite de perdre du temps.
transcription de la vidéo 2 : La préparation d’un matériel pour le nettoyage d’un bureau
P : Vous me faites douter maintenant.
E : Attention c’est du vaporisateur à produit !
E : Bah on va quand même le prendre.
P : Dans le bureau il y a des vitres. Et donc tu vas tremper dans quoi ton mouilleur et ta raclette ? Vous avez pris un mouilleur pour quoi ? Donc pour les vitres… et le deuxième ?
E : Pour les carreaux. Ah bah pour le plafond et pour les murs.
P : Donnez-moi votre fiche.
E3 : Je peux mettre que deux litres moi dedans.
P : Où vous avez vu qu’il fallait dépoussiérer les murs ?
E2 : Bah c’est nous qui l’avons dit.
P : Donc à quoi ça vous sert qu’on vous donne un document ? En aucun cas sur
votre document il est marqué… dépoussiérer les murs lors des permanences. Or on est en train de faire une fois par semaine donc vous n’avez pas à dépoussiérer les
murs. Les vitres vous ne devez pas les faire « vider les poubelles, aérer les pièces, fermer et remplacer le sac » Vous avez vu s’il y avait des corbeilles dans le bureau ?
E2 : Je suis bête mais on n’a pas besoin de le faire.
E3 : Bah pourquoi ?
P : Parce que ce n’est pas écrit sur votre plan de travail. Les vitres lors des permanences. « Aérer la pièce, vider les corbeilles, remplacer le sac ». Il aurait fallu regarder la capacité de la corbeille pour prendre un sac adapté. « Dépoussiérer les écrans moniteur informatique ». Vous avez pris des chiffonnettes « les appareils téléphoniques », donc il y a un téléphone. Est-ce que vous avez pris un désinfectant de contact et mis du détergent neutre donc vous n’allez pas faire une désinfection. Donc il vous faut un désinfectant de contact prêt à l’emploi.
Les agents doivent être en mesure de préparer spontanément leur matériel. Cet extrait illustre la phase d’apprentissage à réaliser en autonomie. Les apprenants prennent des initiatives (« C’est nous qui… ») contraires aux protocoles. La formatrice note les écarts par rapport au protocole et en cherche les raisons « où avez-vous vu qu’il fallait… ». Elle rappelle la marche à suivre implicitement : se limiter à faire ce qui est inscrit dans le protocole, en explicitant par la voie passive ce qu’il contient (« il est marqué ») ; enfin, elle pose la conséquence de la marche à suivre, explicitant ainsi l’écart entre leurs pratiques et celles attendues : « donc vous n’avez pas… » (par la polyphonie de la phrase, « vous n’avez pas à » renvoie dans ce contexte à « vous avez »). La formation permettra aux apprenties d’acquérir l’autonomie nécessaire en assimilant les principes et les bonnes pratiques de leur métier. Lorsque l’élève fait une erreur, l’enseignant lui fait prendre conscience qu’il a déjà un socle de connaissances qu’il peut mobiliser pour savoir agir en conséquence avec pertinence lorsqu’un problème se pose. Nous pouvons trouver un autre exemple dans la même transcription : lorsque les élèves ont oublié de prendre des sacs plastiques. La formulation au conditionnel passé souligne l’erreur qui a été commise et ce qui devait être fait pour l’éviter « Il aurait fallu regarder la capacité de la corbeille pour prendre un sac adapté » et par conséquent ce qu’il aurait été nécessaire de faire pour qu’elle ne se produise pas.
L’analyse de cet extrait nous a permis de voir que la formatrice utilise plusieurs leviers logiques pour les aider à assimiler cela : - la remise en question des pratiques erronées, - le rappel des principes, - le rappel des références, - la conséquence attendue du suivi des références et son écart avec la conséquence de la prise d’initiative.
La compétence du savoir-agir se travaille également dans la diversité des situations professionnelles, en apparence similaires (mais qui ne le sont pas) que l’on peut rencontrer et qui forment la pratique professionnelle. Si l’on revient à la première vidéo, les règles de sécurité pour le port des gants sont spécifiques quand on utilise le nettoyeur vapeur. En général, il faut mettre des gants pour utiliser les machines afin
d’éviter de se mettre du produit sur les mains. Paradoxalement, dans cette vidéo, on lui explique que cela peut être dangereux de porter des gants dans certaines circonstances « quand on va nettoyer à la vapeur on ne va pas mettre de gants d’accord ?». L’enseignante donne des explications sur ce changement de gants : « parce que les gants voilà c’est euh donc une matière euh plastique donc en fait avec la vapeur ça va fondre et ça peut vous provoquer des brûlures d’accord ? donc on ne met pas de gants quand on utilise le nettoyeur vapeur/ première règle de sécurité ». Cette justification fait appel au savoir-agir du travailleur et à la compréhension d’une logique interne « avec la vapeur ça va fondre et ça peut vous provoquer des brûlures ». Cette logique s’acquiert avec la pratique et parfois même avec l’expérience de l’erreur.
conclusion
Dans cet article, nous avons présenté le référentiel en hygiène et propreté et sa spécificité d’être axé sur les contenus professionnalisant. Nous avons présenté quelques exemples montrant les spécificités du discours de l’enseignant-formateur. Notre objectif était de montrer qu’il faut étudier ces spécificités afin que l’apprenant puisse développer une compétence de savoir-agir. Il est nécessaire d’étudier les structures du prescrit pour pouvoir aller au-delà du prescrit.
La création des référentiels de compétences langagières permet à la fois la formation des travailleurs allophones et celle des enseignants de français langue étrangère. Ils sont également nécessaires à la recherche en analyse des discours professionnels et en lexicographie (matrices discursives, collocations). L’analyse des correspondances entre langue et action permet de mieux appréhender les activités pédagogiques que l’on peut mettre en œuvre en classe de FOS car elle inclut la dimension de formation professionnelle. De fait, ce type d’analyses pourrait participer à l’élaboration de dispositifs qui rassemblerait un travail sur les compétences qui restent aujourd’hui séparées dans les modules de formations. La formation FOS ne devrait plus simplement précéder la formation professionnelle mais l’accompagner du début jusqu’à la fin du parcours. Les premières analyses effectuées dans le cadre de cette recherche établissent que l’enseignant formateur doit inclure la tâche professionnelle dans les activités afin que le travailleur allophone parvienne à mieux cerner les problématiques de sa profession. Aussi ce travail poursuivra dans ce sens à travers des propositions didactiques afin d’améliorer le processus de formation.
■■Boutet j. « La part langagière du travail : bilan et évolution ». Langage et société, vol. 98, no 4, 2001, p. 17-42. ■■BroncKart j.-p. et fiLLiettaz L. L’analyse des actions et des discours en situation de travail. Peeters, Louvain-la-Neuve, 2005. ■■GaLiSSon r. « Didactologie : de l’éducation aux langues-cultures à l’éducation par les langues-cultures ». Ela. Études de linguistique appliquée, no 128(4), p. 497-510. ■■LepLat j. et cuny x. Introduction à la psychologie du travail. PUG, 1970. ■■manGiante j.-m. et parpette c., Le français sur objectif spécifique, Hachette, 2004.