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M. drouère, m. Besbiss, E. pebay, C. Gigan, m. Simon
résumé de la table ronde « dispositifs de français à visée professionnelle : retours d’expériences » 20 octobre 2017 – CCI-Strasbourg
modérateur michel drouère
ASDIFLE
mouloud BeSBiSS
CREAFOP
estelle peBay et christine GiGan
Confluence Alsace
maryse Simon
Académie de Strasbourg
1. préSentation deS participantS
michel drouère, animateur de la table ronde, présente chaque participant : mouloud BeSBiSS, responsable de formation au Conseil Recherche Évaluation Actions de Formation et d’Orientation Professionnelle (CREAFOP). Le CREAFOP est, au départ, spécialisé dans l’accompagnement socioprofessionnel des adultes et a diversifié par la suite ses champs de compétences et de formations. Le public est concerné par les formations FLE (remises à niveau pour adultes et validation de projets professionnels), formations en alternance socio-professionnelles, avec pour objectif l’accès à l’emploi ; estelle peBay est présidente et fondatrice de Confluence Alsace, organisme de langue qui souhaite se rapprocher de la formation professionnelle, et s’orienter sur les métiers de l’hôtellerie, de la restauration, et proposer un enseignement du français langue étrangère en entreprise et en tant que langue d’intégration. Le public est constitué systématiquement de personnes en situation professionnelle ; christine GiGan, chargée du suivi d’insertion professionnelle à Confluence Alsace, intervient en transversal sur toutes les problématiques de développement des ressources humaines, en approche linguistique et professionnelle (demandeurs d’emploi, remises à niveau FLE) ; maryse Simon est la coordinatrice du dispositif « Module d’orientation et d’apprentissage du français » (MOAF) de l’Académie de Strasbourg pour la Mission de
lutte contre le décrochage scolaire de l’éducation nationale. Le public est constitué de jeunes élèves qui veulent apprendre le français.
2. pourquoi un enSeiGnement du françaiS danS voS
StructureS ?
michel drouère interroge chacun des participants pour savoir comment le français en est venu à être enseigné dans leur structure, une partie de celles-ci n’ayant pas vocation, à leur origine, à être des structures où l’on enseigne le français. mouloud BeSBiSS, de formation littéraire avec une spécialisation FLE, est arrivé à CREAFOP il y a seize ans, recruté en qualité de formateur polyvalent sur des prestations Pôle emploi à destination des demandeurs d’emploi. Le FLE, à proprement parler, est venu aussi de demandes des marchés publics. Il a alors proposé à la direction de positionner l’organisme sur ces marchés. Comme il avait une spécialité FLE, il a été chargé de la partie pédagogique (rédaction du mémoire technique) et depuis CREAFOP est estampillé « organisme de français langue étrangère et de remise à niveau ». Il s’adresse aux étudiants présents dans le public pour leur dire que l’on doit s’adapter en permanence, en fonction de la commande publique, des marchés publics, de la Région et des orientations qui sont données par les politiques. Il faut donc proposer des formations en fonction des besoins qui sont répertoriés en amont et qui aboutissent à des appels d’offre. Le FLE se développant, il a été nécessaire de se positionner pour élargir les champs de compétences, avoir de l’activité et pouvoir se développer. En ce qui concerne l’intitulé des formations, il a d’abord été question de « FLE à visée professionnelle », puis de « compétences professionnelles » et de « pratiques du français » ; ces deux notions se sont ensuite inversées en fonction de la demande et des priorités. maryse Simon explique que le MOAF est un dispositif de l’éducation nationale qui propose une solution aux jeunes élèves âgés de plus de seize ans, allophones, pour lesquels il n’y a pas d’obligation de scolarisation et qui peuvent donc aller dans une INTITULE UPE2A. Pour les plus de seize ans, l’école n’étant pas obligatoire, l’éducation nationale n’est pas obligée de proposer une solution. Chaque académie agit dans la limite de ses moyens pour en proposer, avec des budgets souvent très réduits. Pour l’académie de Strasbourg, il n’y a qu’un seul dispositif, le module d’orientation et d’apprentissage du français (MOAF) basé au lycée Le Corbusier à Illkirch qui propose deux classes d’apprentissage du français. Un autre dispositif vient d’ouvrir dans un établissement voisin ; il est destiné aux élèves allophones non/ou très peu scolarisés antérieurement. Ce dispositif de quinze places est déjà totalement saturé. La demande de FLE est très forte puisque ce sont 270 jeunes en attente d’une solution, parmi un public d’allophones entre seize et dix-huit ans, présents depuis moins d’un an en France. Les mineurs, souvent non accompagnés, sont pris en charge par des foyers, ou dans des familles. Le public est hétérogène puisque la situation de ces
jeunes est très différente et leur niveau très différent également (jeunes peu scolarisés antérieurement ou dans des conditions où la scolarisation a été interrompue, souvent pour cause de conflits, de guerre ou de déscolarisation pour des raisons économiques dans leur famille). L’apprentissage est complexe puisque certains jeunes peuvent parler trois, quatre, jusqu’à sept langues différentes, dont le français, dans lesquelles ils peuvent communiquer, mais ne savent pas nécessairement écrire ; il s’agit donc d’enjeux très différents selon les jeunes. L’évaluation du niveau de français n’est pas simple. En effet quelqu’un qui ne parle pas un mot de français mais qui maîtrise cinq, six langues, dont trois à l’écrit, ce n’est pas du tout la même chose que quelqu’un qui vient, qui possède un peu de français « de la rue » parce qu’il est en France depuis quelques mois mais qu’il n’a aucune compétence dans une autre langue. La problématique est complètement différente. estelle peBay indique que son organisme est arrivé au FLE dans le cadre de la formation continue. Il s’agit de français langue étrangère sur objectifs spécifiques : la langue est subordonnée à l’atteinte rapide des objectifs, dans des délais très courts (quarante heures en entreprise pour maîtriser des compétences). L’évaluation est toujours double : on évalue un niveau de langue et un niveau de langue appliqué à une compétence professionnelle. Dans l’entreprise on a deux types de public : - D’une part, des opérateurs de production, en général en France depuis longtemps et qui vivent dans des communautés dans lesquelles ils ont maintenu leur langue d’origine ; - D’autre part, des cadres expatriés, arrivant dans des conditions confortables et qui vont accéder plus facilement à la langue.
Les employeurs ont le sens de la responsabilité sociale de l’entreprise et font en sorte de faire progresser tout le monde, y compris les opérateurs de production. Il y a vraiment cette responsabilisation dans les entreprises. Travailler pour les marchés publics implique d’avoir à gérer non seulement l’apprentissage de la langue, mais également posséder d’autres compétences permettant d’être sur l’accompagnement professionnel, sur l’interculturel, sur la gestion sociale (travailler fréquemment avec les associations) et sur tous les problèmes périphériques comme les problèmes de logement. Il faut donc être prêt à affronter un groupe de quinze demandeurs d’emploi qui viennent tous les matins avec de nombreuses difficultés et qui, le soir, rentrent avec des choses très lourdes à gérer. C’est cependant très enrichissant pour l’enseignant.
3. réfLexion autour deS compétenceS orGaniSationneLLeS requiSeS auprèS deS étudiantS en didactique du fLe
michel drouère rebondit sur cette dernière intervention pour préciser que, parmi les compétences de plus en plus souvent requises auprès des étudiants inscrits en Didactique du FLE, il est nécessaire de savoir répondre à un appel d’offre et donc,
en amont, de savoir lire un Cahier des charges. Il n’est pas certain que cette compétence se trouve dans les maquettes de formation en Didactique du FLE alors que dans la pratique professionnelle c’est devenu un élément important. Pour enseigner le FLE il faut bien souvent trouver un financement et pour obtenir un financement il faut avoir répondu à un appel d’offre christine GiGan explique que celui qui répond au Cahier des charges est souvent un enseignant qui doit être capable de le lire. Regarder la liste des pièces à fournir constitue déjà une compétence (connaître les acronymes, par exemple) ; il faut connaître le tissu socio-économique et la réalité des publics, donc aller beaucoup sur le terrain pour savoir de qui on parle, être capable de construire un programme et de répondre à des questions sur certains cadres régionaux. Il y a donc une compétence pour répondre au Cahier des charges et, à l’autre bout de la chaîne, une fois le marché obtenu, l’enseignant doit être à même de comprendre le Cahier des charges et de se l’approprier. En fonction des marchés, ce sont, à chaque fois, d’autres exigences, des contraintes et des publics différents en termes de temps, de moyens, etc. ; c’est tout un apprentissage qui se fait sur le terrain. mouloud BeSBiSS poursuit la réflexion en rappelant qu’appel d’offre est complexe parce qu’il demande des compétences pluridisciplinaires. Il faut d’abord lire, analyser, comprendre ce qui est demandé, tout en sachant que l’on n’est pas tout seul. C’est une compétition, il y a de la concurrence, il faut donc être l’organisme qui va proposer la réponse la plus efficace mais aussi la moins chère. Il faut aussi avoir des compétences dans la gestion, l’organisation et les ressources humaines. Il faut ensuite expliquer, en termes pédagogiques, le Cahier des charges aux enseignants. Il y a des contrôles, il faut donc aussi veiller à son respect, à ce que tout soit bien coordonné. Quand on est sur le terrain en tant qu’intervenant, on peut voir ce qui ne marche pas et ce qui fonctionne, ce qu’on peut améliorer. Le « Décret qualité », appliqué aux organismes de formation, est à connaître. C’est donc un champ très vaste au sujet duquel les étudiants doivent s’informer. On s’oriente vers une certification pour les organismes de formation afin qu’ils puissent proposer leurs formations et prétendre à des financements. christine GiGan pense que les étudiants de FLE devront s’intéresser aux aspects du monde de l’entreprise pour aussi faire évoluer leurs postes, chemin faisant. Elle leur conseille d’être toujours dans cette curiosité intellectuelle d’aller découvrir les métiers des autres. C’est aussi un pan de développement professionnel pour eux dans le futur.
4. préSentation deS outiLS et deS réSuLtatS en matière de françaiS à viSée profeSSionneLLe
michel drouère interroge les participants sur les outils et résultats des dispositifs. maryse Simon indique que le Fonds Social européen (FSE) a permis de doubler la
capacité d’accueil des jeunes dans cette formation de l’éducation nationale. L’objectif dans le MOAF est de comprendre le marché du travail dans des voies professionnalisantes pour que les jeunes soient capables de comprendre les enjeux d’une formation, de suivre cette formation et de s’insérer rapidement dans une activité professionnelle. Il y a donc là un double objectif : intégration dans la vie en général et insertion dans une formation diplômante en vue d’une insertion professionnelle rapide. Pour parler des résultats : ce dispositif, créé en 2001, fonctionne très bien. Un grand nombre de jeunes sont très motivés pour entrer, vu la concurrence qu’il y a et le peu de place, 85 % des jeunes peuvent être intégrés en classes ordinaires c’est-à-dire qu’en dix-huit semaines de cours au total ils peuvent comprendre les consignes de sécurité et celles du professeur. C’est donc un apprentissage extrêmement intensif. Ces jeunes, en situation personnelle difficile, ont besoin de gagner leur vie rapidement et certains mineurs n’auront de financement de l’État qu’à leurs dix-huit ans, ils auront besoin d’une formation rapide, un CAP, même s’ils ont un niveau supérieur. L’apprentissage est une solution très peu utilisée dans un premier temps, car n’ayant pas de papiers ils ne peuvent avoir de statut administratif. L’apprentissage est une solution dans un deuxième temps. Enfin, lorsqu’ils font un stage, le patron qui voit leur grande implication fait souvent la démarche d’accueil pour qu’ils deviennent apprentis.
Le MOAF accueille maintenant une soixantaine d’élèves dans quatre modules par an (modules qui marchent par semestre). Deux groupes fonctionnent simultanément avec une différence de niveau, le groupe de ceux qui ont été très peu scolarisés antérieurement, qui n’ont pas d’habitude scolaire, assez peu de méthodologie, et un autre groupe plus nombreux, possédant déjà une base de français. Durant la première semaine du semestre, entre soixante-dix et quatre-vingts jeunes sont auditionnés pour pouvoir distribuer les 27 places. Il s’agit de leur donner la clé pour apprendre à apprendre le français, ce qui leur permettra d’ouvrir toutes les portes de la vie en général et de leur vie professionnelle. Une trentaine d’heures est proposée par semaine pour chaque groupe, 250 heures sont allouées au total à la formation, deux enseignants sont employés à temps plein, et agissent à la croisée du FLE, du FLS, du français de scolarisation, du FOS très spécialisé, etc. Il n’y a pas de méthode pour une formation aussi intensive, une méthodologie d’enseignement du français a donc été mise en place par deux enseignantes et marche très bien. Cette méthode est complétée par d’autres enseignements pour que les futurs élèves puissent être intégrés dans des formations diplômantes avec les autres niveaux. Le DELF est préparé (avec presque 100 % de réussite), ainsi que d’autres diplômes qui peuvent les aider pour le volet administratif de leur situation. estelle peBay explique que les personnes les plus simples à évaluer sont les publics en entreprise. On évalue le niveau de langue sur les compétences langagières et le niveau de compétence professionnelle sur leurs postes, à leur niveau. Ce sera par
exemple gérer un appel téléphonique, et se demander à quel niveau ils sont capables de le faire, (ça peut être juste transférer un appel, ce qui relève du A2, gérer un appel, ce qui pourra aller du B2 au C2). Quand on fait un entretien diagnostic en démarrage de formation avec ces publics-là, on évalue la liste des compétences à développer, on la fait valider par un manager, et on réévalue à la fin en tripartite pour évaluer le niveau de compétences à atteindre. Le cadre règlementaire fait qu’on doit ajouter un test de langue, pour des raisons de financement. Ce test n’étant pas un examen, il n’est donc pas acquis à vie, il va donner une photo du niveau à un moment donné. Lorsqu’on passe sur les marchés publics les financeurs demandent comment on évalue l’efficacité du dispositif. Pour cela on évalue les résultats des candidats sur la compétence visée mais également, par exemple, sur leur capacité à être à l’heure le matin, puisqu’on doit développer les savoir-être pour les envoyer dans une entreprise. La compétence pratique du savoir-être s’acquiert difficilement et se travaille toujours. Donc plus on va s’éloigner de l’emploi, plus on va ajouter de critères comme la ponctualité, le fait d’être capable de travailler en groupe, la non-discrimination, etc. mouloud BeSBiSS indique qu’à CREAFOP il y a des tests de positionnement, des évaluations sur les compétences linguistiques. Ce sont des formations en alternance, le volet professionnel est donc difficilement mesurable. Cela se fait au fil de l’eau, en continu. On organise des visites en entreprise et on fournit aux tuteurs des grilles d’évaluation concernant à la fois les compétences techniques, transversales et sociales. On a un retour des tuteurs qui sont des experts par rapport à un poste. On croise ces résultats avec les tests de positionnement initiaux, les écarts, les progressions lors du test final que l’on présente au financeur dans le cadre d’un bilan1. Les retombées de la formation se voient aussi plus tard et ne sont parfois pas mesurables immédiatement. Par exemple, il y a des personnes qui reviennent pour dire que la formation a été un tremplin leur permettant d’évoluer et d’accéder à l’emploi. À travers l’immersion qu’on leur a proposée, ils ont pu valider un projet car, entre la représentation qu’on s’en fait et la réalité, il y a toujours un décalage. Cela leur a permis de déconstruire des représentations, d’acquérir des postures, un espace tangible dans lequel ils peuvent communiquer en développant des compétences linguistiques à l’oral. Ce qui est compliqué pour les demandeurs d’emploi, c’est de mettre les pieds dans une entreprise car il y a des barrages sur le plan linguistique tels que la lettre, le CV et l’entretien (qui est très technique). Les stages leur permettent de court-circuiter ces étapes-là, de contourner ces barrages et on a de très bons résultats d’embauche, alors que les entreprises reçoivent énormément de candidatures. christine GiGan illustre l’évaluation avec des exemples que l’on propose notamment en hôtellerie et en restauration. Les stagiaires ont des enseignements linguis-
1. Les financeurs demandent de plus en plus de faire un bilan à six ou douze mois pour voir les retombées et les résultats pour les personnes qui ont suivi les formations.
tiques, travaillent sur leurs transitions professionnelles, et chaque semaine évoluent sur un plateau technique cuisine. C’est ainsi qu’on donne un rythme à la formation, qu’on les fait sortir de leur zone de confort habituelle. Les cursus de formations intensives sont proposés aux commanditaires et fonctionnent plutôt bien. maryse Simon ajoute qu’il est difficile d’évaluer des jeunes qui viennent d’arriver en France. Lorsqu’ils ne parlent pas le français il est impossible de faire une évaluation, même sur leurs capacités d’apprentissage. Or, selon les critères du FSE, on doit établir les pronostics de chance de réussite à l’examen. De plus, si on essaie d’envoyer des élèves dans d’autres établissements de l’académie, beaucoup d’équipes pédagogiques disent ne pas savoir enseigner le FLE. C’est en effet difficile de travailler avec des élèves qui sont, certes, motivés, mais avec des difficultés particulières. L’évaluation se fait donc au départ ou en cours de parcours par les professeurs, d’où l’importance d’avoir des diplômes estampillés et ne pas être dans l’approximatif.
5. L’individuaLité au cœur deS diSpoSitifS d’enSeiGnementapprentiSSaGe du françaiS
michel drouère se dit frappé par le fait que les formateurs prennent en charge toute l’histoire de la vie des apprenants. estelle peBay acquiesce et explique que ce sont souvent des périodes charnières, des moments-clés, des passages décisifs dans la vie de ces jeunes. Ces jeunes et moins jeunes sont face à des intervenants multiples qui envisagent chacun la personne sous un angle particulier, administratif ou autre. Ils les côtoient toute la journée de 8h à 19h pendant des semaines, pendant des mois, ils sont le recours, dans le cadre de l’apprentissage, mais également dans une dimension beaucoup plus large.
Pour mouloud BeSBiSS, être formateur c’est avoir plusieurs casquettes. Le premier contact institutionnel qu’a un primo arrivant, une personne d’origine étrangère, c’est l’organisme de formation. Il y a beaucoup d’espoirs qui reposent sur la formation et sur le formateur. On est parfois un réceptacle et une des qualités premières est l’écoute, l’écoute active. On prend en considération la personne à part entière avec son histoire, son vécu, les freins rencontrés et on ne peut pas cloisonner. Cela demande des compétences pluridisciplinaires, d’écoute, de travail en réseau. Quand il y a des pathologies, des problèmes d’hébergement ou de santé, il est nécessaire de travailler au sein d’un réseau qu’il faut donc développer, entretenir, pour justement lever les freins parce que s’il y a des freins, l’apprentissage ne sera pas efficace. estelle peBay prend en compte toutes les difficultés des personnes. Pour devenir formateur il faut une grande empathie. Cela ramène à des valeurs toutes simples comme la politesse. Dire bonjour tous les matins à des gens qui arrivent en France et qui sont peu reconnus, socialement parlant. Cela les revalorise et c’est un élément qu’il faut toujours avoir à l’esprit. Les formateurs en français langue étrangère doivent aussi expliquer les manuels scolaires aux parents car le français de l’école
c’est encore un autre français que celui de la rue. Il faut vraiment être tout le temps à l’écoute, ne pas se cloisonner. Certes, on fait les programmes mais on est aussi là pour valoriser les gens, leur redonner confiance.
6. diSpoSitif de françaiS à viSée profeSSionneLLe, entre
SuccèS et déBâcLeS
michel drouère demande à chaque participant de donner un exemple de succès et, peut-être, un exemple d’échec qui pourraient illustrer le travail mené. maryse Simon donne l’exemple d’une jeune fille d’origine somalienne, qui n’a pas pu aller à l’école dans son pays d’origine pour des raisons religieuses de non accès à la scolarisation des jeunes filles. Elle était totalement autodidacte. Elle est arrivée en France et neuf mois après elle savait déjà parler français. En six mois elle a appris suffisamment de français dans le MOAF pour intégrer un bac professionnel, avec un projet valorisant puisqu’elle voudrait, à terme, retourner dans son pays pour pouvoir donner accès à l’eau aux gens de son village et sortir de la mainmise des Shebab. Elle est maintenant en dernière année de baccalauréat professionnel, donc une très grande réussite. Les élèves allophones d’origine étrangère sont à presque 80 % dans le trio de tête, l’année d’après, dans leur classe avec les autres Français. Dans ces filières professionnelles il y a beaucoup de Français qui n’ont pas choisi cette voie-là, alors que ces élèves sont, au contraire, extrêmement motivés. Un autre exemple est celui d’un jeune homme qui vient d’Irak, qui a été déscolarisé et qui a vécu des évènements dramatiques. Il a mis beaucoup de temps à entrer dans l’apprentissage mais il avait un projet et il est le seul à avoir pu intégrer le lycée international des Pontonniers pour une formation générale. Il a gagné le premier prix de poésie dans l’établissement. Donc des parcours extrêmement positifs mais malheureusement d’autres parcours qui sont plus compliqués comme cette jeune fille tchétchène qui est arrivée en France, enceinte, dans des conditions dramatiques, qui a eu son bébé en cours de module et qui, deux semaines après, était de nouveau en classe, mais, à cause de gros problèmes de santé, a terminé le module sans avoir pu revenir dans une scolarisation. mouloud BeSBiSS a lui aussi plein d’exemples de réussites et de parcours. Pour lui, la réussite c’est la longévité, la durée dans la formation car cela demande beaucoup d’efforts, de remise en question, d’investissements aussi bien de la part des apprenants que des formateurs et des organismes, car le milieu est très concurrentiel. L’échec, c’est aussi de ne pas remporter un appel d’offre car cela demande beaucoup d’investissement, de ressources humaines, on n’en sort pas indemne mais c’est un mal nécessaire qui incite au renouvellement, à la remise en question. Cela permet de se perfectionner dans les pratiques.
Pour christine GiGan voir des apprenants trouver un emploi à un moment ou à un autre est la plus belle récompense. Les échecs surviennent parfois au début lorsque l’on n’a pas tous les éléments ni le réseau. Il faut savoir développer les parte-
nariats, comprendre aussi que l’on est des accompagnateurs un temps donné et qu’il faut savoir passer le relai à d’autres. estelle peBay évoque un échec récemment avec une candidate qui avait des problèmes d’addiction et de schizophrénie. Un échec d’un tout autre ordre dans une maison d’arrêt auprès de détenus, avec une administration qui ne partageait pas les mêmes objectifs, ni l’intérêt d’aller former les candidats. Elle évoque aussi la réussite : dans les couloirs il y a des gens de tous les pays, il y a des femmes voilées, d’autres avec des mini-jupes et finalement tous ces gens cohabitent. On a dépolitisé la situation et essayé de construire des liens pour fédérer une société dans l’apprentissage.
7. queStionS-réponSeS avec La SaLLe
michel drouère propose de répondre aux questions et d’écouter les commentaires de la salle. florence mourLhon-daLLieS indique que les formations en Didactique du FLE commencent à intégrer depuis quelques années la question des appels d’offre, dans le master FOS à Arras, ou à Paris Descartes, par exemple. Le principal obstacle vient de l’institution universitaire elle-même, des diplômes qui ne sont pas favorables la plupart du temps aux valeurs du monde de l’entreprise. Or cette formation « appel d’offre » est indispensable aux étudiants de FLE et FLS en particulier, de même que les cours de gestion qui sont très importants dès qu’on a la volonté de devenir directeur de cours ou d’un organisme de formation. un participant, conseiller en insertion à Pôle emploi, félicite les intervenants et indique qu’il est d’un grand intérêt de former ces personnes à la langue française professionnelle. Par le biais des formations présentées, les personnes mettent le pied dans les entreprises et sont souvent rémunérées par Pôle emploi quand ils intègrent des formations, ce qui leur permet de retrouver une dignité. estelle peBay revient sur le cloisonnement de l’entreprise et de l’université : en fait il y a une opacité dans les actions menées par les organismes, la Chambre de commerce, etc. Les organismes démarrent tous les mêmes actions sans le savoir. L’opacité de la formation est réelle, générale, les organismes sont très nombreux, les financeurs aussi (Pôle emploi, la Région et dans les villes le Font Social Européen, le Conseil du Département, l’Euro Métropole…). Cela manque donc de lisibilité, de coordination et c’est là-dessus qu’il devrait y avoir un travail politique. Le manque de coordination est générateur d’échec et fait qu’on ne mène pas les parcours au bout ou qu’ils s’arrêtent pendant plusieurs mois. Elle invite les étudiants à venir dans les organismes de formation et à assister à des cours en continu pour voir la réalité de cet enseignement en continu. mouloud BeSBiSS répond à une question sur les appels d’offre et les éventuelles réductions de budget. Il y a les tranches fermes, c’est-à-dire quand un marché est attribué à l’organisme, on va jusqu’au bout du marché. Parfois il y a aussi des tranches
complémentaires, c’est-à-dire si des besoins supplémentaires apparaissent on propose un ou deux lots en plus. Parfois une formation même ferme peut s’arrêter. Auparavant, on faisait des formations CPPF - Compétence Professionnelle et Pratique du Français et aussi CPSF - Compétences Professionnelles et Savoirs Fondamentaux. Les personnes venaient, dans le cadre OFII - Office Français de l’Immigration et de l’Intégration, en contrat d’intégration formation linguistique. Ils basculaient vers des formations CPPF - Français Langue Étrangère à Visée Professionnelle et ensuite en fonction de leur niveau ils pouvaient aller dans les formations CPSF. Tout cela a été arrêté et, en région Alsace il n’y plus de formations FLE mais davantage de remise à niveau, socle de connaissances et de compétences professionnelles. Il faut cependant avoir un certain niveau (CLéA - socle de connaissances et compétences professionnelles) de typologie FLE pour intégrer ces formations. Il faut donc s’interroger sur le devenir des autres personnes. Les offres de formation pour ce public-là sont compliquées. En s’orientant vers les mises à niveau, on exclut des personnes qui auraient besoin de formations plus larges. mouloud BeSBiSS ajoute que dans le calendrier de formation on veille à ne pas mettre de séquences pendant les grandes vacances ni les vacances de décembre. Parfois même on évite de mettre en place des séquences le mercredi car on sait que les personnes ont des enfants. Les organismes de formation fonctionnent en termes d’heures.
michel drouère remercie les intervenants et les participants et clôt la table ronde.