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Jean-Marc Mangiante

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Fanny Auzéau

Fanny Auzéau

évolution de la démarche foS aujourd’hui : une ingénierie de formation en langue en contextes professionnel et académique

jean-marc manGiante

Professeur des universités en Linguistique et Didactique du FLE Grammatica, université d’Artois

résumé

Cet article se propose de dresser un état des lieux de la recherche en FOS aujourd’hui à partir des travaux menés au sein du laboratoire Grammatica de l’université d’Artois et du comité scientifique FOS/FLP de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Île-de-France. Elle présentera en particulier la réflexion menée autour des référentiels de compétences en langue professionnelle, des liens entre langue et action au travail et de leurs apports à la conception de formations en FOS.

La recherche actuelle porte également sur la conduite de classe en FOS et l’impact de la démarche didactique du FOS sur les relations et interactions en classes de langue professionnelle ou universitaire, entre un enseignant – concepteur non spécialiste du domaine et un public de spécialistes. Mots clés : référentiels / FOS / proximité / tâches / ingénierie /

introduction

Si l’on analyse les différentes formations en français sur objectif spécifique (désormais FOS) conçues et assurées par les intervenants du centre de langue de l’université d’Artois (UA), de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, du CIEP ou encore par les étudiants du Master FLE/FLS/FOS en milieux scolaire et entrepreneurial de l’UA, il apparaît que le FOS s’apparente à une véritable ingénierie de formation impliquant l’ensemble des composantes de formation et d’organisation des centres de langue. Il s’agit de mettre en place un dispositif nécessitant la collaboration du prescripteur de la formation, une entreprise, une administration ou une université, ce qui suppose l’intervention et l’appui logistique et matériel de la direction du centre. Ces différents niveaux d’ingénierie de formation en FOS ont suscité divers travaux de recherche qui ont contribué à enrichir la démarche de conception de programmes : les notions d’audit linguistique en entreprise dont l’origine provient des travaux du Conseil de l’Europe dans les années 1990 (Huhta, 2002), la démarche de référentialisation en milieux professionnels (Mangiante, 2006, 2011), l’apport des corpus de spécialité, l’analyse des discours professionnels et universitaires et la conception de grilles d’analyse en fonction des liens entre langue et action au travail (Bronckart, 2004 ; Mourlhon-Dallies, 2008) en constituent quelques exemples.

La recherche en FOS / FOU se dirige également vers les pratiques de classes en FOS / FOU et vers l’influence de la démarche didactique du FOS sur les relations et interactions en classes de langue professionnelle ou universitaire.

Le FOS relève d’une démarche prototypique adaptable mais exigeante, comportant des étapes successives de conception de formation : identification de la demande, analyse des besoins langagiers, collecte des données discursives, analyse des données et élaboration didactique. L’accomplissement de cette démarche est entravé par de nombreux obstacles matériels et temporels liés à l’organisation des centres de langue française : urgence de répondre aux demandes de formation, contraintes budgétaires, méconnaissance des enjeux du FOS et déficit de ressources pédagogiques et de formation des enseignants…, en constituent les principales.

Il est indispensable dans ce contexte de mettre en place une collaboration avec les partenaires professionnels (entreprises, administrations) ou universitaires (cas du FOU) pour la mise en place de chacune de ces étapes. Pour cela l’implication de toute l’institution est indispensable à la mise en place du dispositif de formation. Le FOS passe ainsi d’une démarche méthodologique et didactique de conception de programmes d’enseignement à une ingénierie de formation intégrant un niveau macro constitué d’un réseau de collaboration impliquant la direction du centre de langue et ses différentes composantes pédagogiques et administratives et le prescripteur de formation, entreprise ou administration (DRH, directions des services…), dont découleront les autres niveaux du dispositif : méso, constitué des ressources et des moyens (collecte et analyse des données avec l’aide de l’entreprise) et micro, avec l’animation du cours de FOS sur site.

Cette ingénierie de formation induit différentes pistes de recherche dont les résultats permettent d’enrichir la démarche et de rendre plus efficace le processus de formation. L’analyse de données langagières collectées sur le terrain professionnel dans le cadre de la collaboration mise en place avec les entreprises nécessite une étude des liens entre langue et travail, tâche langagière et tâche professionnelle. Objet de recherche dans différents laboratoires, notamment en Suisse avec les travaux de Bronckart et Filliettaz (2006), par exemple, cette étude constitue aussi un programme de recherche du laboratoire Grammatica de l’université d’Artois en lien avec la conception de référentiels de compétences en langue professionnelle et universitaire, associée à la construction de corpus linguistiques et didactiques. Cette recherche transversale en analyse des discours professionnels et universitaires permet de déterminer et d’analyser des genres professionnels, scientifiques et universitaires.

Un autre axe de recherche induit par l’ingénierie de formation en FOS consiste à s’interroger au niveau micro sur la pratique de classes en FOS : quel est l’impact sur la classe de FOS de la démarche de conception du FOS, et de la collaboration étroite avec les professionnels, en particulier quand les cours ont lieu sur le site même de la pratique professionnelle avec une participation des professionnels ?

1. LanGue et action au travaiL, tâcheS profeSSionneLLeS et protocoLeS actionneLS

L’analyse des discours professionnels nécessite de comprendre les différents paramètres contextuels de l’action au travail, en particulier la connaissance préalable du protocole actionnel ou script d’action qui détermine la nature et l’ordre cohérent des opérations ou micro-tâches qui se succèdent pour atteindre le résultat final de la tâche professionnelle. Le statut des (inter)actants et leur positionnement dans l’entreprise ou l’institution jouent aussi un rôle dans le processus de réalisation de la tâche, de la compréhension des consignes et de la communication qui s’instaure au moment de l’action au travail. Les paramètres situationnels, matériels, temporels et spatiaux sont à interroger et nécessitent la collaboration de l’entreprise. La langue au travail relève donc du protocole opérationnel de la tâche professionnelle à accomplir et de son interprétation par le locuteur. Il s’agit ici d’un « travail prescrit codifié (protocolisé), travail réel et travail interprété » (Bronckart, 2004, p. 131). Les discours à analyser sont imbriqués dans l’action au travail : ils accompagnent l’action, ils la prescrivent et la déclenchent (consignes, actes injonctifs), ils l’expliquent voire argumentent pour convaincre les opérateurs de la mise en place de tels gestes ou actions, pendant ou après l’action, ils évaluent, arrêtent ou corrigent l’action pour la modifier…

Les notions de tâche et d’action professionnelle ont largement inspiré l’approche actionnelle actuelle mise en pratique par le CECR-L et les méthodologies d’enseignement – apprentissage des langues étrangères actuellement utilisées. La recherche sur l’analyse des discours professionnels conduit donc à déterminer aussi le lien entre tâche professionnelle et tâche langagière. La tâche professionnelle est définie comme « le but que l’utilisateur (ou opérateur) vise à atteindre assorti d’une procédure (ou plan ou script d’action) qui décrit les moyens pour atteindre ce but » (Normand, 1992, p. 43). Cette procédure est un composant exécutif de la tâche : ensemble organisé d’opérations temporelles et structurelles. La tâche se compose donc d’une série organisée d’opérations, selon une procédure connue à l’avance mais dont l’application peut varier selon les opérateurs, les entreprises (prescripteurs de la tâche), les cultures professionnelles… La procédure constitue ce que Bronckart appelle le « travail prescrit » qui, par conséquent, s’apprend en amont par la formation professionnelle et la pratique, avec un rôle important joué par la langue dans l’assimilation de la tâche par les opérateurs. Mais pour Le Boterf (2000), il faut « aller au-delà du prescrit » pour maîtriser la tâche et acquérir la compétence du « savoir-agir », sorte de macro-compétence qui fixe la performance du praticien accompli ou de l’acteur social indépendant.

La tâche professionnelle comprend également la posture de l’opérateur, par laquelle il considère son poste de travail, sa situation au sein du groupe, le geste professionnel et la routine dans l’exécution, qui constitue l’amélioration du geste. Enfin, au protocole actionnel qui régit la progression de la tâche s’ajoute un pro-

tocole culturel dans l’accomplissement des actions et dans la parole au travail qui l’accompagne et la définit (Mangiante et Meneses, 2016). La tâche langagière qui s’inspire du modèle professionnel est définie comme un ensemble coordonné d’activités langagières réuni autour d’un objectif communicatif qui en constitue l’aboutissement (tâche finale) pour Nunan (1991). L’enseignant de FOS analysant les discours professionnels produits et échangés au cours de la tâche professionnelle sera amené à séparer tâche professionnelle et tâche langagière et à répartir les fonctions de chacune :

Part langagière Tâche professionnelle

Compréhension des consignes Lecture de données Accompagnement Présentation Évaluation Correction

Préparation des ingrédients, instruments, matériaux… Geste professionnel Actes successifs / Protocole Routine Posture Figure 1 – Part langagière et tâche professionnelle

Dans l’exemple suivant, issu du corpus de tâches professionnelles du référentiel de compétences en langue pour les métiers de l’hygiène – propreté, conçu par le laboratoire Grammatica en 2017, la description et l’explication de la tâche professionnelle constituent la part langagière du travail. Il s’agit de la procédure de fonctionnement de l’aspirobrosseur, expliquée à des élèves du lycée professionnel d’Oignies (Pas de Calais). Ici l’enseignante décrit le protocole actionnel, explique et argumente en situation de pratique professionnelle. Le document vidéo collecté permet de mettre en évidence le discours professionnel associé à la tâche :

P: Stop/ Est-ce qu’elle va commencer au fond ? Est-ce qu’elle va commencer au

bord ?/ Pourquoi on commence au bord ?/ Tiphanie !/

E: Bah je suis là c’est bon/

P: Oui bah mets toi là-bas ça t’évitera de parler/ Oui mais pourquoi là ?/ Normalement on devrait commencer au fond de la pièce/ Quand vous aspirez votre chambre par

exemple/ vous commencez bien au fond et vous finissez par la porte/ Pourquoi là je lui fais commencer au bord ?/ Quelle est la particularité ici ?/

E: Bah non parce qu’on va finir ici/

P: Non/

E: Pour que le câble il soit là/

P: Non/ je commence au bord parce qu’en fait il y a un revêtement qui est très

sale/ et si je commençais là-bas elle viendrait piétiner ici et donc elle enfoncerait les salissures dans le revêtement textile/ donc comme le revêtement est fort sale on

commence au bord/ d’accord ?/ […]

Transcription de la vidéo 8, référentiel de compétences Hygiène – propreté, Grammatica, 2017 (consultable sur le site de Grammatica en accès réservé).

Ici la tâche langagière relève de la procédure suivante : arrêt de l’action de nettoyage commencée (avec l’aspirobrosseur) + correction de l’action + questionnement pour activer la mobilisation des connaissances + explications de la procédure à suivre à nouveau + appel au savoir-agir (« savoir aller au-delà du prescrit »). Des explications données se dégage le protocole actionnel de la tâche professionnelle qui détermine à la fois l’utilisation de l’aspirobrosseur, les gestes à employer et la localisation et la progression des gestes de nettoyage. La tâche langagière permet ici d’acquérir la maîtrise de la tâche professionnelle, ce que nous pouvons analyser en nous inspirant du schéma de Leplat et Cuny (1974) qui détermine l’accomplissement de la tâche en mettant en évidence l’apport langagier à ce déroulement actionnel : - tâche prescrite : consignes.

C’est la tâche telle qu’elle est prescrite par le responsable de l’opérateur. - tâche attendue : résultats selon des règles prescrites.

C’est la tâche telle qu’elle est attendue du prescripteur, c’est-à-dire telle que le protocole l’a définie et telle qu’elle a été apprise en formation. - tâche effective : perception de la tâche, écart possible.

C’est la tâche telle qu’elle est perçue par l’opérateur qui a pu l’interpréter différemment, d’où les écarts possibles avec le protocole prescrit. - tâche réalisée : conformité avec la tâche attendue ou correction (argumentation).

A l’issue du travail constaté, c’est la tâche effectivement réalisée avec les éventuelles corrections demandées par le prescripteur qui a dû expliquer voire argumenter après avoir interrompu l’opérateur (Mangiante, 2017).

On mesure ici combien la collaboration avec les professionnels est importante pour l’analyse des discours professionnels et la mise en évidence de la tâche langagière au cours de l’accomplissement de la tâche professionnelle. L’apport des notions issues de l’ergonomie et de la didactique professionnelle (Leplat & Cuny, 1974), déjà présent dans les travaux qui ont contribué au CECR-L, s’avère en FOS déterminant. Le tableau suivant (Royer, 2017, travaux de recherche doctorale en cours, non publiés) permet d’analyser les différentes tâches selon cette approche consistant à mettre en perspective la part langagière de l’action au travail :

Évaluation de la tâche

Tâche effective 2

Mobilisation des connaissances

Tâche attendue

Arrêt de la tâche

Tâche effective

Tâche prescrite

Tâche professionnelle / Tâche langagière X

X

X

X X

X

X X

Annonce du protocole / Consignes Explication de la consigne / matériel Répartition du travail X X Événement (imprévu, accident) Questionnement Mobilisation des connaissances Réponse Production Dialogue avec l’enseignant

Cette grille d’analyse des tâches professionnelles en situation d’apprentissage par la pratique en lycée professionnel a été conçue à partir du référentiel de compétences langagières pour les métiers d’hygiène – propreté (thèse en cours de Sabrina Royer, non encore publiée).

Les référentiels de compétences en français professionnel constituent donc de véritables corpus spécialisés permettant de dégager cette part langagière du travail, ainsi que les compétences en langue préconisées par un protocole actionnel prescrit par le secteur professionnel concerné. Ils permettent aussi une étude du lexique spécialisé et des occurrences caractéristiques des discours professionnels décrits.

2. référentieLS de compétenceS en françaiS profeSSionneL, démarche et anaLySe, étude du Lexique SpéciaLiSé

Les tâches professionnelles filmées sur le terrain et les discours professionnels oraux et écrits collectés au sein de lycées professionnels et d’entreprises partenaires sont analysés selon une démarche de référentialisation (Mangiante, 2011) qui consiste d’abord à relever, sur le terrain, les situations et tâches professionnelles en vue d’en dégager « la part langagière du travail » (Boutet, 2001). Les discours sont ensuite décrits et analysés à partir de logiciels d’analyse de discours (Tropes, Lexico 3, etc.), pour en dégager les caractéristiques linguistiques (lexique de spécialité, récurrences syntaxiques, occurrences, types discursifs dominants, relations grammaticales fréquentes, etc.).

Dans un second temps, les résultats des analyses permettent de dégager les compétences langagières associées aux différentes tâches professionnelles observées afin d’établir un « référent », c’est-à-dire un recueil et un classement des compétences langagières nécessaires à un accomplissement idéal (dans le sens de la réalisation d’une performance efficace) des tâches professionnelles visées (Hadji, 2000).

L’ensemble des données analysées et des compétences dégagées aboutit à la construction de référentiels de compétences langagières en milieu professionnel : - Les métiers du BTP. - Le secteur de l’hôtellerie – restauration. - Le secteur de l’hygiène – propreté.

Quelques exemples de référentiels :

Figure 3 – Extrait du référentiel Hygiène – propreté : vidéo sur la tâche de nettoyage par l’aspirateur à eau.

Figure 4 – Extrait du référentiel Hôtellerie – restauration : liste des métiers de restauration couvert par le référentiel

L’analyse des discours professionnels dans la perspective de leur exploitation didactique en FOS conduit l’enseignant de langue – concepteur du programme – à étudier des lexiques spécialisés propres à des situations professionnelles spécifiques et qui recyclent des unités existantes (unités monolexicales) pour créer de nouvelles unités lexicales (collocations ou unités polylexicales). Ces nouvelles unités sont utilisées dans les langues de spécialité et deviennent des « termes » grâce à leur contexte dans le discours. Elles enrichissent les langues de spécialité mais également la langue générale en modifiant d’une certaine manière le « sens global » de la séquence ou « une partie » de son sens (Mangiante et Meneses, 2016). Les référentiels de compétences en français professionnel révèlent combien le texte isolé n’a pas plus d’existence que le mot ou la phrase isolés : pour être produit et compris, il doit être rapporté à un genre et à un discours, et par làà un type de pratique socio-professionnelle, à un protocole actionnel et culturel associé à une tâche.

Les référentiels constituent donc également un ensemble de corpus professionnels à analyser qui présentent l’avantage d’être contextualisés grâce aux enregistrements vidéo en particulier. Par ailleurs, il s’agit en grande partie d’un corpus oral, ce qui est moins fréquent. Les corpus construits permettent d’extraire des ressources lexicales exploitables en linguistique et en didactique du FOS/FLP. L’équipe de didacticiens et de linguistes de Grammatica s’est focalisée principalement sur les constructions du type verbal et a divisé le corpus professionnel en trois types d’unités : - Les mots connus et inconnus • verbes appropriés : prendre + vocabulaire - Les collocations • verbes appropriés : nettoyer, préparer, fleurer… - Les locutions : • locutions nominales (chambre froide), locutions verbales, adverbiales, etc.

En particulier, du point de vue de la combinatoire restreinte, un certain nombre de collocations ont pu être identifiées et analysées. Exemple d’analyse issu du corpus en hôtellerie – restauration (Mangiante et Meneses, 2016) :

Figure 5 – Analyse des collocations

Nous pouvons constater que l’ensemble de ces recherches concerne chaque étape de la démarche FOS, en particulier la collecte de données langagières et son analyse. Plus récemment, l’intérêt s’est porté sur le niveau micro du dispositif et la conduite de classe en FOS. En quoi la spécificité de la démarche et en particulier la collaboration mise en place avec le prescripteur de formation (entreprise) influence-t-elle les relations pédagogiques au sein du cours de FOS ?

3. impact de La démarche Sur LeS reLationS pédaGoGiqueS et

LeS interactionS en cLaSSe de foS/fou

Il est déjà connu que la relation entre l’enseignant et le public FOS est équilibrée dans la mesure où l’enseignant apparaît comme un spécialiste en langue mais comme un profane dans le domaine de spécialité des apprenants. Néanmoins, comme nous l’avons vu plus haut, l’ingénierie pédagogique en FOS suppose une collaboration étroite avec le monde professionnel qui, nécessairement, impacte encore cette relation pédagogique qui s’instaure entre l’enseignant et les apprenants, ainsi que les interactions au sein du groupe – classe. Cette proximité didactique est renforcée souvent par une proximité spatiale avec les nombreuses formations FOS qui se tiennent sur les lieux mêmes de la pratique professionnelle des apprenants : locaux de l’entreprise, chantiers, réception d’hôtel, salles de restaurant…, dans des conditions matérielles spécifiques et propices à la mise en place de simulations très proches de la réalité de la pratique langagière. Ces conditions spatiales et matérielles semblent particulièrement cohérentes par rapport à la spécificité de la démarche FOS mais elles conduisent à réfléchir sur les types de pratiques pédagogiques qui peuvent en découler.

A partir de l’analyse de formations FOS réalisées par des étudiants du Master FLE de l’UA (en M2 principalement), nous avons recueilli des données didactiques (enre-

gistrement de cours, questionnaires…) pour étudier les interactions entres apprenants, entre apprenants et enseignant(s), afin de dégager une spécificité de la relation pédagogique en FOS. Il est possible de déterminer une catégorisation des séquences pédagogiques en fonction de cette collaboration sur place qui revêt ainsi plusieurs dimensions pédagogiques possibles : - une dimension référentielle : l’enseignant a recours au professionnel durant le cours ou en marge du cours, pour une intervention sur une précision, une explication… - une dimension régulatrice : le professionnel peut cadrer le cours de FOS sur le plan thématique en amont ou en aval du cours et exercer un suivi régulier avec l’enseignant. - une dimension organisationnelle : c’est le cas le moins fréquent d’une co-construction du cours avec l’enseignant ; cela peut intervenir en FOU au sein d’un centre de langue universitaire pour des étudiants de double-diplôme par exemple où les enseignants des disciplines concernées peuvent dans certains cas établir un programme de préparation pour les étudiants allophones, avec les enseignants de langue. - une dimension évaluative : dans ce cas, le professionnel peut participer à l’évaluation de la formation en situation de travail à l’issue des cours.

Cette modalité pédagogique particulière des cours sur site intégrant la collaboration des professionnels constitue la dimension sociologique du FOS : elle interroge notamment sur les notions de proximité et de contexte social. Le cours de FOS reproduit ainsi le contexte socioprofessionnel des apprenants, une communauté linguistique se reconstitue dans le cours de FOS, reconnaissant les mêmes normes langagières et professionnelles de leur milieu de travail comme les protocoles actionnel et culturel de la tâche professionnelle (Mangiante et Meneses, 2016). Les interactions verbales constatées en cours relèvent d’une variation linguistique de type diaphasique (Moreau, 1997), c’est-à-dire qu’elles sont influencées par le caractère (plus ou moins) formel du contexte d’énonciation en situation de travail (formation à l’hôtel, en cuisine, par ex.).

Or « La communauté linguistique se définit moins par un accord explicite quant à l’emploi des éléments du langage que par une participation conjointe à un ensemble de normes » (Labov, 1976, p. 18). Il en résulte un fort impact sur la motivation intrinsèque des apprenants durant les activités pédagogiques et sur la compréhension par les apprenants des paramètres situationnels qui correspondent à leur réalité professionnelle. De son côté, la direction de l’entreprise incite à une plus grande collaboration encore de son personnel sur place et comprend mieux son rôle et l’objectif spécifique de la formation. Enfin l’accès aux données langagières et aux ressources professionnelles est facilité. Une autre notion inspirée de la sociolinguistique est convoquée ici, celle de proximité fonctionnelle et sociale qui marque un territoire :

« jugement de valeur » sur la distance (ce qui est proche est considéré comme plus important, cf. la loi proxémique (Bailly, 1998 ; Moles, 1978)).

On peut alors décliner cette notion de « proximité » en plusieurs proximités aussi bien matérielles et spatiales (comme la présence des apprenants sur leur lieu de travail) que ressenties comme : la proximité organisationnelle qui renvoie aux dispositions organisationnelles favorisant la collaboration au sein de l’entreprise, la proximité cognitive qui renvoie aux bases de connaissances et de compétences communes pour un groupe d’acteurs dans une organisation pour exercer une fonction de l’organisation ou encore la proximité relationnelle qui renvoie aux relations et liens entre individus d’une organisation (Marsoin, 2007).

conclusion

Les programmes de recherche en FOS/FOU portent sur les différentes étapes de la démarche didactique : analyse des besoins et des situations et tâches professionnelles, notamment avec la conception de référentiels de compétences en français professionnel, analyse des données langagières en lien avec le travail, et, plus récemment, impact de la spécificité de la démarche et de la collaboration avec les prescripteurs professionnels des formations sur la classe de FOS et les relations pédagogiques. La démarche s’inscrit donc clairement dans une ingénierie de formation en langue que l’on pourrait schématiser ainsi :

Figure 6 – Démarche d’ingénierie de formation

Les apports des proximités et des différents contextes professionnels à la méthodologie FOS se déclinent ainsi au sein des trois niveaux de l’ingénierie de formation : macro, méso et micro. Ils révèlent également une modification des pratiques dans les relations de travail, la communication au sein de l’entreprise et dans l’accès à la documentation… Ainsi le cours de FOS peut conduire à la co-construction de ressources numériques d’accompagnement à la pratique de la langue en situations de travail (grilles d’analyse de situation, répertoires lexicaux, vidéos de tâches professionnelles au sein de référentiels de compétences…) ou d’évaluation, en complément du cours. Les perspectives de recherche en FOS s’ouvrent dans l’analyse des discours professionnels et dans l’analyse plus approfondie des relations pédagogiques au sein de la classe de FOS à la lumière de la proximité fonctionnelle et sociale qu’induit la démarche FOS.

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