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Préface
L’enseignement du français comme langue étrangère ne date pas d’aujourd’hui, comme nous le rappelle Gérard Vigner (Shifles) lors de la conférence qu’il prononça à l’occasion des rencontres de l’Asdifle, en mars 2012 à l’Alliance Française de Paris. Celui-ci prend racine dès le XVe siècle (officiellement au XVIe siècle, grâce aux textes imprimés) et dans son histoire, “nos ancêtres les Gaulois ne s’appellent [pas] Gaston Mauger [ni] Paul Rivenc”, écrivait justement A. Reboullet. Il n’empêche que la légitimité de notre champ s’est construite récemment. C’est en effet en 1983, sous la houlette de Louis Porcher – nommé, à cette époque, conseiller scientifique de R. Gaignard, le responsable de la Direction des relations internationales et du développement –, que deux groupes de travail proposeront, d’une part une maquette de licence et de maîtrise totalement dévolue au FLE puis, d’autre part, des certifications françaises pour étrangers au succès indéniable (Delf / Dalf). Dans la foulée de cette institutionnalisation, L. Porcher publiait, en 1987, un ouvrage1 qui fit référence, et dans lequel il insistait sur la nécessité de professionnaliser les métiers qui constituaient ce qu’il décrivait comme un véritable champ (concept emprunté à P. Bourdieu). Il apparaissait, ce faisant, que – pour reprendre une formule de l’auteur –, le roi était bien nu.
Or, depuis le passage au LMD2, dont le FLE n’est pas sorti gagnant, nos futurs “spécialistes” sortent encore souvent de leur formation initiale aussi dévêtus ou presque – didactiquement, conceptuellement, intellectuellement– qu’ils n’y sont rentrés ; notre discipline étant souvent reléguée à des parcours ou options de Masters qui n’ont plus de FLE que l’intitulé accrocheur.
Parallèlement, le développement des médias et des échanges, est l’une des caractéristiques globales qui ont le plus affectées l’enseignement, la diffusion des langues et celle des cultures étrangères durant les vingt dernières années. L’enseignement du français langue étrangère a, lui aussi, connu des transformations significatives, continuant d’intégrer de nouveaux espaces scientifiques, de fédérer de nouveaux acteurs ou institutions, de mêler de nouvelles méthodologies et outils didactiques.
Les modifications de politiques de coopération économiques et éducatives, l’accroissement du rôle des instances européennes, qui se manifeste dans les programmes d’enseignement des états ou encore dans les orientations prises par les organisations multilatérales ont, elles aussi, contribué à redessiner les contours des professions atypiques qui composent ce champ.
En France aussi, le contexte relativement nouveau d’augmentation et de reprise durable des flux migratoires, la nécessité d’un accueil et d’un suivi des primo arrivants dans nos structures éducatives, mais aussi la prise en charge de populations passagères aux scolarités antérieures inhabituelles, ont permis de dépasser la seule question de la promotion et de la diffusion de notre langue hors frontières en interrogeant, ici aussi, la didactique du français langue étrangère. Là encore, la présence et l’accueil des migrants sur notre territoire ne sont pas des phénomènes nouveaux, bien que l’on s’en soit peu soucié jusque dans les années soixante-dix. Ils remontent à la révolution industrielle et se sont
1 PORCHER L., 1984. Enseigner diffuser le français : une profession, Hachette. 2 Licence (3 ans), Master (5 ans) et Doctorat (8 ans).
poursuivis tout au long des XIXe et XXe siècles. Ces évolutions conduisent inéluctablement à accorder davantage de place à des problématiques convergentes au FLE, au français langue seconde (FLS) ou au français langue maternelle (FLM), mais recèlent peut-être un nouveau terrain d’épanouissement et d’investissement pour ses spécialistes, à l’heure ou les polémiques ressurgissent. L’émiettement, le morcellement du domaine de l’enseignement du français langue étrangère, depuis quelques années, n’aura échappé à personne. Cette expansion terminologique (Flesco, Fli, Fou, etc.), qui nourrit et entretient surtout les intérêts des uns ou des autres – spécialistes autoproclamés, politiques…–, ne rendra certainement service ni à celles et ceux qui voudront faire de l’enseignement du français comme langue étrangère leur profession ni à la didactique d’un champ qui a toujours peiné à trouver et affirmer sa légitimité, malgré – c’est le paradoxe – une demande sociale de plus en plus forte, et risque, par dilution, de s’affaiblir encore un peu plus.
En réalité, la spécialisation, la parcellisation ont rendu caduque et obsolète, me semble-t-il, toute formation ad hoc. La « pulvérisation de spécialités dans tous les domaines » équivaudrait, en effet, à une pulvérisation d’enseignants qualifiés. Il n’y avait pas d’antinomie, et cette fausse question méritait bien d’être dépassée. Cette opposition a volé en éclats, d’autant plus que l’hétérogénéité des publics, leurs appartenances sociales multiples, leurs secteurs d’activités changeants ont imposé la diversification d’autres pratiques pédagogiques, des modalités d’enseignement-apprentissage et des formations, « dans une démarche adaptée à la diversification croissante des connaissances, des objectifs ou des savoir-faire »3 qui interpelle la didactique du FLE. Mr Thibault avec son bec bunsen4 était déjà bien en avance sur son temps…
Nos futurs enseignants ne doivent-ils pas se doter avant tout d’outils conceptuels et intellectuels indispensables et transférables, pour faire le lien entre théorie et pratique, pour assurer une polyvalence, une capacité d’adaptation et de réponse à des publics, besoins, contextes, objectifs… ô combien spécifiques ? « Le terrorisme de la spécialisation n’est qu’un terrorisme ; l’opposition, canonique, entre connaissance scientifique et vulgarisation, une fausse fenêtre. C’est le terrain de la pratique pédagogique qui coordonne les savoirs divers et articule leurs complémentarités».5
Car enfin, la demande de français n’a pas cessé d’évoluer, toutes ces années, en France et à l’étranger, tant dans ses objectifs que dans ses contenus, dans ses implantations géographiques ou bien encore dans les caractéristiques et les besoins de ses publics, de plus en plus soucieux de la rentabilité de leurs investissements, et de plus en plus autonomes. L’auto-formation – approche centrale d’un Crapel précurseur- est-elle un concept aujourd’hui galvaudé ? Il me semble, bien au contraire, que c’est bien dans cette direction qu’il faut s’engager, alors que les caractéristiques des médias permettent d’ouvrir de nouveaux horizons aussi bien aux formateurs qu’aux apprenants. Merci au Professeur Henri Holec, d’avoir accepté un entretien dans lequel son regard nous est, aujourd’hui, particulièrement éclairant.
Dans la classe, des méthodologies innovantes et des outils de travail empruntés aux technologies de la communication occupent progressivement l’espace, modifient la relation enseignant/apprenant.
3 PORCHER, L. 1980. « FLE : une multiplicité de perspectives professionnelles », in Les Cahiers de l’Asdiflen° 14, p. 23. 4 PORCHER, L. 1978. « Monsieur Thibaut et le bec Bunsen », Etudes de Linguistique Appliquée–juillet/septembre, p. 16-17. 5 PORCHER, L. Les cahiers de l’Asdifle, Op. Cit, p. 99.
Le rôle de l’enseignant mais aussi celui de l’apprenant, la place des outils disponibles et la nature des médiations induites, s’en trouvent nécessairement, ainsi, constamment interrogés. Ces interrogations légitimes peuvent-elles se permettre de faire table rase du passé, en présupposant que les nouvelles théories rendraient les anciennes caduques ? C’est la question que nous posera J-P. Narcy-Combes, en questionnant notamment les recherches sur les pratiques, les dispositifs et les tâches, au lancement de notre rencontre d’octobre 2012, au Centre de Linguistique Appliquée – ce choix n’étant bien évidemment pas anodin.
Le thème de réflexion choisi cette année par l’Asdifle, au delà du clin d’œil à l’un des nombreux articles écrits pat L. Porcher6, traduit la volonté de faire le lien entre les enseignements du passé et les questions qui nous taraudent aujourd’hui, de donner sens àune actualité qui a, elle aussi, de grandes chances de « se congèle(r) aussitôt dit, en histoire », mais annonce aussi les perspectives de recherches et d’applications à venir dans notre champ ; les défis à relever.
Les disciplines ne nous raconteraient-elles que des histoires ? Qu’est-ce que qu’une discipline sans histoire ? Celle-ci peut-elle constituer une “boussole” (A. Reboullet) dans notre actualité méthodologique et didactique, si tant est qu’elle puisse, dans “cette double actualité, celle du passé dans notre présent de chercheur, et celle de ce présent dans notre étude du passé (et) s’avérer particulièrement utile pour rompre avec la “niaiserie positiviste”, pour “désacraliser les synthèses” trop hâtives, pour “secouer la lourdeur des idées simples”, ou encore pour lever le brouillard des idées trop complexes pour être honnêtes7” ?
Comprendre l’histoire du français langue étrangère, prendre la mesure des mécanismes qui ont conduit à l’état actuel d’un champ disciplinaire singulier, non seulement pour éclairer les choix et engagements qui seront les nôtres, mais aussi pour fédérer les énergies autour des enjeux à venir, tels ont été les principaux objectifs de cette année de réflexions et d’échanges, impulsées lors de la table ronde organisée par notre association, en février 2012, à l’occasion du salon Expolangues autour de Francine Cicurel qui s’interroge, notamment, sur les polarisations de la didactique du FLE depuis 50 ans : sur les méthodologies, les objets langagiers en classe, les besoins langagiers des publics, et enfin sur la notion de communication. Ces points de fixation ne sont, selon elle, pas contradictoires, car quelles que soient les transformations ou les évolutions, les enjeux se font autour de la langue, des publics, des enseignants. Les savoirs ne sont pas «dématérialisés» mais transmis ou conçus par des enseignants. On ne peut les couper de cette médiation.
Trois axes auront été, au final, privilégiés, pour nous guider dans ces travaux :
- Comment adapter l’offre aux demandes actuelles et à venir, et professionnaliser la formation initiale et continue des futurs professeurs de FLE ?
- Quels regards porter sur les politiques linguistiques en France et dans le monde? Ces orientations concourent-elles à la redéfinition de nos métiers et imposent-elles de nouvelles formations ?
- Comment articuler la recherche et la pratique, dans des classes qui sont souvent les seuls lieux d’expression du français ?
6 PORCHER, L. 1994. « L’instant et l’histoire », dans Le Français Dans Le Monde, Recherches et applications, numéro spécial, p. 188-192. 7 BESSE, H. 2012. « Réflexions », dans Sifhles , 25ème anniversaire. SEVRES : CIEP p. 59.
Celles et ceux qui ont contribué au rayonnement de notre discipline, alors qu’elle se donnait les moyens légitimes de s’imposer, laissent – naturellement, logiquement – la place à une génération d’acteurs nouveaux, qui, dans ce contexte, auront à relever des défis décisifs pour la qualité de leur enseignement, pour la place de notre langue dans la société. La bonne position consiste aujourd’hui, à n’en point douter, à s’appuyer sur l’histoire, tirer profit des richesses du passé, à tirer enfin bénéfice des conseils et regards avisés de ceux qui ont permis à notre champ de s’affirmer. Au regard de l’engagement et de l’ouverture d’esprit des chercheurs qui ont accepté de répondre à notre invitation cette année, à entendre leurs convictions et leurs motivations, il m’apparait aujourd’hui clairement qu’une telle démarche est possible et que la relève sera bien assurée. Outre J-P. Narcy Combes, G. Vigner et F. Cicurel déjà cités, je tiens à remercier P. De Schuyter Hualpa et Evelyne Bérard pour leur accueil, mais aussi les participants à ces rencontres : Laura Abou Haidar, Marie-Françoise Bourvon, Cécile Bruley, Lucile Cadet-Joseph, Véronique Dagues, Juliette Delahaie, Isabelle Foltête, David Lavanant, Frédéric Mazieres, Emilie Perrichon, Anthippi Potolia, Valérie Spaëth, JeanJacques Richer, Marion Tellier et Tony Tricot. Merci aussi à Geneviève Baraona sans l’aide de qui ces Cahiers n’auraient pu être publiés.
F. Barthélémy
Président de l’Asdifle