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F. Mazières
CoNTriBUTioN DeS eNQUÊTeS SoCioLiNGUiSTiQUeS PoUr La CoNCePTioN DeS CUrriCULa DeS LyCÉeS FraNçaiS
Frédéric maZièreS. Docteur de l’Université de Paris 3.
résumé : cet article, nous démontrons qu’il y a des avantages à concevoir les curricula des lycées français de l’étranger à partir des résultats d’enquêtes sociolinguistiques réalisées auprès des élèves. Ces curricula « sociodidactiques » permettraient de tenir compte, non seulement du profil sociolinguistique des apprenants, mais aussi de leurs habitus et de leurs besoins.
Mots-clés: Enquêtes sociolinguistiques-Lycées français-Curricula-Centration sur l’apprenant.
iNTroDUCTioN
Le propos de cette étude est de contribuer, à partir d’enquêtes sociolinguistiques, à la conception d’une nouvelle méthodologie de construction des curricula27 des lycées français.
Pour des raisons historiques et légales, les politiques curriculaires de l’AEFE28, l’agence qui gère les établissements français de l’étranger, ne tiennent pas assez compte des apprenants locaux. Ce sont les programmes de l’Éducation Nationale française qui sont appliqués dans les lycées français, et non les programmes officiels des systèmes éducatifs des pays accréditaires29. Or, un des axes stratégiques majeurs des politiques éducatives modernes, qu’elles soient françaises, européennes ou mondiales, reste la centration sur l’apprenant. On devrait définir, au début du processus curriculaire : son profil, ses habitus30 sociolinguistiques et socioculturels, sans oublier ses besoins scolaires et post-scolaires. Nous relevons, en l’occurrence, un paradoxe à la fois didactique, pédagogique et curriculaire : l’apprenant d’un lycée français devrait davantage appartenir au champ du FLE qu’à celui du FLM.
C’est pourquoi, à partir de notre expérience professionnelle au lycée français de Bogotá et à partir des deux enquêtes sociolinguistiques que nous avions mises en place dans cet établissement, entre 2005 et 200631, nous allons donner quelques pistes de réflexion pour faciliter la construction de curricula « sociodidactiques », davantage adaptés aux contextes locaux et davantage respectueux de la diversité culturelle et linguistique des apprenants.
Après avoir présenté, dans les deux premières parties de notre contribution, les cadres institutionnel et conceptuel des curricula, ainsi que l’impact du principe de centration sur l’apprenant
27 Un bon curriculum ne peut que favoriser l’expansion de la langue française dans les pays accréditaires ou dans une zone de diffusion (exemple : Amérique latine). Par ailleurs, il suffit que la langue française devienne langue étrangère obligatoire dans le système éducatif d’un pays accréditaire pour qu’une politique curriculaire devienne l’outil majeur de la coopération éducative et linguistique bilatérale. Notre article pourrait contribuer, par anticipation, à résoudre la complexité de la conception d’un curriculum véritablement franco-colombien. 28 L’Agence de l’Enseignement Français à l’Étranger est l’un des opérateurs du MAEE (Ministère des Affaires Étrangères et Européennes). 29 Le réseau des établissements scolaires de l’AEFE a pour mission première de permettre aux enfants français, dont les familles résident à l’étranger, d’accéder à l’enseignement de la République (Code de l’éducation, Article L 452-2, site « Legifrance », consulté en octobre 2012). 30 Les habitus représentent les opinions et les comportements d’un individu. 31 La première enquête a été réalisée auprès des élèves de l’époque et l’autre auprès des anciens élèves. Pour consulter les questionnaires, voir : Mazières F. (2011).
i- CaDreS iNSTiTUTioNNeL eT CoNCePTUeL
1-1 CaDre iNSTiTUTioNNeL
Les orientations générales des politiques éducatives (fins de l’éducation), énoncées dans les déclarations d’intention des hommes politiques des gouvernements en place, constituent le cadre général de l’action curriculaire. C’est à partir d’elles que les hauts fonctionnaires du Ministère de l’Éducation Nationale (MEN) élaborent les contenus des apprentissages (buts ou planifications). La conception des curricula constitue, dans le cadre de sa fonction normative, une des missions fondamentales de ce ministère. Le curriculum représente une sorte de « Constitution » du pouvoir éducatif » (Gauthier, 2011 : 34). Enfin, l’action curriculaire est concrétisée par les options des enseignants (objectifs pédagogiques et didactiques). Le curriculum est un intermédiaire entre les institutions et les pratiques de classe. Les curricula font autorité sur tout le territoire national. Dans la mesure où les lycées français appliquent, parallèlement aux programmes officiels des pays accréditaires, les programmes officiels du MEN français, les 480 établissements de l’AEFE représenteraient des centaines d’exceptions curriculaires. Les curricula des lycées français échappent au contrôle des MEN locaux. Cependant, il y a peu de probabilité pour que les logiques curriculaires françaises soient les mêmes que celles des pays accréditaires. Mais, plutôt que de se contenter d’une situation sociodactique paradoxale, ne devrait-on pas réécrire les curricula français afin de les contextualiser ?
1-2 CaDre CoNCePTUeL
Puisque la manière de résoudre les problématiques curriculaires aura une incidence sur l’apprentissage/enseignement des langues dans une situation d’enseignement donnée, l’organisation des contenus d’enseignement fait partie, en plus du champ des sciences de l’éducation, de celui de la DDL. Mais, malgré leur impact, la DDL ne s’intéresse aux politiques curriculaires que depuis peu (Coste, 2011 : 17).
Un programme d’enseignement est, stricto sensu, une liste d’objectifs et de contenus d’enseignement (Coste, 2011 : 16). À ce stade d’élaboration, le curriculum représente un idéal d’enseignement (Gauthier, 2011 : 32). Néanmoins, ce concept s’avère insuffisant pour embrasser tous les contextes, les stratégies, les situations, les activités didactiques et pédagogiques que suppose l’apprentissage/enseignement des langues, d’où la création du concept de « curriculum ». Un curriculum désigne tout ce qui, «des finalités à l’évaluation, permetd’ordonner […] les parcours d’apprentissage » (Coste, 2011 : 17).Traditionnellement, les curricula sont organisés en fonction des axes suivants : « analyse de besoins, indentification des objectifs, cadre théorique, élaboration de moyens, activités d’apprentissage, mode et environnement d’apprentissage et évaluation » (Martinez, 2011 : 24). On pourrait rajouter à cette liste les orientations suivantes : modes d’organisation des études, modalités de la progression des élèves, politique des certifications.
Quant au « curriculum opérationnel », action encore plus pragmatique et complexe des sciences de l’éducation, il comprendrait « non seulement les résultats attendus chez l’enseigné mais aussi les résultats attendus dans la société ou le groupe intéressé par