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Professionnaliser la formation des enseignants de f.l.e. (J-J. Richer
Jean-Jacques riCHer, Université de Franche-Comté, ea 4661 eLLiaDD
résumé : Afin de professionnaliser la formation des enseignants de FLE ainsi que leur enseignement en réponse aux défis lancés par les évolutions didactiques et sociétales, il est possible de recourir au concept de compétence, dans la version humaniste qu’a développée le monde du travail pour répondre à un contexte économique toujours plus concurrentiel. Les notions de savoir mobiliser créatif, d’autonomie, de compétence collective, de réflexivité, d’éthique contenues dans ce concept de compétence issu du monde du travail viennent alors ajouter aux nécessaires savoirs, savoir-faire linguistiques, culturels, didactiques, pédagogiques déjà présents dans la formation des enseignants de F.L.E. une forte dimension psycho-sociale qui pourrait leur permettre à la fois de faire face à la complexité toujours croissante de leur profession et d’éviter les dérives fonctionnelles de leur enseignement.
iNTroDUCTioN
Le sens que revêt le verbe professionnaliser dans l’intitulé de cet article doit être défini en préliminaire. Pour ce faire, il faut se tourner vers la distinction que font les Anglo-saxons entre le métier et la profession. Pour eux, un métier relève du savoir-faire, de l’application de techniques et de règles, donc de l’activité prescrite. La profession, quant à elle, désigne des activités de production où : « Il n’est ni opportun, ni même possible, de dicter aux praticiens, dans le détail, leurs procédures de travail et leurs décisions. L’activité d’un professionnel, entendu dans ce sens, est gouvernée essentiellement par des objectifs (qu’ils soient fixés par son employeur ou par contrat avec son client) et une éthique (codifiée par la corporation) (Perrenoud, 2001 : 12) ». La profession renvoie ainsi au non prescrit, à la construction « de stratégies en s’appuyant sur des savoirs rationnels et en développant son expertise de l’action en situation professionnelle ainsi que son autonomie. » (Altet, 1996 : 45). La professionnalisation n’a donc rien à voir avec la dérive individualiste, avec la compétition généralisée, tous marqueurs d’une société néo-libérale que dénonçait A. Ehrenberg dans Le culte de la performance, (1991), mais avec une activité plus consciente de son déroulement, de ses possibles, de ses finalités, une activité plus autonome. La formation à l’enseignement du FLE a fait l’objet d’une réflexion approfondie, notamment lors de la création des licence et maîtrise FLE en 1983/ 85, et cette réflexion s’est poursuivie depuis, mais de manière assez discontinue21. Toutefois, comme dans tous les domaines de l’enseignement, le métier d’enseignant de FLE n’a pas pleinement acquis le statut de profession au sens qui vient d’être rappelé et ce alors qu’il est soumis à des pressions fortes qui rendent d’autant plus nécessaire son accession à ce statut afin de pouvoir permettre à tout représentant de cette profession d’affronter des situations complexes.
1- DeS PreSSioNS DiDaCTiQUe eT SoCiÉTaLe
En effet, le métier d’enseignant de FLE est soumis d’une part à une pression didactique intense puisque le Cadre européen commun de référence pour les langues (2001) qui se voulait non
21 cf Porcher, L. 1987. Enseigner, Diffuser le français : une profession, Paris : Hachette ; Delamote, E. 1999. Le commerce des langues, Paris : Didier ; Barthélémy, F. 2007. Professeur de F.L.E., Hachette.
dogmatique : « le Cadre de référence se veut aussi exhaustif que possible, ouvert, dynamique, non dogmatique. » (2001 : 21) est utilisé maintenant comme un référentiel langagier très prescriptif qui, lu soit comme une continuation du Communicatif, ou soit comme une formulation très programmatique d’une nouvelle méthodologie, la Perspective actionnelle, a accru très sensiblement la complexité du travail de l’enseignant de langue(s). En effet, une grande partie des composantes de l’enseignement/ apprentissage des langues (des objectifs à l’évaluation en passant par l’analyse des situations cibles, par le choix des théories de référence, des activités d’enseignement/ apprentissage à mettre en œuvre, des formes d’évaluation, etc.) incombe au mieux à l’institution d’enseignement, au pire à l’enseignant seul. À lui donc de pouvoir affronter cette complexité multidimensionnelle. L’enseignant de F.L.E. est d’autre part soumis à des pressions sociétales. L’enseignement est une réalité toujours déjà complexe (Freud rangeait l’enseignement avec la politique et la médecine dans ce qu’il appelait les « métiers de l’impossible »)dont la complexité et l’imprévisibilité proviennent en tout premier lieu du fait qu’« Enseigner, c’est travailler avec des êtres humains, sur des êtres humains, pour des êtres humains. » (Tardif, Lessard, 1999 : 281). Et les caractéristiques des apprenants se sont profondément modifiées ces vingt dernières années sous l’effet de facteurs politiques et sociétaux :
- l’extension de la durée de l’enseignement et sa massification ont introduit une forte hétérogénéité des publics en termes de niveaux, de socialisation et d’aspirations;
- ces nouveaux publics n’ont plus le même rapport de respect envers les enseignants qui ont perdu à leurs yeux le prestige d’incarner des savoirs « légitimes » transmis de génération en génération;
- ces nouveaux publics entretiennent d’autre part avec les savoirs scolaires un rapport très pragmatique qui, pour les apprenants de langue, se traduit par une approche utilitariste de l’apprentissage des langues, approche utilitariste qu’avait décelée Porcher dès les années 90 et qu’il reformule ainsi en 2004 :
« Mais, justement, les temps ont changé. Les élèves sont devenus des usagers, l’internationalisation et la mobilité géographique mondiale se sont instaurées et, par conséquent, les apprenants sont désormais, je dirais volontiers « naturellement », utilitaristes pour tout ce qui touche à l’acquisition d’une langue étrangère. Ils veulent s’en servir concrètement, point final, sinon ils n’y prêtent aucune attention. » (2004 : 33).
Une telle complexification du métier d’enseignant de FLE tant dans sa définition que dans ses publics et objectifs appelle une réponse qui pourrait prendre la forme d’une professionnalisation accrue de ce métier.
2- UN DÉToUr Par La NoTioN De ComPÉTeNCe DÉVeLoPPÉe DaNS Le moNDe
DU TraVaiL
Afin d’esquisser des pistes pour une professionnalisation élargie du métier d’enseignant de FLE et de la formation à ce métier, la notion de compétence développée dans le monde du travail au tournant des années 80 une notion elle-même très liée à celle de professionnalisation (comme il apparaîtra dans la suite de cet article) doit être mobilisée.
Le monde du travail, dans les années quatre-vingts, confronté aux bouleversements économiques (crise économique, accentuation de la mondialisation…), aux mutations technologiques (robotisation, informatisation), aux imprévus en tous genres (crises financières ; changements brusques des goûts
des consommateurs), a délaissé une organisation taylorienne du travail reposant sur des tâches prescrites imposées aux employés. Il a alors emprunté à la linguistique la notion de compétence pour désigner chez les employés et les entreprises une capacité, devenue indispensable, de s’adapter à différentes situations imprévisibles de travail.
Le monde du travail a donc élaboré un concept de compétence, mais avec deux contenus opposés. Il a développé d’une part :
- une version productiviste de la compétence que résument bien Aubert, et Gauléjac : « l’individu sera sans cesse conduit et sollicité à se dépasser lui-même, à faire toujours plus, toujours mieux, toujours plus vite, à répondre toujours davantage aux sollicitations de l’entreprise. » (2007 : 127, je souligne), qui n’est d’aucun intérêt à mon avis pour définir une conception de l’enseignement ; - et, d’autre part, une version plus humaniste de la compétence (je renvoie aux travaux de Zarifian, de Le Boterf pour plus de développements sur cette vision humaniste de la compétence) comme appel aux capacités de développement, de créativité, d’autonomie d’un sujet pleinement agissant. Cette vision humaniste de la compétence, elle, me semble constituer un grand apport lorsque l’on réfléchit à la professionnalisation du métier et de la formation d’enseignants de FLE.
2.1- La ComPÉTeNCe DaNS Le moNDe DU TraVaiL
Le monde du travail s’est donc emparé de la notion de compétence et, dans sa version humaniste, l’a dotée de traits spécifiques que résume le tableau suivant et que je vais commenter :
Les traits définitoires de la compétence dans le monde du travail
Elle a pour conditions d’apparition : Le vouloir agir (motivation) Le pouvoir agir
La compétence est liée à :
L’action langagière, intellectuelle, physique,
L’action contextualisée, située Elle a pour caractéristiques d’être
Abstraite et de ne se percevoir qu’à travers les activités effectuées
Plurielle car composée de savoirs, savoir-faire, savoir-être
L’action complexe Individuelle Elle a pour composantes des :
Savoirs déclaratifs (connaissances)
Savoir-faire procéduraux étendus au savoir accéder aux ressources (compétence informationnelle). Savoir-être (autonomie/initiative/ responsabilité) Savoir relationnel Savoir-mobiliser ses ressources ( Savoir conditionnel)
Dynamique et évolutive
Savoir-réflexif
Production de savoirs collectifs/ de compétence collective
Dans le monde du travail, la compétence est toujours définie en relation avec l’action (langagière/ intellectuelle /physique):« Activité et compétence sont […] en relation dialectique : la structure de la compétence est nécessaire à la conduite de l’opérateur dans des situations naturelles et est, à son tour, continuellement créée et modifiée par le processus même de l’activité. » (Montmollin, de, 1994 : 40). Une action située, toujours spécifique, c’est-à-dire une actionqui n’est pas application mécanique de prescriptions, mais évaluation et interprétation d’un contexte sans cesse particulier pour ajuster le cours de l’action comme le souligne Le Boterf dans sa définition, désormais classique, de la compétence :
« L’actualisation de ce que l’on sait dans un contexte singulier (marqué par les relations de travail, une culture institutionnelle, des aléas, des contraintes temporelles, des ressources…) est révélatrice du « passage » à la compétence. Celle-ci se réalise dans l’action. Elle ne lui préexiste pas. […] Il n’y a de compétence que de compétence en acte. » (1994 : 16).
Une action toujours complexe, car autrement une action simple relève de l’application de procédures, de la routine et non de la compétence.
Dans le monde du travail, tout comme en linguistique où Chomsky l’oppose à la performance, la compétence ne peut être appréhendée directement, mais seulement inférée, à travers la tâche, l’activité réalisées : « La compétence est une notion abstraite et hypothétique. Elle est par nature inobservable : ce qu’on observe ce sont des manifestations de la compétence » (J. Leplat, 1991 : 43). Perrenoud, définissant la compétence, a cette jolie expression : « La compétence est en quelque sorte une promesse de performance. » (2011 : 46). La compétence dans ses composantes est plurielle et constituée de :
a- savoirs déclaratifs (connaissances factuelles, par exemple sur les métaux, les pièces d’une machine, le fonctionnement d’un ordinateur);
b- de savoir-faire procéduraux qui intègrent notamment des schèmes opératoires (ou modèles d’action tout prêts) auxquels on peut ajouter les savoirs accéder aux ressources, tant humaines qu’immatérielles, disponibles dans l’entreprise et hors de l’entreprise, car être compétent dans le monde du travail, c’est aussi savoir trouver les informations pertinentes, qu’elles soient portées par des collègues ou enregistrées sur des supports dématérialisés :
« Le savoir et le savoir-faire d’un professionnel ne se situent pas dans sa personne. Ils sont reliés à tout un réseau de relations personnelles, de personnes-ressources, de banques de données, de carnets de notes, de livres à portée de main, de ce qui est appelé parfois ‘ le quatrième cerveau.’». (Le Boterf, 2002 : 64).
Et, parmi ces savoir-accéder aux ressources, doit être distinguée ce que Puren, dans la lignée des travaux de l’Unesco22, appelle la compétence informationnelle qu’il définit ainsi : «Ensemble des capacités permettant d’agir sur et par l’information en tant qu’acteur social » (2009c : 4).
c- et de savoir être rendus nécessaires par la dimension souvent collective du travail et par l’accroissement de la place des services dans la production (en effet, à qualité de production égale, les entreprises ne se différencient plus que par les services qu’elles peuvent offrir). Ces savoir être, « qui concernent le comportement, la sphère relationnelle et psychologique. »
Parmi ces derniers, se détache toutefois l’autonomie :
« ce qui la (la compétence) différencie d’un travail taylorisé, c’est qu’elle manifeste une autonomie d’action de l’individu (dans une équipe ; un réseau de travail, etc.) qui s’engage subjectivement et volontairement, de par ses initiatives, dans l’amélioration de la valeur produite. » (Zarifian, 2001 : 96).
L’autonomie est rendue possible en amont par une capacité d’initiative, car « la compétence se « prend », elle résulte d’une démarche propre de l’individu qui accepte de prendre en charge la situation et de se prendre lui-même en charge face à cette situation. » (Zarifian, 2001 : 65). Et elle est prolongée en aval par le sens de la responsabilité :
« La prise de responsabilité est bien entendu la contrepartie de l’autonomie et de la décentralisation des prises de décision. Il ne s’agit plus d’exécuter des ordres (de la pertinence desquels on ne se sent pas responsable), mais d’assumer de soi-même la charge de l’évaluation de la situation, de la prise d’initiative, et donc ce qui peut permettre de donner valeur à son propre travail. » (Zarifian, 2001 : 67).
De plus, parmi les savoir être, une place particulière doit être faite au savoir relationnel, indispensable lorsque le travail se fait par nécessité de plus en plus collectif, lorsque, dans le travail, la dimension des services devient décisive.
Cette association de savoirs différents qui constituent la compétence se réalise non sur le mode de l’addition, mais fait intervenir un « savoir intégrateur », qui procède par sélection, combinaison, interaction de ces différents savoirs, savoir faire/être/ relationnel, et que Le Boterf désigne par la notion de savoir-mobiliser : « La compétence ne réside pas dans les ressources (connaissances, capacités …) à mobiliser mais dans la mobilisation même de ces ressources. La compétence est de l’ordre du « savoir mobiliser. » (1994 : 17). Ce savoir intégrateur réintroduit dans la compétence le sujet agissant intentionnellement, capable de répondre aux situations problématiques par des solutions originales, créatives. Il imprime à la compétence un caractère individuel, que souligne Oiry en écrivant que : « La compétence est un attribut de l’individu. » (2003 : 81), et il permet d’échapper à une conception purement additive de la compétence pour l’envisager sous un angle dynamique, processuel.
La compétence intègre de plus une nécessaire dimension réflexive : la compétence est réflexion sur les modes d’agirde l’individu, réflexion sur ses actions, avant, pendant, après l’action : « Le professionnel sait tirer les leçons de l’expérience. Il sait transformer son action en expérience. Il ne se contente pas de faire ou d’agir. » (Le Boterf, 2000 : 89). Cette réflexion, à travers laquelle se construit une identité professionnelle, peut se condenser en « savoirs expérientiels » qui confèrent à la compétence un caractère évolutif. Toutefois ces savoirs d’expérience doivent être partagés avec le collectif de travail pour pouvoir contribuer à l’édification d’une compétence collective, indispensable aux modes actuels d’organisation du travail (équipes autonomes, polyvalentes, structurées autour de projets, de missions à réaliser), pour pouvoir créer une communauté de pratiques, une organisation apprenante23 capable
23 Une organisation apprenante se constitue en développant simultanément les dimensions individuelle et collective de la compétence : « L’organisation apprenante (ou qualifiante, suivant les acceptions) reste une organisation qui continue à apprendre, c’est-à-dire qui reste dans la lignée productiviste de l’adaptation aux changements de l’environnement et de la poursuite de la
« On attend cependant de lui (du professionnel), qu’il se réfère non seulement à une morale (règles déontologiques) mais à une éthique. Le professionnel donne un sens à son action en confrontant ses valeurs à la réalité des situations dans lesquelles il intervient. Il saura se remettre en question. […]. Le professionnel est capable d’une réflexion éthique. » (Le Boterf, 2002 : 28, je souligne)
Le savoir-mobiliser à bon escient ses ressources, trait distinctif de la compétence, doublé d’une réflexivité qui s’ouvre à la dimension éthique constitue le cœur de la définition de ce que dans le monde du travail on appelle un professionnel, et que Le Boterf caractérise ainsi :
« Il (le professionnel) sait mobiliser l’ensemble des ressources de sa personnalité pour trouver une solution au problème de son client. Le professionnel s’engage à tout mettre en œuvre pour résoudre un problème ou faire face à une situation. » (2002 : 27) ;
Outre ces traits définitoires, il faut souligner que, dans le monde du travail, l’émergence et l’essor de la compétence sont impérativement associés à deux conditions, car la compétence ne peut surgir spontanément, ex-nihilo, hors de tout environnement favorable à son apparition.
- La première condition d’apparition de la compétence est le vouloir agir, qui est de l’ordre de l’individu, qui est en rapport avec la motivation et qui est un facteur essentiel de la mobilisation de la compétence ainsi que l’énonce lapidairement C. Lévy-Leboyer : « sans motivation, les aptitudes et les compétences les meilleures resteront lettre morte. », (2009 : 102). Et cette motivation est suscitée entre autres par le sens que revêt l’activité pour l’employé, un sens en accord avec ses valeurs, son identité, son image de soi, un sens en relation avec son devenir professionnel. « Pour agir avec compétence, le professionnel a besoin de sens. A quoi servent ses compétences ? A quels enjeux contribuent-elles ? Ces enjeux sont-ils conformes à sa réflexion éthique ? En quoi sont-elles utiles socialement ? Les enjeux sont-ils à la hauteur des efforts à fournir ? Ce qui est demandé est-il conforme à l’image de soi, à l’idée que le sujet se fait de son identité professionnelle, à « l’honneur » du métier ? » : (Le Boterf, 2002 : 190). Le vouloir agir a donc largement partie liée avec « l’image de soi et […] l’estime de soi. » (Lévy-Leboyer, 2009 : 102) et avec la reconnaissance symbolique et matérielle de l’implication du professionnel, reconnaissance dont C. Dejours souligne le rôle central : « La reconnaissance n’est pas une revendication marginale de ceux qui travaillent. Bien au contraire, elle apparaît comme décisive dans la dynamique de la mobilisation subjective de l’intelligence et de la personnalité dans le travail (ce que classiquement on désignait en psychologie par le terme « motivation au travail » (1998 : 40). - D’autre part, la compétence est indissociable du pouvoir agir qui, lui, est de l’ordre de l’institutionnel, et qui signifie la création d’un contexte favorable à l’apparition et à l’expression de la compétence, c’est-à-dire l’établissement d’une organisation du travail qui suscite la gestion autonome de missions complexes, diversifiées, renouvelées, avec droit à l’erreur et temps alloué pour une analyse réflexive et collective des pratiques, avec ressources matérielles, immatérielles et humaines mises à disposition.
croissance de la productivité globale des facteurs de production. L’organisation apprenante est aussi une organisation qui permet à ses membres de développer leurs compétences dans la situation de travail, d’enrichir leurs savoirs professionnels et d’acquérir une qualification reconnue au sein de l’organisation comme sur le marché du travail. » Beaujolin (2001 : 8).
3. DeS PiSTeS PoUr La ProFeSSioNNaLiSaTioN De L’eNSeiGNaNT eT De La FormaTioN
D’eNSeiGNaNT De FLe.
Cette définition humaniste de la compétence dans le monde du travail met en avant des notions : compétence informationnelle, savoir mobiliser créatif, autonomie, compétence collective, réflexivité,éthique qui sont trop souvent absentes de la formation et de la pratique des enseignants de F.L.E. Ces notions ne doivent pas se substituer aux nécessaires savoirs, savoir-faire linguistiques, culturels, didactiques, pédagogiques déjà présents dans la formation des enseignants de F.L.E. (L’enseignement de ces derniers savoirs, savoir-faire verraient d’ailleurs leur efficace accrue si, du lien intrinsèque qui lie, comme nous l’avons vu, compétence et action, était tirée cette conséquence didactique que les savoirs et savoirs faire nécessaires à l’enseignement/ apprentissage du F.L.E. doivent être mis en situation, c’est-à-dire qu’ils fassent sens pour les (futurs) enseignants). Ces notions leur ajoutent une indispensable dimension psycho-sociale trop absente dans la formation (à) et la pratique de l’enseignement/ apprentissage du F.L.E.
3.1. ComPÉTeNCe iNFormaTioNNeLLe
Parmi les savoir-faire dans le monde du travail, nous avons noté l’importance de la compétence informationnelle. Cette compétence informationnelle doit faire partie de la formation de l’enseignant afin de lui permettre de savoir où se trouvent les références nécessaires pour répondre aux questions qu’il se pose au cours de son activité, pour répondre à ses interrogations. Elle doit se traduire par une capacité d’évaluer la fiabilité, le sérieux des ressources disponibles sur la toile, de savoir où se trouvent les réseaux qu’il peut interroger, où il peut faire part de ses doutes, faire connaître ses acquis d’expérience. Cette même compétence informationnelle doit se manifester par ailleurs par la capacité de savoir enseigner à ses apprenants, par une pratique effective, la recherche, le traitement, l’évaluation de l’information et, en particulier, le savoir dépasser le réflexe du copier - coller dispensateur de toute réflexion critique.
3.2- Le SaVoir reLaTioNNeL
Travailler en formation d’enseignants le savoir relationnel est nécessaire, que ce soit pour faciliter les relations de l’enseignant avec des élèves aux profils socio-psychologiques très différents, très marqués par l’individualisme et l’immédiateté de la satisfaction de leurs désirs, que ce soit pour fluidifier les relations avec les collègues lors de la collaboration à des projets communs, ou avec la hiérarchie institutionnelle de plus en plus souvent façonnée par les pratiques managériales. De plus, le savoir-relationnel (étendu au savoir vivre et travailler ensemble) est à travailler avec des élèves qui doivent dans le cadre de la Perspective actionnelle agir en groupes, en projets, s’auto-organiser et se comporter comme des acteurs sociaux responsables.
3.3. DU SaVoir-moBiLiSer À La rÉFLeXiViTÉ
Le savoir-mobiliser ses ressources est, nous l’avons vu, un élément fondamental de la compétence dans le monde du travail. Ce savoir-mobiliser dans le monde du travail se double d’une mise à distance critique de l’action que l’on appelle la réflexivité. Définie globalement comme « capacité à analyser sa pratique, à la critiquer pour la réguler et capacité à la théoriser ou à la formaliser » (Lang, 1999 : 173), la réflexivité trouve
à s’exercer dans les trois phases d’une pratique enseignante. - Avant l’action d’enseignement, lors de sa conception, de sa planification, la réflexivité est activité proactive, activité anticipatrice qui devance les difficultés possibles des apprenants, qui envisage différents scénarios d’enseignement parallèles, qui prévoit les remédiations possibles ; - Pendant l’action, elle est activité régulatrice de l’action d’enseigner/ apprendre en prise directe sur l’activité imprévisible d’enseignement, sur les processus d’apprentissage des apprenants largement imprédictibles; elle suscite dans le vif de l’action les nécessaires réajustements, réorientations de l’activité d’enseignement ; - Après l’action, elle est évaluation rétroactive de l’activité réalisée, qui procède par comparaison, évaluation, identification et intégration des nouveaux savoirs d’expérience, ainsi que le développe longuement Perrenoud : « Réfléchir sur l’action, c’est autre chose. C’est prendre sa propre action comme objet de réflexion, soit pour la comparer à un modèle prescriptif, à ce qu’on aurait pu ou dû faire d’autre, à ce qu’un autre praticien aurait fait, soit pour l’expliquer ou en faire la critique. […]. Dans la mesure où l’action singulière est accomplie, y réfléchir n’a de sens, dans l’après-coup, que pour comprendre, apprendre, intégrer ce qui s’est passé » (2001 : 31). La réflexivité, le « savoir-analyser » (Altet, 1996 : 53) sa pratique enseignante, son savoiragir facilitent la mise au jour de schémas récurrents d’actions (par exemple, la même façon de dérouler une séance de cours ; par exemple, une préférence dans l’enseignement/ apprentissage d’une langue pour l’oral ou l’écrit au détriment de l’autre face de l’activité langagière), d’habitus qui gouvernent les pratiques des enseignants, voire la mise au jour de leurs schèmes psychologiques, ce qui permet de faire évoluer une pratique par la mise à l’écart de réponses automatisées, routinisées, par le refus de faire sa classe en mode « pilotage automatique ».
La réflexivité sur son savoir-agir débouche aussi sur des savoirs, des savoir-faire explicités, sur la conception d’« outils » susceptibles de renforcer l’efficace de la pratique enseignante, fait que souligne Lang : « Mais la relation d’intervention de la théorie dans la sphère de l’activité ne se limite pas à la seule compréhension, finalisée, de l’action dans son contexte, elle peut également viser son instrumentation, la construction d’outils (au sens large) […]. » (1999 : 180/1). Tous ces produits issus de la réflexivité sur l’action (par exemple l’intégration de la tâche dans une séquence didactique/ l’analyse globale d’un document vidéo/ un enchaînement d’activités, etc.) ont à être soumis aux points de vue des autres. En effet, la réflexivité doit dépasser une pratique solitaire, et appelle à l’existence d’un collectif, d’un espace : - où peuvent se confronter, s’éprouver les savoirs d’expérience dans une atmosphère constructive, loin des jugements de valeur, des affrontements d’ego, des doutes sur la fiabilité des collègues ; - et où peuvent se constituer des pratiques et des références communes qui permettent de structurer le collectif, qui font émerger une communauté professionnelle, qui sédimentent des genres professionnels (cf Clot, 2008) auxquels s’adosse l’activité professionnelle et qui servent de garants d’un déroulement non anxiogène de l’activité de travail (cf. Clot, 2008). Aussi, une formation et une pratique d’enseignant doivent-elles comporter un solide volet réflexivité qui peut s’actualiser, lors de la formation, par des moments de mise à distance critique par rapport à une tâche réalisée, lors de stages de mise en pratique, par des phases de réflexivité, et, dans la pratique quotidienne de l’enseignement, par des entretiens d’explicitation, des observations mutuelles, des écrits réflexifs, etc. La réflexivité, toutefois, ne se limite pas à une réflexion sur son agir professionnel, mais elle s’élargit à une mise au jour des représentations et des valeurs qui guident l’action personnelle de l’enseignant et à leur indispensable questionnement, et elle s’ouvre aussi à une
analyse critique du contexte institutionnel : « « If a teacher never questions the goals and the values that guide his or her work, the context in which he or she teaches, or never examines his or her assumptions, then it is our belief that this individual is not engaged in reflective teaching. » (Zeichner and Liston (1996 : 1), cités par Bailey, Curtis, Nunan, (2001 : 38/9). Par cette démarche, la réflexivité s’ouvre alors à une réflexion éthique.
3.4. ÉTHiQUe
Dans un monde du travail où coopérer, se cordonner, travailler en équipe, privilégier le service constituent l’ordinaire de l’activité professionnelle, l’éthique occupe parmi les savoir être une position clé et se retrouve, par exemple, implicitement dans la définition du professionnel que donne Le Boterf, dans l’expression : « faire confiance » qu’il convoque : « Le professionnel est la personne à qui un commanditaire ou un destinataire peut faire confiance pour qu’il prenne l’initiative de fournir des réponses pertinentes dans une situation-problème et qui ne laisse rien échapper d’important » (2000/2001 : 190, je souligne). Dans le domaine de l’enseignement, cette dimension éthique se présente comme un nécessaire prolongement de la réflexivité ainsi que le souligne Perrenoud : « Contrairement à ce qu’on imagine parfois, une pratique réflexive ne se limite pas à l’action, elle porte aussi sur ses finalités et les valeurs qui la sous-tendent. On réfléchit au comment, mais aussi au pourquoi. » (2001 : 53), une dimension éthique qu’il détaille en ces termes :
« Un praticien réflexif se pose, comme chacun, des questions sur sa tâche, les stratégies les plus adéquates, les moyens à réunir, le timing à respecter. Mais il s’en pose d’autres, sur la légitimité de son action, les priorités, la part de négociation et de prise en compte des projets des autres personnes impliquées, la nature des risques encourus, le sens de l’entreprise, le rapport entre l’énergie déployée et les résultats attendus. Il questionne aussi l’organisation et la division du travail, les évidences que véhiculent la culture de l’institution et celle de la profession, les directives de l’encadrement, les savoirs établis, l’éthique passe-partout » (2001 : 61).
Et la réflexion éthique constitue alors un puissant antidote aux conceptions purement instrumentales, fonctionnelles de l’enseignement et de l’enseignant qui se répandent actuellement.
4. CoNDiTioNS D’aPPariTioN D’UNe ProFeSSioNNaLiTÉ eN FLe.
Nous avons vu que la compétence pour se déployer exigeait deux conditions : le vouloir agir et le pouvoir agir. Dans l’enseignement des langues, le vouloir agir a à voir : - avec un désir de développer son identité professionnelle, d’être en accord avec ses valeurs personnelles ; - avec un refus de l’enseignant de se figer dans la routine, un refus de se fossiliser ; - avec un rejet d’accepter passivement une dégradation par usure de ses compétences professionnelles.
Le vouloir agir est lié au maintien d’un sens affecté aux diverses activités qui composent l’ordinaire de l’enseignement/ apprentissage du F.L.E. Il est lié à une quête incessante de renouvellement, une volonté de se surprendre par sa capacité à innover, à accepter les défis, et finalement il a à voir avec
Quant au pouvoir agir, il est largement dépendant de l’institution, qui donne plus ou moins les moyens matériels (organisation de stages), humains (effectifs de classe permettant l’innovation), organisationnels (possibilité d’expérimenter, de travailler en équipe, de se réunir pour débattre, mettre en commun ses problèmes, ses idées, ses doutes) pour développer des compétences, et qui sait ou non en reconnaître la valeur, et pas seulement d’une manière symbolique, même si cette dimension symbolique est importante comme le rappelle Pastré :
« Il n’y a pas de développement sans autonomie d’un sujet qui met en œuvre son pouvoir d’agir ; et en même temps il n’y pas de développement possible s’il n’y a pas de reconnaissance d’autrui. Cela est particulièrement visible quand cette reconnaissance n’a pas lieu » (2011 : 304, je souligne).
CoNCLUSioN
Dans sa version humaniste, la compétence, dans lemonde du travail, met l’accent sur un savoirmobiliser ses ressources créatif, éloigné des réponses toutes faites, simples applications de procédures prédéterminées. Elle valorise l’autonomie de l’individu au travail, sa responsabilité, son insertion dans un collectif de travail au fonctionnement horizontal, égalitaire. Elle fait de la réflexivité et de l’éthique les deux dimensions qui viennent s’adjoindre aux précédentes pour définir ce que le monde du travail appelle un professionnel.
Toutes ces notions que recouvrent la compétence dans le monde du travail doivent être intégrées, il me semble, dans la formation et la pratique des enseignants de F.L.E. afin qu’ils puissent envisager avec une certaine sérénité les défis de la complexité toujours croissante de l’enseignement/ apprentissage des langues, qu’ils puissent esquiver les dérives d’une approche purement fonctionnelle de leurs enseignements (qui est une des dérives possibles de la mise en œuvre du Cadre européen), qu’ils gardent en mémoire que l’enseignement, et plus particulièrement celui des langues, comporte toujours une forte dimension humaniste, ce que nous rappelle fort à propos Roegiers :
«Il faut éviter que, par un développement étroit et exclusif des compétences, l’on ne tombe dans un enseignement utilitariste, dans lequel l’ensemble des apports devraient avoir une utilité à court terme. Si elle se doit d’outiller les élèves de façon très opérationnelle pour faire face aux situations diverses qu’offre la vie quotidienne et professionnelle, l’école reste probablement le seul lieu dans lequel l’élève peut acquérir des acquis à long terme, en particulier des outils intellectuels et des savoirs de base. Il serait dommage d’opter pour un réductionnisme qui ferait de l’école l’empire de l’immédiat. Les situations n’ont pas le monopole du sens. Ce qui fait également sens, c’est
la construction progressive de la personne en tant qu’être complexe, sensible, doté de pouvoir d’action sur les situations, mais aussi doté de pouvoir de recul par rapport à ces mêmes situations,
c’est-à-dire de pouvoir critique » (2000 : 286, je souligne).
BiBLioGraPHie
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