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recensions
CarTier Jean-michel et PorCHer Louis. Apprendre et enseigner d’hier à aujourd’hui. Souvenirs d’une classe de philo au lycée Fontanes à Niort (1956-1957). Éditions L’Harmattan, Paris, 2010, collection « Éducation comparée », 416 p.
L’ouvrage atypique –tant sur la forme que sur le fond– de Jean-Michel Cartier et Louis Porcher a été publié en 2010, mais je ne peux m’empêcher de le signaler à nouveau pour ceux qui s’intéressent, de près ou de loin, à la comparaison en éducation. À partir de jeux de miroirs entre les souvenirs des auteurs, ce livre constitue un regard croisé sur un moment important de la vie d’un élève, qui plus est pour des générations plus anciennes qui n’étaient, à cette époque, que 12 % à décrocher le fameux « bachot », à savoir l’année de terminale. Pour nos deux auteurs, devenus tous deux enseignants, il s’agit, en l’occurrence, de l’année scolaire 1956-1957, passée au lycée Fontanes à Niort.
Dans les deux premières parties intitulées « Tout autour du lycée : le proche et le lointain » (pp. 11 à 73), et « Une classe terminale (parmi d’autres ?) », pp. 73 à 161, se mêlent anecdotes et réflexions, à travers lesquelles se reconstruit, minutieusement, un « état antérieur de l’École, désormais définitivement évanoui […] qui ne peut être que lacunaire et incertain, approximatif sans doute mais aussi, riche de signification, d’enseignement (sans jeu de mots), de leçons à tirer » (p. 7). La troisième partie est constituée d’un riche lexique, propre aux « potaches du lycée Fontanes, il y a plus d’un demi-siècle » (p. 165). Florilège d’expressions organisées comme dans un dictionnaire, et qui fonctionne à la façon d’un prisme à travers lequel s’éclaireraient les mœurs éducatives de cette époque. On se régale tout au long de ces 250 pages de définitions illustrées, car à l’aide d’exemples vécus, celles-ci décrivent l’environnement social, économique et culturel de ces élèves ; elles entrent en résonance et viennent faire écho aux impressions, images et réalités du monde éducatif d’aujourd’hui.
C’est d’abord la richesse de la mémoire du passé des auteurs qui nous interpelle. Au fil des chapitres, ces « fils d’un temps et d’un lieu, produits d’une histoire et d’une culture36 » nous donnent la possibilité d’appréhender tout un univers. L’exactitude autant que la précision des détails nous entraînent vers un véritable voyage dans le temps, à travers lequel tous nos sens semblent sollicités : la vue, le toucher, l’ouïe, mais aussi l’odorat (les odeurs qui circulent dans les couloirs de l’établissement, les effluves que dégageait M.B., professeur de latin, dit « Pépé la boulette », ses anecdotes, les vêtements ou les remarques de C.C., le « voisin de table », sont admirablement décrits).
L’attachement national aux systèmes d’enseignement est tellement viscéral – ancré dans les mentalités et l’inconscient individuel, et/ou collectif, à l’exemple, chez nous, du baccalauréat – qu’il n’est pas toujours aisé de trouver un terrain d’entente en termes de dialogues et de partage des expériences, vécus comme des atteintes aux identités. Dans tous les cas, les comparaisons en éducation se font plus facilement, et logiquement, sur des données collectées à un moment précis (comparaisons des systèmes de formation, des acteurs du champ, des résultats des élèves entre plusieurs pays, entre établissements, etc.). Il est rare que des études portent sur une comparaison historique, s’appuient sur la continuité, sur une comparaison entre deux époques. C’est aussi en ce sens que la contribution de J.-M. Cartier et de L. Porcher, s’inscrit pleinement dans le déve-
36 Louis Porcher. L’Éducation comparée : pour aujourd’hui et pour demain. Éditions L’Harmattan, collection « Éducation comparée », Paris, 2009, 299 p., p. 36.
loppement de l’éducation comparée, et y concourt, tant « l’histoire sert à mieux comprendre le présent » (p. 55). Grâce aux auteurs, cette comparaison historique est permise. Quelles sont les caractéristiques d’une classe de terminale dans un lycée de province à la fin des années soixante et en 2010 ? Quels enseignements tirer des différences ou des similitudes que l’on pourrait trouver avec soixante ans d’écart ? En quoi consiste aujourd’hui, et consistait hier, le « métier » d’un élève de terminale ? Comment s’est opérée la féminisation d’un champ dans lequel, en cette fin des années soixante, les enseignantes se comptaient sur les doigts d’une main ? Quelles fonctions remplissait le surveillant général (« surgé ») devenu conseiller d’éducation ? Quelles représentations véhiculaient-ils chez les élèves, et celles-ci ont-elles évolué ?… Tout autant de pistes que ce travail de collecte de la mémoire permet d’envisager, favorisant davantage les confrontations entre passé et présent.
C’est aussi dans une approche comparative de ce type, entre deux époques, que les concepts de capital, d’habitus ou de champ nous paraissent les plus opératoires. Ce capital existe sous trois formes. Il est incorporé, c’est-à-dire présent dans les têtes de manière invisible. Il est objectivé, ou présent dans les objets qui nous entourent. Il est enfin à l’état institutionnalisé, c’est-à-dire socialement sanctionné par les institutions (diplômes, titres, etc.). Chacun arrive donc à l’école avec des bagages culturels différents, inégaux. La culture scolaire n’est pas neutre et profite davantage à ceux qui disposent d’un avantage indéniable (en termes de bénéfices à tirer des enseignements scolaires) sur les plus démunis (loi de l’accumulation du capital). Au final, les destinataires, ceux à qui s’adresse la communication pédagogique (élèves, étudiants, apprenants) ont autant de manières d’apprendre qu’il y a, inversement, de « manières de classe », de façons d’enseigner. Les uns comme les autres sont, en partie, les produits de leurs habitus, cette « grammaire générative de nos comportements » si merveilleusement décrite par Pierre Bourdieu, dont doivent avoir conscience les éducateurs afin de pouvoir prendre position dans le choix de leurs modes et stratégies de transmission, notamment. C’est aussi à la lecture d’un tel ouvrage, illustré par de nombreux exemples concrets, que ces concepts permettent le mieux de décrire les acteurs de l’éducation eux-mêmes, mais aussi l’action pédagogique. Manières d’apprendre et d’enseigner, « […] qui, elles aussi, caractérisent une société et, donc, une institution scolaire, doivent impérativement être analysées, décomposées en éléments constituants, afin de permettre une authentique utilisation par les intéressés »37 .
C’est, je dois l’avouer, avec un empressement non dissimulé que je me suis rué sur ce livre, espérant y trouver quelques réponses à des interrogations sur la vie et la pensée des auteurs ; professeurs emblématiques que l’étudiant – par estime, considération (vénération ?) ou simple timidité – n’ose aborder – l’enseignant est-il vraiment lui aussi un être fait de chair et de sang ? Mais c’était là faire fausse route, et à n’en pas douter se méprendre sur l’intérêt et l’enjeu d’un tel ouvrage. Traçant le portait d’une époque, la richesse de ces pages, où la précision du détail et des souvenirs nous bluffe, constitue, à n’en pas douter, une contribution effective à ce champ légitime et nécessaire que constitue l’éducation comparée et ce, dans une perspective historique.
Fabrice BarTHeLemy Université de Franche-Comté, ELLIADD.
aUGer Nathalie, BeaL Christine et DemoUGiN Françoise, Interactions et interculturalité : variété des corpus et des approches, Éd. Peter Lang/Frankfurt am Main/Allemagne, 2012, 398 p.
Dans cet ouvrage collectif, consacré à la problématique des interactions en situations interculturelles, les auteurs font le choix d’une approche comparative en allant sur différents terrains, et en présentant différentes situations de communication ordinaires (le désaccord dans la conversation, la transaction dans les petits commerces, le forum de discussion, le courriel), mais aussi des situations d’apprentissage des langues (la salle de classe) et de médiation (l’intervention de l’interprète à la télévision, par exemple).
L’ouvrage regroupe des articles qui présentent une variété inédite d’approches et orientations disciplinaires, qui permettent d’identifier et de comparer, de manière originale, les stratégies interactionnelles (linguistiques, sociales ou culturelles) dans le domaine des études interculturelles.
La première partie de l’ouvrage regroupe des articles consacrés à l’analyse pragmatique des interactions et à l’analyse conversationnelle, avec une approche comparative ou contrastive. La seconde partie problématise la relation à l’autre, dans des situations d’enseignement-apprentissage d’une langue étrangère, ou dans des situations professionnelles qui font appel à une compétence socio-pragmatique plus complexe. Chaque partie est précédée d’une introduction informative mais aussi d’un résumé des points clés.
La question de l’interculturel est abordée du point de vue du fonctionnement de la communication. Une analyse pragmatique des interactions permet de comparer les stratégies linguistiques dans différentes langues, et de voir si ces stratégies sont universelles ou culturellement marquées. L’ambition est d’identifier, non seulement les tendances générales dans le comportement interactionnel, mais aussi des styles de communication (ethos) spécifiques à la culture.
Dans la préface, Catherine Kerbrat-Orecchioni revient sur l’idée que le concept « d’ethos communicatif » (cf. 2002) serait spécifique aux langues étudiées. Elle compare les fonctions discursives de la valeur nominale de l’adresse, en anglais et en français. La comparaison des usages trouvés en français (France) et en arabe (Tunisie ou la Syrie) dans des conversations, met en évidence des modèles distinctifs. Ainsi la même forme d’adresse peut être utilisée pour les forces illocutoires opposées, un ton poli ou une remarque agressive.
Eva Elisabeth Havu compare quant à elle l’utilisation des pronoms d’adresse, en français et en italien. Après avoir décrit les systèmes pronominaux dans les deux langues, elle démontre la force pragmatique de chaque pronom lorsqu’il est utilisé dans des interactions de la vie quotidienne et dans des dialogues de programmes télévisés. On s’aperçoit que dans la culture italienne, les formes les moins formelles d’adresse sont plus utilisées qu’en français, et que les Français ont tendance à utiliser la forme de politesse combinée avec le prénom de l’interlocuteur ; forme d’adresse rare en italien.
Chantal Claudel s’attache à comparer la manière de rédiger des courriels en français. En s’appuyant sur la conception de la politesse développée par Penelope Brown et Stephen Levinson, elle analyse l’acte de parole le plus fréquent dans ce rituel d’ouverture ; c’est-à-dire se renseigner sur l’état de bien-être de son interlocuteur. Ses résultats montrent de nombreuses similitudes ainsi que des variations intra-culturelles en français et en japonais.
Dans son travail d’analyse de l’acte de parole « s’opposer à une offre », dans des situations de communication ordinaire en France et en Syrie, Véronique Traverso montre que l’insatisfaction exprimée par le client suit le même schéma d’interactions dans les deux cultures mais que leur style diffère. En France, les interactions ont tendance à être plus consensuelles – et donc plus longues – alors qu’en Syrie, un style plus agressif arrive plus rapidement sans qu’il y ait de concession de la part du client mécontent.
Hassan Atifi, Sacha et Michel Marcoccia Mandelcwajg examinent le concept de « d’ethos communicatif » dans des situations médiatisées, en s’appuyant sur le concept de « communauté linguistique » (Gumperz, 1968). Ils procèdent à l’analyse de messages postés sur les forums Internet destinés à trois communautés différentes : marocaine, juive-tunisienne et française. Ils présentent dans cet article les rituels attendus par les initiés ; indices de l’appartenance à la communauté en ligne.
L’article de Bert Peeters sur le cadre de recherche « MSN » – métalangue sémantique naturelle38 – conclut la première partie de l’ouvrage, offrant un aperçu très utile de l’approche développée par Anna Wierzbicka et Cliff Goddard. Parce que la méthodologie de la recherche utilise une liste d’universaux sémantiques (un nombre limité de structures grammaticales, lexicales et les valeurs des composants syntaxiques) communes à toutes les langues, le chercheur est en mesure de décrire, de manière neutre, le rapport entre langue et culture. Peeters utilise l’acte de parole « exprimer sa gratitude » pour illustrer son argumentation et expliquer les avantages de l’utilisation des scénarios cognitifs, que ce soit au niveau éthnopragmatique, éthnosyntaxique, éthnosémantique…
La deuxième partie du volume porte sur la relation à l’altérité dans l’enseignement des langues étrangères, mais aussi dans les professions où la compétence socio-pragmatique est importante pour éviter malentendus ou erreurs. Dans cette partie, les chercheurs proposent également des idées, – qui ont le mérite de ne jamais être avancées comme des comme solutions miracles –, pour améliorer le développement de la compétence culturelle dans l’enseignement des langues.
Jean-Marc Dewaele explore de nouvelles façons de comprendre la compétence sociopragmatique en classe de langue.Il met l’accent sur la notion de « script » (Schank et Abelson, 1977) défini comme le schéma d’une structure cognitive qui s’applique à des situations quotidiennes, et définit les rôles, les attentes sociales et les registres. L’auteur affirme que la L1 domine chez les adultes bilingues et influence leur compétence sociopragmatique en L2. C’est à la même conclusion que parviennent les auteurs des différents articles suivants. Ils y décrivent, de manière détaillée et minutieuse, des situations de communication, en expliquent les écarts et suggèrent des solutions.
Marie-Noëlle Guillot compare l’utilisation de la particule « mais » par des locuteurs natifs de français et des étudiants de français anglophones. Corinne Weber souligne l’écart entre le registre parlé dans la salle de classe et le discours de référence utilisée dans la communication quotidienne par les apprenants. Nathalie Hascoët s’appuie sur les travaux de Brown et Gullberg (2008) qui portent sur l’influence de la L1 sur la L2, pour décrire la manière dont des interlocuteurs donnent leur point de vue, en particulier au début de la conversation. Lorenzo Devilla s’attache aux rituels d’ouverture et de fermeture entre les étudiants français et italiens, dans des échanges sur la plateforme Galanet. Kerry Mullan compare quant à lui des échanges entre locuteurs natifs et non natifs, Français et Australiens anglophones. Caterina Falbo explore le rôle des interprètes dans les évé-
38 Le cadre de recherche connu sous le nom d’« approche MSN » (Métalangue Sémantique naturelle) est lié principalement aux travaux d’Anna Wierzbicka
nements médiatiques, tels que les échanges mis en scène (débats, discours, etc.), et montre que la communication interculturelle est au cœur du travail de l’interprète, qui doit respecter les normes culturelles explicites et implicites en jeu dans chaque acte de communication. Carlotta Cini compare la manière dont sont rendues certaines formes d’adresse, des interjections et routines de politesse, dans les traductions française de films italiens. En utilisant le concept « d’ethnolecte », l’étude confirme la différence de philosophie communicative.
Cet ouvrage s’adresse donc à tous ceux qui s’intéressent, de près ou de loin, à la dimension culturelle des interactions. Il offre une richesse et une diversité de données explorées issues des médias, mais propose aussi une analyse de séries d’événements de communication, qui vont de la conversation naturelle à des situations d’apprentissage, en passant par des contextes professionnels. Les articles donnent un aperçu précis et significatif de la manière dont le langage est marqué par la dimension culturelle, dans une société et à un moment donné. Ces choix ouvriront, à n’en pas douter, de nouvelles perspectives de recherche dans le domaine de la communication interculturelle.
Manuela PiNTo Centre International d’Études Pédagogiques
L’ouvrage de Jean-Jacques Richer, intitulé La didactique des langues interrogée par les compétences est divisé en trois parties, elles-mêmes subdivisées en 13 chapitres. L’objectif visé, à travers ce livre, est d’éclairer la perspective actionnelle, prônée par le Cadre européen commun de référence pour les langues, et son développement tangible. Pour ce faire, l’auteur place le concept de compétence, en didactique des langues, au centre de son ouvrage. Comme annoncé clairement dans la partie introductive, il s’agit, pour Jean-Jacques Richer, de « pointer les insuffisances de la notion de compétence adoptée par le Cadre et à énumérer un certain nombre de chantiers didactiques devant être ouverts urgemment afin que la perspective actionnelle se constitue pleinement et ne soit pas qu’une simple étiquette ayant pour seule vocation d’accélérer le renouvellement des manuels de langues » (p. 6). La première partie, intitulée « D’un constat de flou terminologique à un nécessaire historique de la notion de compétence », comporte trois chapitres. L’auteur interroge la notion de compétence, d’un point de vue historique, ainsi que ses évolutions dans les diverses disciplines scientifiques. Il montre que le vocable est polysémique, et qu’il évolué dans divers champs disciplinaires à travers les époques (chapitre n°1 et 2). À travers les « Évolutions de la notion de compétence : de Chomsky à l’Approche communicative », l’auteur rappelle, développe et analyse, les différentes conceptions de ce qu’est la compétence (chapitre n°3). L’auteur convoque la plupart des spécialistes qui ont travaillé en relation avec la problématique qu’il développe. La deuxième partie, intitulée : « Le Cadre européen commun de référence pour les langues : reconduction du Communicatif ou émergence d’un nouveau paradigme méthodologique? », est composée de cinq chapitres. L’auteur précise la définition de la compétence dans le Cadre européen commun de référence pour les langues (chapitre n° 4) et montre que, même si cette définition paraît plus proche du modèle communicatif (p. 48), elle ne peut être dissociée de l’approche actionnelle du langage (chapitre n° 5). Cette deuxième partie met en évidence l’existence d’un nouveau paradigme méthodologique, raccordé autour de la perspective actionnelle. Le lecteur revisite la notion de compétence en didactique des langues via de nombreux travaux qui lui sont consacrés (Chomsky, Hymes, Coste, Canale & Swain, Morand, Boyer, Pendanx…). Dans une approche méthodologique, l’auteur considère que nous devons aller au-delà de l’état programmatique dans lequel se trouve la perspective actionnelle pour « ouvrir de nouveaux chantiers » empiriques. Ainsi, tout au long de la troisième et dernière partie intitulée « Implications didactiques et méthodologiques », J.-J. Richer s’impose de nouveaux chantiers didactiques et méthodologiques. Cette dernière partie, composée de cinq chapitres, est structurée notamment autour de la tâche (chapitre n° 10), et de ce qui la différencie du projet (chapitre n° 11) ; de la séquence didactique et de sa redéfinition (chapitre n° 12). Cela amène l’auteur à revisiter et repréciser le rôle de l’enseignant de langue dans une perspective actionnelle (chapitre n° 13). Cet ouvrage est le résultat d’un véritable travail d’investigation théorique (1ère et 2ème partie) et empirique (3ème partie). La structure du livre et sa grande lisibilité, sa qualité académique et ses nombreuses références scientifiques, en font un ouvrage de référence pour les acteurs du champ de l’enseignement du français langue étrangère et/ou seconde.
Kaouthar BeN aBDaLLaH Université de Franche-Comté, ELLIADD.
N° de projet : 10195732 - Dépôt légal : février 2013 Achevé d’imprimer en France en février 2013 sur les presses de l’imprimerie Chirat
TROUVER LE TEMPS LONG
L’accélération de l’existence, telle du moins que nous la serinent les médias et quelques spécialistes autoproclamés, s’applique-t-elle à l’enseignement du français langue étrangère ? Rien n’est moins sûr, car comment pourrait-on distinguer clairement le fait de donner un cours aujourd’hui à des apprenants de FLE et le même acte il y a, mettons, un siècle ? La comparaison n’est même pas possible, ou reste dépourvue de signification. L’enseignement d’une langue vivante, depuis un moment déjà, se trouve coincé entre deux bornes opposées : une extrême urgence et, pour l’enseignant(e), le souhait de ne pas y perdre ses racines et de se situer en toute conscience dans la situation historique. Celle de son enseignement concret, certes, mais aussi celle de l’héritage qu’il transporte (même s’il ne le sait pas, même s’il ne le veut pas, aurait dit l’ami Pierre Bourdieu), à travers sa formation, ses études, ses connaissances, son itinéraire propre. Pour l’apprenant, bien entendu, seule l’urgence compte. Il ne veut même pas savoir ce que l’Histoire, longue ou récente, ce que l’instant et la durée, exercent comme influence sur son professeur. Il est pressé et, en notre époque où tout se mesure à l’instantanéité, à l’immédiateté, au « tout de suite » il n’y a aucun espoir rationnel d’échapper prochainement à une telle emprise. Un apprenant, aujourd’hui, souhaite pratiquer la langue avant même de l’avoir apprise. Aurions-nous le toupet de lui en vouloir, nous qui, dans les situations les plus humbles et les plus communes de la vie, sommes envahis par une telle hâte ? Les grands empires éducatifs qui nous entourent et nous enserrent (Conseil de l’Europe, OCDE, PISA, modèles de Shanghai ou d’ailleurs), contribuent eux aussi à repousser en nous le besoin d’un véritable ressourcement historique. Il ne s’agit évidemment pas de faire de l’histoire pour faire de l’histoire, mais d’orienter notre regard du présent vers ses racines passées, qui, de toute façon, se vengeront inéluctablement de ce qu’on aura voulu faire sans elles. Une pratique sociale, et l’enseignement des langues en constitue une, exemplaire et décisive, ne possède aucun avenir si elle ne se remémore pas sans cesse les lieux et moments d’où elle vient. Pour être de véritables professionnels, les profs de FLE doivent prendre conscience d’eux-mêmes, de ce qui les entoure et de ce qui se fait en eux, même sans eux.
Louis PORCHER
ISBN : 978-209-038240-2
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