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résumé de thèse
BeN aBDaLLaH Kaouthar, « Étude de l’intégration linguistique des nouveaux arrivants en France. Enquête sociolinguistique au collège Diderot de Besançon (Doubs) ». Thèse soutenue le 02 mai 2011, à l’Université de Franche Comté, sous la direction du professeure V. Spaëth.
Cette recherche porte sur l’intégration linguistique des nouveaux arrivants, dans le contexte du FLS en France. Notre démarche est micro-sociolinguistique, aussi bien dans la problématique que dans la méthodologie adoptée. Ancrée en sociolinguistique et en didactique, notre recherche est articulée à la thématique de l’immigration, et s’est construite à partir d’une approche empirico-inductive. Afin de mieux comprendre les problématiques liées au phénomène migratoire et aux processus d’intégration qui en découle, nous plaçons le concept d’intégration linguistique (dorénavant, IL) au centre de cette recherche. La thèse emprunte une démarche qualitative longitudinale et réflexive, qui accorde une priorité au terrain. Elle vise l’objectif suivant : décrire et comprendre le comportement linguistique du groupe enquêté. Le but est d’analyser comment se construit et se développe le processus d’IL – processus évolutif se déroulant dans le temps – vers le français de ces jeunes, à travers des réseaux sociaux communicationnels tels que la famille, l’école, le groupe de pairs et les loisirs, et d’examiner ensuite dans quelle mesure ces instances influencent les usages linguistiques des sujets de l’enquête.
La thèse est composée de deux volumes. Le corps du texte représente 520 pages et comprend un sommaire accompagné d’une table des abréviations et acronymes, 50 pages de bibliographie, une sitographie, une liste des textes officiels relatifs à la scolarisation des enfants migrants et plus largement au collège, un index des notions, un index des auteurs, un index des tableaux et un index des figures. Le second volume, 325 pages, contient les annexes. On y trouve la carte du terrain de la recherche, les questionnaires de l’enquête, le canevas des entretiens, les questionnaires remplis et la transcription d’entretiens semi-directifs.
La population enquêtée compte cinquante élèves nouvellement arrivés en France (dorénavant, ENAF) de 12 à 18 ans, scolarisés dans un collège de Besançon. L’étude s’est déroulée sur deux périodes à trois ans d’intervalle (2006-2009), avec pour objectif d’examiner le processus de l’IL des allophones, pour lesquels la L2 est à la fois langue de communication, langue d’apprentissage et langue de la culture scolaire. Cette population, – rarement au centre d’une thèse souligne V. De Nuchèze dans son pré-rapport –, permet un élargissement du questionnement sur les langues d’origine dans l’espace scolaire, les dispositifs d’accueil existants, les rapports école-famille, les différents degrés de l’intégration linguistique via des facteurs tels que école, famille, groupe de pairs, pratiques culturelles.
Notre thèse de doctorat est divisée en trois parties. La première analyse le contexte politique et historique du fait migratoire et des politiques d’intégration qui lui sont associé. La seconde développe le concept d’intégration linguistique. La dernière, enfin, expose notre cheminement, de la conceptualisation des enquêtes aux propositions didactiques, en passant par les analyses des résultats.
La première partie comporte quatre chapitres. Le premier chapitre présente le terrain : le collège Diderot de Besançon – quartier Planoise – (Doubs) ; ce quartier est classé en ZUS, le collège en ZEP (puis REP), avec 760 élèves dont 40 nationalités différentes. Le dispositif d’accueil (DAI) des ENAF comporte trois classes d’accueil (CLA). Le chapitre 2 est consacré à de très nombreuses statistiques sur le fait migratoire et des précisions terminologiques ; le domaine concerné étant marqué par une
forte inflation terminologique. Le chapitre 3 permet de cerner le concept d’intégration linguistique, à partir des discours qui l’ont abordé, et des termes qui lui sont associés (acculturation, assimilation, insertion…). Nous le concevons comme un processus multidimensionnel, politique, économique, culturel, social et scolaire.
Le chapitre 4 précise la division en deux secteurs distincts de la politique française en matière d’intégration ; sphères politique et éducative. Nous avons examiné les différents organismes et dispositifs, notamment ceux mis en place par l’Éducation nationale.
La seconde partie, composée des chapitres 5 et 6, traite de l’intégration linguistique dans et hors de l’école, à travers les modes d’appropriation dans des contextes divers (milieux plus ou moins formels, plus ou moins privés) auxquels correspondent des processus distincts. Un souci terminologique s’est imposé, ici, afin d’expliciter des termes tels que « appropriation, apprentissage et acquisition ». Les facteurs plus ou moins favorables au processus d’IL sont passés en revue, et nous constatons que l’IL est difficilement mesurable (statistiques non satisfaisantes du HCI et recours aux travaux canadiens). L’IL à l’école (chapitre 6) déclenche de nouvelles définitions et explorations de termes : du FLS (en France et dans le monde) jusqu’au FLSCO, avec la complexité de cette dernière notion en lien avec la diversité des degrés de la maîtrise de la langue. Nous abordons via de nombreux travaux qui lui sont consacrés, l’exploration de la notion de bilinguisme, puis celle des glissements terminologiques les plus récents (bi-plurilinguisme par exemple) et compétence plurilingue du CECR.
Ainsi, nous avons été amenée à explorer assez finement, la constellation des concepts qui gravitent autour de l’IL. Cette partie épistémologique rend bien compte de la nécessaire articulation entre sociolinguistique, politique linguistique et didactique en FLS. V. Spaëth note que cette partie de la thèse constitue un bon essai de synthèse, à partir de la notion d’intégration linguistique, et que la problématisation des conditions de transposition de l’intégration linguistique, du système canadien vers le système français, est pertinente.
Jean-Louis Chiss, examinant la troisième partie de ce travail, souligne que l’étude de terrain, dans sa dimension « longitudinale », peu facile à mener pour les ENAF, apporte des éléments utiles et intéressants sur l’usage des langues en présence dans la sphère privée et publique, sur le « répertoire verbal » des enquêtés, et dresse des « portraits linguistiques » suggestifs.
Le chapitre 8 est consacré au questionnaire, de son élaboration jusqu’à sa réalisation. Les entretiens semi-directifs réalisés trois ans plus tard, ont pour but de rendre compte de l’évolution du processus d’IL, et n’ont pas échappé aux difficultés classiques de tout « suivi de cohorte » ; les « bases-élèves-académiques » n’étant généralement pas renseignées par les établissements scolaires. Dix des entretiens sont retranscrits dans le respect du principe de naturalité de l’ethnométhodologie.
Le chapitre 9 est consacré au traitement des données au moyen du logiciel Sphinx: les caractéristiques de l’échantillon, puis représentées par différents diagrammes tout au long de ce chapitre. Le chapitre 10 est consacré à l’étude des répertoires verbaux pour vingt-deux langues réparties en neuf familles de langues, confirmant que le bi-plurilinguisme est la règle dans ces publics. Le chapitre 11 examine les langues utilisées dans la sphère privée : la langue d’origine (LO) est majoritaire et cohabite avec le français de façon variable selon le pays d’origine, le sexe du locuteur et le lien filial avec l’interlocuteur (père ou mère), les mères étant plus souvent monolingues et gardiennes de la LO. Quant aux fratries, elles « codeswitchent » allègrement ; empreinte de la scolarisation oblige. L’école se raconte en français et en LO, base du bilinguisme interne à la famille. Ces résultats concernant le bilinguisme familial ont déclenché un nouveau rappel à la littérature
Le chapitre 12 présente les résultats concernant la sphère publique. Les usages linguistiques de la cour de récréation confirment la L2 dans sa fonction de langue véhiculaire chez des locuteurs utilisant librement leur LO. Les usages dans le groupe de pairs présentent des caractéristiques comparables à ceux de la sphère privée, avec une fonction forte d’intégration sociale. Au plan de leurs pratiques culturelles, il est établi que les ENAF restent, par la télévision, exposés à la LO et L2 et à une acculturation continue. La radio semble jouer un rôle marginal, contrairement à la musique, écoutée en LO et L2, mais avec une nette prépondérance pour le français. L’ensemble des pratiques examinées montre un processus d’IL en cours.
Le chapitre 13 vise à répondre à une question qui nous semble essentielle : comment ce processus d’Il évolue-t-il dans le temps ? À l’école, si l’usage du français est dominant, le répertoire biplurilingue de l’ENAF lui permet d’ajuster sa parole à celle de son interlocuteur, et de manipuler les différentes variétés internes à chacune des langues en usage. Mais c’est dans le groupe de pairs que se confirme la suprématie de la L2 dans les échanges. Les représentations que les ENAF ont de la LO confirment les fonctions identitaire, affective, cryptique et ludique de celle-ci. À ce titre, son usage appartient principalement à la sphère privée. Par contraste, le français s’impose pour ses fonctions véhiculaires, scolaires, sociales, professionnelles. Le dernier chapitre se propose d’articuler la sociolinguistique à la didactique.
Certaines de nos conclusions pourraient être utilisées pour l’élaboration de programmes d’enseignement/apprentissage du FLS en contexte français. D’autres pourraient grandement aider les formateurs d’enseignants afin de mieux préparer les futurs maîtres et les enseignants en poste à intégrer dans leurs classes « ordinaires » des ENAF. La présence de ce public scolaire dans le système éducatif français implique l’urgence de concevoir une didactique du plurilinguisme qui considère les réalités langagières des ENAF.
Kaouthar BeN aBDaLLaH Université de Franche-Comté, ELLIADD.